Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Musurus


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MUSURUS (Marc), natif de Candie, se distingua parmi les hommes doctes qui parurent en Italie vers le commencement du XVIe. siècle. Il enseigna les lettres grecques dans l’université de Padoue avec beaucoup de réputation, et avec tant d’attachement aux fonctions de cette charge, qu’à peine laissait-il passer quatre jours toutes les années sans faire des leçons publiques [a]. Il les faisait ordinairement à sept heures du matin. Il entendait admirablement la langue latine ; ce que l’on n’avait guère remarqué dans aucun Grec transplanté en Occident [b], et il étudiait avec ardeur la philosophie. Voilà ce que dit de lui un homme qui le connaissait personnellement (A). Quelques-uns disent que le désir de s’avancer l’obligea d’aller à Rome (B), pour faire sa cour à Léon X. Ce ne fut pas inutilement, vu qu’il obtint de ce pape l’archevêché de Malvazia dans la Morée : mais à peine avait-il été orné de ce beau titre, qu’il mourut à Rome, pendant l’automne de l’an 1517 [c]. Ce fut d’hydropisie, si nous en croyons Paul Jove [d], qui ajoute que le chagrin de n’avoir pas été élevé au cardinalat le fit tomber dans une extrême langueur. On ajoute qu’il était bon poëte, et que l’éloge de Platon, qu’il composa en vers grecs, et qui fut mis à la tête des œuvres de ce philosophe, fut reçu avec de grands applaudissemens, et considéré comme une pièce qui allait de pair avec les meilleures de l’antiquité. Le même Paul Jove prétend que la ligue qui fit la guerre aux Vénitiens, obligea Musurus à quitter sa profession, et à se tenir dans le repos du cabinet. Ce n’est pas narrer les choses exactement [e]. M. Varillas a fait un article tout-à-fait joli de notre Musurus [f] ; mais jusqu’à ce qu’on me produise de bonnes preuves de son narré, il me semblera que presque tous les embellissemens en sont romanesques (C). Nous ferons quelques réflexions sur son récit (D), et sur l’abrégé qu’on en donne dans le Supplément de Moréri (E). Musurus n’a pas été oublié dans la liste des savans malheureux (F) ; mais il y est représenté comme un homme si éloigné de l’ambition, que les dignités lui paraissaient un fardeau insupportable. Nous voilà bien éloignés des auteurs qui parlent de lui. Il ne publia qu’un petit nombre de vers grecs, et quelques préfaces en prose (G). Le public lui est redevable de la première édition d’Aristophane et d’Athénée (H). Nous rapporterons le jugement qu’Érasme faisait de lui (I). André Schottus n’a point dû lui attribuer le grand Etymologicum (K). Le sieur Paul Fréher a commis une lourde faute (L).

  1. Erasm. epist. V, lib. XXIII, p. 1209
  2. Idem, ibid.
  3. Paulus Bombasius, epist. ad Erasmum, XXIII, lib. II, inter Erasmianas.
  4. In Elogiis, cap. XXX.
  5. Voyez la remarque (B).
  6. Anecdotes de Florence, pag. 180, 181, 182.

(A) Un homme qui le connaissait personnellement. ] C’est d’Érasme que je veux parler. Je m’assure que plusieurs trouveront ici avec plaisir ce qu’il raconte de Musurus. Patavii neminem vidi celebrem, mortuos tantùm commemoro, præter Raphaëlem Regium hominem admodùm natu grandem,

....Sed cruda viro viridisque senectus.


