Dictionnaire de théologie catholique/VERTU. VI. Vertus morales

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 623-626).

VI. Vertus morales.

Notions générales. —

1. Nature et objet de la vertu morale.

Le mot « mœurs » peut signifier la coutume, l’usage, l’habitude (grec : s60ç), cf. Act., xv, 1, ou bien une inclination naturelle ou quasi naturelle vers une action, d’où caractère, mœurs (grec : t)00ç), cf. Ps., lxvii, 7. « Or le nom de vertu morale vient de mœurs au sens d’inclination naturelle ou quasi naturelle vers quelque action. De cette signification, l’autre est très proche, celle qui veut dire « coutume de vie », car la coutume tourne en quelque sorte à la nature et produit un penchant qui ressemble à une inclination naturelle. Il est bien évident que l’inclination à l’acte appartient en propre à la faculté d’appétition, puisque c’est à celle-ci de mettre en mouvement toutes nos puissances d’action. Aussi toute vertu n’est pas une vertu morale, mais seulement celle qui réside dans la faculté d’appétition. » Ia-IIæ, q. lviii, a. 1.

La vertu morale perfectionne donc nos tendances en les adaptant au bien de la raison, c’est-à-dire en modérant, en ordonnant, selon la raison, tous les mouvements de nos « appétits ». « Or, la raison ne met pas seulement de l’ordre dans les passions de l’appétit sensible ; elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qu’est la volonté, laquelle n’est pas le siège des passions. Aussi les vertus morales n’ont pas toutes pour matière les passions ; certaines modèrent les passions, d’autres, les opérations. » Q. lix, a. 4. Par cette distinction, saint Thomas rappelle que notre vie morale exige le bon ordre non seulement dans les mouvements de nos passions personnelles, mais encore dans les opérations constituant nos relations au dehors : d’un côté, par conséquent, l’ordre de nos devoirs envers nous-mêmes, d’un autre côté, l’ordre de nos devoirs envers les autres, nos semblables et Dieu lui-même.

Toutefois, dans l’a. 5, saint Thomas complète sa pensée par deux remarques. Tout d’abord, il est bien clair que les vertus morales ne sauraient se trouver dans les passions désordonnées et, en ce sens, on peut dire avec les stoïciens que la vertu parfaite est en dehors des passions, non qu’elle les supprime,

mais parce qu’elle les empêche « d'être comme il ne faut pas et quand il ne faut pas » ; cf. a. 2. D’autre part, dans les vertus morales ayant poui » matière non seulement les passions, mais encore les opérations, leur exercice parfait aura toujours un certain retentissement dans la partie sensible, les facultés inférieures suivant le mouvement des facultés supérieures. Grâce à cette redondance, plus la vertu est parfaite et plus elle cause de « passion », c’est-à-dire de sentiment de joie et de satisfaction, même sensiblement ressenti. « En Dieu et dans les anges, il n’y a pas, comme chez l’homme, un appétit sensible ; aussi leur bonne action à eux se passe tout à fait sans passion comme sans corps, tandis que la nôtre s’accompagne de passion et a lieu avec l’aide du corps. » Ibid., ad 3um. L’homme n’est pas un pur esprit : « Il n’est ni ange, ni bête, mais homme. » Pascal, Pensées, édit. Brunschwicg, n. 140.

2. Nécessité de la vertu morale et caractère de sa direction.

Ordonner selon la raison les mouvements de nos appétits, tel est donc l’objet de la vertu morale. A la suite d’Aristote, saint Thomas estime que les vertus intellectuelles sont insuffisantes à imprimer cette direction raisonnable. D’un trait, il souligne l’opinion de Socrate, accueillie par Platon, que la science suffit pour éviter le péché, en sorte que quiconque pèche le fait par ignorance. Voir l’exposé de la théorie socratique dans Janet et Séailles, Hisl. de la philosophie, Paris, 1942, p. 931. Cette théorie part d’un faux présupposé. La partie affective de l'âme n’obéit pas au moindre signe de la raison ; elle oppose une certaine résistance. Aristote en conclut Polit., t. I, c. ii, 1252, que, si l'âme régit le corps avec un pouvoir despotique, la raison ne commande à l’appétit que par un pouvoir politique, celui qu’on possède sur des êtres libres qui gardent le droit de contredire. Ainsi, pour la bonne direction de la vie humaine, il faut que non seulement la raison soit bien disposée par la vertu intellectuelle, mais encore que l’appétit le soit par la vertu morale.

