Dictionnaire de théologie catholique/VERTU. VII. Vertus théologales

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 626-627).

VII. Vertus théologales.

Parmi les vertus surnaturelles, il faut placer, en première ligne, les vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité. Chacune de ces trois vertus a fait l’objet d’une étude détaillée. Il reste donc simplement à préciser la notion générale de vertu théologale, à démontrer l’existence des trois vertus de foi, d’espérance et de charité et à rappeler l’ordre qui règne entre elles.

Notion générale de la vertu théologale.

Le mot « théologale » suffit à indiquer que Dieu intervient immédiatement pour spécifier ces vertus dans leur objet, dans leur cause et dans le moyen de nous les faire connaître. Les vertus théologales ont Dieu pour objet formel immédiat, puisque, par elles, notre nature est dirigée et ordonnée droit vers lui ; elles sont infusées à l'âme par Dieu lui-même ; enfin elles ne parviennent à notre connaissance que par voie de révélation divine. S. Thomas, Ia-IIæ, q. lxii, a. 1. Voir à l’art. Espérance, t. v, col. 645, « comment saint Thomas rattache à la béatitude surnaturelle les trois vertus théologales et leur infusion » ; cf. ll.-l). Noble, La charité (Soin, théol., édit. de la Revue des Jeunes), t. i, p. 361-365.

Des trois conditions énumérées, la première seule est nécessaire et suffisante. Les deux autres, en effet, sont communes à toutes les vertus infuses. Elle est suffisante : si une vertu a pour objet Dieu, en tant que fin dernière surnaturelle, par le fait même il faut qu’elle soit infusée à l'âme par Dieu, aucune vertu acquise ne pouvant atteindre un tel objet ; et, puisque la vertu surnaturelle est nécessairement infuse, elle ne peut nous être connue que par voie de révélation surnaturelle.

Sous quel aspect Dieu est il objet ? Matériel ou formel" On doit répondre : les deux à la fois. Dieu est a la fois le motif ( objertum formate quo) qui préside à l’exercice de la vertu et la matière à laquelle le motif confère l’aspect spécial qui le réfère à la fin surnaturelle (formule quod).

Cette matière est. principalement et primordialement, Dieu lui-même ; mais subsidiairement. c’est toute chose créée, en tant que référible à Dieu, fin dernière surnaturelle. Ainsi, conclut Suarez, » il n’est pas 784

nécessaire que Dieu soit la matière adéquate de la vertu théologale, car cette vertu peut avoir comme terme immédiat de son exercice, dans l’extension de son objet matériel, des choses créées. Par exemple, la charité aime le prochain ; l’espérance attend des secours divins ; la foi croit bien des vérités relatives aux créatures. Mais il est nécessaire que, dans tous les objets immédiats de la vertu théologale, Dieu soit contenu et s’offre comme l’objet principal auquel sont rapportés tous les autres. » De gratia, t. VI, c. viii, n. 3.

Les trois vertus théologales. —

Seule la révélation, a-t-on dit, peut nous éclairer sur ce point. Dans un exposé précédent, relatif à l’existence des vertus surnaturelles en général, les noms de la foi, de l’espérance, de la charité sont revenus à plusieurs reprises. C’est donc dans un sens limitatif — trois vertus théologales seulement — qu’il faut reprendre ici cette démonstration.

1. Les arguments d’autorité.

Saint Thomas, q. lxii, a. 3, n’en invoque qu’un : l’affirmation de saint Paul, I Cor., xiii, 13 : « Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité. » L’expression tria hœc montre bien qu’il s’agit d’une énumération précise de trois vertus distinctes entre elles et auxquelles aucune autre ne peut être assimilée. Cette intention de l’apôtre apparaît dans d’autres textes où les trois vertus se retrouvent comme liées entre elles par un genre commun. Cf. I Thess., i, 3 ; ibid., v, 8 ; Gal., v, 5-6 ; Col., i, 4-5 ; Heb., x, 22 ; cf. vi, 1-12 ; Rom., v, 1-5 ; Eph., i, 15-18 ; I Pet., i, 3-5 ; II Tim., ii, 22. Voir aussi d’autres énumérations similaires, mais incomplètes : Eph., iii, 17 ; Col., i, 23 ; II Thess., i, 3-4 ; I Tim., vi, 11.

