Dictionnaire de théologie catholique/VOLONTAIRE

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 885-890).

VOLONTAIRE.
Un des caractères essentiels de l’acte humain est d’être volontaire. Une étude sur le « volontaire » est donc un complément indispensable des études sur l’acte humain, t. i, col. 339 et sur la moralité de l’acte humain, t. x, col. 2459 sq. —
I. Notions générales.
II. Divisions (col. 3304).
III. Volontaire direct et volontaire indirect (col. 3305).
IV. L’involontaire (col. 3309).

I. Notions générales.

Nature du volontaire. —

1. Définition. —

Le volontaire est un acte procédant de la volonté, éclairée par la connaissance préalable du bien recherché, cujus principium est intra, sed cum addilione scientiee. S. Thomas, Sum. theol., I^II 26, q. vi, a. 1. Le nom seul indique que cet acte procède de l’appétit rationnel. Ibid., a. 2, ad l um. Par cet acte, la volonté, appétit rationnel, tend vers un bien qu’elle cherche efficacement à se procurer.

2. Ce que n’est pas le volontaire.

Vouloir efficace, absolu, complet, le volontaire se distingue donc de la simple velléité ou vouloir inefficace. S. Thomas, ibid., q. xiii, a. 5, ad l um ; III a, q. xxi, a. 4 ; Scot, In II™ Sent., dist. VI, q. i.

Ce vouloir, d’inspiration rationnelle, se distingue de l’instinct des animaux, S. Thomas, I » - !  ! *, q. vi,

a. 2, et des mouvements purement spontanés, réactions naturelles de la sensibilité à la présentation d’un bien qui l’excite. On n’élimine pas pour autant du domaine du volontaire les éléments sensitifs et moteurs qui, dans les mouvements dits volontaires, constituent un mécanisme souvent inconscient déclenché dans l’organisme humain par l’acte de la volonté. Loin de nier la complexité de ces éléments physiologiques et mécaniques sur lesquels la psychologie expérimentale a raison d’insister, la psychologie rationnelle demande simplement qu’on place à leur origine l’acte spécifique de la faculté supérieure, le « fiât » de la volonté, vouloir conscient tendant vers un bien connu et désiré.

3. Volontaire et voulu.

L’effet voulu peut, par extension, être appelé volontaire, parce qu’il résulte d’un acte de la volonté. Mais le souci d’éviter les confusions exige qu’on distingue « volontaire » et « voulu ». Par rapport au volontaire qui est toujours un acte positif, le voulu peut prendre un aspect positif ou un aspect négatif : positif, s’il procède de la volonté effectivement, d’une manière soit immédiate, soit médiate ; négatif, si la volonté s’abstient intentionnellement d’apporter obstacle à l’effet produit, bon ou mauvais. Ainsi le péché d’omission suppose toujours dans la volonté un acte positif : vouloir omettre, bien que, dans l’effet, il prenne un aspect négatif. Voir ici t.xii, col. 154.

4. Volontaire et libre.

Le volontaire n’est pas nécessairement le « libre ». Volontaire est le genre ; libre est l’espèce. Cf. M. -S. Gillet, Les actes humains, trad. de la Somme, édit. de la Revue des Jeunes, Paris, 1926, notes 3-6 et Appendice ii, § 2, p. 450451. La volonté ne peut s’attacher à un bien déterminé que parce qu’elle y trouve, concrétisée en un objet particulier, la raison du bien en général qui est le motif suprême et nécessaire de tous ses choix. Relativement au bien en général, le volontaire est nécessaire et pas libre. Voir Liberté, t. ix, col. 663. Le volontaire libre ne peut porter que sur les moyens ; c’est le domaine de l’élection, voir t. iv, col. 2242. On ne saurait donc admettre la distinction subtile de CL Piat, affirmant la liberté de l’acte volontaire même relativement au bien en général, parce que, dit cet auteur, cette tendance vers le bien en général procède de la nature et non de la nécessité. La liberté. Paris, t. ii, Le problème, p. 262-267. Il faut éviter, par une confusion entre nécessité d’exercice et nécessité de spécification, de ressusciter, même sous une forme anodine, l’erreur janséniste prétendant que le volontaire nécessaire, dès là qu’il procède de la nature, est libre et engage la responsabilité. Cf. Prop. 3. Denz.-Bannw., n. 1001 ; Jansénisme, t. viii, col. 485-491.

Toutefois, pratiquement, les moralistes confondent volontaire et libre, et c’est avec cette acception que Doua l’envisagerons dans la suite.

Conditions fondamentales du volontaire libre.


