Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aconce


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ACONCE (Jacques), en latin Acontius, philosophe, jurisconsulte et théologien, naquit à Trente, au XVIe. siècle[a]. Il embrassa la réformation ; et, ayant passé en Angleterre au temps de la reine Elisabeth, il reçut mille marques de bonté de cette princesse, comme il le témoigne à la tête du livre qu’il lui dédia (A). C’est le fameux recueil des Stratagèmes du Diable, qui a été si souvent traduit, et si souvent imprimé. La première édition est celle de Bâle, en 1565 : l’auteur mourut peu après en Angleterre [b]. Jacques Grasserus en procura une seconde édition à Bâle, l’an 1610, où l’on trouve bien la lettre d’Aconce de Ratione edendorum Librorum, dans laquelle il donne des conseils si salutaires à ceux qui se veulent ériger en auteurs ; mais on n’y trouve pas son traité de la Méthode [c], qui est une bonne pièce (B), quoique l’auteur ne l’eût publiée que comme un essai[d]. Il avait composé en italien un ouvrage touchant la manière de fortifier les villes, lequel il mit lui-même en latin pendant son séjour en Angleterre[e] ; mais je ne crois pas qu’on l’ait jamais imprimé. Il travaillait aussi à une logique[f], à quoi la mort apparemment l’empêcha de mettre la dernière main. Ce fut dommage ; car c’était un homme qui pensait juste, qui avait beaucoup de discernement et beaucoup de pénétration. Il s’était formé l’idée la plus raisonnable de cet ouvrage, et il se croyait obligé d’y travailler avec d’autant plus de soin, qu’il prévoyait qu’on allait passer dans un siècle encore plus éclairé que celui où il vivait (C). Sa conjecture était bien fondée (D). Il n’a pas eu sur la religion les mêmes principes que Calvin : il penchait beaucoup vers la tolérance, et il a eu en général certaines maximes qui l’ont rendu fort odieux à quelques théologiens protestans (E). J’ai trouvé peu de choses concernant ses aventures[* 1]. Il dit lui-même, en passant, qu’il avait employé une bonne partie de sa vie à l’étude de Bartole, de Balde, et de semblables écrivains barbares, et plusieurs années à la cour[g].

La lettre d’Aconce, qui a été publiée l’an 1606[h], fait voir un esprit exact qui entendait la bonne logique. Elle est datée de Londres, le 5 de juin 1565, et sert d’éclaircissement à une chose qu’il avait dite de Sabellius, et qui avait été critiquée. Notez qu’encore que la plupart des théologiens protestans regardent cet homme avec horreur, il y en a parmi eux qui l’ont fort loué (F).

  1. * On voit dans Chauſepié que J. Aconce laissa quelques-uns de ses papiers à J.-B. Castiglioni qui publia une pièce italienne de lui, intitulée : Una Esortazione al timor di Dio, con alcune rime italiane, nuovamente messe in luce : Londres, sans date.
  1. Moréri le met faussement au XVe. siècle.
  2. Grasserus, in Epistol. ad Lectorem, initio Stratagematum Satanæ.
  3. Voyez-en le titre à la fin de la remarque (B).
  4. Post illud tempus, quo excidit nobis inchoatum illud Methodo Opusculum, scis me bis sedem ac locum mutâsse. Argentoratum primò, deinde in Angliam. Acontius, in Epist. ad Joh. Wolfium Tigurinum de Ratione edendorum librorum, pag. 410. Elle est datée de Londres, le 20 de novembre 1562.
  5. Acontius, Epistola ad Wolfium, p. 410.
  6. Ibidem, pag. 411.
  7. Idem, ibid.
  8. Par M. Crénius, à la page 132, et suiv. de la IIe. partie des Animadversiones Philologicæ et Historicæ.

