architecture militaire.
Lorsque les barbares firent irruption dans les Gaules, beaucoup de villes possédaient encore leurs fortifications gallo-romaines ; celles qui n’en étaient point pourvues se hâtèrent d’en élever avec les débris des monuments civils. Ces enceintes, successivement forcées et réparées, furent longtemps les seules défenses des cités, et il est probable qu’elles n’étaient point soumises à des dispositions régulières et systématiques, mais qu’elles étaient construites fort diversement, suivant la nature des lieux, des matériaux, ou d’après certaines traditions locales que nous ne pouvons apprécier aujourd’hui, car de ces enceintes il ne nous reste que des débris, des soubassements modifiés par des adjonctions successives. Les Visigoths s’emparèrent, pendant le Ve siècle, d’une grande partie des Gaules ; leur domination s’étendit, sous Vallia, de la Narbonnaise à la Loire. Toulouse demeura quatre-vingt-neuf ans la capitale de ce royaume, et pendant ce temps la plupart des villes de la Septimanie furent fortifiées avec grand soin, et eurent à subir des sièges fréquents. Narbonne, Béziers, Agde, Carcassonne, Toulouse furent entourées de remparts formidables, construits d’après les traditions romaines des bas temps, si l’on en juge par les portions importantes d’enceintes qui entourent encore la cité de Carcassonne. Les Visigoths, alliés des Romains, ne faisaient que perpétuer les arts de l’Empire, et cela avec un certain succès. Quant aux Francs, ils avaient conservé les habitudes germaines, et leurs établissements militaires devaient ressembler à des camps fortifiés, entourés de palissades, de fossés et de quelques talus de terre. Le bois joue un grand rôle dans les fortifications des premiers temps du moyen âge. Et si les races germaines, qui occupèrent les Gaules, laissèrent aux Gallo-Romains le soin d’élever des églises, des monastères, des palais et des édifices publics, ils durent conserver leurs usages militaires en face du peuple conquis. Les Romains eux-mêmes, lorsqu’ils faisaient la guerre sur des territoires couverts de forêts, comme la Germanie et la Gaule, élevaient souvent des remparts de bois, sortes de logis avancés en dehors des camps, ainsi qu’on peut le voir dans les bas-reliefs de la colonne Trajane (1). Dès l’époque de César, les Celtes, lorsqu’ils ne pouvaient tenir la campagne, mettaient les femmes, les enfants et ce qu’ils possédaient de plus précieux à l’abri des attaques de l’ennemi derrière des fortifications faites de bois, de terre et de pierre. « Ils se servent, dit César dans ses Commentaires, de pièces de bois droites dans toute leur longueur, les couchent à terre parallèlement, les placent à une distance de deux pieds l’une de l’autre, les fixent transversalement par des troncs d’arbre, et remplissent de terre les vides. Sur cette première assiette, ils posent une assise de gros fragments de rochers, et lorsque ceux-ci sont bien joints, ils établissent un nouveau radier de bois disposé comme le premier, de façon que les rangs de bois ne se touchent point et ne portent que sur les assises de rochers interposées. L’ouvrage est ainsi monté à hauteur convenable. Cette construction, par la variété de ses matériaux, composée de bois et de pierres formant un parement régulier, est bonne pour le service et la défense des places, car les pierres qui la composent empêchent les bois de brûler, et les arbres, ayant environ quarante pieds de long, liés entre eux dans l’épaisseur de la muraille, ne peuvent être rompus ou désassemblés que très-difficilement[1].» Les Germains établissaient aussi des remparts de bois couronnés de parapets d’osier. La colonne Antonine, à Rome, nous donne un curieux exemple de ces sortes de redoutes de campagnes (2). Mais ce n’étaient là probablement que des ouvrages faits à la hâte. On voit ici l’attaque de ce fort par les soldats romains. Les fantassins, pour pouvoir s’approcher du rempart, se couvrent de leurs boucliers et forment ce que l’on appelait la tortue: appuyant le sommet de ces boucliers contre le rempart, ils pouvaient saper sa base ou y mettre le feu à l’abri des projectiles[2]. Les assiégés jettent des pierres, des roues, des épées, des torches, des pots à feu sur la tortue, et des soldats romains, tenant des tisons enflammés, semblent attendre que la tortue se soit approchée complètement du rempart pour passer sous les boucliers et incendier le fort. Dans leurs camps retranchés, les Romains, outre quelques ouvrages avancés construits en bois, plaçaient souvent ; le long des remparts, de distance en distance, des échafaudages de charpente qui servaient soit à placer des machines destinées à lancer des projectiles, soit de tours de guet pour reconnaître les approches de l’ennemi. Les bas-reliefs de la colonne Trajane présentent de nombreux exemples de ces sortes de constructions (3). Ces camps étaient de deux sortes : il y avait les camps d’été, castra æstiva, logis purement provisoires, que l’on élevait pour protéger les haltes pendant le cours de la campagne, et qui ne se composaient que d’un fossé peu profond et d’un rang de palissade plantées sur une petite escarpe ; puis les camps d’hiver ou fixes, castra hiberna, castra stativa, qui étaient défendus par un fossé large et profond, par un rempart de terre gazonnée ou de pierre flanqué de tours ; le tout était couronné de parapets crénelés ou de pieux reliés entre eux par des longrines ou des liens d’osier. L’emploi des tours rondes ou carrées dans les enceintes fixes des Romains était général, car, comme le dit Végèce, « les anciens trouvèrent que l’enceinte d’une place ne devait point être sur « une même ligne continue, à cause des béliers qui battraient trop aisément « en brèche ; mais par le moyen des tours placées dans le rempart assez « près les unes des autres, leurs murailles présentaient des parties saillantes « et rentrantes. Si les ennemis veulent appliquer des échelles, ou approcher « des machines contre une muraille de cette construction, on les voit de « front, de revers et presque par derrière ; ils sont comme enfermés au « milieu des batteries de la place qui les foudroient. » Dès la plus haute antiquité, l’utilité des tours avait été reconnue afin de permettre de prendre les assiégeants en flanc lorsqu’ils voulaient battre les courtines. Les camps fixes des Romains étaient généralement quadrangulaires, avec quatre portes percées dans le milieu de chacune des faces ; la porte principale avait nom prétorienne, parce qu’elle s’ouvrait en face du prætorium, demeure du général en chef ; celle en face s’appelait décumane ; les deux latérales étaient désignées ainsi : principalis dextra et principalis sinistra. Des ouvrages avancés, appelés antemuralia, procastria, défendaient ces portes[3]. Les officiers et soldats logeaient dans des huttes en terre, en brique ou en bois, recouvertes de chaume ou de tuiles. Les tours étaient munies de machines propres à lancer des traits ou des pierres. La situation des lieux modifiait souvent cette disposition quadrangulaire, car, comme l’observe judicieusement Vitruve à propos des machines de guerre (chap. XXII) : « Pour ce qui est des moyens que les assiégés « peuvent employer pour se défendre, « cela ne se peut pas écrire. » La station militaire de Famars, en Belgique (Fanum Martis), donnée dans l’Histoire de l’architecture en Belgique, et dont nous reproduisons ici le plan (4), présente une enceinte dont la disposition ne se rapporte pas aux plans ordinaires des camps romains : il est vrai que cette fortification ne saurait être antérieure au IIIe siècle[4]. Quant au mode adopté par les Romains dans la construction de leurs fortifications de villes, il consistait en deux forts parements de maçonnerie séparés par un intervalle de vingt pieds ; le milieu était rempli de terre provenant des fossés et de blocaille bien pilonnées, et formant un chemin de ronde légèrement incliné du côté de la ville pour l’écoulement des eaux ; la paroi extérieure s’élevait au-dessus du chemin de ronde, était épaisse et percée de créneaux ; celle intérieure était peu élevée au-dessus du sol de la place, de manière à rendre l’accès des remparts facile au moyen d’emmarchements (5)[5].Le château Narbonnais de Toulouse, qui joue un si grand rôle dans l’histoire de cette ville depuis la domination des Visigoths jusqu’au XIVe siècle, paraît avoir été construit d’après ces données antiques : il se composait « de deux grosses tours, l’une au midi, l’autre au septentrion, bâties de terre cuite et de cailloux avec de la chaux, le tout entouré de grandes pierres sans mortier, mais cramponnées avec des lames de fer scellées de plomb. Le château était élevé sur terre de plus de trente brasses, ayant vers le midi deux portails de suite, deux voûtes de pierres de taille jusqu’au sommet ; il y en avait deux autres de suite au septentrion et sur la place du Salin. Par le dernier de ces portails, on entrait dans la ville dont le terrain a été haussé de plus de douze pieds… On voyait une tour carrée entre ces deux tours ou plates-formes de défense ; car elles étaient terrassées et remplies de terre, suivant Guillaume de Puilaurens, puisque Simon de Montfort en fit enlever toutes les terres qui s’élevaient jusqu’au comble[6]. »
L’enceinte visigothe de la cité de Carcassonne nous a conservé des dispositions analogues et qui rappellent celles décrites par Végèce. Le sol de la ville est beaucoup plus élevé que celui du dehors et presque au niveau des boulevards. Les courtines, fort épaisses, sont composées de deux parements de petit appareil cubique, avec assises alternées de brique ; le milieu est rempli non de terre, mais de blocage maçonné à la chaux. Les tours s’élevaient au-dessus des courtines, et leur communication avec celles ci pouvait être coupée, de manière à faire de chaque tour un petit fort indépendant ; à l’extérieur ces tours sont cylindriques, et du côté de la ville elles sont carrées ; leur souche porte également du côté de la campagne sur une base cubique. Nous donnons ici (6) le plan d’une de ces tours avec les courtines :
A est le plan du rez-de-chaussée, B le plan du premier étage au niveau des chemins de ronde. On voit en C et en D les deux fosses pratiquées en avant des portes de la tour afin d’intercepter, lorsqu’on enlevait les ponts de bois, la communication entre la ville ou les chemins de ronde et les étages des tours. On accédait du premier étage à la partie supérieure crénelée de la tour par un escalier en bois intérieur posé le long du mur plat. Le sol extérieur étant beaucoup plus bas que celui de la ville, le rez-de-chaussée de la tour était en contre-bas du terre-plein de la cité, et on y descendait par un emmarchement de dix à quinze marches. La figure (6 bis) fait voir la tour et ses deux courtines du côté de la ville, les ponts de communication sont supposés enlevés. L’étage supérieur crénelé est couvert par un comble et ouvert du côté de la ville, afin de permettre aux défenseurs de la tour de voir ce qui s’y passe,
et aussi pour permettre de monter des pierres et toutes sortes de projectiles au moyen d’une corde et d’une poulie[7]. La figure (6 ter) montre cette même tour du côté de la campagne ; nous y avons joint une poterne[8] dont le seuil est assez élevé au-dessus du sol pour qu’il faille un escalier volant ou une échelle pour y accéder. La poterne se trouve défendue, suivant l’usage, par une palissade ou barrière, chaque porte ou poterne étant munie de ces sortes d’ouvrages.
Conformément à la tradition du camp fixe romain, l’enceinte des villes du moyen âge renfermait un château ou au moins un réduit qui commandait les murailles ; le château lui-même contenait une défense isolée plus forte que toutes les autres qui prit le nom de Donjon (voy. ce mot). Souvent les villes du moyen âge étaient protégées par plusieurs enceintes, ou bien il y avait la cité qui, située sur le point culminant, était entourée de fortes murailles et, autour, des faubourgs défendus par des tours et courtines ou de simples ouvrages en terre et en bois et des fossés. Lorsque les Romains fondaient une ville, ils avaient le soin, autant que faire se pouvait, de choisir un terrain incliné le long d’un fleuve ou d’une rivière. Quand l’inclinaison du terrain se terminait par un escarpement du côté opposé au cours d’eau, la situation remplissait toutes les conditions désirables ; et pour nous faire mieux comprendre par une figure,
voici (7) le plan cavalier d’une assiette de ville romaine conforme à ces données. A était la ville avec ses murs bordés d’un côté par la rivière ; souvent un pont, défendu par des ouvrages avancés, communiquait à la rive opposée. En B était l’escarpement qui rendait l’accès de la ville difficile sur le point où une armée ennemie devait tenter de l’investir ; D le château dominant tout le système de défense, et le refuge de la garnison dans le cas où la ville tombait aux mains des ennemis. Les points les plus faibles étaient alors les deux fronts CC, et c’est là que les murailles étaient hautes, bien flanquées de tours et protégées par des fossés larges et profonds. La position des assiégeants, en face de ces deux fronts, n’était pas très-bonne d’ailleurs, car une sortie les prenant de flanc, pour peu que la garnison fût brave et nombreuse, pouvait les culbuter dans le fleuve. Dans le but de reconnaître les dispositions des assiégeants, aux angles EE étaient construites des tours fort élevées, qui permettaient de découvrir au loin les rives du fleuve en aval et en amont, et les deux fronts CC. C’est suivant ces données que les villes d’Autun, de Cahors, d’Auxerre, de Poitiers, de Bordeaux, de Périgueux, etc., avaient été fortifiées à l’époque romaine. Lorsqu’un pont réunissait, en face le front des murailles, les deux rives du fleuve, alors ce pont était défendu par une tête de pont G du côté opposé à la ville ; ces têtes de pont prirent plus ou moins d’importance : elles enveloppèrent des faubourgs tout entiers, ou ne furent que des chatelets, ou de simples barbacanes (voy. ces mots). Des estacades et des tours en regard, bâties des deux côtés du fleuve en amont, permettaient de barrer le passage et d’intercepter la navigation en tendant, d’une tour à l’autre, des chaînes ou des pièces de bois attachées bout à bout par des anneaux de fer. Si, comme à Rome même, dans le voisinage d’un fleuve, il se trouvait une réunion de mamelons, on avait le soin, non d’envelopper ces mamelons, mais de faire passer les murs de défense sur leurs sommets, en fortifiant avec soin les intervalles qui, se trouvant dominés des deux côtés par des fronts, ne pouvaient être attaqués sans de grands risques.
À cet effet, entre les mamelons, la ligne des murailles était presque toujours infléchie et concave, ainsi que l’indique le plan cavalier (8)[9]. Mais si la ville occupait un plateau (et alors elle n’était généralement que d’une médiocre importance), on profitait de toutes les saillies du terrain en suivant ses sinuosités, afin de ne pas permettre aux assiégeants de s’établir au niveau du pied des murs, ainsi qu’on peut le voir à Langres et à Carcassonne, dont nous donnons ici (9) l’enceinte visigothe,
Jusqu’au XIIe siècle, il ne parait pas que les villes fussent défendues autrement que par des enceintes flanquées de tours ; c’était la méthode romaine ; mais alors le sol était déjà couvert de châteaux, et l’on savait par expérience qu’un château se défendait mieux qu’une ville. En effet, aujourd’hui un des principes les plus vulgaires de la fortification consiste à opposer le plus grand front possible à l’ennemi, parce que le plus grand front exige une plus grande enveloppe, et oblige les assiégeants à exécuter des travaux plus considérables et plus longs ; mais lorsqu’il fallait battre les murailles de près, lorsqu’on n’employait pour détruire les ouvrages des assiégés que la sape, le bélier, la mine ou des engins dont la portée était courte, lorsqu’on ne pouvait donner l’assaut qu’au moyen de ces tours de bois, ou par escalade, ou encore par des brèches mal faites et d’un accès difficile, plus la garnison était resserrée dans un espace étroit, et plus elle avait de force, car l’assiégeant, si nombreux qu’il fût, obligé d’en venir aux mains, ne pouvait avoir sur un point donné qu’une force égale tout au plus à celle que lui opposait l’assiégé. Au contraire, les enceintes très étendues pouvant être attaquées brusquement par une nombreuse armée, sur plusieurs points à la fois, divisaient les forces des assiégés, exigeaient une garnison au moins égale à l’armée d’investissement, pour garnir suffisamment les remparts, et repousser des attaques qui ne pouvaient être prévues souvent qu’au moment où elles étaient exécutées.
Pour parer aux inconvénients que présentaient les grands fronts fortifiées, vers la fin du XIIe siècle on eut l’idée d’établir, en avant des enceintes continues flanquées de tours, des forteresses isolées, véritables forts détachés destinés à tenir l’assaillant éloigné du corps de la place, et à le forcer de donner à ses lignes de contre-vallation une étendue telle qu’il eût fallu une armée immense pour les garder. Avec l’artillerie moderne, la convergence des feux de l’assiégeant lui donne la supériorité sur la divergence des feux de l’assiégé ; mais, avant l’invention des bouches à feu, l’attaque ne pouvait être que très-rapprochée, et toujours perpendiculaire au dispositif défensif ; il y avait donc avantage pour l’assiégé à opposer à l’assaillant des points isolés ne se commandant pas les uns les autres, mais bien défendus ; on éparpillait ainsi les forces de l’ennemi, en le contraignant à entreprendre des attaques simultanées sur des points choisis par l’assiégé et munis en conséquence. Si l’assaillant laissait derrière lui les réduits isolés pour venir attaquer les fronts de la place, il devait s’attendre à avoir sur les bras les garnisons des forts détachés au moment de donner l’assaut, et sa position était mauvaise. Quelquefois, pour éviter de faire le siège en règle de chacun de ces forts, l’assiégeant, s’il avait une armée nombreuse, élevait des bastilles de pierre sèche, de bois et de terre, établissait des lignes de contre-vallation autour des forteresses isolées, et, renfermant leurs garnisons, attaquait le corps de la place. Toutes les opérations préliminaires des sièges étaient longues, incertaines ; il fallait des approvisionnements considérables de bois, de projectiles, et souvent les ouvrages de contre-vallation, les tours mobiles, les bastilles fixes de bois et les engins étaient à peine achevés, qu’une sortie vigoureuse des assiégés ou une attaque de nuit, détruisait le travail de plusieurs mois, par le feu et la hache. Pour éviter ces désastres, les assiégés établissaient leurs lignes de contre-vallation au moyen de doubles rangs de fortes palissades de bois espacés de la longueur d’une pique (trois à quatre mètres), et, creusant un fossé en avant, se servaient de la terre pour remplir l’intervalle entre les palis ; ils garnissaient leurs machines, leurs tours de bois fixes et mobiles, de peaux de bœuf et de cheval, fraîches ou bouillies, ou d’une grosse étoffe de laine, afin de les mettre à l’abri des projectiles incendiaires. Il arrivait souvent que les rôles changeaient, et que les assaillants, repoussés par les sorties des garnisons et forcés de se réfugier dans leur camp, devenaient, à leur tour, assiégés. De tout temps les travaux d’approche des sièges ont été longs et hérissés de difficultés ; mais alors, bien plus qu’aujourd’hui, les assiégés sortaient de leurs murailles soit pour escarmoucher aux barrières et empêcher des établissements fixes, soit pour détruire les travaux exécutés par les assaillants ; les armées se gardaient mal, comme toutes les troupes irrégulières et peu disciplinées ; on se fiait aux palis pour arrêter un ennemi audacieux, et chacun se reposant sur son voisin pour garder les ouvrages, il arrivait fréquemment qu’une centaine de gens d’armes, sortant de la place au milieu de la nuit, tombaient à l’improviste au cœur de l’armée, sans rencontrer une sentinelle, mettaient le feu aux machines de guerre, et, coupant les cordes des tentes pour augmenter le désordre, se retiraient avant d’avoir tout le camp sur les bras. Dans les chroniques des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, ces surprises se renouvellent à chaque instant, et les armées ne s’en gardaient pas mieux le lendemain. C’était aussi la nuit souvent qu’on essayait, au moyen des machines de jet, d’incendier les ouvrages de bois des assiégeants ou des assiégés. Les Orientaux possédaient des projectiles incendiaires qui causaient un grand effroi aux armées occidentales. Ce qui fait supposer qu’elles n’en connaissaient pas la composition, au moins pendant les croisades des XIIe et XIIIe siècles, et ils avaient des machines puissantes[14] qui différaient de celles des Occidentaux, puisque ceux-ci les adoptèrent en conservant leurs noms d’origine d’engins turcs, de pierrières turques.
On ne peut douter que les croisades, pendant lesquelles on fit tant de sièges mémorables, n’aient perfectionné les moyens d’attaque, et que, par suite, des modifications importantes n’aient été apportées aux défenses des places. Jusqu’au XIIIe siècle, la fortification est protégée par sa force passive, par la masse et la situation de ses constructions. Il suffisait de renfermer une faible garnison dans des tours et derrière des murailles hautes et épaisses, pour défier longtemps les efforts d’assaillants qui ne possédaient que des moyens d’attaque très-faibles. Les châteaux normands, élevés en si grand nombre par ces nouveaux conquérants, dans le nord-ouest de la France et en Angleterre, présentaient des masses de constructions qui ne craignaient pas l’escalade à cause de leur élévation, et que la sape pouvait difficilement entamer. On avait toujours le soin, d’ailleurs, d’établir, autant que faire se pouvait, ces châteaux sur des lieux élevés, sur une assiette de rochers, de les entourer de fossés profonds, de manière à rendre le travail du mineur impossible ; et comme refuge en cas de surprise ou de trahison, l’enceinte du château contenait toujours un donjon isolé, commandant tous les ouvrages, entouré lui-même souvent d’un fossé et d’une muraille (chemise), et qui pouvait, par sa position et l’élévation de ses murs, permettre à quelques hommes de tenir en échec de nombreux assaillants. Mais, après les premières croisades, et lorsque le système féodal eut mis entre les mains de quelques seigneurs une puissance presque égale à celle du roi, il fallut renoncer à la fortification passive et qui ne se défendait guère que par sa masse, pour adopter un système de fortification donnant à la défense une activité égale à celle de l’attaque, et exigeant des garnisons plus nombreuses. Il ne suffisait plus (et le terrible Simon de Montfort l’avait prouvé) de posséder des murailles épaisses, des châteaux situés sur des rochers escarpés, du haut desquels on pouvait mépriser un assaillant sans moyens d’attaque actifs, il fallait défendre ces murailles et ces tours et les munir de nombreuses troupes, de machines et de projectiles, multiplier les moyens de nuire à l’assiégeant, déjouer ses efforts par des combinaisons qu’il ne pouvait prévoir, et surtout se mettre à l’abri des surprises ou des coups de main ; car souvent des places bien munies tombaient au pouvoir d’une petite troupe hardie de gens d’armes, qui, passant sur le corps des défenseurs des barrières, s’emparaient des portes, et donnaient ainsi, à un corps d’armée, l’entrée d’une ville. Vers la fin du XIIe siècle et pendant la première moitié du XIIIe siècle, les moyens d’attaque et de défense, comme nous l’avons dit, se perfectionnaient, et étaient surtout conduits avec plus de méthode. On voit alors, dans les armées et dans les places, des ingénieurs (engegneors) spécialement chargés de la construction des engins destinés à l’attaque ou à la défense. Parmi ces engins, les uns étaient défensifs et offensifs en même temps, c’est-à-dire construits de manière à garantir les pionniers et à battre les murailles ; les autres offensifs seulement. Lorsque l’escalade (le premier moyen d’attaque que l’on employait presque toujours) ne réunissait pas, lorsque les portes étaient trop bien armées de défenses pour être forcées, il fallait entreprendre un siège en règle ; c’est alors que l’assiégeant construisait des beffrois roulants en bois (baffraiz), que l’on s’efforçait de faire plus hauts que les murailles de l’assiégé, établissait des chats, gats ou gates, sortes de galeries en bois, couvertes de mairins, de fer et de peaux, que l’on approchait du pied des murs, et qui permettaient aux assaillants de faire agir le mouton, le bosson (bélier des anciens), ou de saper les tours ou courtines au moyen du pic-hoyau, ou encore d’apporter de la terre et des fascines pour combler les fossés.
Dans le poëme de la croisade contre les Albigeois, Simon de Montfort emploie souvent la gate, qui non-seulement semble destinée à permettre de saper le pied des murs à couvert, mais aussi à remplir l’office du beffroi, en amenant au niveau des parapets un corps de troupes. — « Le comte de Montfort commande : …Poussez maintenant la gate et vous prendrez Toulouse… et (les Français) poussent la gate en criant et sifflant ; entre le mur (de la ville) et le château elle avance à petits sauts, comme l’épervier chassant les petits oiseaux. Tout droit vient la pierre que lance le trébuchet, et elle la frappe d’un tel coup à son plus haut plancher qu’elle brise, tranche et déchire les cuirs et courroies… Si vous retournez la gate, disent les barons (au comte de Montfort), des coups vous la garantirez. Par Dieu, dit le comte, c’est ce que nous verrons tout à l’heure. Et quand la gate tourne, elle continue ses petits pas saccadés. Le trébuchet vise, prépare son jet, et lui donne un tel coup à la seconde fois, que le fer et l’acier, les solives et chevilles sont tranchés et brisés. » Et plus loin : « Le comte de Montfort a rassemblé ses chevaliers, les plus vaillants pendant le siège et les mieux éprouvés ; il a fait (à sa gate) de bonnes défenses munies de ferrures sur la face, et il a mis dedans ses compagnies de chevaliers, bien couverts de leurs armures et les heaumes lacés ; ainsi on pousse la gate vigoureusement et vite ; mais ceux de la ville sont bien expérimentés : ils ont tendu et ajusté leurs trébuchets, et ont placé dans les frondes de beaux morceaux de roches taillés, qui, les cordes lâchées, volent impétueux, et frappent la gate sur le devant et les flancs si bien, aux portes, aux planchers, aux arcs entaillés (dans le bois), que les éclats volent de tous côtés, et que de ceux qui la poussent beaucoup sont renversés. Et par toute la ville il s’élève un cri : Par Dieu ! dame fausse gate, jamais ne prendrez rats[15]. »
Guillaume Guiart, à propos du siége de Boves par Philipe Auguste, parle ainsi des chats :
Devant Boves fit l’ost de France,
Qui contre les Flamans contance,
Li mineur pas ne sommeillent,
Un chat bon et fort appareillent,
Tant eurent dessous, et tant cavent,
Qu’une grant part du mur destravent…
Et en l’an 1205 :
Un chat font sur le pont atraire,
Dont pieça mention feismes,
Qui fit de la roche meisme,
Li mineur desous se lancent,
Le fort mur à miner commencent,
Et font le chat si aombrer,
Que riens ne les peut encombrer.
Afin de protéger les travailleurs qui font une chaussée pour traverser un bras du Nil, saint Louis « fist faire deux baffraiz, que on appelle Chas Chateilz. Car il y avoit deux chateilz devant les chas, et deux maisons darrière pour recevoir les coups que les Sarrazins gettoient à engis ; dont ils avoient seize tout droiz, dont ils faisoient merveilles[16]. » L’assaillant appuyait ses beffrois et chats par des batteries de machines de jet, trébuchets (tribuquiaux), mangonnaux (mangoniaux), calabres, pierriers, et par des arbalétriers protégés par des boulevards ou palis terrassés de claies et de terre, ou encore par des tranchées, des fascines et mantelets. Ces divers engins (trébuchets, calabres, mangonnaux et pierriers) étaient mus par des contre-poids, et possédaient une grande justesse de tir[17] ; ils ne pouvaient toutefois que détruire les créneaux et empêcher l’assiégeant de se maintenir sur les murailles ou démonter leurs machines. De tous temps la mine avait été en usage pour détruire des pans de murailles et faire brèche. Les mineurs, autant que le terrain le permettait toutefois, faisaient une tranchée en arrière du fossé, passaient au-dessous, arrivaient aux fondations, les sapaient et les étançonnaient au moyen de pièces de bois, puis ils mettaient le feu aux étançons, et la muraille tombait. L’assiégeant, pour se garantir contre ce travail souterrain, établissait ordinairement sur le revers du fossé des palissades ou une muraille continue, véritable chemin couvert qui protégeait les approches, et obligeait l’assaillant à commencer son trou de mine assez loin des fossés ; puis, comme dernière ressource, il contre-minait, et cherchait à rencontrer la galerie de l’assaillant ; il le repoussait, l’étouffait en jetant dans les galeries des fascines enflammées, et détruisait ses ouvrages. Il existe un curieux rapport du sénéchal de Carcassonne, Guillaume des Ormes, adressé à la reine Blanche, régente de France pendant l’absence de saint Louis, sur la levée du siége mis devant cette place par Trencavel en 1240[18]. À cette époque la cité de Carcassonne n’était pas munie comme nous la voyons aujourd’hui[19] ; elle ne se composait guère que de l’enceinte visigothe, réparée au XIIe siècle, avec une première enceinte ou lices, qui ne devait pas avoir une grande valeur (voy. fig. 9) et quelques ouvrages avancés (barbacanes). Le bulletin détaillé des opérations de l’attaque et de la défense de cette place, donné par le sénéchal Guillaume des Ormes, est en latin ; en voici la traduction :
« À excellente et illustre dame Blanche, par la grâce de Dieu, reine des Français, Guillaume des Ormes, sénéchal de Carcassonne, son humble, dévoué et fidèle serviteur, salut.
