Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Embrasure

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EMBRASURE, s. f. Baie percée dans un mur de forteresse ou dans un parapet de couronnement pour placer la bouche d’une pièce d’artillerie à feu. Les embrasures n’apparaissent donc dans l’architecture militaire qu’au moment où l’on fait un usage régulier du canon pour la défense des places. Nous avons dit ailleurs (voy. Château) qu’à la fin du XVe siècle, sans changer d’une manière notable la disposition générale des défenses, on s’était contenté de percer, au rez-de-chaussée des courtines et des tours, des ouvertures pour battre les dehors par un tir rasant, ou de placer des bouches à feu au sommet des tours dont on supprimait les toits pour établir des plates-formes avec parapets. Le château de Bonaguil, qui date du règne de Louis XI, possède à la base des remparts quelques embrasures dont la disposition et la forme sont indiquées dans la fig. 1.


La bouche de la pièce est à peu près à mi-épaisseur du mur, comme le fait voir le plan A. À l’intérieur de la muraille B, l’embrasure est construite en arcade et fermée par une épaisse dalle percée d’un trou circulaire avec une mire. À l’extérieur C, on n’aperçoit que le trou et sa mire dégagés par un ébrasement qui permet de pointer la pièce à droite et à gauche. La partie extérieure de ces sortes d’embrasures était promptement égueulée par le souffle de la pièce ;
aussi pensa-t-on à leur donner plus d’air (2), en couvrant l’ébrasement extérieur par un arc. Ou bien encore, comme dans les batteries casematées du grand boulevard de Schaffhausen (3),
les architectes avancèrent la bouche des canons près du parement extérieur formant intérieurement une chambre voûtée, et disposèrent l’ébrasement du dehors en ovale, avec redans curvilignes, pour détourner les projectiles lancés par les assiégeants. Ces précautions de détail ne pouvaient être efficaces qu’autant que l’ennemi ne mettait pas en batterie de grosses pièces d’artillerie et qu’il n’avait à sa disposition que de la mousqueterie ou de très-petites pièces. Cependant ces sortes d’embrasures furent encore employées pour les batteries couvertes jusque vers le commencement du XVIe siècle[1]. Les architectes militaires cherchaient des combinaisons qui pussent faciliter le tir oblique en même temps qu’elles garantissaient les servants des pièces ; mais l’artillerie à feu faisait de rapides progrès. Au commencement du XVIe siècle, les armées assiégeantes possédaient déjà des pièces de gros calibre qui d’une volée ruinaient ces défenses trop faibles, car il est à remarquer que, depuis le moment où l’artillerie à feu est devenue d’un emploi général, les moyens défensifs ont été inférieurs à la puissance toujours croissante de cette arme. Il ne faut donc pas s’étonner si les premières fortifications faites pour résister au canon présentent une variété singulière de moyens défensifs, tous très-ingénieux, très-subtils, mais bientôt abandonnés comme insuffisants, pour être remplacés par d’autres qui ne l’étaient guère moins. Ainsi, dans les fortifications bâties par Albert Dürer à Nuremberg, nous voyons des embrasures de batteries couvertes (4) qui permettaient de pointer un canon et d’obtenir un tir plongeant et oblique pour des arquebusiers.

À Munich, il existe sur la face de la porte en brique de Carlsthor, qui remonte au commencement du XVIe siècle, des embrasures disposées pour un tir oblique et plongeant (5), destinées à de petites pièces d’artillerie.


