Dictionnaire de théologie catholique/UNIGENITUS (Bulle) I. Procédures pour l'acceptation

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 266-274).

UNIGENITUS (Bulle). — La bulle Unigenitus Dei Filius qui condamne cent et une propositions extraites du livre des Réflexions morales de Quesnel fut publiée à Rome le 8 septembre 1713. Cette bulle que le roi Louis XIV avait enfin arrachée au pape Clément XI par des démarches multipliées (voir ici, t. xiii, col. 1528-1535) souleva des polémiques interminables qui ont rempli toute la première moitié du xviiie siècle : l’histoire de ces discussions a été racontée en d’innombrables volumes, plus ou moins passionnés : la décadence religieuse d’abord, puis, à la fin du siècle, la Révolution furent les conséquences naturelles de ces divisions qui discréditèrent l’autorité royale et l’autorité religieuse et favorisèrent le développement de l’incrédulité.

Les jansénistes furent d’abord surpris et décontenancés : ils étaient convaincus que Rome ne condamnerait jamais, par une bulle, un livre qu’elle avait déjà condamné par le bref Vineam Domini Sabadth, mais ils se ressaisirent bientôt et leurs attaques furent plus violentes. « La bulle est l’ouvrage du diable. C’est un essai des tentations de l’Antéchrist… La foi, la morale, la discipline, tout cela se trouve mortellement blessé par la condamnation étonnante des cent et une propositions… » « Les propositions qu’elle condamne renferment les vérités les plus essentielles du christianisme. » « Cet affreux décret renverse la religion tout entière ; elle condamne ce que Jésus est venu enseigner et elle enseigne tout ce que Jésus a condamné… » « Dénoncer au concile cette constitution, c’est sauver la foi, la morale et la discipline. » L’avertissement du Quatrième gémissement signale « les vérités obscurcies dans cette surprenante bulle, les règles de la discipline et des mœurs dangereusement attaquées, tous les fondements de la religion ébranlés… »

Pour donner une idée aussi exacte que possible de la bulle Unigenitus, il paraît nécessaire : 1. d’indiquer sommairement les procédures suivies en France pour son acceptation, soit devant le Parlement, soit devant l’assemblée du clergé ; 2. de donner une analyse détaillée des cent et une propositions, pour en faire saisir le sens et la portée ; 3. de donner un aperçu des objections répandues par les jansénistes dans leurs nombreux écrits, et les réponses faites par les défenseurs de Rome. —
I. Procédures pour l’acceptation de la bulle.
II. Analyse de la bulle, col. 2078.
III. L’agitation autour de la bulle, col. 2125.
IV. Polémiques autour de la bulle, col. 2134.

I. Procédures pour l’acceptation de la bulle en France. La bulle Unigenitus arriva à Fontainebleau le 25 septembre 1713. Le Roi, écrit Daguesseau dans ses Mémoires, fut si heureux que, contrairement à ses habitudes, il ne demanda point de nouvelles de la Constitution, plus maître de cacher sa joie que de cacher son impatience.’De fait, il pouvait croire que tout était bien fini. Le cardinal de Noailles aval ! plusieurs fois promis qu’il se soumettrait, si le livre de Quesnel étail condamné, dans les formes canoniques, par le souverain pontife, et lui-même avait donné l’assurance que la censure pontificale serait acceptée sans réserve par tout l’épiscopat, D’autre part, le cardinal de La Ttémollle, ambassadeur à Home, avait affirmé que la bulle ne contenait aucune expression qui pût provoquer l’opposition des parlementaires. Dans son empressement, le roi crut qu’il pourrait faire expédier sans retard des lettres patentes, qui seraient enregistrées, connue l’avait été l’Édit de Nantes, a la Chambre des vacations du Parlement. Ainsi la bulle serait loi de l’Église et loi de l’État, elle serait aussitôt appliquée et on pourrait poursuivre les partisans de l’hérésie et les opposants à la bulle, s’il s’en rencontrait.

