Dictionnaire historique d’argot /Édition Dentu/1881/Supplément, A

Les éclaircissements, les exemples nouveaux et les rectifications sont distingués par un astérisque renvoyant au même mot dans le corps du Dictionnaire.




SUPPLÉMENT


Le supplément de cette troisième édition est considérable.
    Outre beaucoup d’errata et d’explications nouvelles, il s’y trouve un grand nombre d’expressions négligées jusqu’ici à dessein.
    Depuis vingt ans, j’avais pris à tâche de justifier chaque mot par des exemples pris dans des livres connus (voyez page xxviii de l’introduction), mais, à leur défaut, des publications similaires m’ont depuis offert une compensation inespérée. Ainsi grâce au Dictionnaire de ta langue verte de Delvau, au Dictionnaire du jargon parisien, de M. Lucien Rigaud, et au Dictionnaire d’argot militaire (inédit encore), de M. Désiré Lacroix, pourrai-je présenter un contingent auquel je n’aurais osé toucher sans la garantie du nom de leurs auteurs : ils seront ici scrupuleusement cités.
    Enfin les romans de l’école naturaliste m’ont fourni un appoint d’exemples fort précieux.


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A


ABAT-JOUR : Visière. — Vient de l’armée d’Afrique où la visière de képi est surtout appréciée à ce point de vue. (D. Lacroix.)

ABATTAGE : Action d’abattre son jeu au baccarat. — « Il y a abattage toutes les fois qu’un joueur a d’emblée le point de neuf ou de huit. » (Rigaud.)

ABATTAGE : Ouvrage vivement exécuté. (Idem.)

ABATTAGE : Sévère réprimande. « Le patron est un bon garçon ; il avait raison de lui foutre un abattage. » (Le Sublime.)

ABATTOIR : Cachot des condamnés à mort. — Ils y vont pour périr, comme les animaux. (A. Pierre.)

ABCÈS : Homme à visage boursouflé. (Delvau.) — Allusion à son apparence malsaine.

* ABOMINER : Vieux mot employé déjà par Marot.

ABONNÉ AU GUIGNON : N’avoir pas de chance. (Delvau.) — On dit aussi plus simplement : il est abonné — de celui auquel arrive à plusieurs reprises soit un bonheur, soit un accident.

ABORGNER (S’) : Regarder avec attention. Argot de voleurs. (Rigaud.) — Mot à mot se rendre borgne. — On ferme un œil pour mieux voir de l’autre. C’est bien s’aborgner en ce sens.

ABOTÉ : Mal ajusté. V. Choufliqué. — Pour saboté.

ABREUVOIR : Cabaret. (Delvau.)

ABRUTI : Élève assidu à l’étude. (Id.) Se dit aussi par abréviation d’un homme abruti par les excès.

ABS : Absinthe. (Id.)

ABSINTHER (S’) : Boire de l’absinthe. (Rigaud.) Se dit aussi des vieux buveurs pour caractériser leur passion dominante : Que devient X ? — Il s’absinthe. — C’est-à-dire il se grise quotidiennement en buvant plusieurs verres d’absinthe.

ACCENTUER SES GESTES : Se livrer à des voies de fait. (Delvau.)

ACCŒURER : Accommoder de bon cœur. (Id.)

ACCROCHER UN PALETOT : Mentir. Argot du peuple. (Rigaud.)

* ACHATE : Latinisme employé de très-ancienne date. On l’écrivait acate ; on a même dit acatesse pour amitié.

ACRÉ : Paix ! silence ! — Il y a de l’acré : cela va mal, le patron n’est pas content. (Rigaud.) Acré semble une forme d’acrèe qui est de date plus ancienne.

ACRÉE, ACRIE : Le répertoire d’Al. Pierre donne Acrèe avec le sens de méfier ; Delvau donne acrèe, acrie : méfiance.

ACTIONNAIRE : Homme crédule et simple. (Id.) — Mot expressif dû aux nombreuses déconfitures de sociétés par actions.

ADROIT DU COUDE : Ouvrier buveur. (Delvau.) — Mot à mot : adroit à lever le coude. V. p. 120.

AFF (avoir ses) : Avoir ses affaires. (V. page 3.) — Abréviation.

* AFFURE : Avance d’argent sur un ouvrage. On dit aussi avoir du poulet, jargon d’ouvriers. (Rigaud.)

AGATE : Faïence. (Delvau.) — Elle reluit comme l’agate et se colore souvent comme elle.

AGOBILLE : Outil. Jargon de voleur. (A. Pierre.)

AGRÉMENT (avoir de l’) : Obtenir des applaudissements. Argot théâtral. (Bouchard.)

