Dictionnaire de théologie catholique/UNIVERSITÉS II. Les universités catholiques

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 361-365).

II. Les universités catholiques.

Sous cette dénomination, il faut entendre exclusivement celles qui sont reconnues comme telles par le Saint-Siège et acceptées comme membres de la Fédération internationale des universités catholiques. Ce sont d’abord des universités « libres », c’est-à-dire qui ne sont pas d’État ; mais les deux termes « libre » et « catholique » ne sont pas synonymes, car il y a effectivement des universités autonomes qui ne sont pas catholiques (telle l’université de Bruxelles, fondée par des librespenseurs). Ne sont pas catholiques, au sens où nous l’entendons, les universités officielles (d’État), même si l’on y donne un enseignement confessionnel ou si elles sont dotées de facultés de théologie, droit canonique, etc. ; c’est le cas de nombre d’établissements supérieurs d’Allemagne, d’Autriche, de Pologne et, chez nous, de l’université de Strasbourg.

L’idée des universités catholiques s’est imposée le jour où les universités existantes non seulement ont fait abstraction de l’Église et de sa doctrine en supprimant les chaires de sciences religieuses, mais encore ont donné un enseignement plus ou moins hostile à cette même doctrine, en s’écartant du spiritualisme chrétien.

L’Église ayant reçu de son divin fondateur la mission universelle d’enseigner, s’en est acquittée dans tous les temps et sous toutes les latitudes. Le haut enseignement a toujours été l’objet de ses soins, ainsi que nous l’avons vu. C’est pourquoi, au Moyen Age, elle fonda des universités, qu’elle défendit ensuite et souvent entretint de ses deniers. À cette époque, le qualificatif de « catholique » ajouté au mot université n’eût été qu’un pléonasme. Les universités étaient catholiques, comme l’Église qui les avait semées. Elles participaient quelque peu à son universalité et aussi à son unité, car tous ces établissements de hautsavoir n’étaient alors que les diverses maisons de cette université unique, enseignant au nom de l’Église aux étudiants du monde entier. Est-ce que quelques-uns de ses professeurs n’obtenaient pas l’autorisation enviée « d’enseigner partout, en tous les lieux de la terre », licentia docendi hic et ubique terrarum ?

La constitution des nationalités rompit cette unité. Les universités se détachèrent de l’Église et devinrent tributaires du gouvernement de leur pays. Les chefs d’État se les annexèrent progressivement pour en faire des instruments dociles entre leurs mains, et aptes à servir leurs desseins.

Lorsque ces desseins furent hostiles à l’Église, ou même visèrent à établir l’indifiérentisme religieux, alors l’enseignement de la vérité révélée, même au degré supérieur, s’imposa à l’Église. Le moyen qu’elle jugea le plus approprié au xixe siècle fut la fondation des universités catholiques.

Ce que ne sont pas les universités catholiques.

Pour répondre à des objections qui ont été formulées hier et aujourd’hui contre leur création ou leur maintien, soit par des incroyants, soit même par des croyants, nous dirons tout d’abord ce que les universites catholiques ne sont pas et ne veulent pas être.

1. Elles ne sont pas des organismes politiques, ni dès centres d’opposition au pouvoir établi. Leurs fondateurs se sont toujours défendus de vouloir faire œuvre politique, pas plus qu’œuvre de combat ou de parti pris. Il est vrai que la science politique, qui est la science de la « cité », peut être l’objet de leur enseignement. Mais, s’il s’agit d’action purement politique, dans laquelle la morale n’est pas intéressée, l’Église se l’interdit comme étant hors de son domaine ; elle défend même à ses pasteurs de se mêler aux querelles des partis. Quant à sa doctrine, c’est celle de la soumission loyale au pouvoir légitime ou simplement établi, quelle que soit sa forme, pourvu que les lois ou ordonnances respectent les droits de Dieu et les impératifs de la conscience.

