Sacristie <
Index alphabétique - S
> Sanctuaire
Index par tome

SALLE, s. f. À proprement parler, salle s’entend comme espace relativement vaste et couvert. Ainsi, pour une maison, la salle est l’espace le plus spacieux où la famille se réunit, où l’on reçoit les étrangers.

Pendant le moyen âge, on ne faisait pas cette distinction, toute moderne, entre le salon et la salle à manger. Il y avait la salle, qui était le centre, le local commun où l’on recevait, où l’on mangeait, puis des chambres, garderobes et réduits. Il y avait la salle basse (rez-de-chaussée), pour les gens, les familiers ; la salle haute (au premier étage), pour le maître et les siens.

Nous avons peut-être pris certaines habitudes aux Romains, nos conquérants, et il est à croire qu’au deuxième siècle de notre ère, l’habitation d’un riche Gaulois ou Gallo-Romain, si l’on veut, ressemblait fort à celle d’un Romain de Rome. Mais en pénétrant dans les premiers temps du moyen âge, on ne trouve que peu de traces de ces habitudes purement romaines, tandis qu’on en découvre beaucoup d’autres qui n’ont point d’analogie avec celles-ci. Or, on nous permettra de poser ce dilemme aux nombreux historiens passés et présents qui font prévaloir l’influence des mœurs romaines sur les populations gauloises. Ou cette influence n’était pas aussi considérable qu’on veut le croire, n’avait pas pénétré dans les classes moyenne et inférieure de la nation, ou elle a bien vite cédé aux mœurs des envahisseurs du nord-est au IVe siècle, puisque, plus nous nous enfonçons dans les profondeurs du moyen âge, plus nous trouvons des usages qui ne sont nullement romains. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, il faudrait reconnaître, ou que la nation gauloise était restée fidèle à ses mœurs antiromaines, malgré la possession romaine, ou qu’elle s’est empressée de saisir la première occasion qui lui permettait de reprendre des habitudes qui lui étaient chères et qu’elle n’avait pas abandonnées volontiers. Il y a peu de temps, il est vrai, que l’on s’est mis à étudier et à écrire l’histoire en regardant au delà des événements politiques, lesquels n’ont pas sur les nations l’influence qu’on leur a prêtée si longtemps. Conquérir un peuple ou changer ses mœurs, ce sont deux opérations bien différentes, et nous voyons que, même de nos jours, des populations nominativement englobées dans une circonscription politique, dévoilent tout à coup des tendances, des goûts, des aptitudes anti-pathiques à cette classification politique.

Que les études archéologiques et ethnologiques aient été pour quelque chose dans ces manifestations modernes, cela est possible, et expliquerait même la répulsion instinctive de quelques personnages pour ces études ; mais le symptôme ne se manifesterait pas si la cause n’existait pas. Or, dans les recherches historiques, les symptômes ou les effets, si l’on veut, doivent être signalés avec soin, sous quelque forme qu’ils se présentent. Donc, pour en revenir à l’objet qui nous occupe, nous croyons que dès l’époque mérovingienne, la salle prend un rôle très-important. Ces barbares, ces Francs venus du nord-est, qui envahissent le sol gaulois, bâtissent des salles, ou transforment des édifices gallo-romains de manière à posséder avant tout une salle propre à réunir leurs leudes, et à organiser ces banquets homériques qui duraient tant qu’il restait des vivres à consommer. Rien de semblable dans les habitudes des Romains. La basilique romaine était un édifice public, sorte de bourse où se traitaient toutes sortes d’affaires ; lieu de rendez-vous, tribunal où l’on rendait la justice. Mais la basilique romaine n’avait pas le caractère individuel de la salle des mérovingiens. Le Romain, chez lui, recevait peu de monde ; sa vie se passait sur la place publique, dans les thermes ou sous les portiques. Ses clients, ses affranchis, l’attendaient à la porte de sa maison, sur la voie publique. Entre la famille du Romain et ses clients, si nombreux ou si gros personnages qu’ils fussent, il y avait toujours une barrière infranchissable. Or, les auteurs anciens qui ont décrit les mœurs des Gaulois nous les représentent tous comme aimant les réunions nombreuses, les banquets, les assemblées, comme introduisant facilement dans leurs maisons, non-seulement leurs proches, les hommes du clan, mais les étrangers ; comme se plaisant à l’hospitalité plantureuse. Les conquérants barbares manifestent les mêmes goûts, et la nation gauloise tout entière, loin d’être romanisée sous ce rapport, et de réagir contre ces mœurs des nouveaux venus, les adopte, ou, ce qui paraît plus probable, n’avait jamais cessé de les pratiquer. Si, pour un chef franc, la salle était l’habitation tout entière, si les villæ mérovingiennes consistaient surtout en un grand bâtiment propre à recevoir une nombreuse assemblée, entouré de quelques dépendances pour l’habitation des serfs, des colons, pour abriter les bestiaux et contenir des provisions, l’habitation du citadin, d’aussi loin que nous pouvons l’entrevoir, se compose également de la salle où l’on reçoit les allants et venants, où l’on réunit la famille, les amis, les étrangers, où l’on mange en commun, où se traitent les affaires.

La salle appartient donc bien aux races du Nord ; on la retrouve partout où elles s’établissent, en Bretagne, en Germanie, dans les Gaules. C’est donc un des programmes les plus importants dans l’art de l’architecture du moyen âge, un de ceux qui se modifient le moins depuis les premiers siècles jusqu’au XVIIe ; et, chose singulière, c’est un des programmes les moins définis, probablement parce que tout le monde, du petit au grand, savait ce qu’était la salle.

