Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Henri 4


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HENRI IV, roi de France, a été un des plus grands princes dont l’histoire de ces derniers siècles fasse mention ; et l’on peut dire que si l’amour des femmes lui eût permis de faire agir toutes ses belles qualités (A) selon toute l’étendue de leurs forces, il aurait ou surpassé ou égalé les héros que l’on admire le plus. Si la première fois qu’il débaucha la fille ou la femme de son prochain, il en eût été puni de la même manière que Pierre Abélard [* 1], il serait devenu capable de conquérir toute l’Europe (B), et il aurait pu effacer la gloire des Alexandre et des César. Ce serait en vain qu’on m’objecterait qu’un semblable châtiment lui eût ôté le courage (C). Ce fut son incontinence prodigieuse (D) qui l’empêcha de s’élever autant qu’il aurait pu faire ; mais, malgré ce puissant obstacle, il n’a pas laissé de mériter à très-juste titre le surnom qu’il porte [a]. Pour s’en convaincre il suffit de considérer les difficultés étonnantes qu’il surmonta, avant que d’être affermi sur le trône ; et l’état florissant où il remit son royaume, qu’il avait trouvé dans la plus affreuse désolation qu’on se puisse imaginer. Il hérita de cette couronne dans un degré de parenté fort éloigné (E). Nous connaîtrions apparemment, et nous admirerions beaucoup plus le fonds de son grand mérite, s’il avait vécu cinq ou six ans plus qu’il n’a fait ; car il était sur le point de commencer l’exécution d’un vaste dessein [b], lorsqu’il fut tué dans son carrosse, le 14 de mai 1610, par le nommé Ravaillac. Il y a des historiens qui disent que cela lui avait été prédit le jour précédent (F) : mais ceux qui ont approfondi cette affaire y ont trouvé de la fausseté. Il était si généreux, qu’il n’y a point d’apparence qu’il ait jamais conseillé au duc d’Alençon de se défaire de Catherine de Médicis (G). Cependant il y a des mémoires qui l’assurent. Il eut la destinée ordinaire des grands hommes, je veux dire qu’il fut malheureux dans son domestique. Les deux femmes qu’il épousa successivement, la dernière pendant la vie de la première, lui causèrent mille chagrins (H). Il méritait cela, puisqu’il tenait si peu de compte des lois sacrées du mariage. Sa seconde femme fut l’une de ces princesses contre lesquelles il avait formé des objections, en examinant avec Rosni quelle femme lui conviendrait [c]. Ce qu’il pensait sur le mariage est très-curieux (I) : et il n’y a guère de conversations plus solides et plus agréables que celle qu’il eut sur cette matière. On connut fort clairement que la religion n’était que le faux prétexte de la ligue et du roi d’Espagne ; on le connut, dis-je, par les efforts qui furent faits pour empêcher que le pape ne lui donnât l’absolution. J’ai rapporté en un autre endroit [d], les plaisanteries de d’Aubigné, sur les coups de gaule que reçurent les procureurs de ce prince quand il fut absous à Rome. J’en dirai encore ici quelque chose (K).

Henri IV naquit à Pau en Béarn, le 13 de décembre 1553 [e]. Antoine de Bourbon, son père, et Jeanne d’Albret, sa mère, l’amenèrent à la cour de France dès qu’il eut cinq ans ; mais ils n’y séjournèrent que peu de mois, et s’en retournèrent en Béarn [f]. Antoine revint à la cour après la mort de Henri II. Il fut déclaré lieutenant général du royaume après la mort de François II. Il fit venir auprès de lui la reine, sa femme, et le prince, son fils. Il mourut d’une blessure qu’il avait reçue au siége de Rouen, l’an 1562, après quoi sa femme, qu’il avait assez maltraitée (L), s’en retourna en Béarn où elle embrassa ouvertement le calvinisme [g]. Elle laissa son fils à la cour de France, sous la conduite d’un sage précepteur nommé la Gaucherie. Elle le fit venir à Pau, l’an 1566, et lui donna Florent Christien en la place de la Gaucherie qui était décédé. [h]. Ce nouveau précepteur, bon huguenot, éleva le prince dans la doctrine des protestans. Jeanne d’Albret se déclara leur protectrice, l’an 1569, et vint pour cet effet à la Rochelle avec son fils, qu’elle dévoua dès lors à la défense de cette nouvelle religion. En cette qualité il fut déclaré chef du parti, et son oncle, le prince de Condé, son lieutenant avec l’amiral de Coligny [i]. Il était à l’armée quand la bataille de Moncontour se donna, et brûlait d’envie de jouer des mains, mais on ne lui permit pas, de peur de hasarder sa personne [j]. Il suivit l’armée de ce temps-là jusques à la paix qui fut conclue, le 11 d’août 1570, et puis il retourna en Béarn. Son mariage avec la princesse Marguerite, sœur de Charles IX, fut célèbre à Paris, au mois d’août 1572. Sa mère était venue à Paris quelques mois auparavant pour travailler aux préparatifs des noces et y était morte pendant que son fils était en chemin. Il commença à prendre la qualité de roi, lorsqu’il eut reçu en Poitou la nouvelle de cette mort [k]. Tout le monde sait que le massacre de la Saint-Barthélemi fut commis peu de jours après les noces de ce nouveau roi, et que ce prince, se voyant réduit à alternative de la mort ou de la messe, choisit le dernier parti. Les réponses que certains auteurs lui font faire sont des fantaisies de leur cerveau (M), et témoignent seulement l’envie qu’ils ont de mettre à profit leurs lectures. Il fut obligé de demeurer malgré lui à la cour de France quelques années. Il y sut très-bien dissimuler ses chagrins : il les chassa même, il les dissipa souvent par le secours de quelque galanterie, à quoi son tempérament et la corruption des dames prêtaient toutes sortes de facilités. La dame de Sauves, femme d’un secrétaire d’état, fut l’une de ses principales maîtresses [l]. Il ne s’amusa pas tellement à faire l’amour, qu’il n’entrât aussi quelquefois dans des intrigues d’état : il eut part à celles qui furent formées pour ôter le gouvernement à la reine-mère, et chasser les Guises de la cour [m]. Cette reine, ayant découvert ces pratiques [n], le fit arrêter, lui et le duc d’Alençon, et leur donna des gardes ; et voulut qu’ils fussent interrogés sur plusieurs cas très-atroces [o] (N). Ces deux princes furent mis en liberté par Henri III, au-devant duquel Catherine de Médicis les avait menés jusqu’au pont de Beauvoisin [p]. Le roi de Navarre s’évada enfin, l’an 1576, et se retira à Alençon [q]. Il rentra dans le parti huguenot et professa de nouveau sa première religion [r]. Les Rochellois le reçurent dans leur ville, et après qu’il y eut séjourné quelques mois, il alla prendre possession de son gouvernement de Guyenne [s]. Depuis ce temps-là, jusqu’en 1589, sa vie fut un mélange de combats et de négociations, et d’amourettes. Sa femme lui était un grand embarras, et ne laissa point quelquefois de lui être utile (O). Il y eut souvent des ruptures et des pacifications entre lui et la cour de France ; mais enfin Henri III se confédéra avec lui tout de bon et de bonne foi, pour résister à la ligue qui était plus furieuse que jamais depuis la mort du duc et du cardinal de Guise. La réconciliation et la conféderation de ces deux rois fut conclue au mois d’avril 1589 : leur entrevue se passa à Tours, le 30 du même mois, avec de grandes démonstrations d’un contentement réciproque. Ils joignirent leurs troupes quelque temps après pour faire le siége de Paris. Ils le firent en personne, et ils étaient sur le point de subjuguer cette grande ville, et de la châtier selon son mérite, lorsque le roi de France fut tué par Jacques Clément, au bourg de Saint-Cloud. Le roi de Navarre lui succéda, le 2 d’août 1589 ; mais ce ne fut qu’avec de très-grandes difficultés, et qu’en renonçant à la religion protestante, qu’il força la ligue à le reconnaître pour roi. La ville de Paris persista dans sa révolte jusqu’au 22 de mars 1594. Je veux dire que le roi n’y fit son entrée que ce jour-là. Il déclara la guerre aux Espagnols l’année suivante, et n’eut guère de sujet d’en être content. Il y perdit beaucoup plus qu’il n’y gagna ; mais, par un bonheur inconnu à tous ses prédécesseurs, il fit un traité de paix où il se dédommagea de ses pertes (P). Ce traité fut conclu à Vervins, le 2 de mai 1598. Depuis ce jour-là jusques à sa mort le royaume fut exempt de guerres civiles et de guerres étrangères ; si vous exceptez l’expédition de l’an 1600. Elle fut entreprise contre le duc de Savoie, et dura fort peu, et fut suivie d’un traité avantageux [t], comme elle avait été accompagnée d’actions glorieuses. Si la valeur et le grand courage de ce roi n’eussent paru en cent occasions, on eût regardé sans doute comme une faiblesse, et comme un effet de timidité, les bontés immenses qu’il eut pour ses plus mortels ennemis ; mais, parce qu’on ne le pouvait soupçonner de poltronnerie, on eut beaucoup de raison de s’imaginer qu’il en usa de la sorte par une clémence généreuse. Et il est certain que la politique même la plus raffinée exigeait cela de lui : il ne pouvait convertir ses ennemis que par ce moyen : il le trouva même trop court ce moyen unique ; car il ne put convertir qu’une partie des ligueux : quantité de prêtres s’opiniâtrèrent à ne prier point Dieu pour lui (Q). On remarque dans le Dictionnaire de Moréri, que plus de cinquante historiens, et plus de cinq cents panégyristes, ou poëtes, ou orateurs, ont parlé de ce grand monarque avec éloge [* 2]. Il est certain d’un autre côté que beaucoup d’auteurs ont malignement flétri sa gloire, et se sont fort appliqués à exténuer ses bonnes actions, et à mettre en vue ses défauts. M. de Sully s’en plaint, et réfute leurs médisances, et soutient entre autres choses qu’il n’est pas vrai que ce prince se laissât extorquer par ses maîtresses tout ce qu’elles souhaitaient (R). Je crois néanmoins que s’il n’eût point eu de fidèles serviteurs qui traversaient l’avidité de ces harpies, et dont il approuvait la résistance, elles l’eussent dominé plus absolument. Les occasions où il eut la force de se démêler des piéges qu’on lui tendait par de belles filles (S) furent rares ; mais il y en eut pourtant. Ceux dont il avait éprouvé la fidélité lui pouvaient donner des avis sans qu’il s’en fâchât, et l’on n’a point ouï dire que Villeroi ait encouru sa disgrâce pour lui avoir dit une chose assez capable de déplaire (T). On ne peut nier que ce prince n’ait eu un grand fonds de générosité qui éloignait de sa conduite une infinité de ruses qu’on ne remarque que trop dans ceux qui gouvernent. Nous verrons sur ce sujet le jugement (U) qu’il porta de l’artifice dont un roi de France s’était servi [* 3].