2. Elles ne sont pas non plus des organismes de domination, même des intelligences, ou des instruments de dictature religieuse. Bien que la vérité soit une et possède des droits imprescriptibles, l’Église se garde de l’imposer par des procédés autoritaires. Elle respecte la dignité et la liberté de la personne humaine au point de proposer la doctrine qu’elle prêche au nom du Christ, plutôt que de l’imposer. Seuls les fidèles qui l’ont acceptée librement et sont entrés volontairement dans son sein peuvent être contraints d’accepter les conséquences logiques de leur démarche et de leur adhésion.

3. Elles ne sont pas davantage des établissements destinés à donner un enseignement rival de celui de l’Étal. Ce n’était pas la pensée des fondateurs ; ce n’est pas davantage l’intention des dirigeants d’aujourd’hui. L’Église respecte le domaine souverain de l’État, indépendant dans sa sphère. Mais elle revendique hautement et affirme par les faits son droit d’enseigner la vérité et toute vérité ; elle s’oppose seulement à tout monopole en matière d’enseignement.

4. Elles ne sont pas non plus des œuvres inutiles et superflues, faisant double emploi avec les établissements d’État. Outre l’enseignement des vérités proprement religieuses qui sont du domaine propre et exclusif de l’Église, l’Église n’a jamais renoncé à enseigner les vérités profanes, comme elle l’a toujours fait à travers les siècles. Cela, parce que la ligne de démarcation n’est pas toujours facile à établir entre le sacré et le profane ; mais surtout parce que, même s’il est vrai que la science est une, il y a plusieurs manières de la présenter. On peut enseigner les mêmes notions positives et les commenter différemment. Deux médecins, l’un spiritualiste, l’autre matérialiste, n’interprètent pas de la même façon les mêmes faits. Et puis, il n’y a pas que les mathématiques OU la grammaire : il y a la philosophie, l’histoire, celle des religions, de la littérature, les sciences naturelles. Il peut aussi y avoir des professeurs qui ne respectent pas la foi ou la morale chrétienne dans leur enseignement, parce qu’ils sont matérialistes et positivistes. A supposer que tous soient parfaitement corrects, l’Église n’a pas a attendre que des abus se soient produits pour prendre des mesures de sauvegarde de son patrimoine sacré.

5. Elles nr sont pas et ne Veulent pas être des instruments de division de l’opinion et de la jeunesse du pays. Car là, il faut bien distinguer entre une unité qui supprimerait tonte originalité et toute liberté « le pensée, et une union infiniment souhaitable et désirable. I.’unité dans le sens de 1’ « unicité i a été le

le tous les tyrans et de tous les régimes lotali taircs : l’idéal de la démocratie est l’union dans la diversité. L’Église ne réclame pas autre chose. Et, loin de dresser l’un contre l’autre deu dans’le le

jeunesse studieuse, p ; ir l’entretien de ses propres universités, (Ile voit très justement dans ces dernières

un instrument de paix intellectuelle. En initiant les travailleurs de l’esprit, dont elle veut sauvegarder et éclairer la foi, aux méthodes scientifiques reconnues par tous, l’Église crée entre les étudiants un premier terrain de rencontre et de rapprochement.

6. Enfin, les universités catholiques ne sont pas et ne veulent pas être de simples copies des universités d’État, respectueuses du dogme, sans doute, mais sans autre originalité. C’était déjà la préoccupation des premiers fondateurs, alors que l’on discutait sur les formules à adopter : « Ce qu’il nous importe de créer, disait le P. Didon, ce ne sont pas des succursales de l’Université de l’État dirigées par des catholiques. .. Des universités catholiques qui se fonderaient en ne regardant que le passé ne comprendraient pas la mission qui leur est échue : vieilles en naissant, elles ne pourraient aspirer à séduire ni à entraîner la jeunesse, et le jour de leur inauguration, serait celui de leur décès… » Ce qu’ont voulu leurs fondateurs, ce sont tout d’abord des établissements de haute culture religieuse « dans lesquels seraient enseignées toutes les sciences de l’ordre divin » ; puis un enseignement encyclopédique de toutes les sciences, mais dominé par la doctrine chrétienne. En un mot c’était vouloir renouveler « en la rajeunissant » la vieille synthèse doctrinale du xiiie siècle et réaliser une synthèse nouvelle de tout le savoir humain. C’est ce beau rêve que poursuivent aujourd’hui encore nos universités catholiques.

