Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Artaban 3


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ARTABAN II, roi des Parthes, n’étant encore que roi des Mèdes (A), fut appelé par les Parthes, afin qu’il régnât sur eux à l’exclusion de Vonones, qu’ils avaient été chercher jusqu’à Rome, et que Tibère leur avait accordé de fort bonne grâce [a]. Artaban était de la race des Arsacides, aussi-bien que Vonones, et il avait d’ailleurs l’avantage que l’éducation romaine ne le rendait pas odieux à ces peuples [b]. La première bataille fut heureuse pour Vonones ; mais il fut si maltraité à la seconde, qu’il fut obligé de s’enfuir en Arménie (B). Le victorieux Artaban ne l’y laissa pas en repos : et comme Tibère ne promettait point à Vonones la protection qui lui était nécessaire [c], celui-ci se vit contraint de sortir de l’Arménie, et de se retirer au près de Silanus, gouverneur de Syrie. Cela affermit beaucoup sur la tête d’Artaban la couronne qu’il avait obtenue environ l’an 769 de Rome, et le 16 du Ier. siècle. Il ne laissa pas d’être inquiet du séjour de son rival dans la Syrie [d] ; car le commerce des nouvelles étant plus aisé entretenait les factions : ainsi il envoya une ambassade à Germanicus, pour le renouvellement de l’alliance, et, en attendant, il demanda que Vonones fût renvoyé hors de la Syrie. On ne sait point les suites de cette ambassade ; mais on sait qu’après la mort de Germanicus, le roi des Parthes devint fier envers les Romains, et cruel envers ses peuples [e]. Les heureux succès de la guerre qu’il avait faite à plusieurs nations voisines lui avaient enflé le courage ; de sorte que, sans aucun égard pour Tibère, dont il méprisait les cheveux blancs, il s’empara de l’Arménie (C), et la donna à Arsaces son fils aîné (D). Il envoya redemander tous les trésors que Vonones avait laissés dans la Syrie et dans la Cilicie [f] ; et faisant le rodomont, il publia que, si l’on ne lui rendait pas tout ce que Cyrus et Alexandre avaient possédé, il l’irait prendre par force. Les mécontens de sa cour députèrent secrètement à Tibère, pour lui demander Phrahate, fils du roi Phrahate [g]. On le leur accorda très-volontiers ; et lorsqu’on eut su que ce prince, voulant vivre à la manière des Parthes, dont il était désaccoutumé depuis long-temps, était mort de maladie, on lui substitua Tiridate, qui était de la maison des Arsacides, et proche parent de Phrahate ; et l’on suscita un autre adversaire à Artaban, savoir Pharasmane roi d’Ibérie. Artaban eut du dessous de ce côté-là ; car après que son fils Arsaces, roi d’Arménie, eut été empoisonné, son autre fils Orode, qu’il envoya dans l’Arménie, y fut battu par Pharasmane. Il y fut battu lui-même quelque temps après ; et ayant été obligé de s’avancer vers les provinces que Vitellius, gouverneur de Syrie, menaçait [h], il n’y eut plus rien qui empêchât Mithridate, frère de Pharasmane, de devenir roi d’Arménie [i]. Cette perte d’Artaban fut bientôt suivie d’une plus grande. Vitellius fit par ses intrigues et par son argent, que ce monarque quitta le pays, et se retira dans l’Hircanie, où il fut réduit à vivre de ce qu’il prenait à la chasse [j], pendant que Vitellius mit Tiridate en possession de la couronne. Mais il se forma un parti si formidable contre le nouveau roi, qu’il ne fut pas difficile à Artaban, que l’on rappela, de contraindre Tiridate, qui était un pauvre prince, à se retirer [k]. Ceci se passa l’an 36 du Ier. siècle. On ne trouva plus dans Artaban son premier orgueil : il rechercha de lui-même l’amitié de Caligula [l] ; et lorsque, par la diligence de Vitellius, il vit prêt à échouer le dessein qu’il avait eu de porter la guerre dans la Syrie [m], il consentit à une entrevue avec ce Romain, et à un traité de paix dont les conditions étaient à l’avantage de Caligula. Dix ans après, il fut détrôné, et contraint de chercher une retraite auprès d’Izate roi d’Adiabène [n]. Il en fut reçu de la manière la plus généreuse : ce ne furent point de purs complimens. Izate négocia de telle sorte auprès des Parthes, qu’il les obligea à le rétablir sur le trône, et ce fut Cinname même, qu’ils avaient mis à sa place, qui lui remit le diadème sur la tête. Il y a de l’apparence qu’Artaban mourut peu après, soit par le crime de Gotarze son fils, ou son frère (E), soit autrement.