Bien qu’à la rigueur ces conditions s’appliquent aussi au volontaire nécessaire, elles apparaissent avec plus de relief dans le volontaire libre. Elles découlent de la définition qu’on a donnée plus haut.

Tout d’abord, le volontaire doit procéder d’un principe qui s’y rapporte intrinsèquement : il ne peut procéder que de la volonté et d’une volonté portée effectivement et par sa tendance naturelle vers l’objet désiré. Ainsi la volonté qu’a Dieu de permettre

le péché ne fait pas que Dieu veuille le péché : le

pé « le-lui même ne procède pas de la volonté divine.

Ensuite l’acte volontaire doit être précédé de la

connaissance intellectuelle du bien recherché et le volontaire n’existe que dans la limite où existe cetti connaissai

De ces deux conditions, les moralistes tirent la conclusion suivante qui est à la base de la moralité des actes humains : un acte ne sera vraiment volontaire que s’il est posé en connaissance de cause, cette connaissance portant à la fois sur l’acte lui-même et ses circonstances et sur sa valeur morale. Mais cette connaissance peut être plus ou moins parfaite et comporter toute une gamme de nuances, depuis l’inconscience qui s’éveille à peine dans les mouvements indélibérés de notre affectivité jusqu’à l’advertance parfaite d’une conscience distincte, en passant par les lueurs plus ou moins confuses d’une conscience encore mal éclairée. Sur l’advertance et les actes semi-délibérés, voir Péché, t.xii, col. 229. Les limites de cette prise de conscience, étant les limites du volontaire libre, seront aussi les limites de la responsabilité morale.

Causes influant sur le volontaire.

Les remarques

précédentes obligent à étudier ces causes : les unes influent sur le volontaire immédiatement, d’autres d’une façon médiate ou plus éloignée.

1. Influence immédiate.

Cette influence immédiate peut s’exercer soit sur l’élément de connaissance prérequise, soit sur l’élément proprement volontaire.

— a) Sur l’élément de connaissance, les moralistes notent l’influence de Y ignorance et de l’erreur, auxquelles se ramène le préjuge, qui est une opinion, le plus souvent fausse, adoptée sans examen. Voir ici Ignorance, t. vii, col. 735 sq. ; cf. Péché, t.xii, col. 194 (voir le péché d’ignorance, col. 185 ; le péché d’erreur, col. 187). — b) Sur l’élément de volonté, on note l’influence de la crainte, voir Crainte et responsabilité, t. iii, col. 2011-2014 ; — des passions, voir Péché, col. 195, et Concupiscence, t. iii, col. 803 et surtout 809 sq., Passions, t. xi : les passions et la volonté, col. 2221-2225 ; responsabilité personnelle, col. 2225-2232 ; le péché de passion comparé au péché d’habitude consentie et entretenue, col. 2226-2232 ; l’utilisation de la passion dans la moralité, col. 2232 ;

— de la violence, voir Violence, t. xv, col. 3086.

2. Influence médiate.

Cette influence peut revêtir un triple caractère : personnel, familial, social. — a) Au point de vue personnel, l’influence des habitudes contractées, bonnes ou mauvaises, est considérable et souvent prépondérante. Développant la facilité de l’acte, l’habitude en diminue le caractère volontaire et méritoire ou déméritoire, sauf si cette habitude est et reste actuellement consentie. Voir Habitude, t. vi, col. 2016-2018 et Vertu, t. xv, col. 2766 sq. Sur la responsabilité morale des mauvaises habitudes, voir ce mot, t. vi, col. 2016. Le tempérament et le caractère exercent aussi une grande influence sur le volontaire, en incitant la volonté à accueillir complaisaniment les tendances plus ou moins innées qui peuvent être un adjuvant soit pour le bien soit pour le mal. Il faut en juger comme on juge de l’influence des [lassions en général. Enfin, certains états pathologiques, dénotant un déséquilibre intérieur de l’organisme ou une perte plus ou moins accentuée de l’usage des facultés supérieures, doivent ici retenir l’attention. Citons les aboulies, les manies irrésistibles, la neur asthénie, le scrupule, l’hystérie, l’épilepsie, le sommeil hypnotique, les idées fixes, etc. Leur action délétère a été beaucoup étudiée depuis plus d’un demi siècle. spécialement au point de vue de la responsabilité morale des malades et des moyens d’y remédier. Tandis que certains psychiatres se laissent encore influencer par leur déterminisme et jugent qu’il ne

peut plus être question ici de volonté libre et de responsabilité, d’autres estiment qu’il semble inipos sible. à la lumière des dernières découvertes de psychiatrie et des conclusions de la psychologie expé rimenlale. de Soutenir plus longtemps cette irrcspmi

sabilité totale chez les malades psychiques. Voici, à ce sujet, la conclusion avertie d’un auteur contemporain :