Ce que sont les universités catholiques.

Pour

les définir d’un mot, on pourrait dire qu’elles doivent être et sont effectivement « des foyers de haute culture et des centres d’éducation chrétienne ».

1. Foyers de « culture », et non pas seulement d’instruction ; car la culture ne se confond pas avec l’accumulation des connaissances scientifiques. Celles-ci peuvent faire le spécialiste et l’érudit, parfois l’original ; elles ne peuvent faire l’homme cultivé. « La culture, dit le P. Delos, résulte essentiellement d’une connaissance qui donne du jugement. » Un enseignement formateur n’est donc pas celui qui accumule dans l’esprit des matériaux scientifiques, mais celui qui, même s’il ne porte que sur un petit nombre de faits, révèle leur lien profond avec d’autres, les rattache à l’ordre total du réel.

Cette haute culture de l’esprit est absolument nécessaire, aujourd’hui comme hier, non seulement an clergé, mais encore aux fidèles. Pie XI le soulignait dans la Huile Deus scienliarum, 24 mai 1931. Cf. Acta apost, Sedis, t. xxiii, p. 242. L’évêque de Tarent aise. Mgr Turinaz, l’affirmait dès 1874 dans sa Lettre au cardinal Guiberl : « Ce que réclament en ce moment le clergé et les catholiques de France, c’est un enseignement vraiment supérieur, un enseignement dont la valeur, l’autorité, l’influence ne puissent être discutées et qui fasse apparaître de nouveau au milieu de nous ces écoles illustres vers lesquelles accouraient autrefois les élèves de toutes les nations. » Il n’est pas nécessaire que cet enseignement descende Jusqu’à la technique. Il pourrait même y avoir un grave danger à voir les universités se transformer en écoles pratiques de hautes études, (.’est la culture de l’esprit qui doit rester leur domaine propre.

2. Cette culture trouve dans les universités son foyer > à un double point de vue. D’abord parce que la vraie culture ne peut se (aire que dans un milieu homogène ; elle est un fruit de la Communauté. I, e milieu universitaire est d’une particulière efficacité, non seulement par sa puissance éducative, ainsi que nOU8 le SOUllgneron8, niais encore par sa valeur d’enseignement, la se trouve représenté l’ensemble des

sciences, dont les points de contacts sont indéniables. Quoi de plus favorable pour créer dans l’esprit non 2255

UNIVERSITÉS CATHOLIQUES

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seulement cette plénitude de savoir, mais encore cette aptitude à juger qui est le critère de la vraie culture ?

Mais les universités sont encore des loyers de culture par le rayonnement qu’elles exercent dans le temps et dans l’espace. Ce ne sont pas les seuls étudiants fréquentant les amphithéâtres qui bénéficient des richesses intellectuelles quotidiennement distribuées. Le haut enseignement des professeurs dépasse largement l’enceinte de l’Aima mater, soit par les publications qu’ils lancent dans le public, soit par les conférences qu’ils offrent aux auditeurs soucieux de culture. Les étudiants eux-mêmes, venus souvent de terres lointaines, s’en vont porter dans leurs pays respectifs, une fois leurs études achevées, la lumière dont ils ont été les premiers bénéficiaires.

En fait les universités catholiques, tant françaises qu'étrangères ont, malgré des imperfections et quelques erreurs, réalisé ce beau programme conçu dès leur fondation.

