Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Mausole


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MAUSOLE, roi de Carie (A), est plus connu comme mari d’Artémise, que par aucun autre endroit : encore que pendant un règne de vingt-quatre ans il se soit fort intrigué, et se soit rendu formidable [a]. À l’exemple de ses prédécesseurs, il s’attacha beaucoup plus au parti des Perses qu’à celui des Grecs ; et l’on voit [b] qu’en faveur des Perses, mais surtout par l’envie de s’enrichir, il exerça beaucoup de pirateries sur les îles de son voisinage. C’était un homme qui en prenait à toutes mains, et qui ne faisait point d’autre quartier à la bourse de ses meilleurs amis, que celui d’user de tours de souplesse pour s’enrichir à leurs dépens (B). Il s’engageait pour de l’argent à toutes sortes de mauvaises actions (C). Il ne faut donc point s’étonner que sa conduite ait été quelquefois contraire aux intérêts de la cour de Perse, et qu’elle lui ait attiré de ce côté-là plusieurs fâcheux embarras[c]. Il fut fort mêlé dans la guerre qu’on appela Sociale (D), et qui commença dans la 105e. olympiade, entre les Athéniens d’une part, et ceux de Rhodes, de Chios, de Cos et de Byzance de l’autre. Ce fut lui qui trama cette ligue contre les Athéniens[d]. Entre autres exploits il changea durant cette guerre la démocratie de Rhodes en aristocratie. Mais ni ses conquêtes, ni sa bonne mine, ni sa bravoure, ni aucune de ses actions, ne l’ont immortalisé comme a fait sa femme[e], par le tombeau magnifique qu’elle lui fit construire, et par la tendre amitié qu’elle conserva pour sa mémoire. Nous en avons parlé dans l’article d’Artémise. Mausole mourut la dernière année de la 106e. olympiade, comme nous l’avons montré dans les remarques du même article. Il avait eu des prédécesseurs dont nous connaissons le nom (E), et il eut des successeurs dont le nom est aussi parvenu jusques à nous. Le médecin qui guérit Mausole demanda une grande récompense, mais en honnête homme (F).

La maison de Mausole, dans Halicarnasse était bâtie de briques, et incrustée de marbre. Pline ne connaissait point de plus ancien bâtiment que celui-là que l’on eût orné de cette espèce d’incrustation ; cela le porte à conjecturer que l’art de scier le marbre fut une invention des Cariens. Il ne l’affirme pourtant pas. Cette maison subsistait encore du temps de Pline. Voyez les preuves de tout ceci dans la remarque (G).

  1. Diod. Sicul., lib. XIV.
  2. In argumento Orationis Demosth. contrâ Timocrat.
  3. Voyez la Harangue d’Isocrate ad Philippum, à l’endroit où il est parlé d’Idriée et de son frère. Ce frère était notre Mausole.
  4. Libanius, in argum. Orat. Demosth. pro libert. Rhodior.
  5. Voyez Lucien, Dia Mort. Diog. et Maus.

(A) Roi de Carie. ] Aulu-Gelle a observé que Cicéron lui donne ce titre, mais que quelques historiens grecs lui en donnent un moins honorable. Mausolus fuit, ut M. Tullius ait, rex terræ Cariæ ; ut quidam Græcarum historiarum scriptores provinciæ Græciæ præfectus, Satrapen Græci vocant[1]. Je ne sais point qui sont ceux qui l’ont appelé gouverneur d’une province de la Grèce : le mot satrape, qui est persan, est seul capable de prouver, ou qu’Aulu-Gelle se trompe, ou que ce n’est point lui qui a dit provinciæ Græciæ. Charles Étienne, ni MM. Lloyd et Hofman, n’ont point formé de mauvais soupçons contre ce passage ; ils en citent la dernière partie sans y rien changer. Isocrate[2] a donné à Hécatomne, père de Mausole, le nom de Καρίας ἐπίςαθμος, c’est-à-dire, selon la paraphrase d’Harpocration, Cariæ satrapes. Mausole est appelé par le même Harpocration et par Suidas, ἄρχων Καρῶν, imperans Caribus ; par Libanius, Καρίας ὕπαρχος, Cariæ præfectus[3] ; mais par Polyænus[4] et bien d’autres, βασιλεὺς Καρίας, rex Cariæ.