Erat tùm, ut opinor, nor minor annis septuaginta, et tamen nulla fuit hyems tam aspera quin ille manè horâ septimâ adiret M. Musurum græcè profitentem, qui toto anno vix quatuor intermittebat dies quin publicè profiteretur. Juvenes hyemis rigorem ferre non poterant, illum senem nec pudor nec hyems abigebat ab auditorio. Musurus autem antè senectutem periit, posteaquàm ex benignitate Leonis cœperat esse archiepiscopus, vir natione Græcus, nimirùm Cretensis, sed latinæ linguæ usquè ad miraculum doctus, quod vix ulli Græco contigit præter Theodorum Gazam, et Johannem Lascarem qui adhuc in vivis est. Deindè totius philosophiæ non tantùm studiosissimus, vir sumnis rebus natus, si licuisset superesse [1]. La lettre d’où j’ai tiré ces paroles fut écrite l’an 1524. Érasme y dit quelque chose du père de Marc Musurus, bon vieillard qui ne savait que sa langue maternelle [2]. C’est quelque chose de considérable, et de bien glorieux au professeur grec, que cette assiduité avec laquelle un savant homme, tel que Raphaël Régius, fréquentait toutes ses leçons à l’âge de soixante et dix ans. Si tous les éloges que Musurus a reçus de Cœlius Rhodiginus, dans une épître dédicatoire [3] sont véritables, on aurait tort de lui refuser le titre de grand personnage.

Je m’en vais citer un auteur qui lui attribue une très-grande lecture, beaucoup de mémoire, une extrême pénétration, une clarté admirable, et une tendresse merveilleuse pour son père. Nihil erat tam reconditum, quod non aperiret, nec tam involutum quod non expediret Musurus, verè Musarum custos et antistes. Omnia legerat, excusserat omnia. Schemata loquutionum, fabulas, historias, ritus veteres ad unguem callebat. Hanc tam consummatam eruditionem etiam insignis pietas commendabat, dùm patrem græculum jam grandævum amanter sedulòque foveret [4].

(B) Le désir de s’avancer l’obligea d’aller à Rome. Selon Paul Jove [5], ce fut la guerre qui le contraignit à quitter sa profession de Padoue, lorsqu’il se forma une ligue formidable contre la république de Venise [6]. Il faudrait donc qu’il fût sorti de Padoue l’an 1509. Paul Jove veut que depuis cette retraite, Musurus se soit tenu en repos dans son cabinet, jusques à ce qu’il alla à Rome, où Léon X attirait par des récompenses les plus célèbres génies. Mais, comme je vois dans une lettre qui fut écrite à Érasme, l’an 1518, que le sénat de Venise venait de faire savoir au public qu’au bout de deux mois on élirait un professeur des lettres grecques, pour succéder à Marc Musurus [7], je suis fort tenté de rejeter ce que dit Paul Jove ; car je ne trouve nullement vraisemblable que depuis qu’en 1509, les Vénitiens eurent repoussé l’empereur Maximilien qui avait assiégé Padoue, et que leurs affaires se rétablirent assez avantageusement, ils n’aient songé à remplir la profession de la langue grecque qu’en 1518. Mais voici des paroles d’Alde Manuce, qui nous apprennent que Paul Jove n’a point parlé exactement. Elles témoignent que Musurus faisait des leçons dans Venise sur les anciens auteurs grecs, lorsqu’il fut attiré par Léon X. Hæc autem à nobis præstari tibi potuerunt suasore adjutoreque M. Musuro, quem nuper heroicarum litterarum decus Venetiis propagantem Græciæ priscis autoribus partim illustri juventuti enarrandis non sinè laude, partim emendatione castigationeque in pristinum nitorem quoad ejus fieri poterat, restituendis, Leo X, Pont. Opt. Max. sponte suâ nihil tale cogitantem admirabili consensu sacrosanctorum cardinalium in archiepiscopalem dignitatem evexit [8]. Alde Manuce reconnait là les secours qu’il avait reçus de Musurus pour l’édition de Pausanias. Disons en passant, qu’on voit à la tête de cette édition une lettre grecque de Musurus à Jean Lascaris, de laquelle M. Perrault se peut prévaloir ; car elle réfute ceux qui n’admirent que l’antiquité.

Pour rectifier la narration de Paul Jove, l’on doit supposer que Marc Musurus en quittant Padoue se retira à Venise, et qu’il y fit des leçons jusques au temps qu’il alla à Rome. Il faut dire aussi que le successeur que le sénat de Venise lui voulait donner l’an 1518, devait remplir non la chaire de Padoue, mais celle de Venise. Nous verrons ci-dessous [9] dans un passage de Piérius Valérianus, que Musurus enseigna premièrement à Padoue, et puis à Venise. Il enseignait à Venise en 1513 et en 1514 comme nous l’apprend Manuce dans l’épître dédicatoire de son Athénée.