  1. * * Voltaire, dans son Essai sur les Mœurs, chap. 194, relève vivement cette phrase que Condorcet ne regarde que comme une plaisanterie
  2. * On a attribué à Henri IV une traduction des Commentaires de César, qui, s’il fallait en croire la Bibliothèque historique de la France, n°. 3880, aurait été imprimée en 1650 in-folio. M. Barbier (dans son Examen critique et complément des Dictionnaires historiques, I, 178-179) traite ce livre d’imaginaire, M. Barbier dit qu’à la Bibliothéque du Roi on trouve aujourd’hui un manuscrit qui était jadis dans la bibliothéque Séguier, et qui contient la traduction faite par Henri IV des cinq premiers livres de César. Les corrections de la main du précepteur de Henri IV, nommé la Gaucherie, autorisent à conclure que c’étaient les versions du royal écolier.
  3. * Dans l’édition commencée à Leipsic en 1801, et qui n’a pas été terminée, du Dictionnaire de Bayle, on a cousu à la fin de cet article, et comme si c’était du texte de l’auteur, un assez long passage lardé de remarques à l’instar de Bayle, le tout extrait des chapitres IV et XXVIII de la quatrième partie de la Réponse aux questions d’un provincial. Il est impossible d’approuver la forme de l’addition des éditeurs de Leipsic ; et, pour le fond, il est plus simple de renvoyer aux chapitres qui viennent d’être cités de la Réponse aux questions d’un provincial.
  1. On l’appelle Henri-le-Grand. Voyez, tom. III, pag. 111, la citation (47) de l’article Barclai (Jean).
  2. Voyez à l’ann. 1610, son Histoire composée par Hardouin de Péréfixe.
  3. Voyez la remarque (I).
  4. Dans l’article Botero, tom. IV, pag. 20, remarque (C).
  5. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 15.
  6. Là même, pag. 20.
  7. Là même, pag. 22.
  8. Là même, pag. 23.
  9. Là même, pag. 24.
  10. Là même, pag. 25.
  11. Là même, pag. 29.
  12. Là même, pag. 30.
  13. Là même, pag. 35.
  14. En 1574.
  15. Péréfixe, pag. 36.
  16. Là même, pag. 37 et 38.
  17. Là même, pag. 46.
  18. Là même, pag. 47.
  19. Là même, pag. 48.
  20. Celui de l’échange de la Bresse, etc., pour le marquisat de Saluces.

(A) Si l’amour des femmes lui eût permis de faire agir toutes ses belles qualités. ] On ne peut pas dire de lui, comme de quelques grands capitaines qui aimaient fort les plaisirs [1], qu’il y renonçait quand le bien de ses affaires le demandait ; car il laissa perdre tous les avantages de la victoire de Coutras, afin de courir vers une maîtresse. Écoutons Mézerai [2]. « La vaillance du roi de Navarre se signala bien plus en cette journée, que ne fit sa conduite à en recueillir les avantages : car bien loin de tirer droit vers l’armée étrangère, comme le prince de Condé le voulait, promettant, si on lui donnait des troupes, de s’aller saisir du passage de Saumur, il laissa séparer son armée victorieuse, s’étant contenté de prendre serment des capitaines, qu’ils se rendraient, le 20 de novembre, sur les confins de l’Angoumois et du Périgord, pour marcher vers les reîtres. Il garda seulement cinq cents chevaux, et, emmenant le comte de Soissons avec lui, perça dans la Gascogne, où le violent amour qu’il avait pour la belle comtesse de Guiche l’attirait comme par force [3]. » L’une des plus grandes affaires qu’Henri IV ait jamais eues sur les bras, fut sans doute le siége d’Amiens. Cependant il y mena la belle Gabrielle, et il la logea auprès de lui ; et il l’eût retenue pendant toute cette difficile expédition, s’il eût suivi ses désirs : mais il fut bientôt contraint d’éloigner ce scandale de la vue des soldats, non-seulement par leurs murmures qui venaient jusqu’à ses oreilles, mais aussi par les reproches du maréchal de Biron [4].

Ce que j’ai dit au commencement de cette remarque, qu’il y a eu de grands capitaines qui aimaient fort les plaisirs, et qui les quittaient au besoin, n’est pas inconnu à ceux qui savent le caractère d’Alcibiade et de Sylla. Voyez ce qu’a dit Salluste de ce dernier : Sulla.…...….. animo ingenti, cupidus voluptatum, sed gloriæ cupidior : otio luxurioso esse, tamen ab negotiis nunquàm voluptas remorata [5]. Voici ce que l’on a dit d’Alcibiade : Quàm tempus posceret, laboriosus (Alcibiades), patiens, liberalis, splendidus non minùs in vitâ, quàm victu : affabilis, blandus, temporibus callidissimè inserviens. Idem simul ac se remiserat, nec causa suberat quare animi laborem perferret, luxuriosus, dissolutus, libidinosus, intemperans reperiebatur, ut omnes admirarentur in uno homine tantam inesse dissimilitudinem, tamque diversam naturam [6]. On verra d’autres exemples dans la remarque (A) de l’article de Suréna, tom. XIII.

(B) S’il... eût été puni de la même manière que Pierre Abélard, il serait devenu capable de conquérir toute l’Europe. ] Au contraire, me dira-t-on, il serait devenu lâche et poltron ; car les mêmes esprits qui le portaient à l’amour des femmes le rendaient vaillant, et l’on n’a vu guère de grands guerriers qui n’aient été impudiques. Je réponds qu’encore qu’il soit certain que plusieurs grands capitaines ont été d’une complexion fort amoureuse, il ne s’ensuit pas que leur courage et leur impudicité aient eu le même principe dans leur tempérament. Ces deux qualités avaient chacune leur cause, et tout ce que l’on peut dire est que ces deux causes concouraient à former le tempérament de ces personnes. Mais il est aisé de prouver qu’il n’y a nulle liaison entre ces deux qualités. Combien y a-t-il de gens poltrons et plus timides que des lièvres [7], qui sont d’une vigueur prodigieuse dans l’acte vénérien ? A-t-on jamais vu d’homme plus brave et plus intrépide que le maréchal de Gassion, qui haïssait les femmes mortellement [8] ? Le comte de Tilli, qui garda son pucelage toute sa vie [9], n’a-t-il pas été l’un des grands capitaines du XVIIe. siècle ? M. de Turenne, qui n’était point débauché, n’égalait-il pas ces foudres de guerre qui vivaient en même temps que lui, et dont les déréglemens ne faisaient guère moins de bruit que leurs triomphes ? Et pour dire quelque chose de plus fort, ne sait-on pas que le brave Sigismond Battori, prince de Transilvanie, surnommé l’invincible [10] à cause de ses grands exploits, était aussi lâche dans l’exercice de Vénus qu’il était brave dans celui de Mars ; et qu’ayant avoué son impuissance [11], son mariage avec Marie Christine, fille de Charles, archiduc de Grets, fut déclaré nul ? Il y a des eunuques qui ont été de très-braves généraux d’armée ; car, sans remonter au fameux Narsès qui vivait sous l’empire de Justin II, au VIe. siècle, ne sait-on pas que l’un des plus vaillans généraux de Soliman était eunuque [12] ? Il ne fut pas heureux, je l’avoue, dans l’expédition de Hongrie, l’an 1556, et il mourut même du chagrin de n’avoir pas soutenu sa réputation, ni rempli l’attente publique [13] : mais il ne laissait pas d’avoir un grand cœur ; son chagrin mortel en est une preuve. Voyez M. de Thou, qui rapporte la plaisanterie dont cet eunuque se servit, quand on lui vint rapporter une fort mauvaise nouvelle, c’était celle de la prise de Strigonie. Voilà bien de quoi ! répondit-il au messager : c’est peu de chose ; ma grande perte, la voilà, poursuivit-il en montrant la région du bas-ventre. Ejus rei cùm trepidus nuncius ad eum venisset, ipsâ vultûs consternatione magnum aliquod malum professus, purpuratus non sine circumstantium risu consternationi nuntii illudens, et Strigonii, quod nullo negotio recuperari posset, amissionem elevans ; his verbis eum excepisse dicitur : Quam tu mihi cladem ingentem, fatue, quod tantùm incommodum narras ? ea demùm mihi clades deploranda contigit, cùm hinc (genitalium sedem ostentans) ea membra adempta sunt, quibus vir eram [14] [* 1]. Concluons de tout cela que si Henri IV eût été traité comme Abélard, il n’aurait rien perdu, ni de son courage, ni de sa prudence, ni de son esprit. Origène, Photius, Abélard, sont une preuve manifeste que la privation des organes masculins n’est d’aucune conséquence au préjudice des dons naturels de l’âme.