3. Enfin les universités catholiques doivent être et ont été aussi des « centres », on pourrait dire aussi justement des « foyers » d'éducation chrétienne. A dire vrai, une culture ne peut guère être neutre ; elle saisit l’homme tout entier, elle pénètre sa vie autant que son esprit, elle oblige à prendre parti, le parti de la vérité. Nos établissements supérieurs ne sont donc pas simplement des institutions où l’on enseigne la doctrine chrétienne en plus des autres sciences, mais où toutes les sciences sont enseignées dans un esprit chrétien. C’est pourquoi toutes les universités catholiques se glorifient de posséder une faculté de théologie ; ce n’est pas un pur symbole ou un simple rappel ; les connaissances qui y sont enseignées aident à faire pénétrer l’esprit authentiquement chrétien dans toutes les branches de la recherche scientifique et du haut savoir. L'Église n’aura parfaitement accompli sa mission éducatrice que si de ses institutions supérieures sont sortis « des savants plus savants parce que chrétiens, des théologiens plus théologiens parce qu’ils vivent dans une atmosphère de science ». Ainsi, les étudiants des universités catholiques ne sont pas seulement des étudiants « qui pratiquent » ; ce sont de jeunes catholiques qui, alimentant leur esprit aux sources de la vérité divine aussi bien qu’humaine, vivent d’une vie spirituelle particulière, dont la chapelle est à la fois le symbole et le centre. Ce que ne peuvent trouver ailleurs les étudiants catholiques, c’est ce « climat chrétien », éducateur par lui-même, ce genius loci, comme l’appelait Newman, et qui, sans chaire professorale, fait pénétrer par tous les pores l’influence salutaire.

Les réalisations.

Ce serait une erreur de croire

que la formule des universités catholiques est née dans le dernier quart du xixe siècle à la suite du succès de la campagne menée en France pour la liberté d’enseignement. En réalité les fondations françaises consécutives à la loi du 12 juillet 1875 donnèrent le signal d’une floraison d'établissements similaires dans la plupart des pays catholiques. Les mêmes besoins qui avaient fait naître chez nous ces établissements autonomes et catholiques d’enseignement supérieur se faisaient sentir ailleurs. On y pourvut par l’emploi des mêmes moyens.

1. Si université « catholique » était synonyme d' « université d’Eglise », c’est à la fin du Moyen Age qu’il faudrait remonter pour les premières fondations romaines. Sans parler de l’antique Sapience, dont les origines remontent à Boniface YIII (1303), quatre établissements de haut enseignement avaient vu le jour vers la fin du xvie siècle : le Séminaire romain (Lalran) avec plus tard son annexe pour le droit, à l’Apollinaire ; le Collège romain (université grégo rienne) ; l’Institut du Docteur angélique (AngelicumJ et le Collège de la Propagande. Cf. Italie, t. viii, col. 149-150. Mais ce n'étaient pas là des universités « libres », puisque soumises à l’autorité d’un prince temporel, le pape. Lorsque disparut l'État pontifical en 1870, ces divers établissements perdirent leur caractère universitaire, au moins pour un temps, sauf la Sapience qui devint université officielle du nouvel État italien, avec maintien de ses facultés canoniques.

Peu à peu les autres universités reprirent leur haut enseignement, ainsi que des fondations plus récentes. Ainsi « l’Académie des nobles », fondée en 1715, jouit du privilège de conférer les grades depuis 1815, et elle l’a conservé jusqu'à la constitution Deus scientiarum de 1931. Le Séminaire romain est doté d’une faculté de théologie (depuis 1824), de philosophie (1828), avec une faculté de droit civil et canonique (Apollinaire) depuis 1853. Le Collège urbain de la Propagande est une université avec faculté de théologie et de philosophie depuis 1929. l.'Angelieum (ancienne Minerve) a les trois facultés de théologie, philosophie et droit canonique. Tous ces instituts sont régis actuellement par la constitution Deus scientiarum. Plus récemment ont été reconnus comme « athénées » (c’est-à-dire universités) : le collège Saintvnselme (bénédictins), avec ses trois facultés (1933) ; le collège Antonien (1933) avec les deux facultés de théologie et philosophie. Enfin quatre instituts furent organisés pour donner des diplômes spéciaux l’Institut biblique (1916) ; l’Institut oriental (1917), tous deux confiés à la Compagnie de Jésus ; l’Institut d’archéologie (1925) et l’Institut de musique sacrée, fondé en 1910, réorganisé en 1922.