(C) Tous les embellissemens du récit de Varillas sont romanesques. ] Il nous apprend que Musurus s’était déjà signalé en Candie par sa critique sur les auteurs grecs, lorsque la république de Venise lui donna une chaire à Padoue ; que le nombre de ses auditeurs y fut si grand, qu’il fallut agrandir l’école publique, et permettre à Musurus d’enseigner la grammaire le matin, et la poésie le soir, pour satisfaire ceux qui voulaient l’entendre expliquer ces deux arts libéraux ; qu’il continua de professer jusqu’à ce que la guerre déserta son auditoire, et l’obligea lui-même de penser à sa sûreté ; qu’il se retira à Rome, où il composa un poëme [10] qui fut trouvé trop admirable pour lui être attribué ; qu’on aima mieux donc le soupçonner de l’avoir trouvé dans un ancien manuscrit, et publié sous son nom ; que cette défiance était fondée sur ce qu’il n’était pas possible qu’un homme fit alors un ouvrage, où le caractère et les grâces qu’avait eus la poésie grecque au siècle d’Alexandre, fussent établis dans le plus haut point de leur perfection : que Musurus aida de son côté à confirmer cette pensée, car il ne voulut plus rien composer de cette nature, de peur de diminuer par une pièce faible ou moins achevée la haute réputation où il était parvenu tout d’un coup, et sans y penser ; qu’il se contenta de faire voir, en expliquant aux Romains les plus beaux endroits, d’Homère, d’Hésiode, de Théocrite et d’Anacréon, qu’il avait pu les imiter puisqu’il en connaissait si parfaitement le tour et la délicatesse ; et de mener une vie si réglée, que l’on vint insensiblement à cesser de le soupçonner d’injustice ; qu’il en était lâ quand Léon X fut élu pape ; qu’il ressentit les premières gratifications de ce pontife, et qu’il fut pourvu de l’archevêché de Raguse ; qu’il se mit aussitôt à faire des brigues pour être cardinal ; qu’il quitta ses livres pour étudier l’intrigue ; qu’il se rendit si habile, que le pape étonné de ce changement lui en fit la guerre, et l’en railla quelquefois ; qu’il ne laissa pas de continuer, et qu’il prit tant de nouvelles mesures avec ceux qu’il voyait être bien en cour, qu’ils lui donnèrent assurance d’un chapeau à la première promotion ; que le pape avait pris plaisir de les tromper, afin de se divertir mieux de ce que Musurus ferait en suite ; que Musurus ne manqua pas d’ajuster sa maison, d’augmenter son train, ni même de préparer le remercîment qu’il prétendait faire ; que n’ayant pas été compris dans la promotion des trente-un qui furent ajoutés au sacré collége, sa vertu se trouva fort faible pour digérer l’affront qu’il pensait avoir reçu ; qu’il s’en plaignit comme d’un mépris fait à toute la nation grecque en sa personne, et que pour porter son ressentiment aussi loin qu’il pouvait aller, il en fut malade de l’hydropisie dont il mourut.