Dans son Dictionnaire historique d’architecture, M. Quatremère de Quincy s’exprime ainsi à propos des salles : « Il ne serait point possible aujourd’hui d’assigner dans l’architecture moderne (c’est-à-dire depuis l’antiquité), aux salles les plus remarquables, ni forme particulière, ni caractère général susceptible de devenir l’objet, soit d’une théorie, soit d’une pratique fondée sur quelque usage constant… »

Si nous nous en tenions à cette phrase un peu ambiguë du célèbre académicien, les grandes salles des palais, des châteaux, n’auraient pas été « l’objet d’une pratique fondée sur un usage constant. » Probablement ces vastes espaces couverts auraient été dus au hasard. C’est pourtant à des conclusions de cette force que conduit l’esprit exclusif, fût-il appuyé sur le savoir et une haute intelligence.

Le moyen âge nous a laissé des programmes d’églises, de châteaux, de palais, de monastères, de manoirs et de maisons, il ne nous en a pas légué sur les salles ; mais, à défaut des programmes, les monuments existent, et nous permettent de combler cette lacune, car ils sont tous élevés d’après une donnée générale, qui frappe les moins clairvoyants. Nous ne parlerons des salles mérovingiennes et carlovingiennes que pour mémoire ; il ne reste debout aucun de ces monuments, construits presque entièrement en charpente. Nous ne pouvons commencer à étudier les salles que sur les monuments du XIIe siècle. La grand’salle du palais épiscopal bâti par Maurice de Sully entre la cathédrale de Paris et le petit bras de la Seine, au sud, affecte déjà les caractères particuliers aux grandes salles des palais et châteaux du moyen âge. Ce bâtiment se composait de deux étages, l’un au rez-de-chaussée, l’autre au premier (voy. Palais, fig. 7), tous deux voûtés, celui du rez-de-chaussée sur une épine de colonnes, celui du premier d’une seule volée. Le rez-de-chaussée était l’officialité ; le premier, la salle de réunion, à laquelle on montait par un escalier disposé dans la tour barlongue (voy. Sacristie, fig. 1). Le chéneau était crénelé du côté de la rivière, et formait une défense (voy. Palais, fig. 8).

De l’examen de cette disposition adoptée au XIIe siècle, on peut déjà conclure que toute grande salle de palais ou château devait se composer d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage, et en effet nous allons voir que les programmes adoptés jusqu’au XVIe siècle ne s’éloignent guère de cette donnée première. Si la salle synodale de l’évêché de Paris n’existe plus que sur des plans anciens et des gravures, celle de l’archevêché de Sens est entière dans son ensemble et ses détails. Elle date du règne de saint Louis, de 1240 environ. Le rez-de-chaussée, bâti sur caves, est voûté sur une épine de colonnes et contient les salles de l’officilité et les prisons (voy. Prison, fig. 1). Une entrée carrossable passe sous l’extrémité septentrionale de cette salle, et un large escalier partant de ce passage conduit à la salle du premier étage ou salle synodale, ainsi qu’on le voit sur le plan (fig. 1, en A).


Un tambour de pierre ferme l’arrivée de ce degré dans la salle. Celle-ci était en communication directe avec les anciens bâtiments du palais par la petite porte B. La première cour de l’archevêché est en C, et c’est sur cette cour que s’ouvrent les rares fenêtres des prisons, ainsi que la porte qui permet d’entrer dans l’officialité. Sur la place, à l’ouest, la façade de la grande salle du premier étage est éclairée par de grandes fenêtres à meneaux du plus beau style (voy. Fenêtre, fig. 38 et 39), et sur la rue, D, par une claire-voie. Du côté de la cour, au contraire, les fenêtres sont étroites, simples et très-relevées au-dessus du pavé de la salle. En G, est une cheminée, et en K un petit escalier à vis qui monte aux crénelages supérieurs. L’assemblée réunie était disposée, faisant face à la grande claire-voie méridionale, l’orateur tournant le dos à cette immense fenêtre. Ainsi était-on bien préservé du vent du nord et du nord-est par le mur sur la cour, percé de fenêtres étroites et relevées, et recevait-on du midi et de l’ouest la lumière, tamisée d’ailleurs à travers des vitraux. L’archevêque, arrivant de ses appartements, entrait dans la portion de la salle servant de tribunal ou de parquet ; l’assistance arrivait par le fond, et se plaçait successivement selon les rangs de chacun. On pouvait ouvrir les parties basses des grandes verrières, soit pour donner de l’air, soit pour regarder au dehors sur la place et dans la rue. Cette grande salle était voûtée. En 1263, la tour méridionale de la cathédrale tomba sur ces voûtes et les effondra ; on se contenta de réparer le dommage à la hâte et de couvrir la salle par une charpente. Mais lorsque la restauration de ce monument fut ordonnée sur l’avis de la Commission des monuments historiques, on retrouva, dans les reprises faites à la fin du XIIIe siècle, tous les membres des voûtes, arcs-doubleaux, arcs ogives, clefs, etc. Ces voûtes ont été refaites depuis peu, et l’archevêque de Sens, ainsi que la municipalité de cette ville, sont fort heureux de trouver ainsi un magnifique vaisseau où l’on peut réunir facilement huit à neuf cents personnes, soit lors des assemblées du clergé, soit pour les distributions de prix, les congrès, banquets, etc. « L’usage constant » de cette salle s’est donc conservé pendant plusieurs siècles, et aujourd’hui chacun, à Sens, s’accorde à reconnaître qu’on ne peut trouver une salle mieux disposée pour de grandes réunions. La figure 2 présente en A la façade méridionale de la salle synodale de Sens sur la rue, et en B sa coupe transversale, sur le côté occidental.
Les quatre angles du bâtiment sont couronnés par des échauguettes, et tout le chéneau est crénelé sur la cour de l’archevêché, comme sur la place et la rue. Notre figure 2 trace l’admirable claire-voie qui, au sud, termine la salle. Du côté de la place, des contre-forts sont couronnés par des pinacles très-riches, variés, surmontant des statues, parmi lesquelles on distingue celle du roi saint Louis, la seule peut-être qu’il y ait encore en France, de son temps[1].