ALENTOIR : Aux environs. — Argot de voleur. (Vidocq). — C’est alentour avec changement de finale.

ALLER À COMBERGE : Aller à confesse. (Delvau). — Comberge est ici abréviation de combergeante.

ALLER À LA CHASSE AVEC UN FUSIL DE TOILE : Mendier. (Id.) — Fusil est ici pour sac, car le mendiant est un vrai chasseur à la charité.

ALLER À LA COUR DES AIDES : Tromper son mari. (Id.) — Mot à mot : lui chercher des aides. Jeu de mots sur une ancienne juridiction. Je ne crois pas que ce mot ait encore cours. Il est donné par Leroux.

ALLER À SES AFFAIRES : Faire ses nécessités. (Id.)

ALLER AU CARREAU : Se faire engager. Argot des musiciens qui ont l’habitude en pareil cas de se réunir rue du Petit-Carreau. (Id.)

ALLER AU SAFRAN : Manger son bien. (Id.)

ALLER AU TROT : Aller faire le boulevard. Argot des filles. (Id.) — Allusion à la vitesse de leur marche.

ALLER SE FAIRE FAIRE : Le second faire est ici pour fiche. V. p. 7.

ALLER EN GALILÉE : Remanier. (Terme d’imprimerie.) « C’est faire des remaniements qui nécessitent le transport d’une portion de page du marbre dans la galée, sur la casse. » (Sauvestre.) — C’est un jeu de mots sur galée.

ALLER EN GERMANIE : Remanier. (Idem.) — « Lorsqu’il est forcé de remanier un long alinéa, on dit qu’il va en Germanie. » (Boutmy, 1878.) — Jeu de mots. Germanie est ici pour je remanie.

ALLER POUR L’ARGENT : « Quand le propriétaire a parié pour son cheval, qui porte, alors, l’argent de l’écurie, le cheval va pour l’argent ; ne pas aller pour l’argent a une signification tout opposée. » (Carnet des Courses, 77.)

ALLEZ DONC VOUS LAVER : Allez-vous-en donc ! (Delvau.) — C’est-à-dire au figuré : retirez-vous, vous êtes trop sale.

ALLIANCE : Poucettes. (Delvau.) — Allusion ironique à la bague de mariage.

ALLUMER DES CLAIRS : Regarder avec attention. (Idem.) — Mot à mot : allumer ses yeux. On a dit ensuite allumer par abréviation. V. Clair, p. 108.

ALLUMETTE (avoir son) : Être pris de boisson. — Dans l’argot des mécaniciens cité par Le Sublime on dit avoir son allumette ronde, ou son allumette de marchand de vin, ou son allumette de campagne, pour caractériser les trois premières phases de l’ivresse qui allume le visage de ses victimes

ALPAGA : Habit. (A. Pierre.)

ALPION : Homme qui triche au jeu. (Delvau.)

AMADOUAGE : Mariage. Argot de voleurs. (Id.) — Ce doit être une ironie quand on se reporte au sens argotique d’amadouer. Au figuré, beaucoup de nouveaux mariés se griment en effet pour tromper.

AMADOUER : Se grimer pour tromper. (Delvau.) — L’amadou était employé jadis pour jaunir la face des gueux et mieux apitoyer le passant.

AMBASSADEUR : Cordonnier. (A. Pierre.) — Souteneur. (Delvau.)

AMBES : Jambes (Id.). — Vieux mot d’argot qui a fait le verbe amber. C’est jambes avec suppression d’initiales, et non une forme moderne du latin ambo, comme on l’a dit. On disait jadis gambe, et les voleurs n’ont jamais appelé le latin à leur aide pour fabriquer des mots nouveaux.

AMBULANTE : Raccrocheuse. — Elle est ambulante par métier. — « Les ambulantes sont là qui ne demandent pas mieux. » (Le Sublime.)

AMÉRICAIN : Même sens que tramway.

AMI : Voleur émérite, d’après Balzac. (Rigaud.)

AMINCHE, AMINCHEMAR, AMINCHEMINCE : Ami. Allongements de finales. — AMINCHE D’AFF : Complice. Argot de voleur. (Id.) — Ce dernier terme veut dire mot à mot : ami d’affaire (vol).

AMOCHER : Donner des taloches. (Id.)

AMPHI : Amphithéâtre. — Abrév. usitée dans les collèges et les écoles spéciales.

AMUNCHE : Ami. (Delvau.) — Changement de finale.

ANASTASIE : Censure des journaux. (Rigaud.)

ANDERLIQUE : Tonneau de vidange. V. Bonbonnière.

ANGE GARDIEN : Homme reconduisant les ivrognes à domicile. Ce métier se trouve détaillé dans le Paris anecdote de Privat d’Anglemont.