Madame, que votre excellence apprenne par les présentes que la ville de Carcassonne a été assiégée par le soi-disant vicomte et ses complices, « le lundi 17 septembre 1240. Et aussitôt, nous qui étions dans la place, leur avons enlevé le bourg Graveillant, qui est en avant de la porte de Toulouse, et là, nous avons eu beaucoup de bois de charpente, qui nous a fait grand bien. Ledit bourg s’étendait depuis la barbacane de la cité jusqu’à l’angle de ladite place. Le même jour, les ennemis nous enlevèrent un moulin, à cause de la multitude de gens qu’ils avaient[20] ; ensuite Olivier de Termes, Bernard Hugon de Serre-Longue, Géraut d’Aniort, et ceux qui étaient avec eux se campèrent entre l’angle de la ville et l’eau[21], et, le jour même à l’aide des fossés qui se trouvaient là, et en rompant les chemins qui étaient entre eux et nous, ils s’enfermèrent pour que nous ne pussions aller à eux.
D’un autre côté, entre le pont et la barbacane du château, se logèrent Pierre de Fenouillet et Renaud du Puy, Guillaume Fort, Pierre de la Tour et beaucoup d’autres de Carcassonne. Aux deux endroits, ils avaient tant d’arbalétriers, que personne ne pouvait sortir de la ville.
Ensuite ils dressèrent un mangonneau contre notre barbacane ; et nous, nous dressâmes aussitôt dans la barbacane une pierrière turque[22] très-bonne, qui lançait des projectiles vers ledit mangonneau et autour de lui ; de sorte que, quand ils voulaient tirer contre nous, et qu’ils voyaient mouvoir la perche de notre pierrière, ils s’enfuyaient et abandonnaient entièrement leur mangonneau ; et là ils firent des fossés et des palis. Nous aussi, chaque fois que nous faisions jouer la pierrière, nous nous retirions de ce lieu, parce que nous ne pouvions aller à eux, à cause des fossés, des carreaux et des puits qui se trouvaient là.
Ensuite, Madame, ils commencèrent une mine contre la barbacane de la porte Narbonnaise[23] ; et nous aussitôt, ayant entendu leur travail souterrain, nous contre-minâmes, et nous fîmes dans l’intérieur de la barbacane, un grand et fort mur en pierres sèches, de manière que nous gardions bien la moitié de la barbacane, et alors, ils mirent le feu au trou qu’ils faisaient ; de sorte que, les bois s’étant brûlés, une portion antérieure de la barbacane s’écroula.
Ils commencèrent à miner contre une autre tourelle des lices[24] ; nous contre-minâmes, et nous parvînmes à nous emparer du trou de mine qu’ils avaient fait. Ils commencèrent ensuite une mine entre nous et un certain mur, et ils détruisirent deux créneaux des lices ; mais nous fîmes là un bon et fort palis entre eux et nous.
Ils minèrent aussi l’angle de la place, vers la maison de l’évêque[25], et, à force de miner, ils vinrent, sous un certain mur sarrasin[26], jusqu’au mur des lices. Mais aussitôt que nous nous en aperçûmes, nous fîmes un bon et fort palis entre eux et nous, plus haut dans les lices, et nous contre-minâmes. Alors, ils mirent le feu à leur mine, et nous renversèrent à peu près une dizaine de brasses de nos créneaux. Mais aussitôt nous fîmes un bon et fort palis, et au-dessus nous fîmes une bonne bretèche[27] (10) avec de bonnes archières[28] : de sorte, qu’aucun d’eux n’osa approcher de nous dans cette partie.
Ils commencèrent aussi, Madame, une mine contre la barbacane de la porte de Rodez[29], et ils se tinrent en dessous, parce qu’ils voulaient arriver à notre mur[30], et ils firent, merveilleusement, une grande voie ; mais, nous en étant aperçus, nous fîmes aussitôt, plus haut et plus bas, un grand et fort palis ; nous contre-minâmes aussi, et les ayant rencontrés, nous leur enlevâmes leur trou de mine[31].
Sachez aussi, Madame, que depuis le commencement du siége, ils ne cessèrent pas de nous livrer des assauts ; mais nous avions tant de bonnes arbalètes et de gens animés de bonne volonté à se défendre, que c’est en livrant leurs assauts qu’ils éprouvèrent les plus grandes pertes.
Ensuite, un dimanche, ils convoquèrent tous leurs hommes d’armes, arbalétriers et autres, et tous ensemble assaillirent la barbacane au-dessous du château[32]. Nous descendîmes à la barbacane et leur jetâmes et lançâmes tant de pierres et de carreaux, que nous leur fîmes abandonner ledit assaut ; plusieurs d’entre eux furent tués et blessés[33].
Mais le dimanche suivant, après la fête de Saint-Michel, ils nous livrèrent un très-grand assaut ; et nous, grâce à Dieu et à nos gens, qui avaient bonne volonté de se défendre, nous les repoussâmes : plusieurs d’entre eux furent tués et blessés ; aucun des nôtres, grâce à Dieu, ne fut tué ni ne reçut de blessure mortelle. Mais ensuite, le lundi 11 octobre, vers le soir, ils eurent bruit que vos gens, Madame, venaient à notre secours, et ils mirent le feu aux maisons du bourg de Carcassonne. Ils ont détruit entièrement les maisons des frères Mineurs et les maisons d’un monastère de la bienheureuse Marie, qui étaient dans le bourg, pour prendre les bois dont ils ont fait leurs palis. Tous ceux qui étaient audit siége l’abandonnèrent furtivement cette même nuit, même ceux du bourg.
Quant à nous, nous étions bien préparés, grâce à Dieu, à attendre, Madame, votre secours, tellement que, pendant le siége, aucun de nos gens ne manquait de vivres, quelque pauvre qu’il fût ; bien plus, Madame, nous avions en abondance le blé et la viande pour attendre pendant longtemps, s’il l’eût fallu, votre secours. Sachez, Madame, que ces malfaiteurs tuèrent, le second jour de leur arrivée, trente-trois prêtres et autres clercs qu’ils trouvèrent en entrant dans le bourg ; sachez en outre, Madame, que le seigneur Pierre de Voisin, votre connétable de Carcassonne ; Raymond de Capendu ; Gérard d’Ermenville, se sont très-bien conduits dans cette affaire. Néanmoins, le connétable, par sa vigilance, sa valeur et son sang-froid, s’est distingué par-dessus les autres. Quant aux autres affaires de la terre, nous pourrons, Madame, vous en dire la vérité quand nous serons en votre présence. Sachez donc qu’ils ont commencé à nous miner fortement en sept endroits. Nous avons presque partout contre-miné et n’avons point épargné la peine. Ils commençaient à miner à partir de leurs maisons, de sorte que nous ne savions rien avant qu’ils arrivassent à nos lices.
Fait à Carcassonne, le 13 octobre 1240.
Sachez, Madame, que les ennemis ont brûlé les châteaux et les lieux ouverts qu’ils ont rencontrés dans leur fuite. »
Quant au bélier des anciens, il était certainement employé pour battre le pied des murailles dans les sièges, dès le XIIe siècle. Nous empruntons encore au poëme provençal de la croisade contre les Albigeois un passage qui ne peut laisser de doute à cet égard. Simon de Montfort veut secourir le château de Beaucaire qui tient pour lui et qui est assiégé par les habitants ; il assiège la ville, mais il n’a pas construit des machines suffisantes ; les assauts n’ont pas de résultats ; pendant ce temps les Provençaux pressent de plus en plus le château (le capitole). «…Mais ceux de la ville ont élevé contre (les croisés enfermés dans le château) des engins dont ils battent de telle sorte le capitole et la tour de guet, que les poutres, la pierre et le plomb en sont fracassés ; et à la Sainte-Pâques est dressé le bosson, lequel est long, ferré, droit, aigu, qui tant frappe, tranche et brise, que le mur est endommagé, et que plusieurs pierres s’en détachent çà et là ; et les assiégés, quand ils s’en aperçoivent ne sont pas découragés. Ils font un lacet de corde qui est attaché à une machine de bois, et au moyen duquel la tête du bosson est prise et retenue. De cela ceux de Beaucaire sont grandement troublés, jusqu’à ce que vienne l’ingénieur qui a mis le bosson en mouvement. Et plusieurs des assiégeants se sont logés dans la roche, pour essayer de fendre la muraille à coups de pics aiguisés. Et ceux du capitole les ayant-aperçus, cousent, mêlés dans un drap, du feu, du soufre et de l’étoupe, qu’ils descendent au bout d’une chaîne le long du mur, et lorsque le feu a pris et que le soufre se fond, la flamme et l’odeur les suffoquent à tel point (les pionniers), que pas un d’eux ne peut demeurer ni ne demeure. Mais ils vont à leurs pierriers, les font jouer si bien, qu’ils brisent et tranchent les barrières et les poutres[34]. »
Ce curieux passage fait connaître quels étaient les moyens employés alors pour battre de près les murailles, lorsqu’on voulait faire brèche, et que la situation des lieux ne permettait pas de percer des galeries de mines, de poser des étançons sous les fondations, et d’y mettre le feu. Quant aux moyens de défense, il est sans cesse question, dans cette histoire de la croisade contre les Albigeois, de barrières, de lices de bois, de palissades. Lorsque Simon de Montfort est obligé de revenir assiéger Toulouse, après cependant qu’il en a fait raser presque tous les murs, il trouve la ville défendue par des fossés et des ouvrages de bois. Le château Narbonnais seul est encore en son pouvoir. Le frère du comte, Guy de Montfort, est arrivé le premier avec ces terribles croisées. Les chevaliers ont mis pied à terre, ils brisent les barrières et les portes, ils pénètrent dans les rues, mais là ils sont reçus par les habitants et les hommes du comte de Toulouse et sont forcés de battre en retraite, quand arrive Simon plein de fureur : « Comment, dit-il à son frère, se fait-il que vous n’ayez pas déjà détruit la ville et brûlé ses maisons ? — Nous avons attaqué la ville, répond le comte Guy, franchi les défenses, et nous nous sommes trouvés pêle-mêle avec les habitants dans les rues ; là nous avons rencontré les chevaliers, les bourgeois, les ouvriers armés de masses, d’épieux, de haches tranchantes, qui, avec de grands cris, des huées et de grands coups mortels vous ont, par nous, transmis vos rentes et vos cens, et peut-il vous le dire don Guy votre maréchal, quels marcs d’argent ils nous ont envoyés de dessus les toits ! Par la foi que je vous dois, il n’y a parmi nous personne de si brave, qui, quand ils nous chassèrent hors de la ville par les portes, n’eût mieux aimé la fièvre, ou une bataille rangée… » Cependant le comte de Montfort est obligé d’entreprendre un siége en règle après de nouvelles attaques infructueuses. « Il poste ses batailles dans les jardins, il munit les murs du château et les vergers d’arbalètes à rouet[35] et de flèches aiguës. De leur Côté les hommes de la ville, avec leur légitime seigneur, renforcent les barrières, occupent les terrains d’alentour, et arborent en divers lieux leurs bannières, aux deux croix rouges, avec l’enseigne du comte (Raymond), tandis que sur les échafauds[36], dans les galeries[37] sont postés les hommes les plus vaillants, les plus braves et les plus sûrs, armés de perches ferrées, et de pierres à faire tomber sur l’ennemi. En bas, à terre, d’autres sont restés, portant des lances et dartz porcarissals, pour défendre les lices, afin qu’aucun assaillant ne s’approche des palis. Aux archères et aux créneaux (fenestrals) les archers défendent les ambons et les courtines, avec des arcs de différentes sortes et des arbalètes de main. De carreaux et de sagettes des comportes[38] sont remplies. Partout à la ronde, la foule du peuple est armée de haches, de masses, de bâtons ferrés, tandis que les dames et les femmes du peuple leur portent des vases, de grosses pierres faciles à saisir et à lancer. La ville est bellement fortifiée à ses portes ; bellement aussi et bien rangés les barons de France, munis de feu, d’échelles et de lourdes pierres, s’approchent de diverses manières pour s’emparer des barbacanes[39]… »
Mais le siége traîne en longueur, arrive la saison d’hiver ; le comte de Montfort ajourne les opérations d’attaque au printemps. Pendant ce temps les Toulousains renforcent leurs défenses «…Dedans et dehors on ne voit qu’ouvriers qui garnissent la ville, les portes et les boulevards, les murs, les bretèches et les hourds doubles (cadafales dobliers), les fossés, les lices, les ponts, les escaliers. Ce ne sont, dans Toulouse, que charpentiers, qui font des trébuchets doubles, agiles et battants, qui, dans le château Narbonnais, devant lequel ils sont dressés, ne laissent ni tours, ni salle, ni créneau, ni mur entier… » Simon de Montfort revient, il serre la ville de plus près, il s’empare des deux tours qui commandent les rives de la Garonne, il fortifie l’hôpital situé hors les remparts et en fait une bastille avec fossés, palissades, barbacanes. Il établit de bonnes clôtures avec des fossés ras, des murs percés d’archères à plusieurs étages. Mais après maint assaut, maint fait d’armes sans résultats pour les assiégeants, le comte de Montfort est tué d’un coup de pierre lancée par un pierrier, bandé par des femmes près de Saint-Sernin, et le siége est levé.
De retour de sa première croisade, saint Louis voulut faire de Carcassonne une des places les plus fortes de son domaine. Les habitants des faubourgs, qui avaient ouvert leurs portes à l’armée de Trencavel[40], furent chassés de leurs maisons brûlées par celui dont ils avaient embrassé la cause, et leurs remparts rasés. Ce ne fut que sept ans après ce siége que saint Louis, sur les instances de l’évêque Radulphe, permit par lettres patentes aux bourgeois exilés de rebâtir une ville de l’autre côté de l’Aude, ne voulant plus avoir près de la cité des sujets si peu fidèles. Le saint roi commença par rebâtir l’enceinte extérieure qui n’était pas assez forte et qui avait été fort endommagée par les troupes de Trencavel. Il éleva l’énorme tour, appelée la Barbacane, ainsi que les rampes qui commandaient les bords de l’Aude, le pont ; et permettaient à la garnison du château de faire des sorties sans être inquiétés par les assiégeants, eussent-ils été maîtres de la première enceinte. Il y a tout lieu de croire que les murailles et tours extérieures furent élevées assez rapidement après l’expédition manquée de Trencavel, pour mettre tout d’abord la cité à l’abri d’un coup de main, pendant que l’on prendrait le temps de réparer et d’agrandir l’enceinte intérieure. Les tours de cette enceinte extérieure ou première enceinte, étaient ouvertes du côté de la ville, afin de rendre leur possession inutile pour l’assiégeant, et les chemins de ronde des courtines sont au niveau du sol des lices, de sorte qu’étant pris, ils ne pouvaient servir de rempart contre l’assiégé qui étant en forces pouvait toujours de plain-pied se jeter sur les assaillants et les culbuter dans les fossés (voy. Courtine, Tour).
Philippe le Hardi, lors de la guerre avec le roi d’Aragon, continua ces travaux avec une grande activité jusqu’à sa mort (1285). Carcassonne se trouvait être alors un point voisin de la frontière fort important, et le roi de France y tint son parlement. Il fit élever les courtines, tours et portes du côté de l’est[41], avança l’enceinte intérieure du côté sud, et fit réparer les murailles et tours de l’enceinte des Visigoths (11). Nous donnons ici le plan de cette place ainsi modifié. En A est la grosse barbacane du côté de l’Aude dont nous avons parlé plus haut, avec ses rampes fortifiées jusqu’au château F. Ces rampes sont disposées de manière à être commandées par les défenses extérieures du château ; ce n’est qu’après avoir traversé plusieurs portes et suivi de nombreux détours que l’assaillant (admettant qu’il se fût emparé de la barbacane) pouvait arriver à la porte L, et là il lui fallait, dans un espace étroit et complètement battu par des tours et murailles fort élevées, faire le siége en règle du château, ayant derrière lui un escarpement qui interdisait l’emploi des engins et leur approche. Du côté de la ville, ce château était défendu par un large fossé N et une barbacane E, bâtie par saint Louis. De la grosse barbacane à la porte de l’Aude en C on montait par un chemin roide, crénelé du côté de la vallée de manière à défendre tout l’angle rentrant formé par les rampes du château et les murs de la ville. En B est située la porte Narbonnaise à l’est, qui était munie d’une barbacane et protégée par un fossé et une seconde barbacane palissadée seulement. En S, du côté où l’on pouvait arriver au pied des murailles presque de plain-pied, est un large fossé. Ce fossé et ses approches sont commandés par une forte et haute tour O, véritable donjon isolé, pouvant soutenir un siége à lui seul, toute la première enceinte de ce côté fût-elle tombée au pouvoir des assaillants. Nous avons tout lieu de croire que cette tour communiquait avec les murailles intérieures au moyen d’un souterrain auquel on accédait par un puits pratiqué dans l’étage inférieur de ce donjon, mais qui étant comblé aujourd’hui n’a pu être encore reconnu. Les lices sont comprises entre les deux enceintes de la porte Narbonnaise en X, Y, jusqu’à la tour du coin en Q. Si l’assiégeant s’emparait des premières défenses du côté du sud, et s’il voulait, en suivant les lices, arriver à la porte de l’Aude en C, il se trouvait arrêté par une tour carrée R, à cheval sur les deux enceintes, et munie de barrières et de mâchicoulis. S’il parvenait à passer entre la porte Narbonnaise et la barbacane en B, ce qui était difficile, il lui fallait franchir, pour arriver en V dans les lices du nord-est, un espace étroit, commandé par une énorme tour M, dite tour du Trésau. De V en T, il était pris en flanc par les hautes tours des Visigoths, réparées par saint Louis et Philippe le Hardi, puis il trouvait une défense à l’angle du château. En D est une grande poterne protégée par une barbacane P ; d’autres poternes plus petites sont réparties le long de l’enceinte et permettent à des rondes de faire le tour des lices, et même de descendre dans la campagne sans ouvrir les portes principales. C’était là un point important ; on remarquera que la poterne percée dans la tour D, et donnant sur les lices, est placée latéralement, masquée par la saillie du contre-fort d’angle, et le seuil de cette poterne est à plus de deux mètres au-dessus du sol extérieur ; il fallait donc poser des échelles pour entrer ou sortir. Aux précautions sans nombre que l’on prenait alors pour défendre les portes, il est naturel de supposer que les assaillants les considéraient toujours comme des points faibles. L’artillerie a modifié cette opinion, en changeant les moyens d’attaque ; mais alors on conçoit que quels que fussent les obstacles accumulés autour d’une entrée, l’assiégeant préférait encore tenter de les vaincre, plutôt que de venir se loger au pied d’une tour épaisse pour la saper à main d’hommes, ou la battre au moyen d’engins très imparfaits. Aussi pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, quand on voulait donner une haute idée de la force d’une place, on disait qu’elle n’avait qu’une ou deux portes. Mais pour le service des assiégés, surtout lorsqu’ils devaient garder une double enceinte, il fallait cependant rendre les communications faciles entre ces deux enceintes, pour pouvoir porter rapidement des secours sur un point attaqué. C’est ce qui fait que nous voyons, en parcourant l’enceinte intérieure de Carcassonne, un grand nombre de poternes plus ou moins bien dissimulées, et qui devaient permettre à la garnison de se répandre dans les lices sur beaucoup de points à la fois, à un moment donné, ou de rentrer rapidement dans le cas où la première enceinte eût été forcée. Outre les deux grandes portes publiques de l’Aude et Narbonnaise, nous comptons six poternes percées dont l’enceinte intérieure, à quelques mètres au-dessus du sol, et auxquelles, par conséquent, on ne pouvait accéder qu’au moyen d’échelles. Il en est une, entre autres, percée dans la grande courtine de l’évêché, qui n’a que 2 mètres de hauteur sur 0m, 90 de largeur, et dont le seuil est placé à 12 mètres au-dessus du sol des lices. Dans l’enceinte extérieure on en découvre une autre percée dans la courtine entre la porte de l’Aude et le château ; celle-ci est ouverte au-dessus d’un escarpement de rochers de 7 mètres de hauteur environ. Par ces issues, la nuit, en cas de blocus, et au moyen d’une échelle de cordes, on pouvait recevoir des émissaires du dehors sans craindre une trahison, ou jeter dans la campagne des porteurs de messages ou des espions. On observera que ces deux poternes, d’un si difficile accès, sont placées du côté où les fortifications sont inabordables pour l’ennemi à cause de l’escarpement qui domine la rivière d’Aude. Cette dernière poterne, ouverte dans la courtine de l’enceinte extérieure, donne dans l’enclos protégé par la grosse barbacane, et par le mur crénelé qui suivait la rampe de la porte de l’Aude ; elle pouvait donc servir au besoin à jeter dans ces enclos une compagnie de soldats déterminés, pour faire une diversion dans le cas où l’ennemi aurait pressé de trop près les défenses de cette porte ou la barbacane, mettre le fer aux engins, beffrois ou chats des, assiégeants. Il est certain que l’on attachait une grande importance aux barbacanes ; elles permettaient aux assiégés de faire des sorties. En cela, la barbacane de Carcassonne est d’un grand intérêt (12) ; bâtie en bas de la côte au sommet de laquelle est construit le château, elle met celui-ci en communication avec les bords de l’Aude[42] ; elle force l’assaillant à se tenir loin des remparts du château ; assez vaste pour contenir de quinze à dix-huit cents piétons, sans compter ceux qui garnissaient le boulevard, elle permettait de concentrer un corps considérable de troupes qui pouvaient, par une sortie vigoureuse, culbuter les assiégeants dans le fleuve. La barbacane D du château de la cité carcassonnaise masque complètement la porte B, qui des rampes donne sur la campagne. Ces rampes E sont crénelées à droite et à gauche. Leur chemin est coupé par des parapets chevauchés, et l’ensemble de l’ouvrage, qui monte par une pente roide vers le château, est enfilé dans toute sa longueur par une tour et deux courtines supérieures. Si l’assiégeant parvenait au sommet de la première rampe, il lui fallait se détourner en E’ : il était alors battu de flanc ; en F il trouvait un parapet fortifié, puis une porte bien munie et crénelée ; s’il franchissait cette première porte, il devait longer un parapet percé d’archères, forcer une barrière, se détourner brusquement et s’emparer d’une deuxième porte G, étant encore battu de flanc. Alors il se trouvait devant un ouvrage considérable et bien défendu : c’était un couloir long, surmonté de deux étages sous lesquels il fallait passer ; le premier battait la dernière porte au moyen d’une défense en bois, et était percé de mâchicoulis dans la longueur du passage. Le second communiquait aux crénelages donnant soit à l’extérieur, du côté des rampes, soit au-dessus même de ce passage. Le plancher du premier étage ne communiquait avec les chemins de ronde des lices que par une petite porte. Si les assaillants parvenaient à s’en emparer par escalade, ils étaient pris comme dans un piège ; car la petite porte fermée sur eux, ils se trouvaient exposés aux projectiles lancés par les mâchicoulis du deuxième étage, et l’extrémité du plancher étant interrompue brusquement en H du côté opposé à l’entrée, il leur était impossible d’aller plus avant. S’ils franchissaient le couloir à rez-de-chaussée, ils étaient arrêtés par la troisième porte H, percée dans un mur surmonté par les mâchicoulis du troisième étage communiquant avec les chemins de ronde supérieurs du château. Si, par impossible, ils s’emparaient du deuxième étage, ils ne trouvaient plus d’issues qu’une petite porte donnant dans une seconde salle située le long des murs du château et ne communiquant à celui-ci que par des détours qu’il était facile de barricader en un instant, et qui d’ailleurs étaient défendus par de forts ventaux. Si, malgré tous ces obstacles accumulés, les assiégeants forçaient la troisième porte, il leur fallait alors attaquer la poterne I du château, gardée par un système de défense formidable : des meurtrières, deux mâchicoulis placés l’un au-dessus de l’autre, un pont avec plancher mobile, une herse et des ventaux. Se fût-on emparé de cette porte, qu’on se trouvait à 7 mètres en contre-bas de la cour intérieure L du château, à laquelle on n’arrivait que par des rampes étroites, et en passant à travers plusieurs portes en K.En supposant que l’attaque fût poussée du côté de la porte de l’Aude, on était arrêté par un poste T, une porte avec ouvrage en bois et un double mâchicoulis percé dans le plancher d’un étage supérieur communiquant avec la grand’salle sud du château, au moyen d’un passage en bois qui pouvait être détruit en un instant ; de sorte qu’en s’emparant de cet étage supérieur on n’avait rien fait. Si, après avoir franchi la porte du rez-de-chaussée, on poussait plus loin sur le chemin de ronde le long de la grande tour carrée S, on rencontrait bientôt une porte bien munie de mâchicoulis et bâtie parallèlement au couloir CH. Après cette porte et ces défenses, c’était une seconde porte étroite et basse percée dans le gros mur de refend Z qu’il fallait forcer ; puis enfin, on arrivait à la poterne I du château. Si, au contraire (chose qui n’était guère possible), l’assaillant se présentait du côté opposé par les lices du nord, il était arrêté par une défense V. Mais de ce côté l’attaque ne pouvait être tentée, car c’est le point de la cité qui est le mieux défendu par la nature, et pour forcer la première enceinte entre la tour du Trésau (voy. fig. 11) et l’angle du château, il fallait d’abord gravir une rampe fort roide, et escalader des rochers. D’ailleurs, en attaquant la porte V du nord, l’assiégeant se présentait de flanc aux défenseurs garnissant les hautes murailles et tours de la seconde enceinte. Le gros mur de refend Z qui, partant de la courtine du château, s’avance à angle droit jusque sur la descente de la barbacane, était couronné de mâchicoulis transversaux qui commandaient la porte H et se terminait à son extrémité par une échauguette qui permettait de voir ce qui se passait dans la rampe descendant à la barbacane, afin de prendre des dispositions intérieures de défense en cas de surprise, ou de reconnaître les troupes remontant de la barbacane au château.
Le château pouvait donc tenir longtemps encore, la ville et ses abords étant au pouvoir de l’ennemi ; sa garnison défendant facilement la barbacane et ses rampes, restait maîtresse de l’Aude, dont le lit était alors plus rapproché de la cité qu’il ne l’est aujourd’hui, s’approvisionnait par la rivière et empêchait le blocus de ce côté ; car il n’était guère possible à un corps de troupes de se poster entre cette barbacane et l’Aude sans danger, n’ayant aucun moyen de se couvrir, et le terrain plat et marécageux étant dominé de toutes parts. La barbacane avait encore cet avantage de mettre le moulin du Roi en communication avec la garnison du château, et ce moulin lui-même était fortifié. Un plan de la cité de Carcassonne, relevé en 1774, note dans sa légende un grand souterrain existant sous le boulevard de la barbacane, mais depuis longtemps fermé et comblé en partie. Peut-être ce souterrain était-il destiné à établir une communication couverte entre ce moulin et la forteresse.