La sculpture de la salle synodale de Sens peut être comptée parmi les meilleures de cette époque. Les profils, les détails, sont traités évidemment par un maître, et aucun édifice ne présente un fenestrage mieux conçu et d’un aspect plus grandiose.

Le château de Blois conserve encore la grand’salle dans laquelle furent tenus les États sous Henri III. Elle date du commencement du XIIIe siècle, et se compose de deux vaisseaux séparés par une épine de colonnes. Cette salle fait exception ; elle est située à rez-de-chaussée et n’a pas d’étage inférieur conformément à l’usage général ; elle est couverte par deux berceaux de bois lambrissés. C’est d’ailleurs une assez pauvre construction[2]. Il est vrai de dire qu’au XIIIe siècle, le château de Blois n’était qu’une résidence sans grande valeur. Autrement importante était la grand’salle du château de Montargis, dont du Cerceau, dans Les plus excellens bâtimens de France, nous a conservé des plans et détails très-précieux. La grand’salle du château de Montargis remplissait exactement le programme admis dès le XIIe siècle : salle basse, salle du premier étage avec grand perron ; communications avec l’habitation seigneuriale, le donjon (voy. Château, fig. 15).

Voici (fig. 3) le plan de ce bâtiment au premier étage. Le rez-de-chaussée était voûté sur une épine de colonnes. Un escalier monumental à trois rampes, A[3], partait de la cour du château, et s’élevait, en passant sur des arches, jusqu’au niveau de la salle du premier étage. Ce vaisseau, l’un des plus grands qui fussent en France, avait 50 mètres de longueur sur 16 mètres, dans œuvre. La grand’salle était couverte par une charpente lambrissée en berceau, avec entraits et poinçons apparents, le tout richement décoré de peintures. Quatre cheminées C chauffaient l’intérieur à chaque étage, et six tourelles flanquaient le bâtiment, qui datait de la seconde moitié du XIIIe siècle. Le seigneur se rendait à la grand’salle de plain-pied par la galerie G passant sur une arche, en H. De plus, des appartements on pouvait entrer dans la salle par la petite porte I. Du côté B, le bâtiment dominait un escarpement planté en jardins que l’on pouvait voir en se plaçant sur une sorte de balcon[4] placé en D. Une coupe transversale faite sur ab (fig. 4), explique la disposition de ces deux salles superposées.
En A, était un crénelage couvert sur les deux murs goutterots du bâtiment, découvert devant les pignons. Entre les contre-forts des murs goutterots s’ouvraient de belles fenêtres à meneaux, plus larges que celles qui étaient percées dans les pignons. Cinq contre-forts extérieurs maintenaient ceux-ci dans leur aplomb (voy. le plan).

Dans les palais épiscopaux, les deux salles superposées avaient une destination bien connue. La salle basse était l’officialité ; la salle haute, le lieu propre aux grandes réunions diocésaines, synodes, assemblées du clergé, au besoin salles de banquets. D’ailleurs les évêques étaient seigneurs féodaux, et, comme tels, ils devaient, dans maintes circonstances, réunir leurs vassaux. On a peut-être moins éclairci la destination des deux salles superposées dans les châteaux des seigneurs laïques, Cependant cette disposition est trop générale pour qu’elle n’ait pas été imposée par des usages uniformes sur tout le territoire féodal de la France. C’est en examinant soigneusement les voisinages de ces grandes salles, la manière dont leurs ouvertures sont placées, leurs issues, que nous pouvons nous rendre compte des usages auxquels étaient destinées les œuvres basses, car, pour l’étage supérieur, sa destination est parfaitement définie.

Quand on voit les ensembles des plans de nos grands châteaux féodaux, on remarque qu’il n’y avait pour la garnison que des locaux peu étendus. Ceci s’explique par la composition même de ces garnisons. Bien peu de seigneurs féodaux pouvaient, comme le châtelain de Coucy, au XIIIe siècle, entretenir toute l’année cinquante chevaliers, c’est-à-dire cinq cents hommes d’armes. La plupart de ces seigneurs, vivant des redevances de leurs colons, ne pouvaient, en temps ordinaire, conserver près d’eux qu’un nombre d’hommes d’armes très-limité. Étaient-ils en guerre, leurs vassaux devaient l’estage, la garde du château seigneurial, pendant quarante jours par an (temps moyen). Mais il y avait deux sortes de vassaux, les hommes liges, qui devaient personnellement le service militaire, et les vassaux simples, qui pouvaient se faire remplacer. De cette coutume féodale il résultait que le seigneur était souvent dans l’obligation d’accepter le service militaire de gens qu’il ne connaissait pas, et qui, faisant métier de se battre pour qui les payait, étaient accessibles à la corruption. Dans bien des cas d’ailleurs, les hommes liges, les vassaux simples ou leurs remplaçants, ne pouvaient suffire à défendre un château seigneurial ; on avait recours à des troupes de mercenaires, gens se battant bien pour qui les payait largement, mais au total peu sûrs. C’était donc dans des cas exceptionnels que les garnisons des châteaux étaient nombreuses ; mais il faut reconnaître que du XIIe au XVe siècle, la défense était tellement supérieure à l’attaque, qu’une garnison de cinquante hommes, par exemple, suffisait pour défendre un château d’une étendue médiocre, contre un nombreux corps d’armée. Quand un seigneur faisait appel à ses vassaux et que ceux-ci s’enfermaient dans le château, on logeait les hommes les plus sûrs dans les tours, parce que chacune d’elles formait un poste séparé, commandé par un capitaine. Pour les mercenaires ou les remplaçants, on les logeait dans la salle basse, qui fournissait à la fois un dortoir, une salle à manger, même une cuisine au besoin, et un lieu propre aux exercices. Ce qui indiquerait cette destination, ce sont les dispositions intérieures de ces salles, leur isolement des autres services, leur peu de communications directes avec les défenses, le voisinage de vastes caves ou magasins propres à contenir des vivres, des armes, etc.

