Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Méziriac


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MÉZIRIAC (Claude-Gaspar-Bachet, Seigneur de), a été l’un des plus habiles hommes du XVIIe. siècle [* 1]. Il était de Bresse, d’une famille noble et ancienne [a] (A), comme nous l’apprend M. Pélisson avec plusieurs autres particularités bien curieuses que je ne veux pas copier, car elles se trouvent dans un ouvrage [b], qui est entre les mains de tout le monde. Je me contenterai d’en tirer deux choses : la 1°. est que M. de Méziriac passa en sa jeunesse beaucoup de temps à Paris et à Rome, et qu’en ce dernier lieu il fit quantité de vers italiens à l’envi avec M. de Vaugelas, qui s’y trouvait aussi ; la 2°., que lorsqu’il était encore à Paris, il se parla de le faire précepteur du roi Louis XIII, et que cela fut cause qu’il se hâta de quitter la cour. Et il disait depuis, qu’il n’avait jamais été en si grande peine, lui semblant qu’il avait déjà sur ses épaules le pesant fardeau de tout un royaume. On assure dans le Dictionnaire de Moréri [c] que depuis il revint à Paris et fut de l’académie française. Le dernier de ces deux faits est véritable, l’autre est faux [d] : ce savant homme fut choisi pour occuper l’une des places de l’académie naissante, quoiqu’il fût absent ; et lorsque son tour fut venu d’y faire un discours, il en envoya un, qui fut lu dans l’assemblée par M. de Vaugelas [e]. On voit dans un livre du sieur Colomiés une particularité dont M. Pélisson ne parle pas : c’est que M. de Méziriac avait été jésuite à l’âge de vingt ans, et qu’il avait fait sa première classe à Milan, où étant tombé malade, il se fit derechef séculier [f]. Il mourut à Bourg en Bresse [g], le 26 de février 1638 [h], et laissa plusieurs enfans de son mariage avec Philiberte de Chabeu [i]. On connaîtra par la remarque que l’on verra ci-dessous, touchant ses écrits (B), que ce fut un homme d’un si grand fonds de génie qu’il y put placer commodément les sciences qui ont entre elles le moins de rapport. Il fut assez bon poëte en français, en italien et en latin, un excellent grammairien, un grand grec, un grand critique. Il connut tous les plus petits sentiers du pays des fables ; la mythologie ne contenait rien qu’il ignorât. Il fut philosophe et théologien bien versé aux controverses [j], et il se tirait admirablement des questions les plus abstraites de l’algèbre et des mathématiques. Guichenon a dit que, sans offenser sa mémoire, on lui « peut donner l’éloge que Quintilien a baillé à un grand personnage de son temps, qui eût pu laisser de plus beaux ouvrages s’il eût voulu, felix ingenium ! quod voluit potuit ! ô utinàm meliora voluisset [k] ! » Nous parlerons à part des écrits qu’il destinait à l’impression (C). On se trompe quand on assure qu’il n’avait guère que quarante-cinq ans lorsqu’il mourut (D) ; mais je ne saurais marquer bien précisément le nombre de ses années. On dit [l] « que M. D. S., qui est... de la famille de cet illustre académicien, a ce semble hérité de sa connaissance de la fable : il travaille à en faire une l’histoire, dont il n’y aura aucune circonstance qui ne soit appuyée ou ornée de quelque trait d’un poëte grec ou latin. »

L’un de ses fils a été président du présidial de Bourg en Bresse. Il se fit admirer de toute la cour, lorsqu’en 1660 il fut complimenter sa majesté à Lyon [m]. Il vivait encore, l’an 1704.

  1. * Dans les Éloges de quelques Auteurs français, Dijon, 1742, in-8o., Bachet de Méziriac a un article beaucoup plus étendu et plus complet, que celui fait par Bayle, qui y est cependant cité avec éloge.
  1. Pélisson, Histoire de l’Académie française, pag. m. 256.
  2. L’histoire de l’Académie française.
  3. Au mot Bachet.
  4. Je ne prétends pas nier que Méziriac n’ait fait des voyages à Paris ; mais seulement qu’il soit revenu s’y établir, ce qui est le sens du Moréri.
