Dictionnaire de théologie catholique/VERTU. VIII. Connexion des vertus

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 627-631).

VIII. Connexion des vertus. — Problème traité par saint Thomas, I a -II*, q. lxv. —

Position du problème.

La vie surnaturelle, possédée dans sa plénitude, forme un tout dont il est impossible de dissocier les éléments. Tous ces éléments — grâce sanctifiante, charité, vertus de foi et d’espérance, vertus intellectuelles et morales de toute sorte, dons du Saint-Esprit — ont entre eux une étroite connexion qui s’affirme d’une façon évidente si on les considère dans leur rapport à la fin dernière surnaturelle. Ils doivent tous dépendre de la charité qui, seule, peut leur donner la perfection requise : « Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » I Cor., xiii, 2.

Les théologiens sont unanimes à déclarer que la charité est la forme de toutes les vertus, tout au moins en ce sens qu’elle est le principe du mérite. Il y a divergence quant aux explications de cette formule. Voir Mazzella, op. cit., n. 1330-1343. La pensée de saint Thomas est discutée, le Docteur angélique paraissant parfois exiger une influence virtuelle de la charité, cf. De caritatc, a. 11, ad 2um ; I^II 5 ", q. cxiv. a. 4, alors que d’autres textes semblent ne demander qu’une influence habituelle ; cf. De

malo, q. xi, a. 5, ad 7um et ad ll um ; In II am Sent., dist. XL, q. i, a. 5, ad 6um. Les textes sont conciliables. Voir Ami du clergé, 1927, p. 545-548 ; Terrien, La grâce et la gloire, t. VIII, c. m-iv, t. ii, p. 26-62. Aucune vertu donc, pas même la foi et l’espérance, n'échappe à cette emprise de la charité, s’il s’agit d’en ordonner les actes au mérite de la vision béatifique. Voir H.-D. Noble, La charité, t. i, p. 365-371 ; Le Tilly, L’Espérance, p. 226-232 ; 245-250. Cf. S. Thomas, IP-II*, q. iv, a. 3, 4, 5 ; q. xvii, a. 6, 7, 8 ; De caritate, a. 4.

Le problème de la connexion des vertus ne se pose pas exclusivement sous cet aspect. Il s’agit de savoir si, abstraction faite du mérite, et en ne considérant que l’ordre de la vertu à son objet formel immédiat, la connexion de toutes les vertus entre elles et avec la charité s’impose encore. C’est ce que les théologiens appellent la connexion quant à Vessence de la vertu.

Il faut tout d’abord éliminer de cette considération les vertus intellectuelles, vertus improprement dites : « Concernant des matières variées, elles sont sans lien entre elles, comme le montre la diversité des sciences et des arts ». P-II*, q. lxv, a. 1, ad 3um. Les liens et affinités qu’elles peuvent avoir dans l’intelligence humaine sont trop faibles pour qu’on puisse parler de dépendance essentielle.

2° Connexion des vertus morales entre elles et avec la charité. — 1. Entre elles. — La connexion est indéniable. Philosophes païens et moralistes chrétiens ont été toujours d’accord pour affirmer que les vertus morales sont concalenatæ. Dans l’ordre naturel déjà, les vertus ne peuvent exister sans la prudence qui est « la droite raison dans la conduite de la vie » et suppose elle-même la vertu intellectuelle d’intelligence. S. Thomas, q. lviii, a. 4 ; cf. q. lvii, a. 2. La prudence, veillant au choix des actes humains indispensables à la bonne conduite de la vie morale, est par là-même attachée aux vertus morales au point de ne pouvoir exister ni opérer sans elles. Noir Prudence, t. xiii, col. 1034. Voir aussi le commentaire de Cajétan sur les a. 4 et 5 de la q. lviii. Gonet complète cette idée par une remarque Opportune : la vertu de prudence doit être unique, pour pouvoir diriger efficacement toutes les autres vertus, afin de pouvoir peser les motifs de toutes sortes qui peuvent intervenir dans la délibération* et dans le choix d’une décision. Monnaie thomistarum, t. iii, tract. IV, c. v.

