Dictionnaire de théologie catholique/ZACHARIE LE RHÉTEUR

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1073-1075).

ZACHARIE LE RHÉTEUR, historien ecclésiastique du vie siècle. — Zacharie naquit à Maïouma, le port de Gaza, vers 465. Peut-être était-il le frère du sophiste Procope, bien connu par ses chaînes sur l’Ancien Testament, par ses lettres, par ses discours et par ses travaux d’érudition profane. Il eut la bonne fortune de grandir au moment même où l’école de Gaza, qui ne devait jeter qu’un lustre éphémère, brillait de tout son éclat et attirait à elle une nombreuse jeunesse. Ce ne fut pourtant pas dans sa patrie qu’il acheva ses études, mais à Alexandrie, où il fit de la philosophie et de la rhétorique, puis à Béryte, où il s’initia aux sciences juridiques. A Alexandrie, il se lia d’amitié avec un jeune homme de son âge, Sévère, originaire de Sozopolis en Pisidie, qui se faisait dès lors remarquer par son intelligence brillante et son amour du travail. Sévère n’était pas baptisé. Zacharie au contraire était un chrétien fort zélé, qui ne se contentait pas de se laisser passionner par les controverses religieuses, mais qui tenait à faire passer ses croyances dans la pratique de sa vie et était féru d’ascétisme. Il s’efforça de gagner son ami et ne connut d’abord que des échecs. Sévère commença par observer une sorte de neutralité froide, sans vouloir

donner plus de gages au paganisme expirant qu’au christianisme disputeur. Mais à Béryte, il se laissa vaincre. Zacharie lui fit lire de bons livres, le conduisit à l’église, l’amena à pratiquer l’ascétisme : la conversion de Sévère fut une de ses plus belles conquêtes. Celui-ci ne tarda même pas à dépasser son maître, car, une fois baptisé, il prit l’habit monastique à Maïouma et se donna tout entier à la poursuite de la vie parfaite, tandis que Zacharie, resté dans le monde, se dirigeait vers Constantinople. Le séjour à Alexandrie peut être placé vers 485-487 ; l’arrivée à Béryte à l’automne 487 ; le départ pour Constantinople aux environs de 492. À son arrivée dans la capitale, Zacharie avait donc atteint l’âge mùr : la science qu’il avait acquise dans les plus fameuses écoles de ce temps lui permit d’exercer avec succès la profession d’avocat ; de là les surnoms de rhéteur et de scolastique sous lesquels on le désigne habituellement. Il fut bientôt un des personnages en vue de la cité. Depuis 482, la croyance officielle était exprimée par l’Hénotique de Zenon : l’empereur, on le sait, déclarait dans ce document qu’il s’en tenait aux symboles de Xicée et de Constantinople, en adhérant toutefois à ce qui avait été fait à Éphèse contre Nestorius et contre ceux qui, plus tard, avaient pensé comme lui, ainsi qu’à la condamnation d’Eutychès. « Il protestait que Marie est mère de Dieu, que le Fils de Dieu fait homme est un et non pas deux, qu’il nous est consubstantiel par son humanité ; que, dans la façon de se le représenter, il faut écarter toute idée de division, de confusion, d’apparence sans réalité ; qu’il n’y a pas deux Fils, encore qu’un de la Trinité se soit incarné. » L. Duchesne, Histoire ancienne de l’Église, t. iii, p. 503. Cette formule assez vague, bien que dirigée contre le concile de Chalcédoine, ne plaisait pas aux monophysites, en dépit des concessions qu’elle leur faisait. Elle dut être acceptée par Zacharie qui, une fois arrivé à une situation en vue, semble être demeuré étranger aux controverses religieuses et avoir suivi le parti de la cour avec fidélité. Cette fidélité fut récompensée par le choix qu’on fit de lui, à une date inconnue d’ailleurs, pour la dignité de métropolite de Mytilène, dans l’île de Lesbos. Ce fut en cette qualité qu’il prit part en 536 au synode réuni à Constantinople, sous la présidence du patriarche Menas et qu’il condamna avec ses collègues Anthime, l’ancien patriarche, Sévère d’Antioche, Pierre d’Apamée et le moine Zoanas. Il est probable qu’il mourut peu de temps après : on n’a aucun renseignement sur ses dernières années et sur sa mort. Dans l’ensemble, Zacharie paraît avoir été surtout, après l’enthousiasme religieux de sa jeunesse, un homme fort ami de sa tranquillité. Monophysite aussi longtemps qu’on pouvait l’être sans dangers, il se rallia finalement à l’orthodoxie et alla jusqu’à souscrire la condamnation de Sévère, malgré les liens d’affection qui l’avalent uni à lui et la biographie enthousiaste qu’il lui avait consacrée. De telles palinodies ne sont jamais une preuve d’héroïsme.

