Disparus


VI. — Naïk.


Le jeune Naïk, fils du pécheur Dagorne, du bourg de Penhoël, était un petit gars de huit à neuf ans, généralement malpropre et déguenillé, dont la tignasse blonde, rarement peignée, semblait presque blanche.

Le jeune Naïk courait la grève du matin au soir. Il demeurait plus d’heures les pieds dans l’eau que sur terre ou à la maison. Le père emmenant dans sa barque ses deux aînés, Naïk n’était pas encore des expéditions de grandes pêches en bateau ; mais c’était un forcené ramasseur de bigorneaux et de moules, un pêcheur de crevettes émérite et un parfait vaurien, sournois, taciturne, et ayant plus vite allongé une claque à un autre enfant qui ne lui disait rien que partagé de sa pêche avec qui que ce fut.

Naïk Dagorne était un petit personnage très indépendant et avisé ; ayant remarqué qu’à la maison il poussait à peu près constamment des gifles et des coups de corde, toujours mérités d’ailleurs, il s’arrangeait pour ne paraître au logis que le moins souvent possible.

Quand il s’y risquait le soir pour participer aux galettes de sarrasin, au lait caillé et à la soupe aux poissons, dès l’entrée, il se garait en croisant ses deux coudes sur sa tête ; les avortons de son espèce sont difficiles à atteindre, il était leste et esquivait les horions le plus souvent. Et puis il disparaissait dès qu’était vidé le trou creusé dans le bois de la table familiale, trou qui servait à la fois de soupière et d’unique écuelle pour tous.

manette et mvon.

Ce jour-là, Naïk se sentait de mauvaise humeur. Il avait attrapé le matin, avec son crochet, un superbe homard, et, exceptionnellement, pour vendre cette prise à M. le recteur, il était revenu au village avant le soir.

Et voilà qu’en sortant de la ruelle du presbytère la malchance avait voulu que sa mère lui eût mis la main dessus et l’eût allégé immédiatement de l’argent de M. le recteur. De plus, elle lui avait envoyé comme adieu un de ses sabots, et Naïk avait été assez maladroit pour le recevoir où vous devinez. Ah ! non, il n’était pas de bonne humeur, le jeune Naïk ! Il s’en retournait à la grève, louchant en dessous, avec son paneret sur le dos, et, comme la bande des marmots de la mère Mahek eut le malheur de ne pas l’apercevoir, et, par conséquent, de ne pas détaler à temps du ruisseau où ils s’amusaient à patauger, notre Naïk les gratifia d’une douzaine de galets, dont quelques-uns portèrent comme le sabot.

Cela ne le soulagea guère. Il ne pouvait digérer le homard de M. le recteur. Ce n’est pas tous les jours qu’on prend des homards, et il y a tant de choses tentantes à acheter chez l’épicière du bourg ! Naïk filait le long de la falaise, par le plus court, quand un objet étrange attira ses regards. Il y avait là, bien en évidence sur la roche, un machin très gros en plus belle soie qu’il n’en avait jamais vu aux fichus des plus cossues de Penhoël, les jours de grand Pardon. Naïk se retourna d’abord pour s’assurer qu’il n’y avait personne aux environs. Après quoi, il ramassa la chose sans presque se baisser, l’enfouit sous sa veste et continua sa route tout raide, une bosse sur la hanche. Naïk marcha, marcha… Il se dirigea vers un endroit très désert du rivage. Là, entre des rochers hauts, sûr de n’être pas épié, il ouvrit enfin le paquet d’Yvon. Il déplia la soie et trouva le médaillon de Manette.

Naïk devint tout rouge. Précipitamment il refit le paquet et courut d’une traite le fourrer dans une fissure cachée, qui lui servait de secrétaire, et qui était, bien entendu, hors de portée de la marée. Après quoi, il s’assit sur une arête de granit, les jambes pendantes, et médita.