(A) Il était roi des Mèdes. ] Moréri et Hofman ont dit que Tacite l’a fait roi des Daces. C’est à quoi cet historien ne songea jamais : il ne dit sinon qu’Artaban avait été élevé parmi les Dahes, Artabanus Arsacidarum è sanguine apud Dahas adultus excitur [1]. Il y a bien de la différence entre les Dahes et les Daces, et il a fallu être bien distrait (pour ne rien dire de pis), quand on a pu croire qu’un prince parthe avait été élevé auprès du Danube.

(B) Vonones.... son compétiteur fut si maltraité à une seconde bataille, qu’il fut obligé de s’enfuir en Arménie. ] M. Moréri a débité deux autres mensonges. Il fait remporter deux victoires sur les Parthes à Vonones, qui néanmoins ne vainquit qu’une seule fois son compétiteur [2], et il attribue à Vitellius une défaite de l’armée d’Artaban, une défaite, dis-je, suivie d’autres pertes d’Artaban, vers l’an 36. Mais, 1°., il est faux que Vitellius ait défait les troupes de ce roi des Parthes ; et en second lieu, il est certain que le mal que Vitellius lui fit par intrigues et par argent fut postérieur à ces autres pertes. M. Hofman donne aussi deux victoires à Vonones, et une à Vitellius, qui fut cause, dit-il, qu’Artaban abandonna l’Arménie. Abus, mais abus incomparablement plus excusable que celui où cet écrivain est tombé après M. Lloyd et Charles Étienne, en disant qu’Artaban, grand ennemi de Tibère, se saisit de l’Arménie, et fut tué par un soldat persan nommé Artaxerxés, depuis lequel il n’y a point eu de rois des Parthes, mais des rois des Perses. Anachronisme prodigieux ! Voyez l’article d’Artaban IV.

(C) Sans aucun égard pour Tibère,.… il s’empara de l’Arménie. ] On ne peut pas être plus insulté que le fut cet empereur par Artaban, qui n’eut pas plus tôt aperçu que son invasion de l’Arménie était une injure dont Tibère ne se vengeait pas, qu’il attaqua la Cappadoce [3]. Mais que peut-on voir de plus terrible que les lettres qu’il lui écrivit ? Écoutons Suétone. Quinet Artabani Parthorum regis laceratus est litteris, parricidia et cœdes et ignaviam et luxuriam objicientis, monentisque ut voluntariâ morte maximo justissimoque civium odio quamprimùm satisfaceret [4]. Il y avait là quelque chose de personnel ; car, du reste, Artaban en usa le plus honnêtement du monde, et même fort humblement envers le successeur de Tibère. Écoutons encore Suétone : Artabanus Parthorum rex odium semper contemptumque Tiberii præ se ferens, amicitiam Caligulæ ultrò petiit, venitque ad colloquium legati consularis, et transgressus Euphratem aquilas et signa romana Cæsarumque imagines adoravit [5]. Dion remarque que Vitellius avait obligé Artaban à sacrifier à la statue d’Auguste et à celle de Caligula, et à donner en otages ses enfans, après avoir consenti au traité de paix qu’il lui prescrivit [6]. Cela montre que Josephe s’est abusé lorsqu’il a cru que l’entrevue de Vitellius et d’Artaban, et tout ce qui en résulta, arriva sous Tibère [7]. Ce fut à Tibère, selon lui, que Darius, fils d’Artaban, fut envoyé en otage, avec de riches présens, et avec un géant, Juif de nation, qui se nommait Éléazar, et qui avait sept coudées.

(D) Il donna l’Arménie à Arsaces son fils aîné. ] C’est ainsi que Tacite et Dion le nomment. Josephe le nomme Orode [8] : il a confondu l’un des enfans d’Artaban avec l’autre. Celui qui se nommait Orode ne fut point roi d’Arménie ; mais il y fut envoyé pour venger la mort d’Arsaces, son frère aîné, et il y pensa mourir à la peine ; car s’étant battu corps à corps avec Pharasmane, roi d’Ibérie, durant la bataille, il fut bien blessé, mais non pas tué, comme le bruit en courut sur l’heure, au grand préjudice des Parthes [9], et comme Josephe l’a depuis assuré dans ses Antiquités judaïques [10].

