BASTION, s. m. Ouvrage saillant de fortification, adopté depuis le XVIe siècle pour flanquer les enceintes et empêcher les approches par des feux croisés (voy. Architecture Militaire). Les bastions remplacèrent les tours du moyen âge. Les mots bastide, bastille, bastillon, expliquent l’origine du bastion. La plupart des anciennes enceintes que l’on voulut renforcer à la fin du XVe siècle, lorsque l’artillerie de siège eut acquis une grande puissance de destruction, furent entourées de bastions en terre gazonnée ou revêtue de maçonnerie, lorsque le temps et les ressources le permettaient. Dans ce dernier cas, on donna aux bastions primitifs plusieurs étages de feux, afin de commander la campagne au loin et de battre les assiégeants lorsqu’ils s’emparaient des fossés. En France, en Allemagne et en Italie, on voit apparaître le bastion dès la fin du XVe siècle ; les Italiens prétendent être les inventeurs de ce genre de défense ; mais nous ne voyons pas que les faits viennent appuyer cette prétention. En France et en Allemagne, les bastions ronds s’élèvent en même temps, de 1490 à 1520. Il nous semblerait plus raisonnable, de supposer que, pendant les guerres d’Italie de la fin du XVe siècle, Français, Italiens, Suisses et Allemands, perfectionnèrent à l’envi les moyens d’attaque et de défense. Le texte de Machiavel que nous avons cité dans l’article Architecture militaire[1] est loin de donner à l’Italie cette prédominance sur les autres contrées occidentales de l’Europe[2]. Quoi qu’il en soit, la France et l’Allemagne, qui, pendant toute la durée du XVIe siècle, eurent de longues et terribles guerres à soutenir, guerres civiles, guerres étrangères, ne cessèrent de fortifier à nouveau leurs anciennes places, de munir les châteaux de défenses propres à résister à l’artillerie. En France, les armées royales et les armées de la réforme, assiégeantes et assiégées tour à tour dans les mêmes villes, à quelques mois de distance, instruites par l’expérience, ajoutaient tous les jours de nouveaux ouvrages de défense aux forteresses ou perfectionnaient les anciens ; et il faut dire que si, pendant ces temps malheureux, un certain nombre d’ingénieurs italiens montrèrent un véritable talent, ce fut souvent au service des rois de France. Tous les hommes qui s’occupaient de construction dans notre pays, pendant ce siècle, étaient familiers avec l’art de la fortification, et Bernard Palissy lui-même prétendit avoir trouvé un système de défense des places à l’abri des attaques les plus formidables[3].
Parmi les premiers ouvrages à demeure qui peuvent être considérés comme de véritables bastions, nous citerons les quelques grosses tours rondes qui flanquent les angles saillants de la ville de Langres[4]. Le plus important de ces bastions est un ouvrage circulaire qui défend une porte ; il est à trois étages de batteries, dont deux sont casematées. La fig. 1 donne le plan du rez-de-chaussée de ce bastion, la fig. 2 le plan du premier étage, et la fig. 3 la coupe. Les embrasures des deux étages casematés sont ouvertes de manière à flanquer les courtines. La batterie supérieure seule devait être réservée pour battre la campagne au loin. Les bastions de la ville de Langres ne sont pas élevés en terre ; ce sont encore en réalité des tours en maçonnerie d’un fort diamètre, et dont les murs sont assez épais pour résister au boulet. La vue extérieure (4) du bastion dont nous venons de donner les plans et la coupe, a conservé l’apparence d’une tour du moyen âge, si ce n’est que cet ouvrage est bas eu égard à son diamètre, et que les parements sont dressés en talus pour mieux résister aux boulets de fer. Les gargouilles qui garnissent le pourtour de l’ouvrage démontrent bien clairement qu’il n’était point autrefois couvert par un comble, mais par une plate-forme. Ce bastion fut d’ailleurs remanié peu de temps après sa construction première, et exhaussé ; à l’intérieur les voûtes indiquent un changement, et les deux rangs superposés des gargouilles (fig. 4) ne peuvent faire douter que la plate-forme n’ait été surélevée.
