Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Andrelinus


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ANDRELINUS (P. Faustus), natif de Forli, en Italie, a été pendant fort long-temps professeur en poésie dans l’université de Paris. Louis XII le fit poëte couronné [a] : je ne sais point si la reine Anne de Bretagne, ou quelque autre reine, l’honora de sa protection spéciale ; mais je sais bien qu’Érasme, qui l’avait connu fort particulièrement, a dit qu’il était, non-seulement poëte du roi, mais aussi poëte de la reine (A). Il ne s’est pas contenté de faire des vers ; il a écrit aussi en prose quelques Lettres morales et proverbiales, qui ont été imprimées diverses fois. On en fit une édition à Strasbourg, l’an 1517, et une autre sur la seconde révision de l’auteur, l’an 1519 [b]. Beatus Rhenanus y joignit une préface, où il les loue beaucoup (B). Elles ont été commentées par Jean Arboréus, théologien de Paris. La plupart de ses poésies sont des distiques : ils ont été imprimés, avec le commentaire dont Josse Badius Ascensius les voulut bien honorer ; traduits vers pour vers en français, par un poëte de Paris, qui s’appelait Étienne Privé [c]. Cette traduction parut l’an 1604, et n’est propre qu’à faire mépriser l’original. Jean Paradin avait déja mis [d] en quatrains français une centaine des distiques [* 1] qu’Andrelinus adressa à Jean Ruzé, trésorier général des finances du roi Charles VIII, pour le remercier d’une pension forte et honorable que ce prince lui faisait payer avec des soins extraordinaires ; et qui ne méritait pas le déshonneur que ce plaisant poëte a pensé lui faire en nous donnant lieu de croire qu’on lui payait ses vers au quarteron ou au cent [e](C). Les poésies d’Andrelinus ont été insérées dans le premier tome des Délices des poëtes italiens, quoique les connaisseurs les aient peu estimées (D). On met sa mort à l’année 1518 (E). Les lettres qu’il avait écrites en proverbes ont été jugées dignes d’une nouvelle impression, à Helmstat, en 1662, selon l’édition de Cologne de 1509 [f]. Les mœurs de cet auteur n’étaient pas de bon exemple[* 2] ; mais on l’épargna là-dessus, à cause qu’il donnait du lustre à l’université de Paris. Il fut si heureux, que la liberté qu’il prit de piquer les théologiens ne lui fit pas des affaires. C’est Érasme qui nous apprend ces petites particularités (F).

Notez que j’ai laissé tout cet article dans la seconde édition de cet ouvrage au même état où il était dans la première édition, quoique l’on m’eût averti qu’il le fallait réformer en divers endroits. J’ai cru qu’il y aurait plus de modestie à donner à part les corrections qui n’ont été indiquées (G). Vous les trouverez ci-dessous dans une remarque [* 3].

  1. * L’ouvrage d’Andrelinus est intitulé : Hecatodisticon, 1512 et 1513, in-4o. C’est de l’un de ces distiques qu’est extrait le vers cité par Bayle dans la remarque (I) de son article Apelles.
  2. * Joly remarque qu’Andrelinus était ecclésiastique et chanoine de Bayeux, comme ou le voit par le titre de son livre intitulé : Publii Fausti Andrelini canonici Baiocensis de regiâ in Genuenses victoriâ, libri tres. Paris, 1509, in-4o.
  3. * Malgré les corrections faites par Bayle, P. Marchand, tome II, pag. 269, dit que cet article n’est pas un des meilleurs de son Dictionnaire. Il reproche surtout à Bayle de n’avoir pas fait mention d’un fameux dialogue contre le pape Jules II, intitulé : Julius, etc., qui non-seulement a été attribué à Andrelini, mais réimprimé avec ses initiales sous ce titre : F. A, F. (Fausti Andrelini Forojuliensis), Poetæ regii Libellus de obitu Julii pontificis maximi, anno domini m. d. xiii, in-8°., sans adresse, dont il existe une traduction française intitulée : Dialogue entre saint Pierre et Jules II, à la porte du paradis, suivi de la doctrine catholique touchant l’autorité des papes, Amsterdam, 1727, in-12. Bayle, au reste, a parlé de cet opuscule à l’article Jules II, remarque (N). Il n’ose affirmer de qui est l’ouvrage. Baluze et Wolfius le croyaient d’Érasme. Joly l’attribue à Ulric Hutten (dans ses remarques sur l’article Jules II).
  1. Faustus Andrelinus item poëta suavissimus à Ludovico XII, Franciæ rege, laureâ coronatus. Leand. Alberti Descript, Ital., pag. 478.
  2. Gesneri Bibliotheca, pag. 573.
  3. Baillet, Jugemens sur les poëtes, tom. III, pag. 121.
  4. En 1545.
  5. Baillet, Jugem. sur les poëtes, citant Colletet, pag. 118, 125 et 126 de l’Art poétique.
  6. Morhosii Polyhistor., pag. 258.