Il y a, bien entendu, des troubles d’une violence telle qu’ils influencent toute la vie psychique et empêchent radicalement l’exercice de la volonté libre. Dans ces cas, il ne peut être question de responsabilité. Par contre, il y a des troubles dont l’influence sur fa vie psychique est minime, de telle sorte que l’exercice de la volonté n’en est pas empêché mais seulement diminué ; il est impossible, en ce cas, de nier radicalement la libre détermination. Remarquons encore que certains troubles psychiques se limitent à une certaine catégorie d’actes et laissent dès lors subsister assez de liberté pour que les autres soient très certainement imputables. En outre, certains malades psychiques ne subissent que des troubles intermittents ; en dehors de ces moments, l’exercice de la volonté reste entier. Il est donc faux de prétendre que les malades psychiques sont toujours irresponsables de leurs actes… Dans maints cas, non seulement la rééducation de la volonté est parfaitement possible, mais encore le malade agit consciemment et avec sa raison. J.-H. Bless, Traité de psychiatrie, tr. fr., p. 45-46.

Sur les méthodes à suivre pour rendre à la volonté son autonomie morale, on consultera les auteurs qui ont envisagé la possibilité de ce relèvement : André Thomas, Psychothérapie, Paris, 1912 ; Pierre Janet, Les médications psychologiques, Paris, 1919, et La médecine psychologique, Paris, 1924 ; Familier, Pastoral-psychiatrie, Fribourg-en-B., 1898, et Grundlagen der Seelenstôrùngen, ibid., 1906 ; S. Weber, Zwangsgedanken und Zwangszusiànde in pastoral psychidstrischer Beurteilung, Paderborn, 1903 ; Schlôss, Propâdeutik der Psychiatrie, Vienne 1908 ; Raymond, O. P., Le guide des nerveux et des scrupuleux, Paris, 1911 ; Arnaud d’Agnel et D r Espiney, Direction de conscience, Psychothérapie des troubles nerveux, Paris, 1922 ; P. Eymieu, Le gouvernement de soi-même, Paris, 1910, t. i et surtout n ; D rB Capellmann et W. Bergmann, La médecine pastorale, tr. fr., Paris, 1926, p. 177-205 (du D r Capellmann, Selbstbefreiung aus nervSsen Leiden, Fribourg-en-B., 1919) ; R. Vittoz, Traitement des psychonévroses, Paris, 1921 ; R. de Sinéty, Psychopathie et direction, Paris, 1924 ; J.-H. Bless, Traité de psychiatrie, psychopathologie morale, Bruges, 1938 ; D r Henri Bon, Précis de médecine catholique, Paris, 1936, c. xxi et xxiii, etc.

b) Le point de vue personnel se complète fréquemment du point de vue familial, en raison du phénomène de l’hérédité. L’hérédité fournit le plus souvent l’explication première des maladies et des tendances ci-dessus indiquées. En un sujet où règne encore tant d’incertitude, il semble avéré que les tendances des parents se transmettent aux enfants avec une facilité d’autant plus grande que ces tendances dépendent plus étroitement de l’organisme. En sorte qu’en matière d’hérédité morbide, physique ou mentale, c’est la prédisposition physiologique à la maladie ou à la psychose qui est transmise. Les dispositions innées des parents se transmettent fréquemment, les dispositions acquises, rarement ou même, selon certains auteurs, jamais. La transmission du caractère est incertaine ; la similitude de caractère peut être simplement le résultat de l’éducation. Sur les différentes sortes d’hérédité, directe, médiate ou atavique, collatérale, convergente, voir Bless, op. cit., p. 23. Les prédispositions transmises par l’hérédité ne suppriment pas, mais diminuent simplement le volontaire dans les actes. Peut-être, en certains cas, lorsque l’usage de la raison est totalement suspendu, la propension au mal, héritée des parents, devient irrésistible, mais c’est l’exception : « L’homme, héritant des modes de sentir et de penser de ses pères, est sollicité à vouloir et, par suite, à agir comme eux.