2. La plus ancienne fondation universitaire catholique « libre » est celle de Louvain, qui remonte à 1834. Voir Belgique, t. ii, col. 545-547. Ce fut une belle entreprise, pleine de foi et d’audace. Et ce fut non seulement un succès, mais encore un modèle. Le rôle qu’a joué et que continue à tenir aujourd’hui l’université de Louvain dans la vie catholique belge est considérable ; son influence dépasse d’ailleurs les frontières nationales. Deux mille étudiants y étaient inscrits en 1902. Aujourd’hui (1946), ce chiffre atteint près de huit mille. Seules les querelles linguistiques forment ombre au tableau et seraient capables d’entraver un essor toujours plein de promesses. Ajoutons que l’université « libre » de Bruxelles, ouverte dans la même année 1834 par la Libre-Pensée belge, a perdu, de nos jours, son caractère d’opposition sectaire et entretient avec V Aima Mater des relations cordiales. '

3. -Aux États-Unis, il faut mentionner, parmi les fondations antérieures à 1875, l’université NotreDame dans l'État d’Indiana. Les débuts remontent à 1842. C’est seulement en 1869 que fut introduite la faculté de droit ; la théologie fait défaut.

Il faudrait aussi mentionner, en Amérique du Nord, une université, qui ne fait pas partie de la Fédération, mais qui groupe un certain nombre de facultés et d'écoles : on y trouve théologie, médecine, philosophie et droit. C’est l’université Saint-Louis du Missouri, fondée en 1829. Aujourd’hui la faculté de théologie de Saint-Louis ne figure pas parmi les facultés de sciences ecclésiastiques approuvées depuis 1931.

4. Au Canada, la célèbre université Laval, nonsubventionnée par l'État, soutenue par le clergé, naquit en 1852 dans la ville de Québec. Montréal eut aussi son université propre, d’abord comme succursale de Québec en 1876, puis complètement indépendante à partir de 1919. Québec possède, comme au Moyen Age, les trois facultés de théologie, droit canonique et philosophie, plus une faculté des arts. MontU N I V E II S I T E S C A T H L 1 U E S

2 2T.S

réal ne possède que la faculté de théologie comme science ecclésiastique. Au point de vue profane, l’enseignement est complet dans les deux universités, qui ont un nombre considérable d’étudiants (plus de sept mille à Montréal en 1933).

L’université catholique de Manille aux Philippines, fondée en 1619, canoniquement érigée en 1645, fut déclarée université royale en 1785. Elle l’est restée depuis. À ce titre, elle n’a pas la qualité d’université libre, bien qu’elle soit pontificale depuis 1902. Elle a été réorganisée suivant la constitution Deus scienliarum de 1931.

5. En France, après la Révolution qui avait supprimé les anciennes universités, le monopole avait été établi par l’Empire. Cependant, sur l’initiative du cardinal Fesch, six facultés de théologie avaient été annexées aux universités de Paris, Aix, Bordeaux, Lyon, Rouen et Toulouse. Jamais elles ne fuient approuvées par le Saint-Siège parce qu’on y enseignait les articles de 1682. Parmi elles, seule celle de Paris (Sorbonne) avait quelque vie. Mais pas plus pour elle que pour les autres on ne put obtenir une approbation du Saint-Siège. Le ministre Freycinet les supprima toutes en 1886 en leur coupant les crédits.

Entre temps, la loi du 12 juillet 1875 ayant établi la liberté de l’enseignement supérieur, les fondations d’universités commencèrent la même année. Le législateur accordait trois choses dignes d’être soulignées : le titre d’université, pour les établissements groupant au moins trois facultés ; la possibilité d’être déclarés d’utilité publique ; la participation des maîtres à la collation des grades par l’institution de jurys mixtes.

Aussitôt des assemblées épiscopales régionales décidèrent la fondation d’universités telles qu’elles étaient définies par la loi. C’était une tache écrasante : il fallait tout créer, tout improviser, trouver des locaux, des bibliothèques, des laboratoires, recruter des maîtres, et aussi des étudiants, car on n’était pas fixé sur le nombre des universités à ouvrir, ni sur les territoires à attribuer à chacune d’elles. Cf. Mgr Baudrillart. Les universités catholiques de France et de l’Étranger, Paris, 1909, p. 68 sq.

