Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Revenants

Henri Plon (p. 577-580).

Revenants. On débite, comme une chose assurée, qu’un revenant se trouve toujours froid quand on le touche. Cardan et Alessandro-Alessandri sont des témoins qui l’affirment. Cajetan en donne la raison, qu’il a apprise de la bouche d’un esprit, lequel, interrogé à ce sujet par une sorcière, lui répondit qu’il fallait que la chose fût ainsi. La réponse est satisfaisante. Elle nous apprend au moins que le diable se sauve quelquefois par le pont aux ânes.

Dom Calmet a rapporté l’histoire d’un revenant du Pérou qui se manifestait en esprit frappeur. Plusieurs autres en ont fait autant ; et de nos jours on en a de fréquents exemples.

Walter-Scott, dans Péveril du Pic, raconte qu’un brasseur de Chesterfield, mort du spleen, dans un domaine voisin qui lui avait appartenu, revenait à la connaissance de tous et se promenait dans une allée solitaire, accompagné du gros dogue qui, lorsqu’il était vivant, était son favori.

Il y a des revenants, quoi qu’en disent ceux qui doutent de tout, des revenants réels. Mais les revenants supposés, ou par la supercherie, ou par un mal entendu, ou par le hasard, ou par la peur, sont mille fois plus nombreux que les revenants véritables.

Un Italien, retournant à Rome après avoir fait enterrer son ami de voyage, s’arrêta le soir dans une hôtellerie où il coucha. Étant seul et bien éveillé, il lui sembla que son ami mort, tout pâle et décharné, lui apparaissait et s’approchait de lui. Il leva la tête pour le regarder et lui demanda en tremblant qui il était. Le mort ne répond rien, se dépouille, se met au lit et se serre contre le vivant, comme pour se réchauffer. L’autre, ne sachant de quel côté se tourner, s’agite et repousse le défunt. Celui-ci, se voyant ainsi rebuté, regarde de travers son ancien compagnon, se lève du lit, se rhabille, chausse ses souliers et sort de la chambre, sans plus apparaître. Le vivant a rapporté qu’ayant touché dans le lit un des pieds du mort, il l’avait trouvé plus froid que la glace. — Cette anecdote peut n’être qu’un conte. En voici une autre qui est plus claire :

Un aubergiste d’Italie qui venait de perdre sa mère, étant monté le soir dans la chambre de la défunte, en sortit hors d’haleine, en criant à tous ceux qui logeaient chez lui que sa mère était revenue et couchée dans son lit ; qu’il l’avait vue, mais qu’il n’avait pas eu le courage de lui parler. Un ecclésiastique qui se trouvait là voulut y monter ; toute la maison se mit de la partie. On entra dans la chambre ; on tira les rideaux du lit, et on aperçut la figure d’une vieille femme, noire et ridée, coiffée d’un bonnet de nuit et qui faisait des grimaces ridicules. On demanda au maître de la maison si c’était bien là sa mère ? — Oui, s’écria-t-il, oui, c’est elle ; ah ! ma pauvre mère ! Les valets la reconnurent de même. Alors le prêtre lui jeta de l’eau bénite sur le visage. L’esprit, se sentant mouillé, sauta à la figure de l’abbé. Tout le monde prit la fuite en poussant des cris. Mais la coiffure tomba et on reconnut que la vieille femme n’était qu’un singe. Cet animal avait vu sa maîtresse se coiffer, il l’avait imitée.

L’auteur de Paris, Versailles et les provinces au dix-huitième siècle raconte une histoire de revenant assez originale. M. Bodry, fils d’un riche négociant de Lyon, fut envoyé, à l’âge de vingt-deux ans, à Paris, avec des lettres de recommandation de ses parents pour leur correspondant, dont il n’était pas personnellement connu. Muni d’une somme assez forte pour pouvoir vivre agréablement quelque temps dans la capitale, il s’associa pour ce voyage un de ses amis, extrêmement gai. Mais, en arrivant, M. Bodry fut attaqué d’une fièvre violente ; son ami, qui resta près de lui la première journée, ne voulait pas le quitter, et se refusait d’autant plus aux instances qu’il lui faisait pour l’engager à se dissiper, que, n’ayant fait ce voyage que par complaisance pour lui, il n’avait aucune connaissance à Paris. M. Bodry l’engagea à se présenter sous son nom chez le correspondant de sa famille, et à lui remettre ses lettres de recommandation, sauf à éclaircir comme il le pourrait l’imbroglio qui résulterait de cette supposition, lorsqu’il se porterait mieux.