Naïk n’était pas honnête : personne ne lui avait appris à l’être. L’idée qu’il eut tout de suite fut de s’approprier ces belles affaires. Mais la réflexion vint. Qu’est-ce qu’il en ferait ? Il n’oserait pas les laisser longtemps dans cette cachette. D’autres gamins du pays faisaient souvent résonner leurs sabots dans ces parages. Quant à rapporter ce trésor à la maison, il aurait préféré le jeter à la mer. Et le résultat de ses réflexions fut que, puisqu’il ne pouvait pas vendre sa trouvaille (on l’eût mis en prison), ce qu’il avait de mieux à faire était de la rendre à celui à qui elle appartenait et de tâcher d’avoir une récompense honnête.

Or, à qui une si belle affaire pouvait-elle appartenir, sinon aux gens du château ? À cette pensée, Naïk se dérida. On savait dans le pays que le chevalier était large ; il avait beau n’être pas riche, il ne vous jetait jamais dans la main moins d’un écu. La seule chose que craignait Naïk, c’est que le gentilhomme, ou la grande demoiselle Manon, qui tricotait tout le temps des surcots pour les gamins, au lieu de s’amuser, donnât de l’argent à la famille Dagorne et non à lui-même. Car, pour l’argent, il était sûr qu’il y en aurait, et une bonne somme, une somme comme il n’en avait jamais vu. Mais, provisoirement, se sentant propriétaire, Naïk n’était pas pressé de se dessaisir de son trésor. Il serait temps de voir demain.

En conséquence, tout en se promettant de surveiller du coin de l’œil les alentours de sa cachette, il sauta sur la roche au-dessous, et clapotant avec ses sabots, d’une agilité étonnante, il poussa une course joyeuse vers la mer basse en sifflotant et se mit à pêcher. Le soir, il porta des crevettes au château et y apprit de Jeannie que M. le chevalier était en voyage. Cela le contraria vivement. Au soir, il se glissa jusqu’à la maison où l’attendait une large distribution de taloches en guise de souper, le père étant en mer ; mais il accepta philosophiquement cette nourriture, songeant qu’il était riche.

La nuit passa par là-dessus. Le lendemain, à l’heure de la marée haute, Naïk ne pouvant pêcher, décida qu’il irait cueillir des noisettes et voler les pommes douces de la mère Mahek. Le verger de la mère Mahek, que Naïk affectionnait autant qu’il détestait sa propriétaire, s’étendait entre la route de Quimper et le ruisseau du pays, tout bordé de noisetiers. Le terrain était donc excellent pour la double opération qu’il projetait. Il n’oublia pas de la ficelle, préparée avec des nœuds coulants, dans le cas où il approcherait enfin la plus grosse oie du troupeau Mahek, qu’il guignait depuis longtemps, dans l’espoir d’en faire un jour la pièce de résistance d’un festin monstre quelque part, là-bas dans les rochers. Naïk, donc, les mains dans ses poches, de l’air le plus effrontément innocent, mal mouché, il faut bien le dire, s’avançait sur la route de Quimper, en sortant du bourg, quand M. le chevalier, à cheval, suivi du vieux Charlik, sur sa vieille jument, se présentèrent à la vue du gamin. Naïk, prévenu la veille que le voyage du seigneur devait être long, se dit tout de suite, judicieusement, que celui-ci ne revenait peut-être que pour une heure, ayant oublié quelque chose, et qu’il ne fallait pas le laisser repartir. Il le salua donc, en marmottant une phrase pour l’arrêter ; mais il parla très bas, car le chevalier lui faisait peur. M. de Valjacquelein, absorbé dans des pensées qui n’étaient point couleur de rose, vit à peine ce môme déguenillé, crut qu’il mendiait et passa outre. Naïk, désappointé, ne se tint pas pour battu. Le vieux Charlik lui faisait beaucoup moins peur, précisément parce que celui-ci avait quelquefois contribué à grossir son contingent de calottes, ce qui avait établi des rapports entre eux.

« Qu’est-ce que tu vas voler par là » ? lit Charlik du haut de sa haridelle, en le voyant s’approcher.

Tout de suite, croyant mentir, et dans le dessein de se faire écouter à coup sur, Naïk lança en breton :

« J’ai trouvé des affaires à M. Yvon sur la grève.

