Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Andreini


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ANDREINI (Isabelle), native de Padoue, a été sur la fin du XVIe. siecle, et au commencement du XVIIe., une des meilleures comédiennes d’Italie. Ce n’était point le seul endroit par où elle se faisait admirer : elle faisait des vers en perfection. On le sait, non-seulement par les éloges qu’une infinité de savans et de beaux esprits lui ont donnés (ce serait une preuve un peu équivoque), mais aussi, par les ouvrages qu’elle fit sortir de dessous la presse. Les Intenti [a] de Pavie crurent faire honneur à leur corps en l’y agrégeant. Pour leur témoigner sa reconnaissance, elle n’oubliait jamais dans ses titres celui d’Academica Intenta ; et sans doute elle songeait aussi à se faire honneur par cette sorte de qualité. Voici toutes ses qualités : Isabella Andreini, Comica Gelosa, Academica Intenta, detta l’Accesa. Elle avait une chose qui n’est pas des plus communes parmi les excellentes actrices : c’est qu’elle était belle ; de sorte qu’elle charmait sur le théâtre, et les yeux, et les oreilles, en même temps (A). Le cardinal Cinthio Aldobrandini, neveu de Clément VIII, la considéra beaucoup, comme il paraît par quantité de poésies qu’elle composa pour lui, et par l’épître dédicatoire de ses ouvrages. Elle vint en France, et y fut favorablement reçue par leurs majestés, et par les personnes les plus qualifiées de la cour [b]. Elle composa plusieurs sonnets à leur louange, qui se voient dans la seconde partie de ses poésies. Elle mourut d’une fausse couche, à Lyon, le 10 de juin 1604, dans la quarante-deuxième année de sa vie. Son mari, Francois Andreini, la fit enterrer dans la même ville, et l’honora d’une épitaphe (B), qui témoigne qu’elle avait beaucoup de piété et de chasteté. Il a fait savoir au public, depuis ce temps-là, qu’il la regrettait (C) et qu’il l’estimait beaucoup. La mort de cette comédienne mit en pleurs tout le Parnasse : ce ne furent que plaintes funèbres, en latin et en italien. On en imprima beaucoup à la tête de ses poésies, dans l’édition de Milan, en 1605 [* 1]. On n’y oublia pas l’inscription ingénieuse qui avait été faite à sa louange, pendant qu’elle était encore en vie, par Érycius Puteanus, professeur en ce temps-là à Milan [c]. Outre des sonnets, des madrigaux, des chansons et des églogues, on a une pastorale de sa façon, intitulée Mirtilla. On a aussi des lettres, qui furent imprimées à Venise, l’an 1610 [* 2]. Elle chantait bien, et jouait admirablement des instrumens, n’ignorait pas la philosophie [d], et entendait le français et l’espagnol.

  1. * Voyez ma note sur la fin de la remarque (C).
  2. * Le volume in-4o. de ces lettres est daté de 1607 et non de 1610. « On remarque, dit M. Ginguené, dans la Biographie universelle, on remarque comme une singularité bibliographique, que la date de l’épître dédicatoire adressée au duc de Savoie, porte, ainsi que le frontispice du livre, la date de 1607, et que cependant Isabelle était morte en 1604. »
  1. C’est ainsi qu’on nomme les académiciens de Pavie.
  2. Voyez l’épître dédicatoire de la IIe. partie de ses poésies.
  3. Voyez la remarque (A).
  4. Voyez les vers à sa louange, à la tête de ses poésies.

(A) Elle charmait et les yeux et les oreilles. ] Cela fournissait bien des pensées aux flatteurs. On mit au bas de son portrait : Hoc histricæ eloquentiæ caput, lector, admiraris ; quid si auditor sies ! Les antithèses et les pointes d’Érycius Puteanus roulent là-dessus pour la plupart :

Hanc vides, dit-il, et hanc audis :
Tu disputa, Argus esse malis ut videas,
An Didas ut audias.
Tantum enim sermonem vultus
Quantùm sermo vultum commendat :
Quorum alterutro æterna esse potuisset,
Cum vultum omnibus simulacris emendatiorem,
Et sermonem omni Suadâ venustiorem possideat.

(B) Son mari l’honora d’une épitaphe. ] Quand ce ne serait que pour désabuser ceux qui parlent tant de la rigueur de l’église, par rapport à la sépulture de comédiens en terre sainte, je copierai ici l’épitaphe d’Isabelle Andreini, où l’on voit sa profession de comédienne tout joignant l’espérance de la résurrection :

D. O. M.
Isabella Andreina, Patavina, mulier magnâ virtute prædita, honestatis ornamentum, maritalisque pudicitiæ decus, ore facunda, mente fecunda, religiosa, pia, Musis amica, et artis scenicæ caput, hìc resurrectionem expectat.

Ob abortum obiit 4 Idus Junii 1604, annum agens 42.

Franciscus Andreinus mæstissimus posuit [* 1].

La remarque suivante fera savoir la tendresse conjugale de François Andreini.

(C) Son mari a depuis fait savoir au public qu’il la regrettait. ] La préface de ses Bravure del Capitano Spavento nous apprend qu’il était natif de Pistoye, et, que pendant qu’il fut dans la troupe des comédiens Gelosi, il se plut beaucoup à jouer le personnage d’un Rodomont. Il prenait le titre de Capitan Spavento da Vall’ Inferna, et il quitta le personnage où il s’était principalement signalé, qui était celui d’amant : Lo lasciai di recitare la parte mia principale, laquelle era quella dell’ innamorato. Cette troupe de comédiens s’acquit une réputation surprenante : mais la mort d’Isabelle Andreini fut le commencement d’une triste décadence. Son mari ne songea plus qu’à changer sa qualité d’acteur en celle d’auteur, et il choisit pour la matière de ses ouvrages celle où il s’était exercé sur la scène, je veux dire les rodomontades d’un capitan. Il fit des Dialogues ou des Ragionamenti en prose, et leur donna le titre que j’ai rapporté ci-dessus. L’édition dont je me sers, qui est la quatrième, est de Venise, en 1623, in-4o. ; mais, comme le privilége est daté de l’an 1607, on doit placer à cette dernière année la première édition. On voit à la tête du livre les complaintes du Berger Corinto alla defunta sua Fillide (il la nomme sa femme), et alla sua Boscareccia Sampogna. Jamais amant ne poussa plus loin les expressions passionnées et ne murmura plus fortement contre la rigueur inexorable du destin. Ce sont sans doute les regrets d’Andreini sur la mort de son Isabelle. Mais voici des paroles qui ne laissent rien à conjecturer : Finito che fu quel termine, e venuto meno il vivere d’Isabella mia dilettissima sorte (la quale fu lume e splendore di quella virtuosa e honorata compagnia) fui da molti amici miei consigliato à scrivere alcuna cosa et donarla alla stampa, per lasciar qualche memoria di me, e per seguitare l’honorato grido della moglie mia, la quale aveva lasciato al mondo con tanta sua gloria, e con tanto suo honore, il suo bellizzimo canzoniero, la sua bellissima Mirtilla favola boscareccia, e il compendio delle sue bellissime Lettere[1]. Il y a un Jean Baptiste Andreini qui a fait une tragédie intitulée La Florinda, imprimée à Milan, en 1606 [* 2].

  1. * Joly rapporte une autre épitaphe qui accompagne celle à laquelle Bayle a dû se borner.
  2. * Joly dit qu’il était fils d’Isabelle, et que ce fut lui qui publia le recueil de 1605, cité dans le texte.
  1. Prefat., del Capitano Spavento.

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