Ce qui est vrai des vertus morales acquises l’est également des vertus morales infuses. Ici, la direction d’une prudence surnaturelle s’impose en raison soit île la fin surnaturelle, soit des moyens surnaturels à choisir. Mais on touche par là au domaine que commande, avant tout, la charité.

2. Avec la charité.

Une double question se pose : les crtus morales peuvent-elles exister sans la (lia rite ? La charité peut-elle exister sans les vertus morales ? [MI", q. LXV, a. 2 et 3 ; cf. De virt., q.. a. 2. Les vertus naturelles « peuvent subsister

sans la charité ; ainsi ont-elles existé chez beaucoup de païens. Mais, i dans la mesure où elles réalisent une perfection en harmonie avec la (in dernière surnaturelle, alors elles sont pleinement et véritablement vertus et ne peuvent être acquises par des actes humains ; elles sont infusées par Dieu. Les VertUS morales de cette sorte ne peuvent exister sans la charité -. Saint Thomas complète sa pensée en rappelant que, même dans ['ordre surnaturel, les vertus morales demeurent liées entre elles par le

moyen de la prudence. Et, i pour que cette direction de la prudence soil bien droite, il est Indispensable

d'être bien disposé à l'égard de la fin dernièn

qui se fait par la charité ». A. 2. Ainsi donc, soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire de la prudence surnaturelle, la charité inspire et soutient toutes les vertus morales infuses. Voir H.-D. Noble, La charité, t. i, p. 371 sq.

La réciproque est également vraie : la charité est inséparable des vertus morales infuses. Ordonnant l’homme à une fin surnaturelle, la charité doit être accompagnée des vertus qui permettent à l’homme d’agir conformément aux exigences de cette fin. Ainsi, « celui qui perd la charité par le péché mortel, perd aussi toutes les vertus morales infuses ». A. 3. Et, doit-on ajouter, celui qui dans la justification acquiert la charité, acquiert simultanément toutes les vertus morales infuses.

Bien plus, la croissance des vertus morales infuses, soit ex opère operalo, soit ex opère operantis, ne peut se produire que proportionnellement à la croissance de la grâce elle-même et de la charité. La charité est leur forme unique et commune de qui elles tiennent leur être et leur perfection. Elles ne peuvent donc que grandir avec elle et dans la même proportion qu’elle. Cette doctrine est admise par tous, indépendamment des divergences d’opinions relatives au mode de croissance. Cf. Suarez, De gratia, t. IX, c. iv, n. 5.

3° Connexion de la charité et des deux autres vertus théologales. — La connexion est ici certainement moins étroite. Existe-t-elle dans l’infusion, dans l’accroissement, dans la disparition ?

1. Infusion.

La foi et l’espérance peuvent-elles être infusées aux adultes indépendamment de la grâce et de la charité? Trois opinions sont en présence :

a) La première, l’opinion la plus commune, longe longeque verior et principiis Iheologiæ conformior, dit Billot, p. 139, et qui, avant le concile de Trente, était la seule enseignée, soutient que les trois vertus sont simultanément infusées dans la première justification. Cf. Pierre Lombard, Senl., t. III, dist. XXIII : S. Bonaventure. In III" m Senl., dist. XXIII, a. 2, q. i, ii, iv, v ; dub. vi ; In I V" m Sent., dist. XIV, part. I, a. 2, q. in ; Albert le Grand, In I I" m Senl., dist. XXVI, a. 9 ; S. Thomas. In /// um Senl., dist. XXIII, q. i, a. 5 ; I » -II », q. î.xii, a. 4 ; IIP, q. lxxxv, a. 6 ; Duns Scot, In III"" Sent., dist. XXXVI, q. i, a. 4, n. 30 et les nominalistes. Après le concile de Trente, Vega, Tridentini decreli de juslificatione expositio et defensio, 1. VIL c. xxviii ; De Lugo, De fide, disp. XVI, sect. n ; Ripalda, De ente supernaturali, disp. CXXVIIL sect. n et la plupart des théologiens récents ou contemporains ; les Wirceburgenses, Mazzella, Lahousse, Chr. Pesch, Beraza, Billot, Lange, etc.