Zacharie le rhéteur a beaucoup écrit : 1° L’ouvrage qu’on désigne habituellement sous le nom d’Histoire ecclésiastique, mais dont on ignore le véritable titre, a été originairement composé en grec. Le texte original a entièrement disparu, après avoir été utilisé largement par F.vagrc dans les livres II et III de sa propre Histoire. Mais on en conserve une traduction syriaque, plus ou moins abrégée et retouchée d’ailleurs, dans une compilation divisée en douze livres et qui raconte les événements écoulés depuis la création du monde jusqu’à l’année 509. Seuls les livres III-VI de cette compilation sont empruntés à Zacharie. Le compilateur était, semblet-ll, un moine d’Amtd en Arménie ; et c’est évidem ment à tort que la traduction syrienne postérieure a regardé Zacharie comme l’auteur de ce travail, en même temps qu’elle a fait de lui un évêque de Mélitène d’Arménie. Zacharie n’avait pas entendu rédiger une histoire proprement dite, destinée à continuer les grands ouvrages de Socrate et de Sozomène, mais une sorte de mémoire à consulter pour l’usage d’un fonctionnaire appelé Eupraxios. Son récit s’étend du concile de Chalcédoine jusqu’à la mort de l’empereur Zenon (450-491). L’auteur insiste principalement sur les événements dont il a été le témoin ou qu’il a entendu raconter au cours de ses années d’études à Alexandrie et à Béryte ; aussi les informations qu’il donne sur l’Egypte et sur la Palestine sont-elles des plus précieuses. Par contre, il n’est pas fort exactement renseigné sur l’histoire générale et les seuls documents qu’il cite sont ceux dont tout le monde pouvait avoir connaissance. Il juge les faits du point de vue de la politique de Zenon et prend résolument parti pour l’Hénotique : dès ce moment sa position doctrinale est ainsi fixée. Il doit avoir écrit peu après son arrivée à Constantinople en 492.

2° La Vie de Sévère d’Antioche, originairement composée en grec, elle aussi, mais dont seule une traduction syriaque nous est parvenue. Cette biographie raconte l’histoire de. Sévère depuis sa naissance jusqu’à son élévation au siège patriarcal d’Antioche en 512 et vise un but apologétique. Elle se propose de défendre Sévère contre des accusations de paganisme qui étaient dès lors dirigées contre lui et qui ne devaient pas cesser d’être reprises jusqu’à la fin de sa vie. Zacharie n’a pas de peine à réduire à néant ces accusations, en rappelant la conduite de son ami à Alexandrie : il le montre dès lors l’ennemi décidé de l’idolâtrie et le destructeur des idoles. La Vie dp Sévère est surtout importante pour nous à cause des renseignements qu’elle apporte sur la vie quotidienne, sur les mœurs, sur le travail scolaire, etc., dans les grandes villes d’Alexandrie et de Béryte à la fin du v 8 siècle.

3° La Vie du moine égyptien Isaïe ne nous est connue, comme les précédents ouvrages, que par une traduction syriaque. Elle a dû êtie rédigée vers le même temps que la Vie de Sévère, c’est-à-dire entre 512 et 518. Après avoir longtemps vécu en Egypte et y avoir été favorisé des dons de sagesse et de prophétie, Isaïe avait été finalement poussé par l’amour de la solitude à se retirer en Palestine, dans le désert voisin d’Éleuthéropolis où il était mort en 488. C’est à la fin de sa vie que Zacharie avait appris à le connaître et à l’admirer. Son récit est donc fondé sur des souvenirs personnels, ce qui lui donne une valeur considérable.

4° La Vie de Pierre l’Ibère, composée elle aussi en grec et traduite en syriaque, a disparu, à l’exception de quelques fragments de la version syriaque. Fils d’un prince d’Ibérie, Pierre avait été, en 422, envoyé comme otage à Constantinople et il y avait été élevé à la cour de l’empereur Théodose II. Arrivé à l’âge d’homme, il s’était enfui pour mener la vie monastique et après avoir séjourné quelque temps à Jérusalem, il avait fini par se retirer en 438 entre Gaza et Maïouma. En 453, I’évêque monophysite de Jérusalem l’avait consacré évêque de Maïouma ; niais dès 457, il avait dû s’enfuir en Egypte, d’où il n’était revenu qu’en 475, pour reprendre son existence de moine et d’évêque également voué à l’ascèse et aux Intittti spirituels de son peuple. Il était mort le 1 er décembre 488, après avoir refusé de venir à Constantinople, où l’empereur Zenon l’avait Invité. Zacharie avait connu Pierre qui avait fait sur lui une profonde im pression : la biographie qu’il lui consacra traduisait sans doute cette admiration pour un personnage aussi rcmarqunM<

5° La Vie de l’évêque Théodore d’Antinoè en Egypte ne nous est connue que par son titre.