Cette hérédité des impulsions et des tendances constitue pour lui un ordre d’influences internes au milieu desquelles il vit, mais qu’il a la faculté de juger et de vaincre. Elles n’entraînent pas plus que les autres circonstances internes ou externes la suppression, l’anéantissement du facteur personnel (quelle qu’en soit la nature), la nécessité irrésistible des actes. Th. Ribot, L’hérédité psychologique, 4e éd., Paris, 1895, p. 324. La plupart des auteurs admettent que l’éducation peut corriger, tout au moins dans une large mesure, les tendances héréditaires. Cf. Guyau, Éducation et hérédité, Paris, 1889, p. 16-32, 70-90.

c) Le milieu social exerce, lui aussi, une influence considérable sur le volontaire, soit dans le sens du bien, soit dans le sens du mal. Par les habitudes et coutumes reçues, et dont elle nous imprègne pour ainsi dire à notre insu, la société facilite notre éducation dans le sens de la morale courante. Exempta trahunt. Elle peut être un sentiment efficace de l’honnêteté professionnelle et civique, grâce au respect des obligations imposées par la vie en commun. On voit de quel secours, dans l’orientation des volontés vers le bien, sera l’influence des milieux sociaux, famille, école, profession, cité, Église. Mais on peut craindre aussi les pires perversités, quand l’orientation des volontés s’exerce en un sens contraire à la saine morale individuelle, familiale, professionnelle, civique ou religieuse. Comme c’est l’éducation qui joue ici le rôle prépondérant, c’est principalement sur la connaissance du bien à accomplir que porte l’influence de la société.

Conclusion. — Toutes ces considérations nous amènent à conclure qu’en vue de donner à son vouloir une direction conforme aux exigences de la vraie morale, l’homme est tenu de cultiver son intelligence dans le sens du vrai, voir Vérité, et sa volonté dans le sens du bien. Pour que la volonté ne devienne pas le jouet des influences délétères venant de l’intérieur comme de l’extérieur, il est nécessaire qu’elle cherche toujours et de plus en plus à trouver et à garder la pleine possession et maîtrise de soi-même. Pour cela, gouverner ses tendances, résister à l’influence mauvaise d’autrui ; tels sont les deux principaux devoirs de l’homme à l’égard de sa volonté. Cf. Mgr Dupanloup, De l’éducation, Ie éd., Paris, 1866, t. i, p. 89-402 ; t. ii, p. 108-484, 547-599 ; H. Spencer, De l’éducation, tr. fr., 7e éd., Paris, 1888 ; Marion, Leçons de psychologie appliquée à l’éducation, Paris, 1895 ; D r P.-E. Lévy, L’éducation rationnelle de la volonté, 4e éd., Paris, 1904 ; J. Guibert, La formation de la volonté, Paris, 1903 ; G. Dwelshauvers, L’exercice de la volonté, Paris, 1935, etc.

II. Divisions.

Outre la distinction établie ci-dessus entre le volontaire nécessaire et le volontaire libre, les moralistes proposent un certain nombre de divisions, dont l’usage est courant en théologie.

Volontaire parfait et volontaire imparfait.


Cette distinction est commandée par le degré de connaissance ou de consentement libre qu’on trouve dans l’acte volontaire. Les actes répréhensibles, provoqués par une passion violente, une crainte soudaine, la découverte inattendue d’une infidélité, manquent trop la plupart du temps de l’advertance, du consentement nécessaire pour qu’ils soient parfaitement volontaires ; ils ne le sont que d’une manière imparfaite, avec toutes les nuances que peut comporter la gamme des imperfections.

2° Volontaire absolu ( simpliciter) et volontaire relatif (secundum quid). — Souvent on confond cette distinction avec la précédente. Cf. Prùmmer, Alanuale theologiæ moralis, t. i, n. 53 ; Tanquerey, Theologia moralis fundamenlalis, t. ii, n. 129. Interprétation plausible. Toutefois, tout en conservant une identi

fication générique, l’usage donne à cette seconde distinction une signification plus spéciale. On considère alors la situation d’une volonté placée en face de deux décisions, dont l’une s’impose à la volonté absolument et sans discussion possible (c’est le volontaire simpliciier) et dont l’autre, conséquence nécessaire de la première, ne s’impose que malgré le désir contraire de la volonté, qui s’y résout à regret, uniquement pour permettre l’autre décision (volontaire secundum quid). La navigateur, en pleine tempête, veut sauver sa vie et, pour y parvenir, il sacrifie à regret sa cargaison. Sauver sa vie, c’est là le volontaire absolu ; sacrifier la cargaison, c’est le volontaire relatif.

Volontaire explicite et volontaire interprétatif.