Une proposition aussi singulière ne pouvait que plaire au jeune homme ; elle fut acceptée : sous le nom de M. Bodry, il se rend chez le correspondant, lui présente les lettres apportées de Lyon, joue très-bien son rôle et se voit parfaitement accueilli. Cependant, de retour au logis, il trouve son ami dans l’état le plus alarmant ; et, nonobstant tous les secours qu’il lui prodigue, il a le malheur de le perdre dans la nuit. Malgré le trouble que lui occasionnait ce cruel événement, il sentit qu’il n’était pas possible de le taire au correspondant de la maison Bodry ; mais comment avouer une mauvaise plaisanterie dans une si triste circonstance ? N’ayant plus aucun moyen de la justifier, ne serait-ce pas s’exposer volontairement aux soupçons les plus injurieux, sans avoir, pour les écarter, que sa bonne foi, à laquelle on ne voudrait pas croire ?… Cependant il ne pouvait se dispenser de rester pour rendre les derniers devoirs à son ami ; et il était impossible de ne pas inviter le correspondant à cette lugubre cérémonie. Ces différentes réflexions, se mêlant avec le sentiment de la douleur, le tinrent dans la plus grande perplexité ; mais une idée originale vint tout à coup fixer son incertitude.

Pâle, défait par les fatigues, accablé de tristesse, il se présente à dix heures du soir chez le correspondant, qu’il trouve au milieu de sa famille, et qui, frappé de cette visite à une heure indue, ainsi que du changement de sa figure, lui demande ce qu’il a, s’il lui est arrivé quelque malheur… « Hélas ! monsieur, le plus grand de tous, répond le jeune homme d’un ton solennel ; je suis mort ce matin, et je viens vous prier d’assister à mon enterrement qui se fera demain. » Profitant de la stupeur de la société, il s’échappe sans que personne fasse un mouvement pour l’arrêter ; on veut lui répondre ; il a disparu. On décide que le jeune homme est devenu fou, et le correspondant se charge d’aller le lendemain, avec son fils, lui porteries secours qu’exige sa situation. Arrivés en effet à son logement, ils sont troublés d’abord par les préparatifs funéraires ; ils demandent M. Bodry ; on leur répond qu’il est mort la veille et qu’il va être enterré ce matin… À ces mots, frappés de la plus grande terreur, ils ne doutèrent plus que ce ne fût l’âme du défunt qui leur avait apparu et revinrent communiquer leur effroi à toute la famille, qui n’a jamais voulu revenir de cette idée.

On a pu lire ce qui suit dans plusieurs journaux : « Une superstition incroyable a causé récemment un double suicide dans la commune de Bussy-en-Oth, département de l’Aube. Voici les circonstances de ce singulier et déplorable événement (1841) : un jeune homme des environs était allé à la pêche aux grenouilles et en avait mis plusieurs toutes vivantes dans un sac. En s’en revenant, il aperçoit un paysan qui cheminait à petits pas. Ce bonhomme portait une veste dont la poche était entrebâillée. Le pêcheur trouva plaisant de prendre une de ses grenouilles et de la glisser dans la poche de la veste du paysan. Ce dernier, nommé Joachim Jacquemin, rentre chez lui et se couche, après avoir mis sa veste sur son lit. Au milieu de la nuit, il est réveillé par un corps étranger qu’il sent sur sa figure, et qui s’agitait en poussant de petits cris inarticulés. C’était la grenouille qui avait quitté sa retraite,

 
 
et qui, cherchant sans doute une issue pour se sauver, était arrivée jusque sur le visage du dormeur et s’était mise à coasser. Le paysan n’ose remuer, et bientôt sa visiteuse nocturne disparaît. Mais le pauvre homme, dont l’esprit était d’une grande faiblesse, ne doute pas qu’il n’ait eu affaire à un revenant. Sur ces entrefaites, un de ses amis, voulant lui jouer un tour, vient le prévenir qu’un de ses oncles, qui habite Sens, est mort il y a peu de jours, et il l’engage à se rendre sur les lieux pour recueillir l’héritage.