— Hein, bon Dieu ! s’écria Charlik. Attends ! ne bouge de là ! »

Et il piqua sa bête de l’éperon, rejoignit le chevalier, qui, au premier mot, tourna bride. Sans désemparer, le chevalier voulut être en possession de la trouvaille. Le gamin fut hissé en croupe de Charlik et, en un temps de galop, on arriva à la cachette. La vue du médaillon fut à la fois une déception et un soulagement pour le père. Il avait craint que ce fussent des vêtements de son fils noyé. Toutefois ce bijou ne lui paraissait avoir aucun rapport avec son enfant. Il s’en fallut de peu qu’il n’en fit pas jouer le couvercle. Pourtant, il ouvrit, et il lut !… La mer n’avait, cette fois, rien détérioré.

Une exclamation d’horreur s’échappa des lèvres du malheureux père. Il songea tout de suite qu’il s’était écoulé quatre jours et trois nuits depuis la disparition d’Yvon. Son enfant devait être mort de faim et de soif ! Et de quelle façon horrible… Le chevalier ne prit que le temps de demander à Naïk : « Quand as-tu trouvé cela ?

— Ce matin », mentit l’autre.

On sauta à cheval. On vola sur la grève. Le chevalier prit en passant la corde d’un filet étendu à sécher, et ils arrivèrent sur la falaise. La recherche exigea beaucoup de temps. Le chevalier se mourait d’angoisse et cherchait mal. Il voulait d’ailleurs que ce trou, où son fils se disait tombé, fut situé dans une carrière de pierre abandonnée, encombrée de broussailles, et assez près du Calvaire désigné dans le billet. Trois fois il entra dans le sentier menant à la grotte, vit la source, vit la couverture de vieux lierre et de ronces presque collée au roc sans chemin apparent, et ressortit.

Naïk, qui les avait suivis et qui regardait Charlik et le chevalier aller, venir, chercher, fureter, n’y comprenait rien. Il restait là, bouche béante. Charlik, aussi désespéré que son maître, mais la tête moins perdue, eut l’idée d’informer le gamin de ce dont il s’agissait et lui ordonna de chercher aussi. Il lui expliqua brièvement qu’il devait exister dans les environs un trou de rocher où M. Yvon était tombé.

Naïk ne connaissait pas la grotte. Il fut très étonné, mais, grâce à la science réelle qu’il avait de la côte, il se dit aussitôt que s’il existait quelque part une excavation, ce ne pouvait être que dans une échancrure de la falaise dominant la mer. Et il alla presque tout de suite où il fallait. Il sortit de dessous le rideau de ronces après avoir découvert l’entrée de la grotte et, avec sa prudence instinctive de madré petit Breton, il ne parla pas aussitôt. Il ne cria pas, il n’appela pas. Il s’avança vers le chevalier, empêtré dans les ajoncs dans le creux de la carrière, et il lui dit :

« Monseigneur, j’ai trouvé le trou. Vous me donnerez quelque chose. »

Le chevalier s’arracha des ronces, sauta sur la falaise, lança sa bourse pleine d’or au gamin, tout en courant à côté de lui. Il se précipita à l’entrée et se laissa glisser dans la grotte.

Elle était vide !  !  !

Il n’y avait plus ni Yvon, ni petite Manette.

Il n’y avait plus de caisses, il n’y avait plus d’étoffes, il n’y avait plus rien que le lit de varech et un petit tricorne défoncé, trempé, maculé de boue, sur lequel on avait piétiné, et que le chevalier embrassa pourtant passionnément, pleurant en cet endroit à lui seul plus que les deux enfants n’avaient pleuré en plusieurs jours, et tellement hors de lui, ne sachant ce que pouvait signifier cette seconde disparition, qu’il s’en prit aux pierres des parois, les frappant du poing, voulant absolument qu’elles lui rendissent son fils.

Le père eut un moment d’angoisse indicible, à inspecter les crevasses du fond de la caverne. Bien que leur étroitesse rendit le fait invraisemblable, il craignit un moment que son Yvon chéri ne fut là, mort, mort de faim et de soif. Il fallut attendre qu’on apportât de quoi faire de la lumière. Attente mortelle ! Après quoi, le fond des crevasses apparut, vide comme le reste.

