Dictionnaire de théologie catholique/VOL, III. Causes pouvant autoriser la soustraction du bien d'autrui

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 883-885).

III. Causes qui autorisent des soustractions du bien d’autrui.

Il est des actions qui apparemment sont des vols en ce qu’elles soustraient ses biens à autrui contre son gré, ordinairement à son insu, et qui, cependant, ne sont pas injustes sans être nécessairement de tout point légitimes. Elles sont de soi permises, parce que le propriétaire doit être considéré comme irralionabiliter invitus et que, selon l’axiome bien connu, irrationabiliter invito non fit injuria ; celui qui soustrait le bien étranger et se l’approprie ne fait qu’user de son strict droit à l’enlèvement du bien d’autrui, il peut donc y avoir des causes excusantes ; la théologie en nomme deux : l’une assez rare qui est l’indigence ou nécessité ; l’autre, trop tentatrice, la compensation occulte. Mais il faut s’attendre à ce que la légitimité de ces actions dépende de conditions bien déterminées.

La nécessité comme cause excusante.

Donnons

l’état de la question, marquons à quelles conditions la nécessité autorise la soustraction du bien d’autrui ; suivront quelques conclusions pratiques.

1. État de la question.

La circonstance qui peut donner lieu à l’appropriation légitime du bien d’autrui contre le gré du propriétaire ou du possesseur est l’indigence ou nécessité matérielle, mais uniquement, comme s’exprime la théologie, la nécessité extrême ou quasi-extrême, à l’exclusion de la nécessité grave ou commune. En plus de cette condition préalable, d’autres tenant à la nature de la chose soustraite sont encore requises pour que l’appropriation du bien d’autrui soit légitime.

a) Saint Thomas pose la question, II a -II 1P, q. lxvi, a. 7, dans les termes suivants : Utrum liceat furari propter necessitatem. Un moment de réflexion suffît pour remarquer que le titre de l’article est mal formulé ; car, à proprement parler, la nécessité n’est pas une cause excusante ni surtout, comme on serait tenté de le dire par abus de langage, une circonstance légitimant le vol. Saint Thomas d’ailleurs corrige ad 2° m le titre incorrect : le nécessiteux ne vole pas le bien d’autrui quand il s’en empare pour se nourrir en cas de nécessité ; il use d’un droit en prenant ce qui lui appartient et n’a pas à plaider les circonstances atténuantes ni à s’excuser.

Il prend le bien d’autrui, ou mieux ce qui, avant son état de nécessité et l’occasion qu’il a de s’en emparer, était le bien d’autrui ; et il le soustrait à celui qui en était jusque-là le légitime propriétaire pour subvenir à une très grave nécessité matérielle. C’est devenu son bien, sans que, plus tard, il ait l’obligation d’indemniser le précédent propriétaire. Et pourtant celui-ci est invitus ou est supposé invitus : il proteste, il se plaint, il ne cède qu’à la force et menace d’exiger des dédommagements ; mais il ne l’est que déraisonnablement et injustement.

b) Il est donc supposé qu’il n’y a qu’apparence de vol, cette apparence étant supprimée par des circonstances bien déterminées. Celles-ci se présentent sous deux chefs, d’abord la circonstance préalable d’une nécessité matérielle extrême ou quasi-extrême, puis deux autres concernant la chose soustraite, c’est-à-dire la condition de ne pas enlever plus que la nécessité ne le réclame et celle de ne pas léser l’ordre de la charité envers celui qu’on a l’intention de priver de son bien.

2. Ces conditions ont besoin de justification, mais après l’explication qu’elles méritent.

a) Seule la nécessité extrême ou quasi-extrême, à l’exclusion d’une nécessité simplement grave ou commune, peut rendre légitime l’occupation du bien d’autrui.