On ne nie pas pour autant que la dignité humaine consiste avant tout, comme l’estimait Socrate, dans la pensée et que la pensée demeure le principe premier dont dépendent les œuvres de l’homme ; mais il faut toujours se souvenir que l’homme n’est pas une pure pensée et que les meilleures pensées ne trouvent pas toujours en lui toute facilité de passer en acte. Pour bien vivre, il ne suffit pas d’avoir l’esprit tourné vers le vrai, il faut encore avoir la volonté et le cœur orientés vers le bien. Cf. q. i.vm, a. 2. La direction de la vertu morale ne s’identifie donc pas nvec la droite raison, comme le voulait Socrale, cependant « elle n’est pas seulement < selon la droite raison », tu tant qu’elle incline à ce qui est conforme à cette règle, mais il faut en outre qu’elle soit « en compagnie « de la droite raison ». A. 4, ad 3'"". I. a droite raison, en effet, doit être avec « Ile pour présider à un choix bien réglé de ce qui est en harmonie avec la fin qu’on doit poursuivre ». Ibid. lu) réalité, celle raison pratique qui accompagne nécessairement la vertu inorale est la vertu de prudence, vertu intellect uelle, mais dont la matière est d’ordre moral. Ce qui oblige saint Thomas a conclure que, si les autres vertus intellectuelles peuvent exister sans les vertus morales, la prudence leur est nécessairement jointe. A. 5.

Distinction des vertus murales entre elles.

Il est

trop éident que, quelle que soit l’unité de fin dernière qui commande l’unité foncière de notre vie morale

et l’unité de direction qui est réalisée par l’unique vertu dirigeante, la prudence, de multiples vertus morales sont nécessaires pour ordonner et modérer

nos multiples tendances dans le sens exigé par la poursuite de la fin dernil

1. Dans l’ordre naturel, pas de vertu morale relative au bien suprême. — Cette première assertion peut étonner dès l’abord. Et cependant il est facile de se rendre compte que, dans l’ordre naturel, la volonté n’a pas besoin de vertu surajoutée pour tendre vers le bien. Cette tendance, en effet, lui est innée et par rapport au bien, en raison de sa tendance naturelle, la volonté est sa propre vertu. S’il se produit, en fait, quelque aberration, ce n’est pas en raison d’une insuffisance de disposition dans la volonté à l’endroit du souverain bien, mais c’est ou défaut d’appréciation dans l’intelligence ou insuffisance de rectitude de la volonté à l'égard des moyens. Si ces défauts n’existaient pas, l’appétit naturel de la volonté tendrait infailliblement vers le bien souverain. Aussi saint Thomas n’hésite pas à écrire que, d’un amour naturel, l’ange et l’homme aiment Dieu et mieux qu’euxmêmes. I a, q. lx, a. 5 ; cf. q. lxiv, a. 2, ad 4um ; Comp. Iheologiw, t. I, c. clxxiv. Voir Ia-IIæ, q. lvi, a. (i. Aussi, aucune vertu morale n’a Dieu pour objet immédiat. La vertu de religion, partie de la justice concernant nos devoirs envers Dieu, a pour objet le culte que nous devons rendre à Dieu comme à notre Créateur et à notre souverain maître. Voir Religion, t. xiii, col. 2309.

2. Distinction entre les vertus relatives aux opérations et les vertus relatives aux passions. — Les deux objets formels sont irréductibles l’un à l’autre. De plus, les dispositions du sujet sont tellement différentes dans l’un et dans l’autre 'cas, qu’elles nécessitent, pour les régler, des vertus différentes. D’ailleurs l’affectivité humaine est multiple et se traduit par l’exercice de puissances diverses : diverses donc doivent être les vertus perfectionnant ces puissances. Q. lx, a. 2.