À la porte Laufer de Nuremberg, le long du boulevard extérieur, on remarque encore des embrasures destinées à de très-petites pièces d’artillerie, et dont les ouvertures sont protégées par des cylindres en bois à pivots, percés de trous (6), comme les créneaux d’une des portes de Bâle en Suisse (voy. Créneau)[2].
En France, ces moyens subtils, tradition des arts militaires du moyen âge, furent promptement mis de côté ; on adopta de préférence, pour les batteries couvertes, les embrasures profondes, présentant un angle peu ouvert, ne laissant qu’un trou avec une mire pour la bouche de la pièce, et à l’extérieur ne montrant qu’une large fente horizontale prise dans une hauteur d’assise (7), quelquefois avec un talus inférieur lorsqu’on voulait obtenir un tir plongeant. Cette méthode fut habituellement suivie en Italie dès les premières années du XVIe siècle.
Quant aux embrasures des batteries découvertes, Albert Dürer les a construites à Nuremberg, ainsi que l’indique la fig. 8, sur les courtines et quelques-uns de ses boulevards. Le parapet, large, en pierre, présente une surface convexe pour mieux résister à l’effet des projectiles ennemis. Un volet tournant sur un axe garantit les artilleurs lorsqu’on charge la pièce. Ces volets étaient assez épais et solides pour que les boulets, venant horizontalement, pussent ricocher sur leur surface externe, car alors le tir de plein fouet était mou à cause de la qualité médiocre de la poudre et de la proportion vicieuse des pièces, dont l’âme était relativement d’un trop grand diamètre pour la charge employée.

Quelquefois, en France et en Italie, on eut l’idée de profiler les embrasures ainsi que l’indique la fig. 9, afin d’empêcher les boulets ennemis de glisser sur les parois des ébrasements et de frapper la pièce.


Il va sans dire que ces redans sont promptement détruits par l’artillerie des assiégeants et même altérés par le souffle de la pièce. Dès l’époque de François Ier, on en vint, lorsqu’on voulut armer une forteresse, à couronner les boulevards et les courtines par des talus en terre mélangée avec des brins de bois ou du chaume.


En cas de siège, on ouvrait des embrasures dans ces talus (10), et on maintenait leurs parois verticales par des madriers. Cette méthode est encore suivie de nos jours. On augmentait au besoin le relief du parapet par des gabionnades ou des sacs à terre. Quelquefois même ces parapets, avec leurs embrasures, étaient faits de clayonnages triangulaires juxtaposés et remplis de terre et de fumier (11).


Ces moyens étaient particulièrement employés pour des ouvrages de campagne qu’il fallait faire à la hâte, et quand on n’avait pas le loisir de laisser tasser les terrassements.

Comme aujourd’hui, les ingénieurs militaires se préoccupaient de masquer les embrasures lorsqu’on chargeait les pièces en batterie. À cet effet, ils employaient des claies épaisses, des volets glissant sur des coulisses, des rideaux d’étoupe capitonnés. De tous ces moyens, l’un des plus ingénieux est celui que nous donnons (12). En A, on voit la plate-forme en charpente recouverte de madriers sur laquelle roule la pièce en batterie. Contre la paroi intérieure du parapet est posé le bâtis B, muni, à sa partie supérieure, d’un volet triangulaire roulant sur un axe et mu par deux leviers C. La pièce chargée, on appuyait sur les deux leviers juste ce qu’il fallait pour pouvoir pointer ; sitôt la balle partie, on laissait retomber le volet qui, par son propre poids, reprenait la position verticale.

Les embrasures ont de tout temps fort préoccupé des architectes ou ingénieurs militaires, et, après bien des tentatives, on en est revenu toujours aux clayonnages, aux formes en terre pour les batteries découvertes. Quant aux embrasures des batteries couvertes ou casemates, on n’a pas encore trouvé un système qui présentât des garanties de durée contre des batteries de siège, et depuis le XVIe siècle, sous ce rapport, l’art de la fortification n’a pas fait de progrès sensibles.

  1. Voy., à l’article Boulevard, fig. 5, une embrasure disposée pour un tir oblique, avec pilettes de réserve destinées à garantir les artilleurs.
  2. A donne le plan de l’embrasure, B son élévation intérieure, C la section horizontale du cylindre en bois, et D sa forme et sa dimension.