Du côté de la ville, le château de Carcassonne était également défendu, par une grande barbacane C en avant du fossé. Une porte A′ bien défendue donnait entrée dans cette barbacane ; le pont C communiquait à la porte principale O. De vastes portiques N étaient destinés à loger une garnison temporaire en cas de siége. Quant à la garnison ordinaire, elle logeait du côté de l’Aude, dans des bâtiments à trois étages Q, P. Sur le portique N, côté sud, était une vaste salle d’armes, percée de meurtrières du côté du
fossé et prenant ses jours dans la cour M. R R étaient les donjons, le plus grand séparé des constructions voisines par un isolement et ne pouvant communiquer avec les autres bâtiments que par des ponts de bois qu’on enlevait facilement. Ainsi, le château pris, les restes de la garnison pouvaient encore se réfugier dans cette énorme tour complètement fermée et tenir quelque temps. En S est une immense tour de guet qui domine toute la ville et ses environs ; elle contenait seulement un escalier de bois. Les tours X, Y, la porte O et les courtines intermédiaires sont du XIIe siècle, ainsi que la tour de guet et les soubassements des bâtiments du côté de la barbacane. Ces constructions furent complétées et restaurées sous saint Louis. La grosse barbacane de l’Aude avait deux étages de meurtrières et un chemin de ronde supérieur crénelé et pouvait être muni de hourds[43]. Voici (13) une vue cavalière de ce château et de sa barbacane, qui viendra compléter la description que nous venons d’en faire avec le plan (fig. 12) ; il est facile de retrouver la position de chaque partie de la défense. Nous avons supposé les fortifications armées en guerre, et munies de leurs défenses de bois, bretèches, hourds, et de leurs palissades avancées.Mais il est nécessaire, avant d’aller plus avant, de bien faire connaître ce que c’étaient que ces hourds, et les motifs qui les avaient fait adopter dès le XIIe siècle.
On avait reconnu le danger des défenses de bois au ras du sol, l’assaillant y mettait facilement le feu ; et du temps de saint Louis on remplaçait déjà les lices et barbacanes de bois si fréquemment employées dans le siècle précédent, par des enceintes extérieures et des barbacanes en maçonnerie. Cependant on ne renonçait pas aux défenses de charpentes, on se contentait de les placer assez haut pour rendre leur combustion par des projectiles incendiaires difficile sinon impossible. Alors comme aujourd’hui (et les fortifications de la cité de Carcassonne nous en donnent un exemple), lorsqu’on voulait de bonnes défenses, on avait le soin de conserver partout au-dessus du sol servant d’assiette au pied des murs et tours, un minimum de hauteur, afin de les mettre également à l’abri des escalades sur tout leur développement. Ce minimum de hauteur n’est pas le même pour les deux enceintes extérieure et intérieure, les courtines de la première défense sont maintenues à 10 mètres environ du fond du fossé ou de la crête de l’escarpement au sol des hourds, tandis que les courtines de la seconde enceinte ont, du sol des lices au sol des hourds, 14 mètres au moins. Le terrain servant d’assiette aux deux enceintes n’étant pas sur un plan horizontal, mais présentant des différences de niveau considérable, les remparts se conforment aux mouvements du sol, et les hourds suivent l’inclinaison du chemin de ronde (voy. Courtine). Il y avait donc alors des données, des règles, des formules pour l’architecture militaire, comme il en existait pour l’architecture religieuse ou civile. La suite de cet article le prouvera, nous le croyons, surabondamment.
Avec le système de créneaux et d’archères ou meurtrières pratiquées dans les parapets en pierre, on ne pouvait empêcher des assaillants nombreux et hardis protégés par des chats recouverts de peaux ou de matelas, de saper le pied des tours ou courtines, puisque par les meurtrières, malgré l’inclinaison de leur coupe, il est impossible de voir le pied des fortifications, et par les créneaux, à moins de sortir la moitié du corps, on ne pouvait non plus viser un objet placé en bas de la muraille. Il fallait donc établir des galeries saillantes, bien munies de défenses, et permettant à un grand nombre d’assiégés de battre le pied des murailles ou des tours par une grêle de pierres et de projectiles de toute nature. Soit (14) une courtine couronnée de créneaux et d’archères, l’homme placé en A ne peut voir le pionnier B qu’à la condition d’avancer la tête en dehors des créneaux, mais alors il se démasque complètement, et toutes fois que des pionniers étaient attachés au pied d’une muraille on avait le soin de protéger leur travail en envoyant des volées de flèches ou de carreaux aux parapets lorsque les assiégés se laissaient voir. En temps de siége, dès le XIIe siècle[44], on garnissait les parapets de hourds C afin de commander complètement le pied des murs au moyen d’un mâchicoulis continu D. Non-seulement les hourds remplissaient parfaitement cet objet, mais ils laissaient les défenseurs libres dans leurs mouvements, l’approvisionnement des projectiles et la circulation se faisant en dedans du parapet en E. D’ailleurs si ces hourds étaient garnis, outre le mâchicoulis continu, de meurtrières, les archères pratiquées dans la construction de pierre, restaient démasquées dans leur partie inférieure et permettaient aux archers ou arbalétriers postés en dedans du parapet de lancer des traits sur les assaillants. Avec ce système, la défense était aussi active que possible, et le manque de projectiles devait seul laisser quelque répit aux assiégeants. On ne doit donc pas s’étonner si dans quelques siéges mémorables, après une défense prolongée, les assiégés en étaient réduits à découvrir leurs maisons, à démolir les murs de jardins, enlever les cailloux des rues, pour garnir les hourds de projectiles et forcer les assaillants à s’éloigner du pied des fortifications. Ces hourds se posaient promptement et facilement (voy. Hourd) ; on les retirait en temps de paix. Nous donnons ici (15) le figuré des travaux d’approche d’une courtine flanquée de tours avec fossé plein d’eau, afin de rendre intelligibles les divers moyens de défense et d’attaque dont nous avons parlé ci-dessus. Sur le premier plan est un chat A ; il sert à combler le fossé, et s’avance vers le pied de la muraille sur les amas de fascines et de matériaux de toutes sortes que les assaillants jettent sans cesse par son ouverture antérieure ; un plancher en bois qui s’établit au fur et à mesure que s’avance le chat permet de le faire rouler sans craindre de le voir s’embourber. Cet engin est mû soit par les rouleaux à l’intérieur au moyen de leviers, soit par des cordes et des poulies de renvoi B. Outre l’auvent qui est placé à la tête du chat, des palissades et des mantelets mobiles protègent les travailleurs. Le chat est garni de peaux fraîches pour le préserver des matières inflammables qui peuvent être lancées par les assiégés. Les assaillants, avant de faire avancer le chat contre la courtine pour pouvoir saper sa base, ont détruit les hourds de cette courtine au moyen de projectiles lancés par des machines de jet. Plus loin, en C est un grand trébuchet ; il bat les hourds de la seconde courtine. Ce trébuchet est bandé, un homme met la fronde avec sa pierre en place. Une palissade haute protège l’engin. À côté, des arbalétriers postés derrière des mantelets roulants visent les assiégés qui se démasquent. Au delà, en E, est un beffroi muni de son pont mobile, garni de peaux fraîches ; il s’avance sur un plancher de madriers au fur et à mesure que les assaillants, protégés par des palissades, comblent le fossé ; il est mû comme le chat par des câbles et des poulies de renvoi. Au delà encore est une batterie de deux trébuchets qui lancent des barils pleins de matières incendiaires contre les hourds des courtines. Dans la ville, sur une grosse tour carrée terminée en plate-forme, les assiégés ont monté un trébuchet qui bat le beffroi des assaillants. Derrière les murs un autre trébuchet masqué par les courtines lance des projectiles contre les engins des assaillants. Tant que les machines de l’armée ennemie ne sont pas arrivées au pied des murs, le rôle de l’assiégé est à peu près passif ; il se contente, par les archères de ses hourds, d’envoyer force carreaux et sagettes. S’il est nombreux, hardi, la nuit il pourra tenter d’incendier le beffroi, les palissades et machines, en sortant par quelque poterne éloignée du point d’attaque ; mais s’il est timide ou démoralisé, s’il ne peut disposer d’une troupe audacieuse et dévouée, au point du jour son fossé sera comblé, le plancher de madriers légèrement incliné vers la courtine permettra au beffroi de s’avancer rapidement par son propre poids, les assaillants n’auront qu’à le maintenir. Sur les débris des hourds mis en pièces par les pierres lancées par les trébuchets, le pont mobile du beffroi s’abattra tout à coup, et une troupe nombreuse de chevaliers et de soldats d’élite se précipitera sur le chemin de ronde de la courtine (16). Mais cette catastrophe est prévue ; si la garnison est fidèle, en abandonnant la courtine prise, elle se renferme dans les tours qui l’interrompent d’espace en espace (17)[45] ; elle peut se rallier, enfiler le chemin de ronde et le couvrir de projectiles, faire par les deux portes A et B une brusque sortie pendant que l’assaillant cherche à descendre dans la ville, et avant qu’il soit trop nombreux, le culbuter, s’emparer du beffroi et l’incendier. Si la garnison forcée ne peut tenter ce coup hardi, elle se barricade dans les tours, et l’assaillant doit faire le siége de chacune d’elles, car au besoin chaque tour peut faire un petit fort séparé, indépendant ; beaucoup sont munies de puits, de fours et de caves pour conserver des provisions. Les portes qui mettent les tours en communication avec les chemins de ronde sont étroites, bien ferrées, fermées à l’intérieur, et renforcées de barres de bois qui rentrent dans l’épaisseur de la muraille, de sorte qu’en un instant le vantail peut être poussé et barricadé en tirant rapidement la barre de bois (voy. Fermeture).On est frappé, lorsqu’on étudie le système défensif adopté du XIIe au XVIe siècle, avec quel soin on s’est mis en garde contre des surprises ; toutes les précautions sont prises pour arrêter l’ennemi et l’embarrasser à chaque pas par des dispositions compliquées, par des détours impossibles à prévoir. Évidemment un siége avant l’invention des bouches à feu n’était réellement sérieux pour l’assiégé comme pour l’assaillant que quand on en était venu à se prendre, pour ainsi dire, corps à corps. Une garnison aguerrie luttait avec quelques chances de succès jusque dans ses dernières défenses. L’ennemi pouvait entrer dans la ville par escalade, ou par une brèche, sans que pour cela la garnison se rendit ; car alors, renfermée dans les tours qui, je le répète, sont autant de forts, elle résistait longtemps, épuisait les forces de l’ennemi, lui faisait perdre du monde à chaque attaque partielle ; car il fallait briser un grand nombre de portes bien barricadées, se battre corps à corps sur des espaces étroits et embarrassés. Prenait-on le rez-de-chaussée d’une tour, les étages supérieurs conservaient encore des moyens puissants de défense. On voit que tout était calculé pour une lutte possible pied à pied. Les escaliers à vis qui donnaient accès aux divers étages des tours étaient facilement et promptement barricadés, de manière à rendre vains les efforts des assaillants pour monter d’un étage à l’autre. Les bourgeois d’une ville eussent-ils voulu capituler, que la garnison pouvait se garder contre eux et leur interdire l’accès des tours et courtines. C’est un système de défiance adopté envers et contre tous.
C’est dans tous ces détails de la défense pied à pied qu’apparaît l’art de la fortification du XIe au XVIe siècle. C’est en examinant avec soin, en étudiant scrupuleusement jusqu’aux moindres traces des obstacles défensifs de ces époques, que l’on comprend ces récits d’attaques gigantesques, que nous sommes trop disposés à taxer d’exagération. Devant ces moyens de défense si bien prévus et combinés, on se figure sans peine ces travaux énormes des assiégeants, ces beffrois mobiles, ces estacades, boulevards ou bastilles, que l’on opposait à un assiégé qui avait calculé toutes les chances de l’attaque, qui prenait souvent l’offensive, et qui était disposé à ne céder un point que pour se retirer dans un autre plus fort.Aujourd’hui, grâce à l’artillerie, un général qui investit une place non secourue par une armée de campagne, peut prévoir le jour et l’heure où cette place tombera. On annoncera d’avance le moment où la brèche sera praticable, où les colonnes d’attaque entreront dans tel ouvrage. C’est une partie plus ou moins longue à jouer, que l’assiégeant est toujours sûr de gagner, si le matériel ne lui fait pas défaut, et s’il a un corps d’armée proportionné à la force de la garnison. « Place attaquée, place prise, » dit le dicton français[46]. Mais alors nul ne pouvait dire quand et comment une place devait tomber au pouvoir de l’assiégeant, si nombreux qu’il fût. Avec une garnison déterminée et bien approvisionnée, on pouvait prolonger un siége indéfiniment. Aussi n’est-il pas rare de voir une bicoque résister, pendant des mois entiers, à une armée nombreuse et aguerrie. De là, souvent, cette audace et cette insolence du faible en face du fort et du puissant, cette habitude de la résistance individuelle qui faisait le fond du caractère de la féodalité, cette énergie qui a produit de si grandes choses au milieu de tant d’abus, qui a permis aux populations françaises et anglo-normandes de se relever après des revers terribles, et de fonder des nationalités fortement constituées.
Rien n’est plus propre à faire ressortir les différences profondes qui séparent les caractères des hommes de ces temps reculés, de l’esprit de notre époque, que d’établir une comparaison entre une ville ou un château fortifiés aux XIIIe ou XIVe siècles et une place forte moderne. Dans cette dernière rien ne frappe la vue, tout est en apparence uniforme, il est difficile de reconnaître un bastion entre tous. Un corps d’armée prend une ville, à peine si les assiégeants ont aperçu les défenseurs ; ils n’ont vu devant eux pendant des semaines entières que des talus de terre et un peu de fumée. La brèche est praticable ; on capitule ; tout tombe le même jour ; on a abattu un pan de mur, bouleversé un peu de terre, et la ville, les bastions qui n’ont même pas vu la fumée des canons, les magasins, arsenaux, tout est rendu. Mais il y a quelque cent ans les choses se passaient bien différemment. Si une garnison était fidèle, aguerrie, il fallait, pour ainsi dire, faire capituler chaque tour, traiter avec chaque capitaine, s’il lui plaisait de défendre pied à pied le poste qui lui était confié. Tout du moins était disposé pour que les choses dussent se passer ainsi. On s’habituait à ne compter que sur soi et sur les siens, et l’on se défendait envers et contre tous. Aussi (car on peut conclure du petit au grand) il ne suffisait pas alors de prendre la capitale d’un pays pour que le pays fût à vous. Ce sont des temps de barbarie si l’on veut, mais d’une barbarie pleine d’énergie et de ressources. L’étude de ces grands monuments militaires du moyen âge n’est donc pas seulement curieuse, elle fait connaître des mœurs dans lesquelles l’esprit national ne pourrait que gagner à se retremper.
Nous voyons au commencement du XIIIe siècle les habitants de Toulouse avec quelques seigneurs et leurs chevaliers, dans une ville mal fermée, tenir en échec l’armée du puissant comte de Montfort et la forcer de lever le siége. Bien mieux encore que les villes, les grands vassaux, renfermés dans leurs châteaux, croyaient-ils pouvoir résister non-seulement à leurs rivaux, mais au suzerain et à ses armées. « Le caractère propre, général de la féodalité, dit M. Guizot, c’est le démembrement du peuple et du pouvoir en une multitude de petits peuples et de petits souverains ; l’absence de toute nation générale, de tout gouvernement central… Sous quels ennemis a succombé la féodalité ? qui l’a combattue en France ? Deux forces : la royauté, d’une part ; les communes, de l’autre. Par la royauté s’est formé en France un gouvernement central ; par les communes s’est formée une nation générale, qui est venue se grouper autour du gouvernement central[47]. » Le développement du système féodal est donc limité entre les Xe et XIVe siècles. C’est alors que la féodalité élève ses forteresses les plus importantes, qu’elle fait, pendant ses luttes de seigneur à seigneur, l’éducation militaire des peuples occidentaux. « Avec le XIVe siècle, ajoute l’illustre historien, les guerres changent de caractère. Alors commencent les guerres étrangères, non plus de vassal à suzerain ou de vassal à vassal, mais de peuple à peuple, de gouvernement à gouvernement. À l’avènement de Philippe de Valois, éclatent les grandes guerres des Français contre les Anglais, les prétentions des rois d’Angleterre, non sur tel ou tel fief, mais sur le pays et le trône de France ; et elles se prolongent jusqu’à Louis XI. Il ne s’agit plus alors de guerres féodales, mais de guerres nationales ; preuve certaine que l’époque féodale s’arrête à ces limites, qu’une autre société a déjà commencé. » Aussi le château féodal ne prend-il son véritable caractère défensif que lorsqu’il est isolé, que lorsqu’il est éloigné des grandes villes riches et populeuses, et qu’il domine la petite ville, la bourgade, ou le village. Alors il profite des dispositions du terrain avec grand soin, s’entoure de précipices, de fossés ou de cours d’eau. Quand il tient à la grande ville, il en devient la citadelle, est obligé de subordonner ses défenses à celles des enceintes urbaines, de se placer au point d’où il peut rester maître du dedans et du dehors. Pour nous faire bien comprendre en peu de mots, on peut dire que le véritable château féodal, au point de vue de l’art de la fortification, est celui qui, ayant d’abord choisi son assiette, voit peu à peu les habitations se grouper autour de lui. Autre chose est le château dont la construction étant postérieure à celle de la ville a dû subordonner son emplacement et ses dispositions à la situation et aux dispositions défensives de la cité. À Paris, le Louvre de Philippe Auguste fut évidemment construit suivant ces dernières données. Jusqu’au règne de ce prince, les rois habitaient ordinairement le palais sis dans la cité. Mais lorsque la ville de Paris eut pris un assez grand développement sur les deux rives, cette résidence centrale ne pouvait convenir à un souverain, et elle devenait nulle comme défense. Philippe Auguste en bâtissant le Louvre posait une citadelle sur le point de la ville où les attaques étaient le plus à craindre, où son redoutable rival Richard devait se présenter ; il surveillait les deux rives de la Seine en aval de la cité, et commandait les marais et les champs qui, de ce point, s’étendaient jusqu’aux rampes de Chaillot, et jusqu’à Meudon. En entourant la ville de murailles, il avait le soin de laisser son nouveau château, sa citadelle, en dehors de leur enceinte, afin de conserver toute sa liberté de défense. On voit dans ce plan de Paris (18), comme nous l’avons dit plus haut, qu’outre le Louvre A, d’autres établissements fortifiés sont disséminés autour de l’enceinte ; H est le château du Bois entouré de jardins, maison de plaisance du roi. En L est l’hôtel des ducs de Bretagne. En C le palais du roi Robert et le monastère de Saint-Martin des Champs entouré d’une enceinte fortifiée. En B, le Temple formant une citadelle séparée, avec ses murailles et son donjon. En G l’hôtel de Vauvert bâti par le roi Robert, et entouré d’une enceinte[48].
Plus tard, pendant la prison du roi Jean, il fallut reculer cette enceinte, la ville s’étendant toujours, surtout du côté de la rive droite (19), le Louvre, le Temple se trouvèrent compris dans les nouveaux murs, mais des portes bien défendues, munies de barbacanes, purent tenir lieu de forts détachés, et du côté de l’est Charles V fit bâtir la bastille Saint-Antoine S, qui commandait les faubourgs et appuyait l’enceinte. Le palais des Tournelles R renforça encore cette partie de la ville, et d’ailleurs le Temple et le Louvre, conservant leurs enceintes, formaient avec la Bastille comme autant de citadelles intérieures. Nous avons déjà dit que le système de fortifications du moyen âge ne se prêtait pas à des défenses étendues ; il perdait de sa puissance en occupant un trop grand périmètre, lorsqu’il n’était pas accompagné de ces forteresses avancées qui divisaient les forces des assiégeants et empêchaient les approches. Nous avons vu à Carcassonne (fig. 11) une ville d’une petite dimension bien défendue par l’art et la nature du terrain ; mais le château fait partie de la cité, il n’en est que la citadelle, et n’a pas le caractère d’un château féodal, tandis qu’à Coucy, par exemple (20), bien que le château soit annexé à une ville, il en est complètement indépendant et conserve son caractère de château féodal. Ici la ville bâtie en C est entourée d’une assez forte enceinte ; entre elle et le château B il existe une esplanade, sorte de place d’armes A, ne communiquant avec la ville que par la porte E, qui se défend des deux côtés, mais surtout contre la ville. Le château, bâti sur le point culminant de la colline, domine des escarpements fort roides et est séparé de la place d’armes par un large fossé D. Si la ville était prise, la place d’armes et ensuite le château servaient de refuges assurés à la garnison. C’était dans l’espace A qu’étaient disposées les écuries, les communs, et les logements de la garnison tant qu’elle n’était pas obligée de se retirer dans l’enceinte du château ; des poternes percées dans les courtines de la place d’armes permettaient de faire des sorties, ou de recevoir des secours du dehors, si les ennemis tenaient la ville, et n’étaient pas en nombre suffisant pour garder la cité et bloquer le château. Beaucoup de villes présentaient des dispositions défensives analogues à celles-ci ; Guise, Château-Thierry, Châtillon-sur-Seine, Falaise, Meulan, Dieppe, Saumur, Bourbon l’Archambaut, Montfort l’Amaury, Montargis, Boussac, Orange, Hyères, Loches, Chauvigny en Poitou, etc. Dans cette dernière cité trois châteaux dominaient la ville à la fin du XIVe siècle, tous trois bâtis sur une colline voisine, et étant indépendants les uns des autres. Ces cités, dans lesquelles les défenses étaient ainsi divisées, passaient avec raison pour être très-fortes ; souvent des armées ennemies, après s’être emparées des fortifications urbaines, devaient renoncer à faire le siége du château, et poursuivant leurs conquêtes laissaient sans pouvoir les entamer des garnisons qui le lendemain de leur départ reprenaient la ville et inquiétaient leurs derrières. Certes, si la féodalité eût été unie, aucun système n’était plus propre à arrêter les progrès d’une invasion que ce morcellement de la défense, et cela explique même l’incroyable facilité avec laquelle se perdaient alors des conquêtes de province ; car il était impossible d’assurer comme aujourd’hui les résultats d’une campagne par la centralisation du pouvoir militaire et par une discipline absolue. Si le pays conquis était divisé en une quantité de seigneuries qui se défendaient chacune pour leur compte plutôt encore que pour garder la foi jurée au suzerain, les armées étaient composées de vassaux qui ne devaient, d’après le droit féodal, que quarante ou soixante jours de campagne, après lesquels chacun retournait chez soi, lorsque le suzerain ne pouvait prendre ses troupes à solde. Sous ce rapport dès la fin du XIIIe siècle la monarchie anglaise avait acquis une grande supériorité sur la monarchie française. La féodalité anglo-normande formait un faisceau plus un que la féodalité française ; elle l’avait prouvé en se faisant octroyer la grande charte, et était par suite de cet accord intimement liée au suzerain. Cette forme de gouvernement, relativement libérale, avait amené l’aristocratie anglaise à introduire dans ses armées des troupes de gens de pied pris dans les villes, qui étaient déjà disciplinés, habiles à tirer de l’arc, et qui déterminèrent le gain de presque toutes les funestes batailles du XIVe siècle, Crécy, Poitiers, etc. Le même sentiment de défiance qui faisait que le seigneur féodal français isolait son château de la ville placée sous sa protection, ne lui permettait pas de livrer des armes aux bourgeois, de les familiariser avec les exercices militaires ; il comptait sur ses hommes, sur la bonté de son cheval et de son armure, sur son courage surtout, et méprisait le fantassin qu’il n’employait en campagne que pour faire nombre, le comptant d’ailleurs pour rien au moment de l’action. Cet esprit qui fut si fatal à la France à l’époque des guerres avec les anglais, et qui fut cause de la perte des armées françaises dans maintes batailles rangées pendant le XIVe siècle, malgré la supériorité incontestable de la gendarmerie féodale de ce pays, était essentiellement favorable au développement de l’architecture militaire ; et, en effet, nulle part en Occident, on ne rencontre de plus nombreuses, de plus complètes et plus belles fortifications féodales, pendant les XIIIe et XIVe siècles, qu’en France (voy. Château, Donjon, Tour, Porte)[49]. C’est dans les châteaux féodaux surtout qu’il faut étudier les dispositions militaires ; c’est là qu’elles se développent du XIIe au XIVe siècle avec un luxe de précautions, une puissance de moyens extraordinaires. Nous avons distingué déjà les châteaux, servant de refuges, de citadelles, aux garnisons des villes, se reliant aux enceintes urbaines, des châteaux isolés dominant des villages, des bourgades et des petites villes ouvertes, ou commandant leurs défenses, et ne s’y rattachant que par des ouvrages intermédiaires. Parmi ces châteaux il en était de plusieurs sortes, les uns se composaient d’un simple donjon entouré d’une enceinte et de quelques logements, d’autres comprenaient de vastes espaces enclos de fortes murailles, des réduits isolés, un ou plusieurs donjons ; placés sur des routes, ils pouvaient intercepter les communications, et formaient ainsi des places fortes, vastes et d’une grande importance sous le point de vue militaire, exigeant pour les bloquer une armée nombreuse, pour les prendre, un attirail de siége considérable et un temps fort long. Les châteaux, ou plutôt les groupes de châteaux de Loches et de Chauvigny, que nous avons déjà cités, étaient de ce nombre[50]. Autant que faire se pouvait, on profitait des escarpements naturels du terrain pour planter les châteaux ; car ils se trouvaient ainsi à l’abri des machines de guerre, de la sape ou de la mine ; l’attaque ne se faisant que de très-près, et les machines de jet ne pouvant élever leurs projectiles qu’à une hauteur assez limitée, il y avait avantage à dominer l’assaillant soit par les escarpements des rochers, soit par des constructions d’une grande élévation, en se réservant dans la construction intérieure des tours et courtines le moyen de battre l’ennemi extérieur au niveau du plan de l’attaque. Nous avons vu que les tours de l’époque romane ancienne étaient pleines dans leur partie inférieure, et les courtines terrassées. Dès le commencement du XIIe siècle on avait reconnu l’inconvénient de ce mode de construction qui ne donnait à l’assiégé que le sommet de ces tours et courtines pour se défendre, et livrait tous les soubassements aux mineurs ou pionniers ennemis ; ceux-ci pouvaient poser des étançons sous les fondations, et faire tomber de larges pans de murailles en mettant le feu à ces étais, ou creuser une galerie de mine sous ces fondations et terrassements, et déboucher dans l’intérieur de l’enceinte.Pour prévenir ces dangers les constructeurs militaires établirent, dans les tours, des étages depuis le sol des fossés ou le niveau de l’eau, ou l’arase de l’escarpement de rocher ; ces étages furent percés de meurtrières, se chevauchant ainsi que l’indique la figure 21, de manière à envoyer des carreaux sur tous les points de la circonférence des tours autant que faire se pouvait ; ils en établirent également dans les courtines, surtout lorsqu’elles servaient de murs à des logis divisés en étages, ce qui dans les châteaux avait presque toujours lieu. Les pionniers arrivaient ainsi plus difficilement au pied des murs, car il leur fallait se garantir non-seulement contre les projectiles jetés de haut en bas, mais aussi contre les traits décochés obliquement et horizontalement par les meurtrières ; s’ils parvenaient à faire un trou au pied du mur ou de la tour, ils devaient se trouver en face d’un corps d’assiégés qui, prévenus par les coups de la sape, avaient pu élever une palissade ou un second mur en arrière de ce trou, et rendre leur travail inutile. Ainsi, lorsque l’assaillant avait, au moyen de ses engins, démonté les hourds, écrêté les créneaux, comblé les fossés, lorsque avec ses compagnies d’archers ou d’arbalétriers, balayant le sommet des remparts, il avait ainsi rendu le travail des pionniers possible, ceux-ci, à moins qu’ils ne fussent très-nombreux et hardis, qu’ils pussent entreprendre de larges tranchées et faire tomber un ouvrage entier, trouvaient derrière le percement un ennemi qui les attendait dans les salles basses ou niveau du sol. L’assaillant eût-il pénétré dans ces salles en tuant les défenseurs, qu’il ne pouvait monter aux étages supérieurs que par des escaliers étroits facilement barricadés, et munis de portes ou de grilles.
