Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Majus


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MAJUS (Junianus), gentilhomme napolitain, enseigna les belles-lettres dans Naples vers la fin du XVe. siècle [a]. Il eut entre autres disciples le célèbre Sannazar (A). Il contribua beaucoup par ses leçons et par ses livres à rétablir le bel usage de la langue latine (B) ; mais il se distingua encore plus par l’explication des songes (C). Ce fut le plus grand onirocritique de son siècle ; et l’on recourait à lui de toutes parts, pour savoir ce que présageaient tels et tels songes. Plusieurs prétendaient que ses réponses leur avaient été fort utiles. Cela n’est pas indigne d’une réflexion (D).

  1. Voyez la Biblioteca Napoletana de Nicolo Toppi, pag. 168.

(A) Il eut entre autres disciples... Sannazar. ] Cela paraît par la VIe. élégie du Ile. livre de Sannazar, dédiée ad Junianum Majum præceptorem. J’en citerai ci-dessous un long passage.

(B) Il contribua beaucoup... à rétablir le bel usage de la langue latine. ] C’est la louange que Sabellic lui a donnée. Subjiciet his aliquis, dit-il [1], haud immerito Jo. Tortelium Aretinum et Junianum Parthenopæum. Juverunt illi industria uterque sua, nec multùm inter se diversa verborum utriusque linguæ copiam. Majus publia un livre à Naples, l’an 1475, de priscorum Proprietate verborum, qui fut réimprimé dans la même ville, l’an 1490. La seconde édition est pleine de fautes d’impression [2] ; mais il se loue beaucoup des imprimeurs de la première. Les paroles dont il se sert plairont aux curieux ; car elles apprennent le nom de celui qui commença d’exercer l’imprimerie dans ce pays-là. Accedit ad hæc quod Germani solerti, ac incredibili quodam invento nuper novam quandam imprimendi rationem invenerunt, præcipuè Matthias Moravus, vir summo ingenio summâque elegantiâ in hoc genere impressionis effloruit. Quem consilio Blasii Monachi Romerii viri sacris litteris instituti ac sanctis moribus probati, hâc nostrâ urbe excepisse gratulamur, etc. [3]. Quelques-uns croient que Volaterran a parlé de notre Majus dans les paroles que l’on va lire : Chalcidius Græcorum non erat ignarus, nec imperitus grammaticus, attamen infans et absque genio. Dictionibus in primis invigilabat, Lexiconque condiderat quod obitu ipsius superveniente Jovinianus ejus discipulus sibi vindicavit [4]. Ce Chalcidius enseigna dans Rome. Majus mériterait une place parmi les plagiaires, si Volaterran parlait de lui. D’autre côté Calepin profita beaucoup du livre de Majus, à ce que remarque le Toppi. Diede alla luce un libro della proprietà delle parole antiche, del quale se n’è servito Ambrosio Calepino assai bene [5].