ANGLAISE (danser à l’) : Métier que font beaucoup de femmes, les soirs de bal à l’Opéra. Au lieu d’aller à l’Opéra, elles se rendent chez un restaurateur et y attendent une pratique qui fait rarement défaut. (Type dépeint par H. de Rochefort dans les Français de la Décadence.)

ANGLAISE (pisser à l’) : S’éloigner sous prétexte d’un besoin et ne pas revenir. — « Elle avait demandé à son vieux trois sous pour un petit besoin et le vieux l’attendait encore. Dans les meilleures compagnies, cela s’appelle pisser à l’anglaise. » (Zola.)

ANGLAISES : Cabinet d’aisances, monté à l’anglaise.

* ANGOULÈME : Jeu de mots sur la bouche et la ville.

ANISETTE DE BARBILLON : Eau claire. « Un bon zig ne se donnera pas de collége avec cette anisette de barbillon là ! » (De Goncourt.)

ANQUILLEUSE : V. Enquilleuse.

APASCLINER (s’) : S’acclimater. (Delvau.) — Mot à mot : se faire au pays. De Paquelin : pays.

APIC : ail. (Id.) — Mot à mot : à pique. La saveur de l’ail est piquante… Le mot arbif est construit de la même façon.

APIC, ASPIC : Œil. Jargon de voleur. (Rigaud.) — Ail et œil se ressemblent si fort, typographiquement parlant, qu’il doit y avoir ici une faute d’impression.

APLOMBER : Étourdir à force d’aplomb. (Delvau.)

APOLLOTTE : sain. (A. Pierre.) — N’est-ce pas plutôt sein ?

APOTHICAIRE SANS SUCRE : Ouvrier mal outillé, marchand mal fourni. (Delvau.) — Allusion au rôle essentiel du sucre dans les préparations pharmaceutiques.

APPAREILLER : Sortir. Argot des marins. (Id.)

AQUARIUM : Réunion de souteneurs (Rigaud.) — Allusion aux poissons qui s’y donnent rendez-vous. V. Poisson, p. 288.

AQUILIN (faire son) : Faire la mine. (Id.) — Nez aquilin vient aussitôt en tête, mais comment font ceux qui en sont dépourvus ? Ce serait alors se donner un nez long, et au figuré prendre une mine courroucée.

ARBIF : En colère. (A. Pierre.) — Mot à mot : a rebiffe. « Se rebiffer » est pris ici dans le sens de : résister avec vigueur, se dresser haut et ferme.

ARCASINEUR : « Ce mot désigne dans l’argot parisien les mendiants à domicile. » (Figaro, 77) — Acception nouvelle d’un mot déjà connu. V. Arcasien.

ARÇONNER : Faire parler. (A. Pierre.) — Mot à mot : faire l’arçon. On ne parle librement qu’après s’être reconnu entre malfaiteurs. V. Arçon.

ARDOISE (avoir l’) : Avoir crédit chez le marchand de vin. Allusion au compte tracé sur l’ardoise. (Rigaud.)

ARDOISE : Tête, chapeau. (Id.) — Comparaison de l’homme à la maison dont l’ardoise peut être considérée comme la tête ou le chapeau. Cette dernière image est plus juste et mieux colorée.

ARGOT : Bête. (A. Pierre.)

ARGOTÉ : Qui se croit spirituel. (Id.)

ARGOTIER : Voleur. (Delvau.)

ARGOUSIN : Contre-maître. — Argot des ouvriers qui se comparent à des forçats. (Rigaud.)

* ARGUCHE (Erratum). — Au lieu de Arguche : Diminutifs lisez : Arguche : Argot. — Diminutif…

ARGUCHE : Niais. (Id.) Péjoratif d’argot pris dans ce sens.

ARNACQ. : Agent de sûreté. (A. Pierre.) — Forme d’arnac. V. page 15. La police prémédite ses captures.

* ARNELLE : Rouen. — Du nom de La Renelle, petit cours d’eau qui traverse cette ville. On a pris la partie pour le tout.

ARRACHER DU CHIENDENT : Attendre vainement. (Id.) — Le chiendent est long à arracher.

ARRANGEMANER : Duper. (Id.) — C’est arranger avec allongement de finale.

ARRONDISSEMENT (chef-lieu d’) : femme enceinte. (Rigaud.) — Elle s’arrondit.

ARROSAGE : Acompte payé au créancier. (Id.)

ARROSEUR DE VERDOUZE : Jardinier. (Delvau.) — Mot à mot : arroseur de verdure.

ARSENAL : Arsenic. (Id.) Changement de finale.