Tel était aussi l’espoir du pape, dans la lettre qu’il avait envoyée au nonce. Celui-ci devait se présenter au roi et lui faire connaître ses intentions : « Il a voulu détruire le venin d’une doctrine perverse qui a été jusqu’ici d’autant plus contagieux qu’il a été plus caché. » Il espère que cette constitution « fera tout rentrer paisiblement dans la voie de la vérité et de l’unité. » Mais, pour cela, il faut que le Roi « accorde son appui et un secours tout puissant pour que les efforts des esprits inquiets et rebelles « soient réprimés et que la présente décision du Siège apostolique soit universellement reçue dans toute l’étendue de vos États ».

Ces espoirs du roi et du pape furent déçus et l’acceptation de la bulle provoqua de vives oppositions devant le Parlement et devant le clergé. L’étude de ces oppositions permettra de saisir sur le vif les thèses du gallicanisme parlementaire. D’autre part, les délibérations longues et délicates de l’assemblée du clergé mettront à nu les prétentions du gallicanisme épiscopal. Les procédures parlementaires et épiscopales compliquèrent la tâche de l’autorité royale, et par le fait même, laissèrent aux jansénistes le temps d’envenimer les querelles. Suivant le mot de Daguesseau, dans ses Mémoires, la bulle « devint la croix non seulement des théologiens, mais encore des premiers magistrats du royaume ».

Procédures devant le Parlement.

Daguesseau a laissé un récit pittoresque (publié par M. Gazier en 1920) des séances du Parlement : avec ces notes et celles de Joly de Fleury, il est facile de se représenter l’état des esprits. Le roi pensait faire expédier des lettres patentes par le Parlement et il parla de son projet au Président de Mesmes qui proposa de rassembler chez lui les membres du Parlement. Il convoqua les avocats généraux et Daguesseau, qui se rendirent, le 27 septembre, chez lui. « Nous devenons presque théologiens malgré nous », écrit Daguesseau. Les réunions ont lieu chez de Mesmes, malade. Les 27 et 28 septembre, on lut la bulle. Daguesseau note qu’il lui échappa de dire, que, comme procureur général, il avait intérêt à demander que cette bulle fût déposée au greffe du Parlement, pour être une preuve durable et un monument éternel de la faillibilité du pape. « Ce fut de la surprise, de l’étonnement, de l’indignation, écrit Daguesseau. » Les questions posées furent les suivantes : les lettres patentes doivent-elles précéder ou suivre la délibération des évêques ? Comment la constitution serait-elle adressée ? Comment et avec quelles précautions pourrait-elle être enregistrée au Parlement ? Le 20 septembre, Daguesseau, ayant vu le roi, reçut les avocats généraux chez lui et présenta un Mémoire sur la constitution elle-même et sur la manière de la recevoir.

Les magistrats acceptèrent dans ses grandes lignes le Mémoire de Daguesseau. Pour la constitution en elle-même, dans sa Forme extérieure et au point de vue des maximes gallicanes, on ne pouvait rien dire : Rome n’a jamais envoyé en France une bulle plus innocente et moins contraire aux usages du royaume ; on n’y trouve pas les clauses accoutumées ; on n’y dit pas ipie la bulle est émanée du pro/ire mouvement du pape, mais on y fait mention des instances réitéde Sa Majesté, et on n’a pas mis la clause Derernetltes, qui restreint le pouvoir des évêques. Sans doute, on y cite le décret du 13 juillet 1708 (qui condamnait le livre de Quesnel), non reçu en France, mais on pourrait, dans l’enregistrement, dire qu’on n’entendait recevoir ci approuver que les condamna

lions prononcées par la constitution présente ; pour les clauses insérées à la fin de la bulle, il suffirait que le Parlement fît les réserves usitées pour empêcher qu’on pût en abuser.

Sous cette réserve et d’autres, la bulle pouvait être acceptée. Quant au fond, il s’agissait de questions théologiques, dont le jugement appartenait aux évêques et pour lesquelles des magistrats séculiers n’avaient point de compétence.