« Jacquemin fait faire des vêtements de deuil pour lui et pour sa femme, et se met en route pour le chef-lieu du département de l’Yonne, distant de son domicile de huit lieues. Il se présente à la maison du défunt ; la première personne qu’il aperçoit en entrant, c’est son oncle, tranquillement assis dans un fauteuil, et qui témoigne à son neveu la surprise qu’il éprouve de le voir. Jacquemin saisit le bras de sa femme et se sauve, en proie à une terreur qu’il ne peut dissimuler, et sans donner à son oncle étonné aucune explication. Cependant la grenouille n’avait pas abandonné la demeure du paysan : elle avait trouvé une retraite dans une fente de plancher, et là elle poussait fréquemment des coassements qui jetaient Jacquemin dans des angoisses épouvantables, surtout depuis qu’il avait vu son oncle. Il était convaincu que c’était l’ombre de ce parent qu’il avait aperçue, et que les cris qu’il entendait étaient poussés par lui, qui revenait chaque nuit pour l’effrayer. Pour conjurer le maléfice, Jacquemin fit faire des conjurations, qui restaient inefficaces ; car les coassements n’en continuaient pas moins. Chaque nuit le malheureux se relevait, prenait sa couverture, qu’il mettait sur sa tête en guise de capuce, et chantait devant un bahut qu’il avait transformé en autel. Les coassements continuaient toujours !… Enfin, n’y pouvant plus tenir, le pauvre Jacquemin fit part à quelques personnes de l’intention où il était de se donner la mort, et les pria naïvement de l’y aider ; il acheta un collier en fer, se le mit au cou, et un de ses amis voulut bien serrer la vis pour l’étrangler ; mais il s’arrêta quand il crut que la douleur aurait fait renoncer Jacquemin à son projet. Le paysan choisit un autre moyen et pria une autre personne de l’étouffer entre deux matelas ; cette personne feignit d’y consentir, et s’arrêta quand elle pensa que Jacquemin avait assez souffert et que ce serait pour lui une leçon. Mais l’esprit de Jacquemin était trop vivement impressionné, et un malheur était imminent. En effet, un jour, on fut étonné de ne pas l’apercevoir ; on fit des recherches dans la maison, et on le trouva pendu dans son grenier. Le lendemain, sa femme, au désespoir de la perte de son mari, se jeta dans une mare où elle trouva aussi la mort. »

Et voilà les suites d’une de ces stupides plaisanteries comme les jeunes étourdis en font tant !

On conte qu’il y avait dans un village du Poitou un fermier nommé Hervias. Le valet de cet homme pensa qu’il lui serait avantageux d’épouser la fille de la maison, qui s’appelait Catherine et qui était riche. Comme il ne possédait rien, et que pour surcroît la main de la jeune fille était promise à un cousin qu’elle aimait, le valet imagina un stratagème. Un mois avant la noce, comme le fermier se trouvait une certaine nuit plongé dans son meilleur sommeil, il en fut tiré en sursaut par un bruit étrange qui se fit auprès de lui. Une main agita les rideaux de son lit ; et il vit au fond de sa chambre un fantôme couvert d’un drap noir sur une longue robe blanche. Le fantôme tenait une torche à demi éteinte à la main droite et une fourche à la gauche. Il traînait des chaînes ; il avait une tête de cheval lumineuse. Hervias poussa un gémissement, son sang se glaça ; et il eut à peine la force de demander au fantôme ce qu’il voulait.

« Tu mourras dans trois jours, répondit brutalement l’esprit, si tu songes encore au mariage projeté entre ta fille et son jeune cousin ; tu dois la marier, dans ta maison, avec le premier homme que tu verras demain à ton lever. Garde le silence ; je viendrai la nuit prochaine savoir ta réponse. » En achevant ces mots, le fantôme disparut.