(A) Érasme, … dit qu’il était poëte du roi et de la reine. ] Voici comme il en parle : Faustus Andrelinus, Foroliviensis, poëta non solùm laureatus, verùm etiam regius, atque etiam, si Diis placet, regineus, vetus congerro meus, qui plus quàm triginta jam annos in celeberrimâ Parisiorum Academiâ poëticen docet, in carmine quod de Pavimento Parisiensi inscripsit, adagionem (Syracusana Mensa) in Anglos derivavit, Mensa, inquiens, Britanna placet[1]. On voit parmi les lettres d’Érasme[2] deux ou trois billets qu’Andrelinus lui écrivit d’un style si laconique, qu’en comparaison les lettres de Brutus passeraient pour longues. Érasme, qui lui répondit en même style, est un peu plus diffus lorsqu’il le prie de faire valoir ses adages[3], et lorsqu’il lui décrit les plaisirs de l’Angleterre, afin de l’y attirer [4]. Je remarquerai en passant que c’est une fort mauvaise coutume aux auteurs, de ne désigner le temps auquel ils écrivent que par le terme vague de nunc, jam, etc. Il faudrait qu’ils marquassent précisément l’année ; car outre qu’il y a des livres auxquels on travaille plusieurs années de suite, ou qui ne paraissent que longtemps après que l’auteur y a mis la dernière main, n’y en a-t-il pas qui s’impriment plusieurs fois ? À quoi se peut-on fixer alors, si l’on rencontre un hoc anno, un nunc, et choses semblables ? Voici Érasme, qui nous parle d’Andrelin comme d’un homme plein de vie, et qui enseignait depuis trente ans la poëtique dans Paris. Il dit cela dans un livre imprimé l’an 1546, où la préface n’est point datée, mais où il y a une épître dédicatoire datée du 3 d’août 1528. Cela n’est-il point capable de faire croire qu’Andrelin vivait l’an 1528 ? Et ne faut-il pas recueillir de là que les plus grands hommes, quand ils revoient leurs ouvrages pour une nouvelle édition, y laissent mille choses qui ne sont plus vraies ? J’ai remarqué ce défaut dans la dernière édition de la grande Histoire de France de Mézerai.

(B) Beatus Rhenanus mit une préface à ses lettres, où il les loue beaucoup. ] Voici les paroles de Gesner : Beatus Rhenanus in Præfatione commendat has epistolas tanquam eruditas, lepidas et utiles. « Etsi enim hic author, (inquit) in nonnullis opusculis genuino poëtarum more lasciviusculus sit, hic tamen integrum ac modestum oratorem agit[5]. »

(C) On a lieu de croire qu’on lui payait ses vers au quarteron ou au cent. ] M. Baillet apporte pour preuve de cela ces quatre vers, traduits du latin d’Andrelinus, par Paradin[6] :

Croissez, mes vers, soyez en plus grand nombre ;
Car c’est aux frais et salaires du roi.
Seure richesse, empeschant tout encombre,
Exige vers en copieux arroi.


La dixième églogue d’Andrelin nous donne une chose rare : c’est un poëte qui, bien loin de se plaindre de l’ingratitude de son siècle et d’accuser les muses de ne procurer pas du pain à ceux qui se mettent à leur service, reconnaît que sa pension était copieuse ; et que lorsqu’il récita devant Charles VIII son poëme sur la conquête de Naples [* 1], il en reçut un sac d’argent, qu’il pouvait à peine porter sur ses épaules.