3. Les diverses opérations exigent diverses vertus. — Toutes les opérations concernent nos relations avec les autres. Ces relations se groupent autour de la vertu de justice qui en est comme la directrice générale. Mais, à côté de cette notion générale de justice, que de raisons spéciales justifient la direction spéciale de vertus relevant toutes plus ou moins strictement de la justice ! Cf. IP-ID', q. lxxx. L’article consacré ici par saint Thomas à ce sujet justifie déjà pleinement la diversité des vertus annexes de la justice :

Toutes les vertus morales appliquées aux opérations se rencontrent dans une certaine notion générale de justice, notion comportant nue délie a l'égard d’autrni. IClles se distinguent toutefois d’après des raisons spéciales à Chacune. Le motif en est que, dans les opérations extérieures, l’ordre de la raison s'établit non en proportion des affections du sujet, niais d’après les exigences de la réalité considérée en elle-même. C’est sur ces exigences cpi’csl fondre la notion de dette, d’où dérive celle de justice… De là vient que les vertus occupées d’opérations extérieures offrent toutes un certain aspect relevant de la justice. Mais la dette n’a pas la même signification en toutes. L ne chose est due autrement à un égal, autrement à un supérieur, autrement à un inférieur. Elle est due autrement par suite d’un pacte, d’une promesse, d’un bienfait revu. El ces différents titres de dette donnent lieu a différentes VertUS. Ainsi la religion est la vertu qui nous fait rendre a Dieu le culte que nous lui devons ; la pieté filiale est celle par laquelle nous rendons les devoirs dus aux parents, a la patrie ; la gratitude est la vertu par

laquelle nous rendons ce qui est dit aux bienfaiteurs, et

ainsi de suite ((, ). i.x, a. : i).

On se reportera à la II » - II », loc, cil., pour v trouver l'énumération des principales vertus se rattachant à la justice. D’abord, la justice elle même, avec ses

trois aspects : commutative, distributive, générale ou légale ; puis, à mesure quc décroît l'élément égalité entre le débiteur et le créancier, ou l'élément dette Stricte, nous trouvons : religion, piété, respect, vérité, reconnaissance, libéralité, affabilité, amitié. VERTU. LES VERTUS MORALES I NI l SES

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L'énumération n’est pas exhaustive. Voir Justice, t. viii, col. 2018-2020.

4. Les diverses passions exigent différentes vertus. — Il est impossible qu’il n’y ait qu’une seule vertu morale relative à la modération des passions. La diversité s’impose en raison de la diversité des passions (l’irascible et le concupiscible), de la différence des objets (objets de convoitise, d’espérance, de crainte, d’amour, de plaisir, etc.), de la diversité des matières (honneur, argent). Toutefois, il n’y a pas de nécessité de toujours diversifier les vertus d’après la diversité des passions : en regard des passions opposées, joie et tristesse, il suffit d’une seule vertu qui tienne le juste milieu ; pour dominer diverses passions qui poursuivent le même but et se superposent l’une à l’autre, une seule vertu sera la vertu régulatrice.

La liste des vertus modératrices des passions diverses comprend, dans la q. lx, a. 5, dix noms : la tempérance, la libéralité, la philotimie (amour de son juste honneur), la vérité, l’affabilité ou amitié, l’eutrapélie (le bon ton dans les délassements), ces six vertus rapportées avec beaucoup d’ingéniosité au concupiscible ; puis, dépendant de l’irascible, la force, la magnificence, la magnanimité et la mansuétude. Liste non exhaustive, puisque nous trouvons, dans la IP-II* le nom d’autres vertus, comme la modestie, q. clxvi, l’humilité, q. clxi, etc.

