Dictionnaire de théologie catholique/ZWINGLIANISME VI. Ecclésiologie

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1156-1177).

VI. Ecclésiologie.

On considérera successivement :
I. La notion d’Église.
II. La notion de ministère.
/II. Comment Zwingli conçoit le rapport des deux communautés : ecclésiastique et civile (Église et État).

I. notion d’église. —

La pensée de Zwingli sur l’Église est traversée par une double opposition : entre Église universelle et Église particulière ; entre Église invisible et Église visible (ou sensible). Ces deux antinomies se partagent entre elles les deux périodes de son activité polémique, dirigée successivement contre les catholiques et contre les anabaptistes. L’année 1525 marque le tournant. Là Zwingli passe d’une opposition à l’autre, et en même temps il effectue, comme on le pressent, un progrès dans le sens du dualisme qui est le fond de sa pensée philosophique : entre l’idéal et le sensible. La notion d’Église, comme celles annexes de foi et de sacrement, est entraînée sur cette pente : c’est dire qu’elle subit certaines altérations, qui sans doute sont le contrecoup de la polémique, mais qui aussi, et ce point n’a pas été suffisamment accentué par les critiques, correspondent à la tournure toujours plus nette et plus consciente de l’esprit de Zwingli. Est-ce à dire cependant qu’entre l’Église des dernières œuvres (1530) et celle des premières (1523) il n’y ait point de ressemblance ni de commune mesure ? Certains l’ont pensé, et à prendre superficiellement la définition de l’Église ici et là : communauté des croyants, communauté des élus, on serait tenté de leur donner raison. Mais c’est là une erreur, et l’homogénéité du concept d’Église à travers les œuvres de Zwingli est plus grande qu’on ne le croit. On s’en apercevra en parcourant celles-ci rapidement dans l’ordre chronologique.

Autre remarque : dans la première période qusqu’en 1525), l’audition de la Parole (plutôt que la prédication ) joue un rôle important dans la constitution de l’Église, et le dualisme entre Esprit et Parole, que nous avons étudié plus haut, se fait jour. Dans la seconde, c’est plutôt la profession de foi publique, on. ce qui, pour Zwingli, revient au même, le sacrement, qui est mis en évidence (contre les anabaptistes). Cette constatation a son prix, car. en même temps que la profession de foi. c’est un nouvel aspect de l’Église qui apparaît. Naguère, Zwingli avait surtout insisté sur la foi intime et Vécue, gage d’appartenance à la véritable Fglise ; cette fois, il met plutôt l’accent sur la profession extérieure et publique de foi et ili fraternité chrétienne, spécialement à l’occasion de la réception des sacrements (baptême et inme

démonstration extérieure ne correspond pas toujours aux sentiments Intll : i pu voir que

l’Église comptera parmi des membres fidèles, authentiques, bon nombre de faux croyants ; et, puisqu’il n’y a en définitive, pour Zwingli, qu’un seul péché : le manque de foi au Christ rédempteur (C. R., ii, 572, 21), disons qu’elle comptera des bons et des mauvais. La foi étant d’autre part conçue comme signe ou synonyme d’élection, le contraste s’accuse et s’accusera de plus en plus entre cette Église, corpus permixlum, et l’Église des fidèles prédestinés.

Quant aux sources de Zwingli, on s’est demandé s’il était tributaire du De Ecclesia de Hus qu’il a connu dès avant 1520. Joh. Gottschick, qui a étudié cette question (cf. Hus’, Luther’s und Zwingli’s Lehre von der Kirche, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, vin, 1886, p. 335-394, 543-616), croit à des similitudes verbales plutôt qu’à des emprunts réels ; mais cette ressemblance même prouve que certaines idées chères à Zwingli ne lui sont pas entièrement propres, qu’elles étaient dans l’air, et notamment le concept à’Ecclesia eleclorum : il a seulement donné à celui-ci un tour plus absolu en le mettant en contact avec les grands thèmes de son système. Quant à la parenté avec Luther, la question mériterait d’être débattue autrement qu’elle ne l’a été. Nous ne saurions nous rallier aux conclusions du précédent auteur, selon qui, jusqu’à la controverse anabaptiste, Zwingli aurait partagé de tout point la conception de Luther sur l’Église (art. cité, p. 580 sq.). Encore est-il qu’il l’a connue, notamment la 13e thèse de la Dispute de Leipzig et, d’après W. Kôhler, le Discours an den christ lichen Adel, et a pu parfois se régler sur elle. Quoi qu’il en soit d’ailleurs de ces dépendances, Yoriginalité de Zwingli est certaine ; en ce domaine où le religieux et le social se côtoient, sa personnalité complexe et multiple joue à plein. On ne séparera donc pas le théoricien de l’Église de l’homme d’Église et du réformateur ; pas plus que dans la question des rapports entre les deux pouvoirs on ne peut faire abstraction du patriote suisse et du citoyen de Zurich. Et déjà, pour s’en tenir aux oppositions d’idées, la notion d’Église participe de la dialectique et de la double polarité de tout le système zwinglien. Aussi ne peut-on se contenter de l’aborder du dehors, et il faut se garder ici par-dessus tout des raccourcis et des formules simples.

1° La notion d’Église chez Zwingli dans les premiers écrits (1523). — La première période, anticatholique (1523-1525), comprend deux sortes d’écrits : les uns en langue populaire, qui ont un caractère polémique plus marqué : Actes de la I re (29 janvier 1523) et de la II « Dispute (26-28 octobre 1523) (C. R., i, 442 sq. ; il, 664 sq.), entre lesquels il faut placer Y Auslegung der Schlussreden (14 juillet 1523) : le 8e article traite de l’Église (C. R., ii, 55 sq.) ; — les autres en latin. Dans le De canone missæ epichiresis (29 août 1523 ; C. R., ii, 552 sq.), Zwingli disserte de l’Église à propos d’un texte liturgique (pro Ecclesia tua sancta catholica), dont la teneur rencontre le Symbole. Cet opuscule suscita les critiques du Saxon Emser, qui avait déjà polémiqué contre Luther. En réponse, Zwingli compose YAdversus Hieronymum Emserum, canonis missse adsertorem antibolon (20 août 1524), dont la première partie traite ex professo de l’Église (C. R., iii, 252 sq.). Cette section assez ample reprend et développe les traits qui n’avaient été qu’esquissés dans YEpichiresis ; l’année suivante, elle fut insérée telle quelle dans le Commentaire (mars 1525 ; C. R.. iii, 743 sq.). C’est dire que, de 1523 à 1525, on obtient une ligne continue. Cependant, parce qu’il représente une forme plus poussée et déjà intérimaire de la pensée de Zwingli, il convient de considérer à part Y Antibolon.

1. Dès la I re Dispute de 1523, Zwingli est mis en demeure de s’expliquer sur ce qu’est pour lui l’Église

(C. R., i, 537, 11 ; cf. ii, 681, 5) ; et ce premier débat lui-même nous renseigne sur le biais par lequel il aborde le sujet. Il fait fi de l’autorité des conciles ; sa critique n’est pas dirigée seulement contre les prescriptions dites « humaines » qu’ils édictent, il conteste leur droit à représenter l’Église (cf. Ecclesia reprœsentativa, C. R., ii, 58, 4 ; 62, 35 ; 571, 17). Naturellement, Zwingli prend le contre-pied de la conception qu’il combat : à l’Église romaine, qui le frappe surtout par l’aspect extérieur de ses prérogatives, il oppose « l’ensemble de tous les vrais croyants » (I" Dispute, C. R., i, 537, 19) ; « la multitude entière de tous les croyants » (IIe Dispute, ibid., ii, 681, 27) ; « la communauté des croyants » (Schlussreden, ibid., ii, 56, 33). C’est celle-ci que concerne la promesse du Christ en S. Matthieu, xvi, 18 (ibid., ii, 56, 21 ; 682, 6) ; et c’est à elle qu’appartient l’infaillibilité (ibid., i, 538, 6 ; ii, 683, 9).

2. Qui fait partie de cette Église ? « Tous ceux qui ont la vraie foi et la confiance en Dieu, par N.-S. J.-C, qui a satisfait au Père céleste pour nos péchés, afin qu’ils soient sauvés » (ibid., ii, 681, 31). D’où son universalité : elle embrasse les vrais croyants et les assemble en esprit, où qu’ils soient, aux Indes aussi bien qu’à Zurich (ibid., 681, 35). C’est d’elle qu’il est question dans le Symbole, car catholique veut dire universel (cf. une autre acception du terme catholique, synonyme d’orthodoxe, Ann. in Ed. Matlh., Sch.-Sch., vol. vi, p. 338). Notons cependant que la version allemande du Symbole que lit Zwingli porte : eine heilige christliche Kirche (C. R., ii, 59, 19 ; 60, 6 ; 681, 6). Sur l’antiquité de cette traduction, cf. Die Bekenntnisschriflen der evangelisch-lutherischen Kirche, t. ii, Gôttingen, 1930, p. 556, n. 2.

Universelle dans l’espace (C. R., ii, 57, 33), l’Église l’est aussi dans le temps (ibid., 57, 18 ; 682, 2). Mais l’Église est circonscrite à la terre : le dualisme entre temps et éternité se fait jour : « Communauté des pieux croyants ou chrétiens », et non des bienheureux (ibid., ii, 60, 27 sq.). Mentionnons en passant que pour | Zwingli l’article du Symbole : Sanctorum, communio ! ajoute postérieure, écrit-il, que ne connaissait pas ! Rufin, n’est qu’une explication du précédent : il traduit : « Communauté des fidèles (frommen) croyants ou chrétiens » (ibid., ii, 60, 27 ; cf. iv, 70, 6). — Dans la pensée de Zwingli, l’universalité qui vient d’être affirmée fait échec à la prétention d’une fraction quelconque de l’Église, fût-ce le pape ou le concile, à se dire la véritable Église (ibid., ii, 61, 9 ; 682, 36 ; iii, 742, 27).

3. Plus précisément, il construit sa preuve de la manière suivante (cf. ibid., ii, 570 sq. ; 682 sq.). La notion authentique de l’Église doit se prendre de l’Écriture (ibid., 683, 12) : c’est elle que dans la Dispute on s’est accordé à prendre pour arbitre de la controverse entre catholiques et novateurs. Or l’Écriture du Nouveau Testament ne connaît que deux acceptions du terme Église (Zwingli laisse à dessein de côté les sens profanes ; il s’agit ici de l’Église chrétienne, ibid., ii, 682, 31) : universelle et particulière. L’Église universelle, c’est l’Épouse du Christ qu’il a lavée de son sang comme d’un bain régénérateur (Eph., v, 1517 : cf. ibid., ii, 57, 30 ; 570, 27. Comp. Col., i, 18 ; Eph., i, 22 ; I Cor., xv, 9, etc., cités ibid., ii, 571, 23).

Mais l’Écriture atteste aussi l’existence de communautés particulières (cf. spécialement Matth., xviii, 16 et épîtres de S. Paul : ibid., ii, 58, 9 ; 571, 25), qui méritent également le nom d’Église. Zwingli les appelle Parochien ( parchinen, pfarren) ou Kirchengemeinden (en dialecte : Kilchhôre, ptur. Kilchhbrinen). Elles groupent dto fidèles « en nombre tel qu’ils puissent se rassembler commodément afin d’entendre de concert la parole de Dieu et d’instruire (les autres) »

(ibid., ii, 58, 10). Il s’agit, en pratique, des Églises locales. Zwingli leur assigne dans l’Epichiresis, comme prérogative, un triple pouvoir : d’administration (ista, quæ usus exigit secundum regulam divini verbi discernit ) ; de discipline (abiicit impudentem, revocat pœnitentem ) ; cultuel (simul uerbo Dei pascitur, simul corpore et sanguine Christi alitur) (ibid., 572, 6).

Telles sont les prémisses dûment fondées en Écriture de l’argumentation zwinglienne. Celle-ci se poursuit ainsi. L’Église hiérarchique n’est Église ni au sens premier d’Église universelle, ni au sens second d’Église particulière ; elle n’est donc pas la véritable Église. Excellente dialectique, bien dans le genre de Zwingli, mais qui pèche par la base. En fait, Zwingli ne retient de l’Écriture que les textes qui servent son propos ; il élimine ceux qui concernent proprement l’Église hiérarchique, soit donc Matth., xvi, 16-18 : il s’agit ici du Christ, qui sert de fondement à la foi des vrais croyants {ibid., ii, 56, 21 sq. ; 682, 6 ; iv, 800, 11 ; v, 505, 18 ; 619, 1 ; 663, 21 ; 781, 5) ; — Luc, x, 16 : avertissement aux disciples de la part du Christ d’avoir à prêcher sa parole sans additions humaines (ibid., i, 538, 13 sq.) ; — Joa., xx, 22 : les clés sont données à tous les chrétiens en la personne des apôtres (ibid., ii, 377, 20 ; 381, 18 sq. ; iii, 265, 9 sq. ; 266, 25 ; iv, 255, 3 ; cf. v, 521, 12).

4. Mais Zwingli connaît aussi la dialectique de l’universalité et de l’unité. « Il n’y a pas plus d’une Église ou rassemblement universel auquel le nom d’Église convient de préférence ou proprement, qui est l’unique épouse du Christ ; les Églises mentionnées ensuite (Églises particulières) ne sont que les membres de l’Église universelle (ibid., Il, 58, 26 ; cf. Antibolon, C. R., iii, 267, 22 : ludicium ergo hoc de verbo peculiaribus ecclesiis non ila tribuitur, ut solis tribuatur : est enim Ecclesiæ, Christi sponsæ. Quoniam vero il la hic nunquam coit, iudicat per partes et membra sua).

L’Église est unie dans la foi (ibid., n. 59, 18) et dans l’espérance (ibid., 61, 14) ; au delà, son unité est ancrée dans le Christ, rocher sur lequel elle est bâtie (ibid., 56, 31), tête en qui les membres se réunissent pour former un corps ; — sur le Christ-tête, cf. C. R., i, 366, 9 ; ii, 52 sq. (art. 6 à 10) ; 682, 16 ; iii, 348, 34 ; v, 724, 22, etc. Zwingli entend l’expression en un sens exclusif de toute hiérarchie (ibid., iv, 800, 17). Sur l’Église, Corps du Christ, cf. ibid., ii, 53 sq. (art. 7 et 8) ; m, 342, 15 ; 348, 33 ; 349, 15 ; 830, 32 ; iv, 390, 16 ; 477, 20 ; 640, 26 ; v, 620, 9.

Cette unité a pour auteur Dieu lui-même, car en son entièreté l’Église n’existe en définitive que sous le regard de Dieu, devant qui sont rassemblés tous ses membres quels qu’ils soient, en quelque point de l’espace ou du temps qu’ils soient (ibid., ii, 681, 27). Elle a aussi pour principe, et c’est à quoi Zwingli s’arrête de préférence, l’Esprit-Saint. La formule de l’unité la plus adéquate dans sa brièveté est celle-ci : « rassemblée par l’Esprit de Dieu en une seule foi » (ibid., ii, 59, 17). Ainsi l’unité de l’Église est entièrement spirituelle. Zwingli mentionne bien le baptême (ibid., 57, 30 ; 570, 34) ; mais, durant cette période, le baptême ou la profession de foi chrétienne n’intervient pas à titre de principe actif d’unité. Le caractère empirique de l’Église s’estompe ; clic apparaît comme un vaste ensemble « pneumatique », comparé à un organisme ou corps dont le principe animateur est l’Esprit (ibid., Il, 59, 34).

5. L’Église, avons-nous dit, est infaillible. C’est que elle ne fait rien selon ion propre caprice, mais clic cherche seulement ce que l’Esprit de Dieu suggère, exige et ordonne : voilà la véritable Église, une épouse immaculée de Jésus-Christ, régie et vivifiée p ; ir II prit de Dieu. (ibid., i, 538, (i). C’est la fidélité de l’Église à l’Esprit, et à la parole de Dieu (ibid., ii, 572,

6 ; iii, 257, 8), qui fait que l’Église ne peut se tromper. Dans la mesure où, au lieu de statuer et de définir, l’Église écoute la parole et laisse parler en soi l’Esprit de Dieu, elle ne peut se tromper. Cette assertion s’entend aussi bien des Églises ou assemblées particulières que de l’Église universelle ; elle fonde l’autorité d’une assemblée comme celle qui se tint à Zurich en octobre 1523 (IIe Dispute) et inaugura la Réforme en cette ville : « L’assemblée que nous formons devant les notables de Zurich, dans le seul dessein d’écouter la parole de Dieu, ne peut se tromper, car elle n’entreprend pas de statuer ou d’innover, mais veut seulement entendre ce qui, sur les sujets en litige, se trouve dans la parole de Dieu » (ibid., ii, 683, 18).

6. Mais la propriété la plus remarquable de l’Église est l’invisibilité. Celle-ci peut s’entendre de deux manières. L’Église est invisible, car, du fait de son universalité même, elle ne peut jamais être rassemblée en un lieu (ibid., ii, 61, 14 : und kumpt sichtbarlich niimmer zemmen ; 571, 9 ; 572, 5). Cette invisibilité est accidentelle, elle n’est pas le fait des Églises particulières, qui cependant participent à la même notion d’Église. C’est dire que la véritable invisibilité que Zwingli a en vue, prérogative tant des Églises particulières que de l’Église universelle, n’est pas là.

Invisible, l’Église l’est par définition, comme communauté des vrais croyants. La foi est chose intérieure, invisible ; certitude expérimentale pour le sujet qui se sait avoir la foi, elle lui est rigoureusement propre. En somme, l’Église groupe une multitude de membres qui ne sont tels que sous le regard de Dieu, qui s’ignorent les uns les autres (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 8). Mais n’est-ce pas là la destruction de toute idée d’Église et de communion ? Zwingli ne le pense pas : il affirme par la foi (C. R., ii, 61, 15 : 571, 20) l’existence de l’Église ici-bas et cela lui suffit : « Nous tous qui sommes croyants, nous ne verrons pas l’Église jusqu’à ce qu’elle soit rassemblée au dernier jour devant le juge Jésus-Christ ; quoique nous sachions ici-bas quelque chose d’elle, savoir que tous ceux qui ont la vraie foi et confiance en Dieu par N.-S. J.-C. … seront bienheureux : ce sont les membres de la véritable Église » (C. R., ii, 681, 28). On rapprochera de ce texte celui du Christianæ fidei expositio (1531), où Zwingli insinue que cette invisibilité formelle peut s’allier avec une visibilité matérielle : Vocatur autem invisibilis, non quasi qui credunt sint invisibiles, sed quod humanis oculis non patet quinam errdunt : sunt enim fidèles soli Deo et sibi perspecti (Sch.-Sch., vol. iv, p. 58).

7. Est-il possible, en dépit de son invisibilité, de définir les limites de la véritable Église, autant dire de déterminer qui en est membre et qui en est exclu ? Oui. Ici encore la foi (entendue au sens de confiance) sert de critère ; mais ce critère, on l’observera, reste purement subjectif : « Il est loisible à chacun de vérifier s’il fait ou non partie de l’Église. Mct-il toute sa confiance, espérance et consolation en Dieu par Jésus-Christ, il est dans l’Église, c’est-à-dire dans la communauté de tous les pieux chrétiens. Car, a-t-il l’unique, la pure foi au Christ, il a l’Esprit de Dieu ; celui-ci est unique, et personne ne lient avoir une foi hétérogène dans l’unique Esprit. Du fait que tous les vrais croyants sont unis en un même Esprit, ils doivent avoir aussi une seule foi et espérance en un seul bien, dont l’Ksprit les Instruit. À l’inverse, tous ceux qui mettent leur espérance dans la créature, ne font pas partie de l’Eglise, ou assemblée des fidèles chrétiens, c : ir il leur manque cela seul qui pourrait les unir : que le Dieu unique soit leur confiance ; mais ils placent leur confiance dans des hommes faibles, trompeurs, déchus. (C « ., ii, 01. 22-36). Ainsi, à l’Églite des croyants qui mettent leur confiance en la

parole de Dieu, s’oppose pour le réformateur l’Église romaine (ibid., 62, 2 ; 64, 13 ; 571, 31 sq.), entendez tous ceux qui ajoutent foi aux conciles et se reposent sur des prescriptions humaines dont ils attendent le salut.

8. Finalement, il y a lieu d’insister sur le caractère eschatologique de l’Église telle que Zwingli la conçoit dès cette première période. Celui-ci se découvre dès lors que Zwingli définit l’Église : « Toute la masse de tous les fidèles qui est connue de Dieu seul » et ne se manifestera à nous qu’au dernier jour (ibid., ii, 681, 27) ; il s’agit de l’élection, comme il est dit plus clairement ailleurs : « La communauté de tous les croyants élus (die gemeinsame aller usserwelten gleubigen) » (ibid., ii, 56, 30). Multitude immense qui embrasse les fidèles du Christ faits pour se réunir et se connaître, l’Église n’a de sens que si aux incertitudes et à la dispersion d’ici-bas succèdent la vision commune et la réunion (cf. ibid., ii, 572, 5 : Quarum illa hic nunquam convenit, conveniet in mundi consummatione). Dans la conscience même de l’Église, cette orientation vers l’au-delà se traduit par un dynamisme, une tension, une espérance qui est suscitée par l’Esprit-Saint. « Elle se réunit ici-bas par l’Esprit de Dieu en une espérance, et dans l’au-delà auprès du Dieu unique » (ibid., ii, 57, 34).