Cette disparition laissait encore de l’espoir. Il fallait qu’Yvon fût quelque part, mort ou vivant ; il n’y avait point de doute que ce ne fut bien là la cavité où il avait séjourné, la présence du chapeau en faisait foi. Et il ne pouvait être mort, à moins qu’on ne l’eût assassiné, puisqu’il avait écrit un deuxième billet trouvé le matin même… à moins que le médaillon n’eût pas été découvert tout de suite, qu’il eût été lancé en même temps que le bouquet. C’était possible ! Et le chevalier, plus que jamais, répétait désespéré : « Que faire ! »

La pensée lui vint alors que peut-être Yvon avait réussi à s’échapper et qu’il était au château, qu’il allait le revoir. C’était bien invraisemblable, car il se fût trouvé vingt personnes sur la route pour lui crier la nouvelle. Et néanmoins, le pauvre père se raccrochait, en galopant vers le château, à cette espérance qui devait être déçue : personne n’avait vu Yvon.

Ces nouveaux incidents plongèrent le château dans un nouveau trouble. Le vieux baron frémit de colère à l’idée des contrebandiers, dont le notaire supposait l’existence. La lettre d’Yvon les fit tous trembler. Ils le voyaient dans son cachot de roche, se traînant en proie aux affres de la faim, et le fait que l’enfant ne s’y trouvât plus paraissait plus incompréhensible que tout le reste. Dans sa lettre, il ne parlait point de contrebandiers, et cependant l’objet même qui la contenait, la soie dont était entouré cet objet, l’objet lui-même, donnaient à penser qu’il provenait de vols, et que, par conséquent, l’enfant était aux mains de quelques brigands. Mais alors, pourquoi avoir mis cette lettre dans le médaillon ? Ce n’était certainement pas ses ravisseurs qui lui avaient donné un bijou assez précieux, dans le seul but de contenir sa lettre, et des soies d’Orient par-dessus le marché. Donc, l’enfant avait écrit de lui-même, en cachette. Dès lors, pourquoi ne parlait-il pas de ses ravisseurs ? Il était libre de le faire, puisqu’il écrivait secrètement.

Toutes ces questions demeuraient sans réponse. On tourna et retourna le bijou, on examina le portrait, les cheveux de la mère de Manette. Si ce médaillon n’était pas volé, quelle était cette femme et quels rapports pouvaient s’être établis entre Yvon et elle ? Autre question non moins insoluble. Au milieu de la consternation subsistait une certitude, ou du moins une presque certitude que l’enfant était bien vivant à cette heure ! Grande Manon, cette fois, était tellement abattue, qu’elle ne tricotait pas. Ses yeux ne quittaient guère la relique rapportée de la grotte par son père, le petit chapeau noir aplati, écrasé ; on n’y avait pas touché. Il était tel que le chevalier l’avait rapporté. Tout à coup, la grande sœur se pencha et examina attentivement le tricorne. Le chevalier vint voir ce qu’elle regardait sans rien dire, l’air effrayé. Grande Manon suivit du doigt la trace et le contour marqués visiblement par l’empreinte boueuse d’une semelle de botte d’une grande taille qui avait dû se poser sur le chapeau. Ce n’était certainement pas le soulier d’Yvon qui avait imprimé une empreinte de cette taille.

« Les contrebandiers ! », murmura le chevalier.

Mais, vivement, Grande Manon pesa sur le bras de son père, l’invitant à se taire, clignant de l’œil du côté du vieillard, dont il ne fallait pas augmenter l’inquiétude. Le chevalier se tut. Il était tout pâle et il est probable qu’il pensait justement à faire ce que le vieux baron lui ordonna un instant après :

« Chevalier, votre fils n’est pas mort. Partez. Allez à sa recherche. »

Pendant trois jours, en effet, le père parcourut la côte à cheval, interrogeant les pêcheurs des villages voisins de la mer, ainsi que le notaire l’avait conseillé. Aucun indice d’Yvon. Et comme, à son retour à Penhoël, rien non plus n’était venu de la part des ravisseurs présumés de l’enfant, le chevalier de Valjacquelein n’y tint plus : il entreprit et fit le voyage de Paris.