h) La deuxième (million, particulière à Cajétan. In r am -77°, q. i.xii. a. 4, et à Dominique Soto, De natura et gratia, t. II, c. vin (Venise, 15 17. p. 127) envisage le cas de l’adulte recevant validement le baptême, mais avec un attachement au péché mortel qui rend son baptême infructueux. D’après ces auteurs, le péché constitue ici un obstacle à l’infusion de la grâce et de la charité, mais non à celle de la foi, laquelle ne serait, en ce cas. qu’un habitas informe.

c) La troisième opinion admet l’infusion d’une vertu informe de foi avant la Justification, aussitôt qu’un adulte, converti au christianisme, produit des actes élicites de foi. même sans le repentir de ses fautes. Opinion patronéc par un assez grand nombre d’ailleurs postérieurs au concile de Trente. D’après

Coninck, De acttbus supernaturalibus, disp. VI, dist.

[V, n. 51, il faut citer : Baùez, In lh m -ll". q. VI, a. 2. ad 3'"" : Médina, In * » ">-//, q. i.xii. a. I ; Suarez. De gratta, I. VIII. c xxiii. n. 13 ; De flde, disp. VII, sect. m : In 1 1 I* m part. Suni. S. Thoniir. disp. XXVIII, WCt m ; Salas, In I "" // » '. tract. XI, disp. III ; 2 787

VKRTU. CONNEXION DES VERTUS

l i

Vasquez, In / am -7/ » ', disp. CCIII, c. ix, n. 117 ; Valencia, In 77 am -77 <p, disp. VIII, q. vi, punct. 2, etc. De nos jours, Schiffini, Tract, de virt., n. 31 sq. ; Diekamp, Dogmatik, Munster-en-W., 1932 (10e édit.), t. ii, p. 510 sq. Ces auteurs invoquent le patronage de saint Thomas, II"- !  ! 1 ", q. vi, a. 2, ad 3um : « Qui reçoit de Dieu la foi sans la charité, etc… » L’exégèse correcte de ce texte montre qu’il n’est question que d’une foi actuelle. Cf. Billot, De virt. in}., p. 138, note 1.

Il semble difficile d’accorder une sérieuse probabilité aux deux dernières opinions. On leur oppose l’autorité de la constitution clémentine promulguée au concile de Vienne, affirmant que « la grâce informante et les vertus sont conférées dans le baptême ». Denz.-Bannw., n. 483. Ces vertus sont évidemment celles dont parle Innocent III dans sa lettre à Ymbert : « la foi, l’espérance et les autres vertus. » Denz.-Bannw., n. 410. Aucune distinction n’est faite entre adultes et enfants ; donc, peut-on conclure, la vertu de foi est régulièrement conférée à tous par le baptême. D’ailleurs, selon le concile de Trente, sess. vi, c. vii, les catéchumènes demandent à l'Église la foi qu’ils reçoivent au baptême et cette foi est.la foi habituelle, que le pécheur reçoit dans sa justification simultanément avec l’espérance et la charité : hsec omnia simul INFUSA accipit homo per Jesum Christian cui inseritur, fidem, spem et caritatem. Denz.Bannw., n. 800. Cette dernière autorité atteint plus directement Cajétan et Soto. La solution des instances se trouve dans Mazzella, n. 110-119 et, dans Billot, p. 140-145. La conclusion s’impose : aucune vertu, pas même la foi et l’espérance, n’est infusée dans l'âme séparément de la grâce et de la charité.

2. Accroissement.

L’accroissement des vertus de foi et d’espérance est-il parallèle à celui de la charité? Faut-il raisonner ici comme pour les vertus morales infuses ? La diversité des opinions relativement à l’infusion amène logiquement une divergence d’opinions quant à l’accroissement.

a) Pour les partisans de l’opinion la plus probable, signalée en premier lieu, la question ne peut pas se poser : infusées avec la charité, la foi et l’espérance grandissent comme elle et avec elle et dans la même proportion. Une seule exception pourrait être faite — mais c’est tout à fait per accidens, dans le cas où la foi et l’espérance demeurent dans l'âme du pécheur qui perd la grâce et la charité, et qui, par la pénitence, les retrouve ensuite, mais en un degré moindre. La foi et l’espérance gardent leur intensité première, car elles ne peuvent décroître, tandis que la charité et les vertus morales revivent en un degré amoindri. Voir Beviviscence, t. xiii, col. 2630-2632 ; cf. Billot, p. 162-163.