Dum stupeo totus visu defixus in isto,
Jupiter ecce venit magno stipatus honore ;
Ipse olim vultus inter nutritus agrestes
Admiror primo aspectu : mox poplite flexo
Ante ipsum quæsita Jovem modulamina fundo,
Scilicet ut bello claram expugnavit aperto
Parthenopem, patrios victorque redivit in agros,
Quamvis Hesperio vetitus foret orbe regressus,
Nescio quâ nostre captus dulcedine cantùs
Ipse fuit, fulvi saccum donavit et æris
Vix istis delatum humeris, cunctosque per annos
Pensio larga datur, quulem non lentus habebat
Tityrus umbrosis resonans sua gaudia sylvis.

(D) Les connaisseurs ont peu estimé ses poésies. ] Vossius nomme trois auteurs qui enfermaient de grands riens dans une grande multitude de paroles [7] : le premier est l’orateur Anaximènes, le second est Longolius, aussi orateur, le troisième est le poëte Andrelin. Quant au premier il rapporte que Théocrite de Chio, le voyant prêt à haranguer, se mit à dire : Une rivière de paroles commence à couler, et une goutte de sens. Ἀρχεται λέξεων μὲν ποταμὸς, νοῦ δε ςαλαγμός. Il dit, sur la foi de François Luisinus, que Constantin Lascaris faisait le même jugement de Longolius ; mais qu’on l’a fait plus justement d’Andrelin, dans les poésies duquel il ne manquait qu’une syllabe, comme Érasme le disait fort ingénieusement. Cette syllabe était νοῦς, qui signifie sens, entendement, esprit. Si je savais où Érasme a parlé d’une manière si peu conforme aux grands complimens et aux grands éloges qu’il a écrits à Andrelin [8], je le dirais. Je ne doute point que le jugement fait par Jules Scaliger, du poëte Faustus, ne concerne celui-ci, plutôt que Gerhardus Faustus. Fausti facilitas, dit-il[9], viventis in scribendo secundo plausu excepta est, scholas tamen sapit illa juniorum, à quâ nihil aliud quàm hoc ipsum expectes.

(E) On met sa mort à l’année 1518. ] Je ne citerai point la Bibliothéque de Konig, ni les Lettres du savant Reinesius à Daumius[10]. J’ai un témoin contemporain, qui, dans une lettre datée du 6 de mars 1518, remarque que cette année avait emporté quelques hommes doctes : Hic annus multos eximios viros tuî similes absumpsit, Marcum Musurum Romæ, tum archiepiscopum designatum, et ante hunc Paleotum Camillum, Lutetiæ Faustum immortalitate dignum[11]. On aurait tort de conclure de ces paroles, qu’Andrelin est mort l’an 1518 [* 2] ; car il est certain que Musurus mourut l’an 1517[12].

(F) C’est Érasme qui nous apprend ces petites particularités. ] On sera bien aise de les voir ici en original : Parisiensis Academiæ candorem ac civilitatem jam olim sum admiratus, quæ tot annos Faustum tulerit, nec tulerit solùm, verùm etiam aluerit evexerit que. Cùm Faustum dico, multa tibi [13] succurrunt quæ nolim litteris committere. Quâ petulantiâ solitus est ille in theologorum ordinem debacchari ? Quàm non casta erat illius professio ? Neque cuiquam obscurum erat qualis esset vita. Tantum malorum Galli doctrinæ hominis condonabant, quæ tamen ultra mediocritatem non admodùm erat progressa[14]. Voyez la différence de style entre les lettres qu’Érasme écrivait à Andrelin, et celles qu’il écrivait à d’autres touchant Andrelin. Il est même vrai qu’il parle de lui quelquefois avec éloge dans les lettres qu’il écrivit à d’autres[15].