Grâce à l’énergie du cardinal Guibert, de son coadjuteur Mgr Richard et plus encore de l’abbé d’HuIst, ^e futur recteur, la province ecclésiastique de Paris mit sur pied trois facultés : le 15 novembre 1875, celle de droit ouvrait ses portes, le 16 novembre celle des lettres et le 29 décembre commençaient les cours de sciences. L’inauguration solennelle de l’université eut lieu le 15 mars 1876. La faculté de théologie, conçue sur les bases françaises d’un enseignement supérieur et scientifique, après l’achèvement des cours réguliers du séminaire, trouvait à Borne des réticences, voire des oppositions. Ce n’est qu’en 1878 que le projet fut approuvé.

In essai de faculté de théologie fut tenté à Poitiers par Mgr Pie, selon la formule et les méthodes du Collège romain. Dès octobre 1875, elle reçut l’institution canonique. Mais elle n’eut jamais qu’une activité ralentie et ne survécut pas à son fondateur.

A Lille, l’université ouvrit ses poêles à la fin de 1.S70 avec les trois facultés de droit, lettres et sciences. A Angers, la fondation s’échelonna sur trois années : le droit en novembre 1875, les lettres en 1876 et les sciences l’année suivante. Mgr Freppel avail lait tout son possible pour rallier a sa circonscription univer sitaire les provinces de Tours. Bordeaux et les cinq

diocèses bretons. C’est seulement en 1913 que Boine décida le rattachement de ces derniers a Angers. Les

autres s’étaient partagés entre Toulouse et Paris.

A Lyon aussi, on Voulut faire vite, au moins pour (iccr de suite une faculté de droit, qui manquait a l’université d’État. Mais l’autorité académique refusa

de se laisser gagner de vitesse : les deux facultés « libre » et officielle ouvrirent leurs portes à l’automne de 1875. Les facultés catholiques de lettres et sciences suivirent en 1876, cependant qu’une école supérieure de théologie (érigée en faculté neuf ans après) fonctionna dès 1877.

A Toulouse on fit également assaut de diligence et d’audace : la faculté de droit ouvrit ses cours le 15 novembre 1877, les lettres l’année suivante et la théologie en 1879. Dans l’ensemble, malgré les improvisations, c’était une belle réussite.

La liberté conquise en 1875 était cependant loin d’être assurée. Dès 1876 les assauts commencèrent contre ce que Gambetta appelait la « loi désorganisatrice » ; il se proposait de la faire abroger. Le projet n’aboutit pas complètement. Cependant la loi du 18 mars 1880 retirait brutalement les principaux avantages accordés cinq ans auparavant : le titre d’université était enlevé à tous les établissements libres d’enseignement supérieur. Aucun d’eux ne pouvait être reconnu d’utilité publique qu’en vertu d’une loi. Les jurys mixtes étaient supprimés : tous les examens en vue des grades devaient être subis devant les facultés d’État.

On aurait pu craindre la ruine de l’œuvre entreprise. Que vont devenir les facultés libres ? se demandait Mgr d’Hulst dans une brochure parue en 1880. Mais la réponse n’était pas dans le sens de l’abandon. Il fallait, dit-il, poursuivre l’entreprise : la perte decertains avantages serait compensée par un accroissement de liberté.

Contre vents et marées, l’œuvre des instituts catholiques s’est poursuivie. Elle a fait et continue à faire de beau travail tant au point de vue scientifique que religieux. Cf. René Aigrain, Les universités catholiques, p. 41 sq., et Mgr Baudrillart, op. cit., p. 97 sep II y eut bien des heures sombres pour chacun de ces établissements. L’histoire fera le bilan des erreurs ou des insuffisances. Mais à l’actif restera un beau palmarès d’activités et de succès, qui a fait mentir le pronostic de Gambetta traitant dédaigneusement la loi de liberté de l’enseignement supérieur de « loi de l’enseignement inférieur » (le 6 février 1876).

6. Il nous faut, par raison de brièveté nécessaire, nous borner a une simple énuméralion des universités catholiques qui naquirent et se développèrent hors de France après 1875. La loi française ne les touchait aucunement, il est vrai. Mais l’élan donné et l’effort fourni dans notre pays devait trouver ailleurs des imitations fécondes.

