Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/Section complète - R

R.

RAYON : ligne droite menée du centre d’un cercle à la circonférence ; terme de géométrie dont tous les honorables membres soixante districts ont deviné à l’instant la signification, par cette seule force de lumiere qu’une nation libre a sur une nation ministériée ou esclave, ce qui est absolument la même chose. Si avant la révolution on eût appellé les braves citoyens du Pont-aux-choux & des environs, ou ceux qui habitent les piliers des halles & les rues adjacentes dans lesquelles il se trouve très-peu de géometres, sûrement ils n’auroient pas compris au premier mot ce que c’étoit qu’un rayon de deux ou trois lieues. Encore trente ans de liberté & nos neveux quitteront les ciseaux ou l’aune pour monter à la tribune aux harangues ; les Porcherons auront leurs orateurs comme le café de Foy a les siens.

Cependant malgré le faisceau de lumiere qu’a fait jaillir la révolution, il y a eu des commissaires de district qui ont voté pour un rayon de 18 lieues. Sur quelle immense surface vouloient-ils donc établir leurs patrouilles ? Je ne pardonne point cette folle prétention à des hommes qui, par le poste important qu’ils occupent, doivent encore être plus instruits que les honorables membres dont ils se chargent de guider les opinions. C’est avec raison que l’assemblée nationale, qui fait qu’un cercle est égal au produit de son rayon par la demi-circonférence, n’a point eu égard au thérorême de MM. les commissaires, & a décrété un département de deux lieues seulement.

RÉGIME : en politique, il équivaut à administration, à gouvernement. L’ancien régime, c’est l’ancienne administration, celle qui avoit lieu avant la révolution ; & le nouveau régime, celle qui a été adoptée depuis cette époque ; celle dont les vrais patriotes attendent leur bonheur ; mais qui désespere les insectes frêlons qui ne s’alimentoient que des abus que l’ancien régime autorisoit.

REPRÉSENTANS DE LA NATION : Voyez Députés.

Dans les adresses, mémoires ou placets qui leur sont présentés, ils sont ou doivent être qualifiés de Nosseigneurs ; c’est ce qui a donné lieu aux aristogustins de controuver une anecdote qui sans doute est sortie de la Minerve, de ce treizieme apôtre qui macule toujours quelque calomnie.

« On assure, dit le conteur, qu’on a vu une lettre d’un libraire de province adressée à son correspondant, libraire-député, dont la suscription étoit à Monseigneur, Monseigneur… libraire, &c. Le contenu de le lettre étoit en ces termes ».

Monseigneur,

J’ai l’honneur de vous remettre pour la présente année, vingt douzaines d’almanachs de Liege, & vous préviens que cet article, qui est un des plus forts de votre commerce, fera cette année l’objet d’une grande spéculation, parce qu’on y prédit que le roi de Prusse sera prince de Liege, & sire de Joinville prince de Brabant[1] ; que par l’intercession de Sainte-Gudule, les Brabançons vont désapprendre à lire, qu’alors un grand général qui a commandé autrefois dans le Paraguai doit de mettre à leur tête, & que, ce qui en adviendra, fera l’étonnement de l’université de Louvain, qui elle-même a toujours fait l’étonnement de toute l’Europe ; qu’il adviendra encore que cette université aura pour recteur un neveu du feu R. P. Malagrida. Le fameux Mathieu Lansberg, prédit aussi qu’un grand prince trompera une grande princesse, & qu’il s’assiera sur un trône où depuis plusieurs siecles on ne s’est assis qu’en pantoufles & en bonnet de nuit : que dans une région célebre de l’Europe, il y aura une quantité considérable des vieilles filles à marier, qu’elles seront recherchées par de vieux garçons qui en connoissent déjà tout le mérite ; que dans cette même région, la barbarie va une autre fois réduire les lettres & les sciences au berceau qu’elle environnera de ténebres, en dispersant ces hommes fameux qui faisoient de si belles chartres, & savoient si bien le plainchant ; que nos campagnes ne seront plus cultivées, parce qu’il n’y avoit qu’eux qui entendissent l’agriculture ; que nos pauvres seront abandonnés, parce qu’il n’y avoit qu’eux qui les secourussent, &c. &c. Ma lettre, monseigneur, seroit plus longue que celles qu’on écrit à votre auguste président, si je voulois vous rapporter toutes les merveilleuses prédictions que renferme l’almanach de Liege de cette année. La collection que je vous adresse vous mettre à même d’en juger.

J’ai l’honneur d’être avec respect, Monseigneur, &c.

Il est d’autant plus aisé de se convaincre que cette lettre est une fourbe de nos bons apôtres, que l’almanach de Liege de cette année ne comprend pas un mot des prétendues prédictions qu’on lui fait faire ici. M. l’abbé Syeyes avoit bien raison de s’élever contre les abus de la liberté de la presse, qui ne tendent pas moins qu’à la subversion des empires. Une bonne ordonnance à la Brabançonne, & que tous les bavards se taisent !

RESPONSABILITÉ : état de celui qui est responsable de ce qu’il fait ou sait faire. Ce mot ne se trouve point dans le dictionnaire de l’académie Françoise, & n’a garde de s’y trouve,r eût fait mettre les quarante à la Bastille, sur-tout s’ils s’étoient avisés de rapporter en exemple : la sûreté publique exige la responsabilité des ministres.