La figure même de l’Épouse, « sans ride, sans tache », a une portée eschatologique, quoique Zwingli l’applique à l’Église d’ici-bas : < Les fidèles sont conduits au ciel en tout bien tout honneur, comme un époux conduit son épouse » (C. R., ii, 57, 19). Sur l’Égliseépouse, cf. ibid., ii, 55, 13 ; 59, 3.35 ; 61, 8 ; iii, 255, 8 ; 267, 23.27 ; v, 623, 20 ; 639, 11. Cette allégorie, d’après Apoc, xxi, 2, indique l’origine céleste de l’Église et son antériorité par rapport aux membres qui la composent (ibid., ii, 59, 6). Enfin Zwingli interprète Hebr., xii, 18-24 de l’Église terrestre qui groupe « ceux dont les noms sont inscrits dans les cieux, c’est-à-dire sont connus de Dieu » (ibid., n, 57, 15).

De toute manière, l’Église pour Zwingli ne saurait être assimilée à une société ou association résultant du libre concours de ses membres ( Genossenschaft). De ce chef, le concept zwinglien d’Église est diamétralement opposé au concept anabaptiste (cf. C. R., iv, 254, 9).

2° La notion d’Église chez Zwingli de 1524 à 1528. — l.’Adversus Emserum antibolon (1524) suit les lignes précédentes et approfondit les notions d’Église universelle et particulière. Le progrès porte ici sur deux points. Comment entendre la sainteté de l’Église sine ruga et macula (notion de sainteté) ? Quel est le rôle de la Parole dans la constitution de la communauté ? Mais en sus l’Antibolon, débordant notablement les ouvrages précédents, fait une place à l’Église empirique, qui s’oppose à l’Église mystique de Eph., v, 25-27 (alterum Ecclesiæ genus, C. R., III, 254, 25). Examinons ces trois points.

1. Sainteté de l’Église.

Jusqu’à présent Zwingli avait été presque exclusivement attentif à l’universalité et à l’unité de l’Église (sur l’apostolicité, cf. Annot. in Ev. Matthsei, Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 337 : Apostolica dicitur, quod per apostolos plantata sit primum in loto orbe. Comp. C. R., iv, 391, 1 sq.).

La crise anabaptiste l’oblige à définir de plus près la sainteté de l’Église telle qu’il l’entend, c’est-à-dire de la collectivité des < croyants ». C’est qu’en effet l’anabaptisme, hérésie ecclésiologique, se fait de la sainteté des membres de l’Église une conception erronée. Raccourcissant la perspective eschatologique, il attribue à l’Église d’ici-bas l’impeccabilité qui est le privilège des bienheureux ; en même temps, l’Église se referme sur soi-même et devient secte. L’anabap tisme continue la tradition des t spirituels ». Rien d’étonnant que Zwingli trouve ici des expressions qui rappellent les écrits antidonatistes de S. Augustin (cf. C. R., iii, 255, 3 sq.). Par ailleurs, c’est l’Évangile réformé de la justice nouvelle dans le Christ qui lui permet de maintenir à la fois les deux termes : l’Église est l’épouse immaculée du Christ « sans ride ni souillure » (ibid., iii, 255, 8) ; et cependant elle n’est pas une « cité platonicienne » (ibid., 23). C’est que par la foi la sainteté du Christ devient nôtre ; nous sommes purs dans la mesure où le Christ nous purifie : Hi ergo sine ruga sunt et macula, qui in Christo sunt ; is enim solus eas abstergere potest (ibid., 256, 27). Le sine ruga et macula s’entend donc, non de l’impeccabilité, mais de la sincérité et de la constance de la foi dans le Christ. « Il est certain, écrit Zwingli, que ceux qui s’appuient sur le Christ sont sans ride ni tache, du fait que le Christ en est exempt qui est nôtre », ibid., ii, 256, 9 ; cf. ibid., 255, 5 : le Christ s’est livré pour l’Église afin de se la sanctifier (ut sibi eam sanctificarel). Aussi le Christ dit-il « mon Église », ce qui la suppose parfaite (ibid., 257, 29).

Mais ce n’est là qu’un aspect de la vérité. Il ne suffit pas de dire : les croyants sont sans tache, parce que le Christ, en qui ils ont foi et qui est leur, est tel ; il faut ajouter : la foi est une métamorphose qui les transforme en hommes nouveaux (ibid., 257, 17), et dès lors ils mettent tout leur effort à ne plus retomber dans le péché, faute de quoi ils prouveraient que leur foi n’est pas véritable et cesseraient d’être membres de l’Église telle qu’on l’a définie (ibid., 257, 30). Zwingli entrevoit la dialectique du donné et de l’acquis, qui signale le passage de la religion à l’éthique. En même temps, le concept de sainteté s’ouvre chez lui sur une conception universaliste de l’Église qui s’oppose aussi bien à l’Église hiérarchique qu’à la secte : « Elle ne se laisse pas resserrer en un espace si exigu qu’elle ne comprenne que peu de membres et de ceux-là qui se réservent à eux-mêmes cet honneur ; mais, s’étendant par tout le monde, elle compte partout des membres, et plus elle est vaste et immense, plus elle est belle ( quanto vastior ac amplior, tanto et speciosior) » (ibid., iii, 255, 20).

2. En quel sens la Parole est facteur constitutif de l’Église. — a) Il s’agit de la Parole intérieure, c’est-à-dire de l’Esprit et de la foi. — La sainteté de l’Église, synonyme de constance de la foi, ou de fidélité de l’Épouse, inclut l’infaillibilité ou inerrance ; et ici S. Jean (Joa., x, 11-30) rejoint S. Paul (Eph., v, 25 ; cf. C. R., iii, 255, 30 sq.), tous deux étant reliés par Matth., xvi, 18 (cf. C. R., iii, 258, 34-259, 31). « Seule ne peut déchoir et errer l’Église qui entend la seule voix du divin Pasteur, car elle est de Dieu ; quiconque est de Dieu entend la parole de Dieu » (ibid., 259, 14). Dans l’esprit de Zwingli, il s’agit non pas de la parole extérieure, annoncée, mais de la parole intérieure (ibid., 260, 1) ; entendez : la conviction intérieure de foi, qui procède d’une illumination divine et qui détermine la qualité de membre de l’Église (ibid., 20 sq.). La parabole johannique illustre à merveille cette relation directe du Pasteur et des brebis, entendue comme audition d’une Parole toute divine ; en même temps, le fidèle divinement instruit « reconnaît, à propos de toute parole, si elle vient de son Père et Pasteur ou non » (ibid., 260, 2). Quand donc, s’adressant à Emser, Zwingli écrit : « Tu ne sauras jamais quelle est l’Église infaillible, tant que tu ne connaîtras pas la parole de Dieu qui constitue l’Église (quod Ecclesiamconstiluit) » — ce qui est le privilège des vrais fidèles (ibid., 260, 17) — il n’est pas douteux qu’il ait en vue de préférence la parole intérieure, entendez l’attrait divin, ou, au sommet, l’élection (cf. Dispute de Berne, 1526, 1 er article [rédigé par Haller, disciple

de Zwingli, et à son instigation] : Dièse Kirche ist aus dem Worte Gotles geboren, dem innerlichen, dem Worte des Glaubens, etc. ; Sch.-Sch., vol. ii, t. i, p. 79).

Cette vérité se confirme quand on passe aux Églises particulières. Celles-ci ont des pouvoirs disciplinaires à l’égard de leurs membres, elles peuvent refuser leur communion aux délinquants et les faire rentrer en grâce ; elles ont aussi pouvoir ou juridiction sur les pasteurs et possèdent le contrôle de la doctrine : Harum est et de pastore iudicare et de doctrina (C. R., m, 262, 11). Comment Zwingli conçoit-il ce contrôle ? Il l’explique à l’aide de I Cor., xiv, 29-32. La communauté est souveraine, quand il s’agit de juger de la parole de Dieu ; car l’Esprit qui est en elle juge par la bouche de l’un ou l’autre croyant, et personne, pas même le pasteur (Pfarrer), ne peut se dérober à ce jugement. Quoique l’administration de la parole soit nécessaire (C. R., iv, 254, 26 ; 255, 14), c’est-à-dire la prédication officielle, qui est spécialement le fait des pasteurs, elle n’est pas l’élément décisif, car elle est impuissante à engendrer la foi, et en toute hypothèse il faut préférer à la parole extérieure la parole intérieure, car celle-ci n’est jugée par personne, étant l’inspiration de Dieu même : Sed intérim verbum fidei, quod in mentibus fidelium sedet, a nemine iudicatur, sed ab ipso iudicatur exterius verbum (ibid., m, 263, 20). Nous sommes loin de la conception de Luther, qui attribue à la parole du ministre un elîet quasi magique et y voit la cause propre, constitutive de l’Église. Pour Zwingli, ce n’est pas la parole, c’est l’Esprit et la foi qui sont les facteurs essentiels de l’Église (comp. supra, col. 3769 sq.).

b) Réfutation de la thèse de A. Farner. Le concept zivinglien d’Église diffère dès l’origine du concept luthérien. — Par là même nous nous rangeons aux côtés de W. Kôhler, dans sa diatribe avec A. Farner. Celui-ci (cf. A. Farner, Die Lehre von Kirche und Staai bei Zwingli, 1930, p. 3 sq.) aligne les textes de Zwingli où l’Église désigne « la communauté des vrais chrétiens » : Elle renferme « tous ceux qui ont mis leur confiance et leur espérance en Dieu » (cf. supra, col. 3846). Il souligne aussi que cette véritable Église n’est pas une utopie platonicienne, vu qu’elle se manifeste partout où la parole de Dieu est annoncée. Et il conclut : « Ainsi la Parole est le pont par où l’on passe de l’Église véritable, universelle, qui est invisible, à la communauté (GcmeindeJ » (op. cit., p. 12). A. Farner se réclame ici de J. Gottschick (art. cité, p. 590), qui infère de ces textes une identité de vues entre Zwingli et Luther. Pour Luther, on se le rappelle, l’Église, qui est par essence invisible, devient visible grâce à la Parole et aux sacrements. Cette visibilité n’est pas cependant assimilable à celle que les catholiques reconnaissent à l’Église empirique (toute la doctrine luthérienne de la corruption de la nature nous en sépare). Il manque un élément de réalisme à l’Église invisible-visible de Luther, comme en fait foi encore un ouvrage récent (cf. G. Wehrung, Die Kirche nach evangelischem Verstûndnis, Gutersloli, 1947). Néanmoins Luther a eu le mérite de rattacher l’Église, par le truchement de la parole et des sacrements, aux réalités incarnationnelles. Qu’en est-il de Zwingli ?

Déjà O. Kitschl en avait fait la remarque : « Les lignes maîtresses de la doctrine luthérienne sur l’Église devenant visible dans la Parole et le sacrement sont demeurées tout à fait étrangères à Zwingli «  (Die Re/ormierte Théologie des 16. und 17. Jahrhundrrts in ihrrr Entatehung und Entwicklung, 1926, p. 70). W. Koliler partage cet avis (< f. recension de l’ouvrage de A. Farner, dans Zeilsclirift der Savigny-Sliftung fur Rechtsgeschichle, t. i.i, Kan. Abt., xx, 1931, p. G7t>). En fait, note-t-il, Farner ne cite aucun texte à

niCT. DE TIIKOL. CATHOL.

l’appui de son assertion. Zwingli connaît la communauté des croyants, Zwingli connaît la prédication de la parole qui est pour lui une exigence, Zwingli connaît la communauté, les citations de Farner l’attestent amplement, mais il ne connaît pas précisément l’Église visible-invisible (que Luther propose) ». La raison en est, et il faut compléter ici les observations de W. Kôhler, que la parole est loin de jouer chez Zwingli le rôle qui lui échoit chez Luther. Si pour ce dernier l’Église est le lieu où la parole de Dieu est annoncée, pour Zwingli elle est celui où la parole est entendue, la parole intérieure s’entend, dont la parole extérieure n’est que le double ou l’écho. Il y a passage du dehors au dedans, de l’objectif au subjectif. De ce chef, on ne saurait dire que pour Zwingli l’Église invisible devient visible dans la communauté.

Ajoutons que le lien entre Église universelle des croyants (invisible) et communauté demeure chez Zwingli assez lâche et incertain. Autour de 1525, la communauté est comme attirée par une double polarité : celle de l’Église universelle des croyants, ou Église mystique, et celle de l’Église universelle tout court, ou Église empirique, qui comprend fidèles et infidèles. Ce dernier terme l’emportera ; Zwingli rattachera, nous le verrons, la communauté à l’Église empirique, et déjà à ce stade, l’intégration est proche (cf. A. Farner, Die Einordnung der Kilchhoren unter dièse Kirche lag nahe, op. cit., p. 7). Mais, ce faisant, il renoncera à un certain idéal communautaire pneumatique, qui a été sien jusque vers 1525, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il lui soit ravi par les anabaptistes. Et ici encore nous donnons raison à W. Kôhler contre A. Farner (op. cit., p. 6, n. 4). Kôhler écrit, en préface de VAnlibolon : « Il est à remarquer que Zwingli accentue le caractère de ces Églises particulières comme communautés de croyants (Gemeinden der Glâubigen). Ce sont les communautés de croyants telles que Luther les a en vue plus tard dans la deutsche Messe de 1525, pensées qui se rencontrent aussi nettement avec celles qui avaient cours dans les conventicules anabaptistes » (au t. m des Œuvres, C. R., p. 235).

c) L’idéal de la communauté pneumatique » et l’évolution subséquente du concept d’Église. — On a ainsi de l’évolution de Zwingli l’image suivante. Jusqu’en 1525, Zwingli se préoccupe, par opposition à l’Église hiérarchique, de faire valoir un certain idéal communautaire pneumatique s’étendant aux moindres membres de l’Église. L’idée évangélique du sacerdoce des laïcs, exploitée dans le sens du spiritualisme, n’est pas étrangère à cette prise de position (cf. C. R., i, 377, 1). En sus, Zwingli est impressionné par le pneumatisme du christianisme primitif, et notamment par le spectacle de l’Église de Corinthe (I Cor., xivxvi), dont il aime à s’inspirer et qu’il cite encore dans la Réponse à Valentin Compar, 27 avril 1525 (C. R., iv, 74, 27).

C’est là pour lui le modèle de l’Église pneumatique et antihiérarchique telle qu’il s’applique à l’instaurer dans le canton de Zurich, encore que cette période soit pauvre en réalisations. D’autre part, l’individualisme mystique des Tàu/er heurte son sens social, et contre leurs menées séparatistes naissantes, il en appelle au jugement des communautés (gemeiner Kilchen) (C. R., iv, 208, 15 ; 255, 1). Ajoutez que Zwingli a un autre intérêt à concentrer son attention sur la communauté : la dévolution des pouvoirs appartenant autrefois à la hiérarchie, à qui se fera-t-clle sinon à la communauté ? (Cf. Anlwnrl an Val. Compar, C. R., iv, 77, 12 : demi wir sind die Kilch.) De même, à l’eu contre du magistrat, Zwingli tente de revendiquer à ce stade l’autonomie des communautés, du moins m spirituel (C. i{., iv, 208, 21), et à raison de leur caractère pneumatique : en elles, c’est l’Esprit qui juge,

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    1. ZWINGLIANISME##


ZWINGLIANISME. NOTION D’ÉGLISE

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décide, lie ou délie. Tout cela apparaît comme un corollaire du concept d’Église pneumatique (universalité des croyants) et existe plutôt sur le papier que dans la réalité des faits : « Les peculiares Ecclesiæ de Zwingli sont pensées concrètement, comme suites de son concept d’Église, mais elles ne sont pas encore douées d’une vie réelle » (W. Kôhler, dans C. R., m, 235). Les faits en décideront autrement : l’Église pneumatique se muera ou s’enfermera dans le noyau des prédestinés, constituant comme le cercle intérieur d’une Église empirique, dans laquelle viennent prendre place les communautés singulières. L’Antibolon voit émerger cette notion d’Église empirique ; le rattachement des Églises particulières se fera subséquemment.

Mais le développement ne s’arrêtera pas là. Loin de vivre d’une vie propre, les communautés locales perdront de plus en plus leur autonomie aux dépens de la Cité. A Zurich notamment, l’Église locale est absorbée par la Cité, qui simultanément devient théocratie (cf. infra, col. 3876 sq.). Sans doute Zwingli continue d’affirmer, à rencontre des anabaptistes, l’existence de l’Église visible qui est devenue pour lui une évidence de foi ; mais désormais les communautés qui forment son substrat s’inscrivent dans le cadre de la Cité et en subissent la loi. À cette évolution, la faiblesse de l’ecclésiologie zwinglienne provenant de son dualisme latent n’a pas peu contribué. Nous obtenons ici la contre-épreuve de la vérité que nous avancions plus haut. Si la communauté locale avait jamais été Y incorporation de l’Église invisible (cf. A. Farner : Jede Gemeinde ist die Leibwerdung der wahren Kirche ; op. cit., p. 12), elle n’eût pas été aussi facilement intégrée à la Cité. Parce qu’elle n’avait qu’une existence falotte, suspendue entre Église mystique et Cité terrestre, elle a finalement cédé — non toutefois sans quelque résistance — au processus d’assimilation ( Gleichstellung). Il ne restera donc finalement que deux termes entre lesquels la scission sera complète : société des élus et cité théocratique. Mais revenons à Y Antibolon.

3. Nouvelle notion de l’Église : l’Église empirique. — Cet ouvrage ne connaît pas seulement l’Église mystique et les communautés pneumatiques. Il fait une place à l’Église empirique. C’est même par la considération de celle-ci qu’il prélude. Notons-le : cette notion est imposée à Zwingli par la lutte contre les anabaptistes. Ceux-ci ne visaient à rien moins qu’à « noyauter » les communautés zwingliennes et à les convertir en sectes ou communautés de « parfaits » (cf. L. von Murait, Glaube und Lehre der Schweizerischen W iedertaufer in der Reformationszeit, 101. Neujahrsblatt zum Besten des Waisenhauses in Zurich, p. 14). Ce n’était pas assez de recourir contre eux à une conception plus réaliste de la sainteté exigible ici-bas ; il fallait encore montrer que l’Église s’ouvre aux bons et aux méchants, encore que les uns et les autres n’aient pas des titres égaux à en faire partie.

a) Selon un procédé qui lui est familier, Zwingli en appelle au sens original du mot Église. En hébreu, il ne signifie pas autre chose que : die Gemeinde, die Versammlung, donc une grandeur empirique (C. R., iii,

252, 23 sq. ; cf. Antwort an Val. Compar., ibid., iv, 69, 27), et ici même. C’est l’acception courante dans l’A. T. : Totum populi Isrælitici cœtum, congregationem, concionem, etc., écrit Zwingli avec les meilleurs exégètes modernes {ibid., iii, 253, 15). Ce caractère populaire de l’Ecclesia hébraïque est le gage de la disparité de ses membres. Ainsi en est-il aussi dans le Nouveau Testament, comme en font foi les Paraboles (Matth., xiii, 24-39, 47-50 ; xxv, 1-13, cités ibid., iii,

253, 32 sq.). À la notion mystique de l’Église puisée dans saint Paul ou saint Jean succède une image plus réaliste tirée des Synoptiques. Bref, » tant dans l’An cien que dans le Nouveau Testament, nous voyons l’Église composée aussi bien de fidèles que d’infidèles, mais qui simulent la foi, et n’étant pas encore telle (nequc adhuc talem) qu’elle soit sans ride ni souillure » (C. R., iii, 254, 16). Clause importante : elle atteste que l’Église empirique est ordonnée à l’Église mystique, ou, si l’on veut, que celle-ci recrute ses membres dans celle-là.

b) Mais comment se fera ce passage, cette évolution vers un mieux-être de l’Église ? Par la prédication de la parole, sans doute. Aux anabaptistes qui procèdent à des discriminations hâtives (vermeitend, ein kilchen ze versamlen, die one sùnd wàr, dans Von der Taufe, C. R., iv, 207, 1 ; cf. W. Kôhler, art. cité, p. 677), Zwingli oppose la faculté d’expansion de la Parole : « Ayant constaté les progrès journaliers et la croissance de la Parole, nous n’avons consenti à aucune séparation » (C. R., iv, 207, 2 ; cf. ibid., iv, 210, 14 ; 480, 4 ; Sch.-Sch., vol. ii, t. iii, p. Il ; vol. iii, p. 405, c. fin.). Dans son merveilleux optimisme, Zwingli n’a-t-il pas espéré un moment que l’Évangile gagnerait toute la Suisse, et que la Confédération entière deviendrait croyante » (glâubig) ? (Cf. E. Beurle, Der politische Kampj um die religiose Einheit der Eidgenossenschaꝟ. 1520-1527, 1920, p. 26 sq.) Mais la parole chez Zwingli n’opère jamais seule. Si elle est douée de quelque efficacité, c’est de l’Esprit qu’elle la tient, et bientôt celui-ci prendra le pas sur elle (cf. Sch.-Sch., t. iv, p. 125). C’est l’action immédiate de l’Esprit qui assure le passage de VEcclesia contaminata à l’Église « sans ride ni souillure », selon le conseil même de la Providence, que peut seulement hâter la prière des fidèles (C. R., m, 260, 26). On pensera donc moins à des conversions en masse et rapides, dues à la puissance de la parole, qu’à un lent discernement de l’élite des fidèles, répondant à l’attrait intérieur de l’Esprit (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 8 : usque dum Spiritu itlustrati et ad Christum a Pâtre tracti essenl).

c) Présentement, les infidèles et les méchants se rencontrent avec les bons au sein de l’Église, sans que pour autant celle-ci cesse de porter son nom (C. R., m, 254, 24 : « Nous ne les reconnaissons que quand ils se révèlent par leurs fruits » ; ibid., 253, 30). Qu’est-ce donc qui les réunit aux justes, si ce ne sont pas la foi et la vertu communes ? C’est la profession publique de la foi au Christ : Videmus « ecclesiam » pro omnibus accipi, qui Christo nomen dederunt (ibid., 253, 24). Les sacrements, tels que les entend Zwingli, n’ont d’autre raison d’être que de donner lieu à cette profession ; à ce titre, ils constituent l’Église, non pas l’Église mystique, l’Église sine ruga et macula, qui demeure pour Zwingli la véritable Église (cf. Sch.-Sch. , vol. iii, p. 574, xvii ; 577-78, x ; ibid., vol. iv, p. 8, c. fin. : non minus credebatur de Ecclesia Christi esse…, quum nihil minus esset), mais l’Église empirique.