b) Les partisans de la deuxième et de la troisième opinion apportent des solutions conformes aux principes posés par eux. Voici comment Lahousse les départage, De virt. theol., n. 33 : Torrès, In 77 am -77 æ, dist. XLV, dub. i ; Pierre Aragon, De fide, spe et caritate, q. v, a. 4 ; Vasquez, In 7 am -77 æ, disp. CCXX, n. 56 ; Vittoria, De augmente-caritatis, part. I, n. 4 sq. ; ' 1). Soto, In IV™ Sent, dist. XIII, a. 2, q. n et De gratia, t. II, c. xvii, enseignent que la foi et l’espérance reçoivent leur accroissement, non des actes qui font croître la charité, mais de leurs propres actes. D’autre part, Suarez, De gratia, t. IX, c. iv, n. 13 ; Coninck, In 77 am -77 IB, disp. VI, n. 60 ; Tanner, Disp. theol., t. ii, dub. ix, n. 20 ; Valencia, In 77 ara 77*, disp. I, q. v, punct. 4 ; G. Hurtado, De fide, spe et caritate, disp. LXI, § 6 et 7 ; Banez, 7n 77 am 77®, q. v, a. 5, enseignent que les vertus de foi et d’espérance croissent comme la charité, quand elles sont jointes à cette vertu ; quand la charité fait défaut,

elles croissent par leurs propres actes. On peut rattacher à cette dernière école SchifJini, op. cit., a. 40.

3. Disparition.

La connexion des trois vertus théologales n’est pas telle que la disparition de la charité entraîne nécessairement la perte de la foi et de l’espérance.

a) La vertu de foi. — Elle ne disparaît pas nécessairement par la perte de la grâce et de la charité : c’est là une vérité clairement définie au concile de Trente contre Luther et son système de la justification extrinsèque. Voir ici Justification, t. viii, col. 2139 sq. D’après Luther, tant que l’homme demeure « fidèle » à Dieu, ses péchés, si graves soient-ils, ne lui sont pas imputés. Le seul péché qui fasse perdre la grâce est donc, d’après Luther, la perte de la foi. Contre cette erreur, le concile rappelle, sess. vi, c. xv, que « la grâce de la justification une fois reçue se perd non seulement par l’infidélité, par laquelle la foi elle-même est perdue, mais encore par tout autre péché mortel, même quand ce péché ne détruit pas la foi ». Denz.-Bannw., n. 808. La dernière incise touche directement le problème ici posé. Mais ce point est relevé d’une façon plus directe et plus complète dans le canon 28 :

Si quis dixerit amissa per mortale peccatum gratia simul et fidem semper amitti, aut fidem qua : remanet non esse veram fidem, licet non sit viva ; aut eum, qui fidem sine caritate habet, non esse christianum, A. S.

Denz.-Bannw., n. 838.

Si quelqu’un dit qu’en perdant la grâce par le péché, on perd en même temps toujours la foi ; ou que la foi qui survit n’est pas vraie foi, bien qu’elle ne soit pas vivante ; ou bien que celui qui a la foi sans la charité n’est pas chrétien, qu’il soit anathème.

