Doctrine de la vertu/Doctrine/Ascet

Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (seconde partie de la Métaphysique des moeurs), suivis d'un Traité de pédagogie et de divers opuscules relatifs à la morale
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 175-177).



DEUXIÈME SECTION.


ascétique.


§ 53.


Les règles de la pratique de la vertu (exercitiorum virtutis) se rapportent à ces deux dispositions de l’âme : le courage et la sérénité (animus strenuus et hilaris) dans l’accomplissement de ses devoirs. Car la vertu a des obstacles à combattre, qu’elle ne peut vaincre qu’en rassemblant ses forces, et en même temps il lui faut sacrifier bien des joies de la vie, dont la perte peut bien parfois rendre l’âme morose et sombre. Or ce que l’on ne fait pas avec plaisir, mais seulement comme une corvée[1], n’a aucune valeur intérieure pour celui qui remplit son devoir dans cet esprit, et ne saurait être aimé : loin de là il évite autant que possible l’occasion de pratiquer ce devoir.

La culture de la vertu, c’est-à-dire l’ascétique morale a pour principe, en tant qu’il s’agit d’un exercice ferme et courageux de la vertu, cette sentence des stoïciens : accoutume-toi à supporter les maux accidentels de la vie, et à t’abstenir des jouissances superflues (sustine et abstine). C’est une espèce de diététique qui consiste à se conserver sain moralement. Mais la santé n’est qu’un bien-être négatif ; elle ne peut être sentie elle-même. Il faut que quelque chose s’y ajoute, qui procure le sentiment de la jouissance de la vie, et qui pourtant soit purement moral. Or c’est le cœur toujours serein dont parle le vertueux Épicure. En effet, qui pourrait avoir plus de raisons de posséder une âme sereine et qui regardera mieux comme un devoir de se placer dans cet état de sérénité et de s’en faire une habitude, que celui qui n’a conscience d’aucune transgression volontaire de la loi morale et qui est certain de ne tomber dans aucune faute de ce genre (hic murus aheneus esto, etc., Horat.) ? L’ascétisme monacal au contraire, qui, par suite d’une crainte superstitieuse ou d’une hypocrite horreur de soi-même, a pour effet de se mortifier et de torturer son corps, n’a rien de commun avec la vertu, mais c’est une sorte d’expiation fanatique, qui consiste à s’infliger à soi-même certains châtiments, et, au lieu de se repentir moralement (c’est-à-dire en prenant la résolution de s’amender), à croire qu’on rachète[2] ainsi ses fautes. Or un châtiment qu’on choisit soi-même et qu’on s’inflige à soi-même est quelque chose de contradictoire (car le châtiment ne peut jamais être infligé que par un autre) ; et, loin de produire cette sincérité d’âme qui accompagne la vertu, il ne peut avoir lieu sans exciter une secrète haine contre les commandements de la vertu. — La gymnastique morale consiste donc uniquement dans cette lutte contre les penchants de notre nature, qui a pour but de nous en rendre les maîtres dans les cas menaçants pour la moralité qui peuvent se présenter, et par conséquent elle nous donne du courage et cette sérénité que l’on ne manque pas de trouver dans la conscience d’avoir recouvré sa liberté. Se repentir de quelque chose (ce qui est inévitable, quand on se rappelle certaines fautes passées, qu’il est même de notre devoir de ne jamais oublier), et s’infliger une pénitence (par exemple le jeûne), non pas dans un intérêt diététique, mais dans une intention pieuse, sont deux actes fort différents, quoiqu’on leur ait attribué à tous deux un caractère moral ; le dernier, qui a quelque chose de triste, de sombre et de sinistre, rend la vertu même odieuse et éloigne ses partisans. La discipline que l’homme exerce sur lui-même ne peut donc être méritoire et exemplaire que grâce à la sérénité qui l’accompagne.






Notes du traducteur modifier

  1. Als Frohndienst.
  2. Büssen.

Notes de l’auteur modifier