La constitution devait être acceptée, comme la bulle qui avait condamné les Maximes des saints, dans les assemblées provinciales des évêques de chaque province. Une assemblée générale de tous les évêques présentait trop de difficultés. L’envoi de la bulle à chaque évêque exigerait trop de temps et n’aboutirait pas à une acceptation uniforme. Une assemblée des évêques réunis fortuitement à la Cour ne serait pas canonique et ne procurerait pas la paix. L’assemblée provinciale était donc le moyen le plus pratique et le plus efficace. D’autre part, c’était la tradition constante. Sans doute, pour l’acceptation de la constitution d’Innocent IX contre les cinq propositions, on s’était contenté d’abord de l’acceptation des évêques qui se trouvaient à la Cour, mais cette forme d’acceptation avait été jugée si peu solide, à cette époque même, qu’elle fut fortifiée par une acceptation plus solennelle dans l’assemblée générale du clergé de 1656 et ce ne fut qu’après cette dernière acceptation que le roi dressa des lettres patentes au Parlement pour la publication de la bulle. Après cette acceptation doctrinale par la voie la plus sûre et la plus prompte, le Parlement pourrait enregistrer les lettres patentes pour la publication de la bulle dans tout le royaume. Ainsi l’acceptation des évêques devait précéder l’enregistrement de la bulle au Parlement.

Fleury et Lamoignon approuvèrent le Mémoire de Daguesseau, mais Chauvelin y fit des objections. Des observations furent faites : on supprima une allusion à la condamnation du Nouveau Testament de Mons et la question de la lecture de l’Écriture sainte, parce que la décision de ces deux points appartenait aux évêques. Puis on examina si les lettres patentes devaient précéder ou suivre l’acceptation des évêques.

Le Mémoire fut présenté au roi le 2 octobre. L’audience fut courte et très froide. Joly de Fleury commença à exposer les difficultés qui s’opposaient à la publication de la bulle. Pour abréger la séance, le roi demanda qu’on lui remit le Mémoire et il ajouta : « des difficultés, on en peut faire sur tout ». Il aurait voulu l’enregistrement de la bulle à la Chambre des vacations, comme pour l’édit de Nantes.

Cependant le roi consulta son conseil secret, qui décidait en matière ecclésiastique. C’était le P. Le Tellier, l’évêque de Meaux, Bissy, et le secrétaire d’État, Voysin. Le premier aurait voulu que, sans aucune formalité, le roi donnât des lettres patentes pour autoriser la bulle, qui serait ensuite envoyée à chaque évêque, pour qu’il la publiât dans son diocèse. Bissy était d’avis que le roi assemblât les évêques pour délibérer sur l’acceptation de la bulle, après l’enregistrement des lettres patentes. Enfin Voysin approuva d’abord le P. Le Tellier, puis proposa d’assembler les évêques qui se trouveraient à la Cour. En réalité, les avis étaient très partagés. L’affaire fut mise en délibération au Conseil du 4 octobre ; on se trouva d’accord pour demander l’assemblée des évêques présents à Paris, et le roi choisit ce parti. Comme l’évêque de Meaux rappelait l’heureux succès des assemblées provinciales en 1699 pour la condamnation des Maximes des saints, le roi fit remarquer que l’archevêque était alors seul de son parti et que personne ne soutenait son livre, tandis que le livre de

Quesnel était soutenu par un parti puissant. Comment arriverait-on à l’unité et à l’uniformité, si les assemblées se partageaient ?

La bulle et l’assemblée du clergé.

Dès que la

décision fut prise, des ordres furent donnés pour réunir les évêques qui se trouvaient à Paris et à la Cour. L’assemblée, à la composition de laquelle le P. Le Tellier s’était spécialement intéressé, serait présidée par le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, qui avait mérité cet honneur par la publication de son mandement du 28 septembre, dans lequel il condamnait le livre de Quesnel, parce qu’il avait appris la condamnation portée par le pape. Le cardinal justifiait sa conduite par la promesse qu’il avait faite de se soumettre, dès que le pape aurait prononcé un jugement authentique.