Sans aucun doute, l’homme destitué de la grâce et de la charité peut donc encore posséder une foi véritable. Cette foi ne saurait être entendue d’un acte de foi antérieur et non rétracté ; il s’agit bien de la foi habituelle infusée à l'âme par Dieu dans la justification et persévérant dans sa réalité. Toutefois, certains théologiens, cf. Bipalda, op. cit., disp. CXXVIII, n. 56, se demandent si le concile a entendu définir la permanence de la foi infuse ou s’il entend simplement affirmer qu’une foi informe est substituée par Dieu à la foi formée précédente. Le mot remanet semblerait dirimer la controverse. Au temps du concile, la thèse subtile de la substitution n'était défendue par aucun théologien de marque. L'école thomiste avec son chef, voir S. Thomas, 77 a -77 æ, q. iv, a. 4, et l'école scotiste, voir Scot, 7n 777um Sent.. dist. XXXVI, q. i, n. 30, étaient d’accord sur ce point. Toutefois, en raison des hésitations qui se sont produites depuis, certains auteurs qualifient la thèse de la permanence comme une doctrine théologiquement certaine, cf. Bipalda, loc. cit., tandis que d’autres la disent dogme de foi, cf. Billot, p. 155, note 1. La sainte Écriture ne fournit-elle pas un fondement très solide à ce dogme ? Cf. I Cor., xiii, 2 ; Jac, n. 14 ; Matth., vii, 22-23, sans compter les paraboles où l'Église est représentée comme un mélange de bons et de mauvais, tous cependant ayant la foi : parabole du filet, Matth., xiii, 47 sq., du festin nuptial, ibid., xiii, 1 sq., des vierges sages et des vierges folles, ibid., xxv, 1 sq., etc. Cf. Mazzella, op. cit., n. 211-214 ; Bellarmin, De juslif., I. I, c. xv. Valencia a rassemblé un certain nombre de textes patristiques à ce sujet. In 77 am -77 a !, disp. I, q. iv, punct. 4. Bellarmin, loc. cit., et Suarez, De gratia, t. XI, c. v. n. 17 sq. réfutent les objections des adversaires.

b) La vertu d’espérance. — Aucun document ne concerne directement l’espérance. Toutefois, comme l’espérance suppose et suppose uniquement la foi, on doit raisonner sur cette vertu comme sur la vertu

de foi. Elle peut être conservée dans l'àme sans la grâce, quoique à l'état informe. Le paragraphe suivant le fera mieux comprendre.

Fondement de la connexion des vertus.

Quatre

opinions ont eu cours à ce sujet. Voir Ripalda, op. cit., disp. ÇXXVIII, n. 25 sq.

1. Exposé.

a) Il y aurait entre la grâce, la charité et les vertus morales infuses une telle connexion, par la nature même des choses, que de la puissance absolue de Dieu, ces vertus ne pourraient être conservées, la grâce une fois perdue. — bj Aucune vertu, pas même la charité, ne dépend, par la nature même des choses, de la grâce : c’est simplement une loi extrinsèque de Dieu qui établit leur connexion. — c) Par la nature même des choses, la charité et les vertus morales infuses dépendent de la grâce, mais il n’y a pas de connexion essentielle de la foi et de l’espérance avec la grâce sanctifiante, en sorte qu’il ne faut pas rapporter à un privilège divin le fait de leur conservation dans l'âme pécheresse. — d) Toutes les vertus infuses, sans en excepter la foi et l’espérance sont, par la naiure même des choses, dépendantes de la grâce ; si la foi et l’espérance sont conservées sans la grâce et la charité, c’est uniquement parce que Dieu l’a établi ainsi par une loi extrinsèque.

2. Discussion.

La controverse se situe pratiquement entre les deux dernières opinions. Comment discuter de ce qui est ou non possible de potentia absoluto Dci ? En second lieu, on ne saurait affirmer que la charité, tout au moins, soit sans connexion intrinsèque avec la grâce sanctifiante. Certains auteurs ne sont-ils pas allés jusqu'à affirmer leur identité? Ce qu’on doit dire, c’est que la charité est le complément nécessaire de la grâce : « La grâce nous unit à Dieu en nous assimilant à lui ; pour réaliser cette union, il faut les opérations de l’intelligence et de la volonté par la charité. » S. Thomas, De caritate, a. 2, ad 7° m. Cf. Terrien, op. cit.. t. IV, c. v, p. 252-207.