ARSONNER : Fouiller. (Id.) — Devrait s’écrire arçonner. V. ce mot. C’est le sens d’interroger pris au figuré. On interroge les poches.

ARTILLEUR : Ivrogne. (Id.) — Il est habitué au maniement du canon. Jeu de mots.

ARTILLEUR : Refrain en vogue dans les écoles de Paris, prélude forcé de toute manifestation bruyante. — L’artilleur est la marseillaise des collégiens. On dit : « piquer un artilleur. »

ARTILLEUR DE LA PIÈCE HUMIDE : Pompier. (Rigaud.)

* ARTON : Pain. — Vieux mot qui semble venir du provençal artoun (pain).

AS DE CARREAU : Ruban de la légion d’honneur. (Delvau.) — L’image n’est pas exacte, ce qui n’est pas ordinaire en argot.

AS DE PIQUE : Anus, écusson noir distinguant le collet des zéphyrs. (Idem.) V. page 364.

ASINVER : Abêtir. (Id.)

ASPIC : avare. (Id.) — V. Apic.

* ASSEOIR (allez vous) : On dit aussi Va t’asseoir sur le bouchon. Voy. Maigre. On dit aussi il peut s’asseoir pour qu’il ne bouge plus !

ASSOMMOIR : Nom d’un cabaret de Belleville, devenu celui de tous les débits de liquides frelatés qui tuent (assomment) le peuple. (Id.)

ASTICOT : Maîtresse de souteneur. (Rigaud.) — Ici le poisson souteneur amorce avec l’asticot. C’est le monde renversé.

ATIGÉ : Malade. (Id.) — Mot à mot : frappé. V. Attiger, p. 19.

ATOUT : Estomac. Argot de voleurs. (Delvau.)

ATTACHER UN BIDON : Dénoncer quelqu’un. — « Faire la casserole » aura paru trop connu et on aura fabriqué ce synonyme. Voyez Gameler.

* ATTAQUE (d’) : Exemple : « Coupeau marchait de l’air esbrouffeur d’un citoyen qui est d’attaque. » (Zola.)

ATTIGNOLES : Tripes à la mode de Caen. — « Nous nous empâtons quéqu’ fois de saucisses et d’attignoles. » (Richepin.)

ATTRAPE-SCIENCE : Apprenti compositeur d’imprimerie. — Le nom fait image. — « L’attrape-science reçoit une banque qui varie entre 1 fr. et 10 fr. par quinzaine. » (Boutmy, 78.)

ATTRAPER LE LUSTRE : Ouvrir la bouche pour laisser passer une note qui ne vient pas. Argot théâtral. (Bouchard.)

* ATTRIMER : « Des habits ! Il les faut attrimer. » (La Comédie des Proverbes, 1714.)

AU PRIX OU EST LE BEURRE : Au prix où sont toutes choses. — La partie est prise pour le tout, parce que l’augmentation progressive du prix du beurre excitait particulièrement les doléances des ménagères. — « Au prix où est le beurre et où sont les loyers, une femme seule ne peut pas vivre de son travail. » (H. de Rochefort. 67.)

AUSTO : Salle de police. — Pour ousteau. — « Le caporal : Allons ! allons ! à l’austo, et sans traîner. » (Durandeau, 78.) Voyez Lousto, page 224.

AUTEL DE BESOIN : Fille publique. (Rigaud.) — Autel doit être ici pour hôtel (un de ces hôtels ouverts à tous ceux qui payent)

AUTRE (être l’) : Être dupe. (Rigaud.)

AUVERGNAT (avaler l’) : Communier. (Id.)

AUVERPINCHE : Gros soulier d’Auvergnat. (Id.) — Changement de finale.

AVALÉ LE PÉPIN (avoir) : Être enceinte. Allusion à la pomme qui perdit Adam et Eve. (Id.)

* AVALER SA FOURCHETTE : Mourir. — Mot à mot : Ne plus manger.

Et comme on dit vulgairement,
L’ pauvre homme avala sa fourchette.
(Dalès.)

AVANT-COURRIER : Mèche anglaise à percer. (A. Pierre.) — C’est effectivement elle qui fraye la voie aux scieurs de portes et de volets.

AVARO : Avarie, accident. (Boutmy, 78.) — C’est le mot avarie, avec changement de finale comme sergo, invalo, etc.

AVOINE : Eau-de-vie. Argot militaire. (Rigaud.) — Elle excite comme l’avoine.

AVOIR ENCORE (l’) : Avoir sa virginité. (Rigaud.) — On dit aussi par abréviation il l’a ou elle l’a.

AVOIR DES PLANCHES : Être à l’aise sur la scène. Argot théâtral. (Bouchard.)