Ces salles basses sont en effet ouvertes sur la cour du château, mais ne communiquent aux défenses que par les dehors ou par des postes, c’est-à-dire par des escaliers passant dans des tours. Ainsi le seigneur avait-il moins à craindre la trahison de ces soldats d’aventure, puisqu’ils ne pouvaient arriver aux défenses que commandés et sous la surveillance de capitaines dévoués. À plus forte raison, les occupants de ces salles basses ne pouvaient-ils pénétrer dans le donjon que s’ils y étaient appelés. Dès la fin du XIIIe siècle, ces dispositions sont déjà apparentes, quoique moins bien tracées que pendant les XIVe et XVe siècles. Cela s’explique. Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, le régime féodal, tout en s’affaiblissant, avait encore conservé la puissance de son organisation. Les seigneurs pouvaient s’entourer d’un nombre d’hommes sûrs, assez considérable pour pouvoir se défendre dans leurs châteaux ; mais à dater du XIVe siècle, les liens féodaux tendent à se relâcher, et les seigneurs possédant de grands fiefs sont obligés, en cas de guerre, d’avoir recours aux soldats mercenaires. Les vassaux, les hommes liges mêmes, les vavasseurs, les villages ou bourgades, rachètent à prix d’argent le service personnel qu’ils doivent au seigneur féodal ; et celui-ci, qui, en temps de paix, trouvait un avantage à ces marchés, en cas de guerre, se voyait obligé d’enrôler ces troupes d’aventuriers qui, à dater de cette époque, n’ont d’autre métier que de louer leurs services, et qui deviennent un fléau pour le pays, si les querelles entre seigneurs s’éteignent. Pendant le temps de calme qui permit à la France de respirer, sous Charles V, après les désastres du milieu du XIVe siècle, ces troupes devinrent un si gros embarras, que le sage roi ne trouva rien de mieux que de les placer sous le commandement de du Guesclin, pour les emmener en Espagne, contre don Pedro.

À l’époque où l’on éleva la grand’salle du château de Montargis, l’état féodal n’en était pas arrivé à cette extrémité fâcheuse de recruter ses défenseurs parmi ce ramassis de routiers, et déjà, cependant, on voit que la salle basse est isolée, n’ayant d’issues que sur la cour, sans communications directes avec les défenses. Nous verrons comment, dans des châteaux plus récents, cette disposition fut plus nettement accusée, et quelles sont les précautions prises par les seigneurs féodaux pour tenir ces troupes de mercenaires sous une surveillance constante.

Avant d’en venir à donner des exemples de ces dispositions toutes particulières, nous devons, en suivant l’ordre chronologique, parler ici de la grand’salle du palais de Paris, bâtie sous Philippe le Bel, par Enguerrand de Marigny, comte de Longueville. De cette salle, la plus grande du royaume de France, il reste aujourd’hui l’étage inférieur, des plans, et une précieuse gravure de du Cerceau, non terminée, dont on ne possède qu’un très-petit nombre d’épreuves. Cet étage inférieur est voûté sur trois rangs de piliers, ceux du milieu plus robustes, pour supporter l’épine de l’étage supérieur. Nous donnons (fig. 5) le plan du premier étage au-dessus du rez-de-chaussée voûté.
En A, était le grand perron qui, de la cour du May, donnait entrée dans cette salle. En B, s’élevait une galerie accolée à la salle du côté du midi, laquelle communiquait à une sorte de vestibule C, d’où l’on entrait soit dans la grand’salle, soit dans les galeries D, bâties de même par Enguerrand de Marigny. Deux escaliers à vis E mettaient en outre la galerie basse voûtée en communication avec la galerie haute. Bien que la grand’salle haute eût été rebâtie après l’incendie de 1618, par l’architecte de Brosse, ces dispositions de galeries existaient encore presque entières en 1777, ainsi que le constatent deux dessins provenant de la collection de M. de Monmerqué, et qui ont été reproduites en fac-simile par Lassus. En effet, ces dessins exécutés pendant les démolitions, laissent voir la porte G, tout l’ouvrage C, les deux tourelles E, la galerie D d’Enguerrand, et le perron A. Par la galerie D on arrivait de plain-pied au porche supérieur de la sainte Chapelle[5]. La grand’salle proprement dite a 70m,50 de long sur 27m,50 de large dans œuvre. Par la porte F, on entrait dans la salle dorée, bâtie sous Louis XII ; la grand’chambre du parlement, où le roi tenait son lit de justice[6]. Les escaliers à vis H montaient de fond ; ceux I ne commençaient qu’au premier étage, pour monter aux combles. Quatre cheminées, K, chauffaient cet immense vaisseau. En L, était la fameuse table de marbre[7], et en M une chapelle bâtie par Louis XI. Adossée à chacun des piliers était une statue des rois de France, depuis Pharamond. Nous donnons (fig. 6) la coupe de la grand’salle du palais, faite sur ab.
De grandes fenêtres s’ouvraient dans les quatre pignons, et latéralement d’autres fenêtres pourvues de meneaux, mais dont les alléges se relevaient plus ou moins, suivant la hauteur des bâtiments accolés, éclairaient largement les deux nefs lambrissées en berceau, avec en traits et poinçons apparents.

Ces lambris, ainsi que les piliers et statues des rois, étaient peints et dorés[8]. Corrozet[9] nous a conservé le catalogue des rois dont les effigies décoraient les piliers isolés ou adossés.