(C) Ce serait en vain qu’on m’objecterait qu’un semblable châtiment lui eût ôté le courage. ] Vous trouverez dans la remarque précédente le commentaire où la preuve que ceci peut exiger. J’y ajouterai cependant, par forme d’appendice, les observations qui suivent. Annibal, l’un des plus grands capitaines de l’antiquité, ne fut-il point chaste ? Constat Annibalem....... pudicitiam tantam inter tot captivas habuisse, ut in Africâ natum quivis negaret [15]. Nous ne trouvons pas que Scipion l’Africain ait été d’un tempérament fort amoureux, et il donna un bel exemple de pudicité pendant son expédition d’Espagne. Les historiens [16] l’en louent extrêmement. Drusus, frère de l’empereur Tibère, et l’un des plus grands capitaines de l’antiquité, fut d’une extrême sagesse par rapport aux femmes [17]. La bravoure de l’empereur Aurélien fut incomparable et accompagnée de beaucoup de chasteté. On lui ferait tort si l’on faisait la moindre comparaison entre sa bravoure et celle de cet impudique Proculus qui s’érigea en tyran, et dont Flavius Vopiscus nous a conservé une lettre que je me garderai bien de traduire. Je ne la rapporte qu’en latin. Tacendum non est, quod et ipse gloriatur in quâdam suâ epistolâ, quam ipsam meliùs est ponere quàm de eâ plurimùm dicere. Proculus Metiano affini S. D. Centum ex Sarmatiâ virgines cepi. Ex his unâ nocte decem inivi : omnes tamen, quod in me erat, mulieres intra dies xv reddidi. Gloriatur (ut vides) rem ineptam, et satis libidinosam : atque inter fortes se haberi credit si criminum densitate coalescat. Hic tamen quùm etiam post honores militares se improbè et libidinosè, tamen fortiter ageret,.... in imperium vocitatus est [18]. Vous voyez là qu’on témoigne qu’il fut bon soldat ; mais, encore un coup, ce n’était pas une valeur qui approchât de celle d’Aurélien. Que dirons-nous d’Alexandre, dont le courage était extraordinaire ? On a donné à sa chasteté beaucoup plus d’éloges qu’il ne méritait ; mais néanmoins il faut convenir que de son tempérament il avait plus d’indifférence que d’inclination pour le beau sexe ; et cela suffit à réfuter ceux qui s’imaginent je ne sais quelle liaison machinale entre l’impudicité et la bravoure. J’ajoute aux exemples modernes que j’ai déjà rapportés [19]. celui d’un brave qui vivait au XVIe. siècle, et qui mérita le titre de chevalier sans peur et sans reproche. On entendra bien, à cette marque, que je veux parler de Bayard. L’amour ne le maîtrisa jamais, et il s’en montra le maître dans des occasions dangereuses. Voyez sa Vie. Quel catalogue n’aurais-je pas à donner, si j’entreprenais la liste de ceux qui ont ressemblé à Sardanapale, gens qui n’étaient braves qu’au lit, lâches et poltrons partout ailleurs. Caligula, Néron, Héliogabale, furent-ils guerriers ? Ne se plongèrent-ils pas avec des excès infâmes dans les débauches impudiques ? Domitien, inventeur d’un nouveau mot [20] pour ces mauvais exercices où il signalait ses forces a-t-il jamais passé pour un bon soldat, ou pour un bon capitaine ? Ceux que l’on nommait autrefois mignons de couchette se voulaient quelquefois mêler du métier des armes, afin de se tirer du mépris à quoi les soupçons de poltronnerie les exposaient auprès des braves ; mais ils s’en acquittaient si mal, qu’on pouvait leur appliquer avec beaucoup de raison ce que Jupiter répondit à Vénus, quand elle lui fit ses complaintes de la blessure qu’elle avait reçue en voulant secourir Énée dans un combat : Ne vous mêlez pas de guerre, ce n’est point votre partage, faites l’amour.

Οὔ τοι, τέκνον ἐμόν, δέδοται πολεμήϊα ἔργα·
Ἀλλὰ σύ γ᾽ ἱμερόεντα μετέρχεο ἔργα γάμοιο.

Non tibi. filia mea, commissa sunt bellica opera ;
Quin tu desiderabilia obi munera nuptiarum [21].


Hélène faisait à Paris une semblable exhortation, comme on l’a vu ci-dessus dans une remarque où je réfute M. de Mézerai [22]. Cet historien s’imagine que les dames aiment les braves parce qu’elles supposent qu’ils ne sont pas moins vigoureux dans les exercices de l’amour, que dans les combats. Il n’entre pas bien dans leurs motifs ; la gloire ou la vanité sont le grand ressort de leur prévention en faveur des braves. Montluc observe que les femmes aimeraient mieux être veuves, que de voir venir de l’armée leurs maris en bonne sauté, et chargés de honte et de déshonneur. Il est visible que l’impudicité n’a point de part à cela ; et, puisque c’est une nouvelle preuve contre Mézerai, je rapporte ici les paroles de Montluc. Il s’adresse aux gouverneurs d’une place, et leur montre le préjudice qu’ils se feront s’ils la gardent mal. Non seulement vostre maistre, continue-t-il [23], les princes et seigneurs vous verront de mauvais œil, mais les femmes et les enfans. Et veux encore passer plus outre, que vostre propre femme encores qu’elle face semblant de vous aymer, elle vous hayra et estimera moins dans son cœur. Car le naturel de toutes les femmes est tel, quelles hayssent mortellement les couards et les poltrons encore qu’ils soyent bien peignez. Et ayment les hardis et courageux, pour laids et difformes qu’ils soyent. Elles participent à vostre honte. Et quoy qu’elles soyent entre vos bras dedans le lict, faisant semblant d’estre bien aises de vostre retour, elles voudroyent que vous fussiez estez estouffé, ou qu’une canonade vous eust emporté. Car tout ainsi que nous pensons, que la plus grand’honte d’un homme est d’avoir une femme putain, les femmes aussi pensent que la plus grand’honte qu’elles ayent est d’avoir un mary couard. Ainsi vous voilà bien accommodé, monsieur le gouverneur qui aurez perdu vostre place, veu que dans vostre propre lict on vous maudira.

(D) Son incontinence prodigieuse. ] Je puis bien la nommer ainsi, après les contes que d’Aubigné en a publiés, et surtout après ces paroles d’un très-grave historien : « Si l’histoire faisait des apologies, elle pourrait le justifier de la plus grande partie de ces reproches, non pas toutefois de la manie qu’il avait pour le jeu.... Encore moins le pourrait-elle excuser de son abandonnement aux femmes, qui fut si public et si universel depuis sa jeunesse jusqu’au dernier de ses jours, qu’on ne saurait même lui donner le nom d’amour et de galanterie [24]. » M. de Péréfixe nous va dire quelque chose de bien étrange. Il serait à souhaiter pour l’honneur de sa mémoire, qu’il n’eût eu que le défaut du jeu. Mais cette fragilité continuelle qu’il avait pour les belles femmes en était un autre bien plus blâmable dans un prince chrétien, dans un homme de son âge, qui était marié, à qui Dieu avait fait tant de grâces, et qui voulait tant de grandes entreprises dans son esprit. Quelquefois il avait des désirs qui étaient passagers, et qui ne l’attachaient que pour une nuit ; mais quand il rencontrait des beautés qui le frappaient au cœur, il aimait jusqu’à la folie, et dans ces transports il ne paraissait rien moins que Henri-le-Grand. La fable dit qu’Hercule prit la quenouille et fila pour l’amour de la belle Omphale : Henri fit quelque chose de plus bas pour ses maîtresses. Il se travestit un jour en paysan, et chargea un fardeau de paille sur son cou, pour pouvoir aborder madame Gabrielle ; et l’on dit que la marquise de Verneuil l’a vu plus d’une fois à ses pieds essuyer ses dédains et ses injures [25]. Ce devait être un cruel chagrin aux bons huguenots de voir que leur chef menait une vie si scandaleuse jusqu’au milieu de la Rochelle. Il y débaucha la fille d’un officier de robe longue, et en eut un fils. L’église lui avait souvent remontré sa faute, qu’il confessait assez ingénument ; mais il ne se laissa persuader à la reconnaître publiquement qu’un peu avant la bataille de Coutras [26]. Vous trouverez les circonstances de cela dans la Vie de M. du Plessis Mornai [27].

(E) Il hérita de la couronne dans un degré de parenté fort éloigné. ] « Ce fut sans doute un rare bonheur que la couronne de France lui échût, n’y ayant jamais eu de succession plus éloignée que celle-là en aucun état héréditaire ; car il y avait dix à onze degrés de distance de Henri III à lui ; et quand il naquit il y avait neuf princes du sang devant lui, savoir : le roi Henri II et ses cinq fils, le roi Antoine de Navarre son père, et deux fils de cet Antoine, frères aînés de notre Henri. Tous ces princes moururent pour lui faire place à la succession [28]. »

(F) Des historiens disent que sa mort lui avait été prédite le jour précédent. ] Commençons cette remarque par les paroles de Pierre Matthieu [29]. « Sur ce la Brosse scavant medecin et mathematicien dict au duc de Vendosme, en suite d’un plus grand discours, que si le roy pouvoit éviter l’accident dont il estoit menacé, il vivroit encores trente ans. On ne veut jamais dire aux roys ce qui leur peut donner de l’ennui : le duc de Vendosme, trouvant plus à propos que la Brosse fust le porteur de son advis, supplia le roy de l’ouïr, le roy demanda ce qu’il vouloit. À ceste parole le duc de Vendosme se taist, son silence augmente l’envie de le sçavoir, il le presse, il s’excuse, à la fin le commandement du roy tire de sa bouche ce que la Brosse luy avoit dict. Vous estes un fou, dict le roy : vous le croyez ? Sire, respond le duc de Vendosme, en ces choses la creance est deffendue et non pas la crainte, le salut de vostre majesté oblige tout le monde, et moy plus que tous les autres, à ne rien mespriser ; je la supplie tres-humblement d’avoir agreable de l’entendre. Le roy ne le voulut, et luy deffendit d’en parler : je ne puis de moins, dict le duc, que d’en advertir la royne. Le roy repliqua par deux fois que s’il luy en parloit il ne l’aimeroit jamais. Ainsi la Brosse est renvoyé. Je tiens ce discours, mot à mot, du duc de Vendosme. » Cela est bien positif ; mais voici une chose qui ne l’est pas moins, quoiqu’elle renverse de fond en comble le narré de Pierre Matthieu : Tant il est vrai, c’est un philosophe qui parle [30], que la pluspart des historiens sont credules et menteurs, et que par là ils confirment tousjours la credulité et le mensonge des pronostiques, quand ils rapportent ces comptes sans les refuter. Mais, sans aller plus loin, pourquoy les anciens ne l’auroient-ils pas fait, puis que nous le voyons souvent faire de nostre temps ? Un de nos historiens parlant de la mort de nostre Grand Henry IV n’a-t-il pas dit qu’en ayant esté averty par un prince encore vivant (qu’il n’est pas nécessaire de nommer) la veille que ce malheureux coup arriva, sa majesté meprisant cet advis luy avoit repondu que la Brosse estoit un vieil fol d’astrologue, et le reste. Ce qu’avant moy-même voulu apprendre par la bouche de ce prince [* 2], il y a plus de 30 ans en presence d’une princesse [* 3] de grand mérite, il me fit l’honneur de me dire que cela estoit faux. Et depuis deux jours en ça seulement, pour m’en éclaircir davantage, et ne rien publier par escrit de cette consequence sans en estre bien asseuré, j’ay eu l’honneur de luy en reparler en presence de plusieurs personnes de sa maison, et il m’a confirmé la mesme chose ; adjoustant de plus que l’historien [* 4] avoit confondu les temps et les choses : et que la Brosse luy avoit bien dit après ce malheureux accident qu’il l’avoit preveu par l’horoscope de sa majesté (comme font toujours les astrologues quand les choses sont arrivées), mais non pas qu’il l’en eust averty la veille pour le dire à sa majesté. Cela est pourtant écrit par un auteur françois, et du mesme temps. Qui ne le croira donc pas à l’advenir ? Pensera-t-on qu’un homme destiné et payé pour faire l’histoire ose dire une chose de cette consequence, et citer mesme un prince vivant qui en pouvoit rendre temoignage, si elle n’estoit pas vraye ? Il est pourtant comme je le dis ; et si on en doute, on s’en peut éclaircir, et je ne suis pas marry que l’occasion se presente icy de le rapporter, tant afin d’en desabuser la posterité, que pour faire voir qu’il y a beaucoup de choses escrites de cette nature ausquelles on ne doit adjouster aucune creance.

