Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Facile

Éd. Garnier - Tome 19
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FACILE[1].

(grammaire.)

Facile ne signifie pas seulement une chose aisément faite, mais encore qui paraît l’être. Le pinceau du Corrége est facile. Le style de Quinault est beaucoup plus facile que celui de Despréaux, comme le style d’Ovide l’emporte en facilité sur celui de Perse.

Cette facilité en peinture, en musique, en éloquence, en poésie, consiste dans un naturel heureux, qui n’admet aucun tour de recherche, et qui peut se passer de force et de profondeur. Ainsi les tableaux de Paul Véronèse ont un air plus facile et moins fini que ceux de Michel-Ange. Les symphonies de Rameau sont supérieures à celles de Lulli, et semblent moins faciles. Bossuet est plus véritablement éloquent et plus facile que Fléchier. Rousseau, dans ses épîtres, n’a pas, à beaucoup près, la facilité et la vérité de Despréaux.

Le commentateur de Despréaux dit que ce poëte exact et laborieux avait appris à l’illustre Racine à faire difficilement des vers, et que ceux qui paraissent faciles sont ceux qui ont été faits avec le plus de difficulté.

Il est très-vrai qu’il en coûte souvent pour s’exprimer avec clarté : il est vrai qu’on peut arriver au naturel par des efforts ; mais il est vrai aussi qu’un heureux génie produit souvent des beautés faciles sans aucune peine, et que l’enthousiasme va plus loin que l’art.

La plupart des morceaux passionnés de nos bons poëtes sont sortis achevés de leur plume, et paraissent d’autant plus faciles qu’ils ont en effet été composés sans travail ; l’imagination alors conçoit et enfante aisément. Il n’en est pas ainsi dans les ouvrages didactiques : c’est là qu’on a besoin d’art pour paraître facile. Il y a, par exemple, beaucoup moins de facilité que de profondeur dans l’admirable Essai sur l’homme de Pope.

On peut faire facilement de très-mauvais ouvrages qui n’auront rien de gêné, qui paraîtront faciles ; et c’est le partage de ceux qui ont, sans génie, la malheureuse habitude de composer. C’est en ce sens qu’un personnage de l’ancienne comédie, qu’on nomme italienne, dit à un autre :

Tu fais de méchants vers admirablement bien.

Le terme facile est une injure pour une femme, et est quelquefois dans la société une louange pour un homme ; c’est souvent un défaut dans un homme d’État, Les mœurs d’Atticus étaient faciles ; c’était le plus aimable des Romains. La facile Cléopâtre se donna à Antoine aussi aisément qu’à César. Le facile Claude se laissait gouverner par Agrippine. Facile n’est là par rapport à Claude qu’un adoucissement ; le mot propre est faible.

Un homme facile est en général un esprit qui se rend aisément à la raison, aux remontrances, un cœur qui se laisse fléchir aux prières ; et faible est celui qui laisse prendre sur lui trop d’autorité.


  1. Encyclopédie, tome VI, 1756. (B.)

    — « Je demande, écrit Voltaire à d’Alembert en 1755, si l’article Facile (style) doit être restreint à la seule facilité du style, ou si on a entendu seulement qu’en traitant le mot Facile dans toute son étendue, on n’oubliât pas le style facile. Je demande le même (éclaircissement sur Fausseté (morale), Feu, Finesse, Faiblesse, Force, dans les ouvrages. » C’est bien à partir de ce mot Facile que Voltaire s’embrigada tout entier dans l’Encyclopédie. Jusqu’alors il n’avait fourni que l’article Éloquence sans plus s’engager. Mais dès 1755 il se déclare garçon encyclopédiste ; et il se désignait bien ainsi, car les articles qu’il fournit d’abord furent tous de grammaire, c’est-à-dire les plus humbles : « Je n’ai ni le temps, ni les connaissances, ni la santé qu’il faudrait, disait-il à d’Alembert, pour travailler comme je voudrais. Je ne vous présente ces essais que comme des matériaux que vous arrangerez à votre gré dans l’édifice immortel que vous élevez. Ajoutez, retranchez ; je vous donne mes cailloux pour fourrer dans quelque coin de mur. »


Fable

Facile

Faction