  5. Pélisson, Hist. de l’Académie française, pag. 104.
  6. Colomiés, Recueil de Particularités, pag. m. 109, 110. Il marque qu’il avait appris cela de M. Patin.
  7. Guichenon, Hist. de Bresse, IIIe. part., pag. 10.
  8. Pélisson, Histoire de l’Académie française, pag. 262.
  9. Guichenon, Histoire de Bresse, IIIe. part. pag. 10.
  10. Guichenon, Hist. de Bresse, IIIe. part. pag. 10.
  11. Là-même.
  12. Diversités curieuses, tom. VII, pag. 121, 122, édit. de Holl.
  13. Tiré du Mercure Galant de janvier 1705, pag. 132.

(A) Il était d’une famille noble et ancienne. ] Elle doit aux lettres sa noblesse. « Pierre Bachet, seigneur Meyséria, de Vauluysant, et de Lyonnières, qui est celui que la famille des Bachets reconnaît pour tronc, fut conseiller et lieutenant-général au bailliage de Bresse, sous le roi Henri II, puis juge maje après la restitution faite au duc Emmanuel-Philibert de ses états. Il fit hommage à ce prince, en l’an 1563, des seigneuries de Meyséria, de Vauluysaut, et de Lyonnières. Son testament est du 5 septembre 1565. Ce fut un des grands personnages de son temps, admiré pour sa probité, et pour son érudition ; insigne jurisconsulte, qu’on venait consulter de tous les pays circonvoisins, et grand poëte latin : on voit encore de lui deux tomes manuscrits de ses consultations, un recueil de ses poésies latines, et un livre d’épîtres qu’il écrivit aux plus doctes hommes de son siècle, avec les réponses qui lui furent faites, dont la publication serait garant du témoignage que je rends à sa mémoire [1]. » Il épousa, le 10 de décembre 1540, Françoise de Soria, fille d’Antoine de Soria, gentilhomme portugais, et premier médecin de Béatrice de Portugal, duchesse de Savoie. De ce mariage sortit Jean Bachet, qui fut conseiller du duc de Savoie, et juge des appellations de Bresse, qui était le premier office de magistrature en ce pays pendant la domination de Savoie : il n’eut pas moins de doctrine et d’intégrité que son père. Son testament est du 5 juillet 1586. Il laissa entre autres enfans notre M. de Méziriac, et Guillaume Bachet [2], seigneur de Vauluysant, conseiller du roi, et président en l’élection de Bresse, qui testa le 22 d’avril 1631, et mourut sans enfans. Entre autres bonnes qualités qui le rendaient recommandable, il était très-bon poëte latin et français, dont il nous a laissé beaucoup de marques, nommément en cette excellente et naïve traduction de quelques-unes des épîtres d’Ovide, qui ont été imprimées avec celles de Claude-Gaspard Bachet, seigneur de Meyséria, son frère [3]. Vous remarquerez que Guichenon, historiographe de ce pays-là, nomme toujours Meyséria, la seigneurie que l’auteur dont je donne ici l’article a toujours nommée Méziriac à la tête de ses ouvrages. Il se donna sans doute la liberté d’en changer le nom, afin de le rendre plus coulant, et moins farouche aux oreilles des Français, et plus capable d’entrer dans des poésies [* 1].