Hervias passa la nuit sans dormir. Au point du jour, quelqu’un entra pour lui demander des ordres ; c’était le valet. Le fermier fut consterné de la pensée qu’il fallait lui donner sa fille ; mais il ne témoigna rien, se leva ; alla trouver Catherine et finit par lui raconter le tout. Catherine, désolée, ne sut que répondre. Son jeune cousin vint ce jour-là ; elle lui apprit la chose, mais il ne se troubla point. Il proposa à son futur beau-père de passer la nuit dans sa chambre, Hervias y consentit. Le jeune cousin feignit donc de partir le soir pour la ville, et rentra dans la ferme après la chute du jour. Il resta sur une chaise auprès du lit d’Hervias, et tous deux attendirent patiemment le spectre. La fenêtre s’ouvrit vers minuit ; comme la veille, on vit paraître le fantôme dans le même accoutrement, il répéta le même ordre. Hervias tremblait, le jeune cousin, qui ne craignait pas les apparitions, se leva et dit : « Voyons qui nous fait des menaces si précises. » En même temps il sauta sur le spectre qui voulait fuir ; il le saisit, et, sentant entre ses bras un corps solide, il s’écria : « Ce n’est pas un esprit. » Il jeta le fantôme par la fenêtre, qui était élevée de douze pieds. On entendit un cri plaintif. « Le revenant n’osant, plus revenir, dit le jeune cousin, allons voir s’il se porte bien. » Le fermier ranima son courage autant qu’il put, et descendit avec son gendre futur. On trouva que le prétendu démon était le valet de la maison… On n’eut pas besoin de lui donner des soins ; sa chute l’avait assommé, et il mourut au bout de quelques heures : sort fâcheux dans tous les cas.

Dans le château d’Ardivilliers, près de Bre-teuil, en Picardie, au temps de la jeunesse de Louis XV, un esprit faisait un bruit effroyable. C’étaient toute la nuit des flammes qui faisaient paraître le château en feu, c’étaient des hurlements épouvantables. Mais cela n’arrivait qu’en certain temps de l’année, vers la Toussaint. Personne n’osait y demeurer que le fermier, avec qui l’esprit était apprivoisé. Si quelque malheureux passant y couchait une nuit, il était si bien étrillé qu’il en portait longtemps les marques. Les paysans d’alentour voyaient mille fantômes qui ajoutaient à l’effroi. Tantôt quelqu’un avait aperçu en l’air une douzaine d’esprits au-dessus du château ; ils étaient tous de feu et dansaient un branle à la paysanne ; un autre avait trouvé dans une prairie je ne sais combien de présidents et de conseillers en robe rouge, assis et jugeant à mort un gentilhomme du pays, qui avait eu la tête tranchée il y avait bien cent ans. Plusieurs autres avaient vu, ou tout au moins ouï dire, des merveilles du château d’Ardivilliers. Cette farce dura quatre ou cinq ans, et fit grand tort au maître du château, qui était obligé d’affermer sa terre à très-vil prix. Il résolut enfin de faire cesser la lutinerie, persuadé par beaucoup de circonstances qu’il y avait de l’artifice en tout cela. Il se rend à sa terre vers la Toussaint, couche dans son château et fait demeurer dans sa chambre deux gentilshommes de ses amis, bien résolus, au premier bruit ou à la première apparition, de tirer sur les esprits avec de bons pistolets. Les esprits, qui savent tout, surent apparemment ces préparatifs ; pas un ne parut. Ils se contentèrent de traîner des chaînes dans une chambre du haut, au bruit desquelles la femme et les enfants du fermier vinrent au secours de leur seigneur, en se jetant à ses genoux pour l’empêcher de monter dans cette chambre.