6° En dehors de ces ouvrages historiques, Zacharie a encore écrit deux ouvrages apologétiques. Le premier est un Dialogue, dont les interlocuteurs sont Zacharie lui-même et un disciple du sophiste alexandrin Ammonius et qui traite de la création du monde dans le temps : SiàXsÇiç Sri où ouvatSioç tw 0ec~> ô x60[i.oç, De mundi opificio contra philosophos dispulatio. Ammonius lui-même paraît dans le dialogue et y exprime son opinion. Nous possédons encore le texte original de cet ouvrage, qui a été publié d’abord par J. Torinus, Paris, 1619 et réimprimé dans P. G., t. lxxxv, col. 1011-1144, d’après l’édition de C.Barth, Leipzig, 1654. Une édition plus récente est due à J.-F. Boissonade, Mneas Gazseus et Zacharias Mutilenus de immortalitate animée et mundi consummatione, Paris, 1836. L’introduction rappelle le début de YEutyphron de Platon ; la suite se rapproche du dialogue d’Énée de Gaza sur l’immortalité de l’âme. Il semble que nous ayons là un ouvrage de jeunesse et que Zacharie l’ait écrit pendant son séjour à Béryte où il place d’ailleurs la scène de l’entretien.

7° Nous connaissons par un court fragment, publié dans une traduction latine, P. G., t. lxxxv, col. 11431144 et en grec par Démétrakopoulos, Bibliotheca ecclesiastica, Leipzig, 1866, p. 1-8, puis par J.-B. Pitra, Analecta sacra, t. v a, Paris, 1888, p. 67-70, une fli’sputatio contra manichœos, qui a pu être écrite vers la fin de la vie de Zacharie, après 527.D’après le récit d’un ms. de Moscou daté de 932, à la suite de l’édit porté en 527 par l’empereur Justinien contre les manichéens, deux de ces hérétiques auraient un jour lancé un tract favorable à la secte, dans le magasin de livres, (316Xio7rpaTeïov du palais impérial. Le chef du magasin aurait alors demandé à Zacharie, déjà connu par sept KecpixkoLiix contre les manichéens, de rédiger une critique et une réfutation de ce tract ; et c’est ainsi qu’aurait pris naissance l’ouvrage dont nous possédons un extrait. Quant aux KeçàXaioe, ils ne sont pas autrement connus.

Sur la vie et l’œuvre de Zacharie, on peut consulter G. Kruger, art. Zacharias Scholasticus, dans Prolest. Realencyklop., t. xxi, 1908, p. 593-598 ; Sikorski, Zacharias Scholastikus, dans 92. Jahresbericht der Schlesischen Gesellschaft jur vaterlàndische Kultur, Brestau, 1915, t. i, Abt. 4 a, p. 1-17. La compilation syriaque qui utilise l’Histoire ecclésiastique a été éditée par J.-P.-N. Land, Anecdota syriaca, t. iii, Zachariæ episcopi Mitylenes aliorumque scripta historica græce plerumque disperdita, Leyde, 1870. Quelques chapitres des différents livres de la compilation avaient été déjà publiés par A. Mai d’après un ms. du Vatican, dans Scriplorum veterum nova collectio, t. x a, Rome, 1838, p. 332-338 ; cf. P. G., t. lxxxv, col. 11251178. Une traduction allemande est due à K. Ahrens et G. Kriiger, Die sogenannte Kirchengeschichle des Zacharias Rhetor, Leipzig, 1899 ; une traduction anglaise à F.-J. Hamilton et E.-W. Brooks, The syriac Chronicle known as thaï o/ Zachariali of Mitylene, Londres, 1899. Cf. M.-A. Kugener, La compilation historique de pseudo-Zacharie le Rhéteur, dans Revue de l’Orient chrétien, t. v, 1900, p. 202-214, 461-480.

La Vie de Sévère a été étudiée d’abord par S. Spanath, Gœttingue, 1893 (Kister Gymnasial progr.), traduite en français par F. Nau, dans Rev. de l’Orient chrétien, t. iv-v, 1899-1900 ; puis rééditée avec une traduction française par M.-A. Kugener, dans Patrologia Orientalis, t. ii, 1, Paris, 1903. La vie d’Isaïe a été publiée, texte syriaque et traduction latine, par E.-W. Brooks, dans Corpus script. Christian, orient.. Séries III, Scriptores syri, t. xxv, Paris, 1907 ; auparavant elle avait déjà été éditée par J.-P.-N. Land, Anecdota syriaca, t. iii, Leyde, 1870, p. 346-356, et traduite en allemand par K. Ahrens, op. cit., p. 263-274. Cf. M.-A. Kugener, Observations sur la vie de l’ascète Isaïe par Zacharie le Scholastique, dans Byzant. Zeilschr., t. ix, 1900, p. 464-470.

Sur la Vie de Pierre l’Ibère, cf. Sikorski, Die Lebensbeschreibungen Peters des Iberers, 92. Jahresbericht der Schle sischen Gesellsch. fur vaterlând. Kultur, Brestau, 1915, I, 4 a, p. 7 sq.

G. BARDY.