On ne s'étonnera pas de trouver dans cette nomenclature des vertus modératrices des passions quelques noms qui figurent également parmi les parties potentielles de la justice. Saint Thomas envisage ici la libéralité, l’amitié, la vérité sous un aspect autre que celui de dette morale à l'égard d’autrui, l’aspect du concupiscible en raison du plaisir qu’on éprouve à se donner soi-même de quelque façon aux autres. Cf. dans la même édition de la Somme, J.-D. Folghera et R. Bernard, Les vertus sociales, Ila-II », q. cxci sq., Paris, 1933, avec les notes doctrinales i et iii, p. 431, 441.

Toutes ces vertus se rattachent d’ailleurs aux quatre vertus principales, nommées pour ce motif les vertus cardinales, et que saint Thomas étudie à la q. lxi. Voir Cardinales ( Vertus), t. ii, col. 1714.

Vertus morales infuses.

Les vertus morales

étudiées jusqu’ici sont des vertus naturelles, partant, acquises. Par elles-mêmes, elles manquent de proportion à l'égard de la fin dernière surnaturelle. Pour acquérir cette proportion, suffit-il aux actes de ces vertus d'être informés par la grâce sanctifiante dans l'âme juste ? Ou bien doit-on penser qu’ils émanent de vertus spécifiquement surnaturelles, parallèles aux vertus acquises, mais infuses comme la foi, l’espérance et la charité? Tel est le problème, auquel saint Thomas et Duns Scot ont donné des solutions divergentes.

1. La thèse thomiste.

a) Existence des vertus morales infuses. — Elle est exposée brièvement dans la Ia-IIæ 1, q. lxiii, a. 3 ; cf. In ///""> Sent., dist. XXXIII, q. i, a. 2, qu. 3 ; De virt., q. i, a. 10. Tous les thomistes suivent ici la doctrine du Maître. Il faut leur adjoindre S. Bonaventure, In III » ™ Sent., dist. XXXIII, a. 1, q. i, et Richard de Mediavilla, ibid., a. 1, q. il. Toute l'école de Suarez, De gratia, t. VI, c. îx, n. 7, a contribué à rendre cette opinion communissima parmi les théologiens. S’appuyant sur Sap., viii, 7, saint Thomas déclare qu’aux vertus théologales qui nous ordonnent à notre destinée surnaturelle doivent « correspondre de façon proportionnée d’autres habitas divinement causés en nous qui soient, par rapport aux vertus théologales, comme sont les vertus morales et intellectuelles par rapport aux principes naturels des vertus. » Q. lxiii, a. 3. Cf. II 1 - II », q. xlvii, a. 13.

(.elle phrase contient en abrégé les deux raisons de haute convenance apportées par les théologiens en faveur de l’opinion thomiste : 1° Les vertus morales infuses sont le digne complément de l'œuvre surnaturelle accomplie par Dieu dans l'âme humaine par l’infusion des vertus théologales. 2° Puisque les vertus morales dirigent notre conduite à l'égard des moyens qui nous conduisent à la fin surnaturelle présentée par la foi, l’espérance et la charité, il est convenable que les vertus se rapportant aux moyens correspondent aux vertus se rapportant à la fin et comme elles, soient surnaturelles et infuses. Cf. Billot, De virt. inf., p. 121-122 ; Mazzella, De virt. inf., n. 56 ; Suarez, De gratia, t. VI, c. ix, n. 8-1(5.

Ces raisons de convenance sont appuyées par des arguments proprement théologiques.

Le texte de saint Pierre, II Pet., i, 4, parle des dons magnifiques réalisant les promesses divines et nous rendant participants de la nature divine. Dans cette participation doit être compris tout ce qui intéresse la vie spirituelle et la piété, donc les vertus morales en tant qu’elles s’accordent avec la nouvelle nature à nous conférée. Cette affirmation est d’autant plus à retenir que, dans l'énumération des actes vertueux qui suit, l’apôtre fait mention avec la foi et la charité de la prudence, de la tempérance, de la patience et de la piété.

