Dictionnaire des proverbes (Quitard)/dépouiller

dépouiller. — Il faut dépouiller le vieil homme.

C’est-à-dire renoncer à ses vieilles habitudes. Dépouiller le vieil homme ou Se dépouiller du vieil homme, est une expression employée dans l’Écriture sainte pour signifier se défaire des inclinations de la nature corrompue. Elle est fondée sur la coutume de revêtir le néophite de nouveaux habits. Tous les mystères anciens prescrivaient de dépouiller le vieil homme à l’entrée du sanctuaire.

On ne se dépouille pas tout à fait du vieil homme.

On ne se défait pas entièrement des penchants vicieux qu’on a contractés depuis longtemps ; on en conserve toujours quelque reste en passant d’une vie mondaine à une vie pieuse. Ainsi Rachel, quittant la maison paternelle pour suivre Jacob dans la sainte demeure des patriarches, emportait secrètement ses téraphim, idoles qu’elle avait adorées dans son enfance.

Il ne faut pas se dépouiller, ou se déshabiller, avant de se coucher.

Il ne faut pas donner son bien avant sa mort. — Proverbe fort ancien dans notre langue, car il fut employé dans la réponse que fit Guillaume-le-Conquérant, lorsque son fils Robert-Courte-Heuse ou Courte-Cuisse, qui s’était révolté contre lui, proposait de se soumettre en obtenant la possession de la Normandie comme apanage. Ce proverbe paraît pris de l’Ecclésiastique, qui dit, ch. xxxiii : « Ne donnez point pouvoir sur vous, pendant votre vie, à votre fils, à votre femme, à votre frère, ou à votre ami ; ne donnez point à un autre le bien que vous possédez, de peur que vous ne vous en repentiez, et que vous ne soyez réduit à leur en demander avec prière. Tant que vous vivrez et que vous respirerez, que personne ne vous fasse changer sur ce point ; car il vaut mieux que ce soient vos enfants qui vous prient, que d’être réduit à attendre ce qui vous viendra d’eux….. Distribuez votre succession le jour que finira votre vie et à l’heure de votre mort. »

Les Espagnols disent qu’il faut frapper d’un maillet le front de celui qui donne son bien avant sa mort. Quien da lo suyo antes de su muerte, que le den con un maço en la frente.

Ces proverbes ont été inspirés par l’égoïsme ; mais ils ne sont que trop justifiés par l’ingratitude des héritiers souvent pires que les vautours, car les vautours ne s’attachent qu’aux cadavres. Si vultur es, cadaver expecta, disaient les Latins à l’homme avide qui voulait dévorer la succession d’un parent encore en vie.

Le parti le plus raisonnable à prendre est indiqué dans ce passage de Montaigne : « Un père atterré d’années et de maux, privé par sa faiblesse, et faute de santé, de la commune société des hommes, il se fait tort et aux siens de couver inutilement un grand tas de richesses. Il est assez en estat, s’il est sage, pour avoir désir de se dépouiller pour se coucher, non pas jusques à la chemise, mais jusques à une robe de nuit bien chaude. Le reste des pompes de quoy il n’a plus que faire, il doit en estrenner volontiers ceux à qui par ordonnance naturelle cela doit appartenir. »