(G) Je donnerai... les corrections qui m’ont été indiquées, etc. ] Voici mot pour mot les remarques que M. de la Monnoie a bien voulu me communiquer : « 1°. Au lieu de P. Faustus, il fallait mettre tout au long Publius Faustus, de peur qu’on ne s’imagine que ce P. signifie Petrus, Paulus, ou tel autre nom de baptême. Faustus prit vraisemblablement à Rome ce nom de Publius, à l’exemple de ces académiciens amateurs de l’antiquité, desquels Pomponius Lætus était le chef. 2°. On ne doit point dire dans un Dictionnaire que Faustus ait simplement été professeur en poésie dans l’université de Paris. Il y enseigna, non-seulement la poésie, mais aussi la rhétorique et la sphère. Il y expliqua même les Psaumes de David. 3°. Ce fut à Rome, long-temps avant le règne de Louis XII, que Faustus, qui n’avait pas alors vingt-deux ans, remporta la couronne de laurier[16]. Ses vers amoureux, divisés en quatre livres, intitulés Livia, du nom de sa maîtresse, furent trouvés si beaux par l’Académie romaine, qu’elle adjugea le prix de l’élégie latine à leur auteur sur les autres poëtes ses concurrens. C’est de là, que faisant imprimer sa Livie, in-4o, à Paris, l’an 1490, et ses trois livres d’élégies, quatre ans après, en la même ville, il prit droit de s’intituler Poëta laureatus, joignant depuis à cette qualité celle de Regius et de Regineus, par rapport à Charles VIII, à Louis XII, et à la reine Anne. 4°. Pour trouver le compte des trente années qu’il y avait que Faustus était professeur à Paris, il faut supposer qu’Érasme faisait cette supputation l’an 1517. On remonte par ce moyen jusqu’en 1487, qui est le temps à peu près de établissement de Faustus à Paris. Cette chronologie est d’autant plus véritable, qu’il y eut en 1517 une édition des Adages d’Érasme[17], de laquelle il fait mention dans Chœnici ne insideas. 5°. Les distiques de Faustus ne passent pas le nombre de deux cents, et ne font par conséquent qu’une très-petite partie de ses poésies ; puisqu’outre les quatre livres d’amour et les trois livres d’élégies mêlées, dont j’ai parlé, il y a douze églogues de lui, imprimées in-8o., l’an 1546, dans le Recueil des XXXVIII poëtes bucoliques publié par Oporin. Faustus promettait plusieurs autres pièces en prose et en vers : Decem Satiras morales ; Epistolas centum ; Christianum Adventum, qui est peut-être la même chose que ce qu’il appelle ailleurs Opus de verâ Religione ; Sphæricum Dialogum ; Repertorium sive Observationes Linguæ latinæ ».

Ce qui manquait à mon article d’Andrelin y aurait été assurément, si j’avais eu les Œuvres de cet auteur ; mais n’ayant pu m’en servir, je fus obligé de suivre des gens qui avaient parlé de lui sans les avoir consultées : et voilà comment des aveugles conduisent d’autres aveugles. C’est un grand malheur, quand on fait un dictionnaire tel que celui-ci, que de n’avoir pas tous les livres nécessaires ; mais c’est un malheur qu’il m’est impossible de détourner dans la situation où je suis.

  1. * Ce doit être là qu’Andrelinus ayant dit, ce semble, que des conquêtes et des victoires du roi Charles VIII, quoique bientôt évanouies, la flétrissure (stigmata) en demeurait pourtant empreinte sur le front des Italiens. Brantome qui, au lieu de vera stigmata, lisait vera stemmata, fait dire à ce poëte que les victoires et faits belliqueux du roi Charles VIII étaient sur le front des Italiens autant de belles marques et enseignes, Voyez Brantome, Hommes illustres français, tom. IV, pag. 25., Rem. crit.
  2. * Joly, d’après Ravisius Textor, affirme qu’Andrelini est mort le 25 février 1518.
  1. Erasm. Adag. LXVIII, cent. II, chiliad. II.
  2. Lib. V, pag. 316, edit. Londinensis.
  3. Erasmi Epist. XXIII, et X libri V, pag. 321 et 315.
  4. Erasmi Epist. XXIII, et X libri V, pag. 321 et 315.
  5. Gesneri Biblioth., fol. 573.
  6. Jugem. sur les poëtes, tom. III, pag. 122.
  7. Vossius, Institut. Poëtic., pag. 2.
  8. Voyez la XXIIIe. lettre du Ve. livre d’Érasme.
  9. Jul. Cæs. Scalig., de Poëtic., lib. VI, pag. 736. Voyez Baillet, Jugem. sur les Poëtes, tom. III, pag. 122.
  10. Pag. 15.
  11. Erasm. Epist. XX, lib. III, ad Petrum Barbirium. Voyez aussi l’Epîtr. XXIV du IIe. livre.
  12. Voyez les remarques sur son article.
  13. Il écrit à Louis Vivès.
  14. Erasm., Epist. XX, lib. XXI, pag. 1090.
  15. Voyez la remarque (E).
  16. Ceci tombe sur Léandre Alberti, que j’ai cité.
  17. La faute d’Érasme consiste, comme je l’ai observé dans la remarque (A), en ce qu’il ne changea point la chronologie dans les éditions postérieures.

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