Ah ! sans doute elle l’exige, & cet axiôme du nouveau régime, que n’a-t-il un effet rétroactif ! il conduiroit à la Guillotine d’insignes brigands que, bien loin de punir nous allons pensionner encore. Mais l’assemblée nationale, dont les principes ne sont point si rigoureux, passe l’éponge sur le passé, en prenant des justes précautions pour l’avenir.

Cette responsabilité, qui sera le glaive suspendu sur la tête du prévaricateur, ne va placer au gouvernail que des pilotes instruits. Quand nous aurons la guerre, ce ne sera plus parce que des Belle-Isle ou leurs semblables auront voulu faire les importans. Dans le cas où elle sera indispensable, (car nous n’en aurons que d’indispensables,) le général qui commandera nos légions ne sera plus un courtisan musqué, à qui des caillettes auroient confié le bâton fameux du grand Condé. Il saura son métier, ou le fatal réverbere le punira de sa présomption. Nos vaisseaux…, oui… nos beaux vaisseaux…, ils ne sortiront plus de Brest ou de Toulon, pour aller mouiller honteusement à Postmouth… S’ils y vont, François, ce seront des Suffrens qui les y conduiront, & c’est armés de la foudre qu’ils y entreront.

RÉVOLUTION : je n’ai pas besoin d’expliquer le mot, je n’ai que des vœux à faire pour la chose. Voyez Contre-révolution.

Louis XIV, si dans le séjour des morts le ciel réserve quelques peines à ces monarques orgueilleux, qui dirent comme toi mes sujets, & comme roi les compterent pour rien, la plus sensible sans doute que tu puisses éprouver, sera celle d’entendre le récit de notre révolution. Mais il ne faut pas que tu souffres seul, seul tu ne fis pas le mal, tu feras partager ton tourment à ce superbe Richelieu, à ce vil Mazarin, qui préparerent ton regne & te rendirent despote. Tu appelleras l’implacable Louvois, pour qu’il entende parler de la responsabilité des ministres. Tu appelleras le cruel le Tellier & ton pere la Chaise, pour que le premier sache que les enfans de ces protestans qu’il égorgea, nous allons les embrasser, qu’ils vont devenir nos freres, qu’ils vont rentrer dans l’héritage dont il les avoit spoliés. Pour que ton Jésuite apprenne que ses Jésuites ne sont plus, ni les moines qui les haïssoient, & se réjouirent charitablement de leur chute ; pour qu’il apprenne, enfin, qu’il n’est plus de Bastille ni de lettres-de-cachet. Tu feras venir aussi ton d’Antin, qu’il sache qu’il eut un successeur, & que ce vil successeur fut obligé de se dérober honteusement à la haine publique. Tu rappelleras sur-tout ton petit-fils Louis XV, qu’il vienne & soit suivi de son vieux Fleuri qui le tint si long-temps en jaquette, du Bourbon qui n’auroit jamais dû jouer le rôle de ministre ; des Belle-Isle qui l’obérerent par leurs vains projets & le déshonorerent par leur inconséquence, du présomptueux Choiseul & des caillettes politiques qui essayerent avec lui de changer la face de l’Europe. Tu n’oublieras point de Philippe qui régenta si follement ; son Dubois si digne de la lanterne ; & son Law dont l’esprit semble nous animer encore.

Oh ! Louis le Grand, que Louis XVI rend si petit, que deviendront tes bottes & ton fouet quand tu apprendras les détails du 17 juillet 1789, & ceux de la séance du 4 février 1790 ; tu te croiras au pays des fables. Richelieu, Mazarin, Fleuri & la sequelle ministérielle qui sera accourue à ta voix, ainsi que cette nombreuse comitive de ducs dont tu remplis ta cour, tout cela fuira vers le Ténare au récit de ce qui se passa dans la nuit du 4 août 1789, & le 13 février 1790.

ROI DES FRANÇOIS : autrefois nos rois se qualifioient de roi de France & de Navarre par la grace de Dieu. Comme la Navarre n’est plus un royaume, mais bien une province dont les habitans sont François comme ceux de l’Isle de France, que le prince non-seulement regne par la grace de Dieu, mais encore du consentement de la nation Françoise, il a été décrété qu’à l’ancienne qualification on substitueroit celle de Louis, par la grace de Dieu & de la loi constitutionnelle de l’état, Roi des François, &c. Si pour le bonheur des peuples les successeurs de Louis XVI lui ressembloient, que de titres à ajouter à ce titre de roi des François ! Si déjà ceux de pere du peuple & de restaurateur de la liberté ont été décernés d’une voix unanime au monarque régnant ; quel titre lui proclameront nos cœurs pour la séance du 4 ? Dans cette séance où ce bon pere finit par dire à ses enfans : « puisse cette journée, où votre monarque vient s’unir à vous de la maniere la plus franche & la plus intime, être une époque mémorable dans l’histoire de cet empire !… » Oui, Sire, elle le sera, n’en doutez point, ou ces freres que vous venez exhorter à s’embrasser & n’avoir d’autre passion que celle du bien public, ou ces freres, dis-je, dont des monstres plus cruels encore que les féroces Atrides… Tigres qui détournez les levres de la coupe amicale…, écoutez votre roi « Que ceux qui s’éloigneroient encore d’un esprit de concorde, devenu si nécessaire, me fassent le sacrifice de tous les souvenirs amers qui les affligent, je les payerai par ma reconnoissance & mon affection » … Eh ! les barbares ils composent encore pour jurer !

  1. Joinville est le nom sous lequel voyage un prince très-connu. Note de l’éditeur.