Des supports avaient été réservés pour les successeurs de Philippe le Bel, puisque ce même Corruzet nous donne quarante-deux noms jusqu’à ce prince, et depuis, onze rois dont les statues ont été posées après la construction de la salle. Il annonce en outre que les statues des rois François Ier, Henri II, François II et Charles IX doivent être prochainement montées sur leurs supports vides. Il y avait donc place pour cinquante-sept statues. En effet, nous trouvons cinquante-cinq supports. Louis XI ayant fait enlever deux de ces statues pour les loger aux deux côtés de la chapelle élevée par lui, Charlemagne et saint Louis, le nombre donné par Corrozet est conforme aux indications du plan, car on observera qu’il n’existait pas de statues aux deux angles O, non plus que sur le trumeau de la porte G. Des bancs de pierre étaient disposés latéralement dans les renfoncements formés par les allèges des fenêtres. Notre figure 6 donne en A une travée double le long des murs de la salle, et en B une travée des piliers de l’épine.

La salle du palais de Paris était élevée d’après un programme qui ne touchait en rien à la défense de la place. Lorsqu’elle fut bâtie, en effet, il n’était plus question de considérer le palais comme un château fortifié propre à la défense. Le palais n’était plus au XIVe siècle qu’une demeure souveraine et le siège du parlement. Cependant les dispositions féodales sont encore apparentes ici ; la salle basse conserve sa disposition secondaire, n’ayant de communication qu’avec les cours, tandis que de la salle haute on pouvait se rendre aux galeries, à la sainte Chapelle et aux appartements.

Mais si nous jetons les yeux sur le plan de la grand’salle du château de Coucy, salle qui fut reconstruite par Louis d’Orléans pendant les premières années du XVe siècle, nous voyons que le programme du château féodal est ici rigoureusement rempli. La salle basse n’est nullement en communication avec les défenses, tandis que la salle haute donne à la fois accès à tous les grands appartements, à la chapelle, aux tours et fronts de la défense (voy. Château, fig. 16 et 17).

Ce même programme est rempli encore d’une manière plus complète dans le château de Pierrefonds, construit d’un seul jet par ce prince et suivant des dispositions très-arrêtées. À Coucy, Louis d’Orléans avait dû conserver des tours et courtines anciennes et tout un système de défense du commencement du XIIIe siècle, fort bien entendu et complet. À Pierrefonds, il avait carte blanche, et ce château s’éleva sur les données admises à cette époque pour un château qui était à la fois une demeure princière, une habitation commode et une place importante au point de vue de la défense. Aussi la grand’salle du château de Pierrefonds nous paraît-elle résumer le programme complet de ces vastes vaisseaux.

Le bâtiment qui renferme la grand’salle du château de Pierrefonds occupe le côté occidental du parallélogramme formant le périmètre de cette résidence seigneuriale. Ce bâtiment est à quatre étages ; deux de ces étages sont voûtés et forment caves du côté de la cour, bien qu’ils soient élevés au-dessus du chemin de ronde extérieur ; les deux derniers donnent un rez-de-chaussée sur la cour et la grand’salle au niveau des appartements du premier étage.
En A (fig. 7), est tracé le plan du rez-de-chaussée sur la cour. C est l’entrée charretière du château, avec son pont-levis en E. D est l’entrée de la poterne, avec son pont-levis en F. En entrant dans la cour G, on trouve à rez-de-chaussée une première salle H qui est le corps de garde, séparé de la porte et de la poterne par le herse tombant en a. De ce corps de garde on communique directement au portique b, lequel est séparé de la cour par un bahut. De la cour G on peut entrer sous le portique par les portes c et d. En face de la porte c, la plus rapprochée de l’entrée, est un banc e destiné à la sentinelle (car alors des bancs étaient toujours réservés là où une sentinelle devait être postée). Il faut donc que chaque personne qui veut pénétrer dans les salles basses soit reconnue. En g, est une porte qui donne entrée dans un premier vestibule I ; de ce premier vestibule on pénètre dans une salle K, puis dans la grand’salle L, qui n’a d’issue sur le portique que par le tambour h. L’escalier l permet de pénétrer dans la tour M, de descendre dans les caves, et de monter au portique entresolé en passant par-dessus l’arcade n. L’escalier O, à double vis, monte au portique entresolé, à la grand’salle du premier et aux défenses. En p, sont des cheminées ; en R, des latrines auxquelles on arrive, soit par le corps de garde H, soit par le vestibule I. Le tracé B donne le plan de la grand’salle au premier étage. On ne peut y monter que par les escaliers du corps de garde ou par l’escalier à double vis O, situé à l’extrémité du portique. Le seigneur pénétrait dans cette salle par la porte s communiquant au donjon par une suite de galeries. Entrant par cette porte s, le seigneur était sur l’estrade, élevée de trois marches au-dessus du pavé de la grand’salle. C’était le parquet, le tribunal du haut justicier ; c’était aussi la place d’honneur dans les cérémonies, telles qu’hommages, investitures ; pendant les banquets, les assemblées, bals, etc. C’est sur cette estrade que s’élève la cheminée, comme dans la grand’salle du palais de Poitiers (voy. Cheminée, fig. 9 et 10).

On pouvait aussi, du donjon, pénétrer dans la grand’salle en passant sur la porte du château, dans la pièce située au-dessus du corps de garde et le vestibule V. La grand’salle du premier étage était en communication directe avec les défenses par les issues X, très-nombreuses. En cas d’attaque, la garnison pouvait être convoquée dans cette salle seigneuriale, recevoir des instructions, et, se répandre instantanément sur les chemins de ronde des mâchicoulis et dans les tours.

