Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Diogène 3


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DIOGÈNE, philosophe de la secte des stoïques, fut surnommé Babylonien [a], quoiqu’il ne fût pas de Babylone, mais de Séleucie sur le Tigre. Le voisinage de ces deux villes fut la cause de ce surnom [b] : outre que l’on a donné quelquefois à la dernière le nom de la première [c]. Ce philosophe fut disciple de Chrysippe [d], et composa divers ouvrages (A). Il fallait que sa réputation fût grande, puisque les Athéniens le députèrent à Rome avec Carnéade le chef des académiciens, et avec Critolaüs le chef de l’école péripatéticienne. J’ai parlé ailleurs de cette ambassade [e]. Notre Diogène vécut quatre-vingt-huit ans [f], et philosopha jusqu’à la fin de sa vie [g]. Il donna un témoignage d’une grande modération (B), lors qu’un jeune homme très-insolent lui eut craché au visage. Je ne crois pas qu’il doive être confondu avec celui dont Athénée a médit (C) ; mais je ne le distingue point de celui qui enseigna la logique à Carnéade (D). Je marquerai une erreur de M. Moréri (E). Voyez-la ci-dessous dans la dernière remarque.

  1. Diog. Laërt., lib. VI, num. 81. Voyez aussi Strabon, lib. XVI, pag. 512.
  2. Idem, Diog., ibid.
  3. Voyez Bochart, Geogr. Sac., lib. I, cap. VIII.
  4. Cicero, de Divinat., lib. I, cap. III.
  5. Dans l’article Carnéade, remarque (F), tome IV, pag. 464.
  6. Lucian., in Macrob., pag. 641, tom. II, pag. 464.
  7. Cicero, de Senect., cap. VII.

(A) Il composa divers ouvrages. ] Un traité de la divination [1], un autre de la noblesse [2], un autre des lois [3], un autre de Minerve. Il expliquait physiquement dans ce dernier ce que l’on disait de la naissance extraordinaire de cette déesse. Quem (Chrysippum) Diogenes Babylonius consequens in eo libro qui inscribitur de Minervâ, partum Jovis ortumque virginis ad physiologiam traducens, disjungit à fabulâ [4]. Je ne sais point dans quel ouvrage il enseigna ce que Cicéron rapporte. Cela concerne la bonne foi dans le commerce : sa morale était là-dessus un peu moins rigide que celle d’Antipater son disciple. In hujusmodi causis aliud Diogeni Babylonio videri solet, magno et gravi stoïco, aliud Antipatro, discipulo ejus, homini acutissimo. Antipatro omnia patefacienda, ut ne quid omninò ; quod venditor nôrit, emtor ignoret : Diogeni venditorem quatenus jure civili constitutum sit, dicere vitia oportere, cetera sine insidiis agere, et quoniam vendat, velle quàm optimè vendere [5]. Voici un autre passage : Quærit etiam (Hecaton in libro sexto de Officiis) si sapiens adulterinos nummos acceperit imprudens pro bonis, cùm id rescierit, soluturusne sit eos, si cui debeat, pro bonis. Diogenes ait, Antipater negat, cui potiùs assentior. Qui vinum fugiens vendat sciens, debeatne dicere. Non necesse putat Diogenes : Antipater viri boni existimat. Hæc sunt quasi controversa jura stoïcorum [6]. Je croirais que Diogène parla de ces choses dans son ouvrage des lois.

(B) Il donna un témoignage d’une grande modération. ] Ces paroles de Sénèque vont nous apprendre ce fait : Contumeliam ubi fecit aliquis. Num quid majorem quam Diogeni, philosopho stoïco ? cui de irâ cùm maximè disserenti adolescens protervus inspuit. Tulit hoc ille leniter ac sapienter, Non quidem, inquit, irascor : sed dubito tamen an irasci oporteat [7]. Je ne me fâche point, dit-il ; mais néanmoins je doute si je devrais me fâcher. Ce fut prêcher d’exemple : il faisait une leçon sur la colère ; il combattait en chaire cette passion ; rien n’est plus facile. On lui donna lieu de pratiquer ce qu’il conseillait ; on lui fit un affront énorme pendant son sermon de la patience, et il ne s’emporta pas. Voilà un stoïcien de pratique ; mais il lui échappa une parole qui ne s’ajustait point parfaitement avec la doctrine de sa secte. Il devait être assuré, en qualité de stoïque, qu’il ne devait point se mettre en colère.