(B) On connaîtra par la remarque... touchant ses écrits. ] Le premier ouvrage qu’il publia fut imprimé en 1613, sous le titre de Problèmes plaisans et délectables qui se font par les nombres. Il le fit sortir en lumière tant pour faire un essai de ses forces, que pour sonder quel jugement on ferait de ses œuvres, et afin qu’il servît comme d’avant-coureur à son Diophante [4]. Onze ans après, il en fit une seconde édition [5] corrigée et augmentée de plusieurs propositions et de plusieurs problèmes. Et comme il craignit que, son Diophante ayant déja vu le jour, on ne s’étonnât de ce qu’après avoir fait une œuvre si sérieuse et remplie de si profondes spéculations comme est le Diophante, il s’était amusé à retoucher ses problèmes, il prépara dans sa préface entre autres réponses celle-ci : [6] Que les livres sont les enfans de nos esprits, et qu’outre l’inclination naturelle qu’ont tous les pères d’aimer leurs enfans généralement, ils portent encore une affection particulière à leurs premiers nés. C’est pourquoi ce livre étant le premier qui soit parti de ma main, et comme l’enfant premier né de mon esprit, c’est avec juste raison que je le chéris particulièrement, et que je ne me contente pas de l’avoir mis au monde, mais je veux encore prendre le soin de sa conservation et de son accroissance. M. Pélison remarque [7], 1°. que le livre des Récréations arithmétiques est un ouvrage où M. de Méziriac enseigne toutes les subtilités qu’on peut faire dans les jeux, par les nombres, et d’où on a pris une partie des récréations mathématiques [8] ; 2°. que son Diophante, traduit de grec en latin avec des commentaires, est un ouvrage dont M. de Fermat et tous ceux qui entendent l’algèbre, font très-grande estime, et que M. de Méziriac disait lui-même qu’il s’étonnait comment il avait pu venir à bout de cet ouvrage ; et qu’il ne l’aurait jamais achevé sans la mélancolie et l’opiniâtreté que lui donnait une fièvre quarte qu’il avait alors. Vossius [9] ne marque pas bien l’année de cette édition de Diophante. Il la met à l’an 1623, et il fallait la mettre à l’an 1621. L’historiographe de Bresse n’a point commis cette faute, mais il a trop multiplié les éditions de ce livre. Les ouvrages que M. de Méziriac a fait imprimer, dit-il [10], sont : « Diophanti Alexandrini Arithmeticorum libri sex, et de numeris multangulis liber unus ; livre rare qu’il avait restitué pour la plus grande partie, et enrichi de très-doctes commentaires. Il fut imprimé premièrement à Paris, en l’an 1621, et dédié à ce grand oracle Antoine Faure [* 2], premier président de Savoie : depuis il a été réimprimé plusieurs fois en Allemagne. Problèmes d’arithmétique et de mathématique ; Traduction de quelques épîtres d’Ovide en vers français, avec des commentaires très-curieux ; Traité de la Tribulation, traduit de l’italien de Cacciaguerra ; Epistolæ et Poëmata varia ; Vie d’Alexandre Lusague ; Vie d’Ésope, en laquelle, au jugement de tous les doctes, il y a de très-riches et belles remarques. » M. Pélisson développe ce que nous voyons là confusément à l’égard des poésies de notre auteur. On voit de lui un petit livre de poésies italiennes, où il y a des imitations des plus belles comparaisons qui sont dans les huit premiers livres de l’Énéide ; un autre de poésies latines ; plusieurs poésies en français. Il y en a dans le recueil de 1621, appelé Délices de la poésie française, et dans celui de 1627 [11]. Notez que Diophante n’avait jamais paru qu’en latin. Xylander l’avait publié en cette langue, l’an 1575. Ces paroles de M. Konig, Casp. quoque Bachetus, an. 1613, profundissimis speculationibus eum (Diophantum) illustravit [12], seraient très-justes, si au lieu de 1613 on voyait 1621. Je crois que ses imprimeurs ont mis 1613 au lieu de 1623 ; car Vossius a été sans doute l’original de M. Konig : je me le persuade d’autant plus facilement que je vois ceci dans Vossius : Anno ciↄ iↄ cxxiii Gaspar Bachetus Diophantum illustravit. Imò profundis in eum speculationibus immortalem sibi gloriam comparavit, ut judicium est Jacobi de Billy Compendiensis, præfatione in algebram [13]. Quant à la remarque de M. Konig, que M. Bouillaud a donné une édition de Diophante, je la crois fausse. Mettons ici une brusquerie de Malherbe : « M. de Méziriac, accompagné de deux ou trois de ses amis, lui apportant un livre d’arithmétique d’un auteur grec, nommé Diophante, qu’il avait commenté, et ses amis louant extraordinairement ce livre, comme fort utile au public, Malherbe leur demanda s’il ferait amender le pain [14]. » Nous verrons dans la remarque suivante l’estime que M. Descartes avait pour cet ouvrage de M. de Méziriac.