Les Pères, héritiers de la tradition apostolique, retiennent fréquemment la même énumération. Voir les textes déjà cités col. 2744 sq. On sait que saint Augustin ramène toute la substance de la religion à ces trois vertus, au point qu’il intitule son résumé de la doctrine chrétienne Enchiridion, de fide, spe et caritate. Cf. c. iii-iv, P. L., t. xxxv, col. 232-233. Nous avons entendu saint Grégoire faire l'éloge des trois vertus, sur lesquelles repose tout l'édifice de la vie spirituelle et sans lesquelles le salut est impossible. Voir col. 2747.

Depuis le xine siècle, non seulement la foi, l’espérance et la charité apparaissent toujours dans la même énumération, mais elles sont unanimement considérées comme des vertus théologales. Benoît XII, dans la bulle Benedictus Deus, déclare que « la vision béatifique fera cesser les actes de foi et d’espérance, en tant que la foi et l’espérance sont des vertus proprement théologales. » Denz.-Bannw., n. 530. Voir ici t. ii, col. 658. Par ce document pontifical, on constate que la décision du concile de Vienne a clarifié la théologie sur ce point. — L’union des trois vertus dans la justification du pécheur est nettement marquée par le concile de Trente, sess. vi, c. vii, Denz.-Bannw., n. 800. — Mais, de plus, ces documents ont l’avantage de montrer que les trois vertus, bien qu’unies dans l'œuvre de la sanctification des hommes, sont différentes l’une de l’autre, puisqu’elles sont séparables ; la foi et l’espérance cessant dans la gloire, la foi pouvant demeurer, dans l'âme pécheresse, sans la charité et même sans espérance.

2. Argument de raison théologique.

C’est l’argument esquissé par saint Thomas dans l’a. 3. Dieu, fin dernière, s’offre à nous comme la Vérité suprême, comme le Bien souverain. Dans l’ordre naturel, nous aurions pu nous adapter à une telle fin, sous les deux aspects énumérés, par l’exercice normal de notre intelligence et par la rectitude de notre volonté.

Mais nous sommes appelés à un ordre surnaturel, où i l'œil n’a pas vii, l’oreille n’a pu ouïr, et au cœur de l’homme n’est pas monté, ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment » (I Cor., ii, 9). Il faut donc une adaptation surnaturelle de nos facultés pour atteindre un objet si élevé au-dessus d’elles. Sous l’aspect de Vérité excédant la lumière naturelle de l’intelligence, Dieu est objet de la foi qui vient perfectionner cette intelligence. Sous l’aspect du Bien désirable, Dieu peut être considéré comme le bien dont la possession fera notre bonheur, et il est ainsi objet de l’espérance. Enfin, sous l’aspect de Bien absolu, digne d'être aimé pour lui-même d’un amour d’amitié désintéressée, il est objet de la charité, laquelle, comme l’espérance, perfectionne ici-bas notre volonté. Et comme il n’apparaît pas qu’un autre moyen d’atteindre immédiatement Dieu soit possible, on peut conclure qu’il y a trois vertus théologales, et qu’il n’y a que ces trois, la foi, l’espérance, la charité. Sur l’objet de la foi, formel (motif), voir Foi, t. vi, col. 100, 115 ; matériel (objet d’attribution), col. 378-383. Comment l’espérance est vertu théologale par son objet, Espérance, t. v, col. 645. Voir, pour la charité, t. ii, col. 2217-2220.

Quant à l’a note théologique à donner à la doctrine des trois vertus théologales, tous les auteurs sont unanimes à en considérer l’aspect positif comme une vérité très certaine, sinon de foi ; sous l’aspect exclusif (il n’y a que trois vertus…) le sentiment commun est un peu plus hésitant Cf. Suarez, toc. cit., n. 13, 16.

L’ordre des vertus théologales.

On notera plus loin qu’il ne peut être question d’un ordre relatif à leur infusion, puisque cette infusion se produit simultanément au moment même de la justification. Il s’agit donc uniquement d’un ordre présidant à la manifestation des actes de ces trois vertus. Et, comme dans cet ordre de te génération des actes, il faut aller du moins parfait au plus parfait, la foi, qui consiste dans l’adhésion au vrai, doit précéder l’affection au bien qu’elle prépare. Et, dans cette affection au bien, l’espérance qui n’est qu’une disposition à l’amour parfait, doit précéder et préparer la charité.

Mais, dans l’ordre de la perfection, c’est l’inverse : la charité précède la foi et l’espérance, puisque c’est par la charité que ces deux vertus acquièrent leur pleine perfection : « La charité est de la sorte la mère de toutes les vertus et leur racine, en tant qu’elle est leur forme à toutes. » S. Thomas, q. lxii, a. 4.