(C) Il se distingua... par l’explication des songes. ] Alexander ab Alexandro, qui avait été son disciple, en dit des merveilles par rapport à cette science. Tous les matins le logis de Majus était plein de gens qui lui allaient dire leurs songes, afin d’en apprendre l’interprétation. Il y avait des personnes d’importance parmi ces gens-là. Il leur répondait, non pas comme la plupart des autres, en paroles couvertes, et en peu de mots, mais clairement et amplement. Plusieurs personnes ayant suivi ses conseils se garantirent de la mort, et prévinrent quelquefois de très-grands chagrins. On verra ceci dans une plus grande force, si l’on consulte le latin d’Alexander ab Alexandro. Junianus Majus, dit-il [6], conterraneus meus, vir benè litteratus, in exquirendis adnotandisque verborum et sententiarum viribus, multi studii fuit : et præterquàm quod in erudiendis juvenculorum animis, imbuendisque doctrinâ pueris, castigatissimæ disciplinæ ; somniorum quoque omnis generis ita verus conjector fuit, ut ipsius responsa, divina ferè monita haberentur. Ad eum memini, cùm puer adhuc essem, et ad capiendum ingenii cultum frequens apud eum ventitarem, quotidiè somniantium turbam, hominesque celebri famâ et multi nominis, de somniis consultum venisse. Declarabat definiebatque ille, non breviter aut subobscurè, ut plerique, sed exposità atque apertè ænigmata somniorum, sive boni, sive mali prænuncia ; ita aptè, ut judicium factum à veridico diceres. Multi quoque illius monitu, vitæ interitum, nonnunquàm animi ægritudines vitârunt. Sannazar, autre disciple de cet interprète des songes, s’était bien trouvé d’avoir eu recours à un tel oracle, tant pour lui que pour sa maîtresse. Il l’élève jusques au ciel, et il le met au-dessus de tous les anciens augures. Souvenons-nous qu’il écrit en poëte. Il n’a donc pas eu dessein qu’on ajoutât foi à ses paroles sans en rien rabattre. Quoi qu’il en soit, laissons-le parler.

At tibi venturos, Maji, prædicere casus
Fas est, et mites consuluisse Deos.
Nec tantum aut aræ fumos, aut nuntia sentis
Fulgura, sed Stygiis somnia missa locis,
Somnia quæ miseram perturbant sæpè quietem,
Dùm mens incertis pendet imaginibus.
O quoties per te vanum posuisse timorem,
Me memini, et lætos continuâsse dies !
O quoties, trepidus cùm non spernenda putarem,
In nostrum cavi damna futura caput !
Sæpè meæ tibi cùm narrâssem visa puellæ,
Dixisti, certos haud procul esse metus.
Sæpè illam madidos lustrare in flumine crines
Jussisti, et misto solvere farra sale.
Quòd si olim terris talem te fata dedissent,
Sprevisset Thuscos Martia Roma viros.
Nam te quis meliùs calidas deprendere fibras,
Consulere aërias aut potuisset aves ?
Ille triumphatum, etc. [7].


Martin del Rio, si crédule d’ailleurs, et si peu accoutumé à rejeter les hâbleries, parle de Majus sur un autre ton : il le traite avec le dernier mépris. Cæterorum onirocriticorum veterum, non magnâ reipub. jacturâ omnes libri interierunt, præter unum Artemidorum Daldianum, delirum senem, qui lubris quinque cuncta ab aliis tradita complexus fuit. Brevior est Astrampsychus græcè et latinè his annis editus : sed æqué nugax ut et alius ille Arabs, qui græcè barbarizans unà cum Artemidoro in lucem prodiit in Galliâ. Hodiè in pretio habent Apomasaris Arabica Apotelesmata, ex recentioribus Conra. Wimpina, vellem ne tam multa sinè antidoto congessisset [* 1]. Avorum quoque memoria, hanc in Italiâ vanissimè profitebatur artem Junianus Majus [* 2] : cujus extant epistolæ et libelli quidam grammatici [8].