A cette preuve scripturaire, il faut joindre la lettre d’Innocent III à Ymbert et la décision du concile de Vienne. Voir col. 2762 sq. Il est impossible de restreindre l’expression alias virtutes d’Innocent, après l'énumération de la foi et de la charité, à la seule espérance. La décision de Vienne, terminant une controverse dont Innocent avait laissé la solution en suspens, fait certainement allusion à ces « autres vertus ». On peut même se demander jusqu'à quel point le concile de Vienne n’a pas voulu infirmer indirectement l’opinion de Scot.

Le catéchisme du concile de Trente, part. II, n. 38, enseigne que, dans le baptême, le très noble cortège des vertus est divinement infusé dans l'âme avec la grâce. Emploierait-il l’expression « très noble cortège des vertus », s’il s’agissait uniquement des trois vertus théologales ?

Le concile de Vienne impose sa doctrine, « plus conforme, dit-il aux dires des saints Pères ». On a vu plus haut, en effet, et à plusieurs reprises, que les Pères affirment le caractère surnaturel des vertus cardinales. Dans le tract. VIII, in Episl. / im Joannis ad Parthos, n. 1, saint Augustin montre que « les vertus de piété, de chasteté, de modestie, de sobriété sont comme l’armée du général qui commande en notre esprit. Et, comme le général fait ce qu’il lui plaît avec son armée, ainsi fait Jésus habitant en l’homme intérieur ». P. L., t. xxxv, col. 2035.

b) Nature spécifique des vertus morales infuses. — Tout en s’appliquant au même objet matériel que les vertus acquises, les vertus morales infuses s’en distinguent par un objet formel différent. Les vertus acquises ont pour objet formel un bien d’ordre naturel ; les vertus infuses, le bien suprême d’ordre surnaturel ; les premières ont pour règle la raison humaine ; les secondes, se réfèrent à la règle divine. Ce sont les deux points relevés par saint Thomas dans la q. lxiii, a. 4. On notera les exemples sur lesquels saint Thomas fait l’application de sa doctrine : la tempérance dans le manger, q. lxiii, a. 4, la virginité, la pauvreté, q. lxiv, a. 1, ad 3um.

On ne peut négliger ici le commentaire de Cajétan, sur l’a. 3 de la q. lxiii. Le résumé qu’en fait le P. Bernard marque bien les différences spécifiques qui distinguent vertus acquises et vertus morales infuses : 2781 VERTU. LES VERTUS THEOLOGALES 2 782
1° Les vertus morales infuses sont faites pour assurer en nous la perfection de l’ordre surnaturel, comme les vertus morales acquises assurent la perfection de notre nature.
2° Il y a de part et d’autre une proportion différente de l’effet à la cause : les vertus acquises découlent de nos forces naturelles auxquelles s’ajoute, bien entendu, l’aide naturelle du Bon Dieu ; les vertus infuses découlent des forces de la grâce et de l’action surnaturelle de Dieu habitant l'âme.
3° Il y a une différence d’objet formel : la mesure imposée aux passions et aux opérations humaines s’inspire, dans un cas, de vues et de motifs tirés d’une règle toute naturelle ; dans l’autre cas, d’une règle dépassant les choses de ce monde.
4° Il y a une différence par rapport à la fin : les vertus acquises nous adaptent à la vie présente et terrestre ; les vertus infuses travaillent pour le ciel plus que pour la terre et pour l'éternité plus que pour le temps. La vertu, t. ii, p. 455-456.

2. L’opinion scotiste.

Elle est exposée par Duns Scot, In III™ Senl., dist. XXXVI, n. 28. Voir ici t. iv, col. 1905. Scot a été suivi par un certain nombre de théologiens nominalistes, Occam et Biel en particulier. Son opinion est aujourd’hui bien délaissée. Il ne semble pas nécessaire à Scot d’admettre des vertus morales infuses : à ceux qui les possèdent ou peuvent les posséder, les vertus morales acquises suffisent. La charité oriente l’homme vers sa fin surnaturelle ; la foi infuse lui montre la manière et les moyens d’y parvenir. Il est donc inutile de doubler 1rs vertus acquises de vertus morales infuses. Par la grâce, la volonté, siège des vertus de justice, de force, de tempérance, est suffisamment parée pour produire des actes surnaturels de ces vertus, car l’influence de la grâce rend ces actes surnaturels et méritoires, et la charité les ordonne vers leur fin surnaturelle. Les raisons théologiques sont suffisantes pour résoudre par la négative une controverse que les enseignements de la foi et du magistère n’a pas dirimée.

