Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Brigantine

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 228-238).

BRIGANTINE, s. f. (brigandine). Vêtement de guerre porté d’abord par les gens de pied, et prenant son nom de ces sortes de troupes désignées sous la qualification de brigands ou brigants dès le XIVe siècle[1], d’où nous avons conservé le mot brigade. Dans le centre de la France, l’adjectif brigaillé s’entend comme bigarré, marqué de plusieurs couleurs ;
et, en effet, ces troupes de gens de pied formaient un composé de vêtements fort divers. Le mot de la basse latinité briga veut dire aussi réunion, conjuration. Ces troupes de mercenaires, qui se rendirent si redoutables pendant les xiv- siècle et xve siècle, avaient pour armement défensif principal une sorte de haubergeon ou de gambison de peau, renforcé de lames d’acier prises dans l’épaisseur ; et de fait, la brigantine ou brigandine est un vêtement de guerre dérivé de la broigne ou du gambison, et n’est admise, dans la forme que nous lui connaissons, que vers la fin du xive siècle. Plus légère que le corselet, préservant mieux des coups et des traits que le haubert, moins chère que n’étaient ces deux sortes d’habillements, la brigantine fut adoptée non-seulement par les gens de pied, mais aussi par les hommes d’armes en bien des cas. Elle couvrait entièrement le torse, les hanches et souvent les bras, et était lacée, boutonnée ou agrafée par devant ou sur les côtés. La brigantine se composait d’un pourpoint de forte toile ou de peau à l’intérieur, et d’une enveloppe de velours ou de forte étoffe de soie à l’extérieur, avec lames d’acier disposées comme des feuilles de jalousies entre les deux étoffes ; des rivets maintenaient le tout ensemble. Les têtes rondes ou bossettes de ces rivets, dorées ou argentées, ou simplement étamées ou faites de laiton, complétaient le vêtement, et, étant très-rapprochées, empêchaient les coups de taille de couper l’étoffe. Une brigantine bien faite résistait parfaitement aux traits, flèches ou carreaux d’arbalète ; elle permettait les mouvements du corps et des bras, et était d’un prix inférieur à celui des hauberts et corselets, ces derniers surtout étant fort chers lorsque l’on commença à en faire usage.

Dès 1395, on voit des gens de pied revêtus de larges brigantines à manches avec camail (fig. 1)[2].

Ce vêtement militaire se rapproche beaucoup du gambison. Il est fait de double peau piquée, avec lames d’acier entre deux, et est attaché par devant avec des courroies. Les manches sont bouclées, étant trop justes pour être facilement passées. Un camail de même façon couvre les épaules. Le chapel de fer affecte une forme peu usitée. Les jambes sont armées de genouillères et de grèves.

Le musée d’artillerie de Paris conserve deux beaux spécimens de brigantines : l’un date du milieu, l’autre de la fin du xve siècle. Le premier (fig. 2) se compose de lames d’acier, comme il a été dit plus haut, disposées à recouvrement, préservant la poitrine, le dos et les hanches. Sur ces lames d’acier était fixé, à l’extérieur, un revêtement de velours très-fort, et dessous, à l’intérieur, une peau épaisse ou une toile en double. En A, la brigantine est montrée par devant, le velours ne recouvrant que la moitié du vêtement, pour laisser voir les lames d’acier interposées. En B, la brigantine est vue par derrière, avec et sans le revêtement de velours. Le devant
s’agrafait verticalement et une ceinture serrait la taille. De plus, pour mettre facilement ce vêtement, il s’ouvrait sur les épaules et était alors fixé de chaque côté par deux boucles (voyez en E), l’une large et l’autre étroite, car il n’était pas possible de passer la tête par l’encolure, qui n’a que 13 centimètres de diamètre et serre le cou. En D, est tracée la disposition des lames d’acier à la hauteur de la ceinture (a étant la lame de ceinture). En C, est indiqué un rivet grandeur d’exécution, et sa coupe avec les épaisseurs du velours, de l’acier et de la toile en double ou de la peau. Une fine étoffe de soie cachait à l’intérieur toutes ces rivures.
Les manches de cette brigantine n’existent plus ou n’ont jamais existé peut-être, car on portait souvent, avec la brigantine, soit des manches de peau piquée, soit des brassards, soit même des manches de mailles Mais il y avait aussi des manches de Brigantines courtes, fortement rembourrées aux épaules et munies de lames d’acier comme le corps. Ces manches consistaient parfois en des spallières attachées avec des aiguillettes et recouvrant des brassards (fig. 3[3])

(en A, l’une des spallières est présentée du côté interne), ou bien en un canon ne descendant qu’au coude, avec bourrelet aux épaules (fig. 4[4]).

Ce fantassin porte une brigantine à crevés verticaux, laissant voir la maille du jacque sous-jacent. Les manches de la brigantine ne couvrent que les arrière-bras ; les avant-bras sont préservés par des canons d’acier avec cubitières.

La brigantine se combinait aussi avec le corselet d’acier, c'està-dire que, par-dessus la brigantine, on laçait la pansière et la braconnière. Mais c’était là un harnais d’homme d’armes (fig. 5[5]).

Ce gentilhomme est le sire de Quadudal, Breton[6]. Il est richement armé d’une brigantine grise avec pansière et braconnière sans tassettes, mais avec jupon de mailles. Sur le colletin de la bavière est un collier de grains d’or. Il est coiffé d’une salade. Les arrière-bras sont garantis par de la maille avec spallières et rondelles d’acier. Les avant-bras sont armés de canons avec cubitières. Les jambes sont complètement armées.