Par nécessité matérielle on entend ici un état corporel ou matériel comportant des déficiences et des

dangers ou inconvénients pour la vie elle-même, la santé, l’intégrité des membres, l’entretien, les aises et le confort, la liberté légitime, auxquels le sujet est dans l’impossibilité de subvenir actuellement par lui-même, où il ne peut s’aider que par le secours d’autrui et, d’une façon plus précise, dans la question qui nous occupe, par le moyen du bien d’autrui. Est ainsi écarté le cas plus large de l’aumône par secours matériel et par service personnel ; et n’est envisagé que celui d’un secours matériel dont le nécessiteux lui-même s’emparera en l’absence et à l’insu ou contre le gré du maître de l’objet susceptible de subvenir à son indigence. Il s’agit donc d’un cas particulier où la charité, ayant l’obligation d’intervenir et de porter secours, n’a pas conscience de cette obligation ou refuse de la remplir.

La théologie morale distingue quatre degrés de nécessité temporelle, qui sont extrême, quasi-extrême, grave et commune.

Est extrême la nécessité qui, faute de secours matériels, comporte sans aucun doute un danger grave et imminent pour la vie, la santé, l’intégrité des membres, la légitime liberté ; la nécessité quasi-extrême répond à la même situation avec la différence que le danger de perdre ces grands biens n’est pas absolument certain mais seulement très probable. La définition laisse deviner que pareilles nécessités ne se présenteront que rarement, d’autant que nous excluons le cas de secours volontaire et charitable. Mentionnons l’exemple de celui qui, faute d’un morceau de pain qu’il n’a pas le moyen d’acheter et qu’on lui refuse, est sur le point de tomber en faiblesse, ou d’affamés qui, durant une famine, prendront ce qu’ils trouveront dans les champs ; de celui qui, pour échapper à des ennemis qui le poursuivent injustement à mort, s’empare d’une bicyclette ou d’une automobile, ou qui, grièvement blessé, use du même moyen pour se rendre à l’hôpital.

Au contraire, la nécessité grave et la nécessité commune ne comprennent directement que la déficience de biens et d’avantages matériels. Ainsi se trouve en nécessité grave celui qui, sans secours d’autrui, est sur le point de perdre sa situation ou sa fortune ; les pauvres ordinaires, dont ni la vie ni la santé ne sont directement en danger, sont à considérer comme en cas de nécessité commune parce que, sans secours d’autrui, ils sont privés des aises et des commodités ordinaires de la vie.

Pour prouver le droit du nécessiteux de s’emparer de la chose d’autrui, saint Thomas établit un principe très net : in necessitale sunt omnia communia, IIo-II*, q. lxvi, a. 7, puis il en fait l’application au cas particulier de l’occupation du bien d’autrui. L’ordre naturel institué par la divine Providence veut que les biens matériels servent aux nécessités des hommes. Or, la répartition de ces biens entre les hommes par le droit humain n’empêche pas qu’il n’y ait obligation de subvenir aux besoins de tous. C’est ainsi que, tout d’abord, se prouve le devoir de" l’aumône librement accompli par ceux qui ont du superflu en faveur de ceux qui manquent. Mais en cas d’urgente nécessité, l’indigent a le droit de s’emparer ouvertement ou clandestinement de ce qui lui est nécessaire pour subvenir à ses besoins. C’est la Providence et la nature qui lui en confèrent le droit. — Dans ce conflit entre le droit du propriétaire qui, selon saint Thomas, est entré en possession de son bien en vertu des dispositions du droit positif humain, et le droit naturel du nécessiteux à sa vie et à des biens supérieurs, c’est ce dernier qui prévaut, et le possédant qui s’oppose au droit naturel et providentiel de l’indigent ne peut être qu’irralionabiliter invitus.

Toutefois, pareil droit ne s’acquiert ni dans la nécessité grave ni dans la nécessité commune : un tel nécessiteux n’a même pas un droit strict à l’aumône ni donc, à plus forte raison, à l’occupation du bien d’autrui contre le gré du maître. Il a d’autres moyens pour subvenir à son indigence tels que le travail, des assurances, l’intervention de l’État, des œuvres de charité. Ce sont d’ailleurs des nécessités fréquentes dans la société, à toutes les époques, et ce serait une cause de troubles graves si chaque indigent était ou se croyait autorisé à atténuer ses besoins sur le compte des autres et par une reprise sur les riches. Enfin la doctrine de l’Église n’a pas voulu reconnaître un droit aussi exorbitant, et le pape’Innocent XI a condamné la proposition suivante : Permission est /urari, non solum in exlremn necessitate, sed eliam in gravi, S. Off., 2 mars 1679, n. 36, Denz.-Bannwart, n. 1186.

b) Pourtant le droit de l’indigent en extrême nécessité est subordonné à deux restrictions de droit naturel, dont il doit tenir compte sous peine de manquer à la justice commutative.