Il convient de situer dans cette perspective les traités composés par Zwingli entre 1525 et 1528 sur le baptême et la cène, contre anabaptistes et luthériens ; lui-même nous y invite, puisque)’Antibolon, inséré dans le Commentaire (1525), prélude à la section De sacramentis, qui traite des sacrements en général, et spécialement des deux mentionnés (C. R., iii, 757, 8). Il est notable que baptême et cène valent surtout pour Zwingli à raison de leur signification morale et sociale, c’est-à-dire de leur référence à l’Église ; cela est sensible de la cène, la tendance zwinglienne étant d’échanger la considération du corps physique du Christ contre celle du corps mystique (cf. C. R., v, 620, 9) ; ainsi surtout à propos de I Cor., x, 16 sq. (cf. supra, col. 3828). La cène a pour oflice propre de renforcer la solidarité chrétienne. Et déjà le baptême est interprété en fonction de l’Église conçue comme le

Peuple de Dieu, la théocratie nouvelle (cf. supra, col. 3824).

d) Mais plus encore, ce qui contribue à imposer à l’esprit de Zwingli la notion d’Église visible, c’est la mission éducatrice à l’égard du peuple suisse qu’il donne à l’Église. Car avant d’être réformateur religieux, Zwingli est d’abord éducateur de la conscience publique, ou du moins il est à la fois l’un et l’autre ; chez lui foi réformée et ambition patriotique s’allient et se renforcent l’une l’autre. Or seule une Église qui fût une Volkskirche pouvait répondre à ces exigences.

Notons d’ailleurs que l’évolution du concept d’Église est parallèle à un changement accompli sur un autre front : celui de la réalité politique. Pour mieux déjouer les manœuvres des anabaptistes et finalement les éliminer de la scène, Zwingli se voyait obligé de s’appuyer sur le pouvoir séculier. Du même coup, il devait sacrifier son idéal religieux communautaire à un autre idéal plus politique, ayant à son service une armature juridique et des moyens moins purs. Mais ici encore, il rejoignait, fût-ce par un autre biais, l’idée théocratique, à laquelle désormais il s’attacha comme répondant à la double polarité de ses aspirations.

e) Finalement un progrès s’est accompli à la fois sur le plan des idées et sur celui des faits. Au premier point de vue, le facteur décisif fut la notion d’Église visible, que nous venons d’évoquer. Une conception purement mystique de l’Église, à laquelle le spiritualisme zwinglien inclinait, n’était pas passible des développements ultérieurs. Est-ce à dire, comme le veut A. Farner (op. cit., p. 130), que le concept d’Église visible, qui fait son apparition dans VAntibolon, représentait pour Zwingli une acquisition entièrement nouvelle ? Non pas. Déjà dans l’Epichiresis (1523), qui se situe temporellement entre les deux Disputes, Zwingli écrivait : Pro catholica Ecclesia, nimirum ea quæ cunctos, qui Christi nomine censentur, etiam si pessimi sunt, complectitur (C. R., ii, 572, 16) ; et dans les œuvres contemporaines, il n’eût pas attribué aux communautés un pouvoir disciplinaire sur leurs membres, si parmi ceux-ci ne s’étaient insinués les faux frères, les infidèles et les pécheurs. Cependant, c’est surtout en 1525 que cette conception gagne du terrain. On la retrouve dans deux autres opuscules du même temps : dans Aniivort an Val. Compar (27 avril 1525), Zwingli interprète la communion des saints de das christenlich volck, das gantz volck der Christen, die gantz allgemein Christenheil (C. R., iv, 70, 7), la communion des saints s’entend de l’ensemble du peuple chrétien, et non plus, comme plus haut, des seuls croyants ; — et dans : Von dem Predigtamt (30 juin 1525) (ibid., iv, 390, 15) : das Christus genannle ûmpter [Eph., iv, Il sq.] in synen lychnam gesetzt habe, das ist : in die kilchen, etc. (textes cités par V. Kohler, art. cité, p. 676).

3° La notion d’Église dans les dernières œuvres (1630-1631). — La notion d’Église chez le Réformateur était promise à de nouveaux développements, toujours dans la ligne des précédents, dus partie aux incidences de la polémique et de la politique, partie aux nécessités logiques du système zwinglien. (Voir : Fidei ratio ( 1530), Sch.-Sch., vol. iv. p. 8-9 ; Christianie fidei exposiiin (1531), ibid., p. 58-59 ; Quiestiones de sacram. baptismi (1530), ibid., vol. III, p. 572 sq. ; Annot. in Evang. Matth., ibid., vol. vi, t. i, p. 337-338, cf. p. 448).

Dans l’ensemble, on note un triple progrès : 1. La crise anabaptiste est surmontée ; l’Fglise mystique reprend le dessus, elle repasse au premier plan de lu considération. Zwingli l’appelle l’Église sans ride ni souillures » (Sch.-Sch., vol. iv, p. 8, sexto ; cf. vol. iii, p. 572, ix) ; ou plus proprement

l’Église invisible (ibid., vol. iv, p. 58) ou spirituelle (ibid., vol. iii, p. 574, xv ; 578, x). C’est ce dernier terme qui la caractérise le mieux ; elle est en effet la grande famille spirituelle des enfants de Dieu qui puisent dans l’Esprit la certitude de leur élection (ibid., vol. iv, p. 8 et 9). Si jadis, à la suite de Luther, Zwingli avait défini l’Église la « communauté des croyants », c’est-à-dire en fonction de la Parole et de la foi, à présent qu’il subit davantage la logique de son propre système, il la regarde de préférence comme la « communauté des élus ».

C’est dire que la notion d’Église n’est plus ancrée | sur le Christ (Corps du Christ), mais bien fondée sur ! l’Esprit ou sur Dieu. C’est Dieu qui prédestine et en I définitive il n’y a que le décret divin à constituer l’Église : Ecclesiam accipi pro electis islis, qui Dei voluntate destinati sunt ad vilam leternam. Sch.-Sch., vol. iv, p. 8 (cf. : Quæst. de sacr. bapt., où à V Ecclesia primitivorum s’oppose l’Ecclesia damnatorum, ibid., vol. iii, 572, viii). Grâce au don de l’Esprit (àppagcov), l’élection devient certitude subjective, ayant pour effet de rendre la foi sûre et inébranlable. La conscience d’être membre de l’Église est inséparable de cette certitude ; c’est dire qu’elle est rigoureusement propre au sujet. L’Église se compose donc de membres qui, pris singulièrement, ont dans l’Esprit la certitude de leur élection, mais non point pris collectivement, car chacun ignore si son prochain est élu (ibid., vol. iv, p. 8). Pour beaucoup, l’élection ne se découvre qu’au dernier moment, étant suspendue quant au signe à la conversion ou à la persévérance dans les bonnes œuvres. Mais n’est-ce pas là, du même coup, à force de tension, faire éclater le concept d’Église ? A ce prix, en effet, l’Église cesse d’être une communion. Mais Zwingli n’en a pas conscience.

2. À cette Église invisible s’oppose l’Église visible (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 58 : eam esse aut visibilem aut invisibilem ; vol. iii, p. 572, ix ; vol. iv, p. 9 ; — voir Lettre aux Bernois, 9 décembre 1529, C. R., x, 348, 15 sq., où cette opposition apparaît pour la première fois) — ou sensible (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 574, xv : Ut sic sil Ecclesia sensibilis et spiritualis), laquelle groupe deux catégories de membres : à côté des membres adultes qui font profession de christianisme sans toujours vivre en chrétiens (jatentur Christi nomen, Sch.-Sch., vol. iv, p. 8 ; cf. déjà Antibolon, C. R., iii, 253, 25 : qui Christo nomen dederunt), il y a les enfants qui, par le baptême, sont entrés dans l’Église, cela en vertu de l’Alliance ou de la promesse. Comp. la dualité recouverte par l’expression : Nthll nisi alterum istorum, aut confessionem sive nominis dationem, aut fœdus sive promissionem requirit (ibid., vol. iv, p. 9, c. fin.). Le baptême figure ici distinctement comme signe d’agrégation à l’Église ; l’intégration à l’ecclésiologie zwinglienne des idées développées durant la controverse anabaptiste est achevée.

L’Église visible est nommée Église, quoiqu’elle ne soit pas identique à l’Église « sans ride ni souillure » (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 572, ix : Ergo in Ecclesiam visibilem, quæ et ipsa Christi Ecclesia vocatur, quantumvis non sit ista qui ? sine macula est ; cf. ibid., vol. iv, 9), vu qu’elle contient des membres qui n’ont pas la vraie foi. Si donc elle est considérée comme l’Église du Symbole (Sch.-Sch., vol. iv, p. 68), l’Église une, universelle (ibid., vol. iv, p. 9) — voire comme la véritable Église du Christ (ibid., vol. iii, p. 575, xviii, c. fin.) — c’est à raison des membres fidèles qui y sont inclus : on atlrilnic ainsi au tout ce qui est le fait de la melior pars (synecdoque ; ibid., vol. iii, p. 574, xvii).

Mais il y a plus : la profession de foi chrétienne ((institue par soi-même un titre Miflisant à cette appellation, et c’est là sans doute qu’il faut placer le

progrès essentiel accompli depuis 1525 (cf. Fidei ratio, Sch.-Sch., vol. iv, p. 9 : Credo et universalemsensibilem [se. Ecclesiam] unam esse, dum veram confessionem istam, de qua iam dictum est, tenet ; cf. aussi Christiame fidei expositio, ibid., p. 58 : « L’Église universelle est ou visible ou invisible » ). Ce qui n’empêche nullement Zwingli de maintenir l’Église sine ruga et macula, quoiqu’il l’entende en un sens différent de ses adversaires. Chez lui, c’est le dogme de la prédestination, devenue la pièce majeure de son système, qui en rend compte.

3. Enfin les communautés particulières sont rattachées cette fois à l’Église universelle et visible, dont elles sont l’expression locale. L’attraction de cette dernière a été la plus forte. C’est dire qu’elles ont perdu de leur aspect pneumatique pour prendre figure d’instituts visibles : évolution correspondant aux faits, car, dans cette dernière période, les communautés s’encadrent dans la Cité, la Kirchgemeinde s’identifie avec la Stadtgemeinde, et à son tour l’Église elle-même, par assimilation, prend figure de cité (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 577, vi : Quibus nos decernimus Ecclesiæ ius ac civitatem esse ; ibid., vol. iv, p. 58, c. fin. ; C. R., ix, 466, 11). En définitive, il ne reste plus qu’une opposition massive entre l’Église invisible et l’Église visible, ou, si l’on veut, l’Église « idéale » et l’Église empirique : l’une étant fondée en Dieu, ayant son mystère caché en Dieu, dans l’élection (et non plus manifesté dans le Corps du Christ), l’autre étant sujette aux vicissitudes d’ici-bas, ayant son sort lié à celui de la Cité terrestre et incluant en son sein bons et méchants. Qui ne voit que cette opposition coïncide avec celle qui fait le fond du système zwinglien : entre la réalité spirituelle et le monde extérieur, sensible (cf. Quæst. de sacr. bapt. où l’opposition est entre : Ecclesia sensibilis et spiritualis, Sch.-Sch., vol. iii, p. 574, xv).

D’autant que l’Église invisible se prend par référence au jugement divin, l’Église visible a pour mesure le jugement humain, qui s’en tient le plus souvent aux apparences (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 573, xiv : humano iudicio ac sensui ; C. R., iii, 253, 20 : corpore ac hominum opinione). Au jugement humain, est membre de l’Église quiconque est baptisé et fait profession de christianisme, encore qu’il ne soit pas élu et aux yeux de Dieu ne fasse pas partie de l’Église ; cette considération ne l’en exclut pas pour nous autres, hommes, qui, traitant de l’Église comme d’une réalité sociologique, sommes obligés de tenir compte des seules dispositions manifestées ou signes donnés. À ce titre, on est obligé de considérer comme membre de l’Église quiconque remplit les conditions susdites (contre les anabaptistes) (cf. Qusest. de sacram. bapt., Sch.-Sch., vol. iii, p. 572, ix : In Ecclesiam visibilem, …censentur hi quoque qui apud Deum repudiati sunt, dummodo noslro iudicio satisfaciunt ; ibid., 576, v). C’est pourquoi aussi les titres de l’Église invisible sont transférés à l’Église visible, même celui d’élue felecta), d’après I Petr., i, 1 (cf. Fidei ratio, Sch.-Sch. , vol. iv, p. 9). Sed quemadmodum [se. Ecclesia visibilis] est hominum iudicio Ecclesia Dei, propter sensibilem confessionem, sic eadem ratione adpellatur electa (Quæst. de sacr. bapt., ibid., vol. iii, p. 575, xvii : l’accent est ici sur adpellatur qui suggère une certaine fiction).

Cependant ces attributions ne doivent pas faire illusion, pas plus que la réunion sous une même accolade de l’Église visible et de l’Église invisible (cf. ibid., vol. iv, p. 58 : Credimus et unam sanctam esse catholicam, hoc est universalem Ecclesiam : eam autem esse aut visibilem aut invisibilem). Devant le Reichstag d’Augsburg, zwingliens et luthériens confessent à l’envi la catholicité de l’Église et ils la revendiquent

pour eux-mêmes : loin de créer une secte, nous adhérons, semblent-ils dire, à l’unique Église visible (cf. W. Kôhler, art. cité, p. 681, n. 1, contre A. Farner, op. cit., p. 9). Mais cette affirmation de foi n’avait pas de contre-partie sur le plan des réalités, sinon la Cité-Église de Zurich, et, à la réflexion, Zwingli lui-même devait sentir la tension qui existait entre l’Église du Symbole et la théocratie zurichoise. Pour se survivre, les communautés détachées de la Magna Ecclesia étaient contraintes de composer avec la Cité terrestre, vers laquelle d’ailleurs leur vocation même les poussait. Et cette tension se traduit dans les expressions mêmes qui servent à Zwingli pour désigner ces deux aspects ou fractions de l’Église, séparés désormais par un fossé : d’une part, c’est l’Ecclesia spiritualis, quee soli Deo patet, Sch.-Sch., vol. iii, p. 577, vi ; Ecclesia primitivorum, ibid., p. 572, ix ; ou Ecclesia sine macula et sine ruga (C. R., iii, 253, 22 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 9), synonyme de transcendance et d’absolu ; — de l’autre, c’est l’Ecclesia nostra, Sch.-Sch., vol. iii, p. 572, ix ; l’Ecclesia, quee nobis vocatur Ecclesia, ibid., p. 577, vi, avec tout le relativisme et la contingence qui s’attachent à ces termes.

Conclusion. — Ainsi les deux aspects de l’Église ont évolué chez Zwingli en sens inverse : c’est pourquoi, loin de se rejoindre pour former l’essence de l’unique Église, qui participe au mystère de l’incarnation, ils s’éloignent l’un de l’autre, et finalement la disjonction est complète. Entre l’Ecclesia electorum, qui est en Dieu, et l’Église empirique, qui se laisse absorber par la Cité terrestre, il n’y a plus de contact ni de commune mesure possible. Sans doute, avec le temps, Zwingli a-t-il approfondi et élargi en tous sens son concept d’Église ; il a réussi à le saisir, peut-on dire, en toute sa compréhension, et en ceci il s’avère supérieur à Luther ; mais ce surplus d’ampleur et de richesse a été acheté au prix de l’homogénéité du concept. Malgré ses efforts, le réformateur zurichois ne peut maintenir l’unité de la notion d’Église.

II. le ministère.

La doctrine de Zwingli sur le ministère, comme sa notion d’Église, est issue de la polémique contre les catholiques d’abord, les anabaptistes ensuite (cf. A. Baur, Zwingli’s Lehre vom geistlichen Amte, dans Zeitschrift fur praktische Théologie, 1888, p. 193-220). Il l’a proposée dans deux opuscules de date et de caractère différents : Der Hirt (26 mars 1524 ; C. R., iii, 1 sq.) f et Von dem Prediglamt (30 juin 1525 ; C. R., iv, 369 sq.).

L’idéal du pasteur évangélique.

Le premier est

la rédaction d’un sermon donné aux pasteurs assemblés à Zurich à l’occasion de la IIe Dispute. Zwingli y censure le clergé du temps : ce sont de faux prophètes ou faux pasteurs ; et il lui oppose l’image du vrai pasteur, qui pratique les vertus chrétiennes, enseigne la pure parole de Dieu, défend la vérité sans faire acception de personne et est prêt à sceller ce témoignage de son sang. L’auteur vise à frapper l’imagination populaire, il emploie, comme souvent en pareil cas, le procédé antithétique qui consiste à inculquer une leçon en présentant, à côté de la vérité, l’exemple contraire. Aussi bien l’Évangile ici lui montrait la voie (cf. Joa., x, Il sq. ; C. R., iii, 25, 16). Cependant, encore que Zwingli réclame de son pasteur la pratique des vertus évangéliques, ce n’est pas tant dans le Nouveau que dans l’Ancien Testament qu’il puise son inspiration. Comme l’écrit P. Wernle, il est clair que « l’esprit de l’Ancien Testament a pris le dessus dans son âme… Si Zwingli s’en était tenu aux épîtres de S. Paul, le portrait aurait été différent. Ce qui est dessiné ici, c’est l’image d’un Pfarrer évangélique qu’anime l’esprit qui souffle de l’Ancien Testament (Zwingli, 1919, p. 131).

Aussi ce pasteur modèle, qui n’est autre que Zwin

gli lui-même, prend-il des allures de prophète. Il a une mission à remplir à l’égard, non seulement du peuple chrétien, mais des grands de ce monde, et cette mission est décrite dans les termes de Jer., i, 9 : favorable aux entreprises bonnes, il est impitoyable pour le mal (C. R., iii, 23, 6 ; iv, 394, 5 sq.). Il est remarquable que le regard de Zwingli, dans cette instruction pastorale même, porte au delà de l’Église : le pasteur chrétien est responsable du bien social de la communauté où la Providence l’a placé. C’est à ce titre qu’il s’arroge le droit de reprendre les gouvernants. « De même que chez les Spartiates on voyait les éphores, chez les Romains les tribuns, et en bien des villes allemandes aujourd’hui encore on voit les chefs des corporations s’opposer de plein droit au détenteur de l’autorité dans le cas où il abuse de son pouvoir, de même Dieu a disposé au milieu de son peuple ses fonctionnaires attitrés, les pasteurs, qui ont pour mission de veiller sur lui en tout temps : car, selon la volonté de Dieu, il n’est personne, si élevé en dignité qu’il soit, à qui l’on ne puisse (et doive) dire son fait. Et encore que celui qui en est officiellement chargé se dérobe parfois, par fausseté ou crainte, à son devoir, le prophète, lui, ne doit pas dormir » (C. R., iii, 36, 7). Entendez : il doit intervenir et assumer un rôle qui, de droit, reviendrait aux rouages administratifs constitués, mais qui éventuellement lui est dévolu. Il s’en acquittera, mû sans doute par une inspiration supérieure et avec un élan prophétique ; il n’en est pas moins vrai que par ce biais le pasteur ou prophète se voit appelé à contrôler la marche des affaires publiques. C’est par anticipation la légitimation du rôle que Zwingli jouera à Zurich.