La seconde brigantine du musée d’artillerie de Paris, qui date de 1470 environ, montre des rivets très-approchés et disposés longitudinalement (fig. 6).

En A, la moitié de la partie de devant de la brigantine est montrée à l'intérieur. On voit ainsi parfaitement la structure des lames d’acier très-ingénieusement disposées aux entournures ; les rivets sont de laiton. Ces rivets réunissent ces lames d’acier à une première enveloppe externe de toile, recouverte d’une seconde enveloppe de velours de soie (voyez la coupe B). Nulle doublure à l’intérieur. Ce vêtement se posait sur un gambison de peau ou de toile. En C, les rivets sont montrés grandeur d’exécution, avec leur espacement.

Les plus nobles personnages ne dédaignaient point, pendant le xve siècle, de porter la brigantine. Dans sa Chronique, Lefèvre de Saint-Remi dit qu’au mois d’août « le roy ouy messe à Crespy, puis monta à cheval, armé d’une brigandine et se tira aux champs, là où il trouva une belle compaignye et grande quy l’attendait » (pour combattre les Anglais dans la plaine, en face de Mont-Espilloy).

Les arbalétriers génois qui étaient au service du roi de France pendant le xive siècle étaient vêtus de brigantines. Plus tard, les archers à pied et à cheval les endossèrent aussi. A la fin du xve siècle, on se servait beaucoup, dans l’infanterie française, de la brigantine italienne qui était légère, sans manches, posée par-dessus un jacque de mailles, et que l’on pouvait allonger au besoin par devant, au moyen d’une sorte de tablier attaché par des aiguillettes. La figure 7 présente un de ces fantassins habillé à l’italienne[7]. Il est vêtu d’une brillantine couverte d’étoffe rouge et de rivets dorés, avec larges entournures, laissant passer les manches de mailles du jacque, dont la jupe tombe à mi-cuisses. Devant la brigantine est attaché un supplément de même
façon, au moyen d’aiguillettes. La brigantine et le supplément inférieur sont bouclés par devant. Les jambes sont vêtues de chausses de drap rouge, et par-dessus des grèves italiennes sans genouillères. Les solerets sont de mailles. De forts gantelets couvrent les mains, et une cervelière d’écailles de fer, garnie d’étoffe, protège le crâne (voy. Cervelière).

La brigantine se conserva jusque vers 1525. Les archers à cheval, sous Charles VII et Louis XI (sauf les archers écossais[8]), étaient armés de jacques ou de brigantines. On en voit encore sur des hommes d’armes des premières années du règne de François Ier ; et plus tard encore en portait-on sous le pourpoint, par mesure de sûreté, pour se garantir contre une tentative d’assassinat.

La brigantine dont on se servait pour les tournois était bouclée sur le côté droit, tandis que celles de guerre sont généralement agrafées, bouclées ou lacées sur la poitrine. Bien que la fabrication de la brigantine exigeât beaucoup de soin, de temps et fût compliquée, elle coûtait moins cher que celle des cuirasses d’acier.

Le harnais blanc complet de la première moitié du 15e siècle était d’un prix exorbitant, à cause de la difficulté de forger ces grandes pièces d’égale épaisseur et sans gerçures ou pailles, à une époque où l’on ne possédait pas les moyens mécaniques qui permettent d’amincir régulièrement le fer ou l’acier ; aussi n’est-ce que peu à peu que l’armure blanche réduit le nombre des pièces qui la composent dans l’origine. (Voy. Armure, Corselet, Cuirasse.)

« Item, les archiers portent harnoys de jambes, sallades comme dessus est dict, gros Jacques doublés de grant foyson de toylles ou brigandines, arc au poing et la trousse au cousté[9]. »

« Et le jeudy ensuivant, vingt et deuxiesme jour dudit mois d’aoust (1465), les dits Bretons et Bourguignons vindrent escarmoucher, et il yssit de Paris plusieurs gens de guerre aux champs, et là y eut un Breton archier au corps de monseigneur de Berry qui estoit habillé d’unes brigandines couvertes de veloux noir à doux dorez, et en sa teste un bicoquet garny de bouillons d’argent dorez qui vint frapper ung cheval sur quoy estoit monté un homme d’armes de l’ordonnance du Roy[10]. »

  1. « Veles, Brigant, c’est une manière de gens d’armes courant et apert, à pié. » (Gloss. lat. gall., voy. du Cange, Brigandi et Brigada [1]).
  2. Manuscr. Biblioth. nation., Tite-Live, français (1395 environ).
  3. Manuscr. Biblioth. nation., Miroir historial, français (1450 euviron).
  4. Manuscr. Biblioth. nation., Froissart, français (1440 environ).
  5. Manuscr. Biblioth. nation., Froissart (1440 environ).
  6. Il fait prisonnier le comte de Blois. On doit observer que ces vêtements ne sont pas ceux de l’époque des faits relatés par le chroniqueur, mais bien ceux du temps où le manuscrit a été copié (1440 environ).
  7. Accademia de Venise, tableau de Carpaccio, n° 544 du Catalogue.
  8. Du moins ceux-ci portaient-ils, sur la brigantine, la pansière et la braconnière d’acier, ainsi que les brassards complets.
  9. Du costume militaire des Français en 1446. Anonyme, publié par M. René de Belleval.
  10. Chron. de Jean de Troyes.