(B) Il usait de tours de souplesse pour s’enrichir aux dépens de ses amis. ] Lisez sur cela Polyænus[5] et Aristote [6], vous y verrez que si d’un côté la cour de Perse taxait Mausole à de grosses sommes, il savoit de l’autre faire tomber ailleurs cette charge pour son dédommagement, et avec usure. Il était en cela plus injuste que ne le sont les gros partisans, lorsque, après avoir été taxés, ils se font livrer leurs subalternes. Vous verrez de plus, dans Aristote, que, sous ce roi de Carie, on sut habilement profiter de l’inclination des Lyciens à porter de longs cheveux. On imagina une espèce de maltote qui fut extrêmement lucrative. Voyez aussi ce que je cite d’Aristote dans la remarque (E).

(C) Il s’engageait pour de l’argent à toutes sortes de mauvaises actions. ] Voici les paroles d’Harpocration copiées par Suidas : Φησὶ δὲ αὺτον Θεόπομπος μηδενὸς ἀπέχεσθαι πράγματος χρημάτων ἕνεκα, de quo Theopompus scribit eum à nullo facinore pecuniæ causâ sibi temperâsse [* 1]. Sans doute c’est des histoires de Théopompe que ces paroles sont tirées. Il n’eut garde de parler ainsi dans l’éloge de ce prince, dans l’éloge, dis-je, qui gagna le prix qu’Artémise avait donné à disputer aux orateurs qui voudraient faire le panégyrique de son époux. On peut être très-certain que Théopompe fit alors de notre Mausole un prince achevé, et qu’il le combla de toutes sortes de vertus ; et puis voilà ce qu’il en a dit dans un autre livre. Cette duplicité de langue et de plume ne vaut rien. Tout doit être suspect dans des gens qui se divisent en deux personnages, et qui se croient permis, quand ils se considèrent comme orateurs, les mêmes mensonges qu’ils ne voudraient point adopter quand ils composent une histoire qui n’a pas été mise à prix. Cette distinction est un franc sophisme, et n’est pas meilleure que celle avec quoi l’on veut sauver l’honneur de Procope. Un auteur d’anecdotes et un auteur d’histoire sont responsables solidairement et par indivis de tout ce qui sort de leur plume, quand ils ne sont qu’un même écrivain. Au reste, quoique Vitruve parle plutôt à l’avantage qu’au désavantage de Mausole, on ne laisse pas d’entrevoir dans ses paroles les extorsions de ce prince [7]. Il loue la magnificence et le bon goût de ses bâtimens, et les grandes commodités qu’on y pratiqua.

(D) Il fut fort mêlé dans la guerre qu’on appela Sociale. ] MM. Moréri et Hofman se sont faussement imaginé qu’il y a eu deux Mausoles, et que celui qui eut part à la guerre Sociale n’était point le même que le mari d’Artémise, enterré dans le mausolée. S’ils avaient pris la peine de consulter les originaux, ils n’eussent fait qu’un article qui eût été pour ce mari, et qui aurait pu être assez plein indépendamment de sa femme.