Nous devons observer que les défenses extérieures, les tours des lices, étaient percées de meurtrières permettant à l’assiégé un tir rasant, afin de défendre les approches à une grande distance, tandis que les meurtrières des tours et courtines des secondes enceintes étaient percées de façon à faciliter le tir plongeant. Toutefois ces ouvertures, qui n’avaient à l’extérieur que 0m, 10 de largeur environ, et 1m, à 1m, 50 à l’intérieur, servaient plutôt à reconnaître les mouvements des assiégeants et à donner du jour et de l’air dans les salles des tours qu’à la défense ; elles battaient les dehors suivant un angle trop aigu, surtout quand les murs des tours sont épais, pour qu’il fût possible de nuire sérieusement aux assaillants, en décochant des carreaux, des sagettes ou viretons par ces fentes étroites (voy. Tour) ; la véritable défense était disposée au sommet des ouvrages. Là, en temps de paix, et quand les hourds n’étaient pas montés, le mur du parapet dont l’épaisseur varie de 0m, 50 à 0m, 70, percé d’archères rapprochées, dont l’angle d’ouverture est presque droit, battait tous les points des dehors ; les créneaux, munis de portières en bois roulant sur un axe horizontal et qu’on relevait plus ou moins au moyen d’une crémaillère suivant que l’ennemi était plus ou moins éloigné, permettaient de découvrir facilement les fossés et la campagne en restant à couvert (voy. Créneau, Meurtrière).
Les tours rondes flanquant les courtines résistaient mieux à la sape et aux coups du bélier que les tours carrées ; aussi avaient-elles été adoptées généralement dès les premiers siècles du moyen âge ; mais jusqu’à la fin du XIIe siècle leur diamètre était petit ; elles ne pouvaient contenir qu’un nombre très-restreint de défenseurs, leur circonférence peu étendue ne permettait d’ouvrir que deux ou trois meurtrières à chaque étage, et par conséquent elles battaient faiblement les deux courtines voisines ; leur diamètre fut augmenté au XIIIe siècle, lorsqu’elles furent munies d’étages jusqu’au niveau du fossé. Il était plus facile à un assiégeant de battre une tour qu’une courtine (22) ; car une fois logé au point A, du moment qu’il avait détruit ou brûlé les hourds de B en C, l’assiégé ne pouvait l’inquiéter, mais dans les enceintes des villes toutes les tours étant fermées à la gorge en D, lorsque l’assaillant avait fait un trou en A ou fait tomber la demi-circonférence extérieure de la tour, il n’était pas dans la ville, et trouvait de nouvelles difficultés à vaincre, c’est pourquoi dans les siéges des places on s’attaquait de préférence aux courtines, quoique les approches en fussent plus difficiles que celles des tours (23) ; l’assiégeant, arrivé au point A après avoir détruit les défenses supérieures des tours B C, et fait son trou ou sa brèche, était dans la ville, à moins, ce qui arrivait souvent, que les assiégés n’eussent élevé promptement un second mur E F ; mais il était rare que ces défenses provisoires pussent tenir longtemps. Toutefois, dans les siéges bien dirigés, l’assaillant faisait toujours plusieurs attaques simultanées, les unes au moyen de la mine, d’autres par la sape, d’autres enfin (et celles-là étaient les plus terribles) au moyen des beffrois roulants ; car une fois le beffroi amené le long des murailles, la réussite de l’assaut n’était pas douteuse. Mais pour pouvoir amener sans risquer de les voir brûler par les assiégés, ces tours de bois contre le parapet, il fallait détruire les hourds ou crêtes des courtines et tours voisines, ce qui exigeait l’emploi de nombreux engins et beaucoup de temps. Il fallait combler solidement les fossés, s’être assuré, lorsque le fossé était sec, que l’assiégé n’avait pas miné le fond de ce fossé sous le point où la tour était dirigée, ce qu’il ne manquait pas de tenter, lorsque la nature du sol ne s’y opposait pas. À la fin du XIIIe siècle déjà, on avait senti la nécessité, pour mieux battre les courtines, non-seulement d’augmenter le diamètre des tours, et de rendre par conséquent la destruction de leurs défenses supérieures plus longue et plus difficile, mais encore d’augmenter leurs flancs en les terminant à l’extérieur par un bec saillant qui leur donnait déjà la forme d’une corne (24). Ce bec A avait plusieurs avantages : 1o il augmentait considérablement la force de résistance de la maçonnerie de la tour au point où on pouvait tenter de la battre avec le mouton ou de la saper ; 2o il défendait mieux les courtines en étendant les flancs des hourds B C qui se trouvaient ainsi se rapprocher d’une ligne perpendiculaire aux remparts (voy. Tour) ; 3o en éloignant les pionniers, il permettait aux défenseurs placés dans les hourds des courtines en D, de les découvrir suivant un angle beaucoup moins aigu que lorsque les tours étaient circulaires, et par conséquent de leur envoyer des projectiles de plus près. À Carcassonne les becs sont disposés ainsi que l’indique en plan la figure 24. Mais au château de Loches, comme à Provins à la porte Saint-Jean, on leur donnait la forme en plan de deux courbes brisées (24 bis) ; à la porte de Jouy de la même ville (24 ter), ou aux portes de Villeneuve-le-Roi, la forme d’ouvrages rectangulaires posés en pointe, de manière à battre obliquement l’entrée et les deux courtines voisines. On avait donc reconnu dès le XIIIe siècle l’inconvénient des tours rondes, leur faiblesse au point de la tangente parallèle aux courtines (voy. Porte). L’emploi de ces moyens paraît avoir été réservé pour les places très-fortement défendues, telles que Carcassonne, Loches, etc., car parfois à la fin du XIIIe siècle, dans des places de second ordre, on se contentait de tours carrées peu saillantes pour défendre les courtines, ainsi qu’on peut le voir encore de nos jours sur l’un des fronts de l’enceinte d’Aigues-Mortes (25), dont les remparts (sauf la tour de Constance A qui avait été bâtie par saint Louis et qui servait de donjon et de phare) furent élevés par Philippe le Hardi[51]. Mais c’est aux angles saillants des places que l’on reconnut surtout la nécessité de disposer des défenses d’une grande valeur. Comme encore aujourd’hui, l’assaillant regardait un angle saillant comme plus facile d’accès qu’un front flanqué. Les armes de jet n’étant pas d’une grande portée jusqu’au moment de l’emploi du canon, les angles saillants ne pouvant être protégés par des défenses éloignées étaient faibles (26) ; et lorsque l’assaillant avait pu se loger en A, il était complètement masqué pour les défenses rapprochées. Il fallait donc que les tours du coin, comme on les appelait généralement alors, fussent très-fortes par elles-mêmes. On les bâtissait sur une circonférence plus grande que les autres, on les tenait plus haute, on multipliait les obstacles à leur base à l’extérieur, par des fossés plus larges, des palissades, quelquefois même des ouvrages avancés, on les armait de becs saillants, on les isolait des courtines voisines, on avait le soin de bien munir les deux tours en retour[52], et parfois de réunir ces tours par un second rempart intérieur (26 bis)[53]. On évitait d’ailleurs autant que possible ces angles saillants dans les places bien fortifiées, et lorsqu’ils existaient, c’est qu’ils avaient été imposés par la configuration du terrain, afin de dominer un escarpement, de commander une route ou une rivière, et pour empêcher l’ennemi de s’établir de plain-pied au niveau de la base des remparts. Jusqu’au XIVe siècle les portes étaient munies de vantaux bien doublés, de herses, de mâchicoulis, de bretèches à doubles et triples étages, mais elles ne possédaient pas de ponts-levis. Dans les châteaux, souvent des ponts volants en bois, qu’on enlevait en cas de siége, interceptaient complètement les communications avec le dehors ; mais dans les enceintes des villes, des barrières palissadées ou des barbacanes défendaient les approches ; du reste, une fois la barrière prise, on entrait ordinairement dans la ville de plain-pied. Ce ne fut guère qu’au commencement du XIVe siècle que l’on commença d’établir à l’entrée des ponts jetés sur les fossés, devant les portes, des ponts-levis en bois tenant aux barrières (27), ou à des ouvrages avancés en maçonnerie (28)[54]. Puis bientôt, vers le milieu du XIVe siècle, on appliqua le pont-levis aux portes elles-mêmes, ainsi qu’on peut le voir au fort de Vincennes, entre autres exemples (voy. Pont-levis). Cependant, nous devons dire que dans beaucoup de cas, même pendant les XIVe et XVe siècles, les ponts-levis furent seulement attachés aux ouvrages avancés. Ces ponts-levis étaient disposés comme ceux généralement employés aujourd’hui, c’est-à-dire, composés d’un tablier en charpente qui se relevait sur un axe, au moyen de deux chaînes, de leviers et de contre-poids ; en se relevant, le tablier fermait (comme il ferme encore dans nos forteresses) l’entrée du passage. Mais on employait pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, d’autres genres de fermetures à bascule ; on avait le tapecu, spécialement adapté aux poternes, et qui roulant sur un axe placé horizontalement au sommet du vantail retombait sur les talons du sortant (29). Les portes de barrières qui roulaient sur des axes horizontaux posés vers la moitié de leur hauteur (30), l’une des deux moitiés servant de contre-poids à l’autre.
Nous avons vu comment pendant les XIIe et XIIIe siècles il était d’usage de garnir les sommets des tours et courtines de hourds en bois. Il n’est pas besoin de dire que les assaillants, au moyen des machines de jet, cherchaient à briser ces hourds avec des pierres, ou à les incendier avec des projectiles enflammés, ce à quoi ils parvenaient facilement, si les murailles n’étaient pas d’une très-grande élévation, ou si les hourds n’étaient pas garnis de peaux fraîches. Déjà vers le milieu du XIIIe siècle on avait cherché à rendre les hourds en charpente moins faciles à brûler en les portant sur des consoles formées d’encorbellements de pierre. C’est ainsi qu’à Coucy les hourds des portes de la ville, des tours et du donjon, qui datent de cette époque, étaient supportés (voy. Hourd). Mais encore les parements et les planchers de ces hourds pouvaient-ils prendre feu. Au XIVe siècle, pendant les guerres de cette époque, où tant de villes en France furent incendiées et pillées, « arses et robées », comme dit Froissart, on remplaça presque partout les hourds de charpente par des bretèches continues de pierre, qui présentaient tous les avantages des hourds, en ce qu’elles battaient le pied des murailles, sans en avoir les inconvénients ; ces nouveaux couronnements ne pouvaient être incendiés et résistaient mieux aux projectiles lancés par les engins ; ils étaient fixes et ne se posaient pas seulement en temps de guerre comme les hourds de bois. Mais pour offrir un large chemin de ronde aux défenseurs, et une saillie sur le nu des murs qui permît d’ouvrir des mâchicoulis d’une bonne dimension, il fallut bientôt modifier tout le système de la construction des parties supérieures des défenses.
Au moyen des hourds de bois non-seulement on ajoutait au chemin de ronde en maçonnerie fixe A (32) une coursière B percée de mâchicoulis en C et d’archères en D, mais on augmentait encore souvent la largeur des chemins de ronde, soit en faisant déborder les hourds à l’intérieur de la ville en E, soit en ajoutant au chemin de ronde des planchers de bois F dont les solives entraient dans des trous ménagés de distance en distance sous la tablette du boulevard, et étaient supportées par des poteaux G. Ces suppléments de défenses étaient ordinairement réservés pour les courtines qui paraissaient faibles, et dont les approches étaient faciles[56]. Les hourds avaient l’avantage de laisser subsister le parapet de pierre H, et de conserver encore une défense debout derrière eux, lorsqu’ils étaient brisés ou brûlés. On obtenait difficilement avec les bretèches et mâchicoulis de pierre ces grands espaces et ces divisions utiles à la défense ; voici comme on procédait pour les courtines que l’on tenait à bien munir (33). On posait des corbeaux les uns sur les autres formant encorbellements espacés environ de 0m,70 à 1m,20 au plus d’axe en axe. Sur l’extrémité de ces corbeaux on élevait un parapet crénelé B de 0m,33 à 0m,40 en pierre, et de 2 mètres de haut. Pour maintenir la bascule des corbeaux en C, on montait un mur percé de portes et d’ouvertures carrées de distance en distance, et qui était assez haut pour donner à la couverture D l’inclinaison convenable. Derrière le mur C on établissait des coursières de bois L, qui remplaçaient les chemins E des hourds de bois (fig. 32), et qui étaient nécessaires à l’approvisionnement des parapets et à la circulation, sans gêner les arbalétriers ou archers postés en G (fig. 33).
Pour les tours on fit mieux encore (34). Disposant l’étage des mâchicoulis G comme celui des courtines, on suréleva le mur C d’un étage H percé de créneaux ou de meurtrières, et même quelquefois à la chute des combles en I on ménagea encore un chemin découvert crénelé. Ainsi le chemin G eût-il été pris par escalade, ou au moyen des beffrois mobiles, après la destruction des parapets B, qu’en barricadant les portes K on pouvait encore culbuter l’assaillant qui serait parvenu à se loger en G sur un espace sans issues, en lui jetant par les créneaux des étages H et I des pierres, madriers et tous autres projectiles. Le manuscrit de Froissart, de la bibliothèque Impériale, que nous avons déjà cité, donne dans ses vignettes un grand nombre de tours disposées de cette manière (35)[57].
Beaucoup de ces figures font voir que l’on conservait avec les mâchicoulis de pierre des hourds de bois A, maintenus pour la défense des courtines ; et, en effet, ces deux défenses furent longtemps appliquées ensemble, les bretèches et hourds de bois étant beaucoup moins dispendieux à établir que les mâchicoulis de pierre (voy. Mâchicoulis). Le château de Pierrefonds, bâti pendant les dernières années du XIVe siècle, présente encore d’une manière bien complète ces sortes de défenses supérieures.
Dans les provinces du midi et de l’ouest ces sortes de mâchicoulis étaient fort en usage au XIVe siècle ; et ils étaient préférables aux mâchicoulis des hourds de bois ou des parapets de pierre posant sur des corbeaux, en ce qu’ils étaient continus, non interrompus par les solives ou les consoles, et qu’ils permettaient ainsi de jeter sur l’assaillant, le long du mur, de longues et lourdes pièces de bois qui tombant en travers, brisaient infailliblement les chats et pavois, sous lesquels se tenaient les pionniers.
L’art de la fortification qui avait fait, au commencement du XIIIe siècle, un grand pas, et qui était resté à peu près stationnaire pendant le cours de ce siècle, fit de nouveaux progrès en France pendant les guerres de 1330 à 1400. Quand Charles V eut ramené l’ordre dans le royaume, et repris un nombre considérable de places aux Anglais, il fit réparer ou reconstruire presque toutes les défenses des villes ou châteaux reconquis, et dans ces nouvelles défenses il est facile de reconnaître une méthode, une régularité qui indiquent un art avancé et basé sur des règles fixes. Le château de Vincennes en est un exemple (41)[60]. Bâti en plaine, il n’y avait pas à profiter là de certaines dispositions particulières du terrain ; aussi son enceinte est-elle parfaitement régulière, ainsi que le donjon et ses défenses. Toutes les tours sont barlongues ou carrées, mais hautes, épaisses et bien munies à leur sommet d’échauguettes saillantes flanquant les quatre faces ; le donjon est également flanqué aux angles de quatre tournelles ; les distances entre les tours sont égales ; celles-ci sont fermées et peuvent se défendre séparément[61]. Le château de Vincennes fut commencé par Philippe de Valois et achevé par Charles V, sauf la chapelle, qui ne fut terminée que sous François Ier et Henri II.Le système féodal était essentiellement propre à la défense et à l’attaque des places ; à la défense, en ce que les seigneurs et leurs hommes vivaient continuellement dans ces forteresses qui protégeaient leur vie et leur avoir, ne songeaient qu’à les améliorer et les rendre plus redoutables chaque jour, afin de pouvoir défier l’ambition de leurs voisins ou imposer des conditions à leur suzerain. À l’attaque, en ce que, pour s’emparer d’une forteresse alors, il fallait en venir aux mains chaque jour, disposer par conséquent de troupes d’élite, braves, et que la vigueur et la hardiesse faisaient plus que le nombre des assaillants, ou les combinaisons savantes de l’attaque. Les perfectionnements dans l’art de défendre et d’attaquer les places fortes étaient déjà très-développés en France, alors que l’art de la guerre de campagne était resté stationnaire. La France possédait des troupes d’élite excellentes composées d’hommes habitués aux armes dès leur enfance, braves jusqu’à la témérité, et elle n’avait pas d’armées ; son infanterie ne se composait que de soudoyers gênois, brabançons, allemands, et de troupes irrégulières des bonnes villes, mal armées, n’ayant aucune notion des manœuvres, indisciplinées, plus embarrassantes qu’utiles dans une action. Ces troupes se débandaient au premier choc, se précipitaient sur les réserves et mettaient le désordre dans les escadrons de gendarmerie[62]. Le passage de Froissart que nous donnons en note tout au long, fait comprendre ce qu’était pendant la première moitié du XIVe siècle une armée française, et quel peu de cas la noblesse faisait de ces troupes de bidauds, de brigands[63] d’arbalétriers génois, de l’infanterie enfin. Les Anglais commencèrent à cette époque à mettre en ligne une infanterie nombreuse, disciplinée, exercée au tir de l’arc[64], se servant déjà d’armes à feu[65]. La supériorité de la chevalerie, jusqu’alors incontestable, était à son déclin ; la gendarmerie française ne fit en rase campagne que se précipiter de défaites en défaites jusqu’au moment où du Guesclin organisa des compagnies de fantassins aguerris et disciplinés, et par l’ascendant de son mérite comme capitaine, parvint à mieux diriger la bravoure de sa chevalerie. Ces transformations dans la composition des armées, et l’emploi du canon, modifièrent nécessairement l’art de la fortification, lentement il est vrai, car la féodalité se pliait difficilement aux innovations dans l’art de la guerre ; il fallut qu’une longue et cruelle expérience lui apprît, à ses dépens, que la bravoure seule ne suffisait pas pour gagner des batailles ou prendre des places ; que les fortes et les hautes murailles de ses châteaux n’étaient pas imprenables pour un ennemi procédant avec méthode, ménageant son monde et prenant le temps de faire des travaux d’approche. La guerre de siége pendant le règne de Philippe de Valois n’est pas moins intéressante à étudier que la guerre de campagne ; l’organisation et la discipline des troupes anglaises leur donne une supériorité incontestable sur les troupes françaises dans l’une comme dans l’autre guerre. À quelques mois de distance, l’armée française, sous les ordres du duc de Normandie[66], met le siége devant la place d’Aiguillon, située au confluent du Lot et de la Garonne, et le roi d’Angleterre assiége Calais. L’armée française nombreuse, que Froissart évalue à près de cent mille hommes, composée de la fleur de la chevalerie, après de nombreux assauts, des traits de bravoure inouïs, ne peut entamer la forteresse ; le duc de Normandie, ayant déjà perdu beaucoup de monde, se décide à faire un siége en règle : « Lendemain (de l’attaque infructueuse du pont du château) vinrent deux maîtres engigneurs au duc de Normandie et aux seigneurs de son conseil, et dirent que, si on les vouloit croire et livrer bois et ouvriers à foison, ils feroient quatre grands kas[67] forts et hauts sur quatre grands forts nefs et que on méneroit jusques aux murs du châtel, et seroient si hauts qu’ils surmonteroient les murs du château. À ces paroles entendit le duc volontiers, et commande que ces quatre kas fussent faits, quoi qu’ils dussent coûter, et que on mît en œuvre tous les charpentiers du pays, et que on leur payât largement leur journée, parquoi ils ouvrissent plus volontiers et plus appertement. Ces quatre kas furent faits à la devise[68] et ordonnance des deux maîtres, en quatre fortes nefs ; mais on y mit longuement, et coûta grands deniers. Quand ils furent parfaits, et les gens dedans entrés qui à ceux du châtel devoient combattre, et ils eurent passé la moitié de la rivière, ceux du châtel firent descliquer quatre martinets[69] qu’ils avoient nouvellement fait faire, pour remédier contre les quatre kas dessus dits. Ces quatre martinets jetèrent si grosses pierres et si souvent sur ces kas, qu’ils furent bientôt débrisés, et si froissés que les gens d’armes et ceux qui les conduisoient ne se purent dedans garantir. Si les couvint retraire arrière, ainçois qu’ils fussent outre la rivière ; et en fut l’un effondré au fond de l’eau ; et la plus grande partie de ceux qui étoient dedans noyés ; dont ce fut pitié et dommage : car il y avoit de bons chevaliers et écuyers, qui grand désir avoient de leurs corps avancer, pour honneur acquerre[70]. » Le duc de Normandie avait juré de prendre Aiguillon, personne dans son camp n’osait parler de déloger, mais les comtes de Ghines et de Tancarville allèrent trouver le roi à Paris. « Si lui recordèrent la manière et l’état du siége d’Aiguillon, et comment le duc son fils l’avoit fait assaillir par plusieurs assauts, et rien n’y conquéroit. Le roi en fut tout émerveillé, et ne remanda point adonc le duc son fils ; mais vouloit bien qu’il se tînt encore devant Aiguillon, jusques à tant qu’il les eût contraints et conquis par la famine, puisque par assaut ne les pouvoit avoir. »
Ce n’est pas avec cette téméraire imprévoyance que procède le roi d’Angleterre ; il débarque à la Hague, à la tête d’une armée peu nombreuse, mais disciplinée ; il marche à travers la Normandie en ayant toujours le soin de flanquer le gros de son armée de deux corps de troupes légères commandées par des capitaines connaissant le terrain, qui battent le pays à droite et à gauche, et qui chaque soir viennent camper autour de lui. Sa flotte suit les côtes parallèlement à son armée de terre, de manière à lui ménager une retraite en cas d’échec ; il envoie après chaque prise dans ses vaisseaux les produits du pillage des villes. Il arrive aux portes de Paris, continue sa course victorieuse jusqu’en Picardie ; là il est enfin rejoint par l’armée du roi de France, la défait à Crécy, et se présente devant Calais. « Quand le roi d’Angleterre fut venu premièrement devant la ville de Calais, ainsi que celui qui moult la désiroit conquérir, il l’assiégea par grand’manière et de bonne ordonnance, et fit bâtir et ordonner entre la ville et la rivière et le pont de Nieulay hôtels et maisons, et charpenter de gros merrein, et couvrir les dites maisons, qui étoient assises et ordonnées par rues bien et faiticement, d’estrain[71] et de genêts, ainsi comme s’il dût là demeurer dix ou douze ans ; car telle étoit son intention qu’il ne s’en partiroit, par hiver ni par été, tant qu’il l’eût conquise, quel temps ni quelle poine il y dût mettre ni prendre. Et avoit en cette neuve ville du roi toutes choses nécessaires appartenant à un ost, et plus encore, et place ordonnée pour tenir marché le mercredi et le samedi ; et là étoient merceries, boucheries, halles de draps et de pain et de toutes autres nécessités ; et en recouvroit-on tout aisément pour son argent ; et tout ce leur venoit tous les jours, par mer, d’Angleterre et aussi de Flandre, dont ils étoient confortés de vivres et de marchandises. Avec tout ce, les gens du roi d’Angleterre couroient moult souvent sur le pays, en la comté de Ghines, en Therouenois, et jusques aux portes de Saint-Omer et de Boulogne ; si conqueroient et ramenoient en leur ost grand’foison de proie, dont ils étoient rafraîchis et ravitaillés. Et point ne faisoit le roi ses gens assaillir ladite ville de Calais, car bien savoit qu’il y perdroit sa peine et qu’il se travailleroit en vain. Si épargnoit ses gens et son artillerie, et disoit qu’il les affameroit, quelque long terme qu’il y dût mettre, si le roi Philippe de France derechef ne le venoit combattre et lever le siége. » Mais le roi Philippe arrive devant Calais à la tête d’une belle armée, aussitôt le roi d’Angleterre fait munir les deux seuls passages par lesquels les Français pouvaient l’attaquer, l’un de ces passages était par les dunes le long du rivage de la mer ; le roi d’Angleterre fait « traire toutes ses naves et ses vaisseaux par devers les dunes, et bien garnir et fournir de bombardes, d’arbalètres, d’archers et d’espringales, et de telles choses par quoi l’ost des François ne pût ni osât par là passer. » L’autre était le pont de Nieulay ; et fit le comte de Derby son cousin aller loger sur ledit pont de Nieulay, à grand’foison de gens d’armes et d’archers, afin que les François n’y pussent passer, si ils ne passoient parmi les marais, qui sont impossibles à passer. Entre le mont de Sangattes et la mer de l’autre côté devant Calais, avoit une haute tour que trente-deux archers anglois gardoient ; et tenoient là endroit le passage des dunes pour les François ; et l’avoient à leur avis[72] durement fortifiée de grands doubles fossés. » Les gens de Tournay attaquent la tour et la prennent en perdant beaucoup de monde ; mais les maréchaux viennent dire au roi Philippe qu’on ne pouvait passer outre sans sacrifier une partie de son armée. C’est alors que le roi des Français s’avise d’envoyer un message au roi d’Angleterre : « Sire, disent les envoyés, le roi de France nous envoie par devers vous et vous signifie qu’il est ci venu et arrêté sur le mont Sangattes pour vous combattre ; mais il ne peut ni voir ni trouver voie comment il puisse venir jusqu’à vous ; si en a-t-il grand désir pour désassiéger sa bonne ville de Calais. Si a fait aviser et regarder par ses maréchaux comment il pourroit venir jusques à vous ; mais c’est chose impossible. Si verroit volontiers que vous voulussiez mettre de votre conseil ensemble, et il mettroit du sien, et par l’avis de ceux, aviser place là où on se pût combattre ; et de ce sommes-nous chargés de vous dire et requerre[73]. »
Une lettre du roi d’Angleterre à l’archevêque d’York fait connaître que ce prince accepta la singulière proposition du roi Philippe II[74], mais qu’après des pourparlers, pendant lesquels l’armée assiégeante ne cessa de se fortifier davantage dans son camp et de garnir les passages, le roi des Français délogea subitement et licencia son monde le 2 août 1347.
