Dictionnaire des proverbes (Quitard)/dent

dent. — C’est l’histoire de la dent d’or.

Métaphore proverbiale usitée en parlant d’une chose qui a passé pour vraie pendant quelque temps, et qui est enfin reconnue fausse. — Le bruit se répandit, vers 1593, qu’un enfant de Silésie avait une dent molaire en or qui avait poussé naturellement dans sa gencive. À cette nouvelle, revêtue d’un certain caractère d’authenticité, plusieurs savants d’Allemagne s’empressèrent d’aller sur les lieux pour examiner un tel phénomène. Jacques Horstius, professeur en médecine à l’Université de Helmstad, ne fut pas des derniers à s’y rendre, et il publia, en 1595, une dissertation par laquelle il prétendait démontrer que la dent d’or était à la fois naturelle et merveilleuse, et qu’elle présageait l’abaissement du Grand-Turc[1] qui affligeait alors les chrétiens. Rullandus, Ingolsterus, Libavius, et d’autres savants en us, expliquèrent aussi, à leur tour, par des arguments opposés, la formation de cette dent métallique ; mais leurs doctes explications n’éclaircirent pas la chose. L’honneur de la découverte était réservé à un orfèvre qui sut détacher de la fameuse dent une enveloppe d’or qui y avait été appliquée avec l’adresse la plus parfaite. Van Dale a donné sur ce sujet quelques détails curieux dans le dernier chapitre de son livre de Oraculis.

Avoir une dent de lait contre quelqu’un.

C’est avoir contre lui une vieille animosité, une animosité sucée pour ainsi dire avec le lait.

Malgré vous et vos dents.

Feydel, auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie française, a prétendu, après d’autres grammairiens, que la locution originaire était Malgré vous et vos aidants, et que le mot aidants devint ensuite dents par la figure que les lexicographes appellent aphérèse, comme Antoinette est devenu Toinette. L’abbé Morellet lui reproche d’assimiler deux cas très différents. « On ne peut accourcir, dit-il, un mot entrant dans une locution qui n’est pas d’un usage habituel, et surtout l’accourcir en l’altérant de manière à le rendre inintelligible, comme dants au lieu de aidants. Il faut que l’étymologiste nous explique comment dants est devenu dents. Les dents, arme naturelle de l’homme et des animaux, sont prises figurément dans beaucoup de locutions pour tous les moyens de défense et d’attaque qu’on peut employer ; on dit : Montrer les dents, Avoir une dent contre quelqu’un, Déchirer à belles dents, etc., toutes phrases dans lesquelles la substitution d’aidants à dents serait ridicule. »

L’explication de l’abbé Morellet vaut beaucoup mieux que celle de Feydel, et elle peut être confirmée par cette expression de la basse latinité du moyen âge : Malegratibus dentium ejus, qu’on trouve dans le Glossaire de Carpentier. Cependant il faut observer qu’on trouve aussi Malgré vous et vos dans, c’est-à-dire malgré vous et ceux qui sont plus puissants que vous. Dan, dant ou damp est un vieux mot qui signifie seigneur, maître.

  1. « Les chrétiens, dit Le Duchat, qualifièrent de Grand-Turc Mahomet II, non par rapport à ses grandes actions, mais eu égard à l’étendue de sa domination, en comparaison du sultan de Cappadoce, son contemporain, que Monstrelet désigne sous le nom de Petit-Turc. Après la prise de Constantinople, celui-ci eut sur les bras Mahomet II qui, s’étant emparé de ses états, conserva le litre de Grand-Turc, quoiqu’il n’y eût plus de Petit-Turc. »