L’assemblée fut convoquée [jour le lundi 16 octobre, à l’archevêché. Voir Archives Nal., G 8 6 73, minute du procès-verbal de l’assemblée des cardinaux, archevêques et évêques, tenue à Paris, en l’année 17131714(160ctobrel713au5février 1714). Au début delà séance, Noailles lut la lettre du roi, dans laquelle Sa Majesté rappelait que, sur ses instances réitérées, le pape avait condamné le livre des Réflexions morales, par la bulle du 8 septembre ; une copie de cette bulle fut remise aux évêques. Le roi demandait que l’on travaillât incessamment aux moyens les plus convenables pour la faire accepter d’une manière uniforme dans tous les diocèses du royaume ; après cette acceptation, le roi ferait expédier des lettres patentes pour la publication et l’exécution de cette bulle dans toute l’étendue du royaume. Puis Noailles fit l’apologie de sa conduite à l’égard de Quesnel et de son livre : après les approbations déjà données à ce livre, il avait cru que sa lecture n’était pas dangereuse, mais puisque le pape en jugeait autrement, il se soumettait sans peine à sa décision. S’il ne l’avait pas fait plus tôt, c’est qu’il n’avait pas voulu céder aux injures et aux calomnies. Voir un résumé de ce discours dans les Anecdotes et dans Vincent Thuillier, Histoire de la Constitution Unigenitus, p. 196-197. Puis il proposa de nommer des commissaires pour examiner la bulle. À cette première assemblée, assistaient vingt-neuf évêques auxquels vinrent s’en joindre, plus tard, vingt-trois autres.

Une commission fut nommée : le cardinal de Rohan en fut le président, avec, comme membres, l’archevêque de Bordeaux, Bazin de Bezons, l’archevêque d’Auch, Jacques Desmarets ; l’évêque de Meaux, Bissy, celui de Blois, Berthon, celui de Soissons, Brulart de Sillery. Le promoteur était l’abbé de Broglie. La première réunion eut lieu le 18 octobre chez le cardinal de Rohan et le lendemain à l’archevêché. Les autres réunions se tinrent ou chez le cardinal de Rohan, ou chez le cardinal de Noailles, et celui-ci, en sa qualité de président de l’assemblée, assista aux conférences.

Noailles n’avait donné aucune solennité à l’ouverture de l’assemblée, sous prétexte que le temps pressait. Pour éviter toute contestation ultérieure, le roi ordonna que l’assemblée se fît avec toutes les cérémonies qui pourraient la rendre plus solennelle. Voir Procès-verbaux du Clergé, col. 1254. Une messe du Saint-Esprit fut dite le 21 octobre dans la chapelle de l’archevêché ; il n’y eut pas de sermon, mais tous les évêques assistèrent à la messe, en rochet et camail. Le baiser de paix fut donné à tous par le cardinal de Noailles, qui célébra la messe. Tous les députés prêtèrent serment et, après la messe, Noailles invita tous ces Messieurs à déjeuner. Journal de Dorsanne, t. i, p. 46. Le serment est cité par Thuillier, op. cit., p. 203.

Le travail de la commission dura trois mois ; chacune des propositions fut examinée en détail et Bissy

dira plus tard : on vérifia si les cent une propositions, rapportées par la bulle, se trouvent dans les éditions désignées, on examina tout ce qu’on opposait à la bulle dans les écrits imprimés ou manuscrits. Ce fut, en effet, un véritable déluge de libelles, en prose et en vers. Quesnel envoya plusieurs mémoires. D’après lui, la constitution frappait, d’un seul coup, cent une vérités, tirées de saint Augustin. Recevoir cette constitution, ce serait causer un grand dommage à la doctrine chrétienne, à la discipline de l’Église et à la piété. Il fallait demander au pape d’expliquer plus clairement sa pensée. Les jansénistes en général, voulaient obtenir des évêques une déclaration formelle qu’ils étaient juges de la constitution ; Rome, pensaient-ils, protesterait et la constitution n’aurait pas plus de succès que la bulle Vineam.