Le volontaire explicite existe quand le consentement de la volonté intervient expressément sur l’objet proposé par l’intelligence. Le volontaire interprétatif ne présuppose aucun consentement élicite de la volonté ; mais le consentement est cependant comme inclus dans la tendance naturelle de la volonté, en raison de l’extrême convenance de l’objet à son égard, de sorte que, mise en présence de cet objet, la volonté donnerait certainement son consentement. En l’absence du père, un fils fait en son nom et à son profit un marché extrêmement avantageux ; s’il était présent, le père donnerait certainement son consentement à l’opération : volontaire interprétatif. Voir cependant une interprétation légèrement différente dans saint Thomas, De verilale, q. xv, a. 4, ad 10um et Suarez, De volunlario, disp. IV, sect. iii, n. 2 sq.

4° Volontaire exprès (positif) et volontaire tacite (négatif). — Le volontaire exprès est manifesté extérieurement et c’est ce qui le distingue du volontaire explicite qui peut se contenter d’être intérieur. Le volontaire tacite n’est pas exprimé extérieurement, mais il est formulé intérieurement ; il est donc explicite et par là se distingue du volontaire interprétatif. Toutefois volontaire interprétatif et volontaire tacite sont dits en droit volontaires présumés. De là, l’axiome reçu : « Qui se tait est présumé consentir. » En soi, le silence ne signifie ni consentement ni opposition ; aussi, en chaque cas particulier doit-on chercher à éclairer son jugement d’après les circonstances. Qui se tait en matière à lui favorable est censé y consentir ; en matière défavorable, le silence n’est pas considéré comme un acquiescement, sauf s’il y a obligation et possibilité de parler. Ainsi, prendre un objet à son propriétaire qui n’y contredit pas n’est pas voler, parce que le consentement du propriétaire est légitimement présumé en raison de son silence, à moins que ce silence ne soit le résultat de la crainte ou de la violence. Enfreindre l’ordre établi, au vu et au su du supérieur qui ne proteste pas alors qu’il le devrait et le pourrait, n’est plus enfreindre cet ordre, car le consentement du supérieur est légitimement présumé. Voir d’autres applications juridiques du même principe dans Ballerini-Palmieri, t. i, n. 32-3fi.

5° Volontaire actuel, virtuel, habituel. — Cette distinction est posée en raison de l’influence exercée sur l’effet par l’acte volontaire. Sous cet aspect, le volontaire s’identifie avec l’intention qu’on a de poser cet acte. Voir Intention, t. vii, col. 2268 et 2271 sq. et VlRTUEL, t. xv, col. 3097.

6° Enfin le volontaire peut être direct ou indirect, ce que certains auteurs dénomment également volontaire en soi ou volontaire dans sa cause, in se vrl in causa. Cette distinction, en raison de son importance et de ses applications, mérite une attention plus particulière.

III. Volontaire direct bt volontaire indirect. — 1° Terminologie, Troia formules sont ici à rapprocher : volontaire direct et indirect, volontaire en soi et dans sa cause, volontaire positif et

niCT. ni : tiikol. CATHOL,

négatif. Ballerini conçoit le volontaire in causa comme possédant une extension plus considérable que le volontaire indirect, ce dernier comportant simplement l’omission de ce qui pourrait empêcher l’effet indirectement produit, le volontaire in causa pouvant comporter un acte positif. Op. cit., n. 37. Tanquerey paraît avoir mis parfaitement au point cette terminologie d’apparence hésitante.

1. Est volontaire en soi ou directement ce que la volonté se propose immédiatement et expressément soit comme fin, soit comme moyen. Ainsi est volontaire en soi la mort d’un ennemi que l’homicide se propose comme but de sa vengeance, ou le meurtre du voyageur que le voleur se propose comme moyen de s’emparer de son argent.

2. Est volontaire dans la cause ou indirectement ce qu’on ne se propose de réaliser ni comme fin ni comme moyen, mais qu’on prévoit comme devant résulter d’une action directement voulue et qui, en conséquence, est en quelque manière imputable à cette action. Ainsi le lecteur curieusement imprudent lit un ouvrage dangereux, prévoyant à la suite de cette lecture l’éclosion en son esprit de doutes contre la foi : par le fait même, indirectement ou dans leur cause, il veut éprouver ces doutes. Mais l’effet peut être volontaire dans sa cause doublement : positivement, si l’on fait une action, dont on prévoit l’effet qui en doit résulter ; négativement, si l’on omet l’action, en prévoyant l’effet résultant de cette omission. Ainsi celui qui voit flamber une maison et ne fait rien pour éteindre l’incendie alors qu’il pourrait le faire veut indirectement et négativement cet incendie. Tanquerey, op. cit., n. 214 A.

Pratiquement donc, les trois formules peuvent être retenues comme synonymes.

2° Le problème de la moralité du volontaire indirect.