Remarquez que M. Petit ne rapporte pas tout ceci avec autant de fidélité qu’il l’eût fallu. Il suppose que l’historien a débité que le roi fit cette réponse, la Brosse est un vieil fol d’astrologue : mais l’historien ne dit point cela ; car selon lui ce fut au duc de Vendôme que le roi dit, vous êtes un fou.

Produisons un second témoin avec sa réfutation. « Le soir du même couronnement, la Brosse, excellent médecin et mathématicien, dit au duc de Vendôme, que si le roi pouvait éviter un dangereux accident bien proche dont il était menacé, il vivrait encore trente ans : et le pria de le faire parler à sa majesté : mais le roi, entendant le sujet dont il le voulait entretenir, ne voulut point voir ni ouïr la Brosse[31]. » La réfutation de cela est contenue dans ces paroles du maréchal de Bassompierre[32] : Il est faux que la Brosse eût demandé à parler au roi ; mais, s’il l’eût fait, la réponse qu’il[33] a inventée eût été vraie, qu’il[34] eût méprisé de lui parler, car il le tenait pour un fou. On trouve dans un discours sur la mort de Henri IV, qui est imprimé à la fin des Mémoires du duc de Nevers, que M. le duc de Vendôme a dit à plusieurs personnes que la Brosse ne lui avait point parlé de cela.

(G) Il n’y a point d’apparence qu’il ait jamais conseillé au duc d’Alençon de se défaire de Catherine de Médicis. ] M. le Laboureur raconte que cette reine, voyant Charles IX proche de sa fin, craignit que M. le duc d’Alençon ne fût conseillé de prétendre à l’autorité, et même à la couronné au préjudice du roi de Pologne son frère. Elle ourdit sur cela le dessein formé d’une conjuration qui lui donnât sujet de s’assurer de sa personne et de celle du roi de Navarre. Elle les retint sous bonne garde au bois de Vincennes, jusques à la mort du roi, sans pourtant les déclarer prisonniers : cependant elle répandit partout le bruit de cette conspiration, pour laquelle elle fit arrêter les maréchaux de Montmorenci et de Cossé : et, pour lever tout sujet d’en douter, elle immola à cet intérêt d’état deux favoris du duc, la Molle et Coconnaz..…….. M. le duc d’Alencon lui-même trahit sa cause et ses domestiques dans l’apprehension qu’il eut ; et celui qui fit mieux le personnage d’un roi opprimé, mais incapable de démentir son caractère, fut Henri IV, lors roi de Navarre. Ce n’est pas qu’il ne crût qu’il était perdu ; et ce fut dans cette pensée qu’il fut accusé, selon que j’ai appris de quelques mémoires, d’avoir conseillé à monsieur de faire le malade pour obliger la reine à le venir voir, et sous prétexte de lui vouloir dire tous deux quelque chose en particulier, faire retirer ceux de sa suite et l’étrangler. Sa raison était celle de leur salut, l’occasion de la mort du roi prêt à expirer, le crédit que le temps donnerait à leurs amis, et que la même politique par laquelle et le renonçait aux lois de la nature et du sang ; pour faire périr son propre fils et son gendre, les dispensait pour une plus forte considération que n’était celle de régner, d’avoir horreur d’une action qui sauvait à l’état deux princes qui lui étaient nécessaires, par la mort de celle qui en troublait le repos et qui en causait la ruine. Il n’en eut pas le courage, non plus que la discrétion de le taire quelque temps après ; et c’est la cause de cette haine mortelle et implacable de Catherine de Médicis contre le roi de Navarre ; pour laquelle elle ne craignit pas d’être de la conspiration contre son propre fils Henri III et de brouiller l’état, quand elle le vit sans enfans, pour empêcher que Henri IV ne lui succédât, et pour mettre en sa place Henri duc de Lorraine, son petit-fils à cause de sa fille[35]. Selon ces mémoires Henri IV voulait être l’un des meurtriers de la reine-mère.

(H) Ses deux femmes... lui causèrent mille chagrins. ] Il n’est pas nécessaire de prouver cela à l’égard de Marguerite de Valois : alléguons donc seulement la preuve qui se rapporte à Marie de Médicis. « La haute estime et l’affection que les Français avaient pour lui [36] empêchaient que l’on ne s’offensait si fort de ce libertinage scandaleux ; mais la reine, sa femme, en avait un extrême chagrin, qui causait à toute heure des picoteries entre eux, et la portait à des dédains, et à des humeurs fâcheuses. L’ennui et le déplaisir de ces brouilleries domestiques retardaient assurément l’exécution du grand dessein qu’il avait formé, pour le bien et le repos perpétuel de la chrétienté, et pour la destruction ensuite de la puissance ottomane [37]. »

(I) Ce qu’il pensait sur le mariage est très-curieux. ] J’ai à citer un fort long passage ; néanmoins je suis assuré qu’il paraîtra court aux lecteurs curieux : car il contient une espèce de critique d’un bon nombre de princesses, et un raisonnement fort solide de Henri IV sur le choix d’une femme. Voici ce qu’il disait à monsieur de Rosni, son favori [38]. « De sorte qu’il semble qu’il ne reste plus pour l’accomplissement de ce dessein, sinon de voir s’il y aura moyen de me trouver une autre femme, si bien conditionnée que je ne me jette pas dans le plus grand des malheurs de cette vice, qui est (selon mon opinion) d’avoir une femme laide, mauvaise, et despite, au lieu de l’ayse, repos, et contentement que je me serois proposé de trouver en cette condition : que si l’on obtenoit les femmes par souhait, afin de ne me repentir point d’un si hazardeux marché, j’en aurois une, laquelle auroit, entr’autres bonnes parties, sept conditions principales, à sçavoir ; beauté en la personne, pudicité en la vie, complaisance en l’humeur, habileté en l’esprit, fécondité en generation, eminence en extraction, et grands estats en possession. Mais je croy (mon amy) que cette femme est morte, voire peut-estre n’est pas encor née ny preste à naistre, et partant voyons un peu ensemble quelles filles ou femmes, dont nous ayons ouy parler, seroient à desirer pour moy, soit dehors, soit dedans le royaume. Et pource que j’y ay déjà (selon mon advis) plus pensé que vous : je vous diray pour le dehors que l’infante d’Espagne, quelque vieille et laide qu’elle puisse estre, je m’y accommoderois, pourveu qu’avec elle j’espousasse aussi les Pays-Bas, quand ce devroit estre à la charge de vous redonner le comté de Bethune ; je ne refuserois pas non plus la princesse Reibelle [39] d’Angleterre, si, comme l’on publie que l’estat Iuy appartient, elle en avoit esté seulement declarée presomptive heritiere : mais il ne me faut pas attendre à l’une ny à l’autre, car le roy d’Espagne et la roine d’Angleterre sont bien esloignez de ce dessein-là. L’on m’a aussi quelquefois parlé de certaines princesses d’Allemagne, desquelles je n’ay pas retenu le nom, mais les femmes de cette region ne me reviennent nullement, et penserois, si j’en avois espousé une, devoir avoir tousjours un lot de vin couché aupres de moy, outre que j’ay ouy dire qu’il y eut un jour une reine en France de cette nation, qui la pensa ruyner ; tellement que tout cela m’en dégouste. L’on m’a parlé aussi de quelqu’une des sœurs du prince Maurice ; mais outre qu’elles sont toutes huguenottes, et que cette alliance me pourroit mettre en soupçon à Rome, et parmy les zelez catholiques, qu’elles sont filles d’une nonnain ; et quelque autre chose, que je vous diray une autre fois, n’en aliene la volonté. Le duc de Florence a aussi une niepce que l’on dit estre assez belle ; mais estant d’une des moindres maisons de la chretienté qui portent titre de prince, n’y ayant pas plus de soixante ou quatre-vingts ans que ses devanciers n’estoient qu’au rang des plus illustres bourgeois de leur ville, et de la mesme race de la reine-mere Catherine qui a tant fait de maux à la France, et encor plus à moy en particulier, j’apprehende cette alliance, de crainte d’y rencontrer aussi mal pour moy, les miens, et l’estat. Voilà toutes les estrangeres dont j’estime avoir esté parlé. Quant à celles de dedans le royaume, vous avez ma niepce de Guyse, qui seroit une de celles qui me plairoit le plus, nonobstant ce petit bruit que quelques malins esprits font courir, qu’elle aime bien autant les poulets en papier qu’en fricassée : car pour mon humeur, outre que je croy cela tres-faux, j’aimerois mieux une femme qui fist un peu l’amour, qu’une qui eust mauvaise teste, dequoy elle n’est pas soupçonnée ; mais au contraire d’humeur fort douce et d’agreable et complaisante conversation, et pour le surplus de bonne maison, belle, de grande taille, et d’apparence d’avoir bientost de beaux enfans, n’y apprehendant rien que la trop grande passion qu’elle tesmoigne pour sa maison, et sur tout ses freres, qui luy pourroient faire paistre des desirs de les eslever à mon prejudice, et plus encor de mes enfans, si jamais la regence de l’estat luy tomboit entre les mains. Il y a aussi deux filles en la maison du Mayne, dont l’aisnée, quelque noire qu’elle soit, ne me desplairoit pas, estans sages et bien nourries ; mais elles sont trop jeunettes. Deux en celle d’Aumalle, et trois en celle de Longueville, qui ne sont pas à mespriser pour leurs personnes ; mais d’autres raisons m’empeschent d’y penser. Voilà pour ce qu’il y a de princes. Vous avez apres une fille en la maison de Luxembourg, une en la maison de Guimené, ma cousine Catherine de Rohan, mais cette-là est huguenotte et les autres ne me plaisent pas ; et puis la fille de la princesse de Conty de la maison de Lucé, qui est une tres-belle fille et bien nourrie, aussi seroit-ce celle qui me plairoit le plus, si elle estoit plus aagée ; mais quand elles m’agréeroient toutes, pour si peu que j’y recognois, qui est-ce qui m’asseurera que j’y rencontreray conjointement les trois principales conditions que j’y desire, et sans lesquelles je ne voudrois point de femme ? À sçavoir qu’elles me feront des fils, qu’elles seront d’humeur douce et complaisante, et d’esprit habile pour me soulager aux affaires sedentaires ; et pour bien regir mon estat et mes enfans, s’il venoit faute de moy avant qu’ils eussent âge, sens et jugement, pour essayer de m’imiter : comme apparemment cela est pour m’arriver, me mariant si avant en l’age. Mais quoy donc, Sire (luy respondites-vous), que vous plaist-il entendre par tant d’affirmatives et de négatives, desquelles je ne saurois conclurre autre chose sinon que vous desirez bien estre marié : mais que vous ne trouvez point de femmes en terre qui vous soient propres ? Tellement qu’à ce conte il faudroit implorer l’ayde du ciel, afin qu’il fist rajeunir la reine d’Angleterre, et ressusciter Marguerite de Flandres, mademoiselle de Bourgogne, Jeanne la Loca, Anne de Bretagne, et Marie Stuart, toutes riches heritieres, afin de vous en mettre au choix ; car selon l’humeur que vous avez temoigné parlant de Clara Eugénie, vous seriez homme pour agréer quelques-unes de celles-là qui possedoient tant de grands estats. Mais laissant toutes ces impossibilités et imaginations vaines à part, voyons un peu ce qu’il faut faire, etc. »