La question avait déjà été portée devant le public. Un écrit anonyme, qu’on attribue à Tournely, demandait comment les évêques devaient recevoir la bulle : serait-ce par un jugement d’examen et de discussion, ou bien par un jugement d’acceptation et d’obéissance ? S’appuyant sur la Relation des délibéralions du clergé de France pour la réception des constitutions d’Innocent X et d’Alexandre VII et pour la réception de la bulle qui condamnait les Maximes des saints, l’auteur donnait une conclusion ferme : lorsqu’on consulte le pape et qu’on lui demande un jugement, on accepte implicitement son jugement. Les évêques auraient pu juger la cause en première instance, mais la cause ayant été portée au Saint-Siège, les évêques doivent accepter la décision qu’on a demandée. Les évêques ne peuvent juger le jugement du pape ; seul, le concile œcuménique est supérieur au pape et pourrait réformer ses jugements.

Cet écrit ne paraît pas avoir été imprimé, mais il fut connu et Daguesseau fit un mémoire pour y répondre. Les évêques, d’après lui, sont juges dans les matières de foi et de discipline ; ils peuvent juger avec le pape, soit avant, soit après lui. S’ils oublient ce droit, les magistrats protesteront pour le maintien des libertés de l’Église gallicane. Sans doute, les évêques doivent respecter les décisions du Saint-Siège, mais ils ont le droit et le devoir d’examiner les propositions condamnées par Rome, surtout lorsque les censures sont globales et indéterminées, car elles sont inégalement condamnables : quelques-unes ne sont que téméraires ou malsonnantes et, par conséquent, elles pourront, en d’autres temps, devenir soutenables. Telle est la thèse de Daguesseau. Les écrits se multipliaient de façon inquiétante : beaucoup soulignaient les obscurités de la bulle, la diversité des sens dont les propositions condamnées étaient susceptibles et dont quelques-unes semblaient empruntées à l’Écriture et aux Pères ; surtout, faisait-on remarquer, les censures étaient données in globo, sur des propositions dont aucune n’était qualifiée en détail.

A Rome, on était inquiet. Une dépêche au nonce, en date du 28 octobre (Thuillier, op. cit., p. 207-214) indiquait ce qu’on attendait des évoques de France : ils devaient imiter la conduite des évêques à l’égard des constitutions d’Innocent X et d’Alexandre VII, et non point vouloir faire de la bulle un examen semblable à celui qui fut fait de la bulle Vineam Domini. Le clergé ne saurait s’arroger le droit de soumettre à son examen les décisions du pape pour en juger. D’ailleurs, toutes les propositions méritaient absolument d’être cer uré< i, telles qu’elles étaient couchées, sans qu’il fût besoin de dire qu’elles étaient condamnables dans le sens de l’auteur ; les censures étaient portées rrsprrlinrnient et toutes les propositions condamnées étaient condamnables en quelques-uns de leurs sens ; cela suffisait pour justilier la constitution.

Elle devait être acceptée purement, simplement, absolument avec toute la soumission qui lui était due ; d’ailleurs, le roi avait promis formellement qu’il en serait ainsi ; il avait demandé au pape un jugement. « Ce serait une chose monstrueuse et en même temps outrageante pour le Saint-Siège, si l’on permettait qu’après un jugement si solennel, les évêques se donnent la liberté d’y retoucher. Ce ne serait plus les évêques qui se soumettraient au jugement du pape, mais ce serait le pape qui serait soumis au jugement des évêques. »

Les membres de la commission étaient d’accord, mais pour arriver à une unanimité parfaite, ils désiraient connaître les sentiments intimes de Noailles, qu’ils redoutaient de voir résister à Rome. Le 21 novembre, le cardinal de Rohan eut une longue entrevue avec Noailles. Celui-ci, avec tous les disciples de Jansénius, exposa son sentiment : parmi les propositions condamnées, certaines étaient, en propres termes, dans saint Augustin et dans les Pères de l’Église et, par conséquent, on ne pouvait pas les condamner purement et simplement ; le plus court était d’accepter la constitution, quant à la condamnation du livre de Quesnel, mais on ne pouvait l’accepter quant à la condamnation des cent une propositions, à moins d’indiquer le sens condamné de certaines propositions. Mais, répliqua Rohan, cette distinction des articles vrais et des articles faux n’est pas supportable. Ce serait faire, pour ainsi dire, la leçon au pape. « On pourrait, peut-être, dans un mandement, en forme d’instruction, indiquer le sens condamnable des propositions qu’on jugerait susceptibles d’un sens vrai. Le sens de l’acceptation serait ainsi marqué dans le mandement, qui servirait de préambule. Cela satisferait à la vérité, aux intentions du roi, au respect que nous devons au pape et à ce que nous nous devons à nous-mêmes. »