Les murs, de la base au sommet, tendent à un centre commun posé sur le prolongement de l’axe E, et les assises de maçonnerie sont perpendiculaires aux rayons, en formant ainsi un angle plus ou moins ouvert avec l’horizon, selon que les murs sont plus ou moins éloignés du centre de tout l’ouvrage : Albert Durer regarde ce moyen de construction comme présentant une grande cohésion, comme épaulant puissamment le noyau du bastion ; et il ne se trompe pas. Il établit un plancher de bois pour le service de la batterie supérieure, afin de faciliter le mouvement des pièces de canon. Les détails de cet ouvrage sont assez bien étudiés et expliqués ; la batterie casematée, outre ses embrasures F, est percée d’évents G pour la fumée et de cheminées H, afin d’obtenir un tirage. Le parapet supérieur est bâti suivant un arc de cercle en coupe, pour faire ricocher les boulets ennemis ; les embrasures sont munies de mantelets en madriers tournant sur un axe et masquant les pièces pendant que les canonniers sont occupés à les charger (voy. Embrasure). Ce bastion isolé peut tenir encore si la courtine est au pouvoir de l’ennemi ; on retrouve encore là un reste de la fortification du moyen âge ; et ce bastion est une bastille que l’on suppose moins prenable que les courtines. Le fossé est très-large, 200 pas, et sa cunette est creusée le long du bastion, ainsi que l’indique le profil général X, fig. 10. La contrescarpe du fossé est revêtue. La fig. 11 donne l’élévation extérieure de la moitié de ce bastion.
Le nom de bastion, ou plutôt de bastillon, ne fut guère appliqué aux défenses avancées importantes pendant le XVIe siècle. On désigna plutôt ces ouvrages par les noms de boulevard, de plate-forme, qu’ils ne perdirent que vers les premières années du XVIIe siècle, pour reprendre définitivement la dénomination de bastion, conservée jusqu’à nos jours (voy. Boulevard).
- ↑ T. I, p. 129.
- ↑ On est trop disposé à croire généralement que nous ayons tout emprunté à l’Italie au commencement du XVIe siècle, Peut-être quelques capitaines italiens ayant étudié les auteurs romains avaient-ils à cette époque certaines idées sur la tactique militaire qui n’avaient pas cours en France ; mais ce n’est pas dans Végèce qu’ils avaient pu apprendre l’art de fortifier les places contre l’artillerie à feu.
- ↑ Œuvres complètes de Bernard Palissy, chap. De la ville de Forteresse, Édition Dubochet, 1844, p. 113.
- ↑ Voy. le plan général de la ville de Langres, Architecture Militaire, p, 411.
- ↑ Della Cosmog. univers. di Seb. Munster.
- ↑ Angle Est de la ville de Huy, sur la Meuse. Introd. à la fortif., par de Fer. 1722, Paris.
- ↑ Alberti Dureri, pict. et archit. præstantissimi de urb. arcib. castellisque condendis, etc., nunc recens è lingua germanica in latinam traductæ Parisiis, 1535.
- ↑ Voici le passage indiquant l’utilité de ces ouvrages… « Inter hæc deinde propugnacula ad fossæ alia passim construentur rotunda, quæ et ipsa humilia et sursum versus non nihil fastigiata, tecti rationem à superioribus non absimilem sortiantur. In hæc nimirum propugnacula seu fossæ stationes secretiora itinera quasi diffugia agentur, quæ aditus reditusque clancularios præstent. Est enim hoc genus munitionum non modo utile, sed necessarium quoque, cum hostis in fossam provolutus, catervatim muris scalas admolitur… » (Voyez, au mot Boulevard, des petits bastions analogues à ceux dont parle Albert Durer, attachés aux flancs de la forteresse de Schaffhausen.)