2° Organisation du ministère dans les communautés zwingliennes. — Dans ce traité, Zwingli s’adresse à des pasteurs en place ; il se préoccupe de leur infuser un esprit nouveau plutôt que d’organiser l’Église et de créer des cadres. Les anabaptistes l’obligèrent à tourner son attention de ce côté ; d’où le second opuscule : Von dem Predigtamt. Eux-mêmes ne connaissaient qu’un ministère de type prophétique itinérant ; passant d’une communauté à l’autre, ils prenaient subitement la parole dans les assemblées, se donnant pour inspirés par l’Esprit, et ils y semaient le désordre (C. R., iv, 420, 3 sq. ; cf. E. H. Correll, Das Scluueizerische Tâu/er-Mennonitentum, Tûbingen, 1925). Zwingli était assez enclin à laisser à l’inspiration privée une certaine liberté dans les réunions de fidèles, d’après la leçon de I Cor., xiv, 26 sq., commentée ici (C. R., iv, 394, 22 sq.) et qui illustrait pour lui la communauté pneumatique en acte (cf. supra, col. 3849). Cependant, par suite de l’abus que les anabaptistes faisaient de ce principe, il fut forcé d’en tempérer singulièrement l’application et, après avoir détruit la hiérarchie catholique, d’instaurer dans ses Églises un double office comprenant pastoral et magistère.

Il fallait à l’institution un fondement scripturaire ; Zwingli le trouve dans Eph., iv, 11-14 (C. R., iv, 390, 5). Ce texte, d’allure mystique, correspond à la structure de l’Église telle que Zwingli l’envisage (Corps du Christ). S’il laisse de côté le ministère plus ordinaire des presbytres ou anciens, pour lequel Zwingli lui-même n’a aucune considération (cf. infra), il énumère un certain nombre d’offices distincts, ce qui permet de sortir de l’espèce d’anonymat attaché au mot de Pasteur, et il rattache ces offices à une institution divine. L’accent est à mettre en tête : * Il a établi dans son Église » : autant dire que personne ne peut s’arroger l’office d’apôtre, à moins d’avoir été envoyé par Dieu (C. R., iv, 427, 19), ni celui de prophète et de docteur, sans en avoir reçu mandat de la communauté (ibid., 428, 34). Celle-ci ne fait d’ailleurs que reconnaître le charisme ou l’appel de Dieu (ibid.,

421, 19 ; 426, 7 ; 431, 22). Il semble donc que, s’il a écarté l’idée d’un ordre proprement dit fondé sur le caractère (notion catholique) (cf. C. R., ii, 438, 61° article ; iii, 824, 8, et supra, col. 3819), Zwingli ne s’est pas pour autant rallié aux vues extrêmes d’un ministère purement pneumatique (anabaptistes ; calvinisme puritain). Sans doute, le ministre de l’Église zwinglienne est doué d’un charisme, et sa mission vient directement de Dieu, suscitée par l’Esprit même, qui l’envoie annoncer la parole et dire la vérité aux puissants comme au peuple (cf. Der Hirt) ; mais son office même le dépasse ; grandeur impersonnelle, il se rattache à l’institution du Christ (cf. A. Farner, op. cit., p. 21) ; en outre, il requiert une certaine investiture de la communauté.

Quant à l’assimilation des termes employés par l’Apôtre aux offices ou fonctions en usage dans les Églises réformées, elle ne va pas, bien entendu, sans nombre d’accommodations et d’entorses. Il est clair cependant que pour Zwingli le précédent apostolique fait loi en matière institutionnelle. — Les apôtres sont hors rang ; missionnaires « sans moyens ni réconfort , ils sont envoyés aux contrées païennes. Leur mention permet à Zwingli de se débarrasser des prédicants anabaptistes. Ils se prétendent apôtres : qu’ils aillent donc évangéliser les païens (C. R., iv, 428, 25). Prophètes, évangélistes et pasteurs, ce sont là, pour notre auteur, autant de synonymes de l’office qu’il désigne par ailleurs du nom d’évêque, de curé ou encore de veilleur (Bischoj, Pfarrer, Wûchteraml) (cf. C. R., i, 231, 22 ; iv, 398, 1). Ce nom de Wâchler (ou d’Aufseher) est retenu et sera employé de préférence par Zwingli (cf. C. R., iv, 399, 2 ; 416, 9 ; 430, 1 ; v, 482, 16, etc.), sans doute à raison de ses résonances prophétiques (A. T.). Il suggère que les détenteurs de la charge pastorale sont avant tout gardiens de la discipline des communautés, et ont en outre une fonction sociale d’ « avertisseurs » à remplir à l’égard de la Cité.

Mais, dans l’économie zwinglienne, ce n’est là qu’un aspect du ministère. L’autre, non moins essentiel, consiste dans l’explication de l’Écriture, qui, aux termes de l’énumération paulinienne, serait le fait des prophètes ou des docteurs (C. R., iv, 398, 3 ; 416, 29). Cette fonction comporte la connaissance des langues, le don par excellence au jugement de Zwingli ; encore que dépouillé du caractère pneumatique qu’il revêt dans l’Écriture, il est mis en ligne avec le charisme dont il est question I Cor., xiv, 5 (cf. ibid., 417, 15 sq.) : « Je désire que vous parliez toutes les langues » ; Zwingli glose : de préférence l’hébreu (ibid., 418, 19). On lira ici (C. R., iv, 417-418), à l’adresse des anabaptistes (cf. Baur, Zwinglis Théologie, ii, p. 142), une belle apologie du rôle de la linguistique dans l’interprétation de l’Écriture, suggérée d’ailleurs par l’humanisme, et dont l’optimisme ne laisse pas de surprendre un peu. Zwingli donne à entendre que l’Écriture n’a plus de secrets pour qui a appris la langue originale (C. R., iv, 418, 14). Finalement, on le voit, le ministère comporte pour lui une triple habilitation : charisme, mission et formation appropriée.

Zwingli et le sacerdoce des laïcs.

Mais que

devient avec tout cela le sacerdoce des laïcs » (cf. C. R., i, 377, 1) et Hubmaier n’avait-il pas raison quand, avec une pointe d’ironie, il reprochait.’i Zwingli d’instaurer le règne des linguistes à la place de celui des t papistes  ? (Cf. Hubmaier, Von dem christlichen Tauf der Gldubigen, ch. vi : Oder wir mussten fiiran aber al weg warten ufj die, zùngtcr (jeu de mots sur le nom de Zwingli), wie wir bissher haben mussen ufj den baptt und concilien warlen. Cité C. R., iv, 601, n. 8.) Zwingli s’emploie à sauver le principe unlversaliste, pierre angulaire de la Réforme,

comme l’écrit A. Farner. Il explique que sans doute l’Écriture est claire à ceux que l’Esprit-Saint instruit dans l’intime de l’âme, mais qu’une exégèse scientifique est indispensable à raison de ceux qui en pervertissent le sens (ibid., 417, 31). Il distingue en outre entre V enseignement officiel dans l’Église, qui est réservé « aux prophètes, interprètes et linguistes », encore que la communauté ait permission d’intervenir, selon I Cor., xiv, 31 (cf. ibid., 427, 15 ; 429, 10. Zwingli observe de près l’ordre suivi par saint Paul : les membres de l’assistance n’interviennent que quand les prophètes ont fini de parler et dans le cas seulement où l’interprétation qu’ils donnent de l’Écriture n’est pas satisfaisante, ibid., 395, 3 sq. ; cf. i, 382, 6) ; — et l’entretien privé sur Dieu, que chacun peut avoir à son gré avec son voisin (C. R., iv, 430, 14). Encore est-il, et ceci est essentiel, que les prophètes et ministres quels qu’ils soient sont soumis au jugement de la communauté rassemblée : il est de la compétence de celle-ci de connaître de la doctrine, grâce « au Dieu qui habite en elle » (ibid., 395, 29 ; cf. C. R., iii, 64, 6 : Der Hirt ; 78, 28 : Anmerkungen zu « Der drei Bischofe Vorirag an die Eidgenossen » ; 751, 21 ; 756, 23 : Commentaire ) — comme aussi d’exercer la discipline (excommunication ; choix des pasteurs, après consultation des principaux de la communauté) (ibid., iv, 427, 10).

Bref, la tendance zwinglienne paraît bien être, à partir de 1525, tout en maintenant l’autonomie des communautés, de restreindre les prérogatives de celles-ci au bénéfice d’un corps constitué de pasteurs et de docteurs, chargés de la discipline et de l’enseignement. C’est l’impression qu’on éprouve à la lecture de ces pages, et en particulier de ce texte alambiqué : « De même qu’il ressortit partout à la communauté de porter les sentences d’excommunication, comme aussi d’enseigner, ainsi et à plus forte raison la nomination d’un docteur (Lehrer) n’est pas de la compétence d’un évêque étranger et orgueilleux, ni d’un abbé, mais de l’Église, s’adjoignant le concours de prophètes et évangélistes chrétiens de bon conseil ; car ce choix n’est pas du ressort de la communauté ordinaire toute seule : on peut l’inférer de I Cor., xiv, où l’enseignement de la doctrine lui-même n’est pas confié à la communauté comme telle, mais aux prophètes, interprètes et linguistes, encore que la communauté soit autorisée à dire son mot » (C. R., iv, 427, 8-17).

De la sorte, cet écrit éclaire la vie et l’évolution des communautés zwingliennes ; il nous les montre passant, comme dirait Sohm, du stade pneumatique au stade constitutionnel. Pour résoudre les problèmes de cet ordre qui se posaient à lui et dont l’urgence était rendue plus grande par suite des agissements des anabaptistes, Zwingli recourut instinctivement au précédent apostolique et entreprit de rétablir le ministère sur la base du Nouveau Testament. Cette reconstruction nous paraît artificielle ; elle était vouée à l’échec parce qu’elle considère le ministère comme définitivement fixé ; elle fait abstraction de l’évolution historique et des éléments culturels qui devaient par la suite entrer dans l’institution et lui donner à chaque siècle un visage nouveau, tout en respectant ses lignes essentielles. En outre, Zwingli se livre à l’égard du texte sacré à toutes sortes de manipulations, dans le but d’appuyer ses réformes. À cet égard, les anabaptistes et autres spirituels sont sans doute plus près de l’Écriture et des chrétientés primitives.

Et cependant on ne saurait leur donner raison. Car, comme l’écrit W. Kôhler, a on n’a jamais réussi à bâtir une organisation sociale sur l’enthousiasme : un François d’Assise l’a expérimenté comme un Georg Fox. Aussi Zwingli l’emporte-t-il sur les anabaptistes,

quand il se prononce en faveur de l’office de prédicateur, substitue à l’inspiration sans mandat l’ordre et le choix de la communauté, et met à la charge de celle-ci l’entretien des P/arrer. Ce sont là les éléments dont une vie ecclésiastique organisée ne peut se passer. I Et d’autre part, il suffit de lire la lettre de Markus I Murer à Zwingli, avec son manque de connaissance I scientifique de la Bible, son alignement mécanique de textes scripturaires, pour se sentir porté à donner raison à Zwingli, quand il exige une bonne formation scientifique des Pfarrer. La simple « lecture » de la Bible ne va pas loin, et les prédicateurs d’aujourd’hui qui ont affaire avec les Cemeinschaften (cercles piétistes ) savent à quelle confusion le biblicisme aboutit. L’humaniste, et en même temps l’homme qui vit au contact des réalités, défendent ici en la personne de Zwingli les intérêts vitaux de la Réforme. Le succès du christianisme laïc des anabaptistes eût signifié l’infériorité culturelle de la Réforme et l’eût reléguée en marge des grands courants de l’histoire » (au t. iv des Œuvres, C. R., p. 378).

4° Derniers développements. Prédominance du Prophète. — Par ailleurs, encore que Zwingli étaye ses vues sur le ministère à l’aide du même texte (Eph., iv, 11) qui suggérera à Bucer et à Calvin l’instauration d’un quadruple ministère (cf. les études de Strohl et Fr. Wendel), on chercherait en vain chez lui l’idée d’une pluralité de ministères ; elle est même exclue expressément par le 62e article de Y Auslegung der Schlussreden (C. R., ii, 441, 1 sq.). De même, Zwingli assimile les fiyoûiævoi de Hebr., xiii, 17 à de simples ministres de la parole (C. R., ii, 312, 16) ; et la fonction d’Ancien (Act., xv, 6) n’a pas pour lui de connotation proprement religieuse (C. R., ix, 455, 33 ; cf. A. Farner, op. cit., p. 115).

Tout au plus prévoit-il que dans la même ville les ministres se partagent les tâches pastorale et d’enseignement, en vue sans doute de libérer ceux qui sont spécialement chargés de la doctrine (C. R., iv, 416, 19). À ceux-ci il incombe, non seulement d’instruire les communautés, mais aussi et plus encore de former les futures recrues au ministère et d’établir ainsi une certaine unanimité ou tradition doctrinale. Voir plus haut, col. 3767, le rôle de la Prophezei, dont l’institution à Zurich est contemporaine du Von dem Predigtamt (C. R., iv, 398, 6).

Dans la suite, Zwingli donnera la prééminence au prophète, qui sera, à lui seul, comme une personnification ou une sorte d’épitomé du ministère : ainsi dans le prologue à la Complanatio Ieremise Prophetse (1531) (Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 1 sq.). Dans la Fidei ratio (1530), Zwingli superpose au ministère régulier des ministres du culte ou pasteurs et des docteurs le ministère prophétique (Sch.-Sch., vol. iv, p. 16). De la sorte, finalement, le ministre-type de l’Église zwinglienne, ce ne sera donc ni le prêtre ni le pasteur, mais le prophète, avec l’ambiguïté que ce terme implique déjà dans l’Écriture (C. R., iv, 397, 33). A Zurich même, il y aura des prophètes en sous-ordre, qui feront plutôt fonction de magistri es sciences bibliques, tandis que Zwingli sera le grand inspiré, présidant aux destinées de l’Église et de la société civile elle-même. Comme l’écrit A. Farner (op. cit., p. 22), « c’est sa situation personnelle de prophète qui a imprimé à sa conception de l’Église la direction qu’on lui voit prendre ».

/II. RELATIONS DE L’ÉGLISE ET DE L’ÉTAT. —

Position de la question. Interprétations modernes. — a) Avant de s’attaquer aux textes de Zwingli sur le sujet, il convient d’abord de déblayer le terrain de toutes les théories accumulées depuis un demi-siècle, lesquelles procèdent d’un point de vue trop exclusivement juridique ou juridico-ecclésiastique et ne 3861 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3862

tiennent pas un compte assez exact des données historiques et de la manière dont la personnalité de Zwingli a réagi sur elles, ni de tous les éléments de son ecclésiologie. On n’a pas non plus assez séparé la cause de Zwingli de celle de Luther : rapproché de l’Allemand, le réformateur suisse s’est vu appliquer le même traitement ou, mieux, on l’a étudié à partir de la même problématique.

Celle-ci, depuis les études de Gierke et de Sohm, est largement déterminée par la notion de Corpus christianum, dont ces auteurs ont souligné l’importance pour la compréhension de l’idéal religieux et politique du Moyen Age. Il s’agit donc de savoir si la Réforme a continué cette tradition ou rompu avec elle. La théorie luthérienne des deux Royaumes, qui a pour parallèle chez Zwingli la théorie des deux Justices (cf. supra, col. 3809 ; voir aussi le dualisme Parole-Autorité, G. R., ii, 523, 20 ; Prophète-Magistrat, Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 1 sq.), constitue assurément un préjugé en faveur de la seconde hypothèse. À l’enchevêtrement des compétences léguées par le Moyen Age, la Réforme oppose la distinction nette du spirituel et du temporel, l’Église étant le royaume purement intérieur des âmes, tandis que la société civile s’occupe des intérêts temporels. Nous sommes en marche vers la laïcisation de l’État moderne.

b) Cette conclusion extrême est rejetée par nos auteurs : cependant ils se partagent en deux camps, selon qu’ils considèrent chez Luther l’héritier du Moyen Age (Troeltsch, W. Kôhler, P. Meyer) ou le novateur (Holl). Pour Holl, l’accent mis par Luther sur la foi personnelle est incompatible avec le maintien de la théorie du Corpus christianum. A. Farner a abordé Zwingli sous le même angle et entendu vérifier à son sujet le bien-fondé de la thèse de Holl (cf. A. Farner, Die Lehre von Kirche und Staat bei Zwingli, Tûbingen, 1930). Selon lui (et Holl), la Réforme aurait arraché la « pierre d’angle », sur laquelle était construit l’édifice moyenâgeux d’une chrétienté une et universelle, incluant Église et État (op. cit., p. 68 sq., 81 sq.).

Meinecke (Historische Zeilschrift, t. cxxi) et W. Kôhler (Zeilschrift der Savigny-Stiftung fur Rechtsgeschichte, LI, Kan. Abt., xx, 1931, p. 680-681) répondent par un non sequitur. Le sens nouveau donné à la justification n’exclut pas le maintien de l’idée de chrétienté (sur le terme même chez Zwingli, cf. C. R., ii, 308, 4 ; 501, 10 ; iv, 70, 9), pas plus que la notion d’Église invisible n’exclut l’Église visible universelle. Zwingli dit bien : Credo et universalem sensibilem Ecclesiam unam esse (Sch.-Sch., vol. iv, p. 9). A cette chrétienté extérieure appartient aussi l’autorité (die Obrigkeit). Dans ses autres ouvrages, W. Kôhler admet sans la discuter la survivance chez Zwingli de l’idée de Corpus christianum (cf. Zwingli und die Reformalion in der Schweiz, 1919, p. 52 ; Die Geisteswell Ulrich Zwinqlis, 1920, p. 135-136). P. Meyer, son disciple, fait de même (Zwinglis Sozial-Lehren, Linz, 1921, p. 14. 130).

c) Récemment Dr. Brockclmann a soumis la question à un nouvel examen (Dos Corpus christianum bei Zwingli, dans Brestauer historische Forschungen, fasc. 5, Brestau, 1938). Cet auteur arrive à la conclusion que t la pensée « le Zwingli est. dès le début, déterminée par la conception moyenâgeuse du Corpus christianum » (op. cit., p. 51). La base textuelle sur laquelle repose cette thèse reste malgré tout assez mince (les citations directes tiennent en deux pages, p. 57-58). Aussi bien son Intérêt est ailleurs : elle montre que la question des relations des deux Pouvoirs se règle chez Zwingli par référence non à l’Église Invisible (communauté des croyants), mais bien à l’Église visible, concrètement à la communauté. Mais

Brigitte Brockelmann se trompe, quand elle écrit : « La pensée zwinglienne sous sa version dernière a ceci de proprement original que toutes les communautés (Kilchhôren) y sont considérées comme formant, réunies ici-bas, VEcclesia repreesentativa. Zwingli croyait à l’Église visible universelle (cf. supra, avec W. Kôhler), mais il ne voyait celle-ci que réalisée imparfaitement dans la communauté locale, qui bientôt serait absorbée par la Cité.

d) On peut se demander s’il n’y a pas lieu de poser autrement le problème, en s’attachant à l’ensemble des assertions de Zwingli (au lieu de ne retenir que celles qui sont pour ou contre une thèse préconçue), comme aussi en les replaçant dans leur milieu vital. Car, avant d’être théorie, les relations des deux pou ! voirs ont d’abord été pour Zwingli expérience quoti-I dienne. En fait, nous le noterons, pratique et théorie I ont réagi l’une sur l’autre : tantôt Zwingli s’est efforcé i de justifier idéologiquement un tour inattendu pris ! par les institutions (cf. le texte du Subsidium cité | infra, col. 3872 sq.) ; tantôt il a préparé lui-même par ] ses réflexions des réformes qui engageaient toute une i conception de l’autorité civile et de sa fonction à

l’égard de l’Église (cf. lettre à Ambr. Blaurer, citée I infra, col. 3879). Aussi bien, et c’est le grand mérite j des travaux de Schultze et de L. von Murait de l’avoir’montré, Zwingli s’insère dans un courant de faits tenj dant à l’émancipation de la communauté urbaine | (Sladlgemeinde). Dans quelle mesure l’a-t-il subi ou, I au contraire, dirigé, c’est à l’historien plutôt qu’au

théologien de le déterminer. Mais la reconnaissance

des faits ne saurait conduire à minimiser l’apport

personnel du réformateur.

e) Il y a lieu aussi, croyons-nous, de désolidariser Zwingli de Luther. Lui-même l’a fait en propres termes (C. R., ix, 452, 15 ; 454, 22 : infra, col. 3880) ; et les critiques feraient bien de prendre acte de ses déclarations. En fait, le génie de chacun est différent : si le génie de Luther, plus purement religieux, le poussait à un certain abstentionisme à l’égard des choses de ce monde qu’il abandonnait, le cœur léger, à l’autorité séculière, celui de Zwingli, en revanche, plus politique, ne pouvait prendre son parti d’un détachement aussi radical. Aussi, après avoir combattu la confusion des deux pouvoirs, léguée par le Moyen Age, Zwingli s’est-il mis d’instinct à la recherche d’une nouvelle formule, par où se réalisât du moins leur conjonction dans le cadre de la Cité. Il la trouva dans la théocratie, laquelle n’est nullement à confondre avec le gouvernement de l’Église par l’État, auquel acquiescera éventuellement Luther (Staatskirchentum ; obrigkcitliches Kirchenregimenl). W. Kôhler l’a bien vu : « L’indifférence de Luther à l’égard de toutes les formes d’organisation ecclésiastique, du moment que l’âme, l’Église de la foi, eût un corps qui lui permît de vivre, est ici de prime abord exclue ; la pensée d’un organisme pleinement intégré se détache et elle deviendra propriété « réformée » : le Staatsvolk et le Kirchenuolk se recouvrent » (Geisteswell, p. 135). Selon cette combinaison originale, la communauté ecclésiastique est assumée dans un tout organique, pneumatique, au sein duquel elle perd la plus grande part de son indépendance.

f) Ceci contre J. Kreutzer (Zwinglis Lehre von der Obrigkeit, dans Kirchrngrschichtliche Abhandlungen, fasc. 57, Stuttgart, 1909). Cet auteur s’est fermé la voir de l’Intelligence de Zwingli, en prétendant montrer que le réformateur avait jusqu’au bout maintenu le principe de l’autonomie de la Hirchgemeinde (cf. spécialement op. cit., p. 71). Il l’a fait jusqu’en 1525. Mu. à cette date, sous la pression des anabaptistes, le centre de gravité commence à se déplacer de l’Église a la Cité, et tout l’effort de Zwingli ira, bien plutôt que 3863 ZWINGLIANISME. L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3864

de revenir à l’idée d’une communauté qui avait toujours manqué des organes vitaux indispensables, à consolider la Cité chrétienne, à la doter d’institutions chrétiennes et à l’imprégner d’un esprit nouveau. Ainsi est née la théocratie pneumatique, création originale où le réalisme politique, voire le rationalisme zwinglien s’unissent au spiritualisme mystique.