(D) Cela n’est pas indigne d’une réflexion. ] Il serait à souhaiter pour le bien et pour le repos d’esprit d’une infinité de gens, que l’on n’eût jamais parlé des songes comme d’une chose qui présage l’avenir ; car les personnes qui sont une fois imbues de cette pensée, s’imaginent que la plupart des images qui leur passent par l’esprit pendant leur sommeil, sont autant de prédictions le plus souvent menaçantes : de là naissent mille inquiétudes ; et pour un homme qui n’est point sujet à ces faiblesses, il y en a mille qui ne sauraient s’en défendre. Je crois que l’on peut dire des songes la même chose à peu près que des sortiléges : ils contiennent infiniment moins de mystères que le peuple ne le croit, et un peu plus que ne le croient les esprits forts. Les histoires de tous les temps et de tous les lieux rapportent, et à l’égard des songes, et à l’égard de la magie, tant de faits surprenans, que ceux qui s’obstinent à tout nier se rendent suspects, ou de peu de sincérité, ou d’un défaut de lumière qui ne leur permet pas de bien discerner la force des preuves. Une préoccupation outrée, où un certain tour d’esprit naturel leur bouche l’entendement, lorsqu’ils comparent les raisons du pour avec les raisons du contre. J’ai connu d’habiles gens qui niaient tous les présages des songes, par le principe que voici. Il n’y a que Dieu, disaient ils, qui connaisse l’avenir, c’est-à-dire l’avenir qu’on appelle contingent : or presque toujours c’est l’avenir contingent que les songes nous annoncent, quand on suppose qu’ils sont des présages : il faudrait donc que Dieu fût l’auteur de ces songes ; il les produirait donc par miracle ; et ainsi dans tous les pays du monde il produirait une infinité de miracles, qui ne portent point le caractère ni de sa grandeur infinie, ni de sa souveraine sagesse. Ces messieurs insistaient beaucoup sur ce que les songes les plus mystiques sont aussi communs parmi les païens, et parmi les mahométans, que parmi les sectateurs de la vraie religion. En effet, lisez Plutarque et les autres historiens grecs et romains ; lisez les livres arabes, chinois, etc., vous y trouverez tout autant d’exemples de songes miraculeux, que dans la Bible ou dans les histoires chrétiennes. Il faut avouer que cette objection a beaucoup de force, et qu’elle semble nous conduire nécessairement à un tout autre système ; qui serait d’attribuer ces sortes de songes, non pas à Dieu comme à leur cause immédiate, mais à de certaines intelligences qui, sous la direction de Dieu, ont beaucoup de part au gouvernement de l’homme. On pourrait supposer selon la doctrine des causes occasionelles, qu’il y a des lois générales qui soumettent un très-grand nombre d’effets aux désirs de telles et de telles intelligences, comme il y a des lois générales qui soumettent aux désirs de l’homme le mouvement de certains corps. Cette supposition est non-seulement conforme à un sentiment qui a été fort commun parmi les païens, mais aussi à la doctrine de l’Écriture, et à celle des anciens pères [9]. Les païens reconnaissaient plusieurs dieux inférieurs qui présidaient à des choses particulières ; et ils prétendaient même que chaque homme avait un génie qui le gouvernait. Les catholiques romains prétendent que leur doctrine de l’ange gardien, et d’un ange qui préside à tout un peuple, à une ville, à une province, est fondée sur l’Écriture. Si vous établissez une fois que Dieu a trouvé à propos d’établir certains esprits, cause occasionelle de la conduite de l’homme, à l’égard de quelques événemens, toutes les difficultés que l’on forme contre les songes s’évanouiront. Il ne faudra plus s’étonner de ne point trouver un caractère de grandeur, ou de gravité, dans les images qui nous avertissent en songe [10]. Qu’elles soient confuses ou puériles ; qu’elles varient selon les temps et les lieux, et selon les tempéramens ; cela ne doit point surprendre ceux qui savent la limitation des créatures, et les obstacles que se doivent faire réciproquement les causes occasionelles de diverse espèce. N’éprouvons-nous pas tous les jours que notre âme et que notre corps, se traversent mutuellement, dans le cours des opérations qui leur sont propres ? Une intelligence qui agirait et sur notre corps, et sur notre esprit, devrait trouver nécessairement divers obstacles dans les lois qui établissent ces deux principes [11], cause occasionelle de certains effets. Mais d’où vient, demande-t-on, que ces génies invisibles ne prennent pas mieux leur temps : pourquoi n’avertissent-ils pas de l’avenir pendant qu’on veille ; pourquoi attendent-ils que l’on dorme ? Illud etiam requiro, cur, si Deus ista visa nobis providendi causâ dat, non vigilantibus potiùs det, quàm dormientibus ? Sive enim externus, et adventicius