En occupant le bien d’autrui, il ne faut pas dépasser soit en quantité soit en qualité ce qui est moralement requis pour sortir actuellement de l’extrême nécessité. Pratiquement cela signifie tout d’abord que, si un repas suffît pour subvenir à l’indigence, on n’est pas autorisé à faire des provisions, et surtout que, si l’usage temporaire du bien d’autrui est suffisamment efficace pour écarter l’urgence du grave danger, donc si c’est d’un bien non consomptible qu’on s’est emparé, on devra se contenter de cette simple occupation et rendre l’objet, tel que la bicyclette, sitôt le fianger passé et la nécessité surmontée.

Cet le conclusion est évidente. En effet. les droits de l’indigent sont à la mesure de sa nécessité et n’entament les droits du propriétaire que dans cette même mesure. Or, sitôt les besoins de l’indigent satisfaits, les droits du propriétaire, quand ils sont divisibles, reprennent leur valeur ; pour cette part d’usage non indispensable au nécessiteux le maître devient rationabililer ini’ilus.

L’autre restriction concerne l’ordre de la charité qui prime en faveur du possesseur quand il s’agit de droits à la vie, à la santé, à la liberté. En d’autres termes, si le nécessiteux, pour se tirer d’affaire en s’emparant du bien d’autrui, mettait celui-ci dans l’extrême situation où il se trouvait lui-même, interviendrait la règle dirimant les conflits de droits : le droit du propriétaire à sa vie, à sa santé, à sa liberté est supérieur aux mêmes droits de l’indigent, et celui-ci ne pourrait s’emparer légitimement du bien d’autrui qu’avec son libre consentement. En effet, teienti et consenlienti non fit injuria, mais ce consentant aurait eu le droit d’être rationabililer invitUS.

3. Quelques questions pratiques touchant le sujet, le mode et l’objet d’occupation.

a) Jusqu’ici nous avons supposé que l’indigent lui-même s’emparait du bien d’autrui. Mais les circonstances ne voudront-elles pas qu’en raison de sa détresse il soit dans l’incapacité de se procurer le lecours nécessaire et qu’un tiers, malgré son Intention secourable, se voie lui aussi flans l’impossibilité d’apporter l’aide actuellement urgente. En pareil cas. le principe reste le même, et l’indigent garde son droit d’occuper le bien d’autrui par l’intermédiaire d’une tierce personne. Celle ci, toutefois, ne sera autorisée i le faire que si elle ne peut subvenir à l’extrême nécessité par ses propres biens ; autrement le prin eipe omnia suai communia prend une autre forme. Celle de l’aumône obligatoire qu’il n’est pas licite di mettre a la charge d’un absent qui. lui. n’est pas

actuellement touché par le précepte de la ebariti

bj Une petite question se pose au sujet des procédés à employer pour que l’occupation soit complètement légitime. Si le maître du bien est présent au moment où se produit le cas d’indigence, la prudence tout au moins exige que le nécessiteux fasse connaître son extrême besoin et sollicite l’aumône volontaire, avant de recourir à l’occupation contre le gré du propriétaire. Si, au contraire, le propriétaire est absent, il est de toute convenance de l’avertir de l’emprunt forcé ou de l’occupation forcée qu’on a fait de sa chose.

e) Quant à l’objet deux problèmes subsidiaires sont soulevés par les théologiens.

Premièrement, l’indigent a-t-il le droit de s’emparer d’objets de valeur ou de réclamer de fortes sommes d’argent, par exemple dans le but de sauver sa vie au moyen d’une coûteuse opération" ? S’en emparer pour en faire sa propriété, et pas seulement pour en user transitoirement, n’est certainement pas permis. Le devoir de l’aumône ne va pas jusque-là et le propriétaire lui-même n’est pas obligé de s’imposer des frais extraordinaires pour sauver sa vie ; il n’y a donc aucune raison d’exiger de lui l’abandon de ses biens de grande valeur. C’est à la communauté qu’incombe le devoir de secourir, par des lois sociales, ces grandes misères, et l’État qui la représente doit, de plus en plus, légiférer de telle façon que les biens de la terre répondent à leur finalité providentielle de subvenir aux besoins de tous. Telle est la solution pratique du problème, bien qu’il y ait une certaine controverse entre les auteurs.