(C) Vous parlerons à part des écrits qu’il destinait à l’impression. ] « Il avait entrepris une nouvelle traduction de toutes les œuvres de Plutarque, avec des notes où il voulait faire voir les fautes qu’Amyot avait faites en la version de cet auteur, en éclaircir quantité de passages qui n’avaient jamais été entendus, et nous ouvrir les trésors de l’antiquité : il restait peu de chose à faire de ce grand et pénible travail, quand il est décédé, qui est un dommage pour le public qui ne se peut pas exprimer. Tous les doctes l’attendaient avec impatience, laquelle fut accrue par la belle lettre qu’il écrivit à l’académie de Paris, pour la remercier de l’honneur qu’on lui avait fait de l’y associer, par laquelle il rendit raison de son dessein. Il nous a encore laissé plusieurs pièces achevées, et non imprimées, desquelles il serait à souhaiter que le public ne fût pas frustré plus longtemps ; savoir : Elementorum, Arithmeticorum lib. 13 ; Tractatus de Geometricis quæstionibus per Algebram. Ce sont les deux ouvrages qu’il promettait à la fin de sa préface sur le Diophante. Le reste des Épîtres d’Ovide sans commentaires ; Apollodori Atheniensis Grammatici Bibliotheces, sive de Deorum origine libri tres, de sa traduction, avec de très-doctes observations. Agathemeres, géographe Grec, non encore imprimé [15] ». Ce passage de M. Guichenon contient une petite inexactitude. On y donne pour une lettre de remercîment écrite à messieurs de l’académie française, un discours que M. de Méziriac avait composé pour se conformer aux réglemens de l’académie. On fit par sort avec des billets, un tableau des académiciens ; on ordonna que chacun serait obligé de faire à son tour un discours sur telle matière, et de telle longueur qu’il lui plairait [16]. Il y eut vingt de ces discours prononcés de suite dans l’académie [17]Le dix-septième fut envoyé par M. de Méziriac, et lu dans l’assemblée [* 3] par M. de Vaugelas : il est intitulé de la Traduction. En ce discours l’auteur, qui était estimé très-savant aux belles lettres, et surtout en la langue grecque, après avoir loué l’esprit, le travail, et le style d’Amiot, en sa version de Plutarque, et comme il semble, avec assez d’ingénuité, prétend montrer qu’en divers passages qu’il a remarqués, jusques au nombre de deux mille, ce grand traducteur a fait des fautes très-grossières de diverses sortes, dont il donne plusieurs exemples [18]. Je sais que M. l’abbé Nicaise, dont le zèle pour l’avancement des sciences est assez connu, s’est fort employé à déterrer l’Apollodore de M. de Méziriac, et il n’a pas tenu à lui que les libraires ne l’aient mis sous la presse.