pulsus animos dormientium commovet, sive per se ipsi animi moventur, sive que causa alia est, cur secundùm quietem aliquid videre, audire, agere videamur, eadem causa vigilantibus esse poterat : idque si nostri causâ Dii secundùm quietem facerent, vigilantibus idem facerent ; præsertim cùm Chrysippus, academicos refellens, permultò clariora, et certiora esse dicat, quæ vigilantibus videantur, quàm quæ somniantibus. Fuit igitur divina beneficentia dignius, cùm consuleret nobis, clariora visa dare vigilantibus, quàm obscuriora per somnium ; quod quoniam non fit, somnia divina putanda non sunt. Jam verò quid opus est circuitione, et amfractu, ut sit utendum interpretibus somniorum potiùs, quàm directo ? Deus, si quidem nobis consulebat, Hoc facito, Hoc ne feceris, diceret ? idque visum vigilanti potiùs, quàm dormienti daret [12] ? Pourquoi font-ils plutôt part de leurs prédictions à des gens d’un esprit faible, qu’aux plus fortes têtes ? Il est facile de répondre que ceux qui veillent ne sont pas propres à être avertis ; car ils se regardent alors comme la cause de tout ce qui se présente à leur imagination, et ils distinguent fort nettement ce qu’ils imaginent d’avec ce qu’ils voient. En dormant ils ne font nulle différence entre les imaginations et les sensations. Tous les objets qu’ils imaginent leur semblent présens, et ils ne peuvent pas retenir exactement la liaison de leurs images [13] : et de là vient qu’ils se peuvent persuader qu’ils n’ont pas enfilé eux-mêmes celles-ci avec celles-là ; d’où ils concluent que quelques-unes leur viennent d’ailleurs, et leur ont été inspirées par une cause qui les a voulu avertir de quelque chose. Peut-on nier qu’une machine ne soit plus propre à un certain jeu, quand quelques-unes de ses pièces sont arrêtées, que quand celles ne le sont pas ? Disons-le même de notre cerveau. Il est plus facile d’y diriger certains mouvemens pour exciter les images présageantes, lorsque les yeux et les autres sens externes sont dans l’inaction, que lorsqu’ils agissent. Savons-nous les facilités que donnent aux auteurs des songes les effets de la maladie, ou de la folie ? Pouvons-nous douter que les lois du mouvement, selon lesquelles nos organes se remuent, et qui ne sont soumises que jusqu’à un certain point aux désirs des esprits créés, ne troublent et ne confondent les images que l’auteur du songe voudrait rendre plus distinctes ? Cicéron croit triompher sous prétexte que ces images sont obscures et embarrassées. Jam verò quid opus est curcuitione, et amfractu, ut sit utendum interpretibus somniorum potiùs, quàm directo [14] ?.… Venit in contentionem, sit probabilius, deosne immortales, rerum omnium præstantia excellentes, concursare omniun mortalium, qui ubique sunt, non modò lectos, verùm etiam grabatos, et cùm stertentes aliquos viderint, objicere his quædam tortuosa, et obscura, quæ illi exterriti somnio ad conjectorem manè deferant ; an naturâ fieri, ut mobiliter animus agitatus, quod vigilans viderit, dormiens videre videatur [15]. Mais on peut répondre que toute créature est bornée et imparfaite : il peut donc y avoir des variations, et même des bizarreries, selon notre façon de juger, dans les effets qui sont dirigés par les désirs d’un esprit créé. Ceci peut servir contre quelques objections que les esprits forts allèguent à ceux qui leur parlent de l’existence de la magie. Enfin, je dis que la connaissance de avenir n’est pas aussi grande que l’on s’imagine, en s’opposant qu’il y ait des songes de divination : car si nous examinons bien les relations et la tradition populaire, nous trouverons que, pour la plupart, ces songes n’apprennent que ce qui se passe dans d’autres pays, ou ce qui doit arriver bientôt. Un homme songe la mort d’un ami ou d’un parent, et il se trouve, dit-on, que cet ami ou ce parent expirait à cinquante lieues de là au temps du songe. Ce n’est point connaître l’avenir, que de révéler une telle chose. D’autres songent je ne sais quoi qui les menace de quelque malheur, de la mort si vous voulez. Le génie auteur du songe peut connaître les complots, les machinations qu’on trame contre eux ; il peut voir dans l’état du sang une prochaine disposition à l’apoplexie, à la pleurésie, ou à quelque autre maladie mortelle. Ce n’est point connaître l’avenir qu’on appelle contingent. Mais, dit-on, il y a des particuliers qui ont songé qu’ils régneraient, et ils n’ont régné qu’au bout de vingt ou trente ans. Répondez que leur génie d’un ordre bien relevé, actif, habile, s’était mis en tête de les élever sur le trône : il s’assurait d’en ménager les occasions et d’y réussir [16] ; et sur ces conjectures presque certaines il communiquait des songes. Les hommes en feraient bien autant à proportion de leurs forces.