Une dernière discussion divise les théologiens : le nécessiteux est-il obligé de rendre la valeur de la chose occupée, si plus tard il est en état de le faire ? Les uns sont pour l’affirmative, parce que, disent-ils, il n’avait besoin que d’un emprunt ; d’autres sont d’un sentiment contraire parce que, ne possédant pas, au moment de sa détresse, l’objet nécessaire ni n’ayant les moyens de se le procurer, en l’occupant pour subvenir à son besoin, il l’a fait véritablement sien et, en conséquence, ne peut être tenu d’en rendre plus tard la valeur. Ce sentiment nous agrée davantage, et nous pensons qu’il ne peut y avoir pour lui tout au plus qu’une obligation de convenance, d’équité, et non de stricte justice.

La compensation occulte.

Donnons-en la définition,

établissons les conditions pour sa complète légitimité et ajoutons une brève conclusion d’ordre pastoral.

1. Définition.

Elle peut se définir : l’acte d’un créancier de s’approprier clandestinement la chose d’autrui qu’à bon droit il prétend lui être due en justice.

Matériellement, elle peut revêtir une des trois formes du péché de vol, en s’opérant surtout par soustraction proprement dite, mais aussi par acception frauduleuse des mains du propriétaire ou encore par rétention d’une chose due. Elle porte donc extérieurement les apparences du vol. D’un côté, quelqu’un enlève le bien d’autrui avec l’intention formelle de s’en emparer pour en faire sa chose, en user et en jouir comme un propriétaire, el non pas pour récupérer un objet prêté ou loué qui serait resté sien. De l’autre, le spolié avait tous les titres pour se regarder comme le maître légitime de ce bien et. au moment où celui-ci lui a été soustrait, il n’était pas à ses yeux chose empruntée ou louée mais véritablement sa propriété. Aussi est il invilus quant à son enlèvement et. s’il en constate la disparit ion, il se déclarera volé.

Pourtant ce ne sont là qu’apparences de vol en raison de deux circonstances spécifiques qui modi h. ni la nature morale de l’acte : la valeur de l’objet

enlevé est véritablement due en justice à celui qui s’en est emparé et celui-ci a des raisons graves de le soustraire d’une manière clandestine. À ces deux conditions, l’acte devient légitime et il peut être permis ou au moins toléré.

2. Conditions pour la légitimité de la compensation occulte. — Ces deux conditions méritent d’être précisées et expliquées ; toutes deux sont nécessaires, la première pour que l’acte de se compenser ne soit pas une injustice, la seconde afin que son caractère d’enlèvement clandestin ne fasse pas manquer aux convenances, à la charité et à la justice légale ou justice commune comme l’appelle saint Thomas, qui touche à cette question dans sa réponse ad 3um de l’article 5.

a) Sous peine d’être un vol, la compensation ne doit d’aucune façon violer la justice commulative ni même exposer à la violer. Le soustracteur du bien d’autrui prétend sans doute être créancier et il se croit dans son droit en reprenant soit l’objet qu’il dit sien par exemple en vertu d’un titre d’héritier ou de légataire, soit surtout la valeur d’une dette qu’on refuse de lui payer et dont il a créance en vertu d’un titre de contrat de travail ou d’une injustice commise à son détriment. Toutefois, avant de recourir à la compensation pour rentrer dans sa créance, il doit veiller à ne léser en rien les droits stricts du débiteur ou d’une tierce personne ; autrement sa prétendue compensation n’est qu’une injustice.