— Nous résumons ici Tanquerey, loc. cit. L’effet indirectement volontaire ne peut être imputable à celui qui en a posé la cause que dans la mesure où il a été prévu et voulu : tel est le principe général indiscutable dont il est impossible de se départir.

L’effet bon sera donc réputé volontaire si l’agent qui en aura posé la cause indirecte l’a prévu et voulu tout au moins confusément. S’il ne l’a pas prévu, cet effet ne peut être réputé volontaire, même indirectement et dans sa cause. Mais le problème du volontaire indirect se pose surtout à l’égard de l’effet mauvais, dont l’agent peut être rendu responsable dans la cause, s’il l’a prévu et en quelque sorte par là même voulu. On peut d’ailleurs envisager deux hypothèses : l’effet mauvais, volontaire dans sa cause, est le résultat d’un acte directement voulu et posé avec le concours d’autres agents volontaires, c’est alors le cas de la coopération, voir ce mot, t. iii, col. 17C21770 ; — ou bien il est le résultat d’un acte directement volontaire, posé sans le concours de personne, et c’est là, à proprement parler, qu’est le problème de la moralité du volontaire indirect ou In causa.

Il faut, de plus, observer qu’il existe toujours une obligation générale de justice, ou de charité, ou de religion, ou de quelque autre vertu, de s’abstenir de tout acte qui, quoique non mauvais en lui-même, est cependant prévu comme devant se produire en connexion avec un effet mauvais. Toutefois, cette obligation n’est pas stricte au point d’empêcher l’attitude simplement permissive à l’égard de l’effet mauvais, soit que le bien commun commande une telle attitude, soit qu’il soit parfois impossible d’agir autrement.

Le problème de la moralité du volontaire indirect revient donc à celui-ci : Quand un effet mauvais, prévu au moins canfusémenl, peut-il être permis sans que, pour aulant. celui qui l’a provoqué en puisse être rendu responsable ?

Solution du problème.

 La solution est double.

On doit d’abord indiquer quand l’effet mauvais esi imputable ; ensuite, quand il ne l’est pas.

T. — XV. — 104.

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VOLONTAIRE. DIRECT ET INDIRECT

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1. L’effet mauvais est imputable.

L’effet mauvais, volontaire simplement dans sa cause, est moralement imputable quand trois conditions sont remplies :

a) Il faut que l’agent ait prévu au moins confusément cet effet, qu’il ail pu et dû le prévoir. Pour la prévision, il suffit d’un soupçon fondé ; mais ici l’expérience de ce qui se produit ordinairement est le guide le plus sûr. Cf. saint Thomas, Ia-IIæ, q. xx, a. 4. Il faut, de plus, a-t-on dit, que l’agent ait pu et dû prévoir cet effet. Un médecin, un juge, un prêtre, conscients de l’insuffisance de leur science professionnelle, sont responsables des effets mauvais dont ils poseront la cause, par suite de l’insuffisance de leur science. Par contre, le cas d’ivresse fortuite ne laisse pas supposer que l’homme ivre ait pu se rendre compte, même confusément, des fautes qu’il commettrait sous l’empire de la boisson. Le cas de Noé est classique. —

b) Il faut que l’agent ait eu la possibilité de ne pas poser la cause. Qui agit sous l’empire de la contrainte ne peut être rendu responsable de l’effet mauvais résultant indirectement d’un acte qu’on l’a obligé à poser. À l’impossible nul n’est tenu. — c) Il faut enfin que l’agent soit tenu d’empêcher ce mauvais effet. S’il n’existe sur ce point aucune obligation, on ne voit pas comment sa responsabilité pourrait être engagée : à l’égard de l’effet indirect l’agent, en ce cas, tolère simplement, sans vouloir. Il est mieux cependant que des circonstances ambiantes indiquent la licéité d’une telle tolérance.

Quand ces trois conditions sont réunies, l’effet mauvais, bien qu’indirectement voulu, est vraiment imputable et le péché est commis dès l’instant où est posée la cause, même si, en raison d’une intervention étrangère ou d’un simple accident fortuit, l’effet mauvais en se réalise pas. Il est d’ailleurs assez difficile de juger de la gravité de ces fautes volontaires simplement dans leur cause : tout dépend de la certitude et de la. netteté de la prévision. Peut-être faut-il souvent excuser de péché mortel même en matière grave ceux qui, par insouciance et légèreté d’esprit, n’ont qu’une prévision fort confuse des suites peu édifiantes de leur conduite. Cf. Ami du clergé, 1898, p. 1121-1129.