« Ah ! monseigneur, lui criaient-ils, qu’est-ce que la force humaine contre des gens de l’autre monde ? Tous ceux qui ont tenté avant vous la même entreprise en sont revenus disloqués. » Ils tirent tant d’histoires au maître du château, que ses amis ne voulurent pas qu’il s’exposât ; mais ils montèrent tous deux à cette grande et vaste chambre où se faisait le bruit, le pistolet dans une main, la chandelle dans l’autre. Ils ne virent d’abord qu’une épaisse fumée, que quelques flammes redoublaient par intervalles. Un instant après, elle s’éclaircit et l’esprit parut confusément au milieu. C’était un grand diable tout noir qui faisait des gambades, et qu’un autre mélange de flammes et de fumée déroba une seconde fois à la vue. Il avait des cornes, une longue queue. Son aspect épouvantable diminua un peu l’audace de l’un des deux champions. « Il y a là quelque chose de surnaturel, dit-il à son compagnon ; retirons-nous. — Non, non, répondit l’autre ; ce n’est que de la fumée de poudre à canon… et l’esprit ne sait son métier qu’à demi de n’avoir pas encore soufflé nos chandelles. » Il avance à ces mots, poursuit le spectre, lui lâche un coup de pistolet, ne le manque pas ; mais au lieu de tomber, le spectre se retourne et le fixe. Il commence alors à s’effrayer à son tour. Il se rassure toutefois, persuadé que ce ne peut être un esprit ; et, voyant que le spectre évite de l’approcher, il se résout à le saisir, pour voir s’il sera palpable ou s’il fondra entre ses mains. L’esprit, trop pressé, sort de la chambre et s’enfuit par un petit escalier. Le gentilhomme descend après lui, ne le perd point de vue, traverse cours et jardins, et fait autant de tours qu’en fait le spectre, tant qu’enfin le fantôme, étant parvenu à une grange qu’il trouve ouverte, se jette dedans et fond contre un mur au moment où le gentilhomme pensait l’arrêter. Celui-ci appelle du monde ; et dans l’endroit où le spectre s’était évanoui, il découvre une trappe qui se fermait d’un verrou après qu’on y était passé. Il descend, trouve le fantôme sur de bons matelas, qui l’empêchaient de se blesser quand il s’y jetait la tête la première. Il l’en fait sortir, et l’on reconnaît sous le masque du diable le malin fermier, qui avoua toutes ses souplesses et en fut quitte pour payer à son maître les redevances de cinq années sur le pied de ce que la terre était affermée avant les apparitions. Le caractère qui le rendait à l’épreuve du pistolet était une peau de buffle ajustée à tout son corps…

Mais retournons aux revenants sérieux. Les peuples du Nord reconnaissaient une espèce de revenants qui, lorsqu’ils s’emparaient d’un édifice ou du droit de le fréquenter, ne se défendaient pas contre les hommes, mais devenaient fort traitables à la menace d’une procédure légale. L’Evrbiggia-Saga nous apprend que la maison d’un respectable propriétaire en Islande se trouva, peu après que l’île fut habitée, exposée à une infestation de cette nature. Vers le commencement de l’hiver, il se manifesta, au sein d’une famille nombreuse, une maladie contagieuse qui, emportant quelques individus de tout âge, sembla menacer tous les autres d’une mort précoce. Le trépas de ces malades eut le singulier résultat de faire rôder leurs ombres autour de la maison, en terrifiant les vivants qui en sortaient. Comme le nombre des morts dans cette famille surpassa bientôt celui des vivants, les esprits résolurent d’entrer dans la maison et de montrer leurs formes vaporeuses et leur affreuse physionomie jusque dans la chambre où se faisait le feu pour l’usage général des habitants, chambre qui pendant l’hiver, en Islande, est la seule où puisse se réunir une famille. Les survivants effrayés se retirèrent à l’autre extrémité de la maison et abandonnèrent la place aux fantômes. Des plaintes furent portées au pontife du dieu Thor, qui jouissait d’une influence considérable dans l’île. Par son conseil, le propriétaire de la maison hantée assembla un jury composé de ses voisins, constitué en forme, comme pour juger en matière civile, et cita individuellement les divers fantômes et ressemblances des membres morts de la famille, pour qu’ils eussent à prouver en vertu de quel droit ils disputaient à lui et à ses serviteurs la paisible possession de sa propriété, et quelle raison ils pouvaient avoir de venir ainsi troubler et déranger les vivants. Les mânes parurent dans l’ordre où ils étaient appelés ; après avoir murmuré quelques regrets d’abandonner leur toit, ils s’évanouirent aux yeux des jurés étonnés.

Un jugement fut donc rendu alors par défaut contre les esprits ; et l’épreuve par jury, dont nous trouvons ici l’origine, obtint un triomphe inconnu à quelques-uns de ces grands écrivains, qui en ont fait le sujet d’une eulogie.

Le singulier fait que nous venons d’exposer est emprunté à la Démonologie de Walter Scott.

Dans la Guinée, on croit que les âmes des trépassés reviennent sur la terre, et qu’elles prennent dans les maisons les choses dont elles ont besoin ; de sorte que, quand on a fait quelque perte, on en accuse les revenants ; opinion très-favorable aux voleurs. Voy. Apparitions, Fantômes, Spectres, Athénagore, etc.