(E) Il mourut … par le crime de Gotarze, son fils, ou son frère. ] La manière dont l’exact M. de Tillemont s’est exprimé est trompeuse, Artabane mourut bientôt après, dit-il [11], par le crime de Gotarze, son frère, selon Tacite, ou plutôt son fils, comme l’assure Josephe. Il n’y a personne qui, en lisant ces paroles, ne s’imagine que Josephe dit que Gotarze fit mourir son père Artaban. Néanmoins il ne le dit pas : il parle d’Artaban comme d’un homme qui mourut de maladie ; il lui fait succéder Varadan, son fils, et à celui-ci Gotarze, autre fils d’Artaban. Chose étrange, que Tacite et Josephe conviennent si peu, dans des circonstances Capitales, sur des choses si voisines de leur temps ! celui-ci donne à Artaban une mort paisible et plusieurs fils ; l’autre le fait périr avec sa femme et son fils, par le crime de son frère, ce qui semble signifier qu’Artaban n’avait qu’un fils. On ne sait de quel côté se ranger, vu que Tacite n’est guère exempt de contradiction. D’abord il pose que Gotarze était frère d’Artaban ; mais peu après il le fait frère de Bardanes, et il insinue très-clairement que Bardanes était fils d’Artaban ; car il le représente fort en colère contre ceux de Séleucie, tant parce qu’ils ne se soumettaient point à lui, qu’à cause qu’ils avaient été rebelles à son père. In quos ut patris sui quoque defectores, irâ magis quàm ex usu præsenti accensus [12]. Quel est ce père, si ce n’est pas Artaban ? Je serais presque tenté de croire que l’Artaban dont parle Tacite [13] était le fils qui avait déjà succédé, ou qui devait succéder au roi Artaban, et que Gotarze, autre fils du roi Artaban, se défit de ce frère, afin de régner, et enveloppa, pour plus grande sûreté, la femme et le fils dans la même ruine que le père. Cette conjecture dissipe toutes les contradictions. Mais voici d’autres diversités entre Josephe et Tacite. Celui-ci fait mourir Gotarze de maladie, et lui donne Vonones pour successeur, auquel il fait succéder son fils Vologèse [14]. Josephe fait périr Gotarze par la trahison de ses sujets, et lui donne pour successeur immédiat son frère Vologèse [15].

  1. Joseph., Antiq., lib. XVIII, cap. III.
  2. Tacit., Annal., lib. II, cap. II.
  3. Id., ibid., cap. IV.
  4. Id., ibid., cap. LVIII.
  5. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XXXI.
  6. En l’an de Rome 788.
  7. Tacit., lib. VI, cap. XXXII et seq.
  8. Idem, lib. VI, cap. XXXVI.
  9. Dio, lib. VIII, sub fin.
  10. In Hyrcanis repertus est inluvie obsitus, et alimenta arcu expediens. Tacit., Anal., lib. VI, cap. XLIII.
  11. Id., ibid., cap. XLIV.
  12. Sueton., in Calig., cap. XIV. Voyez la remarque (C).
  13. Dio, lib. LIX.
  14. Joseph., Antiquit., lib. XX, cap. II.
  1. Tacit., Annal., lib. II, cap. III.
  2. Joseph., Antiquit., lib. XVIII, cap. III. Tacit., Annal., lib. II, cap. II.
  3. Dio, lib. LVIII, sub fin.
  4. Sueton., in Tiberio, cap. LXVI.
  5. Idem, in Caligulâ, cap. XIV.
  6. Dio, lib. LIX.
  7. Joseph., Antiquit., lib. XVIII, cap. VI.
  8. Id., ibid., cap. III.
  9. Fama occisi falsò credita exterruit Parthos, victoriamque concessêre. Tacit., Annal., lib. VI, cap. XXXV.
  10. Joseph., Antiquitat., lib. XVIII, c. III.
  11. Tillemont, Histoire des Empereurs, à l’an 47, pag. 467, édition de Bruxelles.
  12. Tacit., Annal., lib. XI, cap. VIII.
  13. Inter Gotarzis pleraque sæva (qui necem fratri Artabano conjugique ac filio ejus properaverat, d’autres lisent, præparaverat, undè metus ejus in cæteros) accivêre Bardanem. Tacit., Annal., lib. XI, cap. VIII.
  14. Idem, Annal., lib. XII, cap. XIV.
  15. Joseph. Antiquitat., lib. XX, cap. II.

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