(D) Nous ferons quelques réflexions sur son récit. ] 1°. J’ai de la peine à m’imaginer que s’il avait été nécessaire d’agrandir l’école publique, pour faire place au grand nombre des auditeurs, Érasme, qui ne pouvait pas l’ignorer, n’en eût rien dit dans le passage cité ci-dessus [11], où il rapporte à quelle heure et avec quelle exactitude Musurus faisait ses leçons ; quelle était la diligence d’un vieillard de soixante et dix ans à s’y trouver, et combien elle surpassait pendant le froid celle des jeunes étudians. 2°. J’ai déjà dit [12] que Musurus quittant Padoue, lorsqu’en 1509 les états des Vénitiens furent ravagés par l’ennemi, ne se détacha point du service de la république de Venise. J’ajoute que, selon Paul Jove, il fit le panégyrique de Platon avant que d’aller à Rome. D’où est-ce que M. Varillas a pris que ce poëme fut composé dans Rome même. 3°. Si ce poëme n’est que l’une des épigrammes qu’on a imprimées à la tête des Œuvres de Platon, comme Vossius [13] et M. Baillet [14] l’assurent, c’est une exagération qui passe toutes les bornes de la bonne rhétorique, que de dire tout ce que M. Varillas en dit. Il eût mieux fait de traduire littéralement Paul Jove : c’est un auteur qui n’a pas un grand besoin de paraphrase ; il est lui-même le paraphraste de ses pensées, tant il aime à les étendre sur un grand nombre de paroles étudiées. Or voici ce qu’il a dit de cet éloge de Platon : Extat id poëma, et in limine operum Platonis legitur, commendatione publicâ cum antiquis elegantiâ comparandum [15]. Mais encore un coup, si ce poëme n’est qu’une épigramme, qu’y a-t-il de plus puérile que de remarquer avec Paul Jove, que la guerre ne réduisit point Musurus à un tel repos, qu’il ne fît des vers à la louange de Platon [16] ? N’est-ce pas bien faire voir qu’un professeur, que l’on a contraint de renoncer à sa charge, ne s’est point plongé dans une absolue oisiveté, que de dire qu’il a fait une épigramme ? Je ne veux point dissimuler ce que Vossius débite, qu’on croit que ce fut principalement à cause de cette épigramme que Léon X éleva Musurus à l’archiépiscopat [17]. Considérez l’exhortation que je ferai ci-dessous [18]. 4°. C’est un misérable moyen de persuader son innocence, à l’égard du larcin d’une pensée, que de mener une bonne vie : on n’a jamais remarqué qu’un écrivain plagiaire ait été moins dans l’ordre par rapport aux bonnes mœurs, que ceux qui citent, et qui ne se parent point des plumes d’autrui. C’est sans doute un défaut moral, et un vrai péché que le plagiat des auteurs ; mais c’est un péché de telle nature, qu’il ne règne ni plus ni moins dans un homme voluptueux et débauché, que dans un homme chaste et sobre. 5°. Musurus n’obtint la mitre qu’en 1517 : il n’est donc pas vrai qu’il ait ressenti les premières gratifications de Léon X, qui fut créé pape l’an 1513. 6°. Il ne fut point pourvu de l’archevêché de Raguse, mais de celui de Malvasia dans la Morée. Archiepiscopus Epidaurensis dans Paul Jove, ne signifie ni Raguse la vieille, ni Raguse la nouvelle ; c’est la même prélature que d’autres nomment Monembasiensis. Aussi voyons-nous qu’un ami d’Érasme [19] lui écrivant la mort de Musurus, se sert de ces paroles : Marcus Musurus qui paulò antè [20] Monovasiensis archiepiscopus esse cœperat, hoc autumno Romæ agens in communem abiit locum. Lorenzo Crasso [21], qui n’a presque rien su touchant Musurus que ce qu’il en avait lu dans Paul Jove, a pris archiepiscopus Epidaurensis, pour archevéque de Raguse : bien d’autres y ont été attrapés comme lui. 7°. Il y eut si peu de temps entre la nomination de Musurus à l’archevêché de Malvasia, et la promotion des trente et un cardinaux, que tout ce que M. Varillas lui fait faire dans cet intervalle, toutes ces brigues, toutes ces mesures pour parvenir au cardinalat, ne peuvent être qu’un pur roman. Au reste, Musurus n’aurait pas été le dernier qui se serait plaint du peu d’égard qu’on avait à Rome pour la nation grecque, quand on faisait une promotion de cardinaux. Nous avons vu [22] qu’Arsénius fit cette plainte à Paul III. 8°. Le passage que je cite [23] convainc M. Varillas d’avoir mal représenté la plainte que faisait Musurus. Je tombe d’accord qu’un historien peut représenter les gens selon ce qu’ils pensent, encore qu’ils ne le disent pas : mais cela demande deux conditions ; l’une, qu’il soit manifeste, ou tout-à-fait vraisemblable qu’ils pensent une telle chose ; l’autre, que l’on avertisse qu’ils ne disent pas cette chose, mais qu’ils font assez connaître qu’ils la pensent. M. Varillas n’a point observé la dernière de ces conditions : il représente Musurus, non pas comme se plaignant au fond de l’âme, mais comme se plaignant de vive voix, et en propres termes, que la nation grecque avait été méprisée en sa personne. Ce n’est point ainsi qu’il se plaignait : il se contentait de dire que d’avoir créé dans un seul jour plus de trente cardinaux, sans y avoir compris aucun Grec, était un affront à la nation. Il n’y a rien là selon les paroles qui concerne la personne de Musurus ; les expressions peuvent recevoir ce sens, que si quelque Grec avait eu part à la promotion, Musurus n’eût pas fait de plaintes de ce qu’on l’aurait oublié. On voit bien, me dira-t-on, quelle est sa pensée. Je l’avoue : il fallait donc dire qu’il pensait cela, et non pas qu’il le disait.