La quatrième opinion a été défendue de nos jours par Mazzella, n. 196-201, 205-210, à la suite de Ripalda. Le principal argument est que la grâce est comparable à la nature et les vertus infuses aux propriétés s’originanl à la nature. Subsidiairement, on argue de la connexion dans l’infusion et l’accroissement pour conclure à la connexion dans la disparilion, sauf une loi spéciale de Dieu. Les adversaires font remarquer que la comparaison de la nature et des propriétés ne s’impose pas ici sous tous rapports : Les vertus, disait déjà saint Bonaventure, ne sont pas les vertus de la grâce, par lesquelles agirait la grâce, comme l'âme agit par ses puissances. » In III""' Sent., a. 1, q. v. Les vertus découlent de la grâce en ce sens que la présence de la grâce dans l'âme y crée une exigence des vertus ; mais ces vertus ne sont pas inhérentes à la grâce ; elles ont pour sujet les puissances de l'àme qu’elles perfectionnent.

I.a troisième opinion est. dans sa substance, défendue par Billot, "/-. « 7., th. v, § 3, p. 154 sq. Ln double argument l’appuie : I" La foi et l’espérance considé n’es dans leur es nce ne dépendent pas des autres vertus ; l’expérience quotidienne suffit à le montrer. 2° Elles n’ont pas les autres vertus connue des conséquences nécessaires, (.'est le propre fie la charité seule d’ordonner l’exercice des autres vertus par rapport à la fin dernière comme telle. Cf. II » -H", q. xr. a. 12. Lien que l’acte de foi et l’acte d’espérance soient présupposés à fade de charité, ils n’ont qu’un rapport indirect avec l’exercice même de cette

vertu : La foi ne modère pas le mouvement d’amour qui nous porte vers Dieu… ; elle se borne à montrer l’objet. I II", q. l.xvt, a. < ;.

/ galilé et rulrur respective dis vertus. La

connexion des vertus dans leur infusion et leur accroissement pose la question de leur égalité (q. i.xvi). Cette égalité toute de proportion dans le même sujet, laisse subsister l’inégalité dans leur exercice et respecte la hiérarchie de leurs valeurs respectives.

1. Égalité proportionnelle des vertus.

L'égalité des vertus considérées dans leur essence est, en chaque juste, une conséquence de leur connexion avec la grâce et la charité. Au moment de leur infusion, les vertus sont données au sujet en proportion de la grâce et de la charité ; et, à mesure que s’accroît la grâce, s’accroissent les vertus. « Selon la participation qu’en reçoit ainsi chaque sujet, les vertus d’un même homme sont égales d’une certaine égalité de proportion, en tant qu’elles croissent chez lui d’une manière égale, comme les doigts de la main qui sont inégaux en grandeur, mais égaux en proportion, puisque leur croissance se fait d’une manière proportionnée. « A. 2. Cette égalité de proportion laisse donc intacte la hiérarchie des vertus et leur valeur respective. On se souviendra toutefois de l’exception qui peut se présenter relativement à la foi et à la charité.

2. Inégalité dans V 'exercice des vertus. — C’est un fait que les saints ont excellé, les uns dans une vertu, les autres dans une autre. Cette constatation de fait n’infirme en rien la doctrine précédente. Saint Thomas l’explique dans l’ad 2° m. Cette excellence répond à la facilité avec laquelle, soit en raison du tempérament, soit par la répétition des actes, soit avec le secours des grâces actuelles, chaque saint a pu exceller dans l’exercice d’une vertu spéciale. Mais on sait qu’aucune de ces trois raisons, indiquées par le Docteur angélique au corps de l’article, n’influe directement et efficacement sur l’accroissement des vertus. Voir col. 2771. Aussi, chacun dans son genre, les saints peuvent mériter l'éloge commun que leur décerne la liturgie : Non est inventas similis illi, gui conservaret legem Excelsi (Vêpres d’un confesseur pontife, 2e antienne).