(E) Il avait eu des prédécesseurs dont nous connaissons le nom. ] Nous lisons dans Suidas [8], que Lygdamis, contemporain d’Hérodote, était le troisième tyran d’Halicarnasse depuis Artémise. Or quoique Hérodote ne dise pas que Lygdamis, père d’Artémise avait été roi d’Halicarnasse, il y a pourtant beaucoup d’apparence qu’elle était fille de roi, et veuve de roi. On peut donc remonter jusques à son père, qui, pour le moins, selon le témoignage d’Hérodote [9], demeurait dans Halicarnasse. Elle eut un fils nommé Pisindèle, duquel le fils fut un autre Lygdamis qui chassa d’Halicarnasse Hérodote. Celui-ci y retourna, et en chassa le tyran [10]. Il est fort vraisemblable que Lygdamis second du nom, fut suivi immédiatement par Hécatomne, duquel les trois fils, Mausole, Idriée, et Pexodare, ont régné successivement dans la Carie, (voyez l’article d’Ada) ; mais il n’est pas certain qu’Hécatomne ait été fils de Lygdamis. Que sait-on si Lygdamis, chassé par Hérodote, recouvra son poste ? Que sait-on si Hécatomne ne s’établit point par voie d’usurpation, sans être parent de Lygdamis ? Une chose sait-on bien, c’est qu’il était de Mylasse [11], et qu’il y établit le siége de la royauté. Ce fut aussi là que naquit Mausole. Vitruve qui nous l’apprend, nous dit de plus que Mausole fit bâtir sa maison dans Halicarnasse, parce qu’il trouva cette ville parfaitement bien située [12]. Aristote [13] nous apprend une autre particularité. Mausole, voulant lever de l’argent sur la ville de Mylasse, représenta aux habitans qu’une ville comme la leur, sa patrie et la capitale du royaume, ne devait point être sans murailles, vu principalement que les Perses la menaçaient. Chacun contribua selon ses forces ; mais quand Mausole eut l’argent entre les mains, il leur dit que ce n’était point encore la volonté de Dieu que la ville eût des murailles.

(F) Le médecin qui guérit Mausole demanda une grande récompense, mais en honnête homme. ] C’était Dexippus, natif de l’île de Cos, et disciple d’Hippocrate. Il fut mandé par Hécatomne, roi de Carie, pour guérir Mausole et Pexodare, malades à l’extrémité, et abandonnés des médecins. Il les guérit ; mais ce fut à condition que le roi leur père cesserait de faire la guerre à l’île de Cos. Ἐπι ὑποσχέσει ἰάσατο τοῦ παῦσαι πρὸς Κώους (il faut lire ainsi et non pas Κᾶρας) τότε αὐτῷ ἐνεςῶτα πόλεμον. Eos eâ conditione sanavit ut bellum quod tunc adversus Coos gerebat deponeret [14]. Cela n’est-il pas bien généreux ? Peut-on voir un meilleur sujet ? N’est-ce pas être bien pénétré de l’amour de sa patrie ?

(G) Voyez les preuves de tout ceci dans la remarque. ] Elle sont renfermées dans ce court passage de Pline [15] : Secandi marmor in crustas nescio an Cariæ fuerit inventum. Antiquissima, quod equidem inveniam, Halicarnassi Mausoli domus [16] Proconnesio marmore exculta est lateritiis parietibus. Vitruve explique cela plus exactement. Halicarnassi, dit-il [17], potentissimi regis Mausoli domus cùm Proconnesio marmore omnia haberet ornata, parictes habet latere structos, que ad hoc tempus egregiam præstant firmitatem, ita sectoriis operibus expoliti ut vitri perluciditatem videantur habere.

  1. * Suidas, in Μαύσωλος.
  1. Aul. Gellius, lib. X, cap. XVIII.
  2. In Panegyr.
  3. Argum. Orat. Demosth. pro Rhod.
  4. Polyænus, Stratag., lib. VII, c. XXIII.
  5. Idem, ibidem.
  6. Aristot., Œconom., lib. II.
  7. Halycarnassi potentissimi regis Mausoli domus... parietes habet latere structos qui ad hoc tempus egregiam præstant firmitatem... neque is rex ab inopuâ hoc fecit, infinitis enim vectigalibus erat farctus, quòd imperabat Cariæ toti. Vitruv., de Archit., lib. II, c. VIII.
  8. Suidas, in Ἠρόδοτος.
  9. Herod., lib. VII, cap. XCIX.
  10. Suidas, in Ἠρόδοτος.
  11. Strab., lib. XIV, pag. 453.
  12. Vitruv., de Archit., lib. II, cap. VIII.
  13. Aristot. Œconom., lib. II.
  14. Suidas, in Δέξιππος.
  15. Plin., lib. XXXVI, cap. VI, pag. 287.
  16. Quæ etiam nunc durat, dit-il, au livre XXXV, chap. XIV, pag. 249.
  17. Vitruvius, lib. II, cap. VIII, pag. 29.

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