Je ne donne point ceci pour des preuves, ou pour de fortes raisons, mais seulement pour des réponses aux difficultés que l’on propose contre l’opinion commune : et il faut même que l’on sache que je me renferme dans les bornes des lumières naturelles ; car je suppose que les disputans ne se voudraient point servir des autorités de l’Écriture. Je souhaite aussi qu’on remarque que ceux qui soutiennent qu’il y a des songes de divination, n’ont besoin que d’énerver les objections de leurs adversaires ; car ils ont pour eux une infinité de faits, tout de même que ceux qui soutiennent l’existence de la magie. Or quand on en est là, il suffit qu’on puisse répondre aux objections ; c’est à celui qui nie ces faits à prouver qu’ils sont impossibles : sans cela il ne gagne point sa cause. Je dois aussi avertir que je ne prétends nullement excuser les anciens païens, soi à l’égard du soin qu’ils ont eu de rapporter tant de songes dans leurs histoires, soit à l’égard des démarches qu’ils ont faites en conséquence de certains songes. Quelquefois ils n’ont point eu d’autre fondement pour établir certaines cérémonies, ou pour condamner des accusés [17]. Quùm ex æde Herculis patera aurea gravis surrepta esset, in somniis vidit (Sophocles) ipsum deum dicentem, qui id fecisset. Quod semel ille, iterùmque neglexit, ubi idem sæpiùs, ascendit in Ariopagum : detulit rem. Ariopagitæ comprehendi jubent eum, qui à Sophocle erat nominatus. Is, quæstione adhibitâ, confessus est, pateramque retulit. Quo facto, fanum illud Indicis Herculis nominatum est [18]. On se peut moquer fort justement de la faiblesse d’Auguste [19], et plus encore de la loi qui ordonnait en certains pays à tous les particuliers qui auraient songé quelque chose concernant la république, de le faire savoir au public, ou par une affiche, ou par un crieur [20] ; et si l’on en excepte quelques songes particuliers, je consens que l’on dise de tous les autres ce que nous lisons dans Pétrone [21] : Hinc scies Epicurum hominem esse divinum, qui ejusmodi ludibria facetissimâ ratione condemnat.