(K) Je dirai encore ici quelque chose sur les coups de gaule. ] Je me servirai des paroles d’un ministre wallon[40]. Le psaume Miserere fut chanté à la réconciliation de Henri-le-Grand, où du Perron et d’Ossat, couchés de leur long la face en bas, représentant le roi de France, en la présence du pontife et du consistoire, reçurent pour ce roi sa pénitence décrétée par ce saint siége, qui fit compasser à chacun vers ou couplet, le coup ou revers d’un bâton, le long de la tête, des épaules, et du dos jusqu’aux pieds, de la tête de ce psaume jusqu’aux veaux. Du Perron en ses lettres, folio 172, fait voir le procès verbal de l’absolution de ce roi, par le pape Clément VIII...... D’Ossat, son compagnon en la pénitence royale, montre combien douce elle a été. En l’instruction de l’inquisition il y avait cette hyperbolique expression [41] : Quand les chantres chantaient Miserere meî, le pape à chacun verset verberabat et percutiebat humeros procuratorum cujuslibet ipsorum virgâ quam in manibus tenebat. C’est une cérémonie laquelle nous ne sentions non plus, que si une mouche nous eût passé par-dessus les vêtemens.

(L) Jeanne d’Albret que son mari avait assez maltraitée. ] Le leurre dont on se servit pour le détacher de la nouvelle religion, fut de lui promettre le royaume de Sardaigne. Il fut assez simple pour se fier à ces promesses ; et il commença de se distraire de ceux de la religion peu à peu et de mener une fort mauvaise vie à la royne sa femme, luy estans tendus tous les filets par lesquels un homme ainsi adonné aux femmes qu’il estoit, pouvoit estre surpris : ainsi peu à peu oubliant toute autre chose n’eut plus en sa teste que Sardaigne et les femmes, entre lesquelles une certaine fille de la royne commença avoir bonne part. La royne de Navarre cependant, comme princesse tres-sage et vertueuse qu’elle estoit, taschoit de le reduire, supportant tout ce qu’elle povoit, et luy remonstrant ce qu’il devoit à Dieu et aux siens. Mais ce fut en vain, tant il estoit ensorcellé. Quoy voyant elle n’avoit recours qu’aux larmes et aux prieres, faisant pitié à tout le monde fors audit sieur roy son mari. La royne mere en ces entrefaites taschoit de luy persuader de s’accommoder au roy son mari. A quoy finalement elle feit ceste reponse, que plustost que d’aller jamais à la messe, si elle avoit son royaume et son fils en la main, elle les jetteroit tous deux au fond de la mer, pour ne luy estre en empeschement : ce qui fut cause qu’on la laissa en paix de ce costé [42].

(M) Les réponses que certains auteurs lui font faire sont des fantaisies de leur cerveau. ] Pendant le massacre, Charles IX fit venir dans son cabinet le roi de Navarre et le prince de Condé, et leur déclara que s’ils ne renonçaient à l’hérésie, ils seraient traités comme l’amiral. Le roi de Navarre, extrêmement étonné de ces mots prononcés avec une voix menaçante, et de l’effroyable spectacle qu’il avait vu devant ses yeux, répondit fort humblement et en tremblant, qu’il priait sa majesté de laisser leur vie et leur conscience en repos, et que du reste ils étaient prêts de lui obéir en toutes choses [43]. Quoique je me serve des paroles de Mézerai, l’on peut être sûr que c’est toute la même chose que si j’employais les propres termes d’un historien calviniste ; car d’Aubigné [44] rapporte de la même manière la réponse du roi de Navarre ; et voici en quoi elle consiste dans l’Inventaire de Jean de Serres. « Le roi de Navarre supplie sa majesté se souvenir de sa promesse, de la consanguinité n’a guère contractée, et ne le point violenter en la religion qu’il a dès son enfance apprise [45]. » L’auteur de l’histoire des Choses Mémorables n’en dit pas davantage. Celui des Commentaires de statu religionis et reipublicæ in regno Galliæ, n’est pas plus prolixe à l’égard du sens, quoiqu’il emploie plus de mots [46] ; et notez qu’il remarque expressément que la réponse fut faite d’une voix tremblante [47]. Ainsi voilà quatre écrivains protestans qui sont conformes à Mézerai. On ne peut donc pas avoir pour suspecte la bonne foi de celui-ci. Cela étant, ne doit-on pas se moquer de l’historien qui allonge de trois ou quatre pages la réponse dont il est ici question ? Nostre Henry, dit-il [48], fit une response qui monstra deslors quelle seroit la hauteur de son courage, la profondeur de son sens, et la grande douceur de sa clemence. Il supplia sa majesté de se resouvenir de sa foy donnée, de leur parenté si proche et de leur nouvelle alliance, et de n’apporter aucune violence à la religion qu’il avoit dès son enfance succée comme le laict de sa nourrice. Dit, que c’estoit un grand malheur qu’un si grand roy, qui avoit en son ame les semences de toutes grandes vertus, eust esté si pernicieusement conseillé de forcer ses subjets par meurtres et massacres de servir Dieu à sa fantaisie. Qu’il n’y avoit rien qui domptast les peuples courageux, et notamment les François, que la douceur du prince qu’ils reverent quasi autant que Dieu. Que c’estoit le chemin qu’avoit tenu Flaminius pour acquerir aux Romains toute la Grece : en sorte qu’estant le plus fort dans la ville de Thebes, si usa-t-il d’autant de persuasion pour attirer le peuple, qu’eust faict un harangueur de la tribune des harangues : et qu’il falloit qu’il sceust qu’il commandoit à des gens qui ne peuvent supporter toute la liberté ny toute la servitude, et que la puissance royale n’estoit pas une domination sur des esclaves, mais un gouvernement sur des concitoyens. Qu’il avoit ouy dire que ces grands Romains avoient commandé tous les peuples, et s’estoient rendus seigneurs de tout le monde, pour se monstrer sujets à la raison, et ne se laisser emporter à la vengeance [49]... Vostre majesté sçait qu’un seul exemple d’humanité des Romains eut plus de force pour s’emparer des Fallisques estrangers, que toute leur puissance militaire n’avoit sceu faire : qu’eust donc faict la douceur de vostre majesté à l’endroit des protestans ses naturels sujets ? Un grand roy comme vous ne doibt pas se laisser aller à tout ce qu’il peut faire : mais imiter le soleil qui chemine plus lentement, quand il est le plus eslevé [50]... Ceux qui vous ont si mal conseillé ont plus failly que vous, et sont aussi dignes de peine que ceux qui empoisonnent la fontaine publique, faisans mourir tant de gens qui en boivent. J’ai sauté la plupart des choses que ce long semeur de lieux communs met en la bouche du roi de Navarre ; mais je n’ôte rien à la réplique qu’il attribue faussement à Charles IX. « Voyla, ce dist le roy, de belles pièces que vous avez apprises de Chrestien vostre gouverneur : mais j’en scay bien une plus belle, que Dieu a donné le souverain commandement au prince, les ressorts duquel il n’est pas loisible au sujet de toucher : La gloire d’obeissance luy suffit. Allez et faites mon commandement sur peine de la vie : Et bien que je ne sois tenu de vous rendre conte de mes actions, si est ce que je veux bien vous faire entendre que tout grand exemple semble avoir quelque chose d’iniquité, qui se recompense par l’utilité publique [51]. » Notez qu’il suppose que le roi fit venir séparément le roi de Navarre et le prince de Condé. Les autres historiens racontent que Charles IX manda ces deux princes en même temps.

(N) La reine-mère voulut que lui et le duc d’Alençon fussent interrogés sur plusieurs cas très-atroces. ] « [52] Le chancelier voulut interroger le roi de Navarre ; mais, quoique captif et menacé, il ne voulut pas faire ce tort à sa dignité que de répondre. Toutefois, pour contenter la reine-mère, il fit un long discours, lui adressant la parole ; par lequel il déduisait beaucoup de choses touchant l’état présent des affaires ; mais il ne chargea jamais personne, comme avait fait assez faiblement le duc d’Alençon [53]. »

(O) Sa femme lui était un grand embarras, et ne laissa point quelquefois de lui être utile. ] Catherine de Médicis la lui avait amenée l’an 1558 [54]. Il tenait alors sa petite cour à Nérac.[55] L’un et l’autre des deux époux furent mécontens de se revoir.[56] Marguerite, qui aimait le grand éclat de la cour de France, où elle nageait, s’il faut ainsi dire, en pleine intrigue, croyait qu’être en Guienne, c’était un bannissement pour elle ; et Henri, connaissant son humeur et sa conduite, l’eût mieux aimée loin que près. Toutefois, comme il vit que c’était un mal sans remède, il se résolut de la souffrir, et lui laissa une entière liberté[57]… Et, s’accommodant à la saison et au besoin de ses affaires, il tâchait de tirer des avantages de ses intrigues et de son crédit. Il n’en reçut pas un petit dans la conférence que lui et les députés des Huguenots eurent à Nérac avec la reine-mère. Car, tandis qu’elle pensait les enchanter par des charmes des belles filles qu’elle avait avec elle, et par l’éloquence de Pibrac, Marguerite lui opposa les mêmes articles, gagna les gentilshommes qui étaient auprès de sa mère par les attraits de ses filles, et elle-même employa si adroitement les siens, qu’elle enchaîna l’esprit et les volontés du pauvre Pibrac [* 5], de sorte qu’il n’agissait que par son mouvement, et tout au rebours des intentions de la reine-mère ; laquelle ne se défiant pas qu’un homme si sage pût être capable d’une telle folie, y fut trompée en plusieurs articles, et portée insensiblement à accorder beaucoup plus aux Huguenots qu’elle n’avant résolu. »