(C) Je ne crois pas qu’il doive être confondu avec celui dont Athénée a médit. ] Il parle [8] d’un Diogène philosophe épicurien, natif de Séleucie proche de Babylone : il en parle, dis-je, comme d’un personnage assez éloquent, et assez docte, mais dont les mœurs ne valaient rien, et qui était envieux et satirique, n’épargnant pas même les rois, dans les occasions de plaisanter [9]. Il se rendit agréable à un roi de Syrie qui était pourtant prévenu des maximes des stoïciens [10] : Ἀναδοχῆς δ᾽ ἐτύγχανε παρὰ τοῦ βασιλέων καὶτοι τοῖς ἀπὸ τῆς ςοᾶς λόγοις χαίροντος [11] : acceptus gratusque regi fuit quamvis stoïcorum placitis gaudenti. C’était Alexandre Bala. Ce philosophe, par une hardiesse qui convenait mal à son caractère, demanda un jour à ce prince la permission de se parer d’une tunique de pourpre, et d’une couronne d’or au milieu de laquelle paraissait l’image de la vertu. Le prince lui fit présent de l’une et de l’autre, et tout aussitôt le philosophe en fit présent à une femme qu’il aimait. Alexandre l’ayant su pria à dîner quelques philosophes, et quelques autres personnes illustres, et dit à Diogène de se mettre à table avec la tunique de pourpre et avec la couronne d’or. Le philosophe s’en excusa comme d’une impertinence. Là-dessus le roi fit signe qu’on fit entrer sa musique, et l’on vit parmi ceux qui la composaient la maîtresse de Diogène ornée de la tunique et de la couronne dont il lui avait fait un présent. On se mit à rire : Diogène attendit que cela cessât, et puis il fit un long éloge de cette femme. Antiochus qui succéda à Alexandre [12] ne put souffrir la mauvaise langue de ce philosophe ; il le fit tuer [13]. Bien des choses me persuadent que ce récit ne concerne point notre Diogène. En 1er. lieu, Athénée dit expressément que celui qui fut aimé d’Alexandre roi de Syrie était de la secte d’Épicure, et que la prévention de ce prince pour les dogmes des stoïciens ne l’empêcha pas de le goûter. Cela montre qu’il ne parle point d’un philosophe stoïcien dans la théorie, épicurien dans la pratique : il ne parle donc point du disciple de Chrysippe, et du collègue de Carnéade dans l’ambassade de Rome. En 2e. lieu, Cicéron assure que Diogène le stoïcien philosopha toute sa vie, c’est-à-dire qu’il fit des leçons dans le portique d’Athènes jusqu’à sa mort : Num philosophorum principes, Pythagoram, Democritum, num Platonem, num Xenocratem, num posteà Zenonem, Cleanthem, aut eum, quem vos etiam Romæ vidistis, Diogenem stoïcum, coegit in suis studius obmutescere senectus ? an non in omnibus is studiorum agitatio vitæ æqualis fuit [14] ? Pourrait-on parler ainsi d’un philosophe, qui, après son ambassade de Rome, aurait passé en Syrie, à la cour des rois, tout le reste de ses jours ? En 3e. lieu, le Diogène d’Athénée était en vie l’an de Rome 610 ; car Antiochus qui le fit mourir ne commença de régner qu’en ce temps-là. Or, Diogène le stoïcien était mort quand Caton disait de lui ce que je viens de citer du traité de Senectute, et il est sûr que l’époque de cet ouvrage précède de quelques années l’an de Rome 610 [15]. Enfin, il n’y a point d’apparence que si le célèbre philosophe que la république d’Athènes envoya au sénat romain avait terni sa réputation par une vieillesse honteuse, et par une mort violente bien méritée, aucun auteur ne l’eût remarqué. Concluons que ce n’est point de lui qu’Athénée veut parler, et qu’ainsi Jonsius se trompe [16] en plaçant sa mort sous la 159e. olympiade : car cette chronologie n’a pour fondement que le récit d’Athénée.

Notez que je me défie un peu de la troisième raison, quand je considère d’un côté que Diogène a vécu quatre-vingt-huit ans selon Lucien, et de l’autre que son ambassade est de l’an 598 de Rome. Il s’ensuit de là que, s’il est mort avant le temps où l’on suppose que Caton a dit ce que nous lisons dans le livre de Senectute, il vint à Rome en ambassade, âgé pour le moins de quatre-vingt-trois ans. Or, comme il n’y a personne qui observe cette circonstance, et que Cicéron même qui eût pu s’en prévaloir ne suppose pas que Caton l’ait observée, il me semble qu’on peut dire que ce philosophe n’était pas si vieux lorsqu’il vint à Rome pour les affaires des Athéniens. Ne nous imaginons pas que Cicéron ait observé si exactement la chronologie dans ses dialogues, qu’il n’y ait jamais bronché à cet égard-là. Rien n’est plus difficile qu’une telle exactitude quand on fait parler un homme qui a vécu avant nous. Nous le faisons parler quelquefois selon nos idées. Ce qu’il dit de la mort ou de la vieillesse des gens n’est un mensonge, que parce qu’au-lieu de nous mettre à sa place nous le mettons à la nôtre. Cicéron aurait pu joindre Diogène avec les anciens philosophes qui n’avaient cessé d’étudier qu’en cessant de vivre : mais Caton ne pouvait pas faire cette jonction ; car, si je ne me trompe, il mourut avant Diogène. On ne laissa pas, dans le dialogue de Senectute, de le faire discourir comme un personnage qui survivait à ce philosophe.