Ce sont ces différentes phases que nous allons maintenant brièvement repasser, cherchant, à l’abri de toute théorie, à mettre les documents littéraires au contact des faits et à interpréter les uns à la lumière des autres. Pour l'étude comparée des réformateurs sur ce point, on consultera : Gustav von SchulthessRechberg, Luther, Zwingli und Calvin in ihren Ansichten ûber das Verhûltnis von Staat und Kirche, Diss., Zurich, 1909.

1° La souveraineté de la Parole et la coordination des deux Pouvoirs (1823-1525). — 1. Comment Zwingli entend la distinction et la coordination des deux Pouvoirs. — a) Dans les articles 34 à 43 de V Auslegung der Schlussreden (14 juillet 1523 ; C. R., ii, 298 sq.), Zwingli traite de la compétence des deux Pouvoirs, ecclésiastique et civil. Il ramène le premier à un rôle purement évangélique et pastoral (art. 34-36), ce qui le conduit à relever le second (art. 37-40), tout en marquant ses limites (art. 41-43). Zwingli refuse aux ecclésiastiques toute autorité proprement dite (Obrigkeit), cela à un triple titre : au nom de l'Écriture, de la paix et de l’ordre public qui ne s’accommode pas de la concurrence des deux Pouvoirs, enfin des abus qui accompagnent facilement l’usage du pouvoir de la part des gens d'Église (C. R., ii, 303, 17 sq.). Il leur refuse également la compétence judiciaire (ibid., 307, 5 ; 308, 3 ; 310, 6). Les causes jadis évoquées à Rome doivent être jugées devant le tribunal séculier (cf. C. R., iii, 457, 25).

Dans toute cette partie négative, Zwingli ne distingue pas les objets du pouvoir qu’il critique ; il a en face de lui une Église, dont les dignitaires, évêques, abbés, allient souvent à leur titre religieux des prérogatives temporelles ; et sans nul souci de faire les partages nécessaires, il élimine purement et simplement toute juridiction ecclésiastique. Grâce à cette simplification outrancière, qui s’explique en partie comme une réaction contre l’enchevêtrement des deux juridictions, légué par le Moyen Age, Zwingli ne considérera plus désormais comme autorité que le pouvoir civil ou magistrat (cf. C. R., iii, 874, 7 : Loquor autem perpetuo de magistratu, quem nos laicum vocamus ; ibid., 877, 4 : Inuenimus autem, non ut isti dicunt, sacerdotalem et laicalem esse magislralum, sed unum tantum). Nous verrons que, selon sa conception, le pouvoir est synonyme de pouvoir de coercition, et donc incompatible avec l’esprit évangélique. En outre, tout pouvoir vient de Dieu et est exercé en gérance ; la prétention des ecclésiastiques est interprétée comme une usurpation, un retour à la justilia operum (cf. C. R., ii, 313, 8).

b) En revanche, Zwingli entend ramener la fonction ecclésiastique à sa pure essence, qui est d’enseigner (C. R., ii, 308, 7). Nous le savions déjà, mais l’intérêt de cette section, c’est de dégager le rôle de l'Évangile, et partant de ses prédicateurs, dans la constitution et le gouvernement des États. « Ils doivent bien enseigner, afin que partout on se comporte selon le droit et la justice ; mais non point pour autant s'ériger euxmêmes en juges » (ibid., 308, 8). Les ministres de l'Évangile ont aussi pour mission et pour devoir de prier pour l’autorité, afin qu’une vie paisible et tranquille nous soit assurée (cf. I Tim., ii, 1 ; ibid., 313, 6) ; et Zwingli en donne lui-même l’exemple en une fort belle prière qui, avant de concerner les princes, demande à Dieu de dignes prédicateurs de sa parole : « Donne, ô Dieu, à ton pauvre peuple de bons pasteurs et prédicateurs de la parole de Dieu, afin que les princes et leur peuple apprennent à connaître à ta parole ta volonté, et que de la sorte disparaisse toute hostilité et querelle, et que ton nom soit sanctifié et loué par tout le monde » (ibid., 342, 7).

Ainsi les ministres de l'Église ont pour rôle d’informer, par la prédication de la parole, la vie, non seulement des individus et des communautés, mais des peuples. Du fait que pour Zwingli la morale étatique est en étroit rapport avec l'Évangile, on peut dire que, si le réformateur dépouille l’autorité ecclésiastique d’une part de ses attributions légitimes, il n’entend pas pour autant la rabaisser, disons même qu’il lui garde en tout état de cause la priorité. Sa relation immédiate à la parole de Dieu, règle suprême de l'État, la lui assure. Par ailleurs, s’il écarte toute juridiction ecclésiastique proprement dite, il maintient néanmoins aux pasteurs le droit d’exclure les indignes de la communauté (cf. infra : excommunication), et plus généralement de veiller au comportement moral de ses membres (cf. C. R., iii, 412, 29), comme aussi et par extension au bien de la Cité (ibid., ii, 313, 11). Il leur reconnaît donc un pouvoir pastoral (C. R., iii, 407, 16).

c) En revanche, le pouvoir civil se doit d’abord, et c’est son principal devoir à l'égard de l'Église, de favoriser la prédication de l'Évangile (C. R., ii, 330, 21). Zwingli le lui demande, non pas tant pour le bien de l'Église — car il est persuadé que, quelle que soit l’attitude des gouvernants, la parole de Dieu l’emportera et se frayera un chemin vers les cœurs (ibid., 347, 12 ; iii, 450, 1 ; 460, 7 ; 462, 30 ; 466, 24 ; 467, 3) — que dans son intérêt propre. Lois et jugements ne valent, en effet, que par leur conformité à la parole de Dieu, et l’autorité n’a droit d’exiger l’obéissance des sujets qu'à raison et dans la mesure de cette rectitude essentielle (C. R., ii, 320, 8 sq.). Il y a donc, de la part des princes persécuteurs de l'Évangile, un véritable abus de pouvoir, qui leur vaut le titre de tyrans — Zwingli détourne le mot de sa signification antique pour l’appliquer proprement au parti des adversaires de l'Évangile (C. R., iii, 882, 16). Disons mieux : ce faisant, ils sortent des limites de leur pouvoir, et dès lors ils sont voués, sinon à la destitution de la part de leurs sujets, du moins au jugement et à l’intervention souveraine de Dieu (C. R., ii, 343, 22 ; cf. infra, col. 3894 sq.). Cherchant à les gagner à la cause de l'Évangile, Zwingli les met devant l’alternative suivante : ou ils embrasseront cette cause et ils assureront, avec la fidélité et le bien-être de leurs sujets, la solidité et la prospérité de leur règne, ou ils la combattront, et la futilité de leurs efforts tournera à leur propre châtiment (C. R., ii, 304, 20 ; 322, 13 ; 331, 8 ; 347, 3 ; iii, 466-468).

d) Zwingli conçoit la fonction étatique comme nettement distincte de la fonction ecclésiastique ou religieuse (cf. C. -R., iv, 404, 9) et il lui interdit toute ingérence dans le domaine de la prédication proprement dite. Qu’elle laisse prêcher librement l'Évangile, celui-ci suivra son cours. Et cependant, dans le débat qui met aux prises évangéliques et catholiques, Zwingli est enclin à recourir à l’arbitrage de la puissance séculière jugeant d’après l'Évangile (C. R., ii, 323, 5) ; en outre, il attribue à celle-ci une certaine responsabilité à l'égard du bien total du Corps du Christ (ibid., ii, 324, 10), en ceci que sa fonction propre, qui consiste à protéger les bons et à sévir contre les méchants, comporte l’exclusion de certains membres de cette société qui est indivisiblement Église et État. La pensée de Zwingli se meut ici dans le cadre traditionnel du Corpus christianum ou chrétienté (cf. C. R., ii, 308, 4). En vertu de l’inclusion réciproque 3865 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3866

de la communauté ecclésiastique et de la Cité, certaines mesures prises par l’autorité civile gardienne de l’ordre extérieur atteignent directement les fidèles dans leur vie religieuse même. L’inverse se vérifie aussi. Le pouvoir d’excommunication devient ainsi mitoyen (cf. infra, col. 3867).

2. La distinction des deux Pouvoirs et la théorie de la double Justice. — La distinction des deux Pouvoirs, Zwingli le sait, se prend de leurs objets. Dans l’opuscule Von gôttlicher und menschticher Gerechtigkeit (30 juillet 1523 ; C. R., ii, 458 sq.), qui fait suite aux Schlussreden et leur sert de complément, Zwingli définit ceux-ci en ternies de justice transcendante et divine ou purement humaine ; car au fond, sous ce thème, c’est bien de cela qu’il s’agit : délimiter la sphère de compétence de l’Église et de l’État, l’une concernant « l’homme intérieur », l’autre « l’homme extérieur » (C. R., ii, 484, 17. 22).

Définie comme la communauté des croyants, l’Église est régie par la « justice de Dieu », c’est-à-dire par la règle de la justice absolue, tempérée pourtant par le commandement de l’amour (cf. C. R., iii, 459, 5). Cette justice de Dieu, c’est ce que l’on nomme communément la » loi de nature » ; mais, pour Zwingli, elle est plutôt synonyme de directive de l’Esprit de Dieu, car c’est Lui qui, en poussant les cœurs à la foi, régit souverainement la vie des communautés. De son côté, l’État a pour tâche de faire observer la justice humaine, c.-à-d. cet ensemble de lois positives (cf. supra, col. 3809) qui règlent la vie pacifique des nommes en société. De la sorte, la relation Église-État dépend du rapport entre la justice divine et la justice humaine. Or ce rapport est dialectique : d’une part, le magistrat chrétien doit s’efforcer de faire coïncider les prescriptions légales avec la volonté de Dieu, de faire qu’elles lui soient conformes (gleichfôrmig) ; et d’autre part, il sait que la justice qu’il établira sur terre ne sera jamais qu’une t ombre de la vraiejustice = (cf. C. R., h, 330, 14).

Jusqu’où s’étend la compétence de l’État en matière religieuse ? Zwingli le précise en réponse à une objection. S’il en appelle à la législation existante en faveur du paiement de la dîme, va-t-on en conclure au maintien de la messe, de la confession — et autres pratiques catholiques — jusqu’à ce que l’autorité séculière en décide autrement ? « Non pas ; il n’y a pas à recourir en ces matières à l’Autorité (Obrigkeit), car elle n’est pas établie sur la parole de Dieu et la liberté chrétienne, mais seulement sur le bien temporel (das zytlich gui)… » Contrarierait-elle le libre exercice de la prédication, il faudrait, quoi qu’il en coûtât, passer outre. « Allons, voulons-nous être des magistrats (Oberen) chrétiens, nous devons laisser prêcher la claire parole de Dieu, et puis la laisser œuvrer ; car nous n’avons pas pouvoir sur les âmes et consciences des hommes… Remarquons donc bien que le pouvoir, qui revient à l’autorité séculière sur notre bien temporel et notre corps, ne s’étend pas à l’âme » (C R., n, 514, 17 sq.). — Cette opposition du spirituel et du temporel n’est que provisoire : bientôt Zwingli s’avisera de restreindre le spirituel à la foi (spirituel pur), et il étendra la compétence du pouvoir civil à la discipline et au culte extérieur de l’Église. C’est que les points de vue, comme les adversaires, auront changé : au lieu de revendiquer la « liberté du chrétien contre les catholiques, Zwingli défendra, a rencontre des anabaptistes, le droit d’intervention de l’autorité chrétienne (cf. infra, col. 3879).

3. Le pouvoir civil chargé de promouvoir la Réforme.

— À la suite des précédents traités, il faut ranger Wer Ursache gebe zu Aufruhr (décembre 1524 ; C. R., m, 355 sq.), sorte de discours-programme qu’on a comparé à l’adresse de Luther à la noblesse alle mande. Zwingli y fait moins la théorie des deux Pouvoirs qu’il ne montre comment, dans les conjonctures actuelles, l’autorité séculière doit se conduire.

Or ses recommandations ne visent à rien moins qu’à attendre d’elle Y introduction de la Réforme avec toutes les conséquences pratiques, éthico-sociales, qu’elle entraîne : donc réforme du statut du clergé et des monastères, disposition des biens ecclésiastiques, etc. Zwingli considère le petit peuple comme acquis à ses idées (ibid., 446, 13 ; cf. ibid., 439, 3) ; cependant il sait que, dans une société hiérarchisée telle que la Renaissance l’a héritée du Moyen Age, l’essor d’une cause religieuse dépend en majeure partie du bon vouloir des grands. C’est donc vers ceux-ci qu’après avoir censuré les adversaires faux ou simulés de la Réforme il se tourne (ibid., 445, 12). Il dresse devant eux un programme pratique dont il leur met en mains l’application, leur proposant pour modèle le conseil de Zurich qui, en ces matières, a pris des initiatives hardies et heureuses (ibid., 454, 5). Nous savons par ailleurs que Zwingli lui-même en était l’inspirateur. Sans doute le réformateur a à compter ici avec l’hostilité de certains gouvernants qui, pour des raisons religieuses, mais aussi d’ordre politique ou matériel, s’étaient déclarés fidèles à la papauté ; de leur part, un changement d’attitude est synonyme de « conversion ». Cela étant, vu la combinaison des facteurs spirituels et temporels à l’époque, Zwingli croit faire œuvre de bon apologète en ouvrant les yeux des récalcitrants sur leurs véritables intérêts ; la Réforme se recommande non seulement religieusement, mais socialement, économiquement, financièrement {ibid., 448, 11 ; 451, 12). Ici le réalisme de Zwingli se découvre.

Finalement l’auteur résume ainsi sa pensée — nous retrouvons la dichotomie précédente : « Il s’agit de deux choses : de l’homme intérieur d’abord. Laissez-le nourrir de la parole de Dieu. Car êtes-vous croyants, vous le ferez volontiers ; êtes-vous incroyants, qu’est-ce que cela vous fait que l’on croie ? Quant à l’homme extérieur, il est de votre ressort et la parole de Dieu ne vous le retirera pas, pour autant que vous observez les limites convenables. Mais s’il arrivait que quelqu’un abusât de l’Évangile selon la liberté de la chair, sachez que vous ne portez pas le glaive en vain (cf. Rom., xiii, 4) » (C. R., iii, 468, 26 sq.).

C’est là un avertissement donné aux anabaptistes qui se révélaient toujours davantage comme une secte, non seulement schismatique, mais anarchique (C. R., iii, 404, 5 ; iv, 641, 23). Zwingli les appelle « démolisseurs de l’autorité chrétienne » (C. R., iii, 884, 39), encore que sous couleur d’idéalisme mystique. A les entendre, les chrétiens se passent d’autorité ; ils n’ont que faire de ses prescriptions, vu qu’ils sont tenus par la loi d’amour et le code éthique du Sermon sur la montagne, qui nous transporte dans une autre sphère que celle du droit et de la coercition. La conception même qu’ils se font de l’Église aboutit à soustraire ses membres à l’obédience du pouvoir civil. Utinam talem Kcclesiam habeamus, se borne à répondre Zwingli à leurs prétentions (C. R., iii, 869, 8), et il développe dans le Commentaire, à la section De Magistratu (C. R., iii, 867 sq.), une théorie des rapports des deux Pouvoirs fondée sur la notion d’Église visible (cf. C. R., iii, 744, 15 ; 870, 40, et supra, col. 3851 sq.).

I. Doctrine du Commentaire » (mars 1125) ; le magistrat chrétien. — Cette relation se résout pour lui, non pas comme jadis dans l’investiture donnée par le pape aux princes et aux rois, mais bien dans la qualité chrétienne de l’autorité. Il prend le contrepied de la thèse anabaptiste : non seulement Il nous faut un magistrat, mais il nous faut un magistrat 3867 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3868

chrétien (C. R., iii, 867, 12). (A l’inverse, les anabaptistes détournaient leurs adeptes d’accepter une fonction dans l’État.) C’est dire que Zwingli déplace l’accent des institutions aux personnes.

Par ailleurs, alors que ses adversaires s’ingéniaient à élargir le fossé qui sépare les deux sociétés, il s’applique à le restreindre : « En quoi la Cité diffère-t-elle de l’Église ? interroge-t-il. J’entends, quant aux usages et relations extérieures, car quant à l’esprit (intérieur qui l’anime), je n’ignore pas que l’Église se définit par une relation privilégiée au Christ : pour en être membre, il faut mettre sa confiance dans le Christ, alors que, pour être membre de la Cité, il suffit d’être un citoyen fidèle, à part de toute croyance au Christ » (C. R., iii, 868, 15). Pour le reste, les exigences de la Cité ne le cèdent pas à celles de l’Église, et l’on voit quelle haute idée Zwingli se fait de la vie civique : elle réclame de ceux qui y prennent part qu’ils renoncent à leur bien propre en faveur de l’intérêt général, lient leur sort à celui de la communauté et, éventuellement, contribuent de leurs biens à la prospérité commune, qu’ils pratiquent les vertus de désintéressement, modestie, concorde. Or tout cela a sa contre-partie dans l’Église. Néanmoins, et c’est l’autre aspect de la relation : « Quant à ce qui concerne l’homme intérieur, la distance est considérable » (ibid., 868, 17).

Il y a dans la Cité un élément de coercition qui n’existe pas dans l’Église, dont les membres obéissent au dynamisme de l’amour : c’est dire qu’ils sont portés par l’Esprit du Christ, et donc qu’ils se dévouent spontanément et sans feinte au bien de leurs frères. Mais qu’on n’en conclue pas à la dissociation de l’Église et de la Cité : car il y a là un ferment qui agit puissamment sur la vie sociale ou étatique elle-même ; en transformant les individus, il rend possible l’application des lois. La Cité idéale, c’est donc celle qui repose sur la foi à l’Évangile et l’amour (ibid., 868, 29).

5. La question de l’excommunication et tes deux fors.

— Finalement la question de Y excommunication, question mixte par excellence, achève de montrer comment Zwingli entend que se réalise de façon concrète la répartition de compétence entre les deux Pouvoirs (C. R., i, 380 sq. ; ii, 276 sq. Cf. E. Egli, Zivinglis Stellung zum Kirchenbann durch die St. Galler, dans Analecta Reformatoria, i, 1899, p. 99-121).