La coupe (fig. 8) sur tu, en regardant vers l’entrée, explique plus complètement ces dispositions. Au-dessous de l’étage A est un étage de caves dont le sol est au niveau du chemin de ronde extérieur, B étant le niveau du sol de la cour. On voit, dans cette coupe, comment est construit le portique de plain-pied avec la salle basse et entresolé de façon à donner une vue et, au besoin, une surveillance sur cette salle basse, car le portique inférieur est vitré en a, tandis que le portique d’entresol est vitré en b. Au niveau du plancher de la grand’salle du premier étage, ce portique forme une terrasse ou promenoir extérieur sur la cour. On voit en d le chemin de ronde des mâchicoulis, qui est également de plain-pied avec la grand’salle.

Sur le vestibule V (voyez le plan) de cette grand’salle, est une tribune qui servait à placer des musiciens lors des banquets ou fêtes que donnait le seigneur. De ces dispositions il résulte clairement que les salles basses étaient isolées des défenses, tandis que la grand’salle haute, située au premier étage, était au contraire en communication directe et fréquente avec elles ; que la salle haute, ou grand’salle, était de plain-pied avec les appartements du seigneur, et qu’on séparait au besoin les hommes se tenant habituellement dans la salle basse, des fonctions auxquelles était réservée la plus haute. Ce programme, si bien écrit à Pierrefonds, jette un jour nouveau sur les habitudes des seigneurs féodaux, obligés de recevoir dans leurs châteaux des garnisons d’aventuriers.

On nous objectera peut-être que ces dispositions à Pierrefonds étaient tellement ruinées, que la restauration peut être hypothétique. À cette objection nous répondrons : 1o Que le mur extérieur était complètement conservé, par conséquent les hauteurs des étages ; 2o que le portique était écrit par l’épaisseur du mur intérieur et par les fragments de cette structure trouvés dans les fouilles ; 3o que l’escalier l du plan, conservé, ne montant qu’à une hauteur d’entresol, indiquait clairement le niveau de cet entresol ; 4o que la position de l’escalier à double degré était donnée par le plan conservé ; 5o que les cheminées étaient encore en place, ainsi que les murs de refend ; 6o que les dispositions du corps de garde et de ses issues sont anciennes, ainsi que celles de la salle des latrines ; 7o que le tambour h (voy. les plans) était indiqué par des arrachements ; 8º que les pieds-droits des fenêtres hautes ont été retrouvés dans les déblais et replacés ; 9º que les pentes des combles sont données par les filets existant le long des tours. Si donc quelque chose est hypothétique dans cette restauration, ce ne pourrait être que des détails qui n’ont aucune importance et dont nous faisons bon marché, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Les grand’salles avaient des destinations distinctes, suivant le temps où elles furent construites. Jusqu’au milieu du XIIIe siècle, il ne semble pas que le bâtiment contenant la grand’salle fût nécessairement divisé en salle haute et salle basse. Le seigneur féodal vivait alors avec son monde. Quelques-unes de ces grand’salles étaient à rez-de-chaussée. Ainsi, par exemple, dans le roman de la Vengeance de Raguidel par le trouvère Raoul, nous voyons qu’un chevalier entre à cheval dans la salle où mangent le roi et ses hommes :

« Quant del mangier furent levé,
Atant es vos tuit abrievé
Parmi la sale, .I. chevalier,
Qui tu armés sor .I. destrier
L’écu au col, la lance au puing.
.........
Le roi salue et salua
Tos les haus hommes qui là sont ;
Et li roi Artus li respont :
Amis, Dius vos saut, bien vigniés,
Descendès, lavès, si mangiès[10]. »

Dans le Roman de la Violette, Gérard monte à cheval devant la salle :

« Atant demande son cheval
Gérars, car il voloit monter ;
S’espée si court à porter
Uns dansiaus cui il l’ot baillie,
Par devant la salle entaillie (sculptée)
Monte Gérars, congié a pris,
Comme sages et bien apris[11] ».

Bien que déjà au commencement du XIVe siècle, les grand’salles soient situées au premier étage, de vastes perrons permettent d’y monter directement[12]. Elles sont en communication directe avec la cour comme à Paris, à Troyes, à Poitiers. Mais vers la fin du XIVe siècle, la grand’salle du château prend un caractère plus privé, et, tout en conservant son caractère de tribunal, de lieu d’assemblée, de salle de banquets, elle s’isole, ne communique plus guère avec le dehors que par des escaliers détournés ou des galeries. Il y a enfin la salle basse et la salle haute.

Cependant en France, dès l’époque carlovingienne, on trouve la trace de la salle haute, appelée alors solarium, mais elle n’a pas le caractère de la grand’salle des châteaux. C’est la salle du seigneur, comme nous dirions aujourd’hui le salon de son appartement.

Ces salles, pendant le moyen âge, étaient richement décorées :

« Li rois fu en la sale bien painturée à liste[13]. »

Non-seulement des peintures, des boiseries, voire des tapisseries, couvraient leurs parements, mais on y suspendait des armes, des trophées recueillis dans des campagnes. Sauval[14] rapporte que le roi d’Angleterre traita magnifiquement saint Louis, au Temple, lors de la cession si funeste que fit ce dernier prince, du Périgord, du Limousin, de la Guyenne et de la Saintonge.