Noailles répondit que ce serait une tromperie, car l’acceptation qu’on dirait pure et simple, en réalité, ne le serait pas, puisqu’elle serait relative aux explications données dans le mandement ; d’ailleurs, Noailles ajouta qu’il voulait réfléchir et consulter quelques prélats. Le 10 décembre, il apporta sa réponse : il n’accepterait la bulle que si elle était précédée du rapport entier et d’une instruction pastorale à laquelle l’acceptation serait liée. Durant plusieurs jours, Rohan et Bissy travaillèrent très activement pour rédiger un mandement qui put satisfaire les exigences de Noailles et de ses amis. D’autre part, le rapport de la commission fut achevée au mois de décembre et il fut présenté à l’assemblée générale. Aussitôt la bataille commença. L’archevêque de Bordeaux aurait voulu qu’on publiât la constitution, avec un court préambule de quelques lignes, pour répondre aux objections soulevées par les jansénistes ; mais l’évêque d’Évreux, Le Normand, fut d’avis que ce préambule serait l’occasion de nouvelles polémiques ; plusieurs évêques se rallièrent à lui : il ne fallait lier la bulle à aucune explication qui pût paraître un jugement. D’après Rohan, une instruction est nécessaire, non point pour servir d’explication a la bulle, mais pour instruire les pasteurs et les fidèles et prémunir contre les libelles artificieux des jansénistes.

A l’occasion du jour de l’an, les réunions furent interrompues et, au début de janvier 1711. certains évêques proposèrent de rédiger une instruction pastorale, qui serait publiée dans chaque diocèse, En dépit de certaines oppositions, la majorité se décida pour une acceptation pure et simple, aee une instruction pastorale qui serait publiée après l’acceptation. Bref, deux part is étaient nettement dessinés au sein de

l’assemblée. Pour Rohan et la majorité, l’instruction

devait servir non point à expliquer la bulle, mais a 2067

    1. UNIGENITUS (BULLE)##


UNIGENITUS (BULLE). A L’ASSEMBLÉE DU CLKRGÉ

instruire les fidèles contre les attaques des jansénistes. Pour Noailles et ses huit adhérents, l’instruction devait être détaillée et s’appuyer sur L’Écriture et les Pères, car les évêques devaient parler en évêques et l’instruction devait surtout expliquer la bulle.

Rohan rédigea une instruction et Bissy en composa une autre. Les deux prélats combinèrent leur travail, le 3 janvier 1714, et, dès le lendemain, à l’archevêché, Noailles entendit la lecture de l’instruction ainsi arrangée. Il demanda des corrections, qui furent toutes accordées, dit Lafitau.

L’Instruction pastorale que les jansénistes ont si vivement attaquée (Procès-verbaux, col. 1260-1299) expose et réfute les sentiments de Quesnel sur la grâce nécessitante, sur les vertus théologales et la lecture de l’Écriture sainte en langue vulgaire. Elle établit la vérité, la visibilité, l’autorité et la sainteté de l’Église, la discipline et l’obéissance due à l’Église. L’instruction n’a d’autre but « que de faciliter aux fidèles l’intelligence de la bulle et de les prémunir contre les mauvaises interprétations par lesquelles des personnes malintentionnées tâcheraient d’en obscurcir le vrai sens… ». Noailles refusa de signer cette lettre.

Pour qu’il n’y eut pas de surprise, au jour de l’assemblée générale, Rohan convoqua chez lui tous les députés. Les lettres que le P. Timothée écrivit pour lors à Clément XI, mettent en relief les efforts de Rohan et de Bissy pour obtenir l’unanimité des évêques et vaincre l’opposition de Noailles et de ses amis.

