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DIABLE, s. m. Deable. Ange déchu, personnification du mal. Dans les premiers monuments du moyen âge, on ne trouve pas de représentations du diable, et nous ne saurions dire à quelle époque précise les sculpteurs ou peintres ont commencé à figurer le démon dans les bas-reliefs ou peintures. Les manuscrits grecs des VIIe et VIIIe siècles qui représentent des résurrections font voir les morts ressuscitants ; mais les peintres n’ont figuré que les esprits célestes, le diable est absent de la scène.


Une bible latine du IXe ou Xe siècle[1], ornée de nombreuses vignettes au trait, nous montre Job assis sur les ruines de sa maison ; l’ange du mal lui parle (1) ; il est nimbé et armé d’ailes ; dans sa main gauche, il tient une cassolette pleine de feu ; les ongles de ses pieds sont crochus : c’est une des plus anciennes représentations du diable que nous connaissions. Ici le démon conserve les attributs de sa puissance première. Dans la sculpture du XIe siècle, en France, le diable commence à jouer un rôle important : il apparaît sur les chapiteaux, sur les tympans ; il se trouve mêlé à toutes les scènes de l’Ancien et du Nouveau-Testament, ainsi qu’à toutes les légendes de saints. Alors, l’imagination des artistes s’est plue à lui donner les figures les plus étranges et les plus hideuses : tantôt il se présente sous la forme d’un homme monstrueux, souvent pourvu d’ailes et de queue ; tantôt sous la forme d’animaux fantastiques.

Les chapiteaux de l’église de Vézelay, qui datent de la fin du XIe siècle, sont remplis de ces représentations de l’esprit du mal. Voici l’un d’eux, qui figure l’homme riche orgueilleux, arraché de son palais par trois démons (2) : c’est une des nombreuses visions de saint-Antoine, que le sculpteur a représenté priant.

À l’article Chapiteau, nous avons donné une représentation du démon chassé du veau d’or par Moïse, provenant de la même église : c’est une des plus énergiques figures que nous connaissions de cette époque. Dans ces images primitives, le diable agit ou conseille : lorsqu’il agit, il prend la forme d’un être humain plus ou moins difforme, pourvu d’ailes et quelquefois d’une queue terminée par une tête de serpent, ses membres sont grêles, décharnés, ses mains et ses pieds volumineux, sa chevelure ébouriffée, sa bouche énorme, il est nu ; lorsqu’il conseille, il prend la figure d’un animal fantastique, sirène, dragon, serpent, crapaud, basilic (oiseau à queue de serpent), chien à tête d’homme. Au XIIe siècle déjà, les auteurs des bestiaires s’étaient évertués à faire, des animaux réels ou imaginaires, des figures symboliques des vertus et des vices (voy. Bestiaires) ; alors, dans les sculptures ou peintures, lorsqu’on voulait représenter un personnage sous l’influence d’une mauvaise passion, on l’accompagnait d’un de ces animaux, symbole de cette mauvaise passion. Dans le musée du moyen âge de la ville d’Avignon, nous voyons un fragment de chapiteau en marbre blanc, du XIIe siècle, représentant Job auquel sa femme et ses amis viennent faire des reproches. À côté d’Eliut, l’un des amis de Job, est une sirène qui semble le conseiller (3).