Ce fut dans la grand’salle du Temple que se donna le banquet. « À la mode des Orientaux, dit Sauval, les murs de la salle étoient couverts de boucliers ; entre autres s’y remarquoit celui de Richard, premier roi d’Angleterre, surnommé Cœur-de-Lion. Un seigneur anglois, l’ayant aperçu pendant que les deux rois dînoient ensemble, aussitôt dit à son maître en riant : Sire, comment avez-vous convié les François de venir en ce lieu se réjouir avec vous ; voilà le bouclier du magnanime Richard qui sera cause qu’ils ne mangeront qu’en crainte et en tremblant. »

Nous avons vu que la grand’salle du palais, à Paris, était décorée de nombreuses statues et de peintures. La grand’salle du château de Coucy était de même fort riche : outre la grande cheminée qui était sculptée, sur les parois de cette salle on voyait les statues colossales des neuf preux[15] ; des verrières coloriées garnissaient les fenêtres. À Pierrefonds, la grand’salle haute était de même décorée par des verrières de couleur. La porte qui donnait dans le vestibule était toute brillante de sculptures et surmontée d’une claire-voie. La voûte était lambrissée en berceau et percée de grandes lucarnes du côté de la cour. La cheminée qui terminait l’extrémité opposée à l’entrée supportait, sur son manteau, les statues des neuf preux. La salle basse était elle-même décorée avec un certain luxe, ainsi que le constatent la cheminée qui existe encore en partie, les corbeaux qui portent les poutres et les fragments du portique.

Mais tous les seigneurs n’étaient pas en état d’élever des bâtiments aussi somptueux. Nous voyons dans le palais archiépiscopal de Narbonne, véritable résidence féodale, une grand’salle au premier étage, construite par l’archevêque Pierre de la Jugée, vers le milieu du XIVe siècle[16]. Cet édifice se compose d’un rez-de-chaussée avec épine de piliers supportant un plancher, et d’une grand’salle dont le plafond est soutenu par des arcs de maçonnerie. La figure 9 donne en A le plan de cette grande salle, en B son élévation extérieure sur le dehors du palais, et en C sa coupe transversale.
Cette salle était crénelée dans ses œuvres hautes sur le dehors et sur la cour. Des murs d’une forte épaisseur l’épaulaient entre les baies, mais l’étage supérieur au-dessus de la grand’salle n’était plus maintenu que par des murs peu épais, avec petits contre-forts destinés à contre-buter les murs de refend qui supportaient les pannes du comble, et formaient ainsi une suite de pièces éclairées par de petites fenêtres. C’est un des rares exemples d’une grand’salle surmontée de logements.

La grand’salle est donc la partie la plus importante des châteaux et palais ; c’est chez le seigneur féodal, le signe de sa juridiction, le lieu où se rend l’hommage, où se réunissent les vassaux, où l’on rassemble les défenseurs en cas de siège, où se tiennent les plaids, où se donnent les banquets, les ballets, les mascarades, les fêtes de toute sorte. Il n’y a pas de château féodal, ni même de manoir, qui n’ait sa salle. Le bourgeois de la ville, dans sa maison, possède aussi sa salle où il réunit sa famille, ses amis, où il prend ses repas et reçoit les gens qui traitent d’affaires. Quand les cités purent élever des hôtels de ville, il va sans dire que ces bâtiments contenaient la salle de la commune. Le programme est le même du petit au grand.

Cette tradition se conserva très-tard dans les châteaux, quand même ces résidences n’avaient plus le caractère de places fortes. Ainsi, à Fontainebleau, la galerie dite de Henri II est une tradition de la grand’salle du château féodal. Cette belle galerie, comme beaucoup de salles de châteaux féodaux, donne entrée sur la tribune de la chapelle. À Saint-Germain en Laye, on voit encore la grand’salle voûtée qui occupe tout un côté des bâtiments. À Versailles même, la galerie de marbre n’est que la tradition de la grand’salle des résidences seigneuriales.

Les monastères possédaient aussi des logis qui prenaient le nom de salles. Il ne s’agit point ici des réfectoires, dortoirs et bibliothèques, qui étaient de véritables salles par leur structure, sinon par leur destination, mais des salles propres à réunir les religieux pour traiter des affaires du couvent. Ce sont les salles capitulaires. Ces locaux, plus ou moins vastes, suivant l’étendue du monastère, ont un caractère particulier. Les salles capitulaires sont rarement oblongues, cette forme ne se prêtant pas aux délibérations, mais plutôt carrées, sur le sol français du moins, car en Angleterre il existe des salles capitulaires sur plan circulaire ou polygonal, avec pilier au centre pour recevoir les retombées d’arcs des voûtes. Les salles capitulaires des monastères français s’ouvrent sur le cloître, et proche de l’église habituellement. Il nous suffira, pour ne pas donner à cet article plus d’étendue qu’il ne convient, de présenter un exemple très-complet de l’une de ces salles capitulaires, dépendant de l’abbaye de Fontfroide, près de Narbonne. Ce monastère est presque entièrement conservé. Sur le côté oriental du cloître s’ouvre une jolie salle capitulaire dont les voûtes reposent sur quatre colonnes de marbre blanc (voy. le plan fig. 10).


Sur trois côtés, des bancs de pierre élevés sur un marchepied également de pierre garnissent les parois de la salle, qui reçoit du jour par la galerie du cloître et par trois fenêtres plein cintre. Cette construction date de la fin du XIIe siècle et est d’un charmant style, malgré son extrême simplicité. La figure 11 en donne la coupe longitudinale.
Des peintures décoraient autrefois les voûtes. De la galerie du cloître aucune clôture n’empêchait de voir ce qui se passait dans la salle capitulaire. Ainsi pouvait-on appeler, au besoin, les frères convers ou les moines, qui, n’ayant pas voix délibérative, n’en étaient pas moins, en certaines circonstances, admis au milieu de l’assemblée pour avoir à répondre sur des faits d’ordre intérieur et de discipline. De la salle capitulaire, les frères pouvaient se rendre directement à l’église par une porte percée à l’extrémité de la galerie (voy. la coupe).