On pourrait répondre que les vertus morales infuses sont nécessaires comme règles prochaines et immédiates de l’ordre surnaturel en nos actes, tandis que la foi et la grâce n’interviennent que médiatement. C’est la prudence infuse, s’inspirant de la foi et de la charité qui est la vertu régulatrice immédiate des autres vertus. Si les vertus morales demeuraient dans l’ordre naturel, elles seraient toujours des moyens en soi sans proportion avec la fin surnaturelle à atteindre. Voir la doctrine de Cajétan résumée ci-dessus. Cf. Billot, De virl. inj., p. 122-124.

Une autre difficulté contre l’opinion scotiste pourrait être soulevée du fait que la vertu infuse peut se trouver eu celui qui est encore entraîné vers le mal par des habitudes dépravées. Une telle coexistence dans l'âme n’implique-t-elle pas contradiction ? On se reportera a ce qui a été dit de l’acquisition et de la facilité progressive des vertus surnaturelles, col. 2769. Cf. S. Thomas, De virt., q. i. a. iii, ad 16 « ™.

Le siège des vertus morales.

Question facile à résoudre en ce qui concerne les vertus acquises, plus obscure quant aux vertus infuses.

1. Vertus acquises. —

Dans la q. lxi, a. 2, parlant des vertus morales acquises, saint Thomas assigne comme siège à la prudence le < raisonnable par essence », ('est -à-dire l’intelligence ; à la justice, la volonté, a la tempérance, l’appétit concupiscible, à la force, l’appétit irascible. Les deux appétits se trouvent dans la sensibilité organique du composé humain, (.'est en tant qu’ils sont mus par la volonté qu’ils peuvent être sujets (les deux ertus morales qui les perfectionnent. 0. i.xvi, a. 4. Les vertus consistent dans une conformité habituelle des pas sions de l’appétit sensitif à la règle de la raison. Et cette conformité, on l’a vii, la raison l’obtient par un gouvernement politique » et non despotique ».

2. Vertus infuses.

Le problème est ici plus obscur et présente une réelle difficulté dans l’opinion thomiste. Saint Thomas parle parfois des vertus infuses dans les mêmes termes que des vertus acquises. Cf. De virt., a. 10, ad l um ; In III" m Sent., dist. XXXIII, a. 2, q. iii, ad 3um. Mais, observe à bon droit Billot, op. cit., p. 127, « comment une vertu infuse, d’ordre proprement surnaturel, donc réalité spirituelle en elle-même, peut-elle avoir pour siège une faculté organique ? » Gonet tente une explication bien scolastique, en avançant que les vertus infuses dans l’appétit sensible sont formellement immatérielles et éminemment corporelles, et il propose l’analogie de l'âme humaine, spirituelle et cependant forme corporelle. Manuale, t. iii, tract. IV, c. iv. L’explication est mauvaise et l’analogie ne conclut pas, l'âme étant forme substantielle et, qui plus est, subsistante, voir Forme du corps humain, t. vi, col. 544, et la vertu, une forme accidentelle qui, en conséquence, dépend dans la totalité de son être du sujet qui la reçoit.

La seule solution acceptable semble être de considérer la volonté elle-même comme le sujet des vertus infuses de tempérance et de force. Par ces vertus, la volonté serait habilitée à utiliser les bonnes dispositions naturelles de l’organisme pour les conformer habituellement à la règle non seulement de la raison, mais de la foi et de la charité. Cette conformité habituelle serait, dans l’organisme humain, non la vertu infuse, mais son complément. Billot, p. 128129.