(P) Par un bonheur inconnu à tous ses prédécesseurs, il fit un traité de paix où il se dédommagea de ses pertes. ] Bodin[58] observe que, depuis cent ans, les Espagnols n’avaient fait aucun traité avec la France sans y avoir eu l’avantage. Il avait raison de parler ainsi : Henri IV est le premier roi de France qui ait gagné quelque chose en faisant la paix avec l’Espagne. Il recouvra toutes les places qu’il avait perdues en Picardie : il recouvra Blavet dont les Espagnols étaient maîtres. Cette paix n’échappa point à la critique. Il y eut des gens qui blâmèrent le roi d’Espagne ; il y en eut aussi qui blâmèrent le roi de France. Citons M. de Péréfixe. Plusieurs d’entre les Français, qui ne savaient pas au vrai le pitoyable état où était le roi d’Espagne et ses affaires, ne pouvaient comprendre comment ce prince avait acheté la paix si cher, que de rendre six ou sept bonnes places, entre autres Calais et Blavet, qu’on pouvait nommer les clefs de la France. Les Espagnols au contraire, qui voyaient que leur roi était moribond, ses finances épuisées, les Pays-Bas ébranlés, le Portugal et ses terres d’Italie sur le point de se révolter, le fils qu’il laissait, bon prince à la vérité, mais qui aimait bien le repos, s’étonnaient que les Français, ayant si bravement repris Amiens, et réuni toutes leurs forces après de traité du duc de Mercœur, n’eussent pas poussé dans les Pays-Bas, parce qu’apparemment ils les eussent emportés ou fort ébréchés. Le roi répondait que s’il avait désiré la paix, ce n’était pas qu’il s’ennuyât des incommodités de la guerre, mais pour donner moyen à la chrétienté de respirer : qu’il savait bien que dans la conjoncture où étaient les choses, il en eût pu tirer de grands avantages ; mais que la main de Dieu renversait souvent les princes dans leurs plus grandes prospérités ; et qu’un sage ne devait jamais, pour l’opinion de quelque événement favorable, s’éloigner d’un bon accord, ni se fier trop sur l’apparence du bonheur présent, qui peut changer par mille accidens imprévus ; étant arrivé bien souvent qu’un homme atterré, et fort blessé, a tué celui qui lui voulait faire demander la vie[59]. Cette réponse d’Henri IV ne s’accorde point avec ce que d’autres veulent qu’il ait dit au duc d’Épernon, qui était présent à la signature du traité de paix : Avec ce coup de plume, je viens de faire plus d’exploits que je n’en eusse fait de long-temps avec les meilleures épées de mon royaume [60]. Il y a en effet beaucoup d’apparence qu’il ne se promettait rien d’avantageux de la continuation de la guerre ; et je suis sûr que les personnes les plus désintéressées et les plus capables de juger de cette espèce de choses furent aussi convaincues de la faiblesse d’esprit que Philippe II fit voir en cette rencontre, que de la prudence qu’Henri IV témoigna en acceptant une telle paix. Les Espagnols eurent honte de la faiblesse de leur roi. Le prince son fils souhaita passionnément qu’une guerre si heureuse fût continuée, et il accabla de sa disgrâce don Christophle de Mora, qui avait représenté dans un conseil, les raisons les plus capables de faire songer à la paix [61]. Le roi d’Espagne ne s’ébranla point ; désirant avoir la paix à quelque prix que ce fust, il ne trouva condition aucune an traicté de Vervins qui le dissuadast de l’approuver, encores que son conseil jugeast la restitution des villes prinses avec tant d’heur, et si difficiles à reprendre, honteuse et prejudiciable. Il pressa qu’elle fust jurée et exécutée [62], Il y a beaucoup d’apparence qu’il eût eu des sentimens fort opposés à ceux-là, s’il eût été dans la vigueur de son âge. Mais que voulez-vous ? c’est un des défauts de la vieillesse d’inspirer la timidité.

Multa senem circumveniunt incommoda : vel quòd
Quærit, et inventis miser abstinet, ac timet uti :
Vel quòd res omnes timidè gelidèque ministrat [63].


J’ai dit ailleurs que les républiques ont un avantage que les royaumes n’ont pas : le souverain, dans les républiques, n’est jamais trop jeune, ni jamais trop vieux : il n’est sujet ni aux infirmités de l’enfance, ni à celles de la vieillesse. Les royaumes n’ont pas ce bonheur : ils éprouvent tantôt les désordres d’une minorité, tantôt la fougue de l’âge bouillant, tantôt la lenteur et la pesanteur du déclin de l’âge. Un roi se trouve contraint de gémir plus d’une fois de ce que le nombre des années lui ôte l’activité et la fermeté qu’il avait eues, et qu’un jeune prince son ennemi possède.

.....Non laudis amor, nec gloria cessit
Pulsa metu : sed enim gelidus tardante senectâ
Sanguis hebet, frigentque effœtæ in corpore vires.
Si mihi quæ quondam fuerat, quâque improbus iste
Exsultat fidens, si nunc foret illa juventa [64].

Au reste, il ne faut pas s’étonner de ce que l’on critiqua la paix de Vervins, et de ce que les uns censurèrent la France, d’autres l’Espagne, d’autres l’Espagne et la France tout à la fois. C’est le destin de ces grandes négociations ; ça été le sort du traité de paix conclu à Ryswick, l’an 1697. Bien des gens ont blâmé les alliés de n’avoir pas exigé des conditions encore plus avantageuses, d’autres ont blâmé la France d’avoir cédé tant de pays. Les Français en ont murmuré ; les Parisiens ne voulaient point faire de feux de joie ; il fallut les y contraindre par des menaces itératives. Ils eussent voulu que la nation ne rentrât point dans l’état des siècles passés, où l’on pouvait dire justement qu’elle savait mieux faire la guerre que la paix, et qu’elle entendait aussi bien l’art de rendre que celui de prendre. Ils eussent voulu que les discours populaires des Flamands ne se fussent pas trouvés véritables. Ils savaient qu’une infinité d’ignorans avaient dit qu’il ne fallait pas s’alarmer de la perte de quelques villes, et qu’il fallait même s’en réjouir, puisqu’on les recouvrerait fortifiées à la Vauban. Les écoliers exprimaient cela d’une autre manière ; nous les perdons de brique, elles seront restituées de marbre [65].

(Q) Quantité de prêtres s’opiniâtrèrent à ne point prier Dieu pour lui. ] Le procureur général du roi au parlement de Toulouse, ayant été averti qu’un fort grand nombre de prêtres, en disant la messe, omettaient la prière pour le roi [66], et qu’elle avait été supprimée dans plusieurs missels imprimés [67], en porta sa plainte au parlement. La compagnie ordonna que tous les prêtres seraient obligés à observer l’ancienne coutume de cette prière dans la célébration des divins offices, défendit de se servir des missels où cette prière ne se trouvait pas, ordonna aux imprimeurs et aux libraires d’y faire ajouter incessamment la feuille qui y manquait, et en cas de contravention les menaça d’une peine corporelle, et de la confiscation des exemplaires. Cet arrêt fut rendu le 5 de juin 1606 [68]. Si douze ans après que le roi eut abjuré le huguenotisme, et eut donné bien des marques de son attachement au papisme, et beaucoup de témoignages de sa bonté pour les ligueux, il y avait tant d’ecclésiastiques qui le haïssaient mortellement, qu’eût-il pu attendre d’une conduite opposée ? La fureur des bigots et des entêtés eût été infiniment plus terrible, s’il se fût négligé dans l’extérieur de la religion, et s’il eût agi en prince rempli de ressentiment. L’un de ses historiens [69] nous donne pour une action d’une politique admirable ce que je m’en vais copier : Dès le soir même [70], il joua aux cartes avec la duchesse de Montpensier, qui était de la maison de Guise, et la plus forte ligueuse qu’il y eût dans le parti [71]. Infailliblement cela déplaisait à ses anciens serviteurs. Il se serait moins pressé de faire un honneur semblable à une dame huguenote : c’est renchérir sur la parabole de l’évangile, dirent-ils peut-être. Cette duchesse n’a point travaillé encore dans votre vigne, et elle avait fait pour la ruiner tous les efforts imaginables ; et néanmoins elle est mieux payée que nous qui avons porté le faix du jour et le hâle [72]. On s’était contenté dans la parabole d’égaler à la récompense de ceux qui avaient travaillé toute la journée, la récompense de ceux qui n’avaient travaillé qu’une heure, et qui n’avaient fait aucun dommage avant ce temps-là. Il y eut sans doute bien des murmures de cette espèce, et l’on n’y eût pas satisfait par cette réponse du père de famille : Votre œil est-il malin, parce que je suis bon [73] ? Cela n’eût fait qu’irriter la plaie : Henri IV eût mieux aimé opposer à ces reproches la nécessité des temps [74],

Res dura et regni novitas me talia cogunt
Moliri ............ [75].