3. Valeur respective et hiérarchie des vertus. - a) Vertus théologales. — Ces vertus, en raison même de leur objet, l’emportent sur les autres vertus. Mais la charité est la plus grande. La foi et l’espérance nous maintiennent plu s loin de Dieu que la charité

la foi porte sur ce quon ne voit pas ; l’espérance, sur ce qu’on ne possède pas. tandis quc l’amour de charité a pour objet ce qu’on possède déjà en quelque façon : l’objet aimé est. à sa manière, dans le sujet aimant, et de son coté, celui-ci est entraîné par la force même de son affection vers l’objet aimé. S. Thomas, a. il ; cf. IL II'. q. XXIII, a. 0. Qu’on ne dise pas que la foi doit jouer à l'égard de l’espérance et de la charité, le rôle prééminent de la prudence à l'égard des vertus morales. La prudence modère et dirige ; la foi n’a pas à modérer ni à diriger ; elle indique seulement, et d’une manière bien imparfaite, l’objet de notre espérance et de notre amour. Mais le mou veulent d’amour qui, par la charité, entraîne l'àme vers cet objet dépasse de beaucoup l’idée même que la foi peut en donner. Ad 1°". Les dons du Saint Esprit, surtout les dons qui perfectionnent fin telligence, sont infusés a l'àme précisément pour remédier a cette faiblesse de l’esprit humain.

b) Vertus intellectuelles. Sous un certain rapport.

les vertus intellectuelles l’emportent sur les vertus

morales acquises, puisqu’elles ont un objet plus noble. I.a raison saisit l’universel ; les vertus morales ne règlent l’appel it que vers des réalités particulières. Mais c’est la. au point de vue moral, un aspecl très secondaire. Seules, on fa déjà dit, les vertus morales méritent le nom de vertus pane qu’elles procmeiil

une véritable perfection morale dans la direction de la vie. A. 3.

Parmi les vertus intellectuelles, la sagesse l’emporte en excellence, puisqu’elle nous attache à la considération des plus hautes causes, et nous porte vers Dieu. Son influence peut être prépondérante, par la clarté de ses lumières et la sûreté de ses directives. A. 5. La prudence vient ensuite, qui prescrit aux hommes comment ils doivent parvenir à la sagesse. Ad l um. En raison de son objet qui est au-dessus de tout, la sagesse domine les sciences qui, peut-être, sont plus exactes et plus certaines dans les données qu’elles apportent, mais concernent des réalités inférieures. Ad 3um. La sagesse est également supérieure à la simple intelligence : si l’intelligence donne à l’esprit l’intuition des premiers principes, la sagesse possède une certaine emprise sur ces principes euxmêmes parce qu’elle les juge et les défend contre ceux qui les nient. Ad 4um.

c) Vertus morales.

Vertu intellectuelle par son essence, la prudence est vertu morale par sa matière, puisqu’elle doit diriger et modérer l’exercice de toutes les autres vertus. Parmi les vertus morales, elle occupe donc le rang prééminent. Des vertus morales par leur essence, c’est la justice qui vient en premier lieu, parce qu’elle est plus proche de la raison et par l’intelligence qu’elle est appelée à perfectionner, et par les matières dont elle doit s’occuper en les réglant conformément aux exigences du droit. Vient ensuite la force, qui soumet au contrôle de la raison les mouvements affectifs dans les difficultés de la vie et devant les craintes de la mort. Enfin, en dernier lieu, la tempérance, qui règle les appétits inférieurs en matière de plaisirs sensuels. A. 4.

C’est là l’ordre fondamental, essentiel. Mais il y a d’autres excellences dans les vertus qui peuvent grandement contribuer à améliorer la moralité humaine. On les trouve dans des vertus morales secondaires, « vertus d’appui et vertus d’ornement ». Saint Thomas en donne des exemples dans les réponses aux objections : « Il met une spéciale grandeur dans la libéralité ; elle est l’ornement de la justice et ajoute à la justice. Ad l um. Il convient qu’il y a beaucoup de grandeur dans la patience, naturellement et surnaturellement ; elle est comme un recueil de plusieurs autres vertus, acquises et infuses, et des plus hautes, et leur apporte une espèce de raffinement ; elles sont fonction de la vertu de force. Ad 2um. Il en est de même de la magnanimité. Ad 3um. Ces vertus offrent donc des aspects privilégiés de grandeur. On pourrait ajouter d’autres exemples… ainsi l’obéissance (II a II æ, q. civ, a. 3), la virginité (q. ciii, a. 5), l’humilité (q. clxi, a. 5), la pénitence (III a, q. lxxxv, a. 6) et d’autres encore, de moindre grandeur. » R. Bernard, op. cit., t. ii, p. 351-352.