(E) ... Et sur l’abrégé qu’on en donne dans le Supplément de Moréri. ] Je n’ai rien à dire là-dessus, si ce n’est que l’auteur du Supplément n’a rectifié en quoi que ce soit les Anecdotes de M. Varillas.

(F) Il n’a pas été oublié dans la liste des savans malheureux. ] Voici les paroles de Piérius Valérianus : Neque Marci Musuri sortem quisquam lætam dixerit, qui licet et Patavii, et Venetiis apud nobilitatem vestram summâ omnium commendatione, et gratiâ complures annos græcas litteras docuisset, et doctrinæ nomine ab Leone Decimo pontifice Maximo duplici flaminis honore decoratus, à Julio ejus pontificis fratre tunc cardinali sacerdote, qui nunc est summus pontifex, in amicitiam susceptus magnâ omnium dilectione coleretur, nescio quâ tamen animi mœstitiâ clâm exulceratus, ut qui non modo non dignitatem ullam, aut beneficii commodum in eo vitæ colore duceret, qui hominum opinione judicatur amplissimus, sed sibi summâ in libertate versari solito summam etiam deformitatem, et miseriam arbitraretur, in occultum ex eâ curâ incidit morbum, cujus nulli medicorum causâ cognitâ, interque tacitas anxietates, miserrimasque fortunæ suæ deplorationes diutissimè vexatus expiravit [24].

(G) Il ne publia qu’un petit nombre de vers grecs, et quelques préfaces en prose. ] Ces paroles de Gesner me paraissent considérables : Marcus Musurus Cretensis scripsit epigrammata aliquot, præcipuè in Græcos libros per Nicolaum Blastum Venetiis impressos circà annum 1500, quibus ipse opinor corrigendis præfuit : item præfationes aliquas prosâ, ut in etymologicon græcum, etc. [25]. C’est pour deux raisons qu’elles me paraissent considérables ; car elles me donnent lieu d’exhorter ceux qui ont à leur portée les bibliothéques nécessaires, de vérifier en 1er. lieu si l’épigramme pour Platon se rencontre parmi les autres que Musurus publia vers l’an 1500 ; en 2e. lieu, s’il a été correcteur d’imprimerie à Venise, chez Blastus, comme l’a cru Gesner. On se pourrait bien moquer de Paul Jove, et de plusieurs autres, si cette épigramme avait précédé la fameuse ligue de Cambrai contre la république de Venise.