Ce qui précède fait voir que déjà l’esprit militaire se modifiait en Occident, et dans la voie nouvelle, les Anglo-Normands nous avaient précédés. À chaque instant au XIVe siècle, l’ancien esprit chevaleresque des Français vient se heurter contre l’esprit politique des Anglais, contre leur organisation nationale, une déjà, et puissante par conséquent. L’emploi de la poudre à canon dans les armées et dans les siéges porta un nouveau et terrible coup à la chevalerie féodale. L’énergie individuelle, la force matérielle, la bravoure emportée, devaient le céder bientôt au calcul, à la prévoyance et à l’intelligence d’un capitaine, secondé par des troupes habituées à l’obéissance. Bertrand du Guesclin sert de transition entre les chevaliers des XIIe et XIIIe siècles et les capitaines habiles des XVe et XVIe siècles. Il faut dire qu’en France l’infériorité à la guerre n’est jamais de longue durée, une nation belliqueuse par instinct est plutôt instruite par ses revers encore que par ses succès. Nous avons dit un mot des défiances de la féodalité française à l’égard des classes inférieures, défiance qui était cause que dans les armées on préférait des soudoyers étrangers à des nationaux qui, une fois licenciés, ayant pris l’habitude des armes et du péril, se trouvant cent contre un, eussent pu se coaliser contre le réseau féodal, et le rompre. La royauté, gênée par les privilèges de ses vassaux, ne pouvait directement appeler les populations sous les armes ; pour réunir une armée elle convoquait les seigneurs, qui se rendaient à l’appel du suzerain avec les hommes qu’ils étaient tenus de fournir ; ces hommes composaient une brillante gendarmerie d’élite suivie de bidauds, de valets, de brigands, formant plutôt un troupeau embarrassant qu’une infanterie solide. Le roi prenait à solde, pour combler cette lacune, des arbalétriers génois, brabançons, des corporations des bonnes villes. Les premiers, comme toutes les troupes mercenaires, étaient plus disposés à piller qu’à se battre pour une cause qui leur était étrangère ; les troupes fournies par les grandes communes, turbulentes, peu disposées à s’éloigner de leurs foyers, ne devant qu’un service temporaire, profitaient du premier échec pour rentrer dans leurs villes, abandonnant la cause nationale qui n’existait pas encore à leurs yeux par suite du morcellement féodal. C’est avec ces mauvais éléments que les rois Philippe de Valois et Jean devaient lutter contre les armées anglaises et gasconnes déjà organisées, compactes, disciplinées et régulièrement payées. Ils furent battus, comme cela devait être. Les malheureuses provinces du nord et de l’ouest, ravagées par la guerre, brûlées et pillées, furent bientôt réduites au désespoir ; des hommes qui avaient tremblé devant une armure de fer, lorsque cette armure paraissait invincible, voyant la fleur de la noblesse française détruite par des archers anglais et des coutilliers gallois, par de simples fantassins, s’armèrent à leur tour ; que leur restait-il d’ailleurs ! et formèrent les terribles compagnies des Jacques. Ces troupes de soldats brigands, licenciées, abandonnées à elles-mêmes après les défaites, se ruaient sur les villes et les châteaux : « Et toujours gagnoient povres brigands, dit Froissart, à dérober et piller villes et châteaux, et y conquéroient si grand avoir que c’étoit merveille… ils épioient, telle fois étoit, et bien souvent, une bonne ville ou un bon châtel, une journée ou deux loin ; et puis s’assembloient vingt ou trente brigands, et s’en alloient tant de jour et de nuit, par voies couvertes que ils entroient en celle ville ou en cel châtel que épié avoient, droit sur le point du jour, et boutoient le feu en une maison ou en deux. Et ceux de la ville cuidoient que ce fussent mille armures de fer, qui vouloient ardoir leur ville : si s’enfuyoient qui mieux mieux, et ces brigands brisoient maisons, coffres et écrins, et prenoient quant qu’ils trouvoient, puis s’en alloient leur chemin, chargés de pillage… Entre les autres, eut un brigand en la Languedoc, qui en telle manière avisa et épia le fort châtel de Combourne qui sied en Limosin, en très fort pays durement. Si chevaucha de nuit à tout trente de ses compagnons, et vinrent à ce fort châtel, et l’échellèrent et gagnèrent, et prirent le seigneur dedans que on appelloit le vicomte de Combourne, et occirent toute la maisnée de léans, et mirent le seigneur en prison en son châtel même, et le tinrent si longuement, qu’il se rançonna à tout vingt-quatre mille écus tous appareillés. Et encore détint ledit brigand ledit châtel et le garnit bien, et en guerroya le pays. Et depuis, pour ses prouesses, le roi de France le voulut avoir de-lez lui, et acheta son châtel vingt mille écus ; et fut huissier d’armes du roi de France, et eu grand honneur de-lez le roi. Et étoit appellé ce brigand Bacon. Et étoit toujours monté de bons coursiers, de doubles roncins et de gros palefrois, et aussi bien armé comme un comte et vêtu très richement, et demeura en ce bon état tant qu’il vesqui[75]. » Voici le roi de France qui traite avec un soldat de fortune, lui donne une position supérieure, l’attache à sa personne ; le roi fait ici pour la défense du territoire un pas immense ; il va chercher les défenseurs du sol en dehors de la féodalité parmi des chefs sortis du peuple. C’est avec ces compagnies, ces soldats sans patrie, mais braves, habitués au métier des armes, avec ces routiers sans foi ni loi que du Guesclin va reconquérir une à une toutes les places fortes tombées entre les mains des Anglais. Les malheurs, le désespoir, avaient aguerri les populations, les paysans eux-mêmes tenaient la campagne et attaquaient les châteaux.
Pour conquérir une partie des provinces françaises, les Anglais n’avaient eu à lutter que contre la noblesse féodale ; après avoir pris ses châteaux et domaines, et ne trouvant pas de peuple sous les armes, ils ne laissèrent dans leurs places fortes que des garnisons isolées, peu nombreuses, quelques armures de fer soutenues d’un petit nombre d’archers ; les Anglais pensaient que la noblesse féodale française sans armée ne pouvait, malgré sa bravoure, reprendre ses châteaux. Grande fut aussi la surprise des capitaines anglais quand, à quelques années d’intervalle, ils se trouvèrent assaillis non plus seulement par une brillante chevalerie, mais par des troupes intrépides, disciplinées pendant le combat, obéissant aveuglément à la voix de leur chef, ayant foi en son courage et en son étoile, se battant avec sang-froid et possédant la ténacité, la patience et l’expérience de vieux soldats[76]. La féodalité avait, dès la fin du XIVe siècle, joué son rôle militaire comme elle avait joué son rôle politique. Son prestige était détruit, et Charles VII et Louis XI eurent de véritables armées régulières.
Si nous nous sommes étendus sur cette question, c’est qu’il nous a paru nécessaire de faire connaître les transformations par lesquelles l’art de la guerre a dû passer, afin de pouvoir rendre compte des différents systèmes de défense qui furent successivement adoptés du Xe au XVIe siècle. Il n’est pas besoin de démontrer tout ce qu’il y a d’impérieux dans l’art de la fortification ; ici tout doit être sacrifié au besoin de la défense, et cependant, telle était la puissance de la tradition féodale, qu’on emploie longtemps, et jusqu’à la fin du XVIe siècle, des formes, que l’on conserve des dispositions, qui ne se trouvaient nullement à la hauteur des nouveaux moyens d’attaque. C’est surtout aux fortifications des châteaux que cette observation s’applique. La féodalité ne pouvait se résoudre à remplacer ses hautes tours par des ouvrages bas et étendus ; pour elle le grand donjon de pierre épais et bien fermé était toujours le signe de la force et de la domination. Aussi le château passe-t-il brusquement, au XVIe siècle, de la fortification du moyen âge à la maison de plaisance (voy. Château).
Il n’en est pas de même pour les villes : par suite de ses désastres, la gendarmerie française perdait peu à peu de son ascendant. Indisciplinée, mettant toujours l’intérêt féodal avant l’intérêt national, elle en était pendant les guerres des XIVe et XVe siècles à jouer le rôle de partisans, surprenant des châteaux et des villes, les pillant et brûlant, les perdant le lendemain ; tenant tantôt pour un parti, tantôt pour un autre, suivant qu’elle y trouvait son intérêt du moment. Mais les corporations des bonnes villes qui ne savaient pas se battre à l’époque de la conquête d’Édouard III, s’étaient aguerries ; plus disciplinées, plus braves et mieux armées, elles présentaient déjà à la fin du XIVe siècle des troupes assez solides pour qu’on pût leur confier la garde de postes importants[77]. Vers le milieu de ce siècle on avait déjà fait emploi de bouches à feu, soit dans les batailles rangées soit dans les sièges[78]. Ce nouveau moyen de destruction devait changer et changea bientôt toutes les conditions de l’attaque et de la défense des places. Peu importante encore au commencement du XVe siècle, l’artillerie à feu prend un grand développement vers le milieu de ce siècle. « En France, dit l’illustre auteur déjà cité[79], la guerre de l’Indépendance contre les Anglais avait réveillé le génie guerrier de la nation, et, non-seulement l’héroïque Jeanne d’Arc s’occupait elle-même de diriger l’artillerie[80] ; mais deux hommes éminents sortis du peuple, les frères Bureau, apportèrent tous leurs soins à perfectionner les bouches à feu et à la conduite des siéges. Ils commencèrent à employer, quoique en petit nombre, les boulets de fer au lieu des boulets de pierre[81], et alors, un projectile du même poids occupant un plus petit volume, on put lui donner une plus grande quantité de mouvement, parce que la pièce, ayant un moindre calibre, offrit plus de résistance à l’explosion de la poudre.
Ce boulet plus dur ne se brisa plus et put pénétrer dans la maçonnerie ; il y eut avantage à augmenter sa vitesse en diminuant sa masse ; les bombardes devinrent moins lourdes, quoique leur effet fût rendu plus dangereux.
Au lieu d’élever des bastilles tout autour de la ville[82], les assiégeants établirent, devant les grandes forteresses, un parc entouré d’un retranchement situé dans une position centrale, hors de la portée du canon. De ce point, ils conduisirent un ou deux boyaux de tranchée vers les pointes où ils placèrent leurs batteries[83]… Nous sommes arrivés au moment où les tranchées furent employées comme moyen d’approche concurremment avec les couverts en bois… Aux frères Bureau revient l’honneur d’avoir les premiers fait l’emploi le plus judicieux de l’artillerie à feu dans les siéges. De sorte que les obstacles tombèrent devant eux, les murailles frappées ne résistaient plus à leurs boulets et volaient en éclats. Les villes que défendaient les Anglais et qu’ils avaient mis des mois entiers à assiéger, lors de leur invasion, furent enlevées en peu de semaines. Ils avaient employé quatre mois à assiéger Harfleur, en 1440 ; huit mois à assiéger Rouen, en 1418 ; dix mois à s’emparer de Cherbourg, en 1418, tandis qu’en 1450, toute la conquête de la Normandie, qui obligea à entreprendre soixante siéges, fut accomplie par Charles VII en un an et six jours[84].
« L’influence morale exercée par la grosse artillerie est devenue si grande qu’il suffit de son apparition pour faire rendre les villes.
«… Disons-le donc, en l’honneur de l’arme, c’est autant aux progrès de l’artillerie qu’à l’héroïsme de Jeanne d’Arc, que la France est redevable d’avoir pu secouer le joug étranger de 1428 à 1450. Car, la crainte que les grands avaient du peuple, les dissensions des nobles eussent peut-être amené la ruine de la France, si l’artillerie, habilement conduite, ne fût venue donner au pouvoir royal une force nouvelle, et lui fournir à la fois le moyen de repousser les ennemis de la France et de détruire les châteaux de ces seigneurs féodaux qui n’avaient point de patrie.
« Cette période de l’histoire signale une ère nouvelle. Les Anglais ont été vaincus par les armes à feu, et le roi, qui a reconquis son trône avec des mains plébéiennes, se voit pour la première fois à la tête de forces qui n’appartiennent qu’à lui. Charles VII, qui naguère empruntait aux villes leurs canons pour faire les siéges, possède une artillerie assez nombreuse pour établir des attaques devant plusieurs places à la fois, ce qui excite à juste titre l’admiration des contemporains. Par la création des compagnies d’ordonnance et par l’établissement des francs-archers, le roi acquiert une cavalerie et une infanterie indépendantes de la noblesse… »
L’emploi des bouches à feu dans les siéges dut avoir pour premier résultat de faire supprimer partout les hourds et bretèches en bois, et dut contribuer à l’établissement des mâchicoulis et parapets crénelés de pierre portés sur corbeaux en saillie sur le nu des murs. Car les premières bouches à feu paraissent être souvent employées non-seulement pour lancer des pierres rondes en bombe, comme les engins à contre-poids, mais aussi des projectiles incendiaires, des barillets contenant une composition inflammable et détonante, telle que le feu grégeois décrit par Joinville, et connu dès le XIIe par les Arabes. À la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe, les artilleurs emploient déjà les canons à lancer des boulets de pierre, de plomb ou de fer, horizontalement ; on ne s’attaque plus alors seulement aux créneaux et aux défenses supérieurs des murailles, mais on les bat en brèche à la base ; on établit de véritables batteries de siége. Au siége d’Orléans, en 1428, les Anglais jettent dans la ville, avec leurs bombardes, un nombre considérable de projectiles de pierre qui passent par-dessus les murailles et crèvent les toits des maisons. Mais du côté des Français on trouve une artillerie dont le tir est de plein fouet et qui cause de grandes pertes aux assiégeants ; un boulet tue le comte de Salisbury qui observait la ville par l’une des fenêtres des tournelles[85]. C’est un homme sorti du peuple, maître Jean, Lorrain, qui dirige l’artillerie de la ville.
Pour assiéger la ville, les Anglais suivent encore l’ancien système des bastilles de bois et des boulevards ; ils finissent par être assiégés à leur tour par ceux d’Orléans ; perdent successivement leurs bastilles qui sont détruites par le feu de l’artillerie française ; attaqués vigoureusement, ils sont obligés de lever le siége en abandonnant une partie de leur matériel ; car l’artillerie à feu de siége, comme tous les engins employés jusqu’alors, avait l’inconvénient d’être difficilement transportable, et ce ne fut guère que sous Charles VII et Louis XI que les pièces de siége, aussi bien que celles de campagne, furent montées sur roues ; on continua cependant d’employer les bombardes (grosses pièces, sortes de mortiers à lancer des boulets de pierre d’un fort diamètre) jusque pendant les premières années du XVIe siècle. Voici (42) la représentation d’un double canon de siége garni de son mantelet de bois destiné à protéger la pièce et les servants contre les projectiles (43), le figuré d’un double canon, mais avec boîtes s’emmanchant dans la culasse et contenant la charge de poudre avec le boulet[86]. À côté de la pièce sont d’autres boîtes de rechange et le calibre C avec son anse pour mesurer la charge de poudre ; (43 bis) le dessin d’un canon à boîte monté sur un affût à crémaillères, permettant de pointer la pièce. Les boulets de ce dernier canon sont de pierre, tandis que ceux des canons doubles sont en métal. On mettait le feu à la poudre renfermée dans la boîte au moyen d’une tige de fer rougie dans un fourneau. L’établissement de ces pièces en batterie, leur chargement, surtout lorsqu’il fallait après chaque coup remplacer les boîtes, les moyens accessoires pour mettre le feu ; tout cela était long. Au commencement du XVe siècle les canons de gros calibre employés dans les siéges n’étaient pas en assez grand nombre, étaient d’un transport trop difficile, ne pouvaient pas être chargés assez rapidement pour pouvoir produire des effets prompts et décisifs dans l’attaque des places. Il fallait avoir, pour éloigner les défenseurs des créneaux, des archers en grand nombre et des arbalétriers ; des archers surtout qui avaient, ainsi que nous l’avons vu, une grande supériorité sur les arbalétriers à cause de la rapidité du tir de l’arc. Chaque archer (44) était muni d’un sac de cuir contenant deux ou trois douzaines de sagettes. Au moment du combat, il laissait son sac ouvert à terre, et gardait sous son pied gauche quelques flèches, le fer tourné à sa gauche ; sans les voir il les sentait ainsi, il pouvait les prendre une à une en abaissant la main, et ne perdant pas le but de vue (point important pour un tireur). Un bon archer pouvait décocher une dizaine de flèches par minute. Tandis qu’un arbalétrier, pendant le même espace de temps, n’envoyait guère que deux carreaux (45) et (46). Obligé d’adapter le cranequin (47) à son arme après chaque coup, pour bander l’arc, non-seulement il perdait beaucoup de temps, mais il perdait de vue les mouvements de l’ennemi et était obligé, une fois l’arme bandée, de chercher son but et de viser[87]. Lorsque l’artillerie à feu fut assez bien montée et assez nombreuse pour battre les murailles et faire brèche à distance, l’ancien système défensif parut tellement inférieur aux moyens d’attaque qu’il fallut le modifier profondément. Les tours couvertes de combles pour la plupart d’un petit diamètre, voûtées d’une manière assez légère, ne pouvaient servir à placer du canon ; en enlevant les combles et faisant des plates-formes (ce qui fut souvent exécuté au milieu du XVe siècle), on parvenait à placer une ou deux pièces au sommet, qui ne causaient pas un grand dommage aux assaillants, et qui, par leurs feux plongeants, ne frappaient qu’un point. Il fallait sans cesse les déplacer pour suivre les mouvements de l’attaque, et leur recul ébranlait souvent les maçonneries au point ne nuire plus aux défenseurs qu’aux assiégeants. Sur les courtines, les chemins de ronde qui n’avaient guère que deux mètres au plus de largeur, ne pouvaient recevoir du canon ; on faisait alors à l’intérieur des remblais en terre jusqu’au niveau de ces chemins, pour pouvoir monter les pièces et les mettre en batterie ; mais par suite de l’élévation de ces courtines, les feux étaient plongeants et ne produisaient pas un grand effet. Sans renoncer dès lors à placer l’artillerie à feu sur les sommets des défenses, partout où la chose fût praticable, on ouvrit des embrasures dans les étages inférieurs des tours au niveau du sommet de la contrescarpe des fossés, afin d’obtenir un tir rasant, d’envoyer des projectiles en ricochets, et de forcer l’assaillant à faire des tranchées profondes pour approcher des places. Sous Charles VII, en effet, beaucoup d’attaques de châteaux et de villes avaient été brusquées et avaient réussi. Des pièces de canon étaient amenées à découvert en face de la fortification, et avant que l’assiégé eût eu le temps de mettre en batterie les quelques bombardes et ribaudequins qui garnissaient les tours, la brèche était faite, et la ville gagnée. Mais toutes les tours ne pouvaient se prêter à la modification demandée par le service de l’artillerie de défense ; elles avaient un diamètre intérieur qui ne permettait pas de placer une pièce de canon ; celles-ci ne pouvaient être introduites à travers ces détours et escaliers à vis, puis quand les pièces avaient tiré deux ou trois coups, on était asphyxié par la fumée qui ne trouvait pas d’issue. On commença donc par modifier la construction des tours, on leur donna moins de hauteur et on augmenta beaucoup leur diamètre en les faisant saillir à l’extérieur ; renonçant à l’ancien système de défense isolée, on les ouvrit du côté de la ville, afin de pouvoir y introduire facilement du canon, on les perça d’embrasures latérales, au-dessous du niveau de la crête des fossés, et les enfilant dans leur longueur. Les fortifications de la ville de Langres sont fort intéressantes à étudier au point de vue des modifications apportées pendant les XVe et XVIe siècles à la défense des places (48)[88]. Langres est une ville romaine ; la partie A de la ville fut ajoutée, au commencement du XVIe siècle, à l’enceinte antique dans laquelle on retrouve une porte assez bien conservée ; successivement modifiée, l’enceinte de Langres fut presque entièrement rebâtie sous Louis XI et François Ier, et plus tard renforcée de défenses établies suivant le système adopté au XVIe siècle et au commencement du XVIIe. L’emploi de l’artillerie à feu fut cause que l’on bâtit les tours C qui flanquent les courtines au moyen de deux murs parallèles terminés par un hémicycle. La ville de Langres est bâtie sur un plateau qui domine le cours de la Marne et tous les alentours ; du côté D seulement on y accède de plainpied. Aussi de ce côté un ouvrage avancé très-fort avait-il été établi dès le XVIe siècle[89]. En E était une seconde porte bien défendue par une grosse tour ronde ou bastille, avec deux batteries couvertes établies dans deux chambres dont les voûtes reposent sur un pilier cylindrique élevé au centre ; dans une autre tour juxtaposée est une rampe en spirale qui permettait de faire monter du canon sur la plate-forme qui couronnait la grosse tour (voy. Bastille) ; en F une troisième porte donnant sur la Marne protégée par des ouvrages en terre de la fin du XVIe siècle. Nous donnons (49) le plan d’une des tours dont la construction remonte à la fin du XVe siècle ou du commencement du XVIe[90]. Cette tour est un véritable bastion pouvant contenir à chaque étage cinq bouches à feu. Bâtie sur une pente rapide, on descend successivement par quatre emmarchements du point C donnant dans la ville, au point E. Les embrasures E, F, G, ressautent pour suivre l’inclinaison du terrain et se trouver toujours à une même hauteur au-dessus du sol extérieur. Les canons pouvaient être facilement introduits par des emmarchements larges et assez doux ; les murs sont épais (7,00 mètres), afin de pouvoir résister à l’artillerie des assiégeants. La première travée dont les parois sont parallèles est voûtée par quatre voûtes reposant sur une colonne ; un arc-doubleau portant sur deux têtes de murs sépare la première travée de la seconde qui est voûtée en cul-de-four (voy. la coupe longitudinale (50) sur la ligne CD et la coupe transversale (51) sur la ligne A B du plan). Les embrasures F, G (49) étaient fermées à l’intérieur par des portières (voy. Embrasure). Des évents H permettaient à la fumée de s’échapper de l’intérieur de la salle. Deux petits réduits I devaient renfermer la provision de poudre. Cette tour était couronnée dans l’origine par une plate-forme et un parapet crénelé derrière lequel on pouvait placer d’autres pièces ou des arquebusiers. Ces parties supérieures ont été modifiées depuis longtemps. La batterie barbette domine la crête du parapet des courtines voisines de 1 mètre environ ; c’était encore là un reste de la tradition du moyen âge. On croyait toujours devoir faire dominer les tours sur les courtines[91] (voy. Tour). Cette incertitude dans la construction des défenses pendant les premiers temps de l’artillerie donne une grande variété de dispositions, et nous ne pouvons les signaler toutes. Mais il est bon de remarquer que le système de fortifications si bien établi de 1300 à 1400, si méthodiquement combiné, est dérangé par l’intervention des bouches à feu dans les siéges, et que les tâtonnements commencent à partir de cette dernière époque pour ne cesser qu’au XVIIe siècle. Telle était la force des traditions féodales qu’on ne pouvait rompre brusquement avec elles, et qu’on les continuait encore, malgré l’expérience des inconvénients attachés à la fortification du moyen âge en face de l’artillerie à feu. C’est ainsi qu’on voit longtemps encore et jusque pendant le XVIe siècle les mâchicoulis employés concurremment avec les batteries couvertes, bien que les mâchicoulis ne fussent plus qu’une défense nulle devant du canon. Aussi de Charles VIII à François Ier, les villes et les châteaux ne tiennent pas devant une armée munie d’artillerie, et l’histoire pendant cette période ne nous présente plus de ces siéges prolongés si fréquents pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles. On faisait du mieux qu’on pouvait pour approprier les anciennes fortifications au nouveau mode d’attaque et de défense, soit en laissant parfois les vieilles murailles subsister en arrière de nouveaux ouvrages, soit en détruisant quelques points faibles, comme à Langres, pour les remplacer par des grosses tours rondes ou carrées munies d’artillerie. À la fin du XVe siècle, les ingénieurs paraissent chercher à couvrir les pièces d’artillerie ; ils les disposent au rez-de-chaussée des tours dans des batteries couvertes, réservant les couronnements des tours et courtines pour les archers et arbalétriers ou arquebusiers. Il existe encore un grand nombre de tours qui présentent cette disposition ; sans parler de celle de Langres que nous avons donnée (fig. 49, 50 et 51), mais dont le couronnement détruit ne peut servir d’exemple, voici une tour carrée dépendant de la défense fort ancienne du Puy-Saint-Front de Périgueux, et qui fut reconstruite pour contenir des bouches à feu à rez-de-chaussée[92] destinées à battre la rivière, le rivage et l’une des deux courtines. Le rez-de-chaussée de cette tour peu étendu (52) est percé de quatre embrasures destinées à de petites pièces d’artillerie, sans compter une meurtrière placée à l’angle saillant du côté opposé à la rivière. Deux canons (que l’on changeait de place suivant les besoins de la défense) pouvaient seulement être logés dans cette batterie basse voûtée par un berceau épais de pierres de taille, et à l’épreuve des projectiles pleins lancés en bombe. Les embrasures des canons (53) sont percées horizontalement, laissant juste le passage du boulet, au-dessus, une fente horizontale permet de pointer et sert d’évent pour la fumée. Un escalier droit conduit au premier étage percé seulement de meurtrières d’arbalètes ou d’arquebuses, et le couronnement est garni de mâchicoulis avec parapet continu sans créneaux, mais percé de trous ronds propres à passer le bout de petites coulevrines ou d’arquebuses à main[93]. C’était là une médiocre défense et il était facile à l’ennemi de se placer de manière à se trouver en dehors de la projection du tir. On reconnut bientôt que ces batteries couvertes établies dans des espaces étroits, et dont les embrasures n’embrassaient qu’un angle aigu, ne pouvaient démonter des batteries de siége et ne causaient pas un dommage sérieux à l’assiégeant. Laissant donc subsister le vieux système défensif pour y loger des archers, arbalétriers et arquebusiers, on éleva en avant de fausses braies dans lesquelles on pouvait établir des batteries à tir rasant, qui remplaçaient les lices dont nous avons parlé dans le cours de cet article. On commença dès lors à s’affranchir des règles si longtemps conservées de la fortification antérieure à l’emploi de l’artillerie à feu. Dans des cas pressants les anciennes murailles et tours des lices, les barbacanes furent simplement dérasées au niveau du chemin de ronde, puis couronnées de parapets avec embrasures pour y placer des batteries barbettes (54). Les tours paraissaient si bien un moyen de défense indispensable, on regardait comme d’une si grande utilité de commander la campagne, qu’on en élevait encore même après que les fausses braies disposées de manière à flanquer les courtines avaient été admises. On donna d’abord aux fausses braies les formes, en plan, qu’on avait données aux palissades, c’est-à-dire qu’elles suivirent à peu près le contour des murs, mais bientôt on en fit des ouvrages flanqués. La ville d’Orange avait été fortifiée de nouveau sous Louis XI, et telle était la configuration de ses défenses à cette époque (55). Au moyen de ces modifications, les places furent en état de résister à l’artillerie ; mais cette arme se perfectionnait rapidement. Louis XI et Charles VIII possédaient une artillerie formidable, l’art des siéges devenait tous les jours plus méthodique, à cette époque déjà on faisait des approches régulières ; on commençait, lorsque l’attaque des places ne pouvait être brusquée, à faire des tranchées, à établir des parallèles et de véritables batteries de siége bien gabionnées. Les murs dépassant le niveau des crêtes des revêtements des fossés offraient une prise facile au tir de plein fouet des batteries de siége, et à une assez grande distance on pouvait détruire ces ouvrages découverts et faire brèche. Pour parer à cet inconvénient on garnit les dehors des fossés de palissades ou parapets en maçonnerie ou en charpente avec terrassements et premier fossé extérieur ; cet ouvrage, qui remplaçait les anciennes lices, conserva le nom de braie (56). On établit en dehors des portes, des poternes et des saillants, des ouvrages en terre soutenus par des pièces de bois qu’on nommait encore boulevert, bastille ou bastide. La description de la fortification de Nuys, que Charles le Téméraire assiégea en 1474, explique parfaitement la méthode employée pour résister aux attaques[94]. « Pareillement estoit Nuysse notablement tourrée de pierre de grès, puissamment murée de riche fremeté, haulte, espaisse et renforcée de fortes braiesses, subtelement composées de pierre et de brique, et en aulcuns lieux, toutes de terre, tournées à deffence par mirable artifice pour reppeller les assaillants ; entre lesquelles et lesdits murs y avoit certains fossés assés parfons ; et, de rechef, estoient devant lesdites brayes aultres grants fossés d’extrème profondeur, cimés les aulcuns, et pleins d’eau à grant largesse, lesquels amplectoient la ville et ses forts jusques aux rivières courantes. Quatre portes principales de pareille sorte ensemble, et aulcunes poternes et saillies embellissoient et fortifioient grantement ladite closture ; car chascune d’elles avoit en front son boluvert à manière de bastillon, grant, fort et deffendable, garni de tout instrument de guerre, et souverainement de traicts à poudre à planté. » On voit dans cette description le bastion se dessiner nettement, comme un accessoire important de la défense pour fortifier les saillants, les poternes, les portes et enfiler les fossés, pour tenir lieu des tours et barbacanes des lices de l’ancienne fortification, des anciennes bastilles isolées, des ouvrages de défense du dehors des portes. Bientôt cet accessoire, dont l’utilité est reconnue, l’emporte sur le fond, et forme la partie principale de la fortification moderne.En conservant toutefois, dans les forteresses que l’on éleva vers la fin du XVe siècle, les tours et les courtines des enceintes intérieures commandant la campagne à une grande distance par leur élévation, en les couronnant encore de mâchicoulis, on augmenta l’épaisseur des maçonneries de manière à pouvoir résister à l’artillerie de siége. Lorsque le connétable de Saint-Pol fit reconstruire en 1470 le château de Ham, non-seulement il crut devoir munir cette retraite d’ouvrages avancés, de murs de contre-garde, mais il fit donner aux tours et courtines, et surtout à la grosse tour ou donjon, une telle épaisseur que ces constructions peuvent encore opposer à l’artillerie moderne une longue résistance (voy. Château).