(A) À la tête du livre qu’il lui dédia. ] Au lieu d’épître dédicatoire, il se contenta d’une inscription canonisante, qui commence par Divæ Elisabethæ, Angliæ, Franciæ, Hiberniæ Reginæ Il déclare qu’il lui dédie son livre, afin de lui témoigner sa gratitude : In signum memoriamque grati animi ob partum ejus liberalitate, quùm in Angliam propter Evangelicæ veritatis professionem extorris appulisset, humanissimèque exceptus esset, litterarum otium. Il dit dans sa lettre à Wolfius, que sa pension soulageait en quelque sorte son indigence, et lui donnait quelque loisir pour étudier : Ut autem quicquid est operæ id istam in artem (muniendorum oppidorum) conferrem, ex parte privatis sum rationibus adductus, etenim in hoc voluntario meo exilio inopiam UTCUNQUE sublevat, et otii ad alia studia suppeditat NONNIHIL, impetrato mihi ab hujus sapientissimæ atque optimæ Reginæ liberalitate honesto stipendio [1]. Quelles restrictions ! et qu’elles marquent qu’il est difficile de contenter les exilés !

Notez qu’il obtint cette pension, non pas en qualité de théologien, mais en qualité d’ingénieur : cela paraît par la raison qu’il allègue pourquoi il donnait son temps à un ouvrage de la fortification des villes.

(B) Qui est une bonne pièce. ] C’est le jugement qu’en a fait un savant cartésien[2], dans une lettre qu’il écrivit au père Mersenne, peu après que les Méditations de M. Descartes eurent vu le jour. « Il témoignait goûter sur toutes choses la méthode avec laquelle M. Descartes avait traité son sujet ; il en admirait les propriétés, et relevait les avantages qu’elle avait sur celle des écoles ordinaires : mais surtout, il estimait son jugement et les raisons pour lesquelles il avait préféré la méthode analytique ou de résolution, à la méthode synthétique ou de composition, tant pour enseigner que pour démontrer. Il n’avait encore trouvé rien de semblable jusque-là hors le petit livre de la Méthode, composé par Jacques Acontius, qui, outre cet excellent traité, avait encore donné un bel essai de la méthode analytique, dans son livre des Stratagèmes de Satan, qu’il conseille de lire à tous ceux qui aiment la paix de l’Église, quoique Acontius n’y soit pas exempt des préjugés de sa communion, et qu’il ait eu intention d’y favoriser ceux de son parti[3]. » Cette petite pièce d’Aconce, sous le titre de Methodus sive recta investigandarum tradendarumque Artium ac Scientiarum ratio, fut insérée, l’an 1658, dans un recueil de dissertations de Studiis benè instituendis, qui fut imprimé à Utrecht.

(C). Qu’on allait passer dans un siècle encore plus éclairé que celui où il vivait. ] Il faut l’entendre lui-même : Voici ce qu’il dit après avoir touché les autres raisons qui rendaient fort difficile l’exécution de son projet. Intelligo etiam me in seculum incidisse cultum præter modum ; nec tam certè vereor eorum, qui regnare nunc videntur, judicia, quàm exorientem quandam seculi adhuc paulò cultioris lucem pertimescor. Etsi enim multos habuit habetque ætas nostra viros præstantes, adhuc tamen videre videor nescio quid magis futurum[4].