M. du Plessis Mornai, dans une lettre qu’il écrivit à Morlas l’an 1594, pendant que ceux qui avaient suivi la ligue s’en détachaient sous des conditions avantageuses, se servit de ces paroles notables : « Nous n’envions point aussi, que vous tuiés le veau gras pour l’enfant prodigue : mais pourveu aussi, que vous disiés de bon cœur à l’enfant obéïssant : Tu sçais, mon enfant , que tous mes biens sont tiens ; au moins que vous n’immoliés pas l’obéïssant pour faire meilleure chère au prodigue. Bref tout ce qui se fait nous resjouït, pourveu qu’il soit utile ; mais nous craignons ces marchés, esquels on lasche les choses et n’acquiert on que des paroles ; et paroles de personnes pour la plus part, qui jusques ici n’ont point eu de parole [76]. »

(R) M. de Sully s’en plaint, et... soutient... qu’il n’est pas vrai qu’il se laissât extorquer par ses maîtresses tout ce qu’elles souhaitaient. ] Il parle de certains historiographes qui avaient distribué injustement les louanges et les censures. Ils n’avaient trouvé aucune tache dans ceux dont ils étaient mercenaires, et presque rien de bon dans Henri-le-Grand, qui ne leur avoit rien donné. Et d’autant, dit-il [77], qu’ils ne luy peuvent pas desnier quelques louanges d’entre une infinité qui sont toutes publiques dans les ressentimens et voix de tous des peuples, ils en oublient malicieusement les plus necessaires à sçavoir, desguisent les autres, et en fin les ayans toutes extenuées le plus qu’il leur a esté possible, ils ont usé d’une autre malice toute remplie d’impostures, qui a esté de luy supposer impudemment et faussement des desirs, projets, desseins, entreprises et resolutions (lors qu’il est question des affaires d’estat) toutes les plus absurdes, ineptes, impertinentes et ridicules qui se puissent dire. Et sur cela faisant les entendus, ils parlent tout ainsi que s’ils avoient esté les plus confidens du roy, et qu’ils eussent eu communication de toutes ses cogitations et pensees plus secretes, ou eu intelligence avec quelqu’un de ses plus familiers serviteurs pour la paix et pour la guerre qui les leur eussent dites. Puis venans à parler de sa conversation civile, forme de vie domestique, de sa conduite en icelle et sur tout de ses recreations, divertissemens, douceurs de cette vie, ebats, plaisirs, passe-temps et rejouissances, quoyqu’elles eussent quasi tousjours esté des plus ordinaires, communes et familieres à tous hommes, voire mesme aux femmes, mais tousjours des plus générales, universelles, tolerées, loisibles, et permises à tous roys, potentats, princes, grands seigneurs, s’en estans trouvé peu, jusques aux plus sages, vertueux, debonnaires, pieux, et saints, qui ne s’y soient delectez, et lesquels leurs peuples et sujets n’ayent patientez gayement, quand pour tels plaisirs et passe-temps il ne s’est point commis d’injustice, de rapt, de meurtre, violence, concussion ny saccagement, Et néantmoins quand ils se mettent sur les discours des gaillardises et joyeusetez de ce tant doux et debonnaire prince, ils les exagerent tellement, et les invectivent de sorte par de si mensongeres et fallacieuses circonstances, par tant de dommageables et pernicieuses conséquences, les flestrissent de tant de passions, perturbations vicieuses, honteuses, infames, voir execrables et scandaleuses, qu’il semble à les en ouïr parler avec tant d’audace, impudence, effronterie et temerité, qu’ils ayent esté les scrutateurs des cœurs et des pensées..... ou qu’ils eussent esté ses pères confesseurs et grands penitenciers........ et surtout ont-ils esté tant temeraires que de nommer au rang de ses maistresses une de laquelle les qualitez, l’eminence, les vertus, et la sagesse l’avoient tousjours adverti, quand bien il y eust pensé, de ne la tenir pas pour telle ; et partant meriteroient grande punition ces imposteurs d’escrivains d’en avoir ainsi parlé. Et disent en d’autres lieux que les femmes avoient pris un tel empire sur luy, à cause que le vice luy estoit naturel et tourné en habitude par long usage, grande accoustumance avec des gens pervers, et s’estoit rendu tant esperduement amoureux de quelques-unes de ces beautez, qu’il n’avoit plus d’autres volontez que les leurs, et que cette tache estoit cause que toutes les affaires les plus importantes estoient expediées par leur entremise, et qu’elles n’estoient esconduites d’aucunes choses qu’elles pussent desirer. Et ajoutent si frequemment tant d’autres inepties et fadeses, que toutes ces impostures temeraires estans trop longues à refuter par ce present discours (fait à autre intention) nous renvoyerons ceux qui voudront voir leurs calomnies au jour, à tous les propos qui en sont tenus dans le cours de ces Mémoires, par lesquels il se connoistra comment, et pour quelles raisons le roy ne se fust jamais résolu d’espouser une femme de joie : qu’elles ne disposoient d’aucunes affaires, et qu’il avoit des serviteurs, lesquels par son commandement leur sçavoient bien dire leurs veritez, mesme en sa presence, et les conduire et refuser des choses qu’ils jugeoient injustes ou dommageables à l’estat, aux affaires et revenus du roy, ou à son peuple, et falloit qu’elles passassent par-là. Confirmons ceci par des paroles tirées d’une lettre de Henri IV. On y verra les médisances que l’on répandait contre lui. « Les uns me blasment d’aimer trop les bastimens et les riches ouvrages ; les autres la chasse, les chiens et les oyseaux ; les autres les cartes, les dez et autres sortes de jeux ; les autres les dames, les delices et l’amour ; les autres les festins, banquets, sopiquets et friandises ; les autres les assemblées, comédies, bals, danses et courses de bague, où (disent-ils pour me blasmer) l’on me voit encore comparoistre avec ma barbe grise, aussi resjouy et prenant autant de vanité d’avoir fait une belle course, donné deux ou trois dedans (et cela, disent-ils en riant) et gagné une bague de quelque belle dame, que je pouvois faire en ma jeunesse, ny que faisoit le plus vain homme de ma cour. En tous lesquels discours je ne nieray pas qu’il n’y puisse avoir quelque chose de vrai ; mais aussi diray-je que ne passant pas mesure, il me devroit plustost estre dit en louange qu’en blasme, et en tout cas me devroit-on excuser la licence en tels divertissemens qui n’apportent nul dommage et incommodité à mes peuples, par forme de compensation de tant d’amertumes que j’ay goustées, et de tant d’ennuis, déplaisirs, fatigues, perils et dangers par lesquels j’ay passé depuis mon enfance jusques à cinquante ans..... L’Écriture n’ordonne pas absolument de n’avoir point de péchez ny défauts, d’autant que telles infirmitez sont attachées à l’impetuosité et promptitude de la nature humaine ; mais bien de n’en estre pas dominez, ny les laisser regner sur vos volontez : qui est ce à quoy je me suis estudié, ne pouvant faire mieux. Et vous sçavez par beaucoup de choses qui se sont passées touchant mes maistresses (qui ont esté les passions que tout le monde a creu les plus puissantes sur moy) si je n’ay pas souvent maintenu vos opinions contre leurs fantaisies, jusques à leur avoir dit, lorsqu’elles faisoient les accariastres, que j’aymerois mieux avoir perdu dix maistresses comme elles, qu’un serviteur comme vous, qui m’estiez nécessaire pour les choses honorables et utiles [78]. »

(S) Il y eut des occasions où il eut la force de se démêler des piéges qu’on lui tendait par de belles filles. ] Catherine de Médicis lui demandant à la conférence de Saint-Brix [79], qu’est-ce qu’il voulait ? Il lui répondit, en regardant les filles qu’elle avait amenées : Il n’y a rien là que je veuille, madame ; comme lui voulant dire par-là, qu’il ne se laisserait plus piper à de semblables appas. Il n’avait pas été si sage dans d’autres rencontres ; car quelque temps après le massacre de la Saint-Barthélemy [80], « il se laissa prendre aux appas de certaines damoiselles de la cour dont on dit que cette reine se servoit exprès pour amuser les princes et les seigneurs, et pour découvrir toutes leurs pensées (81). » Que voilà une reine abominable ! Chacun sait le nom qu’on donne à une telle conduite. Quelle école, bon Dieu, pour de jeunes demoiselles de qualité, que l’on appelait filles d’honneur ! Et notez que si cette reine avait souhaité d’en entretenir deux ou trois cents, on les lui aurait fournies, tant était grande la corruption de ce temps-là ; car on savait bien à quel usage elle employait ses filles d’honneur.

(T) Villeroi lui avait dit une chose assez capable de déplaire. ] Où sont les gens qui ignorent que c’est un avis fort rude, et qui pique jusqu’au vif, que de représenter à quelqu’un qu’il ne sait pas bien tenir son rang, et qu’il oublie la dignité de son caractère ? C’est ce que Villeroi représenta à Henri-le-Grand. Naudé l’en loue. Un des meilleurs avis, dit-il [81], que donna jamais Villeroi à Henri-le-Grand, qui avait vécu en soldat et carabin pendant les guerres qui se firent à son avénement à la couronne, fut lorsqu’il lui dit, qu’un prince qui n’était pas jaloux des respects de sa majesté, en permettait l’offense et le mépris : que les rois ses prédécesseurs dans les plus grandes confusions, avaient toujours fait les rois ; qu’il était temps qu’il parlât, écrivit et commandât en roi.

(U) Nous verrons le jugement qu’il porte de l’artifice dont un roi de France s’était servi. ] Il était « grand observateur des choses qui touchent à la conservation de la reputation des princes, en quoy il aymoit mieux relascher de ses droicts et pouvoirs, que de donner le moindre subject de parler mal de sa foy, blâmant tousjours les princes infideles et cauteleux, jusques à ses prédeccsseurs mesmes, quand on tomboit sur quelque acte, auquel ils avoient manqué de preud’homie en leurs promesses et foy publique, comme il fit un jour qu’on discouroit devant luy des grandes affaires qu’avoit eues le roy Philippe de Valois, et de son grand courage peu secondé par la fortune. Il estoit grand (ce dit le roy) : mais il avoit des subtilitez en ses paroles, plus seantes à des enjoleurs de petits enfans qu’à un roy, comme estoit ceste-cy que je n’approuve pas. Il avoit traicté avec l’empereur Louys de Bavieres, et promis par le traicté de ne faire la guerre à l’Empire, contre lequel néantmoins il dressa des armées par mer et par terre, lesquelles il jetta ès Pays-Bas, sous la conduite du duc de Normandie son fils aisné, qui fut deffaict sur mer à l’Escluse, et ayant assiegé la ville de Thin, le roy son père estoit en ce siege, comme soldat combattant sous son fils, et estant néantmoins l’un de ses conseillers, estimant par ceste captieuse équivocation ne pouvoir estre blamé de rompre le traicté qu’il avoit fait comme roy de France, comme si ce n’estoit pas la mesme chose, faire quelque entreprise par soy-mesme, ou le faire par autruy [82]. » Il n’y a pas long-temps qu’un docteur avec qui je me promenais me dit qu’Henri IV, ayant entendu réciter une tromperie du roi d’Espagne, s’était écrié : Il faut avouer que les rois sont de grands fripons. Je lui demandai tout aussitôt s’il avait trouvé cela dans quelque livre ; et il me répondit que c’était l’un des bons mots de Henri IV [* 6] dans le Recueil qui en a été publié à la fin de son Histoire, composée par l’évêque de Rhodez [83], précepteur de Louis XIV. J’en doute fort, lui répliquai-je : j’ai lu autrefois d’un bout à l’autre cet ouvrage de M. de Péréfixe, et il ne me reste aucune idée de ce que vous m’avez dit : cependant ce sont des termes si capables de faire impression, qu’on les oublie malaisément. Je vérifiai ensuite que cela ne se trouve point dans l’ouvrage de l’évêque de Rhodez, et je l’écrivis au docteur. Il m’a fait dire qu’après y avoir mieux pensé, il croit que l’exclamation d’Henri IV est rapportée dans l’une des Lettres anglaises d’Howel. Je ne raconte ceci que par forme d’avertissement qu’il ne faut point se fier à des ouï-dire, et que les faits changent beaucoup en passant d’un écrivain à un autre. Quelle différence entre les termes de le Grain, et ceux d’Howel !