Jusqu’alors on s’était occupé en raison des besoins nouveaux de modifier la forme et la situation des tours et courtines, les détails de la défense ; mais depuis le XIe siècle le mode de construction de la fortification n’avait pas changé : c’étaient toujours deux parements de pierre de taille, de brique ou de moellon piqué renfermant un massif en blocage irrégulier. Contre la sape ou le mouton ce genre de construction était bon, car les pionniers entamaient plus difficilement un massif en blocage dont la pierraille et le mortier étaient durs et adhérents, qu’une construction appareillée facile à déliaisonner lorsque quelques pierres ont été enlevées, les constructions d’appareil n’ayant jamais l’homogénéité d’un bon blocage bien fait. Les massifs de maçonnerie résistaient mieux aux ébranlements du mouton qu’une construction d’appareil ; mais lorsque les bouches à feu remplacèrent tous les engins et expédients de destruction employés au moyen âge, on reconnut bientôt que les revêtements de pierre qui n’avaient généralement qu’une épaisseur de 30 à 50 centimètres étaient promptement ébranlés par l’effet des boulets de fer, qu’ils se détachaient du massif et le laissaient à nud exposé aux projectiles ; que les merlons[95] de pierre enlevés par les boulets se brisaient en éclats, véritable mitraille plus meurtrière encore que les boulets eux-mêmes. L’architecture défensive, pour prévenir l’ébranlement des anciennes murailles et des tours, garnit les courtines par des terrassements de terre intérieurs, et remplit parfois les étages inférieurs des tours. Mais lorsque la muraille tombait sous les coups de l’artillerie de siége, ces amas de terre, en s’éboulant avec elle, facilitaient l’accès de la brèche en formant un talus naturel, tandis que les murailles seules non terrassées à l’intérieur ne présentaient en tombant que des brèches irrégulières et d’un accès très-difficile. Pour parer à ces inconvénients, lorsque l’on conservait d’anciennes fortifications, et qu’on les appropriait à la défense contre l’artillerie, on farcit quelquefois les terrassements intérieurs de longrines de bois, de branchages résineux ou flambés pour les préserver de la pourriture ; ces terrassements avaient assez de consistance pour ne pas s’ébouler lorsque la muraille tombait, et rendaient la brèche impraticable. Si les vieilles murailles avaient été simplement remblayées à l’intérieur de manière à permettre de placer du canon au niveau des parapets, si les anciens crénelages avaient été remplacés par des merlons épais et des embrasures en maçonnerie, lorsque l’assiégé était assuré du point attaqué, et pendant que l’assiégeant faisait ses dernières approches et battait en brèche, on élevait en arrière du front attaqué un ouvrage en bois terrassé, assez peu élevé pour être masqué du dehors, on creusait un fossé entre cet ouvrage et la brèche ; celle-ci devenue praticable, l’assiégeant lançait ses colonnes d’attaque qui se trouvaient en face d’un nouveau rempart improvisé bien muni d’artillerie ; c’était un nouveau siége à recommencer. Cet ouvrage rentrant était d’un très-difficile accès, car il était flanqué par sa disposition naturelle, et l’assaillant ne pouvait songer à brusquer l’assaut, les colonnes d’attaque se trouvant battues en face, en flanc et même en revers. Lorsque Blaise de Montluc défend Sienne, il fait élever derrière les vieilles murailles de la ville, et sur les points où il suppose qu’elles seront battues, des remparts rentrants dans le genre de celui qui est figuré ici (57). « Or avois-je déliberé, dit-il, que si l’ennemy vous venoit assaillir avec l’artillerie, de me retrancher loing de la muraille où se feroit la batterie, pour les laisser entrer à leur ayse ; et faisois estat tous jours de fermer les deux bouts, et y mettre à chacun quatre ou cinq grosses pièces d’artillerie, chargées de grosses chaînes et de gros clous et pièces de fer. Derrière la retirade je déliberay mettre tous les mousquets de la ville ensemble l’arquebuserie, et, comme ils seroient dedans, faire tirer l’artillerie et l’arquebuserie tout à un coup ; et nous, qui serions aux deux bouts, venir courant à eux avec les picques, hallebardes, épées et rondelles…[96] » Cette disposition provisoire de la défense ne tarda pas à être érigé en système fixe, comme nous le verrons tout à l’heure.Lorsque les effets de l’artillerie à feu furent bien connus, et qu’il fut avéré que des murs de maçonnerie de deux à trois mètres d’épaisseur (qui est l’épaisseur moyenne des courtines antérieures à l’emploi régulier des bouches à feu) ne pouvaient résister à une batterie envoyant de trois à cinq cents boulets sur une surface de huit mètres carrés environ[97], en abaissant le commandement des murs en maçonnerie on employa divers moyens pour leur donner une plus grande résistance. Dans les constructions antérieures à l’artillerie à feu, pour résister à la mine, à la sape et au mouton, déjà on avait pratiqué dans l’épaisseur des murs des arcs de décharge, masqués par le parement extérieur, qui, reportant le poids des maçonneries sur des points isolés, maintenaient les parapets et empêchaient les murs de tomber d’une seule pièce, à moins que les assiégeants n’eussent précisément sapé les points d’appuis masqués (58), ce qui ne pouvait être que l’effet du hasard.
Au XVIe siècle on perfectionna ce système ; non-seulement on pratiqua des arcs de décharge dans l’épaisseur des courtines de maçonnerie, mais on les renforça de contre-forts intérieurs noyés dans les terrassements et buttant les revêtements au moyen de berceaux verticaux (59).
Mais on ne tarda pas à reconnaître les inconvénients des ouvrages qui tout en formant des saillants considérables sur les dehors, ne se reliaient pas à un système général de défense ; ils n’étaient pas flanqués ; obligés de se défendre isolément, ils ne présentaient qu’un point sur lequel venaient converger les feux de l’assiégeant, et ne pouvaient opposer qu’une défense presque passive aux feux croisés des batteries de siége. En accumulant les obstacles, ils retardaient les travaux des ennemis sans pouvoir les détruire ; on multiplia donc les bastions ou les plates-formes, c’est-à-dire qu’au lieu de les dresser seulement en avant des portes ou, comme à Hull, dans un but spécial, on en établit de distance en distance pour éloigner les approches et mettre les anciens fronts fortifiés, que l’on conservait à l’abri des feux de l’ennemi[107]. Dans le procès-verbal dressé par Machiavel, déjà cité, sur les fortifications de Florence, nous lisons encore ces passages, touchant l’établissement de bastions ronds en avant des anciens fronts fortifiés : «…Lorsqu’on a dépassé la route de San-Giorgio d’environ cent cinquante brasses (environ cent mètres), on rencontre un angle rentrant que forme le mur en changeant de direction à cet endroit, pour se diriger vers la droite. L’avis du capitaine fut qu’il serait utile d’élever sur ce point ou une casemate ou un bastion rond, qui battît les deux flancs ; et vous saurez que ce qu’il entend par là, c’est que l’on creuse des fossés partout où il se trouve des murs, parce qu’il est d’avis que les fossés sont la première et la plus forte défense des places. Après nous être avancés d’environ cent cinquante autres brasses au delà, jusqu’à un endroit où se trouvent quelques contre-forts, il a été d’avis que l’on y construisît un autre bastion ; et il a pensé que si on le faisait assez fort, et suffisamment avancé, il pourrait rendre inutile la construction du bastion de l’angle rentrant, dont il a été question précédemment.
Au delà de point, on trouve une tour, dont il a été d’avis d’augmenter l’étendue et de diminuer la hauteur, en la disposant de manière qu’on puisse manœuvrer sur son sommet des pièces de grosse artillerie ; il pense qu’il serait utile d’en faire autant à toutes les autres tours qui existent ; il ajoute que plus elles sont rapprochées l’une de l’autre, plus elles ajoutent à la force d’une place, non pas tant parce qu’elles frappent l’ennemi en flanc, que parce qu’elles l’atteignent de front… »
Presque toujours ces boulevards ou bastions (car nous pouvons dorénavant leur donner ce nom[108]) n’étaient que des ouvrages en terre avec un revêtement de bois ou de maçonnerie, ne dépassant guère la crête de la contrescarpe du fossé. Lorsque pendant la première moitié du XVIe siècle on remplaça les anciennes courtines et tours en maçonnerie par des défenses nouvelles, tout en leur conservant un commandement élevé sur la campagne, et donnant aux tours un grand diamètre, à leurs maçonneries une très-forte épaisseur (ainsi que nous l’avons fait voir dans les fig. 49, 50 et 51) et aux bastions une forte saillie sur les courtines, on se préoccupa : 1o de protéger leur partie antérieure contre les feux convergents des batteries ennemies ; à cet effet, on établit autour des bastions circulaires et à leur base des fausses braies masquées par la contrescarpe du fossé, et pour rendre celles-ci plus fortes on les flanqua quelquefois. C’était là déjà un grand progrès, car les bastions circulaires, comme les tours rondes, étaient faibles si on les prenait de face, ils n’opposaient aux feux convergents d’une batterie de brèche qu’une ou deux pièces de canon. Voici un exemple de ces fausses braies flanquées (68)[109]. Lorsque l’assiégeant avait détruit la batterie établie en A, qu’il avait terminé ses travaux d’approches, et qu’il débouchait à la crête du glacis en B, il lui fallait culbuter les défenseurs du chemin couvert protégés par un talus et une palissade ; s’il parvenait à gagner le fossé, il était reçu par les feux rasants et croisés de deux pièces placées dans les flancs de la fausse braie en C, et par la mousqueterie des défenseurs de cet ouvrage inférieur préservé jusqu’au moment de l’assaut par la contrescarpe du fossé. Combler le fossé sous le feu croisé de ces deux pièces était une opération fort périlleuse ; il fallait alors détruire la fausse braie et ses flancs C par du canon. Si on voulait tourner les flancs et prendre la fausse braie en D, par escalade, on était reçu par les pièces masquées du second flanc E. Enfin, ces obstacles franchis et le bastion emporté, l’assaillant trouvait encore les vieilles défenses F conservées et surélevées, dont les parties inférieures masquées par l’élévation du bastion pouvaient être munies d’artillerie ou d’arquebusiers. 2o De masquer l’artillerie destinée à battre les courtines lorsque celles-ci étaient détruites et que l’assiégeant tentait le passage du fossé pour s’emparer de la brèche. Afin d’obtenir ce résultat, les ingénieurs du XVIe siècle donnèrent, ainsi que nous l’avons vu déjà, une forte saillie aux bastions ronds sur les courtines, de manière à former un rentrant dans lequel on ménageait des embrasures de canon (69)[110]. Mais l’espace manquait dans les gorges A (69 bis) pour le service de l’artillerie ; leur étroitesse les rendait difficiles à défendre lorsque l’ennemi, après s’être emparé du bastion, cherchait à pénétrer plus avant. Nous avons vu comme avant l’invention des bouches à feu il était difficile d’opposer à une colonne d’assaut étroite mais profonde, se précipitant sur les chemins de ronde, un front de défenseurs assez épais pour rejeter les assaillants au dehors (fig. 16) ; l’artillerie à feu ouvrant dans les bastions ou courtines de larges brèches praticables, par suite de l’éboulement des terres, les colonnes d’assaut pouvaient dès lors être non-seulement profondes, mais aussi présenter un grand front ; il fallait donc leur opposer un front de défenseurs d’une étendue au moins égale pour qu’il ne risquât pas d’être débordé ; les gorges étroites des bastions circulaires primitifs, même bien remparées à l’intérieur, étaient facilement prises par des colonnes d’assaut dont la force d’impulsion est d’une grande puissance. On s’aperçut bientôt des inconvénients graves attachés aux gorges étroites, et au lieu de conserver pour les bastions la forme circulaire, on leur donna (70) une face B et deux cylindres C qu’on désigna sous le nom d’orillons[111]. Ces bastions enfilaient les fossés au moyen des pièces masquées derrière les orillons, mais ne se défendaient que sur la face, ne résistaient pas à des feux obliques et surtout ne se protégeaient pas les uns les autres ; en effet (71) leurs feux ne pouvaient causer aucun dommage à une batterie de brèche dressée en A qui ne se trouvait battue que par la courtine. On était encore tellement préoccupé de la défense rapprochée et de donner à chaque partie de la fortification une force qui lui fût propre (et c’était un reste de l’architecture militaire féodale du moyen âge, où chaque ouvrage, comme nous l’avons démontré, se défendait par lui-même et s’isolait) que l’on regardait comme nécessaire les fronts droits C D qui devaient détruire les batteries placées en B, réservant seulement les feux E enfilant le fossé pour le moment où l’ennemi tentait de passer le fossé et de livrer l’assaut par une brèche faite en G. Ce dernier vestige des traditions du moyen âge ne tarda pas à s’effacer, et dès le milieu du XVIe siècle on adopta généralement une forme de bastions qui donna à la fortification des places une force égale à l’attaque, jusqu’au moment où l’artillerie de siége acquit une puissance irrésistible. Il semblerait que les ingénieurs italiens qui à la fin du XVe siècle étaient si peu avancés dans l’art de la fortification, ainsi que le témoigne Machiavel, eussent acquis une certaine supériorité sur nous à la suite des guerres des dernières années de ce siècle et du commencement du XVIe. De 1525 à 1530 San Michele fortifia une partie de la ville de Vérone, et déjà il avait donné à ses bastions une forme qui ne fut guère adoptée en France que vers le milieu du XVIe siècle[112]. Quoi qu’il en soit, renonçant aux bastions plats, les ingénieurs français de la seconde moitié du XVIe siècle les construisirent avec deux faces formant un angle obtus A (72), ou formant un angle droit ou aigu B, afin de battre les abords des places par des feux croisés, en réservant des batteries casematées en C, quelquefois même à deux étages, et garanties des feux de l’assiégeant par les orillons, pour pouvoir prendre une colonne d’assaut en flanc et presque en revers, lorsque celle-ci s’élançait sur la brèche. Dans la figure que nous donnons ici (72 bis), où se trouve représentée cette action, on reconnaîtra l’utilité des flancs masqués par des orillons: une des faces du bastion A a été détruite pour permettre l’établissement de la batterie de brèche en B ; mais les pièces qui garnissent le flanc couvert de ce bastion restent encore intactes et peuvent jeter un grand désordre parmi les troupes envoyées à l’assaut, au moment du passage du fossé, si au sommet de la brèche la colonne d’attaque est arrêtée par un rempart intérieur C élevé en arrière de la courtine, d’une épaule de bastion à l’autre, et si ce rempart est flanqué de pièces d’artillerie. Nous avons figuré également le bastion remparé à la gorge, les assiégés prévoyant qu’ils ne pourront le défendre longtemps. Au lieu de remparer les gorges des bastions à la hâte, et souvent avec des moyens insuffisants, on prit le parti dès la fin du XVIe siècle, dans certains cas, de les remparer d’une manière permanente (72 bis′)[113], ou d’isoler les bastions en creusant un fossé derrière la gorge, et de ne les mettre en communication avec le corps de la place que par des ponts volants ou des passages très-resserrés et pouvant être facilement barricadés (72 bis″)[114] ; on évitait ainsi que la prise d’un bastion n’entraînât immédiatement la reddition du corps de la place. Si ingénieux que fussent ces expédients pour défendre les parties saillantes des fortifications, on ne tarda pas à reconnaître qu’ils avaient l’inconvénient de diviser les ouvrages, d’ôter les moyens d’accéder facilement et rapidement, du dedans de la ville, à tous les points extérieurs de la défense, tant il est vrai que les formules les plus simples sont celles qu’on adopte en dernier lieu. On laissa donc les bastions ouverts à la gorge, mais on établit entre eux, et en avant des courtines, des ouvrages isolés qui devinrent d’une grande utilité pour la défense, et qui furent souvent employés pour empêcher les approches devant des fronts faibles ou de vieilles murailles ; on leur donna le nom de ravelins ou de demi-lunes lorsque ces ouvrages ne présentaient que la forme d’un petit bastion, et de tenailles si deux de ces ouvrages étaient réunis par un front (72 ter). A est un ravelin et B une tenaille. Ces ouvrages étaient déjà en usage à la fin du XVIe siècle pendant les guerres de religion ; leur peu d’élévation les rendait difficiles à détruire, en même temps que leurs feux rasants produisaient un grand effet.C’est aussi pendant le cours du XVIe siècle que l’on donna un talus prononcé aux revêtements des bastions et courtines, afin de neutraliser l’effet des boulets, car ceux-ci avaient naturellement moins de prise sur les parements, lorsqu’ils ne les frappaient pas à angle droit. Avant l’invention des bouches à feu, le talus n’existait qu’au pied des revêtements pour éloigner un peu l’assaillant et le placer verticalement sous les machicoulis des hourds ; et l’on tenait au contraire à maintenir les parements verticaux pour rendre les escalades plus difficiles.
À partir du moment où les bastions accusèrent une forme nouvelle, le système de l’attaque comme celui de la défense changea complètement. Les approches durent être savamment combinées, car les feux croisés des faces des bastions enfilaient les tranchées et prenaient les batteries de siège en écharpe. On dut commencer les boyaux de tranchée à une grande distance des places, établir des premières batteries éloignées pour détruire les parapets des bastions dont les feux pouvaient bouleverser les travaux des pionniers, puis arriver peu à peu à couvert jusqu’au revers du fossé en se protégeant par des places d’armes pour garder les batteries et les tranchées contre les sorties de nuit des assiégés, et établir là sa dernière batterie pour faire la brèche. Il va sans dire que même avant l’époque où l’art de la fortification fut soumis à des formules régulières, avant les Errard de Bar-le-Duc, les Antoine Deville, les Pagan, les Vauban, les ingénieurs avaient dû abandonner les dernières traditions du moyen âge. Mais partant de cette règle que ce qui défend doit être défendu, on multipliait les obstacles, les commandements, les réduits à l’infini, et on encombrait les défenses de tant de détails, on cherchait si bien à les isoler, qu’en cas de siège la plupart devenaient inutiles, nuisibles même, et que des garnisons, sachant toujours trouver une seconde défense après que la première était détruite, une troisième après la seconde, les défendaient mollement les unes après les autres, se fiant toujours à la dernière pour résister.
Machiavel, avec le sens pratique qui le caractérise, avait déjà de son temps prévu les dangers de ces complications dans la construction des ouvrages de défense, car dans son Traité de l’art de la guerre, liv. VII, il dit : « Et ici je dois donner un avis : 1o à ceux qui sont chargés de défendre une ville, c’est de ne jamais élever de bastions détachés des murs ; 2o à ceux qui construisent une forteresse, c’est de ne pas établir dans son enceinte des fortifications qui servent de retraite aux troupes qui ont été repoussées des premiers retranchements. Voici le motif de mon premier avis : c’est qu’il faut toujours éviter de débuter par un mauvais succès, car alors vous inspirez de la défiance pour toutes vos autres dispositions, et vous remplissez de crainte tous ceux qui ont embrassé votre parti. Vous ne pourrez vous garantir de ce malheur en établissant des bastions hors des murailles. Comme ils seront constamment exposés à la fureur de l’artillerie, et qu’aujourd’hui de semblables fortifications ne peuvent longtemps se défendre, vous finirez par les perdre, et vous aurez ainsi préparé la cause de votre ruine. Lorsque les Génois se révoltèrent contre le roi de France Louis XII, ils bâtirent ainsi quelques bastions sur les collines qui les environnent ; et la prise de ces bastions qui furent emportés en quelques jours entraîna la perte de la ville même. Quant à ma seconde proposition, je soutiens qu’il n’y a pas de plus grand danger pour une forteresse que d’avoir des arrière-fortifications, où les troupes puissent se retirer en cas d’échec ; car lorsque le soldat sait qu’il a une retraite assurée quand il aura abandonné le premier poste, il l’abandonne en effet, et fait perdre ainsi la forteresse entière. Nous en avons un exemple bien récent par la prise de la forteresse de Forli, défendue par la comtesse Catherine, contre César Borgia, fils du pape Alexandre VI, qui était venu l’attaquer avec l’armée du roi de France. Cette place était pleine de fortifications où l’on pouvait successivement trouver une retraite. Il y avait d’abord la citadelle séparée de la forteresse par un fossé qu’on passait sur un pont-levis, et cette forteresse était divisée en trois quartiers séparés les uns des autres par des « fossés remplis d’eau et des ponts-levis. Borgia, ayant battu un de ces quartiers avec son artillerie, fit une brèche à la muraille que ne songea point à défendre M. de Casal, commandant de Forli. Il crut pouvoir abandonner cette brèche pour se retirer dans les autres quartiers. Mais Borgia une fois maître de cette partie de la forteresse, le fut bientôt de la forteresse tout entière, parce qu’il s’empara des ponts qui séparaient les différents quartiers. Ainsi fut prise cette place qu’on avait cru jusqu’alors inexpugnable, et qui dut sa perte à deux fautes principales de l’ingénieur qui l’avait construite : 1o Il y avait trop multiplié les défenses ; 2o il n’avait pas laissé chaque quartier maître de ses ponts…[115] » L’artillerie avait aussi bien changé les conditions morales de la défense que les conditions matérielles ; autant au XIIIe siècle il était bon de multiplier les obstacles, de bâtir réduit sur réduit, de morceler les défenses, parce qu’il fallait attaquer et défendre pied à pied, en venir à se prendre corps à corps, autant il était dangereux, en face des puissants moyens de destruction de l’artillerie à feu, de couper les communications, d’encombrer les défenses, car le canon bouleversait ces ouvrages compliqués, les rendait inutiles, et en couvrant les défenseurs de leurs débris, les démoralisait et leur ôtait les moyens de résister avec ensemble.
Déjà dans la fortification antérieure à l’emploi des bouches à feu on avait reconnu que l’extrême division des défenses rendait le commandement difficile pour un gouverneur de place, et même pour le capitaine d’un poste ; dans les défenses isolées, telles que les tours, ou donjons ou portes, on avait senti la nécessité, dès les XIe et XIIe siècles, de pratiquer dans les murs ou à travers les voûtes des conduits ou des trappes, sortes de porte-voix qui permettaient au chef du poste placé au point d’où l’on pouvait le mieux découvrir les dehors, de donner des ordres à chaque étage. Mais lorsque le fracas de l’artillerie vint s’ajouter à ses effets matériels, on comprendra combien ces moyens de communication étaient insuffisants ; le canon devait donc faire adopter dans la construction des fortifications de larges dispositions, et obliger les armées assiégeantes et assiégées à renoncer à la guerre de détails.
La méthode qui consistait à fortifier les places en dehors des vieux murs avait des inconvénients : l’assiégeant battait à la fois les deux défenses, la seconde surmontant la première ; il détruisait ainsi les deux obstacles, ou au moins bouleversant le premier, écrêtait le second, réduisait ses merlons en poussière, démontait à la fois les batteries inférieures et supérieures (voir la fig. 64). S’il s’emparait des défenses antérieures, il pouvait être arrêté quelque temps par l’escarpement de la vieille muraille ; mais celle-ci, étant privée de ses batteries barbettes, ne présentait plus qu’une défense passive que l’on faisait sauter sans danger et sans être obligé de se couvrir. Machiavel recommandait-il aussi, de son temps déjà, d’élever en arrière des vieux murs des villes des remparts fixes avec fossé. Laissant donc subsister les vieilles murailles comme premier obstacle pour résister à un coup de main, ou pour arrêter l’ennemi quelque temps, renonçant aux boulevards extérieurs et ouvrages saillants qui se trouvaient exposés aux feux convergents des batteries de siége, et étaient promptement bouleversés, on établit quelquefois en arrière des anciens fronts qui, par leur faiblesse, devaient être choisis par l’ennemi comme point d’attaque, des remparts bastionnés, formant un ouvrage à demeure, analogue à l’ouvrage provisoire que nous avons représenté dans la fig. 57. C’est d’après ce principe qu’une partie de la ville de Metz avait été fortifiée, vers la fin du XVIe siècle, du côté de la porte Sainte-Barbe (73)[116], après la levée du siége mis par l’armée impériale.
Ici les anciens murs A avec leurs lices étaient laissés tels quels ; des batteries barbettes étaient seulement établies dans les anciennes lices B. L’ennemi faisant une brèche dans le front C D qui se trouvait être le plus faible puisqu’il n’était pas flanqué, traversant le fossé et arrivant dans la place d’armes E, était battu par les deux demi-bastions F G, et exposé à des feux de face et croisés. Du dehors, ce rempart, étant plus bas que la vieille muraille, se trouvait masqué, intact ; ses flancs à orillons présentaient une batterie couverte et découverte enfilant le fossé.Le mérite des ingénieurs du XVIIe siècle et de Vauban surtout, ç’a été de disposer les défenses de façon à faire converger sur le premier point attaqué et détruit par l’ennemi les feux d’un grand nombre de pièces d’artillerie, de changer ainsi au moment de l’assaut les conditions des armées assiégeantes et assiégées, de simplifier l’art de la fortification, de laisser de côté une foule d’ouvrages de détails fort ingénieux sur le papier, mais qui ne sont que gênants au moment d’un siége et coûtent fort cher. C’est ainsi que peu à peu on donna une plus grande superficie aux bastions, qu’on supprima les orillons d’un petit diamètre qui, détruits par l’artillerie des assiégeants, encombraient de leurs débris les batteries destinées à enfiler le fossé au moment de l’assaut, qu’on apporta la plus grande attention aux profils comme étant un des plus puissants moyens de retarder les travaux d’approches, qu’on donna une largeur considérable aux fossés en avant des fausses braies, qu’on remplaça les revêtements de pierre pour les parapets, par des talus en terre gazonnée, qu’on masqua les portes en les défendant par des ouvrages avancés et en les flanquant, au lieu de faire résider leur force dans leur propre construction.
Un nouveau moyen de destruction rapide des remparts était appliqué au commencement du XVIe siècle : après avoir miné le dessous des revêtements des défenses comme on le faisait de temps immémorial, au lieu de les étançonner par des potelets auxquels on mettait le feu, on établissait des fourneaux chargés de poudre à canon, et on faisait sauter ainsi des portions considérables des terrassements et revêtements. Ce terrible expédient déjà pratiqué dans les guerres d’Italie, outre qu’il ouvrait de larges brèches aux assaillants, avait pour effet de démoraliser les garnisons. Cependant on avisa bientôt au moyen de prévenir ces travaux des assiégeants ; dans les places où les fossés étaient secs on pratiqua derrière les revêtements des remparts des galeries voûtées, qui permettaient aux défenseurs de s’opposer aux placements des fourneaux de mine (73 bis)[117], ou de distance en distance on creusa des puits permanents dans le terre-plein des bastions, pour de là pousser des rameaux de contre-mine au moment du siége, et lorsque l’on était parvenu à reconnaître la direction des galeries des mineurs ennemis, direction qui était indiquée par une observation attentive, au fond de ces puits, du bruit causé par la sape. Quelquefois, encore des galeries de contre-mine furent pratiquées sous le chemin couvert ou sous le glacis, mais il ne paraît guère que ce dernier moyen ait été appliqué d’une manière régulière avant l’adoption du système de la fortification moderne.Ce ne fut que peu à peu et à la suite de nombreux tâtonnements qu’on put arriver à des formules dans la construction des ouvrages de défenses. Pendant le cours du XVIe siècle on trouve à peu près en germes les divers systèmes adoptés depuis, mais la méthode générale fait défaut ; l’unité du pouvoir monarchique pouvait seule conduire à des résultats définitifs : aussi est-il curieux d’observer comme l’art de la fortification appliqué à l’artillerie à feu suit pas à pas les progrès de la prépondérance royale sur le pouvoir féodal. Ce n’est qu’au commencement du XVIIe siècle, après les guerres religieuses sous Henri IV et Louis XIII, que les travaux de fortification des places sont tracés d’après des lois fixes, basées sur une longue observation ; qu’ils abandonnent définitivement les derniers restes des anciennes traditions pour adopter des formules établies sur des calculs nouveaux. Dès lors les ingénieurs ne cessèrent de chercher la solution de ce problème : Voir l’assiégeant sans être vu, en se ménageant des feux croisés et défilés. Cette solution exacte rendrait une place parfaite et imprenable ; elle est, nous le croyons du moins, encore à trouver. Nous ne pourrions, sans entrer dans de longs détails qui sortiraient de notre sujet, décrire les tentatives qui furent faites depuis le commencement du XVIIe siècle pour conduire l’art de la fortification au point où l’a laissé Vauban. Nous donnerons seulement, pour faire entrevoir les nouveaux principes sur lesquels les ingénieurs modernes allaient établir leurs systèmes, la première figure du Traité du chevalier De Ville[118]. « L’exagône, dit cet auteur, est la première figure qu’on peut fortifier, le bastion demeurant angle droit ; c’est pourquoi nous commencerons par celle-là, de laquelle ayant donné la méthode, on s’en servira en même façon pour toutes les autres figures régulières… (74).