(D) Sa conjecture était bien fondée. ] Je crois que le XVIe. siècle a produit un plus grand nombre de savans hommes, que le XVIIe ; et néanmoins, il s’en faut beaucoup que le premier de ces deux siècles ait eu autant de lumières que l’autre. Pendant que le règne de la critique et de la philologie a duré, on a vu par toute l’Europe plusieurs prodiges d’érudition. L’étude de la nouvelle philosophie et relie des langues vivantes ayant introduit un autre goût, on a cessé de voir cette vaste et cette profonde littérature ; mais en récompense, il s’est répandu dans la république des lettres un certain esprit plus fin et accompagné d’un discernement plus exquis : les gens sont aujourd’hui moins savans et plus habiles. Aconce avait donc raison de voir en éloignement un siècle qui serait un juge plus à craindre pour la logique qu’il méditait, que ne le pouvait être le siècle d’alors. Ce n’est pas moi, au reste, qui m’érige ainsi en juge de la supériorité de notre siècle : je ne fais que me conformer au sentiment des connaisseurs les plus fins, « Nous sommes dans un temps, dit l’un d’eux[5], où l’on devient sensible au sens et à la raison plus qu’à tout le reste. En quoi on peut dire, à la louange de notre siècle, que nous connaissons déjà mieux le caractère des auteurs anciens, et que nous sommes plus entrés dans leur esprit que ceux qui nous ont précédés. La différence qu’il y a entre eux et nous est qu’on se piquait bien plus d’érudition dans le siècle passé que dans celui-ci.... C’était le génie de ce temps-là, où rien n’a été plus en vogue que la grande capacité et une profonde littérature : on étudiait à fond les langues ; on s’appliquait à réformer le texte des anciens auteurs par des interprétations recherchées, à pointiller sur une équivoque, à fonder une conjecture pour bien établir une correction : enfin, on s’attachait au sens littéral d’un auteur, parce qu’on n’avait pas la force de s’élever jusqu’à l’esprit pour le bien connaître, comme on fait à présent qu’on est plus raisonnable et moins savant, et qu’on fait bien plus d’état du bon sens tout simple que d’une capacité de travers. »

(E) Odieux à quelques théologiens protestans. ] Afin qu’on ne m’accuse point d’avancer ceci en l’air et sans preuve, je citerai les paroles d’un ministre de la Haye. « Jacobus Acontius, dit-il[6], (de quo jure quod de Origene dici solet, ubi benè, nemo melius ; ubi malè, nemo pejus,) .... fuit..... vir verè doctus, sed ingenii ut acris quidem, ita et elatioris, et justo liberalioris : quin à nescio quali scepticismo et indifferentismo in ipsam Theologiam introducendo haudquaquàm alieni, quod tractatu suo de Stratagematis Satanæ testatum satis fecit, libello (Simone Goulartio judice) omnium malorum pessimo [* 1]. Voetius ei adscribit [* 2], quòd vel imperitè vel subdolè communem confessionis conceptum molitus sit, sub cujus vexillo militari possunt et ipsi Ariani. » Ce qui vient d’être rapporté de Simon Goulart ne se trouve point, que je sache, dans ses livres : je crois qu’on ne le tient que d’Uytenbogard, qui a dit dans quelqu’un de ses ouvrages que lorsqu’il étudiait à Genève, il fut censuré de la lecture d’Acontius par Simon Goulart, et averti que le livre des Stratagèmes de Satan était le plus méchant livre du monde, esse librum omnium malorum pessimum[7]. J’ai trouvé un autre passage de Voetius concernant cette matière : ce docteur y met Aconce parmi les hérétiques qui sortirent d’Italie sous le prétexte de la réformation[8] ; et il assure que si l’on avait pris garde au venin qui est caché dans quelques endroits de son livre[* 3], on l’aurait excommunié ou contraint de signer un formulaire d’orthodoxie. Judicetur quis anguis in herbâ latuerit, quòd hic vir in fundamentalibus assertionibus nunquàm τὸ ὁμοούσιον trium personarum statuerit, nec adversarios, Samosatenum, Photinum, Arrium, Eunomium, Pneumatomachos, aut eorum errores rejecerit, contentus solos illos rejectos, qui negarent filium non esse alium à patre[9].

