Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Écrouelles

Éd. Garnier - Tome 18
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ÉCROUELLES[1].

Écrouelles, scrofules, appelées humeurs froides, quoiqu’elles soient très-caustiques ; l’une de ces maladies presque incurables qui défigurent la nature humaine, et qui mènent à une mort prématurée par les douleurs et par l’infection.

On prétend que cette maladie fut traitée de divine[2], parce qu’il n’était pas au pouvoir humain de la guérir.

Peut-être quelques moines imaginèrent que des rois, en qualité d’images de la Divinité, pouvaient avoir le droit d’opérer la cure des scrofuleux, en les touchant de leurs mains qui avaient été ointes. Mais pourquoi ne pas attribuer, à plus forte raison, ce privilége aux empereurs, qui avaient une dignité si supérieure à celle des rois ? pourquoi ne le pas donner aux papes, qui se disaient les maîtres des empereurs, et qui étaient bien autre chose que de simples images de Dieu, puisqu’ils en étaient les vicaires ? Il y a quelque apparence que quelque songe-creux de Normandie, pour rendre l’usurpation de Guillaume le Bâtard plus respectable, lui concéda, de la part de Dieu, la faculté de guérir les écrouelles avec le bout du doigt.

C’est quelque temps après Guillaume qu’on trouve cet usage tout établi. On ne pouvait gratifier les rois d’Angleterre de ce don miraculeux, et le refuser aux rois de France leurs suzerains. C’eût été blesser le respect dû aux lois féodales. Enfin, on fit remonter ce droit à saint Édouard en Angleterre, et à Clovis en France.

Le seul témoignage un peu croyable que nous ayons de l’antiquité de cet usage[3] se trouve dans les écrits en faveur de la maison de Lancastre, composés par le chevalier Jean Fortescue, sous le roi Henri VI, reconnu roi de France, à Paris, dans son berceau, et ensuite roi d’Angleterre, et qui perdit ses deux royaumes. Jean Fortescue, grand chancelier d’Angleterre, dit que de temps immémorial les rois d’Angleterre étaient en possession de toucher les gens du peuple malades des écrouelles. On ne voit pourtant pas que cette prérogative rendît leurs personnes plus sacrées dans les guerres de la Rose rouge et de la Rose blanche.

Les reines qui n’étaient que femmes de rois ne guérissaient pas les écrouelles, parce qu’elles n’étaient pas ointes aux mains comme les rois ; mais Élisabeth, reine de son chef, et ointe, les guérissait sans difficulté.

Il arriva une chose assez triste à Martorillo le Calabrois, que nous nommons saint François de Paule. Le roi Louis XI le fit venir au Plessis-lès-Tours pour le guérir des suites de son apoplexie ; le saint arriva avec les écrouelles : « Ipse fuit detentus gravi inflatura quam in parte inferiori genæ suæ dextræ circa guttur patiebatur. Chirurgi dicebant morbum esse scropharum. »

Le saint ne guérit point le roi, et le roi ne guérit point le saint.

Quand le roi d’Angleterre Jacques II fut reconduit de Rochester à Whitehall, on proposa de lui laisser faire quelque acte de royauté, comme de toucher les écrouelles ; il ne se présenta personne. Il alla exercer sa prérogative en France, à Saint-Germain, où il toucha quelques Irlandaises. Sa fille Marie, le roi Guillaume, la reine Anne, les rois de la maison de Brunswick, ne guérirent personne. Cette mode sacrée passa quand le raisonnement arriva.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771 : voyez aussi sur les écrouelles la lettre du roi de Prusse, du 27 juillet 1775 ; et la note sur le chapitre xlii de l’Essai sur les Mœurs.
  2. Voyez Démoniaques.
  3. Appendix, numéro vi.


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