On construira premièrement une figure régulière, c’est-à-dire, ayant les costez et les angles égaux ; d’autant de costés qu’on voudra que la figure ait des bastions… Dans cette figure nous avons mis la moitié d’un exagône, auquel ayant montré comme il faut faire un bastion, on fera de même sur tous les autres angles. Soit l’angle R H L de l’exagône sur lequel il faut faire un bastion. On divisera un des côtés H L en trois parties égales, et chacune d’elles en deux, qui soient H F et H Q de l’autre…, qui seront les demi-gorges des bastions ; et sur les points F et Q soient élevés perpendiculairement les flancs F E, Q M égaux aux demi-gorges ; d’une extrémité de flanc à l’autre soit mené E M, soit prolongé le demi-diamètre S H…, et soit fait I A égal à I E ; après soit mené A E, A M qui feront le bastion Q M A E F rectangle, et prendra autant de défense de la courtine qui se peut, laquelle on cognoîtra où elle commence si on prolonge les faces A E, A M, jusqu’à ce qu’elles rencontrent icelle courtine en B et en K, la ligne de défense sera A C…
On remarquera que cette méthode ne peut servir aux places de moins de six bastions, parce que les flancs et les gorges demeurant de juste grandeur, le bastion vient angle aigu. Quant aux autres parties on fera la largeur du fossé ou contre-escarpe V X, X Z parallèle à la face du bastion, à la largeur distante d’icelle autant que le flanc est long… »
De Ville admet les orillons ou épaules aux flancs des bastions, mais il préfère les orillons rectangulaires aux circulaires. Il joint au plan (74) le profil de la fortification (74 bis).
« Soit menée à plaisir, ajoute de Ville, la ligne C V, et sur icelle soit pris C D, cinq pas, sur le point D, soit eslevée la perpendiculaire D F, égale à C D, et soit tiré C F, qui sera la montée du rempart : du point F, soit mené F G, de quinze pas, parallèle à C V, et sur le point G soit eslevé G H d’un pas, et soit mené F H, qui sera le plan du rempart avec sa pente vers la place. H I sera fait de quatre pieds, et G L sera de cinq pas l’époisseur du parapet, K L sera tracé verticalement, mais K doit estre deux pas plus haussé que la ligne C V ; après sera mené K N, le talus du parapet, N Y le chemin des rondes sera d’environ deux pas, et M moins de demi pas d’epesseur dont sa hauteur M Y sera de sept ou huit pieds ; par après M P soit menée perpendiculaire sur C V, de façon qu’elle soit de cinq pas au-dessous de O ; c’est-à-dire au-dessous du niveau de la campagne, qui est la profondeur du fossé. P Q est le talus de la muraille qui doit estre d’un pas et demi, et O sera le cordon un peu plus haut que l’esplanade : la largeur du fossé Q R aux grandes places sera de vingt-six pas, aux autres vingt et un pas ; R S soit de deux pas et demi, le talus de la contrescarpe, sa hauteur S T cinq pas ; le corridor (chemin couvert) T V qui sera sur la ligne C V aura de largeur cinq à six pas, l’esplanade (le glacis) sera haute par-dessus le corridor d’un pas et demi V X, et laquelle s’ira perdant à quinze ou vingt pas en la campagne… et sera fait le profil : desquels il y en a de diverses sortes… ; les pas s’entendent de cinq pieds de roy… »
De Ville recommande les fausses braies en avant du rempart comme donnant beaucoup de force aux places, en ce qu’étant masquées par le profil du chemin couvert, elles retardent l’établissement des batteries de brèche et battent le débouchement des boyaux de tranchée dans le fossé : il les fait en terre (75) et ainsi que l’indique le profil, en A.
Il en était alors de la fortification comme de toutes les autres branches de l’art de l’architecture : on se passionnait pour les formules, chaque ingénieur apportait son système ; et si nous avons parlé du chevalier de Ville c’est que ses méthodes sont pratiques, et résultent de l’expérience. Mais Vauban reconnut que les bastions construits par les ingénieurs qui l’avaient précédé étaient trop petits, leurs flancs trop courts et faibles, les demi-gorges trop étroites, les fossés mal alignés, et les chemins couverts d’une trop faible largeur, les places d’armes petites, et les ouvrages extérieurs insuffisants. C’est à lui et à M. de Coeborn que l’on dut des systèmes de fortification bien supérieurs à ceux qui les ont précédés. Toutefois, de l’aveu même de ces deux hommes célèbres, et malgré leurs efforts, l’attaque resta supérieure à la défense.
- ↑ Cæs. Bell. gall. lib. VII, cap. XXIII.
- ↑ Ces boucliers, en forme de portion de cylindre, étaient réservés pour ce genre d’attaque.
- ↑ Godesc. Stewechii Conject. ad Sexti Jul. Frontini lib. Stratagem. Lugd. Batav. 1592, in-12, p. 465.
- ↑ Voy. Hist de l’archit. en Belgique, par A. G, B. Schayes, t. 1, p. 203 (Bruxelles).
- ↑ Végèce, lib. IV. cap. III, tit. Quemadmodunt muris terra jungatur egesta.
- ↑ Annales de la ville de Toulouse, Paris, 1771, t. 1, p. 436.
- ↑ Ces tours ont été dénaturées en partie au commencement du XIIe siècle et après la prise de Carcassonne par l’armée de saint Louis. On retrouve cependant sur divers points traces de ces interruptions entre la courtine et les portes des tours.
- ↑ Cette poterne existe encore placée ainsi à côté d’une tour et protégée par son flanc (voy. Poterne).
- ↑ Voir le plan de Rome.
- ↑ Capdhol, capitol, en langue d’oc.
- ↑ Haimonis Comment. in Ezech., Bibl. Imp., manusc. du Xe siècle, F. de Saint-Germain, latin, 303.
- ↑ Bible, n°6, t. III, Bibl. Imp., anc. F. latin, manusc. du Xe au XIe siècle. Nous devons ces deux calques à l’obligeance de M. A. Darcel.
- ↑ « .. Figurez un siége en forme contre elle, des forts, des levées de terre, une armée qui l’environne, et des machines de guerre autour de ses murs… Prenez aussi une plaque de fer, et vous la mettrez comme un mur de fer entre vous et la ville : puis regardez la ville d’un visage ferme…, » etc. (Ezéchiel, chap. IV, vers. 2 et 3.) Ezéchiel tient en effet la plaque de fer, et autour de lui sont des béliers.
- ↑ « Ung soir advint, que les Turcs amenerent ung engin, qu’ils appelloient la Pierriere, un terrible engin à mal faire : et le misdrent vis-à-vis les chaz-chateilz, que messire Gaultier de Curel et moy guettions la nuyt. Par lequel engin ilz nous gettoient le feu gregois à planté, qui estoit la plus orrible chose, que onques jamés je veisse… La maniere du feu gregois estoit telle, qu’il venoit bien devant aussi gros que ung tonneau, et de longueur la queuë enduroit bien comme d’une demye canne de quatre pans. Il faisoit tel bruit à venir, qu’il sembloit que ce fust fouldre qui cheust du ciel, et me sembloit d’ung grant dragon vollant par l’air, et gettoit si grant clarté, qu’il faisoit aussi cler dedans nostre ost comme le jour, tant y avoit grant flamme de feu. Trois foys cette nuytée nous getterent ledit feu gregois o ladite perriere, et quatre foiz avec l’arbaleste à tour. » (Joinville, Histoire de saint Louys, édit. Du Cauge, 1668.)
- ↑ Hist. de la croisade contre les hérétiques albigeois, écrite en vers provençaux, publ. par M. C. Fauriel. Coll. de docum. inéd. sur l’Hist. de France, 1re série, et le manusc. de la Bibl. Imp. (fonds La Vallière, n°91). Ce manuscrit est d’un auteur contemporain, témoin oculaire de la plupart des faits qu’il raconte ; l’exactitude des détails donne à cet ouvrage un grand intérêt ; nous signalons à l’attention de nos lecteurs la description de la gate et de sa marche par petits sauts « entrel mur el castel ela venc de sautetz, » qui peint avec énergie le trajet de ces lourdes charpentes roulantes s’avançant par soubresauts. Pour insister sur ces détails, il faut avoir vu.
- ↑ Le sire de Joinville, Hist. du roi saint Louys, édit. 1668. Du Cange, p. 37, Dans ses observations, p. 69, Du Cange explique ainsi ce passage : « Le roy saint Louys fit donc faire deux beffrois, ou tours de bois pour garder ceux qui travailloient à la chaussée : et ces beffrois étoient appellés chats-chateils, c’est-à-dire cati castellati, parce qu’au dessus de ces chats, il y avoit des espèces de châteaux. Car ce n’étoit pas de simples galeries, telles qu’estoient les chats, mais des galeries qui étoient défendues par des tours et des beffrois. Saint Louys en l’épistre de sa prise, parlant de cette chaussée : Saraceni autem è contra totis resistentes conatibus machinis nostris quas erexeramus, ibidem machinas opposuerunt quamplures, quibus castela nostra lignea, quæ super passum collocari feceramus eumdem, cunquassata lapidibus et confracta cumbusserunt totaliter igne græco… Et je crois que l’étage inférieur de ces tours (chateils) estoit à usage de chats et galeries, à cause de quoy les chats de cette sorte estoient appellés chas chatels, c’est-à-dire comme je viens de le remarquer, chats fortifiés de châteaux. L’auteur qui a décrit le siége qui fut mis devant Zara par les Vénitiens en l’an 1346, lib. II, c. VI apud Joan. Lucium de regno Dalmat., nous représente ainsi cette espèce de chat : aliud erat hoc ingenium, unus cattus ligneus satis debilis erat confectionis, quem machinæ jadræ sæpius jactando penetrabant, in quo erat constructa quædam eminens turris duorum propugnaculorum. Ipsam duæ maximæ carrucæ supportabant. Et parce que ces machines n’estoient pas de simples chats, elles furent nommées chats-faux, qui avoient figure de beffrois et de tours, et néanmoins estoient à usage de chats. Et c’est ainsi que l’on doit entendre ce passage de Froissard. Le lendemain vindrent deux maistres engigneurs au duc de Normandie, qui dirent que s’on leur vouloit livrer du bois et ouvriers, ils feroient quatre chaffaux (quelques exemplaires ont chats) que l’on meneroit aus murs du chastel, et seroient si hauts qu’ils surmonteroient les murs. D’où vient le mot d’Eschaffaux, parmi nous, pour signifier un plancher haut élevé. » Voy. le Recueil de Bourgogne, de M. Perard, p. 395.
- ↑ Voy. Études sur le passé et l’avenir de l’artillerie, par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, présid. de la Républ., t. II. Cet ouvrage, plein de recherches savantes, est certainement le plus complet de tous ceux qui s’occupent de l’artillerie ancienne ; voici la description que donne du trébuchet l’illustre auteur : « Il consistait en une poutre appelée verge ou flèche, tournant autour d’un axe horizontal porté sur des montants. À l’une des extrémités de la verge on fixait un contre-poids, et à l’autre une fronde qui contenait le projectile. Pour bander la machine, c’est-à-dire pour abaisser la verge, on se servait d’un treuil. La fronde était la partie la plus importante de la machine, et d’après les expériences et les calculs que le colonel Dufour a insérés dans son intéressant mémoire sur l’artillerie des anciens (Genève, 1840), cette fronde en augmentait tellement la portée qu’elle faisait plus que la doubler, c’est-à-dire que si la flèche eût été terminée en cuilleron, comme cela avait lieu dans certaines machines de jet en usage dans l’antiquité, le projectile, toutes choses égales d’ailleurs, eût été lancé moitié moins loin qu’avec la fronde. « Les expériences que nous avons faites en petit nous ont donné les mêmes résultats. » Une machine de ce genre fut exécutée en grand en 1850, d’après les ordres du président de la République et essayée à Vincennes. La flèche avait 10m, 30, le contre-poids fut porté à 4500 kilog., et après quelques tâtonnements on lança un boulet de 24 à la distance de 175 mètres, une bombe de 0m, 22 remplie de terre à 145 mètres, et des bombes de 0m, 27 et 0m, 32 remplies de terre à 120 mètres, (Voy le rapport adressé au ministre de la guerre par le capitaine Favé, t. II, p. 38 et suiv,)
- ↑ Voy. Biblioth. de l’école des Chartes, t. VII, p. 363, rapport publié par M. Douët d’Arcq. Ce texte est reproduit dans les Études sur l’artillerie, par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, présid. de la Républ., ouvrage déjà cité plus haut, et auquel nous empruntons la traduction fidèle que nous donnons ici.
- ↑ Saint Louis et Philippe le Hardi exécutèrent d’immenses travaux de fortification à Carcassonne, sur lesquels nous aurons à revenir.
- ↑ C’était Le moulin du roi probablement, situé entre la barbacane du château et l’Aude
- ↑ À l’ouest, voy. fig.9.
- ↑ « Postea dressarunt mangonellum quemdam ante nostram barbacanam, et nos « contra illum statim dressavimus quamdam petrariam turquesiam valde bonam, infra… ».
- ↑ À l’est, voy. fig. 9.
- ↑ Au sud, voy. fig. 9. On appelait lices une muraille extérieure ou une palissade de bois que l’on établissait en dehors des murailles et qui formait une sorte de chemin couvert : presque toujours un fossé peu profond protégeait les lices, et quelquefois un second fossé se trouvait entre elles et les murs. Par extension on donna le nom de lices aux espaces compris entre les palissades et les murs de la place, et aux enceintes extérieures même lorsqu’elles furent plus tard construites en maçonnerie et flanquées de tours. On appelait encore lices les palissades dont on entourait les camps : « Liciæ, castrorum aut urbium repagula. » Epist. anonymi de capta urbe CP. Ann. 1204, apud Marten., t. I Anecd., col. 786 : « Exercitum nostrum grossis palis circumcinximus et liciis. » Will. Guiart ms. :
… Là tendent les tentes faitices,
Puis environnent l’ost de lices.Le Roman de Garin :
Devant les lices commencent li hustins.
Guill. archiep. Tyr. continuata Hist. gallico idiomate, t. V. Ampliss. Collect. Marten., col. 620 : « Car quant li chrestiens vindrent devant Alixandre, le baillif les fist herbergier, et faire bones lices entor eux, » etc. (Du Cange, Gloss.)
- ↑ À l’angle sud-ouest, voy. fig. 9.
- ↑ Quelque ouvrage avancé de la fortification des Visigoths probablement.
- ↑ « Bretachiæ, castella lignea, quibus castra et oppida muniebantur, gallice bretesques, breteques, breteches. » (Du Cange, Gloss.
La ville fit mult richement garnir,
Les fossés fere, et les murs enforcir,
Les bretesches drecier et esbaudir. (Le Roman de Garin.)
— As breteches monterent, et au mur quernelé…
— Les breteches garnir, et les pertus garder.
— Entour ont bretesches levées,
Bien planchiées et quernelés. (Le Roman de Vacces)…(Voy. Bretèche.) Les bretèches étaient souvent entendues comme hourds (Voy. ce mot). Les bretèches dont parle le sénéchal Guillaume des Ormes dans son rapport adressé à la reine Blanche, étaient des ouvrages provisoires que l’on élevait derrière les palis pour battre les assaillants lorsqu’ils avaient pu faire brèche. Nous avons exprimé (figure 10) l’action dont parle le sénéchal de Carcassonne.)
- ↑ Archières, fentes étroites et longues pratiquées dans les maçonneries des tours et courtines, ou dans les hourds et palissades pour envoyer des flèches ou carreaux aux assaillants (voy. Meurtrière).
- ↑ Au nord, voy. fig. 9.
- ↑ Ce passage, ainsi que tous ceux qui précèdent, décrivant les mines des assiégeants, prouve clairement qu’alors la cité de Carcassonne était munie d’une double enceinte : en effet, les assiégeants passent ici dessous la première enceinte pour miner le rempart intérieur.
- ↑ Ainsi, lorsque les assiégés avaient connaissance du travail du mineur, ils élevaient des palissades au-dessus et au-dessous de l’issue présumée de la galerie, afin de prendre les assaillants entre des clôtures qu’ils étaient obligés de forcer pour aller plus en avant.
- ↑ La principale barbacane, celle située du côté de l’Aude à l’ouest, voy. fig.9.
- ↑ En effet il fallait descendre du château situé en haut de la colline à la barbacane commandant le faubourg en bas de l’escarpement. (Voy. le plan de la cité de Carcassonne après le siége de 1240 ; fig. 11)
- ↑
………
Pero ilh de la vila lor an tals gens tendutz
Quel capdolh el miracle (mirador, tour du guet) son aisi combatutz
Que lo fust e la peira e lo ploms nes fondutz
E a la santa Pasca es lo bossos tendutz
Ques be loncs e ferratz e adreitz e agutz
Tant fer trenca e briza que lo murs es fondutz
Quen mantas de maneiras nals cairos abatutz
E cels dins can o viron no son pas esperdutz
Ans feiron latz de corda ques ab lengenh tendutz
Ab quel cap del bosso fo pres e retengutz
Don tuit cels de Belcaire fortment son irascutz
Tro que venc lenginaire per que lor fo tendutz
E de dins en la roca na intra descondutz
Que cuiderol mur fendre ab los pics esmolutz
E cels del capdolh preson cant los i an saubutz
Foc e solpre e estopa ins en un drap cozuts
E an leus ab cadena per lo mur dessendutz
E can lo focs salumpna et solpres es fondutz
La sabors e la flama los a si enbegutz
Cus dels noi pot remandre ni noi es remazutz
E pois ab las peireiras son saisi defendutz
Que debrizan e trencan las barreiras els futz…(Hist. de la croisade contre les Albigeois, docum. inéd. sur l’Hist. de France, Ire série, vers 1184 et suiv.) - ↑ Balestas tornissus (vers 6343 et suiv.). Probablement des arbalètes à rouet.
- ↑ Cadafuls. C’étaient probablement des bretèches (voir fig. 10.)
- ↑ Corseras. Hourds probablement, chemins de ronde, coursières.
- ↑ Semals. Les baquets de bois dans lesquels on transporte le raisin en temps de vendange se nomment encore aujourd’hui semals, mais plus fréquemment comporte. Ce sont des cuves ovales munies de manches de bois, sous lesquels on fait passer deux bâtons en guise de brancard.
- ↑ Bocals : Entrée des lices.
- ↑ Les faubourgs qui entouraient la cité de Carcassonne étaient clos de murs et de palissades au moment du siége décrit par le sénéchal Guillaume des Ormes.
- ↑ Entre autres la tour dite du Trésau et la porte Narbonnaise (voy. Porte , Tour).
- ↑ Le plan que nous donnons ici est à l’échelle de 1 centimètre pour 15 mètres. La barbacane de Carcassonne a été détruite en 1821 pour construire un moulin ; ses fondations seules existent, mais ses rampes sont en grande partie conservées, surtout dans la partie voisine du château qui est la plus intéressante.
- ↑ Hourd, hour. (Voy. Ce mot pour les détails de la construction de ce genre de défense.)
- ↑ Le château de la cité de Carcassonne est du commencement du XIIe siècle, et toutes ses tours et courtines étaient bien munies de hourds qui devaient être très-saillants d’après les précautions prises pour empêcher la bascule des bois des planchers (voy. Hourd).
- ↑ L’exemple que nous donnons ici est tiré de l’enceinte intérieure de la cité de Carcassonne, partie bâtie par Philippe le Hardi. Le plan des tours est pris au niveau de la courtine ; ce sont les tours dites de Daréja et Saint-Laurent, côté sud.
- ↑ Comme beaucoup d’autres, ce dicton n’est pas absolument vrai cependant, et bien des exemples viennent lui donner tort. Il est certain que, même aujourd’hui, une place défendue par un commandant habile, ingénieux, et dont le coup d’œil est prompt, peut tenir beaucoup plus longtemps que celle qui sera défendue par un homme routinier et qui ne trouvera pas dans son intelligence des ressources nouvelles à chaque phase de l’attaque. Peut-être, depuis que la guerre de siége est devenue une science, une sorte de formule, a-t-on fait trop bon marché de toutes ces ressources de détail qui étaient employées encore au XVIe siècle. Il n’est pas douteux que les études archéologiques qui ont eu sur les autres branches de l’architecture une si grande influence, réagiront également sur l’architecture militaire ; car, à notre avis (et notre opinion est partagée par des personnages compétents), s’il n’y a, dans la forme de la fortification du moyen âge, rien qui soit bon à prendre aujourd’hui, en face des moyens puissants de l’artillerie, il n’en est pas de même dans son esprit et dans son principe.
- ↑ Histoire de la civilisation en France, par M. Guizot. 2e part. 1re leçon.
- ↑ En I était la maison de Saint-Lazare. En K la maladrerie. En M et N les halles. En O le grand Châtelet qui défendait l’entrée de la cité au nord, en P le petit Châtelet qui gardait le Petit-Pont, au sud. En E Notre-Dame et l’évêché. En D l’ancien Palais. En F Sainte-Geneviève et le palais de Clovis, sur la montagne (Descript. de Paris, par N. de Fer. 1724. Diss. archéol. sur les anciennes enceintes de Paris, par Bonnardot. 1853).
- ↑ Le nombre des châteaux qui couvraient le sol de la France, surtout sur les frontières des provinces, est incalculable. Il n’était guère de village, de bourgade ou de petite ville qui n’en possédât au moins un, sans compter les châteaux isolés, les postes et les tours qui, de distance en distance, se rencontraient sur les cours des rivières, dans les vallées servant de passages, et dans les marches. Dès les premiers temps de l’organisation féodale, les seigneurs, les villes, les évêques, les abbés avaient dû dans maintes circonstances recourir à l’autorité suzeraine des rois de France pour interdire la construction de nouveaux châteaux préjudiciables à leurs intérêts et « à ceux de la patrie. » (Les Olim.) D’un autre côté, malgré la défense de ses vassaux, le roi de France, par acte du parlement, autorisait la construction de châteaux forts, afin d’amoindrir la puissance presque rivale de ses grands vassaux. « Cum abbas et conventus Dalonensis associassent dominum regem ad quemdam locum qui dicitur Tauriacus, pro quadam bastida ibidem construenda, et dominus Garnerius de Castro-Novo, miles, et vicecomes Turenne se opponerent, et dicerunt dictam bastidam absque eorum prejudicio non posse fieri : Auditis eorum contradicionibus et racionibus, pronunciatum fuit quod dicta bastida ibidem fieret et remaneret. » (Les Olim, édit. du Min. de l’Instr. publ. Philippe III, 1279, t. II, p. 147.)
- ↑ Nous renvoyons nos lecteurs au mot Château. Nous donnons en détail, dans cet article important, les diverses dispositions et le classement de ces demeures féodales, ainsi que les moyens particuliers de défense, de secours, etc.
- ↑ « Philippe le Hardi, parti de Paris au mois de février 1272 à la tête d’une armée nombreuse, pour aller prendre possession du comté de Toulouse, et pour châtier en passant la révolte de Roger Bernard, comte de Foix, s’arrêta à Marmande. Là, il signa, dans le mois de mai, avec Guillaume Boccanegra, qui l’avait joint dans cette ville, un traité par lequel celui-ci s’engageait à consacrer 5 000 liv. tournois (88 500 fr.) à la construction des remparts d’Aigues-Mortes, moyennant l’abandon que le roi lui faisait, à titre de fief, ainsi qu’à ses descendants, de la moitié des droits domaniaux auxquels la ville et le port étaient assujettis. Les lettres patentes données à cet effet furent contre-signées, pour les rendre plus authentiques, par les grands officiers de la couronne. En même temps, et pour contribuer aux mêmes dépenses, Philippe ordonna qu’on lèverait, outre le denier pour livre déjà établi, un quarantième sur toutes les marchandises qui entreraient à Aigues-Mortes par terre ou par mer » (Hist. géner. du Languedoc. Reg. 30 du trésor des chartes, no 441, Hist. d’Aigues-Mortes, par F. Em. di Pietro, 1849.)
- ↑ Le plan que nous donnons ici est celui de l’angle ouest de la double enceinte de la cité de Carcassonne, bâti par Philippe le Hardi.
- ↑ Cet angle saillant (26 bis), qui présente clairement la disposition signalée ici, est une des défenses du XIIIe siècle dépendant du château de Falaise (voy. Château).
- ↑ Entrée du château de Montargis du côté de la route de Paris à Orléans. (Ducerceau, Chateaux royaux de France.)
- ↑ Manusc. 8320, t. I, in-fol., commencement du XVe siècle. Cette vignette, dont nous donnons ici une partie, accompagne le chap. XLVI de ce manuscrit intitulé : Comment le conte de Haynault print et detruit Aubenton en terasse. C’est le chap. CII de l’édit. des Chroniques de Froissart du Panthéon littéraire. «…Si commença l’assaut grand et fort durement, et s’employèrent arbalétriers de dedans et dehors à traire moult vigoureusement ; par lequel trait il y en eut moult de blessés des assaillans et des défendans. Le comte de Haynault et sa route, où moult avoit d’apperts chevaliers et écuyers, vinrent jusques aux barrières de l’une des portes… Là eut un moult grand et dur assaut. Sur le pont mêmement, à la porte vers Chimay, étoient messire Jean de Beaumont et messire Jean de la Bove. Là eut très grand assaut et forte escarmouche, et convint les François retraire dedans la porte ; car ils perdirent leurs barrières, et les conquirent les Hainuyers et le pont aussi. Là eut dure escarmouche forte, et grand assaut et félonneux, car ceux qui étoient montés sur la porte jetoient bois et mairein contre val, et pots pleins de chaux, et grand foison de pierres et de cailloux, dont ils navroient et mes-haignoient gens, s’ils n’étoient fort armés… »
- ↑ À Carcassonne du côté du midi les remparts de la seconde enceinte étaient munis de ces ouvrages de bois en temps de guerre, les traces en sont parfaitement conservées de la porte Narbonnaise à la tour du coin à l’ouest (voy fig. 11).
- ↑ Vignette accompagnant le chap. CXXV, intitulé : « Comment le roy David d’Escoce (David Bruce d’Écosse) vint à tout grand ost devant le neuf chasteau sur Thin. »
- ↑ On a vu plus haut que les remparts d’Aigues-Mortes sont également, sur un front, flanqués de tours carrées, et nous ne devons pas oublier qu’ils furent élevés par le Génois Boccanegra. Cependant l’enceinte de Paris, rebâtie sous Charles V, était également flanquée de tours barlongues, mais l’enceinte de Paris ne passa jamais pour très-forte. Les tours carrées appartiennent plutôt au midi qu’au nord de la France ; les remparts de Cahors, qui datent des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, présentent des tours carrées d’une belle disposition défensive ; les remparts des villes du comtat Venaissin sont garnis généralement de tours carrées qui datent du XIVe siècle. Ainsi que la plupart des villes de Provence et des bords du Rhône, Orange était munie de tours carrées construites à la fin du XVe siècle. Les Normands et les Poitevins, jusqu’au moment de la réunion de ces provinces au domaine royal, c’est-à-dire jusqu’au commencement du XIIIe siècle, paraissent avoir, de préférence, adopté la forme carrée dans la construction de leurs tours et donjons. La plupart des anciens châteaux bâtis par les Normands en Angleterre et en Sicile, présentent, des défenses rectangulaires (voy. Tour , Donjon).
- ↑ Escalade au moyen d’échelles.
- ↑ Nous donnons ici le plan du château de Vincennes, parce qu’on peut considérer cette forteresse plutôt comme une grande place d’armes, une enceinte fortifiée, que comme un château dans l’ancienne acception du mot. Nous y revenons, du reste, dans les mots Château, Donjon. En E sont les deux seules entrées de l’enceinte qui étaient défendues par des ouvrages avancés et deux hautes tours barlongues ; en A est le donjon entouré d’un mur d’enceinte particulier, d’une chemise B. Un très-large fossé revêtu C protége ce donjon. En K sont les fossés de l’enceinte, dont la contrescarpe est également revêtue et l’a toujours été. F est la chapelle et G le trésor ; D le pont qui donne accès au donjon, H et I des logements et écuries (voy. Vues des maisons royales et villes, Israël Sylvestre, in-fo. Nous n’avons extrait du plan donné par Israël que les constructions antérieures au XVIe siècle ; il devait, pendant les XIVe et XVe siècles, en exister beaucoup d’autres, mais nous n’en connaissons plus ni la place ni la forme).
