Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Fantômes

Henri Plon (p. 259-260).

Fantômes, esprits ou revenants de mauvais augure, qui effrayaient fort nos pères, quoiqu’ils sussent bien qu’on n’a aucunement peur des fantômes, si l’on tient dans sa main de l’ortie avec du millefeuille[1]. Les Juifs prétendent que le fantôme qui apparaît ne peut reconnaître la personne qu’il doit effrayer, si elle a un voile sur le visage ; mais quand cette personne est coupable, ils croient, au rapport de Buxtorf, que le masquetombe, afin que l’ombre puisse la voir et la poursuivre. Des fantômes sont venus quelquefois annoncer la mort ; un spectre se présenta pour cela aux noces du roi d’Écosse, Alexandre III, qui


mourut peu après. Camerarius rapporte que de son temps on voyait quelquefois dans les églises


des fantômes sans tête, vêtus en moines et en religieuses, assis dans les stalles des vrais moines et des sœurs qui devaient bientôt mourir. — Un chevalier espagnol avait osé concevoir une passion criminelle pour une religieuse. Une nuit qu’il traversait l’église du couvent dont il s’était procuré la clef, il vit des cierges allumés et des prêtres, qui lui étaient inconnus, occupés à célébrer l’office des morts autour d’un tombeau. Il s’approcha de l’un d’eux et demanda pour qui on faisait le service. « Pour vous, » lui dit le prêtre. Tous les autres lui firent la même réponse ; il sortit effrayé, monta à cheval, s’en retourna à sa maison, et deux chiens l’étranglèrent à sa porte[2].

Une dame voyageant dans une chaise de poste fut surprise par la nuit près d’un village où l’essieu de sa voiture s’était brisé. On était en automne, l’air était froid et pluvieux ; il n’y avait point d’auberge dans le village ; on lui indiqua le château. Comme elle en connaissait le maître, elle n’hésita pas à s’y rendre. Le concierge alla la recevoir, et lui dit qu’il y avait au château dans ce moment beaucoup de monde qui était venu célébrer une noce, et qu’il allait informer le seigneur de son arrivée. La fatigue, le désordre de sa toilette et le désir de continuer son voyage engagèrent la voyageuse à prier le concierge de ne point déranger son maître. Elle lui demanda seulement une chambre. Toutes étaient occupées, à l’exception d’une seule, dans un coin écarté du château, qu’il n’osait lui proposer à cause de son délabrement ; mais elle lui dit qu’elle s’en contenterait, pourvu qu’on lui fît un bon lit et un bon feu. Après qu’on eut fait ce qu’elle désirait, elle soupa légèrement, et s’étant bien réchauffée, elle se mit au lit. Elle commençait à s’endormir, lorsqu’un bruit de chaînes et des sons lugubres la réveillèrent en sursaut. Le bruit approche, la porte s’ouvre, elle voit, à la clarté de son feu, entrer un fantôme couvert de lambeaux blanchâtres ; sa figure pâle et maigre, sa barbe longue et touffue, les chaînes qu’il portait autour du corps, tout annonçait un habitant d’un autre monde. Le fantôme s’approche du feu, se couche auprès tout de son long, se tourne de tous côtés en gémissant, puis, à un léger mouvement qu’il entend près du lit, il se relève promptement et s’en approche. Quelle amazone eût bravé un tel adversaire ? Quoique notre voyageuse ne manquât pas de courage, elle n’osa l’attendre, se glissa dans la ruelle du lit, et, avec une agilité dont la frayeur rend capables les moins légères, elle se sauve en chemise à toutes jambes, enfile de longs et obscurs corridors, toujours poursuivie par le terrible fantôme, dont elle entend le frottement des chaînes contre la muraille. Elle aperçoit enfin une faible clarté, et, reconnaissant la porte du concierge, elle y frappe et tombe évanouie sur le seuil. Il vient ouvrir, la fait transporter sur son lit et lui prodigue tous les secours qui sont en son pouvoir. Elle raconta ce qui lui était arrivé. Hélas ! s’écria le concierge, notre fou aura brisé sa chaîne et se sera échappé ! Ce fou était un parent du maître du château, qu’on gardait depuis plusieurs années. Il avait effectivement profité de l’absence de ses gardiens, qui étaient à la noce, pour détacher ses chaînes, et le hasard avait conduit ses pas à la chambre de la voyageuse, qui en fut quitte pour une grande peur[3]. Voy. Apparitions, Visions, Hallucinations, Esprits, Revenants, Spectres, Deshoulières, etc., etc.

  1. Les admirables secrets d’Albert le Grand.
  2. Torquemada, Hexaméron.
  3. Spectriana, p. 79.