  1. (*) Tiré des Légations turques de Busbeck, lettre III, pag. 196 de ses Œuvres, édit. de 1633, Rem. crit.
  2. (*) M. de Vendôme.
  3. (*) Madame de Chevreuse.
  4. (*) Matthieu.
  5. * Voyez, tom. XI, la remarque (P) de l’article Navarre (Marguerite de Valois, reine de.)
  6. (*) Il s’en voit un recueil, mais il y manque deux réparties, que fit ce prince âgé seulement de quinze ans, et que son auguste mère, l’illustre Jeanne d’Albret, reine de Navarre, nous a conservées. La reine-mère Catherine de Médicis, de concert avec le cardinal de Lorraine, avait envoyé vers la reine de Navarre le sieur de la Motte-Fénélon, pour la détourner de joindre ses forces à celles que, sous le commandement du prince de Condé, les réformés assemblaient en 1568, à la veille de la troisième guerre civile. Comme un jour la Motte-Fénélon, s’adressant en particulier au prince de Navarre, affectait de paraître surpris de ce que lui, si jeune encore, prenait parti dans une querelle qui ne regardait proprement que le prince de Condé, son oncle, et les huguenots qui faisaient la guerre au roi : C’est, lui repartit le jeune prince, qu’étant visible que, sous le prétexte de la rébellion qu’on impute ici faussement au prince, mon oncle, et aux huguenots, nos ennemis ne se proposent pas moins que d’exterminer toute la branche royale de Bourbon, nous voulons mourir tous ensemble pour éviter les frais du deuil, qu’autrement nous aurions à porter les uns des autres.

    Une autre fois le même, adressant encore la parole au prince de Navarre, déplorait les malheurs dont le feu de cette guerre allait, disait-il, inonder tout le royaume. Bon ! réplique le prince, c’est un feu à éteindre avec un seau d’eau. Comment cela ? demande la Motte-Fénélon. En faisant, dit le prince, boire ce seau d’eau jusqu’à crever au cardinal de Lorraine, vrai et principal boute-feu de la France. C’est la reine de Navarre elle-même qui, pag. 234 et 235, d’un recueil imprimé in-12, en 1570, sous le titre d’Histoire de notre temps, etc., rapporte cela dans un grand et beau manifeste de sa façon. Je ne sais, au reste, si cette vivacité du roi Henri IV ne lui venait pas bien aussitôt du côté maternel, que de celui de son père Antoine de Bourbon, à qui d’ailleurs notre histoire ne donne que des qualités assez médiocres : et ce qui encore ne fait pas peu ici pour la mère, c’est une raillerie fine que dans ce manifeste, pag. 236 et 237, cette princesse fait de Descars, gentilhomme limosin, qui s’était ridiculement vanté au roi et à la reine-mère, qu’il avait à son commandement quatre mille gentilshommes pour empêcher qu’un seul huguenot ne branlât pour joindre l’armée du prince de Condé. Comme néanmoins la reine de Navarre et ses troupes passèrent sans obstacle, et que d’ailleurs Descars n’était pas d’une distinction à se faire suivre par un aussi grand nombre de noblesse volontaire : Apparemment, dit-elle, que par ces quatre mille gentilshommes, Descars, Limosin, entendait des pourceaux, appelés gentilshommes dans son village, parce qu’ils sont vêtus de soye. Remarquez ici en passant l’origine du nom de Pourceaugnac. Rem. crit.

  1. Voyez la fin de cette remarque.
  2. Mézerai, Abrégé chronolog., tom. V, pag. 308, à l’ann. 1587.
  3. Voyez les Annot. sur les Amours du grand Alcandre, num. 3, où l’on cite le CIe. livre de M. de Thou. Voyez aussi les Remarques sur la Confession catholique de Sancy, pag. 552, édit. de 1693.
  4. Mézerai, Abrégé chronolog., tom. VI, pag. 170, à l’ann. 1595.
  5. Sallust., in Bello Jugurt., pag. m. 362
  6. Cornel. Nepos, in Alcibiade.
  7. Cette comparaison me fait souvenir qu’il n’y a point d’animaux plus timides et plus lascifs que les lièvres.
  8. Voyez sa Vie, au IVe. tome, pag. 329 et suiv.
  9. Veneris vinique expertem totâ ætate se fuisse jactaverat. Puffendord, Rer. Suecicar. lib. IV, pag. 64, col. 2. Voyez aussi Blanc., Histoire de Bavière, tom. IV, pag. 381.
  10. Discours historique et politique sur les causes de la guerre de Hongrie, imprimé à Cologne, 1666, pag. 264.
  11. Discours historique et politique sur les causes de la guerre de Hongrie, pag. 266.
  12. Erat Halis Eunuchus, sed corporis defectum animo pensabat : de cætero staturâ brevi, sufflato corpore, colore buxeo, subtristi vultu, torvis oculis, et inter latos et eminenteis humeros depresso capite, ac prominentibus ex ore duobus veluti aprugnis dentibus deformis. Thuan., lib. XVII, pag. 361.
  13. Fractus ac inglorius Budam se contulit, ubi dux, qui tantam de se initio exspectationem excitaverat, dolore atque ignominiâ expeditionis inauspicatæ invisam vitam cum morte commutavit. Id, ibid.
  14. Idem, ibidem.
  15. Justin., lib. XXXII, sub finem.
  16. Livius, lib. XXVI, sub finem. Valerius Maximus, lib. IV, cap. III, num. 1.
  17. Voyez, tom. II, pag. 147, la remarque (B) de l’article de la première Antonia.
  18. Flavius Vopiscus, in Proculo, pag. m. 735, tom. II.
  19. Dans la remarque précédente.
  20. Libidinis nimiæ assiduitatem concubitûs velut exercitationis genus clinopalen vocabat. Suetonius, in Domit., cap. XXII.
  21. Homerus, Iliad., lib. V, vs. 428.
  22. Remarque (O), citation (47) de l’article du troisième duc de Guise, tom. VII, pag. 393.
  23. Montluc, Comment., lib. III, pag. m. 500, 501.
  24. Mézerai, Abrégé chronol., tom. VI, pag. 392.
  25. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 461, 462, à l’ann. 1609.
  26. Vie de du Plessis Mornai, pag. 108.
  27. Là même.
  28. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 514.
  29. Relation de la mort de Henri IV, pag. m. 24.
  30. Pierre Petit, intendant des fortifications, Dissertation sur les Comètes, pag. 89.
  31. Dupleix, Hist. de Henri IV, pag. 411.
  32. Remarques sur Dupleix, pag. 172.
  33. C’est-à-dire, Dupleix.
  34. C’est-à-dire, Henri IV.
  35. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 381.
  36. C’est-à-dire, pour Henri IV.
  37. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 463, à l’ann. 1609.
  38. Mémoires de Sully, tom. II, pag. 112, édition de Hollande, in-12.
  39. Je donne ce mot comme je le trouve dans mon édition.
  40. Jérémie de Pours, Divine Mélodie du saint Psalmiste, pag. 686.
  41. D’Ossat, Lettres, folio 172.
  42. Bèze, Histoire ecclésiast. des églises, liv. IV, pag. 688, à l’ann. 1561.
  43. Mézerai, Histoire de France, tom. III, pag. 257.
  44. D’Aubigné, tom. II, liv. I, chap. IV, pag. m. 547.
  45. Invent. de l’Histoire de France, tom. II, pag. m. 704.
  46. Lib. X, folio m. 35.
  47. Quæ tamen humilissimo animo et consternato ore ab illo dicebantur. Ibidem.
  48. Julien Péléus, avocat au Parlement de Paris, Histoire des faits et de la vie de Henri-le-Grand, tom. I, pag. 828.
  49. Là même, pag. 831.
  50. Là même, pag. 832.
  51. Là même, pag. 833.
  52. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. m. 36, à l’ann. 1574.
  53. Voyez ci-dessus la remarque (G).
  54. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. 54.
  55. Là même, pag. 53.
  56. Là même.
  57. Là même, pag. 58.
  58. Bodin, de la République, liv. V, chap. I, pag. m. 676.
  59. Péréfixe, Histoire de Henri-le Grand, pag. 262, 263. Notez que Pierre Matthieu, Histoire de la Paix, liv. I, narrat. III, pag. m. 69. rapporte qu’Henri IV dit une parte de ces choses aux ambassadeurs d’Espagne, qui vinrent assister à son serment.
  60. Je crois que ceci se trouve dans la Vie du duc d’Épernon, composée par Girard.
  61. Matthieu, Histoire de la Paix, narrat. I, pag. 13.
  62. Là même, narrat. III, pag. 68.
  63. Horat., de Arte poëticâ, vs. 169.
  64. Virgil., Æneïd., lib. V, vs. 394.
  65. C’est une allusion à une pensée de l’empereur Auguste, touchant l’état où il avait mis la ville de Rome.
  66. In Missæ canone passim à sacerdotibus per cunctas diœceses celebrantibus orationem pro rege omitti. Thuan., lib. CXXXVI, pag. 1123.
  67. À Paris, à Bordeaux et à Lyon.
  68. Tiré de M. de Thou, lib. CXXXVI, pag. 1123, 1124.
  69. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. 225.
  70. C’est-à-dire, du jour qu’il fit son entrée à Paris.
  71. Voyez, ci-dessus, la remarque (D) de l’article Henri III.
  72. Évangile de saint Matthieu, chap. XX, vs. 12.
  73. Là même, vs. 15.
  74. Conférez avec ceci la remarque (AA) de l’article Charles-Quint, tom. V, pag. 80.
  75. Virgil., Æneid., lib. I, vs. 563.
  76. Mémoires de du Plessis Mornai, tom. II, pag. 398, 399.
  77. Voyez les Mémoires de Sully, à l’épître liminaire du IIIe. tome, folio m. c. ij.
  78. Mémoires de Sully, tom. III, pag. 137, 138.
  79. Château proche de Cognac.
  80. Péréfixe, Histoire de Henri-le-Grand, pag. 80, à l’ann. 1586.
  81. Naudé, Coups d’état, chap. I, p. m. 22.
  82. Baptiste le Grain, décade du roi Henri-le-Grand, liv. VIII, pag. m. 781.
  83. Hardouin de Péréfixe.

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