Comme Noailles aurait voulu un Précis de doctrine, le roi consulté repoussa cette demande, car ce précis serait « une pomme de discorde » ; d’ailleurs, une dépèche de Rome au nonce, à la date du 6 janvier, rappelait au roi sa promesse de faire accepter la bulle purement et simplement. Après l’acceptation, les évêques pourraient, s’ils le jugeaient à propos, faire des discours, dresser des instructions pour les fidèles ; pour excuser les retards, on pourrait dire qu’on s’était employé à concerter les instructions et mandements que les évêques voulaient publier dans leurs diocèses. L’autorité pontificale serait blessée, si on disait que ces longs délais avaient été employés à examiner la bulle.

Le vendredi 13 janvier, Noailles convoqua les sept évêques qui étaient d’accord avec lui, contre la majorité et ils décidèrent de dresser une Déclaration pour expliquer à leurs confrères qu’ils se séparaient d’eux : ils demandaient des explications, parce que la bulle est obscure et on ne peut l’accepter qu’avec des explications. Les évêques sont les juges de la foi : « Nous demandons qu’on ne donne pas à la Cour de Rome une juste raison de croire que nous n’agissons que comme de simples exécuteurs de ses décrets. » « Il n’y a entre nous (et les autres évêques) aucune contestation sur les vérités de la foi ; nous sommes tous d’accord de condamner non seulement les hérésies proscrites dans les cinq fameuses propositions, tirées du livre de Jansénius, mais encore toutes les autres erreurs que nous croyons que le pape a condamnées par sa constitution. Il s’agit donc uniquement de savoir si les évêques doivent parler comme ils pensent. » Ils sont décidés à proscrire le livre des Réflexions, et, pour cela, ils sont unis au pape dans le principal objet de la bulle. Cette lettre est signée du cardinal de Noailles, de l’archevêque de Tours et des évêques de Verdun, Laon, Chalon-sur-Saône, Boulogne, Auxerre et Bayonne.

Les évêques de l’assemblée protestèrent contre les ternies de cette lettre et contre la lettre que les opposants envoyèrent aux agents du clergé, pour indiquer les motifs de leur séparation. Le roi apprit cette

réunion des évêques opposants et il fit aussitôt écrire à Noailles pour lui ordonner de se trouver avec ses amis à l’assemblée des évêques, pour y exposer leurs raisons, « avec toute liberté d’expliquer leurs sentiments ». L’assemblée générale eut lieu le lundi 15 janvier, à l’archevêché. Les dissidents y assistèrent, « mais en simples témoins », écrit Joly de Fleury ; les évêques étaient au nombre de cinquante. Le cardinal de Rohan exposa, en détail, les travaux de la commission et les justes raisons qui avaient fait condamner le-livre de Quesnel ; il rappela que Bossuet avait tenté de corriger ce livre, mais qu’il avait avoué, depuis, qu’il n’était pas possible de le faire et qu’il fallait le refondre d’un bout à l’autre ; ces efforts reconnus inutiles condamnaient le livre des Réflexions. Puis Rohan résuma les objections faites à la bulle : elle était trop chargée ; elle condamnait des propositions corrigées dans les plus récentes éditions ; quelques propositions condamnées étaient susceptibles d’un sens catholique et quelques-unes se trouvaient en propres termes ou en termes équivalents dans les saints Pères et chez saint Augustin… Rohan répondit qu’il était nécessaire de condamner les différentes erreurs répandues dans ce livre, même dans des éditions anciennes, toujours en circulation ; les propositions condamnées étaient au moins dangereuses, équivoques et susceptibles d’un mauvais sens, à cause de leur ambiguïté ; il était légitime de les proscrire surtout dans un livre à l’usage du peuple ; d’ailleurs, les hérétiques ont coutume d’emprunter des expressions aux Pères, et des disputes récentes avaient prouvé qu’on avait employé ces expressions dans des sens condamnables. Rohan justifiait les condamnations globales des propositions contre des novateurs subtils qui ne cherchent qu’à provoquer des discussions, afin d’insinuer artificieusement les erreurs qu’ils voulaient enseigner : la multitude des propositions, l’ambiguïté et les termes captieux de plusieurs d’entre elles, la diversité des matières, la disposition des esprits, l’indocilité et l’ardeur d’un parti qui ne cherche qu’à écrire et qu’à disputer sur tout, le zèle de certains théologiens qui, en combattant les nouveautés, poussent leur censure trop loin ; tous ces motifs ont déterminé le souverain pontife, dans un jugement semblable, à se conformer à la forme du concile de Constance. Le concile de Constance contre les erreurs de Wiclef et de Jean Huss, la constitution de Pie V confirmée par plusieurs papes, les deux bulles contre Molinos et contre les Maximes des saints fournissent des exemples authentiques de condamnations portées sans des qualifications respectives (Thuillier, ibid., p. 244). Toutes les propositions sont condamnables et la bulle censure des propositions dangereuses. Est-il nécessaire de déclarer jusqu’à quel point elles sont condamnables ? Ne suffit-il pas de prononcer que toutes doivent être bannies ?