(F) Il y en a parmi les protestans qui l’ont fort loué. ] M. Crénius fournit des preuves de ces deux faits. Il observe[10] que Conrad Bergius déclare qu’Aconce a raisonné prudemment et pieusement. Ce Bergius était ministre et professeur en théologie à Brême. Le livre où il parla de la sorte est intitulé : Praxis catholica divini canonis contra quasvis hœreses et schismata, etc., et fut imprimé à Brême, l’an 1639, in-8o. Rivet, en ayant eu un exemplaire ex dono autoris, y écrivit quelques remarques dont je rapporte celle qui concerne Aconce. Miror cur (pag. 524), tanti faciat vir doctus judicium Acontii, hominis ambiguæ fidei et Socinianorum vel prodromi, vel commilitonis, cujus rei gratiâ ab Arminianis toties recusus est et commendatus, etiam in varias linguas vulgares translatas. Huic homini scopus fuit, ut ex toto libro apparet, ad tam pauca necessaria doctrinam christianam arctare, ut omnibus sectis in christianismo pateret aditus ad mutuam communionem. Vellem doctiss. et pium virum à talibus laudandis et imitandis abstinuisse[11]. Le livre qui me fournit ce passage, m’apprend aussi qu’Isaac Junius[12], ministre de Delft, mettait Aconce, les remontrans et Socin dans la même classe, et le regardait comme un homme qui voulait réduire à l’unité toutes les sectes et les enfermer dans une même arche, comme Noé enferma toutes sortes d’animaux dans la sienne, où elles furent conservées quoiqu’elles se nourrissent de différentes pâtures. On voit dans le même livre le jugement que Peltius faisait d’Aconce : c’est qu’en réduisant à un petit nombre les points nécessaires au salut, et en demandant la tolérance pour les opinions qui combattaient les autres articles, il n’y avait point d’hérésies à quoi il n’ouvrît la porte[13]. Enfin, on voit dans le même ouvrage, que non-seulement Arminius et Grevinchovius ont donné beaucoup de louanges à notre Aconce ; mais aussi, qu’Amésius et George Pauli[14], théologiens réformés, l’ont fort loué. Jacobo Arminio tamen in Respons. ad excerpta theol. Leidens. pag. 65. Acontius est divinum prudentiæ ac moderationis lumen. Amesio præfat. ad Puritan. Anglicanos et Grevinchovio in Abstersione calumn. Smoutii pag. 125. apud B. Hulsemannum in Dedicat. Supplementi Breviarii Theologici pag. 6. idem Acontius est δυνατώτατος όν ταῖς γραϕαῖς, qui sementem Ecclesiæ anglicanæ calore et rore cœlesti fovit sedulò[15].

  1. (*) Trigland. Hist. Eccles. pag. 232.
  2. (*) Voetius, Politic. Eccles. part. III, in Indice, et pag. 31, 398.
  3. (*) Pag. 114, 123, 341, édit. Basil. An 1610.
  1. Acontii Epist. ad Wolfium, de Ratione edendorum librorum, pag. 411.
  2. Heulnerus. Sa lettre est datée du 29 d’août 1641. Voyez Baillet, Vie de Descartes, tom. II, pag. 128
  3. Baillet, là même.
  4. Acontii Epist. ad Wolfium, pag. 412.
  5. Le père Rapin, dans la préface de la Comparaison de Thucydide et de Tite-Live.
  6. Saldenus, de Libris, etc., pag. 337, 338.
  7. Uytenbogard, Historia, Belgicè conscripta, cap. I, pag. 7, edit. in-4.
  8. Voetius, Disput. theol. tom. I, pag. 495.
  9. Voetius, Disput. Theolog. tom. I, p. 501.
  10. Thom. Crenius, Animadv. Philolog. et Historicar., parte II, pag. 32.
  11. Rivet. apud Crenium, ibid : pag. 30.
  12. Isaac. Junius in Examine Apologiæ Remonstrantium, pag. 45, apud Crenium, ibid.
  13. Peltius in Dedicatione Harmoniæ, apud Crenium, ibid. pag. 31.
  14. In Reformato Augustano, seu Apologia pro dictatis suis de Aug. Confess. apud Crenium, ibid. pag. 32.
  15. Crenius, ibid. pag. 31.

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