J’avais espéré que l’exhortation, que l’on vient de lire, me procurerait tous les éclaircissemens dont j’avais besoin : cependant personne n’a eu la bonté de venir à mon secours ; mais j’ai trouvé quelque chose dans le livre de M. Chevillier. J’y ai vu que notre Musurus a été effectivement correcteur d’imprimerie [26], et que ce fut lui qui corrigea le grand Etymologicon qui fut imprimé à Venise, in-fol., l’année 1499, par Zacharie Calliergus aux dépens de Nicolas Blastus [27]. « J’y ai vu aussi qu’Alde Manuce, avec qui il travaillait à corriger les manuscrits grecs, et revoyait les feuilles des impressions, fit son éloge en ces termes sur le Platon grec de 1513 : Musurus Cretensis, magno vir judicio, magnâ doctrinâ, qui hos Platonis libros accuratè recognovit, cum antiquissimis conferens exemplaribus, ut unà mecum, quod semper facit, multum adjumenti afferret et Græcis et nostris hominibus. » J’étais encore dans l’ignorance à l’égard du poëme où Musurus a fait l’éloge de Platon, et j’en ai été tiré par le bon office de M. de Villemandi [28], qui a pris la peine de consulter l’exemplaire de la bibliothéque de Leyde. Il m’a écrit que le Platon imprimé à Venise, in ædibus Aldi et Andreæ Soceri, l’an 1513, contient après l’épître dédicatoire [29], un poëme grec de deux cents vers hexamètres et pentamètres, qui remplit quatre pages, et qui est de la façon de Musurus ; et un éloge de Platon. Nous pouvons conclure de là que Vossius n’a point dû le qualifier une épigramme ; mais il est pourtant certain que Paul Jove en a tiré une preuve ridicule, que l’auteur n’avait pas été un fainéant depuis sa sortie de Padoue. Philippe Manckérus fit imprimer à Amsterdam, en 1681, ce poëme de Musurus, cum versione latinâ et elegantissimâ Zenobii Acciaioli metaphrasi poëticâ. Cela fait 40 pag. in-4°.

(H) Le public lui est redevable de la première édition... d’Athénée. ] Nous avons dit en son lieu [30] que Casaubon trouvait fort défectueuse cette édition : néanmoins Alde Manuce, qui l’imprima, loue beaucoup les soins de Musurus. Voici ce qu’il dit : Musurus noster libros hos sic accuratè recensuit collatos et cum multis exemplaribus, et cum epitome, ut infinitis penè in locis eos emendaverit, carminaque quæ veluti prosa in aliis legebantur, in sua metra restituerit. Adde quòd primus et secundus liber, qui in aliis deerant, ex epitome additi sunt cum bond parte tertii libri : erat enim hic sinè capite, quo factum est, ut iidem ferè hi existimari possint, qui erant integri, quoniàm ea est materia, ut non multa subtrahi ex eis potuerint [31].

(I) Le jugement qu’Érasme faisait de lui. ] Voyez ce que j’ai déjà cité [32] d’une de ses lettres ; et ajoutez-y ce qui suit : M. Musurum propiùs novi, virum insigniter eruditum in omni disciplinarum genere ; in carmine subobscuram et affectatum : oratione prosa præter unam alteramve præfationem nihil, quod sciam, reliquit. Mirabar hominem græcum tantum scire latinè. Et hunc fortuna retraxit a Musis, dùm Leonis favore Romam accitus incipit archiepiscupus esse, fato præreptus est [33]. Ces paroles nous portent à croire que Musurus renonça à la profession des lettres, dès que Léon X lui eut fait la grâce de l’attirer à Rome : cependant il est certain qu’il fut professeur à Rome. Lisez ces vers :

Ce mien père [34], Angevin, gentilhomme de race,
L’un des premiers Français qui les muses embrasse,
D’ignorance ennemi, désireux de savoir,
Passant torrens et monts jusqu’à Rome alla voir
Musure Candiot : qu’il ouït pour apprendre
Le grec des vieux auteurs, et pour docte s’y rendre :
Où si bien travailla, que dedans quelques ans
Il se fit admirer, et des plus suffisans.

(K) André Schottus n’a point dû lui attribuer le grand Etymologicum. ] C’est M. Ménage [35] qui a relevé cette méprise, et qui l’a réfutée en remarquant qu’Eustathius a cité cet Etymologicum. Cela était digne de la parenthèse que l’on va voir. Auctor magni Etymologici quisquis tandem ille sit (Nicam esse scribit amicus noster Isaacus Vossius in Notis ad Pomponium Melam : quod an verum sit nescio : certè falsum esse scio, quod vir doctissimus Andreas Schottus, in præfatione al proverbia Græcorum, existimabat, auctorem hujus libri esse Marcum Musurum, siquidem ab Eustathio Magnum Etymologicum laudatur) auctor, inquam, Etymologici conditorem academiæ, et academum et ecademum fuisse dictum scribit.