(D) Je ne le distingue point de celui qui enseigna la logique à Carnéade. ] L’endroit où Cicéron observe cela est curieux ; c’est pourquoi je le rapporte. Lorsque Carnéade tombait sur quelques disputes subtiles et entortillées, il y mêlait ce grain de plaisanterie : Si ma conséquence est bonne, j’ai gagné : si elle ne l’est pas, que Diogène me rende mon argent. Cùm aliquid ejusmodi inciderat, sic ludere Carneades solebat : si rectè conclusi, teneo : sin vitiosè, minam Diogenes reddat ; ab eo enim stoïco dialecticam didicerat, hæc autem merces erat dialecticorum [17].

(E) Je marquerai une erreur de M. Moréri. ] Il prétend que notre Diogène fut envoyé à Rome avec Carnéade et Critolaüs, sous le consulat de P. Scipion et de M. Marcellus du temps de la seconde guerre punique. On ne doute point de cela, dit-il. Cependant, il est certain que plusieurs en doutent, et que le jésuite Lescalopier condamne ceux qui ne distinguent point ce Diogène d’avec celui qui fut envoyé à Rome pour les affaires des Athéniens. Cave tamen hunc (Diogenem Babylonium, Chrysippi discipulum, stoïcum ) confundas cum altero Diogene stoïco qui cum Carneade academico ab Atheniensibus legatus Romam de maximis rebus missus esse dicitur libro secundo de Orat. quippè quos docti viri scitè distinctos volunt [18]. Si M. Moréri avait dit, On n’a point raison de douter, etc., je ne lui répondrais rien ; car il est sûr, quoi qu’en veuille dire ce jésuite, qu’il n’y a ici qu’un Diogène. Mais ce n’est pas la faute dont je veux parler principalement. On est beaucoup plus blâmable par un autre endroit, puisque pendant la seconde guerre punique il n’y a point eu d’année où un Scipion et un Marcellus aient été consuls, et que l’ambassade des trois philosophes à été postérieure à la fin de la seconde guerre punique. C’est de quoi je donne des preuves démonstratives dans l’article de Carnéade [19]. Notez que Vossius a fourni à M. Moréri cette méprise [20]. Je ne dis rien de quelques petites fautes dont une partie ne paraît pas dans l’édition de Hollande [21]. Il eût été nécessaire d’y remarquer de quelle secte était Diogène. On eût par-là remédié à une omission.

  1. Cicero, lib. I de Divinat., cap. III.
  2. Athen., lib. IV, cap. XIX, pag. 168.
  3. Idem, lib. XII, cap. VII, pag. 526.
  4. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XV.
  5. Idem, de Officiis, lib. III, cap. XII.
  6. Idem, ibidem, cap. XXIII.
  7. Seneca, de Irâ, lib. III, c. XXXVIII, pag. m. 580.
  8. Athen., lib. V, cap. XIII, pag. 211.
  9. Τοῦ γελοίου μηδὲ τῶν βασιλέων ἀπεχόμενον. Dum risum captabat ne regibus quidem parcentem. Idem, ibidem.
  10. Idem, ibidem.
  11. C’est ainsi qu’il faut lire, comme l’observe M. Ménage, in Diogen. Laërt., lib. VI, num. 8, et non pas χαίροντι comme il y a dans les éditions d’Athénée.
  12. Ὁ μεταλαϐὼν τὴν βασιλείαν Ἀντίοχος. Qui Alexandro successit in regno Antiochus. Idem, ibid. Cela n’est point exact ; car il eut un roi entre Alexandre et Antiochus.
  13. Tiré d’Athénée. liv. V, chap. XIII, pag. 211.
  14. Cicer., de Senectute, cap. VII.
  15. Puisque Caton dit, cap. X, qu’il est dans sa quatre-vingt-quatrième année, c’est l’an de Rome 603.
  16. Jonsius, de Script. Hist. philos., pag. 115, 190.
  17. Cicer., Academ. Quæst., lib. IV, cap. XXX.
  18. Lescalopier, in Ciceron., de Naturâ Deor., pag. 65.
  19. Remarque (N), tome IV, pag. 472.
  20. Vossius, de Philosophorum Sectis, pag. 103.
  21. On y a corrigé quelques fautes de langage, mais non pas les mauvaises citations. Par exemple celle du livre VI de Cicéron, de Finibus. Cet ouvrage ne contient que cinq livres. Cette citation et toutes les autres ont été prises de Vossius, de Philosoph. Sectis, pag. 103.

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