L’excommunication de Luther (cf. C. R., vii, 343, 33) et plus encore, s’il faut l’en croire, l’abus que certains prélats faisaient de cette censure contre leurs créanciers, incitèrent Zwingli à porter son attention de ce côté. Par réaction contre le droit ecclésiastique existant, il retire le pouvoir d’excommunication à la hiérarchie et l’attribue à la communauté avec le curé ; il entend aussi lui garder un caractère strictement religieux et pastoral ; par ailleurs, il s’en tient à la procédure décrite dans Matth., xviii, 6-9, texte qui, ici, fait loi. L’excommunication vise exclusivement les pécheurs publics et scandaleux (Auslegung der Schlussreden, art. 32, C. R., ii, 286). Dans la suite, Zwingli serrera de plus près la nature de l’excommunication par opposition aux anabaptistes (cf. C. R., v, 727, 7 ; Sch.-Sch., vol. iii, p. 390 sq.). Ceux-ci s’en servaient comme d’un moyen de discrimination pour rassembler les membres de l’Église idéale (Rotenzeichen ) ; à l’inverse, Zwingli la conçoit comme une mesure disciplinaire à laquelle l’Église a recours, pour prévenir tout danger de contagion morale, contre ceux de ses membres dont on ne peut espérer l’amendement ; encore a-t-elle sa contre-partie dans la réintégration future en cas de conversion.

Dans le Commentaire (C. R., iii, 807, 25), Zwingli met l’excommunication en relation avec la cène, et les articles publiés à la veille de l’abrogation de la messe

à Zurich (Ratschlag betrefjend Ausschliessung oom Abendmahl [iïr Ehebrecher, Wucherer, etc., 12 avril 1525 ; C. R., iv, 23 sq.) ont été composés comme appendice au rituel nouveau de la cène (Aktion oder Brauch des Nachtmahls, C. R., iv, 1 sq.). L’excommunication vient sanctionner l’aspect social et moralisateur de la cène, signe que se donnent les membres de l’Église de leur communion mutuelle (cf. supra col. 3826). Ces dispositions ne furent pas adoptées par le Conseil, sans doute à raison des effets civils qu’elles comportaient.

Cependant, quelques mois plus tard, un édit concernant le mariage (cf. Ziircherische Ehegerichtsordnung, 10 mai 1525, C. R., iv, 176 sq.) prévoit l’excommunication en châtiment de l’adultère public et de la prostitution : il appartient aux Pfarrer, comme à ceux « à qui la parole de Dieu et la surveillance morale sont confiées », de la porter, de concert avec la communauté (ibid., 186, 26). Cette clause correspond à ce que nous savons par ailleurs de l’importance accrue du ministère dans les communautés zwingliennes (cf. supra, col. 3859). À son tour, l’autorité civile inflige la peine corporelle et autres pénalités (ibid., 187, 1). L’année suivante, un nouvel édit matrimonial (21 mars 1526) reconnaît la compétence exclusive du Conseil pour châtier l’adultère public, sans qu’il soit question d’excommunication ; les Pfarrer n’interviennent que dans le cas de présomption, le suspect étant l’objet d’une monition de deux juges laïcs assistés du Pfarrer avant d’être déféré par le tribunal compétent au Grand Conseil.

Ainsi Zwingli a fait la théorie de l’excommunication plutôt qu’il ne l’a appliquée. L’évolution historique, qui allait en sens contraire, l’en empêcha. Autour de 1525, la communauté voit réduire ses attributions au bénéfice du Conseil. C’est ce passage qu’il s’agit maintenant d’expliquer et de justifier. Concluons donc cette première partie.

Conclusion. Incidences sur la politique du dualisme philosophique de Zwingli. — Les œuvres littéraires de cette première période, anticatholique, nous donnent de la relation Église-État la représentation suivante :

a) La Parole, inséparable d’ailleurs de l’Esprit, est pour Zwingli la valeur religieuse essentielle, et sa souveraineté s’affirme, encore que de façon différente, qu’il s’agisse de la communauté ecclésiastique ou de la société civile : là, par la prédication pure et simple, et c’est ce qui fait la supériorité de l’Église comme institution ; ici, par la conformité des lois, voire même de l’exemple et de la personnalité du législateur, à la parole même et à l’idéal évangélique. Par ailleurs, Zwingli est attaché au principe de l’autonomie des communautés en ce qui concerne le spirituel : doctrine, administration des sacrements, discipline allant jusqu’à l’excommunication ; mais aussi il affirme avec non moins d’emphase l’indépendance du pouvoir temporel, dont i ! est porté d’ailleurs à étendre la compétence, ne serait-ce que pour des raisons tactiques. La lutte avec Rome fait que l’autorité locale hérite une part des prérogatives qui appartenaient naguère au pouvoir ecclésiastique, diocésain ou central. A Zurich même, Zwingli ne manque pas de s’appuyer sur le Conseil pour introduire et mener à bien la Réforme.

b) Mais ce qu’il y a lieu surtout de retenir de cette période, ce sont les termes mêmes dont use Zwingli pour décrire la sphère de compétence de l’un et l’autre pouvoir : ce sont, d’une part, l’homme intérieur ; de l’autre, l’homme extérieur, les choses extérieures, le bien temporel. Cette opposition s’inscrit dans le système zwinglien, fondé sur le contraste de l’intérieur et de l’extérieur ; en même temps, elle prend dans celui-ci tout son relief. On sait en effet que, 3869 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3870

pour Zwingli, Yintérieur désigne le domaine des relations immédiates de Dieu avec la créature, la foi et les valeurs purement surnaturelles : c’est là le domaine de l’Église, société des croyants ; en revanche, l’extérieur, c’est non seulement le bien temporel (das zeitliche Gui), mais le culte et les formes extérieures de la religion que Zwingli considère comme accidentelles ; on peut même dire : le christianisme considéré comme religion historique, qui cherche à chaque époque à s’assimiler les meilleurs éléments de la culture humaine.

Sur ces différents points, pas de collusion possible, au jugement de Zwingli, entre l’Église et la Cité, car cette dernière a également une signification religieuse, et dans ce domaine non strictement « spirituel », c’est elle qui prévaut. Ainsi la Réforme, qui selon Zwingli vise précisément à détacher l’Église de ces formes accidentelles et caduques héritées du Moyen Age et à la ramener à l’idéal chrétien primitif (sur la manière dont Zwingli conçoit théologiquement la Réforme, cf. C. R., i, 284, 34 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 142, c. fin. ; vol. vi, 1. 1. p. 133), sera-t-elle en grande partie l’œuvre du pouvoir séculier. Zwingli l’accorde, non pas, comme on l’a écrit, par opportunisme et en dérogation à ses principes, mais selon la logique même de ceux-ci.

2° Renforcement des prérogatives de l’autorité civile aux dépens de l’Église (1525-1528). — 1. Zwingli et le Grand Conseil à Zurich. — En cette question moins qu’en aucune autre, on ne peut faire abstraction de la personnalité même de Zwingli et de la place qu’il occupait à Zurich. Étranger à cette ville (Aufenthalter), il ne pouvait agir sur ses destinées que par deux moyens : par ses prédications du Grossmunster ; inaugurées en décembre 1518, elles lui valurent sa popularité et en même temps elles contribuèrent à acclimater dans les esprits, au sein surtout de la bourgeoisie commerçante et de la classe artisanale, l’idée de la Réforme ; — par ses relations et l’influence qu’il pouvait exercer sur tel ou tel personnage important, voire sur le Conseil lui-même, où il s’agissait pour lui et pour le parti de la Réforme d’acquérir la majorité. La rupture avec l’ordre ancien se produisit dès 1522, à propos du célibat des prêtres et des observances ecclésiastiques. Zwingli chercha en vain à obtenir l’approbation de la curie épiscopale de Constance pour des réformes qu’il jugeait, à tort, indispensables. Faute de réussir de ce côté, il se tourna vers l’autorité civile et l’invita à prendre en mains l’œuvre de la Réforme. Cette démarche fut fatale ; car le Conseil, qui, à la demande formelle de Zwingli, provoqua la première Dispute, devint l’arbitre de la situation. Libre à lui désormais de statuer par décret ou mandai sur les conditions de la prédication de l’Évangile, le nouveau culte, la suppression des couvents et monastères, la disposition des biens d’Église, etc., toutes mesures qui consolidèrent son pouvoir.

En proposant à l’autorité séculière de prendre l’initiative de mesures dont certaines étaient une atteinte directe aux droits de l’Église, Zwingli faisait son jeu. Cet aspect de la question a été éclairé par les travaux récents d’Alfred Schultze, Stadtgemcinde und Reformation, Tubingen, 1918 ; et, spécialement pour la Suisse, de L. von Murait, stadtgemeinde und Reformation in ilcr Schwetz, Zurich, 1930. Voir : mssi E. Egll, Die zurcherische Kirchenpolilik von Waldmann bis Zwingli, dans Jahrbuch fur schwcizerische Geschichle, xxi, 1896. De ces études, trois points surtout sont à retenir :

a) Le pouvoir civil, ou plus exactement municipal, a Joué un rôle considérable dans l’introduction de la Réforme dans le l’.rirh et en Suisse même ; mais ses initiatives en matière religieuse ne datent pas de ce moment ; elles sont bien antérieures, l.lles viennent,

partie de la carence des pouvoirs ecclésiastiques, partie aussi, et cet aspect a été trop laissé dans l’ombre par L. von Murait, de la tendance à l’émancipation des magistrats locaux, qu’on peut faire remonter au mouvement communal (xme siècle). L’autorité séculière s’insinue dans les rouages mêmes de l’administration ecclésiastique : présentation ou nomination aux cures, discipline intérieure des couvents, gérance des revenus et fondations pieuses, etc. Bientôt, à la Réforme, il ajoute à ces compétences la désignation des prédicateurs et veille à la bonne prédication de l’Évangile. Il agit ainsi sans doute comme responsable de la paix et de l’ordre extérieur, toute division au sujet de la doctrine ayant ses répercussions sur la vie de la Cité ; mais, magistrat chrétien, il se sent une responsabilité quasi pastorale à l’égard du bien spirituel de la communauté. Cette ingérence dans le domaine spirituel est facilitée par la corrélation étroite qui existe entre les limites de la communauté ecclésiastique et de la Cité ; le conseil municipal (Stadtrat) agit donc à la fois comme organe de la communauté civile (Stadtgemeinde ) et comme membre éminent de l’Église.

b) A Zurich même, cette œuvre fut facilitée par l’organisation plus démocratique de la Cité. Le Grand Conseil (ou Conseil des Deux-Cents), où dominait l’élément bourgeois, participait activement aux affaires publiques ; c’est en le gagnant à la cause de la Réforme que Zwingli put hâter l’introduction de celle-ci, alors qu’ailleurs, à Berne et à Bâle, Haller et Œcolampade avaient davantage à compter avec l’aristocratie (Petit Conseil) plus conservatrice et réfractaire aux innovations religieuses, vu leurs effets sociaux : « La constitution de Zurich, écrit L. von Murait, qui assurait au Grand Conseil une participation si marquée à la vie politique, a permis cette introduction si souple et si simple de la Réforme, qui contraste avec les difficultés rencontrées dans les autres villes, et cela du seul chef que le réformateur réussit d’emblée à faire du Grand Conseil, organe de la communauté, l’instance décisive » (op. cit., p. 366).

c) Ce serait commettre un anachronisme que de transférer au temps de la Réforme les idées modernes de tolérance religieuse. Sans doute chacun demeure libre de croire ou de ne pas croire, c’est alTaire de conscience et non d’autorité, principe souvent affirmé par Zwingli (cf. C. R., iii, 38, 11 ; 437, 25 ; iv, 476, 25 ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 274 ; comp. A. Farner, op. cit., p. 86 sq.) et qui va de pair avec son spiritualisme ; mais de là on ne saurait déduire le libre exercice de la religion. Vu l’inclusion réciproque de l’Église et de la Cité, celui-ci est déjà, du point de vue civique ou étatique, une impossibilité. En outre, la tolérance ne se justifie pas en elle-même, car la conviction qui domine chez Zwingli et ses émules, c’est que la Parole de Dieu est claire et irrésistible. Si on ne l’accepte pas, c’est qu’on est de mauvaise foi, qu’on est animé par un autre Esprit, et dès lors toute cohabitation pacifique avec les adeptes de l’Évangile est exclue. Le conformisme zurichois et l’expulsion des anabaptistes résultent d’un complexe de conditions juridico-religieuses qui constituaient pour le temps un élément irréversible.

2. Attributions du Conseil en matière religieuse ; le tribunal matrimonial et la censure des mœurs. — Ces différents points sont illustrés à Zurich par les initiatives du (.onseil en matière religieuse. Sans doute. et A. Farner y insiste avec raison (op. cit.. p. 90 sq.). dans le cas de la I re Dispute (29 janvier 1523), seule la convocation de l’Assemblée ressortit à l’autorité civile, le jugement en matière de foi appartient à emblée elle-même, c’est-à-dire aux ministres et nu peuple chrétien assistés par l’Esprit (C. H., i. 4’.<9. M. Cependant la décision finale approuvant la prédica3871 ZWINGLIANISME. L’EGLISE ET LA SOCIETE TEMPORELLE 3872

tion de Zwingli est prise à son compte et promulguée par le Conseil. Or cette mesure n’aboutit à rien moins qu’à soustraire la Cité à la juridiction épiscopale et à faire de l’Évangile la norme unique de l’enseignement et, du moins indirectement, des relations sociales (cf. C. R., i, 467, 14 ; ii, 628 ; Bullinger, i, 135). La voie est désormais libre pour l’instauration de la Réforme. La parole et les écrits de Zwingli, rédigés parfois sur commande, achèveront de préparer les esprits en faisant l’unanimité entre les prédicateurs et par eux entre leurs ouailles (comp. l’occasion et le but de Eine kurze christliche Einleitung, 17 novembre 1523 ; C. R., ii, 626 sq.).

On verra alors le Conseil réglementer en maître le nouveau culte (Mandat concernant les images, 21 mai 1524, et l’abrogation de la messe, 12 avril 1525), non sans avoir procédé au préalable à de nouvelles disputes (IIe Dispute publique, 26-28 octobre 1523 ; Dispute avec les catholiques, 13-14 janvier 1524, qui achèvent d’éliminer ceux-ci ; cf. C. R., ii, 805) ou à des consultations. Il est intéressant d’ailleurs de noter que, même en ce qui concerne le culte des saints et la messe, sont consultés non seulement les desservants (Leutpriester) de la ville, mais une fraction de conseillers (Ratsherren), le Conseil se réservant la décision (cf. C. R., ii, 804 ; iii, 114). Cette procédure culmine avec l’introduction en 1525 du baptême obligatoire des enfants ( Taufzwang) et la législation concernant la tenue des registres de baptême et de mariage. Voir encore d’autres mesures d’ordre strictement religieux énumérées dans Kreutzer (op. cit., p. 48 sq.).

Il revient à W. Kôhler d’avoir souligné l’importance du tribunal matrimonial (Ehegericht) érigé à Zurich le 25 mai 1526, dont la compétence alla sans cesse s’élargissant et qui, pratiquement, faisait dépendre des injonctions de l’autorité civile toute la vie morale de la communauté zurichoise (cf. W. Kôhler, Zùrcher Ehegericht und Genfer Konsistorium, i, Das Zùrcher Ehegericht und seine Auswirkung in der deutschen Schweiz zur Zeit Zwinglis, dans Quellen und Abhandlungen zur schweiz. Reformationsgeschichte, t. vii, Leipzig, 1932). Déjà avant le xvie siècle, la tendance se manifestait de soustraire bon nombre de causes à la juridiction épiscopale. Cette tendance strictement territorialiste et les exigences de la Réforme se rencontrèrent et conduisirent à l’érection de tribunaux matrimoniaux municipaux, qui en outre, à Zurich et ailleurs, se comportaient en tribunaux de mœurs. Remplaçant le tribunal diocésain, ils avaient sans doute un certain caractère ecclésiastique — il s’avère à ceci qu’à Zurich deux Leutpriester siégeaient avec les quatre membres délégués respectivement par le Grand et le Petit Conseil — mais ils étaient institués par l’autorité étatique, tenaient de celle-ci leur compétence et lui étaient exclusivement subordonnés. Non content de juger les affaires matrimoniales, ce tribunal se mit à Zurich à poursuivre la prostitution, le jeu, le blasphème, le luxe exagéré, la non-pratique religieuse, et même les propos défavorables à l’autorité et à Zwingli lui-même. À rencontre d’A. Farner, pour qui Zwingli s’est abstenu de pousser aussi loin que le fera Calvin la surveillance de la conduite privée, W. Kôhler montre, à l’aide des registres conservés, avec quelle rigueur le tribunal de mœurs contrôlait la vie des Zurichois, jusqu’où il étendait ses tentacules et avec quels moyens (dénonciations) il travaillait. On ne peut donc parler de la discipline des mœurs comme d’une innovation genevoise.

Par ailleurs, ce tribunal se considérait comme un tribunal chrétien : il reflétait donc la conviction qui animait l’autorité civile, d’être essentiellement une autorité chrétienne. L’excommunication ne subsista donc que comme peine infligée par le tribunal de

mœurs civil (elle ne fut pas appliquée en ville, guère à la campagne). Alors que Zilis à S.-Gall s’efforçait d’introduire une excommunication purement ecclésiastique, Zwingli s’y opposa. Enfin, la signification de ce tribunal est rehaussée de ce fait qu’il devint créateur de droit, et on peut le dire, le premier interprète de la conception réformée du mariage. Ici encore on ne saurait minimiser la part de Zwingli qui, s’inspirant du Lévitique, revisa la liste des empêchements du droit canonique. Ce faisant, Zwingli entendait d’ailleurs accroître le rayonnement de son œuvre dans toute la Suisse ; il semble qu’avant Calvin il eut l’idée de faire de Zurich une Cité-Église modèle, dont l’exemple ferait loi et qui contribuerait à donner forme à Févangélisme dans d’autres villes et cantons. L’établissement de ce tribunal, comme aussi certaines réformes sociales, ainsi concernant l’assistance publique (cf. infra, col. 3909), sont à interpréter dans ce sens.

Sans doute, en cette fédération entre l’Église et l’État, disons concrètement entre prédicateurs et conseillers zurichois, le point de vue des uns et des autres était différent ; — on en a un indice dans le langage tenu par le Conseil, lors de la promulgation des différents édits (cf. E. Egli, Aktensammlung zur Geschichte der Zurich. Reformation in den Jahren 1Ô19-1533, Zurich, 1879). Mais le but est le même : faire l’unité des esprits au dedans afin d’assurer l’action commune au dehors (cf. C. R., ii, 629, 5 ; ix, 463, 5). Les agissements des anabaptistes, en même temps que certains facteurs d’ordre extérieur (cf. H. Ëscher, Die Glaubensparteien in der Eidgenossenschaft und ihre Beziehungen zum Ausland, 1882), poussèrent à une coopération plus étroite encore de Zwingli avec les pouvoirs publics ; ils brusquèrent ainsi une évolution que Zwingli s’efforcera parallèlement de justifier théoriquement.

3. Le transfert des compétences et sa justification théorique dans le « Subsidium ». — Sous le couvert de la légalité, une révolution silencieuse s’opérait dans les institutions. Plutôt que de simples mesures ou modalités nouvelles, c’était bien d’un changement de structure qu’il s’agissait. L’opinion publique finit par s’en émouvoir, et la résistance vint de ceux mêmes sur qui Zwingli s’était d’abord appuyé. Déjà lors de la IIe Dispute, il s’entend reprocher de faire le jeu de l’autorité séculière (C. R., ii, 784, 12) ; il s’en tire en répondant que pas plus elle que la communauté (Gemeinde) n’est établie juge sur la Parole de Dieu, qu’il s’agit seulement de savoir ce que celle-ci contient. Sans doute ; néanmoins le Conseil jugea désormais des doctrines et des maximes selon qu’il les trouvait conformes ou contraires à l’Écriture (cf. ibid., 628, 18). Les récriminations ne firent que croître au cours des années suivantes ; elles devinrent particulièrement vives en 1525, alors que l’on ne pouvait plus douter de l’orientation de la politique religieuse de Zwingli. Tandis que l’on verra à Bâle et à Strasbourg s’élaborer une juridiction d’Église constituée par les Anciens, se réservant la surveillance des pasteurs et la discipline sur les membres de la communauté, la tendance zwinglienne était de faire confiance à l’autorité séculière et de mettre l’Église en tutelle, avec ce correctif bien entendu que le prédicateur, ou comme on dirait bientôt, le prophète, rappellerait sans cesse celle-là aux exigences de sa mission en la replaçant devant le pur Évangile. Aussi Zwingli crut-il nécessaire de s’en expliquer et de justifier ses démarches ; il le fit dans une digression du Subsidium sive Coronis de eucharistia (17 août 1525 ; C. R., iv, 479, 5-480, 29) — au demeurant, on pourrait composer une petite autobiographie avec les excursus de ses ouvrages. 3873 ZWINGLIANISME. L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3874

a) Analyse du texte du « Subsidium ». — Ce texte fameux, qui marque le tournant de l'évolution, a un ton d’apologie. Et sans doute les arguments ne manquent pas à Zwingli pour légitimer la dévolution des pouvoirs de la Kirchgemeinde au Conseil. Car c’est bien de cela qu’il s’agit (reiici, ibid., 479, 11 ; permittal, ibid., 21 ; ecclesiæ totius nomine, 480, 22, cf. ibid., 12 ; ecclesiæ vice, 479, 12 ; 480, 29). Il est plus difficile de discerner quels sont les motifs profonds qui ont déterminé Zwingli à acquiescer à cette mesure qui. sans doute, de la part de tout autre, aurait été interprétée comme une renonciation positive, une capitulation. En fait, il se peut que Zwingli ait agi ici par simple raison tactique, adoptant la ligne de moindre résistance ; il le suggère lui-même. L'Église elle-même, dit-il, ne supportera pas que l’on vienne contrarier avec des arguties la marche heureuse de l'Évangile ; aussi bien l’essentiel est-il d’arriver à un règlement honorable et qui « assure la paix chrétienne » (ibid., 480, 4 sq., comp. ibid., 17).