(L) Paul Freher a commis une lourde faute. ] Non-seulement il a mis Musurus au nombre des cardinaux, mais même il s’est appuyé sur le témoignage de Paul Jove. Il ne cite que cet auteur, et il en rapporte des paroles qui prouvent visiblement que Musurus mourut de chagrin pour n’avoir pas obtenu la pourpre. Vix degustatâ cardinalatiis dignitate Romæ exspirârit, dit néanmoins Paul Fréhérus [36].

  1. Erasm., epist. V, lib. XXIII, p. 1209.
  2. Quodam die cùm domi ipsius cœnaturus essem et adesset pater seniculus, qui nihil nisi græcè sciebat. Idem, ibidem.
  3. À la tête du XIVe. livre des Antiques Leçons.
  4. Beat. Rhenan., in Vitâ Erasmi, pag. m. 33, 34.
  5. Jovius, in Elogiis, cap. XXX.
  6. Sævâ conjuratione externarum gentium afflictis bello Venetis indè exturbatus. Idem, ibid.
  7. Scias in senatu Veneto sancitum esse, atque etiam præconio publicatum, eligendum esse successorem Marco Musuro, qui publicé Græcas litteras auditores doceat, stipendiumque centenorum aureorum decretum. Epist. Erasm. XXVIII, lib. X, pag. 530.
  8. Aldus Manutius. præfat. in Pausaniam.
  9. Dans la remarque (F).
  10. C’est l’Éloge de Platon.
  11. Dans la remarque (A), citation (1).
  12. Dans la remarque (B).
  13. Vossius, de Poet. græc., pag. 84.
  14. Jugemens sur les Poëtes, num. 1248. Il n’y a rien de Musurus dans l’édition de Platon de Francfort, 1602, traduit par Vicin, ni dans celle de 1578, de Henri Étienne, traduit par de Serres.
  15. Jovius, Elogior., cap. XXX.
  16. Indè exturbatus ita tranquillum otium quæsivit, ut græco carmine divi Platonis laudes decantaret. Idem, ibidem.
  17. Vossius, de Poetis græcis, p. 84. Konig en rapportant cela, met par abus Léon XI pour Léon X.
  18. Dans la remarque (G).
  19. Paul Bombasius. Sa lettre, parmi celles d’Érasme, est la XXIIIe. du IIe. livre, et datée du 6 décembre 1517.
  20. Paul Jove dit dans le même sens : Vix ostentatis mitræ insignibus expirârit.
  21. Istor. de Poeti græci.
  22. Tom. II, pag. 443, citation (1) de l’article Arsénius, Arch. de Monembasiâ.
  23. Quùm sæpè quæreretur græci generis neminem quasi probro gentis lectum fuisse, quandò princeps in donandâ purpurâ maximè liberalis, uno comitiali die suprà triginta nationum omnium delecta capita galero purpureo perornâsset. Jovius, Elog., cap. XXX.
  24. Pier. Val.. de Litt. infelicit., lib. I, p. 11.
  25. Gesner., in Biblioth., folio 495 verso.
  26. Voyez, tom. IX, pag. 82, citation (28) de l’article Lascaris (Jean).
  27. Chev., Orig. de l’Impr. de Paris. pag. 194.
  28. Dont il est parlé, tom. II. pag. 439, citation (4) de l’article Arriaga, et dans les Nouvelles de la République des Lettres, octob. 1685, art. V, et août 1686, art. VI.
  29. Adressée à Léon X.
  30. Tom. II, pag. 498, remarque (D) de l’article Athénée.
  31. Aldus, in præfat. Athenæi.
  32. Ci-dessus, remarque (A).
  33. Erasm., in Ciceroniano.
  34. C’est Antoine de Baïf, qui parle de Lazare de Baïf, son père, dans une lettre à Charles IX : elle est au-devant de ses Œuvres, imprimées à Paris, l’an 1573, in-8°.
  35. Notis ad Diog. Laertium, lib. III, num. 7, pag. 141.
  36. In Theatro Viror. erudit., pag. 25.

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