L’université de Beyrouth, confiée aux jésuites, reçut son institution canonique en 1881, avec les deux facultés de théologie et de philosophie. Une école de médecine et une autre de pharmacie lurent créées en 1888 et 1889. Chose curieuse : les diplômes de médecine sont délivrés au nom de l’État français, par un jury présidé par des professeurs de l’université officielle de Lyon.

Pour l’Amérique du Sud, Santiago du Chili fut Choisi comme siège de la première université catholique. Fondée en 1888 avec une simple faculté de droit, elle vil le nombre de ses chaires se multiplier dans de nombreuses branches du savoir : sciences physiques et mathématiques, architecture et beaux ails, chimie et électricité, agronomie, commerce, philosophie, médecine, pharmacie, etc. Le Saint-Siège l’a instituée canoniquement en 1930. Le nombre de ses étudiants atteint presque (rois mille.

Washington commença en 1889 par une faculté des sciences qui reçut du Saint-Siège le droit de conférer les grades. Les accroissements suivirent, mais lente

ment. On eùl pu craindre une catastrophe au début

de ce siècle. Mais le redressement est venu rapide

Aujourd’hui l’université est en pleine prospérité matérielle et intellectuelle.

lin Extrême-Orient, les jésuites avaient fondé l’université « Aurore » à Changhaï. Elle ; i subi les contrecoups douloureux des événements politiques et mili-I aires au cours de ces vingt dernières années. Mais elle se maintient et semble pouvoir conserver son activité.

1/ université catholique de Pékin a eu, elle aussi, de graves dommages à subir du fait de la dernière guerre avec le Japon. Les dillicultés intérieures ne sont pas moindres. Cependant elle garde confiance dans l’avenir de la Chine nouvelle. Fondée en 1921, puis déchue par le gouvernement de Nankin, elle a retrouvé son titre en 1931. Elle est dirigée par la Société du Verbe divin.

Tokio possède aussi, depuis 1913, une université canoniquement approuvée. Elle était en 1935 en pleine activité. Il’semble qu’elle n’aura pas à subir de conséquences désastreuses de la récente défaite du Japon, car une bonne partie de ses professeurs sont des nationaux.

En Pologne, Lublin fut fondée en 1918 et reconnue par le gouvernement en 1925 et 1928, sans devenir université d’État. La dernière guerre a arrêté un bel essor. Sur son avenir immédiat, on ne peut être que réservé.

L’Italie a eu sa première fondation libre à Milan, avec l’université du Sacré-Cœur, fondée en 1921. Ses diplômes ont valeur officielle d’après le Concordat. Sous l’habile impulsion du P. Gemelli elle a un rayonnement qui dépasse les frontières de la péninsule.

Deux facultés de théologie existent encore en Italie, l’une à Naples, au « Séminaire royal de Campanie », fondée en 1918 ; l’autre à Cagliari (Séminaire sarde du Sacré-Cœur), dont la fondation est de 1927. Toutes deux sont confiées à la Compagnie de Jésus.

La Hollande possède une université catholique à Nimègue, depuis 1923, avec les trois facultés canoniques de théologie, droit canonique et philosophie. C’est l’université <> Charlemagne », qui englobe également plusieurs instituts spéciaux.

L’Irlande n’a pas de véritable université catholique. Elle possède cependant l’équivalent dans le séminaire Saint-Patrick de Maynooth, qui comprend les trois facultés de théologie, philosophie et droit canonique, mais est rattaché à l’Lmiversité nationale d’Irlande.

Enfin nous ne parlons que pour mémoire de Salzbourg (Autriche) qui est université d’État, et dont la faculté libre de théologie est toujours en projet. De même Fribourg (Suisse) est une université d’État, bien que catholique.

Et, pour terminer, mentionnons l’existence d’une Fédération des universités catholiques, fondée en 1924 sur l’initiative du P. Gemelli et favorablement accueillie par Pie XI. Ayant un caractère international, elle favorise les relations entre les divers établissements d’enseignement supérieur libres en vue d’une action commune, de publications scientifiques, d’échange de professeurs ou d’étudiants, etc. Les universités d’État, même catholiques, n’y sont pas admises.