Voici quelques faits qui concernent un autre ouvrage de cet écrivain. M. Baillet raconte que M. Descartes faisait un cas tout particulier du génie et de la capacité de M. de Méziriac, sur tout pour l’arithmétique et l’algèbre, qu’il possédait et un degré de profondeur qui l’égalait à M. Viéte... Son travail sur Diophante d’Alexandrie est plus que suffisant pour justifier l’estime que M. Descartes faisait de lui : mais il est à croire que le public aurait encore enchéri sur cette estime, s’il avait vu le traité d’Algèbre de M. de Méziriac, et quelques autres manuscrits de cet auteur, dont le plus important est celui des [* 4] XIII livres des Élémens d’arithmétique servant pour l’algèbre, écrit en latin, et acheté des héritiers de M. de Méziriac depuis environ quinze ou seize années, par une personne de la religion réformée, qui n’a point oublié de l’emporter hors du royaume, au temps de la révolution de l’état où étaient les religionnaires avant la révocation de l’édit de Nantes [19]. Il y a dans ce récit une circonstance qui doit être rectifiée, et voici un mémoire que j’ai reçu sur ce sujet [20]. « Outre les trois livres que M. Bachet de Méziriac a composés touchant les nombres, et qu’il a mis au commencement de ses Commentaires sur Diophante, il a fait des Élémens d’arithmétique, divisés en XIII livres, qui n’ont point été imprimés. On sollicita après sa mort M. de Méziriac, son fils, de les donner à imprimer ; mais il voulut vendre si cher le manuscrit, qu’il ne trouva personne qui le voulût acheter. Enfin il le vendit à M. d’Alibert, trésorier de France à Montauban, qui lui en donna quinze cents livres. M. d’Alibert s’était proposé de le faire imprimer à ses dépens : mais ayant été surpris de la mort avant que d’avoir pu exécuter son dessein, il donna, en mourant, à un de ses amis, ce manuscrit qui est tout entier de la main de M. de Méziriac le père. Cet ami le donna depuis à M. Case, et M. Case à M. Picard, de l’académie royale des sciences. En l’année 1679, M. Picard le donna à M. l’abbé Galloys, qui, pour accomplir les bonnes intentions de M. d’Albert, l’a offert à plusieurs libraires pour le faire imprimer. Mais comme ces élémens sont d’une science abstraite, et qu’ils sont en latin, il n’a trouvé jusqu’ici aucun libraire qui en ait voulu entreprendre l’impression. Il y a donc quelque chose à corriger dans la page 291 de la Ire. partie de la vie de M. Descartes, car celui qui a acheté ce manuscrit n’était point de la religion réformée ; celui à qui il a été depuis donné ne l’a point emporté hors du royaume ; et le manuscrit est encore à Paris. » Il paraît par une lettre de M. Sarrau [21], que M. Morus avait entrepris de recueillir les compositions manuscrites de M. de Méziriac, et qu’on souhaitait qu’il s’aquittât de sa promesse. M. Sarrau, sans doute, lui avait inspiré ce beau dessein, lorsqu’il l’avait prié de lui acheter tous les ouvrages de ce savant homme [22] ; car il en parla avec des éloges distingués. Ce fut dans une lettre qu’il écrivit le 14 de mars 1644. Il croyait qu’il y avait environ dix ans que Méziriac était mort. Il ignorait donc la vraie date.

Au reste, il ne faut pas être surpris de ce qu’on n’a pu trouver aucun imprimeur pour le Commentaire de Méziriac sur Apollodore. Le goût de cette espèce d’érudition est entièrement éteint, et il y a beaucoup d’apparence que si Méziriac vivait aujourd’hui, on ne lui ferait point l’honneur de l’aller chercher en Bresse pour lui donner une place dans l’académie Française. Ce qui lui fit avoir autrefois cet avantage, serait présentement une raison de ne pas songer à lui. La politesse de son style, la beauté de ses vers français, ne furent point cause qu’on le crut digne d’être l’un des académiciens ; car il faut avouer ingénument que sa prose ni ses vers en notre langue n’avaient rien d’exquis, et qu’à cet égard il était fort inférieur à presque tous ses confrères : la seule réputation de son savoir, et les preuves qu’il avait données d’une vaste érudition, le firent choisir. Les temps sont changés : on ne tient plus compte d’un auteur qui sait parfaitement la mythologie, les poëtes grecs, leurs scoliastes, et qui se sert de cela pour éclaircir, ou pour corriger les passages difficiles, un point de chronologie une question de géographie, ou de grammaire, une variation de récits, etc. On ne se contente pas de préférer à la lecture des ouvrages d’un tel auteur, celle d’un écrit où il n’y a rien de semblable, on traite aussi de pédanterie cette sorte d’érudition [23], et c’est le véritable moyen de rebuter tous les jeunes gens qui auraient des dons pour réussir dans l’étude