Villard de Honnecourt, dans son Album[17], donne un plan qui paraît bien être celui d’une salle capitulaire. Ce plan n’est tracé par lui que pour indiquer comment on peut voûter une salle carrée d’une grande portée, à l’aide d’une seule colonne centrale. « Pa chu », écrit-il au-dessous de son croquis, « met om on capitel duit colonbes a one sole. Sen nest mies si en conbres. Sest li machonerie bone[18]. »


Voici (fig. 12) le plan de Villard. Au sommet c des quatre arcs diagonaux a b viennent aboutir les arcs secondaires d c ; les branches d e sont égales aux branches e f. Des formerets sont posés au-dessus des cintres des fenêtres. Ainsi, les clefs des remplissages sont placées suivant les lignes ch, ce, li, gc. Cette structure de voûte est très-simple aussi a-t-elle été fréquemment employée[19], notamment dans les collatéraux de Notre-Dame de Paris, à Noyon, à Braisne. Toutes les clefs sont posées au même niveau, les poussées bien maintenues. Une salle faite d’après ce plan, ajourée sur les quatre faces, n’ayant qu’un point d’appui au centre, se prêtait parfaitement au service capitulaire d’un monastère. C’est la donnée des salles capitulaires anglaises réduite à la forme carrée.

  1. Cette salle est aujourd’hui complètement restaurée, sous la direction de la Commission des monuments historiques. Le bâtiment avait été divisé en plusieurs étages par des planchers, les voûtes hautes détruites en totalité, celles du rez-de-chaussée en partie. Sur les six fenêtres de l’ouest, deux seulement étaient conservées. Des échoppes adossées aux contre-forts avaient miné leur base. Les combles étaient à refaire à neuf, ainsi que les chéneaux et les couvertures. Les crénelages avaient été supprimés, il n’en restait plus que deux ou trois merlons. Par suite de la chute de la tour de la cathédrale, un écartement s’était manifesté dans les deux murs latéraux. Cette restauration a coûté 445 000 fr. D’ailleurs, rien d’incertain ou d’hypothétique dans ce travail ; car, pour les piliers, les voûtes hautes, il existe une grande quantité de fragments qui ont été conservés comme preuves à l’appui de cette restauration.
  2. Voyez les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices du ministère de la Maison de l’empereur.
  3. Voyez, à l’article Escalier, la figure 2, qui donne le détail de ce perron bâti ou réparé par Charles VIII. Voyez, à ce sujet, le texte de du Cerceau.
  4. Ce balcon, qui n’est point marqué dans l’œuvre de du Cerceau, existait cependant, ainsi que l’indique un dessin du XVIIe siècle, en notre possession.
  5. Les bâtiments modernes existant aujourd’hui ont d’ailleurs élevés sur les anciennes fondations.
  6. Ce fut en 1550 que fut percée la porte F, ainsi que le rapporte Corrozet (Antiq. de Paris, p. 172).
  7. « À l’autre bout de la salle (opposé à celui où était la chapelle), dit Sauval, étoit dressée une table qui en occupoit presque toute la largeur, et qui de plus portoit tant de longueur, de larguer et d’épaisseur, qu’on tient que jamais il n’y a eu de tranches de marbre plus épaisses, plus larges ni plus longues. Elle servoit à deux usages bien contraires : pendant deux ou trois cents ans, les clercs de la basoche n’ont point eu d’autre théâtre pour leurs farces et leurs momeries ; et cependant c’étoit le lieu où se faisoient les festins royaux, et où l’on n’admettoit que les empereurs, les rois, les princes du sang, les pairs de France et leurs femmes, tandis que les autres grands seigneurs mangeoient à d’autres tables. » Maître Henri Baude, poëte du XVe siècle, décrit ainsi les environs de la table de marbre de la grand’salle du palais :

    « Entre un vieil cerf et une grand lizarde,
    Entre trois cours, et dessoubs deux grands roys ;
    Au coin d’un gourt (hourd) que le quint roy regarde,
    Dessoubs marbré et tout enclos de bois,

    Où les jours maigres on oyt diverses voix,
    Haute un Barbeau et s’y tient par coutume,
    Groz, bien nourry, du lez de Gastinois,
    Qui vit de cry et se nourrist de plume. »

    (Le Testament de la mule Barbeau.)

    Ce « vieil cerf » était un modèle de bois d’un cerf qui devait être fait en or fin pour le trésor du roi, lequel modèle avait été déposé dans la grand’salle. Quant à la « grand lizarde », c’était probablement un crocodile empaillé déposé dans le même lieu, comme objet de curiosité. La table de marbre était, semble-t-il, revêtue d’une estrade de bois, destinée aux « momeries » des clercs de la basoche.

  8. Voyez Sauval, t. II, p. 3.
  9. Antiquités de Paris, p, 99.
  10. Messire Gauvain, ou la Vengeance de Raguidel, par le trouvère Raoul, publié par C. Hippeau, vers 4 199 et suiv.
  11. Le Roman de la Violette ou de Gérard de Nevers, XIIIe siècle, publié par Fr. Michel, vers 2 252 et suiv.
  12. Voyez Perron.
  13. Li romans de Berte aus grans piés, ch. XCII (XIIIe siècle).
  14. Tome II, p. 246.
  15. Les niches de ces statues existent encore.
  16. Voyez Palais, fig. 11, 12 et 13.
  17. Voyez l’Album de Villard de Honnecourt, archit. du XIIIe siècle, manuscrit publié en fac-simile et annoté par Lassus et A. Darcel (Imp. impér., 1858, pl. XL).
  18. « Par ce tracé combine-t-on les chapiteaux de huit colonnes correspondant à une seule, sans qu’il y ait encombrement : c’est de la bonne maçonnerie. »
  19. Dans les notes de Lassus, mises en ordre par M. Darcel, ce tracé de voûtes a été compliqué par l’adjonction d’arcs inutiles, et qui d’ailleurs ne sont point indiqués sur le croquis de Villard.