Or la sirène, pendant le moyen âge, est le symbole de la fausseté, de la déception. Sur les portails des églises de cette époque, les vices sont parfois personnifiés (voy. vice), et les personnages qui figurent les vices sont accompagnés de diables qui se plaisent à les tourmenter. Les diables apparaissent aussi dans les paraboles et légendes, comme dans la parabole du mauvais riche, par exemple, et dans les légendes de saint-Antoine et de saint-Benoît, qui ont eu, disent ces légendes, avec le diable, des rapports si fréquents. Il serait assez inutile de copier ici de nombreux exemples de ces figures monstrueuses ; nous nous contenterons d’indiquer les caractères donnés aux représentations du diable pendant les périodes diverses du moyen âge. Pendant la période romane, le diable est un être que les sculpteurs ou peintres s’efforcent de rendre terrible, effrayant, qui joue le rôle d’une puissance avec laquelle il n’est pas permis de prendre des libertés. Chez les sculpteurs occidentaux du XIIIe siècle, laïques fort avancés comme artistes, l’esprit gaulois commence à percer. Le diable prend un caractère moins terrible ; il est souvent ridicule, son caractère est plus dépravé qu’effrayant, sa physionomie est plus ironique que sauvage ou cruelle ; parfois il triche, souvent il est dupé. La scène du Pèsement des âmes, qui occupe une place principale dans le drame du Jugement dernier, nous montre un diable qui s’efforce, avec assez peu de loyauté, de faire pencher l’un des plateaux de la balance de son côté. Les démons qui accompagnent les damnés semblent railler la troupe des malheureux entraînés dans les enfers ; quelques-uns de ces subalternes de l’armée des ténèbres ont même parfois un air de bonhomie brutale qui peut faire croire à des accommodements. Cependant l’ensemble des scènes infernales sculptées au commencement du XIIIe siècle a toujours un aspect dramatique fait pour émouvoir. À la porte centrale de la cathédrale de Paris, par exemple, tout le côté occupé par les démons et les âmes qui leur sont livrées, à la gauche du Christ, est sculpté de main de maître ; quelques épisodes sont rendus d’une façon émouvante (voy. Jugement dernier). Parmi les voussures chargées de démons et de damnés semble trôner un diable supérieur ; il est couronné (4). Sa taille est entourée d’un serpent ; il est assis sur un tas de personnages, parmi lesquels on voit un évêque et un roi. Ce diable souverain est gras, lippu ; il est pourvu de mamelles gonflées et semble se reposer dans son triomphe. À côté de lui sont représentées des scènes de désordre, de confusion, de désespoir, rendues avec une énergie et un talent d’exécution vraiment remarquables. Les peintres et sculpteurs du moyen âge ont admis une trinité du mal, en opposition avec la trinité divine (voy. Trinité ). Dès la fin du XIIIe siècle, le diable, dans la sculpture et la peinture, perd beaucoup de son caractère féroce ; il est relégué au dernier rang, il est bafoué et porte souvent la physionomie de ce rôle ; dans beaucoup de légendes refaites à cette époque, il est la dupe de fraudes pieuses, comme dans la célèbre légende du moine Théophile et celle du serrurier Biscornet, qui fit, dit-on, les pentures des portes de la cathédrale de Paris. Ce serrurier, qui vivait au XIVe siècle, fut chargé de ferrer les trois portes principales de Notre-Dame[2]. Voulant faire un chef-d’œuvre, et fort empêché de savoir comment s’y prendre, il se donne au diable, qui lui apparaît et lui propose de forger les pentures, à une condition, bien entendu, c’est que lui Biscornet, par un marché en règle, écrit, livrera son âme aux esprits des ténèbres. Le marché est signé, le diable se met à l’œuvre et fournit les pentures. Biscornet, aidé de son infernal forgeron, pose les ferrures des deux portes latérales ; mais quand il s’agit de ferrer la porte centrale, la chose devient impossible, par la raison que la porte centrale sert de passage au Saint-Sacrement. Le diable n’avait pas songé à cette difficulté ; mais le marché ne pouvant être entièrement rempli par l’une des parties, Biscornet redevient possesseur de son âme, et le diable en est pour ses ferrures des deux portes.

On le voit, vers la fin du moyen âge, le diable a vieilli et ne fait plus ses affaires. Les arts plastiques de cette époque ne font que reproduire l’esprit de ces légendes populaires dont nous avons suivi les dernières traces sur le théâtre des marionnettes, où le diable, malgré ses tours et ses finesses, est toujours battu par Polichinelle.

Le grand diable sculpté sur le tympan de la porte de la cathédrale d’Autun, au XIIe siècle, est un être effrayant bien fait pour épouvanter des imaginations neuves ; mais les diablotins sculptés sur les bas-reliefs du XVe siècle sont plus comiques que terribles, et il est évident que les artistes qui les façonnaient se souciaient assez peu des méchants tours de l’esprit du mal.

  1. Bibl. imp. Mss.
  2. Ces pentures datent de la fin du XIIe siècle ou des premières années du XIIIe, et l’histoire du serrurier Biscornet est un conte populaire ; il ne fait qu’indiquer la tendance des esprits, au XIVe siècle, à ne plus voir dans le diable qu’une puissance déchue, dont on avait facilement raison avec un peu d’adresse.