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Nulle puissance ne peut reprocher aux Vénitiens d’avoir acquis leur liberté par la révolte ; nulle ne peut leur dire : Je vous ai affranchis, voilà le diplôme de votre manumission.
Ils n’ont point usurpé leurs droits comme les Césars usurpèrent l’empire, comme tant d’évêques, à commencer par celui de Rome, ont usurpé les droits régaliens : ils sont seigneurs de Venise (si l’on ose se servir de cette audacieuse comparaison) comme Dieu est seigneur de la terre, parce qu’il l’a fondée.
Attila, qui ne prit jamais le titre de fléau de Dieu, va ravageant l’Italie. Il en avait autant de droit qu’en eurent depuis Charlemagne l’Austrasien, et Arnould le Bâtard Carinthien, et Gui duc de Spolette, et Bérenger marquis de Frioul, et les évêques qui voulaient se faire souverains.
Dans ce temps de brigandages militaires et ecclésiastiques, Attila passe comme un vautour, et les Vénitiens se sauvent dans la mer comme des alcyons. Nul ne les protége qu’eux-mêmes ; ils font leur nid au milieu des eaux ; ils l’agrandissent, ils le peuplent, ils le défendent, ils l’enrichissent. Je demande s’il est possible d’imaginer une possession plus juste ? Notre père Adam, qu’on suppose avoir vécu dans le beau pays de la Mésopotamie, n’était pas à plus juste titre seigneur et jardinier du paradis terrestre.
J’ai lu le Squittinio della libertà di Venezia, et j’en ai été indigné.
Quoi ! Venise ne serait pas originairement libre, parce que les empereurs grecs, superstitieux, et méchants, et faibles, et barbares, disent : Cette nouvelle ville a été bâtie sur notre ancien territoire ; et parce que des Allemands, ayant le titre d’empereur d’Occident, disent : Cette ville, étant dans l’Occident, est de notre domaine ?
Il me semble voir un poisson volant poursuivi à la fois par un faucon et par un requin, et qui échappe à l’un et à l’autre.
Sannazar avait bien raison de dire, en comparant Rome et Venise (épigr. de mirabili urbe Venetiis) :
Illam homines dices, hanc posuisse Deos.
Rome perdit par César, au bout de cinq cents ans, sa liberté acquise par Brutus ; Venise a conservé la sienne pendant onze siècles, et je me flatte qu’elle la conservera toujours[2].
Gênes, pourquoi fais-tu gloire de montrer un diplôme d’un Bérenger qui te donna des priviléges en l’an 958 ? On sait que des concessions de priviléges ne sont que des titres de servitude. Et puis voilà un beau titre qu’une charte d’un tyran passager qui ne fut jamais bien reconnu en Italie, et qui fut chassé deux ans après la date de cette charte ?
La véritable charte de la liberté est l’indépendance soutenue par la force. C’est avec la pointe de l’épée qu’on signe les diplômes qui assurent cette prérogative naturelle. Tu perdis plus d’une fois ton privilége et ton coffre-fort. Garde l’un et l’autre depuis 1748.
Heureuse Helvétie ! à quelle pancarte dois-tu la liberté ? À ton courage, à ta fermeté, à tes montagnes.
Mais je suis ton empereur. — Mais je ne veux plus que tu le sois. — Mais tes pères ont été esclaves de mon père. — C’est pour cela même que leurs enfants ne veulent point le servir. — Mais j’avais le droit attaché à ma dignité. — Et nous, nous avons le droit de la nature.
Quand les sept Provinces-Unies eurent-elles ce droit incontestable ? Au moment même où elles furent unies ; et dès lors ce fut Philippe II qui fut le rebelle. Quel grand homme que ce Guillaume prince d’Orange ! Il trouva des esclaves, et il en fit des hommes libres.
Pourquoi la liberté est-elle si rare ? — Parce qu’elle est le premier des biens.
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie. 1772. (B.)
- ↑ Par suite de la Révolution française, Venise a cessé d’exister comme État. Après avoir fait, sous Napoléon, partie du royaume d’Italie, Venise fait aujourd’hui partie du royaume de Lombardie, qui est sous la domination autrichienne. M. Daru a publié une Histoire de la république de Venise, qui a eu trois éditions ; 1819, 7 volumes in-8o ; 1822, 8 volumes in-8o ; 1827, 8 volumes in-18. (B.) — Venise fait partie à présent de l’État italien.