des humanités. Il n’y a point d’injure plus offensante que d’être traité de pédant : c’est pourquoi on ne veut point prendre la peine d’acquérir beaucoup de littérature ; car on craindrait de s’exposer à cette offense, si l’on voulait faire paraître que l’on a bien lu les anciens auteurs. Et où sont les gens qui n’aiment pas à se faire honneur de ce qu’ils savent, et qui ne sont point animés par l’espérance de la gloire ? Ôtez cette espérance, vous refroidissez les plus ardens, vous redoublez la paresse de ceux qui craignent une application pénible. Il ne faut point douter que l’une des principales raisons qui ont fait tomber l’étude des belles-lettres, ne consiste en ce que plusieurs beaux-esprits prétendus ou véritables ont introduit la coutume de condamner comme une science de collége, et comme une crasse pédanterie, les citations de passages grecs, et les remarques d’érudition. Ils ont été assez injustes pour envelopper dans leurs railleries les écrivains qui avaient de la politesse, et de la science du monde : Costar, par exemple. Qui aurait osé aspirer après cela à la gloire du bel-esprit en se parant de ses lectures et de ses remarques de critique ? Si l’on s’était contenté de condamner ceux qui citent mal à propos les Platon et les Aristote, les Hippocrate et les Varron, pour prouver une pensée commune à tous les siècles et à toutes les nations [24], on n’aurait pas découragé tant de gens ; mais avec des airs dédaigneux on a relégué hors du beau monde, et dans les colléges, quiconque osait témoigner qu’il avait fait des recueils : on s’est moqué des Costar, et des lettres mêmes de Voiture qui étaient parsemées de latin. L’effet de cette censure a été d’autant plus grand, qu’elle se pouvait couvrir d’un très-beau prétexte, c’était de dire qu’il faut travailler à polir l’esprit, et à former le jugement, et non pas à entasser dans sa mémoire ce que les autres ont dit. Plus cette maxime est véritable, plus a-t-elle flatté les esprits superficiels et paresseux, et les a poussés à tourner en ridicule l’étalage d’érudition. Leur principal motif, peut-être, était d’avilir le bien d’autrui afin d’augmenter le prix du leur ; car si on leur disait, vous condamnez cet auteur qui cite et du grec et du latin ; en feriez-vous bien autant, mettez la main sur votre conscience, le blameriez-vous si vous vous sentiez en état de l’imiter ? Il y a beaucoup d’apparence qu’on mettrait bien à l’épreuve leur sincérité. Mais abrégeons cette digression, et disons que les choses en sont venues à un tel point, que les Nouvelles de la République des Lettres du mois dernier [25] nous apprennent que le libraire de Paris, qui veut imprimer la version d’Homère, faite par madame Dacier, ne veut point y joindre l’original. Il appréhende sans doute que la vue des caractères grecs n’épouvante les lecteurs, et ne les dégoûte d’acheter le livre. Considérez, je vous prie, ce qui a été écrit de Paris à M. Bernard, et qu’il a inséré dans ses Nouvelles du mois d’octobre dernier. La Télémacomanie est un livre plein d’esprit et de feu [26]. Il est divisé en deux parties : l’auteur [27] montre dans la première, que l’église a eu toujours de l’aversion pour les romans. La seconde partie est beaucoup plus longue que la première, mais elle est plus ennuyeuse, parce que l’auteur s’applique uniquement à faire voir les anachronismes et les fautes contre l’histoire et contre la fable, qui sont dans le Télémaque [28]. Jugez par-là du goût dominant, et concluez que le Commentaire sur Apollodore serait sifflé à Paris. Les libraires savent bien cela : ils ne l’imprimeront point. C’est un ouvrage où il y a trop d’érudition.

(D) On se trompe quand on assure qu’il n’avait guère que quarante-cinq ans lorsqu’il mourut. ] On ne lui donne que cet âge-là dans l’Histoire de l’Académie française. D’autres disent qu’il vécut quarante-sept ans [29]. Mais il est sûr qu’il ne mourut pas si jeune ; car son père, qui l’avait eu de son premier mariage, se remaria l’an 1586. Le contrat de ce second mariage est daté du 27 de septembre, comme nous l’apprend M. Guichenon. Je voudrais qu’il eût été pour le moins aussi soigneux de marquer le jour natal des personnes, que le jour des mariages et des testamens. L’un ne lui eût pas été plus difficile que l’autre à l’égard de la famille de M. de Méziriac : il connaissait le fils de ce savant homme ; c’est par lui apparemment qu’il recouvra les Mémoires qui lui ont appris ce qu’il rapporte de cette famille. Pourquoi ne lui demandait-il pas les jours de naissance ? S’il l’avait fait nous saurions certainement combien a vécu l’académicien dont nous parlons [* 5].