Il avait aussi, et ceci est plus sérieux, de fortes raisons de douter de l’appui de la collectivité, fortement travaillée par la propagande anabaptiste (cf. ibid., 479, 17 : haud tuto multitudini committi posse quædam ; 480, 10 sq.). Son ralliement était certain, et la mesure pouvait n’avoir qu’un caractère provisoire, mais à ce stade (rébus adhuc teneris), il était préférable de remettre la cause de la Réforme entre les mains d’une élite, dont du moins on était sûr. Nous sommes ici dans la logique de la politique zwinglienne, que l'évolution des dernières années fait encore davantage ressortir. C’est donc bien à tort qu’on a parfois représenté Zwingli comme démocrate au sens moderne du mot (ci. infra, col. 3892). Zwingli insiste encore sur le fait que la décision de cette fraction qu’il a dans la main ne va pas sans le concours, du moins tacite, du peuple Adèle (ibid., 480, 1 sq.) ; que le public est mis au courant des questions traitées en Conseil par Zwingli lui-même, qui a soin de former auparavant sa conscience sur ces points (ibid., 20. Comp. C. R., iii, 131, 1). il ajoute que cette dérogation, qui ne vaut d’ailleurs que pour la ville — dans les campagnes la décision concernant les réformes cultuelles revient normalement aux Églises (C. R., iv, 480, 15) — est conditionnée par la docilité dont fait preuve le Conseil lui-même à l'égard de la parole de Dieu, sur laquelle veillent Zwingli et les prédicateurs. Toute infidélité sera immédiatement flétrie (ibid., 479, 22). Finalement, la foi de Zwingli en la Providence qui assiste d’une manière particulière son Église reste sauve : Non quod vcreamur Deum optimum maximum defuturum, quo minus dirigat Ecclesiam suam (ibid., 479, 18). C’est dire que, quelles que soient les compromissions auxquelles certaines nécessités tactiques ou politiques le poussent dans l’intérêt même de la Réforme, le spiritualisme mystique demeure à la cime de l'âme de Zwingli.

On peut se demander encore : à quel titre Zwingli attribue-t-il ici au Conseil une compétence en matière religieuse ? Les Deux-Cents, Zwingli l’insinue, agissent sans doute par agrément de la communauté locale et en son nom, mais ils se meuvent aussi dans la ligne de leur pouvoir propre (cf. ibid., 480, 6 : Ut pax christiana servetur). Une certaine confusion, motivée sans doute par une équivoque réelle, règne ici dans l’esprit de Zwingli, qui cite comme étant ad rem le précédent des Églises d’Antioche déléguant Paul et Barnabe à Jérusalem (ibid., 480, 8), comme si le Conseil zurichois faisait pendant à une instaure ecclésiastique. On entrevoit déjà la possibilité d’une promotion qui, dans un cadre complètement unifié, donnera au Conseil une compétence élargie en matière de discipline et de culte.

Par ailleurs, il y a ici sous-jacent un jugement doctrinal porté sur le genre des affaires qui font l’objet de cette commission : elles concernent les choses extérieures (ibid., 479, 21 : iudicium externarum rerum ; cꝟ. 480, 22 : quæ usus postularel). Entendez : elles n’intéressent pas l’essence de la religion et, partant, elles peuvent être dévolues sans grand dommage à l’autorité séculière. Zwingli obéit ici sans nul doute, non moins qu'à la pression des événements, à la logique interne de son système. Enfin, remarque finale, qui achève d’expliquer le développement, les Deux-Cents n’agissent pas seuls. Zwingli dit bien : diacosii cum verbi ministris (ibid., 480, 20). C’est là l’organe total de cette théocratie qu’il est en voie d’instaurer à Zurich. Avant de nous arrêter à cette dernière phase de l’histoire zurichoise, qui marque l'épanouissement de la pensée zwinglienne sur le rapport des deux sociétés, mentionnons rapidement les interprétations auxquelles le texte du Subsidium a donné lieu.

b) Interprétations modernes du texte du t Subsidium ». — a. J. Kreutzer (op. cit., p. 65) insiste à juste titre sur le fait que le Conseil agit ici, non en son nom propre, mais au nom de l'Église (Ecclesiæ, non suo nomine) ; ce qui suppose implicitement la distinction d’un double for. Il faut donc admettre un transfert de compétence de l'Église à l’autorité civile : c’est là le titre juridique qui légitime l’intervention de celle-ci en matière cultuelle. (Voir de même W. Kôhler, Das Buch der Reformation Huldrych Zwinglis, 1926, p. 156.)

A. Farner raisonne tout autrement (op. cit., p. 104 ; cf. p. 185-186). Il pose en principe la distinction d’une double juridiction civile : directe et indirecte. L’autorité agit en vertu de sa compétence propre quridiction directe ou immédiate), quand elle réprime l’hérésie et veille à l’uniformité de la doctrine et du culte ; les dissensions religieuses nuisent en effet au bon ordre et à la paix publique. En revanche, s’agit-il de réformes du genre de celles préconisées ici (abrogation du culte des saints et de la messe), elle s’ingère dans un domaine qui n’est pas le sien ; et dès lors elle a besoin d’un autre titre fondant sa juridiction (indirecte ou médiate). Farner applique ici à Zwingli la théorie du Notrecht, que K. Millier et Holl ont fait valoir à propos de Luther. L’autorité intervient pour régler une question qui est du ressort ecclésiastique, quand l'Église elle-même se trouve dans une situation difficile et ne peut rien pour elle-même. Elle agit ainsi par devoir de conscience (aus Liebespflicht), au double titre de membre de l'Église et de membre éminent (preecipuum membrum Ecclesiœ). Si sa dignité l’invite à cette démarche, elle se laisse néanmoins guider dans l’exécution par la loi d'Église et ne fait pas usage de la force. L’autorité agit donc ici comme pouvoir chrétien (la qualité de chrétien est la source même de ce pouvoir dérivé). La Réforme, en prônant le sacerdoce universel des laïcs, est venue renforcer ce titre, dont par ailleurs la reconnaissance remonte au Moyen Age, voire lui donner une valeur et un sens nouveaux. A. Farner croit trouver dans le passage du Subsidium une illustration de cette théorie. Mais, comme l’a montré péremptoirement W. Kôhler (Zeilschrift der SavignyStiftung fur Rechtsgeschichle, U, Kan. Abt., xx, 1931, p. 681-682), ce texte n’est pas passible d’une telle interprétation. Zwingli critiquera plus tard l’attitude de Luther à l'égard de son prince d’une telle manière qu’on peut se demander s’il a même compris l’idée du preecipuum membrum Ecclesiæ (cf. (.'. R.. ix. 460, 17).

b. À notre jugement, au niveau du Subsidium (août 1525), Lwingli est à la recherche d’une légitimaI mu théorique de la compétence de l'Étal en ces matières plutôt qu’il n’en possède une quelconque. Un fait est certain, c’est qu’il attribue à l’autorité civile le

iudicium externarum rerum (contre A. Farner, op. cit., p. 105, n. 1), qui jusqu’à présent avait paru revenir à la communauté (cf. C. R., iv, 404, 9) : Suasimus ergo ut plebs iudicium externarum rcrum… diacosiis permittat (ibid., 479, 20) — cela sans doute sous la pression des circonstances et pour des raisons d’opportunité (ibid., 17 et 480, 24) plutôt qu’en vertu d’un principe juridique. Cependant, ce qui apparaissait alors une dérogation deviendra bientôt, quand la théocratie aura pris forme, la procédure normale. En théocratie, l’autorité a un rôle vicarial, par rapport, non plus seulement à la communauté, mais à Dieu même (cf. Sch.-Sch. , vol. iv, p. 16, undecimo). Elle agit comme investie par l’Esprit, et sa compétence s’étend aux « choses extérieures » de l’Église (avec J. Kreutzer, op. cit., p. 33). Seul désormais le domaine de la foi et de la prédication proprement dite lui est étranger. Dans la cité théocratique de Zwingli, le Conseil est d’ailleurs organe, non pas seulement de la Biirgergemeinde, mais de la Kirchgemeinde (elles se correspondent matériellement ) ; à ce titre même, ses décisions, du moment qu’elles sont contresignées par l’autorité purement spirituelle représentée par le prophète (cf. infra, col. 3877), sont réputées comme d’Église.

Ajoutons que, loin qu’elle ait à dépouiller pour autant son pouvoir coercitif, ainsi que le prétend A. Farner, l’autorité civile met en l’espèce celui-ci au service de l’Église, inaugurant ainsi son rôle en quelque sorte prophétique (cf. C. R., iii, 884, 21 ; ix, 460, 10 : Flagro monendi sunt, par référence à Joa., ii, 15). Bref, elle agit comme magistrat et comme magistrat chrétien : ces deux termes sont inséparables dans la pensée de Zwingli. C’est sans doute par opposition aux anabaptistes que, sur le double plan de la pratique et de la théorie, Zwingli a été amené à faire confiance à l’autorité civile, puis à reconstruire du dedans le concept de magistrat chrétien. C’est seulement quand les deux communautés : ecclésiastique et civile, se seront fondues l’une dans l’autre pour former la théocratie, qu’il parviendra à une conceptoin adéquate de celle-ci. Au stade du Subsidium, la fusion n’est pas encore réalisée, et l’Ecclesia (ou Ecclesia tota) se distance encore de l’électorat représenté par les Deux-Cents (contre W. Kôhler, C. R., iv, p. 448).

Quant à la distinction des deux ressorts de l’autorité civile : immédiat et médiat, proposée par A. Farner, non seulement on ne la trouve pas littéralement dans Zwingli, mais elle méconnaît l’orientation propre de sa pensée. La conception zwinglienne des rapports de l’Église et de l’État est en effet fondée sur l’antinomie : foi-culte extérieur, ou, si l’on veut, « homme intérieur » et « choses extérieures » ; et à part même toute raison d’opportunité, la logique du système poussait à abandonner à un magistrat chrétien des objets qui, pensait-on, ne touchaient pas à l’essence de la religion.

c. Pour élucider complètement cette question, il y aurait sans doute avantage à analyser plus qu’on ne l’a fait ce terme de « choses extérieures », qui revient si souvent sous la plume de Zwingli (cf. C. R., iii, 404, 5 ; 406, 33 ; 407, 21 ; iv, 208, 21 ; 227, 30 ; 255, 22 ; 404, 9 ; v, 711, 26, etc.). Il en use comme d’une arme à deux tranchants : contre les anabaptistes et les luthériens, il affiche une certaine indilïérence à l’égard des « choses extérieures » (comparées aussi à ces elementa mundi dont l’Évangile doit nous affranchir ; cf. C. R., iii, 872, 31) ; il s’agit en l’espèce du baptême et de l’eucharistie. En revanche, les réformes qu’il préconise sont-elles en jeu (abrogation des observances et du culte catholique : image, messe, etc.), le même Zwingli tient à ce que tôt ou tard jugement soit passé sur ces « choses extérieures ».

On ne saurait en tout cas arguer, comme le fait

1 A. Farner (op. cit., p. 105, n. 1), du texte de Von dem ! Predigtamt (C. R., iv, 404, 9) : Die ordnung der usserlichen dingen stadt in der hand der christlichen gemcind, pour prouver que les « choses extérieures appartiennent au domaine de la foi. Toute la doctrine sacramentaire de Zwingli, son ecclésiologie et sa conception des rapports de l’Église et de l’État sont fondées sur leur dissociation. En fait, ce texte est à entendre comme une réaction contre l’individualisme religieux des Tàufer (cf. ibid., 208, 21 : Ein yede Kilch sol in den offnen dingen handlen und urteilen, nil einer oder glych hundert besunder). Zwingli dit : communauté, par opposition à l’un ou l’autre de ses membres, non par opposition au pouvoir civil.

A l’expérience, il s’aperçut que la communauté croyante n’avait pas l’autorité suffisante pour régler les questions en litige entre évangéliques et anabaptistes, et encore moins pour faire prévaloir les réformes contre le triple front qui s’était dressé contre lui (anabaptistes, luthériens et catholiques) : aussi fit-il appel au pouvoir séculier. Ce fut d’ailleurs sa doctrine constante, exprimée à propos de l’excommunication, que le jugement d’Église a besoin d’être sanctionné et doublé par des mesures coercitives prises par l’autorité séculière ; bien plus, que devant la malice de certains l’Église est absolument impuissante ; seul le bras séculier peut en avoir raison (cf. C. R., ii, 334, 21). Ajoutez que Zwingli se sentait intérieurement poussé, en vertu d’un dynamisme pneumatique, à faire triompher par tous les moyens ce qu’il croyait être la cause de la vérité. Ainsi, si paradoxal que cela paraisse, son spiritualisme mystique devait déboucher dans un réalisme brutal.

3° Prophétisme et théocratie (1528-1531). — 1. Nouveaux développements dans les idées et les institutions. — Durant cette dernière période, nous assistons à une triple transformation : a) Amalgame de la communauté et de la Cité. Jadis la communauté religieuse se distinguait, ou se distançait de la société civile ; à présent elles ne forment plus qu’un tout social organique, où seules les fonctions diffèrent (cf. déjà C. R., iii, 872, 38 sq.). Cette évolution s’explique facilement. La Kirchgemeinde a même extension que la Stadlgemeinde ; c’est dire qu’Église et Cité territorialement coïncident. En outre, depuis l’introduction du Taufzwang (baptême obligatoire, 1525), la Cité ne comprend que des baptisés ou membres officiels de l’Église, les dissidents (anabaptistes) étant exclus. Bientôt d’autres réformes font tomber les dernières barrières entre les deux communautés ; en 1529, l’assistance aux offices est rendue obligatoire par décret. Nous avons vu que dès le début les dirigeants de la Cité avaient tenu à ce qu’une certaine unanimité de croyance régnât entre ses membres ; celle-ci se double maintenant d’un conformisme cultuel extérieur. Bientôt, et c’est la troisième étape, le code éthique de l’Église devient loi d’État : ainsi avec le grand Sittenmandat de 1530. (Voir aussi C. R., ix, 462, 5 sq.) Or c’est là, selon la définition de Harnack, l’un des aspects essentiels de la théocratie (Das Gesetz des religiOsen Lebens [wird] zum Gesetz des Gemeindelebens). Mais, de ce chef, il y a plus qu’une corrélation étroite (Gleichstellung) de la communauté et de la Cité, et autre chose qu’une fusion : le centre de gravité du système se déplace, et la communauté (Gemeinde) est proprement absorbée par la Cité.

La raison en est bien simple. Jusqu’en 1525, la communauté zwinglienne pneumatique était restée un être un peu idéal. Lorsque, pour faire pièce à la secte anabaptiste, il fallut concrètement l’organiser, Zwingli recourut à un expédient. Plutôt que de doter la communauté naissante d’organes visibles capables d’action efficace, il préféra avoir recours aux organes

d’État existant qui étaient, pensait-il, habilités à agir au nom de l’Église (cf. supra, col. 3872 sq.). Les récriminations de certains prouvent qu’une certaine conscience ecclésiale s’était développée, mais non point suffisamment pour faire échec à une évolution à laquelle la pression des nécessités du moment, comme aussi l’orientation politique du génie de Zwingli, devaient fatalement conduire. Aussi bien, et la pratique devait le révéler, la communauté zwinglienne manquait d’objet. Cherche-t-on à la définir comme une communauté sacramentelle, — Zwingli conçoit les sacrements comme des tests d’appartenance à la Cité tout autant qu’à l’Église, comme une sorte de « serment civique (P. Wernle) (cf. supra, col. 3813). Lui donne-t-on une fonction pastorale ou policière : protéger la vie religieuse chez les vrais croyants en excluant les indignes, — mais la Cité s’acquittera encore plus heureusement de cette fonction, comme l’histoire de l’excommunication le prouve (cf. C. R., Il, 332, 17 ; 334, 26 et supra, col. 3867). Oppose-t-on la Communauté ou Église visible à l’Église invisible, celle-ci regardant l’ « homme intérieur » et celle-là ayant pour compétence la nomination des ministres, l’organisation du culte et ce qu’on est convenu d’appeler, selon la terminologie zwinglienne, les * choses extérieures », — mais la Cité s’arrogera bientôt toutes ces tâches, et Zwingli, qui ne connaît que l’antinomie intérieur-extérieur, ne sera que trop porté à les lui concéder.

Bref, prise entre l’Église invisible ou « communauté des croyants » et la Cité terrestre, visible, la communauté zwinglienne était vouée à disparaître, ou à se fondre dans la Cité, où en revanche les relations civiques s’amenuiseraient pour s’adapter à des fonctions nouvelles. Ajoutez que, si Zwingli tient à affirmer l’autonomie de la communauté, ce n’est point, comme l’écrit J. Kreutzer, par préjugé démocratique, mais bien à raison du pneumatisme de celle-ci. Or, en tout état de cause, dans la théocratie nouvelle le pneumatisme se survit, ne fût-ce qu’en ta personne de Zwingli, qui, en sa qualité de prophète, préside aux destinées de la Cité.

b) On constate en effet dans les organes représentatifs de l’Église et de ta Cité une évolution parallèle à celle que nous venons de décrire : a. D’une part, en effet, les offices ecclésiastiques tendent à se résumer en la fonction prophétique et à se concentrer en une seule tête, Zwingli, à la fois chef d’Église et directeur inspiré de la Cité. Si naguère, sous la pression anabaptiste, les simples fidèles, auxquels le dogme nouveau du « sacerdoce des laïcs » promettait l’émancipation, avaient dû s’en remettre à des ministres spéciaux de la prédication de la parole (cf. supra, col. 3859), ceux-ci. à leur tour, tendaient à démissionner entre les mains de Zwingli, organe privilégié des communications d’en haut et désormais seul responsable de la conduite du groupe.

b. D’autre part, on assiste à une épuration qui exclut du Conseil tous les membres non pratiquants. et bientôt à l’institution du Conseil secret » (fin 1528), conseil réduit, plus maniable, qui demeure pratiquement le seul organe représentatif de la collectivité civile. S’il est vrai que le Grand Conseil agit « non pas seulement comme autorité municipale, mais comme tête de la communauté locale, comme organe exécutif de la bourgeoisie » (comme le prétend Schultze), le Conseil secret est à son tour l’émanation du Conseil des Deux-Cents. Zwingli faisant partie du Conseil secret, l’Église ri ta CM se touchent du moins pur leurs têtes, et l’unité de direction est assurée. Comme l’écrit A. Fumer, le prophète et le Conseil, l’autorité ecclésiastique et séculière se fondent en cette Institution unique du Conseil secret pour constituer une seule puissance, qui est sujet et gardien

de l’éthos théocratique. A Zwingli comme au révélateur de la volonté de Dieu appartient la primauté. Son charisme prophétique s’actualise parfaitement. Il le pousse au sommet de l’Église. Il lui met en mains la conduite du peuple entier (die Fùlirung des ganzen Volkes) » {op. cit., p. 123-124).

c) II convient d’ailleurs d’ajouter, et c’est là le troisième caractère de cette période, que l’autorité civile bénéficie, elle aussi, d’une assistance de l’Esprit. En d’autres termes, le pneumatisme, naguère réservé à l’Église, s’étend à la Cité, ou du moins à son organe représentatif, le magistrat, qui prend place désormais à côté du prophète, tous deux se partageant la responsabilité spirituelle et temporelle du groupe entier et étant en relation également immédiate avec Dieu (cf. Complanatio Icremiæ Prophètes, ProL, Sch.-Sch., vol. vi, p. 1 sq.). N’est-ce pas là encore un des traits de la théocratie que d’avoir pour mission de traduire les volontés de Dieu dans la pratique plutôt que faire respecter un ordre qui trouverait en soi-même, dans ses principes constitutifs, la loi de son fonctionnement ?