C’était, à cette époque, une grande affaire ; c’en était une plus grande encore en ce moment. L’autorité se trouvait alors partagée en France entre divers pouvoirs, et, parmi ces pouvoirs, celui du roi, toujours roi de nom et de situation, décroissait chaque jour. L’Assemblée gouvernait réellement. Mais il s’élevait contre elle des résistances, et surtout en Bretagne. Il y avait des prises d’armes un peu partout, et quantité de gens profitaient du trouble général pour tenir campagne.

Néanmoins, le chevalier arriva sans encombre à Paris. Là, il commença à se rendre compte de l’état de dépendance dangereuse où était tombée la puissance royale et vit combien celle-ci était réduite. Louis XVI était plutôt prisonnier que roi. Le chevalier fit ce qu’il put pour lui être présenté ; il n’y parvint pas. On le renvoya au ministre qui, plus puissant que le roi, ne l’était cependant guère auprès de l’Assemblée. M. de Valjacquelein eut grand’peine à obtenir une audience de ce personnage surchargé de travail et de soucis, et qui ne pouvait pas faire grand état d’un pauvre gentilhomme breton égaré au milieu de la bagarre politique. Maître Hornek, de Quimper, était loin de supposer que les choses en fussent venues à ce point, quand il avait parlé au gentilhomme d’aller se jeter aux pieds du roi, de demander l’intervention de la marine royale. Il n’existait plus que peu de marine, et elle n’était plus, pour ainsi dire, royale que de nom.

Le jour marqué pour son audience, le chevalier, introduit dans l’antichambre du ministre, fut invité à s’asseoir. Une dame en grande toilette, poudrée à blanc, perruque haute, attendait elle-même déjà. Cette dame fut reçue presque aussitôt. Resté seul, le père d’Yvon s’absorba dans sa tristesse, et il médita sur son découragement. Ses yeux se portèrent par hasard sur le siège que la dame venait de quitter et son attention fut attirée par un objet qu’elle y avait oublié. Il le regarda de plus près, machinalement d’abord, puis, très intéressé.

C’était une boîte à poudre. Sur le couvercle, une miniature d’une extrême finesse représentait le visage et le buste d’une enfant. Cette peinture offrait une ressemblance frappante avec le portrait du médaillon envoyé par Yvon. Il n’y avait peut-être là qu’une coïncidence. Le ministre reçut enfin le chevalier et écouta sa requête avec politesse ; mais il était visiblement occupé d’autre chose. Il le fit répéter, de manière à lui prouver qu’il avait à peine entendu. Cependant, il promit de s’occuper de l’affaire et de rédiger un ordre pour le commissaire de la marine.

« Tout est difficile en ce moment. C’est du reste, ajouta M. de Necker en souriant, le jour des enfants perdus, car la marquise de Norins, qui sort d’ici, me prie de faire rechercher sa fille qui a disparu aussi, en Bretagne même, et, je crois, non loin de vos terres. Revenez me voir, chevalier, je m’occuperai des deux affaires ensemble… si on m’en laisse le temps. »

Le chevalier ne jugea pas à propos de raconter à un homme si pressé la remarque qu’il venait de faire dans l’antichambre, mais il s’enquit de la marquise de Norins, lui fit visite, lui raconta son histoire, celle d’Yvon et du médaillon trouvé par Naïk, dont la peinture ressemblait tant au portrait de la boîte à poudre. Très frappée, la marquise ne douta pas un instant que Manette, sa fille, ne fût mêlée aux aventures de l’enfant dont on lui parlait. Il lui parut probable que l’un et l’autre de ces enfants avaient été enlevés par les mêmes malfaiteurs. Mme de Norins usa de tout son crédit auprès de M. de Necker pour obtenir l’ordre de poursuite qui ne venait pas.

Le chevalier de Valjacquelein restait pour attendre cet ordre, plongé dans un chagrin chaque jour plus profond. Mais, voyant par lui-même les dangers que courait son roi, ayant le spectacle quotidien de la révolution grandissante, il se mêla peu à peu à la noblesse qui entourait Louis XVI et joignit son épée à celles qui tentèrent de soutenir le monarque chancelant.