  1. * Joly observe que Méziriac n’a fait entrer son nom dans aucun vers, et qu’il serait difficile de le faire entrer avec grâce dans la poësie française. J’ajouterai que le nom de Méziriac ne me paraît pas plus coulant, moins farouche que celui de Meyséria.
  2. * Leclerc dit qu’il faut écrire Favre ; et que ce Favre était le père de Vaugelas.
  3. (*) Le 10 décembre 1635.
  4. (*) Catal. des Mss. de Méziriac qui m’a été envoyé de Bourg en Bresse.
  5. * Leclerc dit que Méziriac mourut le 26 février 1638, à cinquante sept ans. Cette date est donnée par l’auteur des Éloges de quelques Auteurs français, Dijon, 1742, in-8o. Méziriac était né le 9 octobre 1581.
  1. Guichenon, Histoire de Bresse, IIIe. part., pag. 9.
  2. Celui-ci était l’aîné.
  3. Guichenon, Histoire de Bresse, IIIe. part., pag. 9.
  4. Méziriac, préface de la seconde édition des Problèmes,
  5. À Lyon, chez Pierre Rigaud, 1624, in-8°.
  6. Méziriac, préface de la seconde édition des Problèmes.
  7. Pélisson, Histoire de l’Académie française, pag. m. 263.
  8. C’est le titre d’un livre qui a été imprimé plusieurs fois. J’en ai l’édition de Paris, 1630, in-8°., qui est accompagnée des remarques de Claude Mydorge.
  9. Vossius, de Scient. Mathemat., pag. 341 et 464.
  10. Guichenon, Hist. de Bresse, IIIe. part., pag. 10.
  11. Pélisson, Histoire de l’Académie française, pag. 262.
  12. Komg., Biblioth., pag. 252.
  13. Vossius, de Scient. Mathemat., pag. 341.
  14. Vie de Malherbe, pag. 10.
  15. Guichenon, Hist. de Bresse, IIIe. part., pag. 10.
  16. Pélisson, Histoire de l’Académie française, pag. 99.
  17. Là même, pag. 100.
  18. Pélisson, Histoire de l’Académie française, pag. 104.
  19. Baillet, Vie de M. Descartes, tom. I, pag. 291.
  20. Dressé par M. l’abbé Gallois, et envoyé par M. Simon de Valhébert.
  21. C’est la CLXXXVe, à la page 190 de l’édition d’Utrecht.
  22. Voyez sa LXXe. lettre, pag. 68 : il le nomme toujours Mézériacus au lieu de Méziriacus.
  23. Voyez la Bruyère, au chapitre des Jugemens. pag. m. 498 et suiv.
  24. Hérille, soit qu’il parle, soit qu’il harangue ou qu’il écrive, veut citer : il fait dire au prince des philosophes, que le vin enivre, et à l’orateur romain, que l’eau le tempère : s’il se jette dans la morale, ce n’est pas lui, c’est le divin Platon qui assure que la vertu est aimable, le vice odieux, ou que l’un et l’autre se tournent en habitude : les choses les plus communes, les triviales, et qu’il est même capable de penser, il veut les devoir aux anciens, aux Latins, aux Grecs. La Bruyère, là même, pag. 525.
  25. Bernard, Nouvelles de la République des Lettres, novembre 1700, pag. 586, 587.
  26. Là même, Nouvelles du mois d’octobre 1700, pag. 385.
  27. C’est-à-dire, l’abbé Faydit.
  28. Nouvelles de la République des Lettres, octobre 1700, pag. 389, 390.
  29. Baillet, Jugem. sur les Poëtes, num. 1432.

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