2. L’acte mauvais n’est pas imputable.

Est réputé licite un acte, en soi bon ou indifférent, d’où résulte un effet double, l’un, bon, l’autre, mauvais, mais à condition que le bon effet ne soit pas obtenu par un moyen en soi mauvais, qu’il existe une raison proportionnellement grave et que le but poursuivi soit honnête. Donc, quatre conditions :

a) Que l’acte soit en soi bon ou indifférent. — Jamais un acte mauvais en soi ne sera licite.

b) Que le bon effet ne soit pas obtenu par un moyen en soi mauvais. — On peut préserver sa vie en tuant un injuste agresseur : un meurtre accompli dans ces conditions n’est pas considéré comme un acte mauvais en soi. Mais on ne peut sauver la vie de la mère en tuant le fœtus, car cet homicide direct est mal en soi.

c) Qu’il existe une raison proportionnellement grave.

— fl faut, en effet, que le bien qu’on envisage compense et au delà le mal qu’on provoque indirectement. Comment juger de la proportion du bien au mal ? Ce jugement doit tenir compte de toutes les circonstances conditionnant ces effets. Tanquerey retient ici quatre considérations :

a. — Il ne faut pas considérer l’avantage ou l’inconvénient qui se produira dans un cas particulier, mais celui qui résulterait pour la société si une telle action était généralement permise ou défendue. A certains actes on ne saurait trouver une raison suffisante si on les considérait uniquement dans un cas particulier ; la raison suffisante n’apparaît que si on

envisage l’universalité des cas, en vue du bien de toute la société. L’auteur donne ici l’exemple du meurtre d’un injuste agresseur quand aucun autre moyen n’existe de défendre sa propre vie : la sécurité de la vie en société est attachée à la licéité d’un tel acte. — b. — Il faut considérer la gravité de l’effet mauvais : plus grand est le mal prévu, et plus sérieuse doit être la raison excusante. Pour repousser un injuste agresseur en lui infligeant la mort, une raison plus grave est requise que pour l’arrêter par une simple blessure non mortelle. — c. — Il faut encore considérer l’influence de l’action sur l’effet bon ou mauvais. Le bien doit compenser le mal, dans la proportion où l’acte posé agit effectivement sur la production de l’effet mauvais. Toutes choses égales d’ailleurs, la cause physique agit sur l’effet plus que la cause morale, la cause immédiate plus que la cause médiate, la cause per se plus que la cause per accidens, la cause positive plus que la cause négative. En bref, plus la connexion est nécessaire entre la cause et l’effet, et plus la raison de poser une telle cause doit être sérieuse. — d. — Il faut enfin considérer le droit ou le devoir qu’on peut avoir de poser l’acte initial. Le médecin ou le prêtre, prévoyant de graves tentations à la suite d’une lecture jugée nécessaire à l’exercice de leur profession, pourront se contenter d’une raison moindre que le lecteur simplement curieux qui veut consulter les mêmes livres.

d) Que le but poursuivi soit honnête. — En posant un acte d’où résulte indirectement un effet mauvais, on ne doit ni désirer ce mal, ni s’y complaire et y applaudir quand il s’est produit ; on doit prendre à son égard une attitude purement permissive, analogue à celle de Dieu qui, pour un plus grand bien, permet le péché.

Si ces quatre conditions sont remplies, l’effet mauvais, indirectement provoqué, devient moralement involontaire.

Ces principes permettent, dans une certaine mesure du moins, de porter un jugement objectif sur la guerre moderne et ses méthodes. Tout d’abord, l’issue des guerres dépendant aujourd’hui presque uniquement de la supériorité d’une force matérielle dans laquelle sont absorbées toutes les énergies vitales de la nation (la guerre totale) et qui s’affirme par des destructions et des ruines considérables, on peut se demander si les sacrifices imposés par une telle conception pourront jamais être le moyen de procurer à la nation même victorieuse des avantages compensateurs de tant de désastres matériels et souvent moraux. Ensuite, les destructions massives de ponts, de voies ferrées, d’usines de guerre, de camps d’aviation, de dépôts de munitions, de magasins militaires, etc…. tous ouvrages situés à proximité ou quelquefois même à l’intérieur des villes, ne va pas sans entraîner des pertes excessives de vies humaines et de biens privés. Sans doute, la première considération relevée ci-dessus doit être retenue : il faut juger de ces destructions, non pas en raison des inconvénients qu’elles comportent au moment même où elles se produisent, mais en fonction du bien général qui peut en résulter ultérieurement. Mais les moyens employés pour parvenir à cette fin légitime ont-ils été suffisamment considérés en fonction de la connexion très étroite qui reliait la cause posée aux effets indirects, non voulus, mais prévus (troisième considération) ? Cette connexion a-t-elle été rendue aussi faible que possible en prenant toutes les précautions nécessaires pour écarter dans la plus large mesure les effets désastreux, indirects mais cependant très certains, qui ne pouvaient manquer de se produire ? Question de fait sans doute et qui veut faire abstraction du droit, mais question qui se pose cependant en l’occurence.