Somnia quæ mentes ludunt volitantibus umbris,
Non delubra Deûm, nec ab æthere numina mittunt ;
Sed sibi quisque facit. Nam cùm prostrata sopore
Urget membra quies, et mens sinè pondere ludit :
Quidquid luce facit, tenebris agit. Oppida bello
Qui quatit, et flammis miserandas sævit in urbes, etc.


Et je persévère dans le sentiment que j’ai déclaré ailleurs [22], qu’il n’y a point d’occupation plus frivole et plus ridicule que celle des onirocritiques. Notre Junianus Majus méritait une censure plus rude que celle que Martin del Rio lui a faite. Si nous voulions comparer avec ce qui nous arrive une infinité d’images qui s’élèvent dans notre esprit, quand nous nous abandonnons en veillant à tous les objets qui voudront s’offrir à nous, je suis sûr que nous y verrions autant de rapports à nos aventures, que dans plusieurs songes que nous regardons comme des présages : et je ne fais aucun cas de la raison qui paraît si forte à bien des gens : c’est, disent-ils, que non-seulement nous voyons en songe les objets ; mais nous leur entendons dire des choses qu’ils ne nous ont jamais dites en veillant, et dont par conséquent nous n’avions aucune trace dans notre cerveau. Nous croyons voir quelquefois en songe un livre nouveau dont jamais nous n’avions ouï parler, et nous y lisons le titre, la préface, et cent autres choses. Cette raison est nulle. Ne faisons-nous pas tout cela en veillant ? Ne nous représentons-nous pas un tel et un tel qui nous tiennent cent discours dont nous sommes les architectes ? Ne nous figurons-nous pas, s’il nous plaît, qu’un tel vient de publier un livre qui traite de telles et de telles choses ? Ainsi cette prétendue grande raison n’est d’aucun poids : mais je crois en même temps que l’on ne saurait douter de certains songes dont les auteurs font mention, ni les expliquer par des causes naturelles, je veux dire sans y reconnaître de l’inspiration, ou de la révélation. Voyez Valère Maxime [23], et les lettres de Grotius [24]. Quant aux objections de Cicéron, très-fortes à la vérité, et presque insolubles, elles ne sont fortes qu’en supposant que Dieu lui même est l’auteur immédiat de nos songes [25]. Primum igitur, dit-il [26], intelligendum est, nullam vim esse divinam effectricem somniorum. Atque illud quidem perspicuum est, nulla visa somniorum proficisci à numine deorum. Nostrâ enim causâ dii id facerent, ut providere futura possemus. Quotus igitur est quisque, qui somniis pareat ? qui intelligat ? qui meminerit ? quàm multi verò, qui contemnant, eamque superstitionem imbecilli animi, atque anilis putent ? Quid est igitur, cur his hominibus consulens Deus, somniis moneat eos, qui illa non modo curâ, sed ne memoriâ quidem digna ducant ? nec enim ignorare Deus potest, quâ mente quisque sit : nec frustrà, ac sinè causâ quid facere, dignum Deo est : quod abhorret etiam ab hominis constantiâ. Ita si pleraque somnia ant ignorantur, aut negliguntur ; aut nescit hoc Deus, aut frustra somniorum significatione utitur. Sed horum neutrum in Deum cadit. Nihil igitur à Deo somniis significari fatendum est. Voilà sa première raison : nous avons vu la seconde ci-dessus [27]. Voici la troisième [28] : Jam verò quis dicere audeat, vera omnia esse somnia ? Aliquot somnia vera, inquit Ennius ; sed omnia non est necesse. Quæ est tandem ista distinctio ? quæ vera, quæ falsa habet ? et si vera à Deo mittuntur, falsa undè nascuntur ? nam si ea quoque divina, quid inconstantius Deo ? quid inscitius autem est, quàm mentes mortalium falsis, et mendacibus visis concitare ? sin vera visa divina sunt : falsa autem, et inania, humana : quæ est ista designandi licentia, ut hoc Deus, hoc Natura fecerit potiùs, quàm aut omnia Deus, quod negatis, aut omnia Natura ? Il en propose une quatrième fondée sur l’obscurité des songes : on l’a déja vu [29] ; mais on va le voir encore mieux. Il n’y a personne, dit-il, qui ait assez de capacité pour bien expliquer les songes ; et par conséquent, si les dieux nous parlaient par cette voie, ils seraient semblables aux Carthaginois, qui harangueraient en leur langue le sénat de Rome, et qui n’amèneraient aucun trucheman. Vide igitur, ne etiam si divinationem tibi esse concessero, quod nunquàm faciam, neminem tamen divinum reperire possimus. Qualis autem ista mens est deorum, si neque ea nobis significant in somnis, quæ ipsi per nos intelligamus : neque ea, quorum interpretes habere possimus ? similes enim sunt dii, si ea nobis objiciunt, quorum nec scientiam, neque explanatorem habeamus, tanquàm si Pœni, aut Hispani in senatu nostro loquerentur sinè interprete. Jam verò quò pertinent obscuritates, et enigmata somniorum ? intelligi enim à nobis dii velle debebant ea, quæ nostrâ causâ nos monerent [30].