Notons bien que la théocratie nouvelle s’établit sous le signe de l’Esprit plutôt que de la Parole. Sans doute la parole de Dieu, l’Écriture, demeure la norme de la croyance et même de la législation (C. R., ix, 456, 34). Ainsi le Lévitique fournit la base de la législation matrimoniale. Cependant, dans son exercice, le pouvoir doit se régler non sur la lettre, mais sur l’esprit (ibid., 465, 15) ; moins sur l’éthique du Nouveau Testament que sur les exemples légués par les Prophètes de l’Ancien, auxquels on associe les héros du paganisme (ibid., 463, 27 sq. ; 466, 35) ; moins sur la foi que sur la charité qui, s’inspirant de ces exemples et enflammée du même zèle, accomplit à Zurich ou à Constance une œuvre semblable à celle des Rois et des Prophètes dans la théocratie d’Israël (ibid., 465, 13 ; 466, 3 ; 467, 11). Ce progrès correspond à l’évolution générale de la pensée religieuse de Zwingli qui, nous le savons, met l’accent avec un crescendo sur l’Esprit, et cherche toujours davantage son inspiration dans l’Ancien Testament plutôt que dans le Sermon sur la montagne (ou la morale érasmienne, bientôt confisquée à leur profit par les anabaptistes).

On voit désormais comment se résout la tension entre Église et Cité : l’une et l’autre tendent à se fondre en une institution ou société unique, soit à la base par identité de leurs membres respectifs, soit plus encore au sommet dans leurs organes représentatifs, le Conseil secret étant organe d’Église aussi bien que d’État, avec ce correctif que, dans ce double rapport, il est assisté par le prophète, Zwingli ; et finalement, pour couronner l’édifice. l’Esprit venant se poser sur ces têtes et assurer la rectitude des décisions et des sanctions. V. Kôhler parle de « bibliocratie » à propos de la théocratie zwinglienne ; c’est plutôt pneumatocratie » qu’il faudrait dire.

S’il y a à travers tout ce développement une constante, elle réside dans la façon dont Zwingli conçoit le binôme : magistral, prophétie. — Il disait jadis : parole, autorité (cf. Von gôttlicher und menschlicher Gerechligkeil, C. ]<., Il, 523, 20). — Ces deux termes correspondent également à une ordination positive de Dieu : niais le premier concerne l’ordre du monde en soi : le prophète en effet est l’organe de la Providence dans le gouvernement du monde ; interprète de la sagesse et de la volonté suprêmes, il transmet aux hommes les conseils du Tout Puissant (Sch.-Sch., vol. vi, t. i. p. 1 sq.). En revanche, le second isc la nature corrompue par le péché : c’est là en effet une idée chère à Zwingli quc la chute de l’homme n’a pas pris Dieu au dépourvu i non lement il l’a prévue et v a porté remède (par l’Incarnai ion), mais il veille toujours actuellement à ce que

les décrets de sa volonté, transmis par le prophète, soient appliqués et que leur transgression soit sanctionnée par des peines. C’est précisément la fonction du magistrat de seconder l’action du prophète en faisant rentrer dans l’ordre les délinquants (Sch.-Sch. , ibid. et vol. iv, p. 16, undecimo). De la sorte, l’Évangile réformé, synthétisé dans la « double justice », maintient jusqu’au bout ses exigences. Seuls les points de vue changent avec le temps : Zwingli passe de l’objectif (considération des deux justices et de leurs objets) au subjectif (égards à la personne du prophète et du magistrat). Dans l’ensemble, d’ailleurs, la tendance zwinglienne est de passer des lois et institutions aux organes représentatifs et aux personnes mêmes, dont la qualité (vertus chrétiennes, charisme prophétique) est essentielle au bon fonctionnement de la théocratie et à sa notion même (cf. C. R, ix, 456, 32 : Constantiensis senatus, Christianus ille quidem, etc. ; 465, 2 et passim).

2. Documents littéraires de cette période.

Ces différents points sont illustrés par les écrits de cette période, notamment la Lettre à Ambrosius Blaurer (4 mai 1528 ; C. R., ix, 451 sq.) ; les Confessions de foi : Fidei ratio (1530 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 15-16) ; Christianæ fidei expositio (1531 ; ibid., p. 58-60) ; et le Prologue au Commentaire de Jérémie (Il mars 1531 ; ibid., vol. vi, p. 1 sq.).

a) Lettre à Ambrosius Blaurer. — Le premier document surtout a dérouté les critiques, et cependant il reflète exactement le régime instauré à Zurich. Zwingli y traite de l’introduction de la Réforme à Constance, et se réglant sur le précédent zurichois, il la confie à l’autorité séculière. Il faut noter d’ailleurs, et ceci prouve jusqu’à quel point Zwingli est opportuniste, que dans le même temps, s’adressant aux Églises d’Esslingen et de Walenstadt, il revendique la compétence exclusive de la communauté en cette matière ; à elle de décider de la Réforme à la pluralité des voix. C’est que, ici et là, l’appel à la communauté était pour Zwingli le meilleur gage du succès (cf. Der ander Sandbrief H. Z. an die Christen zu Esslingen (1527), Sch.-Sch., vol. ii, t. iii, p. 9 ; Instruction fur Walenstadt (1530), ibid., p. 85).

J. Kreutzer (op. cit., p. 66 sq.) s’appuie à tort sur ces deux documents pour prouver que le réformateur est resté jusqu’au bout fidèle au principe de l’autonomie de la communauté. Sans doute, mais idéalement seulement. Quand cette correspondance eut lieu, il y avait longtemps que ce principe n’était plus appliqué à Zurich, mais il valait toujours pour l’usage externe. Zwingli argue, il est vrai, de l’exemple de Zurich, où les anabaptistes ont été convaincus d’erreur au cours de plusieurs disputes (Sch.-Sch., loco primo cit.), mais ces dernières remontent aux années 1524-1525 ; dans la suite, des solutions plus brutales se sont imposées et l’autorité séculière a pris le dessus. A Constance, il en allait sensiblement de même, d’autant plus que la lettre à Blaurer laisse supposer une collusion entre éléments anabaptistes et luthériens (C. R., ix, 466, 9). Dans ces conditions, seule une action vigoureuse de l’autorité permettait au radicalisme zwinglien (abrogation des images et de la messe) de l’emporter.

Zwingli s’essaie à la justifier. II suppose constamment, il est vrai, le concours du peuple (ibid., 455, 29), du moins de la sanior pars qu’il croit acquise à la Réforme (ibid., 460, 9 ; 462, 19) ; mais, dans les circonstances actuelles, ce suffrage peut-il s’exprimer librement et sûrement ? Zwingli en doute (cf. déjà le texte du Subsidium, cité supra, col. 3873). Il range parmi les adeptes de l’ « ancienne » foi bon nombre de timides qui n’attendent qu’une intervention énergique des pouvoirs publics pour se déclarer en faveur de la

Réforme (ibid., 465, 38). À ceux-ci donc d’en prendre l’initiative. Et puisque, en toute cette question, la parole de Dieu est la pierre de touche, on le prouvera à l’aide de l’Écriture, quitte à faire subir a celle-ci certaines accommodations. C’est ainsi que dans le passage de Act., xv, 22 : Tote ë80Çe toïs ôrrrooTÔÂoiç Kod toïs TrpeaguTépois ctùv ôr ttj ÈKKXr|o-fg (cf. ibid., 456, 9), le premier terme s’applique aux prédicateurs, qui jouent le rôle prophétique que l’on sait, le second, aux conseillers civils ou municipaux de Constance (la philologie vient ici au secours de l’exégèse pour montrer le vrai sens de TrpEo-êÛTEpot), enfin le troisième s’entend de la communauté locale avec son ambivalence : Église-Cité. Zwingli estime en effet que l’Église est suffisamment consultée, quand les corporations ont émis leur avis (ibid., 457, 27. 34). C’est donc qu’il y a convertibilité entre Église et Cité. Notre argumentation est confirmée.

De ce trinôme, c’est le second terme, soit donc l’autorité civile, qui est mis le plus en vedette (ibid., 456. 32). C’est à celle-ci que Zwingli va prescrire la marche à suivre. Il cherche dans le Nouveau Testament, à défaut d’une consigne péremptoire, des précédents aux innovations rituelles qu’il préconise (abrogation de la circoncision et des observances judaïques ; surtout expulsion des vendeurs du Temple par le Christ) ; mais c’est surtout à l’Ancien Testament qu’à la suite d’une prétérition habile (ses adversaires anabaptistes ne le reconnaissent pas, ibid., 463, 28), il emprunte des témoignages. Il pense de préférence aux Ézéchias, Élie et Josias (ibid., 465, 22 ; 467, 10), et propose leur exemple au magistrat, voire au prophète : quid magistratui liceal, imo quid prophétie quoque (ibid., 465, 32). Dans ce contexte, et ceci est important, la fonction étatique prend un sens eschatologique : l’autorité séculière, en faisant œuvre réformatrice, c’est-à-dire, dans la pensée de Zwingli, en purgeant la religion et le culte des éléments adventices, agit comme interprète de la colère de Dieu et instrument de la puissance du Très-Haut, et en châtiant la réaction, elle prévient le jugement divin à son endroit (cf. ibid., 460, 10 : Flagro monendi sunt et la suite). Vue dans cette perspective, l’association de l’autorité à l’œuvre de la Réforme se comprend d’elle-même, puisque seule elle dispose de la force et des moyens de coercition nécessaires : ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive, se plaît à répéter Zwingli (par référence à Rom., xiii, 4) (cf. C. R., iii, 468, 33 ; 883, 31 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 58. Comp. C. R., ii, 333, 10 ; 335, 18).

Mais le plus curieux, c’est que cette partie positive de la lettre a pour envers une critique de la position luthérienne, qui achève de faire la lumière sur l’ecclésiologie zwinglienne. Le point de départ de Zwingli comme de Luther, ce fut l’invisibilité du règne de Dieu attesté en saint Jean (cf. Joa., xviii, 36) : regnum Christi non est exlernum (C. R., ix, 452, 17). Longtemps, en dépit d’Érasme, Zwingli s’est attaché à ce paradoxe que couvrait l’autorité de Luther. A présent l’expérience et la réflexion lui en ont prouvé l’inanité, et il s’écarte sur ce point encore de Luther. N’oublions pas que nous sommes en 1528, c’est-à-dire au moment où la controverse eucharistique atteint son paroxysme. Zwingli éprouve le besoin de liquider le reste d’héritage qu’il peut encore tenir de Luther. L’ecclésiologie s’aligne sur la doctrine sacramentaire. Le « règne du Christ », c’est en effet, dans sa pensée, la théocratie et celle-ci ne peut négliger de s’occuper des « choses extérieures » (culte des saints, messe) (cf. ibid., 465, 37). Sermo nobis est de externis, tum rébus, tum professionibus : celles-ci rentrent en plein dans l’objet du pouvoir séculier qui, nous l’avons indiqué, est le Pouvoir tout court en théocratie. Nous retrou

vons la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur : l'Église, synonyme de communauté des croyants ou des élus, qui est sans contact avec le monde, s’occupe de l' « homme intérieur » ; en revanche, les « choses extérieures » tombent dans le domaine de la théocratie, qui enveloppe la communauté locale pour autant que celle-ci se compose de croyants vrais ou nominaux et est en rapport avec le monde. Ainsi la ligne qui traverse l’ecclésiologie zwinglienne (col. 3856) se dévoile.

Bien entendu, ce rattachement des « choses extérieures au pouvoir séculier, organe réformateur de l'Église, ne se fait pas sans le sacrifice de la liberté individuelle, qui était déjà fortement compromise. « A Zurich comme partout où ils ont surgi et ont été réprimés, souligne W. Kôhler, l’anabaptisme et le mouvement paysan ont renforcé le gouvernement de l'Église par l'État (Kirchenregiment) et restreint la « liberté du chrétien ». La collusion de la politique et de la religion, selon la formule zurichoise, devait se produire fatalement aux dépens de cette dernière, dès lors que la théocratie s’affirmait comme pouvoir dominateur dont la présupposition fondamentale est un ordre unitaire » (Huldrych Zwingli, 1943, p. 154). Si la foi reste une affaire de conscience (cf. C. R., ix, 461, 18 sq. ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 274), il n’y a plus place dans la Cité réformée pour la libre profession de foi ou le libre exercice du culte. Jadis, sans doute sous l’influence érasmienne, Zwingli préconisait une certaine mesure de tolérance à l'égard des faibles (cf. Von Erkiesen und Freiheit der Speisen, avril 1522 ; C. R., i, 1Il sq. et la section De scandalo du Commentaire, 1525 ; C. R., iii, 888 sq.). À présent qu’il est livré tout entier à son génie propre, il est pour les solutions violentes. Ainsi la lettre à Ambroise Blaurer, charte de la théocratie nouvelle et en même temps document psychologique de premier ordre, achève de nous éclairer à la fois sur le progrès des idées et sur les ressorts secrets de l'âme de Zwingli. Le dénouement tragique de Kappel est déjà en vue.

b) Confessions de foi : le Prologue de Jérémie. — Les Confessions de foi et surtout le majestueux Prologue du Commentaire de Jérémie ont un autre ton. Ce dernier surtout présente l’idéalisation mi-chrétienne, mi-mythologique des rôles de prophète et de magistrat. Un certain dualisme subsiste donc, suffisamment attesté par les termes dont Zwingli se sert à propos de l’une ou l’autre fonction (doceant, corrigant ; docendo, animadverlendo ; prædicant, imminent, etc.). Mais il est surmonté du fait que Zwingli remonte à la source qui leur est commune : la lumière divine, YEsprit souverain. C’est lui véritablement le chef et l’inspirateur, l’Empereur, dirait-on, de la théocratie nouvelle (est igitur imperiali isto Spiritu … opus, Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 2, c. fin).

Par ailleurs, délaissant le cadre étroit de la communauté et de la Cité et élargissant les rôles aux limites de l’humanité, Zwingli retrouve les vues universalisles du Moyen Age, symbolisées par le Corpus christianum. Sans doute les vocables subissent certaines adaptations. Zwingli dit : ecclesiaslicum corpus, ibid., vol. iv, p. 59 ; ou : Sic Ecclesia, sic regnum, sic respublica, ibid., vol. vi, p. 1 ; cf. ibid, , p. 2 : Ecclesia et respublica ; sive Ecclesiæ, sive regni, sive reipublicæ corpus, termes qui se recouvrent. Ailleurs, X’Ecclesia sans plus sert à désigner le complexe Église-État (ibid., vol. iv, p. 60, c. init.). Mais l’idée sous-jacente est identique. En accord avec la Tradition, Zwingli pense ; i une société organique et unifiée, où la distinction des pouvoirs ou fonctions constitue toute la diversité (l’idée d’organisme ou corps social est mise en valeur par des analogies d’ordre animal empruntées à l’Antiquité ; cf. ibid., vol. vi, t. i, p. 2-3). Le pouvoir séculier est intégré à ce corps qui, sans lui,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

serait imparfait et tronqué : Constat Ecclesiam sine magistralu mancam esse ac mutilam … eum (magistralum se.) necessarium esse ad perfectionem ecclesiastici corporis (ibid., vol. iv, p. 59). C’est sous cette forme seulement que l’on trouve chez Zwingli l’attestation de l’office du magistrat comme præcipuum membrum Ecclesiæ (contre A. Farner).

Est-ce à dire, comme certains l’ont prétendu, que Zwingli fasse sienne sans restriction la conception du Moyen Age ? Non pas : car il a vidé le Corpus christianum d’une part importante de son contenu : loi naturelle, caractère sacral du pouvoir, personnification de l’ordre dans le pape et l’empereur, toutes notions qu’il critique (cf. sur la dernière : C. R., iii, 442, 17). Et plus encore il interprète le Corpus christianum dans le sens de son universalisme spirilualisle. Il dit bien que l’Esprit est l'âme de ce corps (Spirilus, inquam, est qui corpus ecclesiie et intus animât et foris régit, Sch.Sch., vol. vi, 1. 1, p. 2). Mais de quel Esprit s’agit-il ? De l’Esprit universel, qui, « de même qu’il a créé toutes choses, les dispose et les régit » (ibid., p. 3). Le Corpus christianum du Moyen Age est un prolongement du Corps mystique et à ce titre il est axé sur le Christ (il est essentiellement chrétienté) : d’où le caractère sacral des pouvoirs spirituel et temporel, chez l’un et l’autre dérivé du Christ grand-prêtre et chef. Dans la théocratie zwinglienne, le Christ le cède à l’Esprit, dont l’influence est perceptible au delà de l'Église, dans le monde païen. De cet Esprit le prophète et le magistrat sont également l’organe (ibid., p. 2).

Par ailleurs, Zwingli introduit dans cette métaphore le dualisme de l'âme et du corps, qui est l’un des traits essentiels de son anthropologie : « De même que l’homme est composé d'âme et de corps, encore que le corps soit la partie la plus basse et vile, de même l'Église ne peut se passer de l’autorité séculière, encore que celle-ci ait pour objet des choses plus matérielles et éloignées de l’esprit » (ibid., vol. vi, t. i, p. 60 ; cf. vol. iv, p. 2, c. fin.). Ce qui n’exclut nullement une autre considération fondée sur la nature déchue (cf. Prof. Jerem. : Ni more præceptorum, Magistratus, quæ contra ius et fas gesta sunt, cmendent ; Sch.-Sch., vol. vi, p. 2 c. init, ). (Ce rôle de précepteur dévolu au magistrat qui fait observer la loi est chez Zwingli comme chez saint Paul consécutif au péché.) Nous retrouvons ici l’ambiguïté de la morale zwinglienne où le paulinisme alterne avec le dualisme philosophique.

IV. CONCLUSION GÉNÉRALE DE L’ECCLËSIOLOQIE

zwinglienne. — En conclusion, on peut figurer par le schéma suivant l'évolution de la pensée zwinglienne en matière d’ecclésiologie :

D’une part, il y a approfondissement du concept d'Église proprement dite : la « communauté des croyants » (A) devient la « communauté des prédestinés » (A'). Cette communauté en effet s’entend par référence à Dieu, qui seul voit le fond des cœurs et appelle les individus à la foi (synonyme d'élection). D’autre part, la communauté ecclésiastique (13) et la Cité (C), un moment distinctes, sont bloquées ; plus exactement, la première est absorbée par la seconde. qui, en même temps, se transforme et se modèle intérieurement sur clic (B* = C), soit dans ses structures (conformisme doctrinal et cultuel ; législation appropriée), soit même par son esprit, car l’esprit de l’EgllM (ingenium, cf. C. R., iii, 868, 24) tend à pi ni trer la Cité, soit enfin selon les organes directeurs qui

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communient étroitement entre eux (prophète et magistrat ; concrètement, Zwingli et le Conseil secret). Cette absorption est facilitée du fait que, malgré des affirmations de principe, la communauté chez Zwingli n’a jamais eu vraiment d’existence autonome. N’étant pas proprement une * incorporation » de l’Église invisible, elle ne pouvait que flotter entre celle-ci et la Cité, qui, elle du moins, trouvait ici-bas un ferme appui. D’autre part, encore que dans le conflit avec Luther il en appelle au jugement de l’Église universelle (cf. C. R., v, 563, 25), par où il entend l’Église visible, Zwingli ne connaît comme Église visible que des communautés isolées subsistant dans le cadre de la Cité (contre Br. Brockelmann, op. cit., p. 40). Les événements se sont conjugués avec le génie propre de Zwingli pour donner à celle-ci plus de relief, aux dépens de celle-là. Ainsi à Zurich. Zwingli eût voulu étendre cette formule à d’autres villes, dont Constance, la théocratie zurichoise servant de modèle à la Suisse réformée et à l’Allemagne du Nord.

D’autres motifs, d’ordre plutôt idéologique, ont agi dans le même sens. Alors que l’Église au sens premier : Église invisible (A = A’) se prend par rapport à Dieu, l’Église au sens second : Église visible (B ou B’) a pour mesure le jugement humain qui s’arrête aux apparences : c’est dire qu’elle groupe ceux qui se donnent ou apparaissent comme chrétiens. De ce point de vue, les deux Églises sont entre elles comme la réalité et la figure (selon le platonisme zwinglien), ou mieux, leur diversité est fondée sur la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur. Car si l’une vise l’ « homme intérieur », l’autre aborde l’homme par l’extérieur et envisage ses rapports avec le monde. Or, par le jeu même des circonstances, il est apparu à Zwingli que, seule, la Cité christianisée pouvait organiser l’homme et le chrétien dans ses rapports avec ses semblables et que les « choses extérieures » étaient proprement de sa juridiction. On s’explique de ce chef que la communauté, vu surtout sa faiblesse de structure initiale, ait cédé le pas à la Cité : il suffisait à Zwingli, pour que le spirituel soit sauf, que l’Esprit régnât souverainement sur celle-ci ; d’où la place prééminente qui revient au Prophète, sorte de divinité tutélaire de la Cité (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 3 : Primas tamen ea in re propheta tenet ; ibid., vol. iv, p. 60).