IV. L’involontaire.

Définition.

Dans un sens plus large, l’involontaire est l’acte qui ne procède pas de la volonté ; cf. saint Thomas, De malo, q. iii, a. 8. Dans un sens plus strict, c’est l’acte auquel s’oppose la volonté. Saint Thomas fait observer que cet involontaire, dès qu’il est conscient, doit engendrer dans l’âme un sentiment de tristesse. Loc. cit.

Deux éléments sont requis pour le volontaire, consentement de la volonté, connaissance de l’intelligence. C’est donc sous ce double aspect qu’un acte peut être dit involontaire : ou bien parce que l’acte est imposé à la volonté contrairement à son inclination et à son désir (c’est le cas du fidèle qui serait entraîné malgré lui à l’autel d’une idole) ; ou bien parce que l’acte de la volonté procède d’une ignorance (c’est le cas du chasseur tuant un homme tout en croyant abattre une bête fauve). Noklin, De principiis theologiæ moralis, n. 44.

Divisions.

On pourrait appliquer à l’involontaire les mêmes divisions qu’au volontaire. Il suffit de relever ici les deux principales.

1. Involontaire négatif ou privatif et involontaire positif.

— L’involontaire négatif ou privatif existe quand la volonté n’a formulé aucun acte à l’égard de l’objet ; l’involontaire positif existe quand la volonté fait acte d’aversion ou de non-vouloir. On voit que l’involontaire privatif pourrait être identifié au nonvolontaire. Certains auteurs cependant font, avec saint Thomas, loc. cit., une distinction. Serait involontaire négatif l’acte posé sous l’influence d’une ignorance de l’objet. Si la volonté avait été éclairée, elle n’aurait pas donné son consentement. Serait simplement non volontaire l’acte posé sous l’influence d’une ignorance de l’objet, mais que la volonté, mieux éclairée, accueille avec plaisir. Saint Thomas donne comme exemple de non-volontaire l’adultère commis par suite d’une erreur de personne mais dont, après coup, le coupable se réjouit. Les moralistes disent que l’involontaire est fait ex errore, le nonvolontaire, cum errore.

2. Involontaire parfait et involontaire imparfait.

Le premier existe quand la volonté repousse pleinement et, autant qu’il est en elle, efficacement l’objet qui lui est présenté. Le second suppose dans la volonté une certaine hésitation. Des tentations contre la foi, la charité, la chasteté, qui sont repoussées sans hésitation, sont parfaitement involontaires ; mais imparfaitement involontaires sont celles qu’on rejette avec hésitation et négligence.

S. Thomas, Sum. Iheol., I » -II">, q. vt et les commentateurs de cette partie de la Somme, mais notamment Suarez, qui a fait de son commentaire un traité spécial, Tractatus de imluntario et involuntario, dans Opéra ont/lia, Vis, Paris, t. iv, p. 157-274 ; Salmanticcnses, De prinripu. s moralilatis, c. i, n. 9-21, dans Cursus théologies moralis, Venise, 1764, t. i ; Billuart, De actibns humanis, dissert. Mil.

Parmi les auteurs modernes, Ballerini-Palmieri, Opus Iheologicum morale, Prato, 1889, tract. I, c. ii, n. 17-.">3 ; I.ehmkuhl, Theologia moralis. Fribourg-en-B., 1923, t. i, n. 3-26 ; Marc, Institutions morale* alphonsianæ, Rome, 1891, t. i, n. 271 sq., .’i 1 : i s(|. ; Priimmer, Manimle théologies moralis, Frib.-en-B., 1923, t. i, n. 48-62 ; cꝟ. 63-98 ; Noldin, Dr » rinripiis theologiæ moralis, [rapruck, 1941, t. II, q. i,

i. 2. n. 12-1 1 ; cf. a. 4, n. 47-62 et, en général, tous les

manuels à la question des actes humains, t’nc mention particulière es) fine au manuel de Tanqucrey, Synopsis theologiæ moralis, 10’éd., Paris, 1936, t. ii, n. 116, 12.V 131, 138-184, dont les exposés sont remarquables de précision ei d’actualité.

A. Mk ni i.