  1. (*) L. de divinat., c. 14, et l. de insomniis per decem capita.
  2. (*) De quo Alex. ab Alex., lib. 1, cap. 11.
  1. Sabellicus, de Linguæ Latinæ Reparatoribus, pag. 405, apud Anton. Nicodemum, Addizioni alla Biblioteca Napoletana, pag. 144.
  2. Nicolo Toppi, Bibliot. Napolet., p. 168.
  3. Junian. Majus, epistola dedicatoria ad regem Ferdinandum, apud Nicodemum ; ubi suprà.
  4. Volaterranus, lib. XXI, pag. m. 776.
  5. Nicolo Toppi, Bibliot. Napolet., p. 168.
  6. Alexander ab Alexandro, Genial. Dierum, lib. I, cap. XI, pag. 81, 82.
  7. Sannazar., eleg. VII, lib. II, pag. 96, edit. Amstel., 1689.
  8. Mart. del Rio, Disquisit. magicar., lib. IV, cap. III, quæst. VI, pag. m. 278.
  9. Selon la théologie de saint Augustin, qui renferme, comme l’enseigne le père Thomassin, l’ancienne tradition de tous les hommes, rien ne se fait presque dans le monde que par les anges ou par les démons, ou par des sentimens que Dieu imprime dans les esprits des hommes. Arnauld, contre le Système de Mallebranche, tom. I, pag. 191.
  10. Il y a tel songe qui est un rébus de Picardie, comme celui dont parle Brantôme, qui présagea à Marguerite d’Autriche, destinée à épouser Charles VIII, qu’Anne de Bretagne lui enlèverai la couronne de France : elle songea que se promenant dans un jardin, un âne lui vint ôter un bouquet qu’elle tenait.
  11. C’est-à-dire, la machine humaine et l’âme humaine.
  12. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. LXI.
  13. Voyez, tom. IX, pag. 379, l’article Lotichius (Pierre), remarque (G).
  14. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. LXI.
  15. Idem, cap. LXIII.
  16. Voyez la remarque (D) de l’article Caïnites, tom. IV, pag. 307.
  17. Voyez Cicéron, de Divinat., lib. I, folio m. 311, A.
  18. Idem, ibidem, cap. XXV.
  19. Somnia neque sua, neque aliena de se negligebat. Sueton., in Augusto, cap. XCI.
  20. Voyez Casaubon, sur Suétone, in Augusto, cap. XCI, qui cite Artemidore, lib. I, cap. 2.
  21. Petronius, p. 178, edit. Roterd., 1693.
  22. Dans l’article d’Artémidore, tom. II, pag. 467, remarques (B) et (C).
  23. Valer. Maximus, lib. I, cap. VII.
  24. Grotius, epist. CCCCV, part. II.
  25. C’était la supposition des stoïciens, d’où vient que Cotta, dans Cicéron, de Nat. Deorum, lib. III, sub fin., leur parle ainsi : Quomodò iidem dicitis non omnia Deos persequi, idem vultis à Diis immortalibus hominibus dispartiri ac dividi sommia ?
  26. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. LX.
  27. Citation (12).
  28. Cicero, de Divinat., lib. II, cap. LXI, LXII.
  29. Ci-dessus, citation (14).
  30. Cicero, de Divin., lib. II, cap. LXIV.

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