- ↑ Le petit côté du parallélogramme de l’enceinte, compris la saillie des tours, a 212 mètres.
- ↑ « Il n’est nul home, tant fut présent à celle journée, ni eut bon loisir d’aviser et imaginer toute la besogne ainsi qu’elle alla, qui en sçut ni put imaginer, ni recorder la vérité, espécialement de la partie des François, tant y eut povre arroy et ordonnance eu leurs conrois ; et ce que j’en sais, je l’ai sçu le plus par les Anglois, qui imaginèrent bien leur convenant, et aussi par les gens de messire Iean de Haynaut, qui fut toujours de-lez le roy de France. Les Anglois qui ordonnés étoient en trois batailles, et qui séoient jus à terre tout bellement, sitôt qu’ils virent les François approcher, ils se levèrent moult ordonnément, sans nul effroi, et se rangèrent en leurs batailles (divisions), celle du prince tout devant, leurs archers mis en manière d’une herse (forment une ligne dentelée de manière à ne pas se gêner les uns les autres pendant le tir), « et les gens d’armes au fond de la bataille. Le conte de Narhantonne et le conte d’Arondel et leur bataille, qui faisoient la seconde, se tenoient sur aile bien ordonnément, et avisés et pourvus pour conforter le prince, si besoin étoit. Vous devez savoir que ces seigneurs, rois, ducs, contes, barons françois, ne vinrent mie jusques là tous ensemble, mais l’un devant, l’autre derrière, sans arroy et sans ordonnance. Quand le roi Philippe vint jusques sur la place où les Anglois étoient près de là arrêtés et ordonnés, et il les vist, le sang lui mua, car il les héoit ; et ne se fut adonc nullement réfréné ni abstenu d’eux combattre, et dit à ses mareschaux : « Faites passer nos Gennevois devant et commencer la bataille, au nom de Dieu et de monseigneur saint Denys. » Là avoit de cesdits Gennevois arbalétriers, environ quinze mille qui eussent eu aussi cher néant que commencer adonc la bataille ; car ils étoient durement las et travaillés d’aller à pied ce jour plus de six lieues, tous armés, et de leurs arbalètres porter ; et dirent adonc à leurs connétables qu’ils n’étoient mie adonc ordonnés de faire grand exploit de bataille ; ces paroles volèrent jusques au conte d’Alençon, qui en fut durement courroucé et dit : « On se doit bien charger de telle ribaudaille qui faillent au besoin… »
«…Quand les Gennevois furent tous recueillis et mis ensemble, et ils durent approcher leurs ennemis, ils commencèrent à crier si très-haut que ce fut merveilles, et le firent pour ébahir les Anglois : mais les Anglois se tinrent tous cois, ni onques n’en firent semblant. Secondement encore crièrent eux aussi, et puis allèrent un petit pas en avant : et les Anglois restoient tous cois, sans eux mouvoir de leur pas. Tiercement encore crièrent moult haut et moult clair, et passèrent avant, et tendirent leurs arbalètres et commencèrent à traire. Et ces archers d’Angleterre, quand ils virent cette ordonnance, passèrent un pas en avant, et puis firent voler ces sagettes de grand’façon, qui entrèrent et descendirent si ouniement sur les Gennevois que ce sembloit neige. Les Gennevois, qui n’avoient pas appris à trouver tels archers qui sont ceux d’Angleterre, quand ils sentirent ces sagettes qui leur perçoient bras, têtes et ban-lèvres (le visage), furent tantost déconfits ; et coupèrent les plusieurs les cordes de leurs arcs et les aucuns les jetoient jus : si se mirent ainsi au retour. »
« Entre eux et les François avoit une grand’-haie de gens d’armes, montés et parés moult richement, qui regardoient le convenant des Gennevois ; si que quand ils cuidèrent retourner, ils ne purent, car le roy de France, par grand mautalent, quand il vit leur povre arroy, et qu’ils déconfisoient ainsi, commanda et dit : « Or tôt, tuez toute cette ribaudaille, car ils nous empêchent la voie sans raison. » Là vissiez gens d’armes en tous lez entre eux férir et frapper sur eux, et les plusieurs trébucher et cheoir parmi eux, qui onques ne se relevèrent. Et toujours traioient les Anglois en la plus grand’presse, qui rien ne perdoit de leur trait ; car ils empalloient et fesoient parmi le corps ou parmi les membres gens et chevaux qui là chéoient et trébuchoient à grand meschef, et ne pouvoient être relevés, si ce n’était par force et grand’aide de gens. Ainsi se commença la bataille entre Broye et Crécy en Ponthieu, ce samedi à heure de vespres. » (Froissart, Bataille de Crecy, ch. 287. - ↑ Ainsi nommés parce qu’ils portaient une casaque de maille appelée brigantine.
- ↑ Voy. Étud. sur le passé et l’avenir de l’artillerie, par le P. Napoléon-Louis Bonaparte, t. Ier, p. 16 et suiv.
- ↑ À Crécy.
- ↑ Fils de Philippe de Valois, le roi Jean, pris à Poitiers.
- ↑ La suite de la narration indique que ces kas étaient des beffrois ou chas-chateils.
- ↑ Conformément au projet.
- ↑ Engin à contre-poids propre à lancer de grosses pierres.
- ↑ Froissart, chap. 262, édit. Buchon.
- ↑ De chaume.
- ↑ Contre leurs attaques.
- ↑ Froissart, ch. 318, édit. Buchon.
- ↑ Le récit de Froissart n’est pas conforme à la lettre du roi, d’après ce chroniqueur le roi Édouard aurait refusé le cartel de Philippe. Disant qu’il n’avait qu’à venir le trouver dans son camp.
- ↑ Froissart, chap, 324, édit, Buchon.
- ↑ Nulle place forte ne résistait à du Guesclin ; il savait entraîner ses soldats, et prenait presque toutes les villes et châteaux en brusquant les attaques. Il avait compris que les fortifications de son temps ne pouvaient résister à une attaque conduite sans hésitations, avec vigueur et promptitude. Il donnait l’assaut en jetant un grand nombre de soldats braves et bien armés, munis de fascines et d’échelles, sur un point, les faisait appuyer par de nombreux arbalétriers et archers couverts, et formant une colonne d’attaque d’hommes dévoués, il perdait peu de monde en agissant avec vigueur et promptitude. Au siége de Gingamp :
« Des arbres et de boiz et de buissons ramez
Ont les fiers assaillants rempliz les grans fossez ;
En.II. lieux ou en plus est de merrien rasez.
À la porte est venus Bertran li alosez,
Et crioit hault : « Guesclin ! or tost lassus montez !
Il convient que je soie là-dedens ostelez. »
Eschielles ont drécies comme fiers et osez ;
Là véissez monter celle gens bacelez
Et porter sur leur chief grans huis, qui sont bendez,
Fenestres et escus qui estoient nervez,
Pour la doubte des pierres qui giétent à tous lez
Cilz qui furent dedens furent espoantez :
Aux crénaux ne s’osoient amonstrer, ce créez,
Pour le trait qui venoit, qui doit estre doubtez
Li chastelains estoit en on donjon montez,
Et regarde assaillir ces bourjois alosez,
Qui d’assaillir estoient tellement eschaufez
Qu’il ne doubtent la mort la monte de .II. dez. »(Chronique de Bertrand du Guesclin, vers 3149 et suiv.)Du Guesclin n’employait pas ces tours mobiles, ces moyens lents, dispendieux et difficiles d’attaque ; il ne se servait guère que des engins offensifs ; il employait la mine, la sape, et c’était toujours avec cette activité, cette promptitude, cette abondance de ressources et ce soin dans les menus détails, qui caractérisent les grands capitaines.
Il investit le donjon de Meulan :
« Li chastelains estoit en sa tour demourant :
Si fort estoit la tour qui n’aloit rien doubtant.
Bien pourvéu furent en a ou tamps de devant,
De pain, de char salée et de bon vin friant
Pour vivre .XV. mois ou plus en .I. tenant.
..............
Bertran en est alez au chastelain parler,
Et li requist la tour, qui li veille livrer,
Et qui la rende au duc, qui tant fait à loer.
« Tout sauvement, dit-il, je vous lerai aler. »
Et dist li chastelains : « Foi que doi S. Omer !
Ainçois qu’en ceste tour vous puissiez hosteler,Vous conviendra, je croi à prendre à haut voler. »
...............
Bertran du Guesclin fist fort la tour assaillir ;
Mais asaut ne les fist de rien nulle esbahir :
Bien furent pourvéu pour longuement tenir.
Adonc fist une mine et les mineurs fouir,
Et les faisoit garder, c’on ne les puit honnir ;
Et les mineurs pensèrent de la mine fornir,
La terre font porter et la mine tenir,
Si que cil de la tour ne les purent véir.
Tant minèrent adonc, ce sachiez sans faillir,
Que par-desoubz les murs pueent bien avenir.
Dessouz le fondement font la terre ravir,
Alors eschanteillons (étançons) la tirent soustenir,
Grans, baux, fors et pesans y ont fait establir.
Dont vinrent li mineur sans point de l’alentir,
Et dirent à Bertran : « Quand vous arez desir,
Sire, nous vous ferons ceste tour-ci chéir. »
— « Or tost, ce dit Bertran, il me vient à plaisir ;
Car puisque cil dedens ne veulent obéir,
Il est de raison c’on les face morir. »
Li mineur ont bouté à force et à bandon
Le feu dedens la mine, à lors division.
Li bois fu très-bien oint de graisse de bacon :
En l’eure qu’il fut ars, si con dit la chançon,
Chéi la haute tour ainsi qu’à .I. coron.
............ »((Chronique de Bertrand du Guesclin. vers 3956 et suiv.) - ↑ C’est surtout pendant le XIVe siècle que s’organisèrent d’une manière régulière les corporations d’arbalétriers et d’archers dans les villes du nord. Par une ordonnance datée du mois d’août 1367, Charles V institue une connétablie ou compagnie d’arbalétriers dans la ville de Laon. Le roi nomma pour trois ans Michauld de Laval connétable de cette compagnie. « Dans la suite, dit l’article 1er de cette ordonnance, les arbalestriers esliront de trois en trois ans un connestable à la pluralité des voix. Michauld de Laval, avec le conseil des cinq ou six des plus experts au jeu de l’arbaleste, choisira les vingt-cinq arbalestriers qui doivent composer la compagnie. Les arbalestriers obéiront au connestable, dans ce qui reguarde leurs fonctions, sous poine d’une amende de six sols. »
L’article 2 porte : « Le roi retient ces arbalestriers à son service, et il les met sous sa sauve-garde. » — Suivent des articles qui établissent certains priviléges en faveur de la compagnie, tels que l’exemption de tous impôts et tailles, à l’exception « de l’aide establie pour la rançon du roi Jean. »
Le même roi institue une compagnie de vingt arbalétriers à Compiègne.
En 1359 est organisée à Paris la corporation des arbalétriers au nombre de deux cents ; par une ordonnance datée du 6 novembre 1373, Charles V fixe ce nombre à huit cents. Ces arbalétriers qui appartenaient à la classe bourgeoise et ne faisaient pas leur métier des armes, ne pouvaient quitter leur corporation pour servir dans l’armée ou ailleurs, sans l’autorisation du prévost de Paris et du prévost des marchands. Lorsque ces magistrats menaient les arbalétriers faire un service hors la banlieue de Paris, hommes et chevaux (car il y avait arbalétriers à cheval et à pied) étaient nourris ; chaque homme recevait en outre trois sols par jour, leur connétable touchait cinq sols aussi par jour : le tout aux frais de la ville.
Par lettres patentes du 12 juin 1411, Charles VI ordonna qu’une confrérie d’archers, composée de cent vingt hommes, serait établie à Paris ; que ces cent vingt archers seraient choisis parmi les autres archers qui existaient déjà ; que cette confrérie serait spécialement chargée de garder la personne du roi et de la défense de la ville de Paris…
Charles VII, par lettres patentes du 22 avril 1448, institua les francs-archers pour servir en temps de guerre. Pour la formation de ce corps privilégié on choisit dans chaque paroisse des hommes robustes et adroits, et parmi les habitants aisés, parce que ces francs-archers étaient obligés de s’équiper à leurs frais ou, à défaut, aux dépens de la paroisse. Le chiffre du contingent était à peu près d’un homme par cinquante feux. (Recherches hist. sur les corpor. des archers, des arbalétriers et des arquebusiers, par Victor Fouque, 1852, Paris.)
- ↑ L’armée anglaise avait du canon à la bataille de Crécy. Dès 1326, la ville de Florence faisait faire des canons de fer et de métal. (Bibl. de l’école des Chartes, t. VI, p. 50.) En 1339, deux chevaliers, les sires de Cardilhac et de Bieule, reçoivent du maître des arbalétriers de la ville de Cambrai « dis canons, chinq de fer et chinq de métal » (probablement de fer forgé et de métal fondu), « liquel sont tout fait don commandement dondit maistre des arbalestriers par nostre main et par nos gens, et qui sont « en la garde et en la deffense de la ville de Cambray. » Original parchemin, parmi les titres scellés de Clairambault, vol. XXV, fol. 1825. Bibl. de l’école des Chartes, t. VI, p. 51. «…Pour salpêtre et suffre viz et sec achetez pour les canons qui sont à Cambray, onze livres quatre soolz. III. den. tournois. » Ibid. voy. l’article de M. Lacabane, même vol. p. 28.
- ↑ Étud. sur le passé et l’avenir de l’artillerie, par L. Napoléon Bonaparte, présid. de la Républ., t. II, p. 96.
- ↑ Déposition du duc d’Alençon. Michelet, Hist. de France, t V, p. 99.
- ↑ Les trébuchets, pierriers, mangonneaux lançaient des boulets de pierre ; il était naturel, lorsqu’on changea le mode de projection, de conserver le projectile.
- ↑ Voy. le siége d’Orléans, en 1428. Nous revenons sur les travaux exécutés par les Anglais pour battre et bloquer la ville.
- ↑ Au siége de Caen, en 1450 : « Puis après on commença du costé de monseigneur le connestable à faire des approches couvertes, et descouvertes, dont le Bourgeois en conduisait une, et messire Jacques de Chabannes l’autre ; mais celle du Bourgeois fut la première à la muraille, et puis l’autre arriva, et fut minée la muraille en l’endroict. En telle manière que la ville eut esté prinse d’assault, si n’eust été le roy, qui ne le voulut pas, et ne voulut bailler nulles bombardes de ce costé ; de peur que les Bretons n’assaillissent. » Hist. d’Artus III, duc de Bretaigne et connest. de France, de nouveau mise en lumière, par T. Godefroy, 1622. Au siége d’Orléans, 1429 : « Le jeudy, troisième jour de mars, saillirent les François, au matin, contre les Anglois, faisant pour lors un fossé pour aller à couvert de leur boulevert de la Croix-Boissée à Saint-Ladre d’Orléans, afin que les François ne les peussent veoir ne grever de canons et bombardes. Celle saillie fist grand dommage aux Anglois, car neuf d’eux y furent prins prisonniers ; et outre, en y tua Maistre-Jean d’une coulevrine cinq à deux coups. » Hist. et discours du siége qui fut mis devant la ville d’Orléans (Orléans 1611).
- ↑ «… Et fut mis le siége à Cherbourg. Et se logea mon dict seigneur d’un costé, et monseigneur de Clermont de l’autre. Et l’admirat de Coitivi, et le marschal, et Joachim de l’autre costé devant une porte. Et y fut le siège bien un mois, et y furent rompues et empirées neuf ou dix bombardes que grandes que petites. Et y vinrent les Anglois par mer, entre autres une grosse nef nommée la nef Henry, et y commença un peu de mortalité, et y eut monseigneur bien à souffrir, car il avoit toute la charge. Puis feit mettre quatre bombardes devers la mer en la grève quand la mer estoit retirée. Et quand la mer venoit, toutes les bombardes estoient couvertes, manteaux et tout, et estoient toutes chargées, et en telle manière habillées, que dès ce que la mer estoit retirée on ne faisoit que mettre le feu dedans, et faisoient aussi bonne passée comme si elles eussent esté en terre ferme. » Hist. d’Artus III, ibid., p. 149.
- ↑ « Durant les festes et service de Noël, jettèrent d’une partie et d’autre, très-fort et horriblement, de bombardes et canons ; mais surtout faisoit moult de mal un coulevrinier natif de Lorraine, estant lors de la garnison d’Orléans, nommé maistre Jean, qu’on disoit estre le meilleur maistre qui fust lors d’iceluy mestier, et bien le montra : car il avoit une grosse coulevrine dont il jettoit souvent, estant dedans les piliers du pont, près du boulevert de la Belle-Croix, tellement qu’il en tua et bléça moult d’Anglois. » Hist. et discours au vray du siége qui fut mis devant la ville d’Orléans (Orléans 1611).
«… Celuy jour (pénultième du mois de février 1429), la bombarde de la cité pour lors assortie à la croche des moulins de la poterne Chesnau, pour tirer contre les tournelles, tira tant terriblement contre elles, qu’elle en abbatit un grand pan de mur. » Ibid.
« Les François conclurent ledit chastel de Harecourt d’engin et du premier coup qu’ils jetèrent percièrent tout outre les murs de la basse-cour qui est moult belle à l’équipolent du chastel qui est moult fort. » Alain Chartier, pag. 162. Ann. 1449.
- ↑ Copié sur des vignettes du manuscr. de Froissart, XVe siècle. Bibl. Impér., no 8320, t. I. Les canons (fig. 43) se trouvent dans les vignettes intitulées : Comment le roy d’Angleterre assiégea la cité de Rains… Comment la ville de Duros fut assiégée et prinse d’assault par les François. Ces canons étaient fabriqués dans l’origine au moyen de bandes de fer forgé réunies comme les douves d’un tonneau et cerclées par d’autres bandes de fer cylindriques ; lorsqu’ils étaient de petit calibre, ils étaient ou forgés ou fondus en fer ou en cuivre (voy. Engin).
- ↑ Ces figures sont tirées du manuscrit de Froissart, déjà cité. Un des arbalétriers (45) est pavaisé, c’est-à-dire qu’il porte, sur son dos, un large pavois attaché à une courroie ; en se retournant pour bander son arbalète, il se trouvait ainsi garanti contre les traits ennemis. L’anneau en fer, adapté à l’extrémité de l’arbalète, servait à passer le pied lorsqu’on faisait agir le cranequin pour bander l’arc.
- ↑ Ce plan est tiré de la Topographie de la Gaule, éd. de Francfort ; Mérian, 1655. La majeure partie de ces fortifications existent encore.
- ↑ L’ouvrage avancé indiqué sur ce plan a été remplacé par une défense moderne importante, à cheval sur la route venant de Dijon.
- ↑ Cette tour s’appelle aujourd’hui tour du Marché. Nous donnons le seul étage qui soit conservé, c’est l’étage inférieur. Le plan est à l’échelle de 0,00175 p. m.
- ↑ Nous devons à M. Millet, architecte attaché à la Commission des monuments historiques, les dessins de cet ouvrage de défense.
- ↑ Les courtines voisines datent du XIIIe siècle. C’est à M. Abadie que nous devons le relevé fort exact de cet ouvrage de défense.
- ↑ Voy. Tour , Meurtrière
- ↑ Nous empruntons ce passage au Précis historique de l’influence des armes à feu sur l’art de la guerre, par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, présid. de la Républ., p. 103. (Ext. de la Chronique de Molinet, t. V, ch. CCLXXXIII, p. 42.)
- ↑ C’est le nom qu’on donne aux parties du parapet comprises entre les créneaux ou embrasures.
- ↑ Comment. du maréc. de Montluc ; édit. Buchon, p. 142.
- ↑ Dès la fin du XVIe siècle, l’artillerie française avait adopté six calibres de bouches à feu : le canon, dont la longueur était de dix pieds, et dont le boulet pesait 33 liv. 1/3 ; la couleuvrine, dont la longueur était de onze pieds, et dont le boulet pesait 16 liv. 1/2 ; la bâtarde, dont la longueur était de neuf pieds et demi, et dont le boulet pesait 7 liv. 1/2 ; la moyenne, dont la longueur était de huit pieds deux pouces, et dont le boulet pesait 2 liv. 3/4 ; le faucon, dont la longueur était de sept pieds, et dont le boulet pesait 1 liv. 1/2 ; le fauconneau, dont la longueur était de cinq pieds quatre pouces, et dont le boulet pesait 14 onces. (La Fortification, par Errard de Bar-le-Duc. Paris, 1620.)
- ↑ Voy. le Roi sage. Récit des actions de l’empereur Maximilien Ier, par Marc Treitzsaurwen, avec les gravures de Hannsen Burgmair. Publ. en 1775 ; Vienne. (Les gravures en bois de cet ouvrage datent du commencement du XVIe siècle.)
- ↑ Ibid.
- ↑ Voir la note, à la page précédente.
- ↑ Porte à Mazelle, à Metz. Topog. de la Gaule, Mérian. 1655.
- ↑ Porte de Lectoure, Ibid.
- ↑ Some account of domest. archit. in England from Edward I to Richard II ; Oxford, J. H. Parker, 1853. Le château de Kingston sur Hull fut fondé par le roi Édouard Ier après la bataille de Dunbar, mais les fortifications qui sont reproduites ici sont certainement d’une date postérieure à cette époque, probablement de la fin du XVe siècle. M. Parker observe avec raison qu’elles étaient conformes aux défenses extérieures adoptées en France.
- ↑ D’après une gravure du XVIe siècle, tirée du cabinet de l’auteur.
- ↑ Gravure allemande du XVIe siècle, tirée du cabinet de M. Alfred Gérente.
- ↑ Vue de la ville de Marseille. Topog. de la Gaule, Mérian.
- ↑ Défenses de la ville de Blaye. Topog. de la Gaule, Mérian.
- ↑ Voy. Bastille, Bastion, Boulevard.
- ↑ Della Cosmog. universale, Sebast. Munstero, 1558, pet. in-folio. La città d’Augusta, p. 676. Le bastion que nous donnons ici dépend d’un ouvrage avancé fort important qui protégeait un ancien front de vieilles murailles bâties en arrière d’un large fossé plein d’eau. La courtine G est faiblement flanquée par le bastion, parce qu’elle est dominée et enfilée dans toute sa longueur par les vieilles murailles de la ville ; quant à la courtine H, elle se trouvait flanquée par la fausse braie et par le prolongement E du bastion. Si le bastion pouvait être difficilement attaqué derrière les flancs de la fausse braie en D, il était impossible de l’attaquer du côté de la courtine G, car alors l’assiégeant se trouvait pris en revers par l’artillerie postée sur les vieux remparts qui commandaient le flanc I du bastion. On commençait dès lors à appliquer avec assez de méthode le principe : Les dedans doivent commander les dehors, et l’assaillant devenu maître du bastion se trouvait exposé aux feux d’un front très-étendu (voy. 68 bis). A est le front des vieilles murailles remparées, B un large cours d’eau, C un chemin couvert avec barrière, terrassé contre l’ouvrage avancé ; D un petit cours d’eau, E des traverses, F des ponts, G un rempart traversant le fossé, mais dominé, enfilé et battu en revers par les vieilles murailles A de la ville ; H l’ouvrage avancé, I un front de vieilles murailles dérasées et remparées, K un front remparé : ces deux remparts bas sont battus de tous côtés par les murailles de la ville ; L des ponts, M le fossé plein d’eau, N les bastions en terre, charpente et clayonnages, dont l’un est détaillé dans la figure (68) ; O les restes de vieilles défenses terrassées, P les chemins couverts de l’ouvrage avancé. (Voir le plan de la ville d’Augsbourg, qui présente une suite de bastions construits suivant la forme adoptée pour les fausses-braies des bastions d’Augusta. — Introd. à la Fortification, dédiée à monseigneur le duc de Bourgogne. Paris, 1722 ; in-fo ital.)
- ↑ Della Cosmog. universale, Sebast. Munstero, 1558, petit in-folio. Sito et fig. di Francofordia città, come è nel anno 1546. Le bastion figuré dans cette vue commande la rivière (le Mein) et tout un front des remparts de la ville. Cet angle fortifié est fort intéressant à étudier, et la gravure que nous avons copiée, en cherchant à la rendre plus claire, indique les diverses modifications et améliorations apportées à la défense des places pendant le XVIe siècle. On a conservé, au centre du bastion neuf, l’ancienne tour du coin qui sert de tour de guet ; cette tour est évidemment exhaussée d’un étage au XVIe siècle. Le bastion est muni de deux étages de batteries ; celle inférieure est couverte et masquée par la contrescarpe du fossé fait comme un mur de contre-garde. Cette batterie couverte ne pouvait servir qu’au moment où l’assiégeant débouchait dans le fossé. Le rentrant A qui contient une batterie casematée est protégé par la saillie du bastion et par un mur B, et commande la rivière. Des évents C permettent à la fumée de la batterie couverte de s’échapper. Au delà du ponceau est un rempart élevé en avant des vieilles murailles et commandé par elles et les tours ; il est garni d’une fausse braie destinée à défendre le passage du fossé. On remarque des contre-forts qui viennent buter le revêtement en maçonnerie du rempart et qui descendent dans la fausse braie ; celle-ci est enfilée par les feux du bastion d’angle et par un rentrant du rempart D. Si ce n’était l’exiguïté des espaces, cette défense passerait encore pour être assez forte. Nous avons donné cet exemple, bien qu’il n’appartienne pas à l’architecture militaire française ; mais il faut songer qu’au moment de la transition de la fortification ancienne à la fortification moderne, les diverses nations occidentales de l’Europe adoptaient rapidement les perfectionnements nouveaux introduits dans l’art de défendre les places, et la nécessité forçait d’oublier les traditions locales.
- ↑ Les murs de la ville de Narbonne, rebâtis presque entièrement pendant le XVIe siècle, quelques anciens ouvrages des fortifications de Caen, etc., présentaient des défenses construites suivant ce principe.
- ↑ Cependant il existe un plan manuscrit de la ville de Troyes dans les archives de cette ville, qui indique de la manière la plus évidente des grands bastions à orillons et faces formant un angle obtus ; et ce plan ne peut être postérieur à 1530 (voy. Bastion).
- ↑ Delle fortif. di Giov. Scala, al christ°. re di Francia di Navarra, Henrico IV. Roma, 1596. La figure reproduite ici est intitulée «Piatta forma fortissima difesa et sicura con una gagliarda retirata diefro o altorno della gola. » A, rempart, dit la légende, d’arrière défense, épais de 50 pieds. B, parapet épais de 15 pieds et haut de 4 pieds. C, escarpement de la retirade, 14 pieds de haut. D, espace plein qui porte une pente douce jusqu’au point G. H, flanquement masqué par l’épaule I. K, parapet épais de 24 pieds, élevé de 48 pieds au-dessus du fossé. (Scala parle ici de pieds romains 0,297896.)
- ↑ Ibid. Planche intitulée : « D’un buon modo da fabricare una piatta forma gagliarda et sicura, quantunque la sia disunita della cortina. » X, rempart derrière la courtine, dit la légende. C, pont qui communique de la ville à la plate-forme (bastion). D, terre-plein. E, épaules. I, flancs qui seront faits assez bas pour être couverts par les épaules E… Scala donne, dans son Traité des fortifications, un grand nombre de combinaisons de bastions ; quelques-unes sont remarquables pour l’époque.
- ↑ Œuv. compl. de N. Machiavelli, édit. Buchon, 1852. Voir le château de Milan (fig. 67), qui présente tous les défauts signalés par Machiavel.
- ↑ Topog. de la Gaule. Mérian. Topog. de la France. Bib. Imp.
- ↑ Della fortif. delle città di M. Girol. Maggi, e del cap. Jacom. Castriotto ingeniero del christ°. re di Francia, 1583.
- ↑ Les fortifications du chevalier Antoine De Ville. 1640. Chap. VIII.