Or, les théologiens marquent qu’en matière de compensation occulte on peut commettre une injustice et ainsi rendre illégitime la compensation de quatre façons. Premièrement, parce que cette prétendue dette n’était pas due en stricte justice commutative, mais n’était qu’une dette improprement dite de convenance, de charité, de gratitude ; de ce chef serait injuste, par exemple, la compensation prise sous prétexte qu’un patron n’a pas accordé les étrennes habituelles. Deuxièmement, si la dett|, réelle et due en vertu de la justice commutative n’était pas encore exigible, mais n’arrivait à échéance que plus tard, par exemple qu’après la majorité du bénéficiaire d’un contrat de promesse. Troisièmement, quand l’obligation de payer ou la dette n’est que probable, à plus forte raison si elle est positivement douteuse ; ce cas se présente assez souvent et la tentation peut être forte de se contenter, en matière de compensation, de raisons peu sérieuses, comme celle, par exemple, d’un salaire insuffisant. Enfin, il est évident que la compensation est injuste si la valeur enlevée dépasse le montant de la dette réelle ; l’injustice se mesurera alors à l’excédent de la compensation sur la dette. Il faut encore ajouter le cas où la compensation risquerait de violer le droit d’une tierce personne, que ce droit vise un objet matériel ou un objet idéal comme la réputation. Il ne saurait être permis de recourir à la compensation avec la prévision que le fait de la soustraction aura pour effet de diriger les soupçons sur une personne déterminée et de lui faire tort dans ses biens ou dans son honneur.

Ce n’est qu’en observant exactement ces conditions que la compensation pourra être tolérée, et qu’on sera autorisé à considérer le débiteur privé de son bien comme irralionabiliter invitus. Mais encore faut-il, pour que la compensation soit parfaitement légitime, qu’intervienne la seconde condition.

b) Celle-ci consiste dans la justification du recours anormal qu’est la soustraction clandestine du bien d’autrui. En effet, une compensation de dette ne peut se faire que si elle est prévue et autorisée par la loi. En dehors de ce cas, le recouvrement d’une dette se servira des moyens réguliers tels que des réclamations, au besoin réitérées, près du débiteur, ou même

l’envoi d’une sommation et la menace d’un procès ; il ne doit pas en être autrement dans une société policée.

Or, laissant de côté ces moyens normaux ou ne croyant pas à leur efficacité, surtout après les avoir inutilement essayés, le créancier se fait justice à soimême, non pas par une violence sur la personne du débiteur, mais clandestinement d’une façon assez habile pour que le dépouillé ne s’en doute pas ou du moins ignore qui lui a enlevé son bien. En agissant ainsi, le créancier viole, sinon la justice commutative, du moins les convenances et la justice légale : « il usurpe le jugement au sujet de sa chose parce qu’il n’a pas observé l’ordre légal. » S. Thomas, op. cit., a. 5. Pour justifier cette façon clandestine et incorrecte, il lui faut des raisons graves en plus de l’impossibilité de recouvrer sa créance, comme la nécessité de rentrer en possession de son bien, la quasi-certitude de ne pas attirer les soupçons sur une autre personne. À ces conditions, la compensation occulte pourra être légitime.

3. Conclusion d’ordre pastoral.

Confesseurs et pasteurs doivent être particulièrement prudents quand ils sont consultés au sujet d’une, compensation occulte. Les principes expliqués plus haut sont d’un maniement délicat et, pour éviter le danger de conseiller ou d’autoriser des actions injustes, le pasteur réglera sa manière d’agir d’après la distinction ante factum et post factum.

Ante factum, il déconseillera généralement la compensation occulte, à moins que les circonstances du cas ne soient très nettes et que les conditions ne soient certainement remplies, donc justice évidente du créancier, obstination injuste du débiteur, dommage pour le créancier à rester passif.

Post factum, il examinera prudemment le cas de conscience. Si la justice a été observée et que des raisons graves justifiaient ce moyen irrégulier, il pourra approuver. Si la première condition a été remplie mais non la seconde, il montrera qu’il y a eu péché mais tolérera le fait accompli et n’obligera pas à restitution ; mais si la justice a été violée, il ne manquera pas de faire la monition convenable et d’obliger à la restitution en cas de dommage grave.

S. Thomas, Summa theologica, II’-II" 5, q. lxvi ; S. Alphonse, Theologia moralis, 1. III ; tous les manuels de théologie morale.

P. Chrétien.