L’abbé de Broglie lut ensuite la constitution elle-même et Rohan indiqua les conclusions de la commission. Après avoir lu les mémoires d’auteurs connus ou inconnus, après avoir consulté les théologiens de toutes les écoles, la commission est convenue : 1. que des cent une propositions condamnées il n’en est aucune, qui ne mérite quelqu’une des qualifications exprimées dans la bulle ; 2. qu’il n’y a aucune des qualifications, qui ne se puisse appliquer avec justice à quelqu’une ou à plusieurs des propositions du livre de Quesnel. Rohan analysa ensuite chacune des propositions et réfuta les raisons par lesquelles Quesnel, dans ses mémoires, avait prétendu les justifier. Rohan acheva la lecture du rapport, le lundi 22 janvier, après six séances entières.

A la demande de Noailles, le cardinal de Rohan exposa l’avis de la commission : l’assemblée doit 70

reconnaître la doctrine de l’Église et de la constitution de Clément XI ; elle doit accepter avec soumission et respect cette constitution qui condamne le livre de Quesnel et condamne, en même temps, les cent une propositions qui en sont extraites. Avant de se séparer, l’assemblée doit arrêter un modèle de l’instruction pastorale qui serait publiée dans tous les diocèses avec la constitution, traduite en français, afin de montrer l’unanimité de l’épiscopat, étouffer les erreurs condamnées et prémunir contre les mauvaises interprétations de personnes malintentionnées. On enverrait cette instruction et la constitution aux archevêques et évêques absents et on les engagerait à s’y conformer ; on écrirait au pape pour le remercier de la condamnation du livre de Quesnel. Après avoir remercié Sa Majesté de la protection qu’elle avait accordée à l’Église, on supplierait le roi de donner des lettres patentes pour l’enregistrement et la publication de la bulle. Rohan expliqua les motifs des diverses décisions prises par la commission pour sauvegarder les droits de l’épiscopat : « Nous ne nous sommes point regardés comme de simples exécuteurs des bulles apostoliques, mais nous avons reçu la constitution en connaissance de cause et avec une discussion plus exacte que n’ont jamais fait nos prédécesseurs. Les expressions par lesquelles vous marquez votre jugement sont les mêmes dont se sont servis les quarante-trois évêques des Gaules, en écrivant à saint Léon et elles ont été employées par nos prédécesseurs dans l’assemblée de 1656… Ainsi nous conservons les droits de notre dignité et nous rendons au Saint-Siège ce qui lui est dû. »

Lorsque Rohan eut achevé d’exposer l’avis de la commission, Noailles fit une longue harangue. Il souligna les nombreux points de doctrine soulevés par la bulle ; il ne s’agit pas, dit-il, de condamner un livre que tous les évêques pouvaient condamner ; il ne s’agit pas de condamner le jansénisme. Mais, dans la bulle, il y avait bien d’autres questions sur la morale, sur la discipline, sur la juridiction, sur les vertus théologales ; il s’agissait de cent une propositions, dont l’erreur, du moins pour quelques-unes, n’était pas bien sensible et dont la condamnation avait alarmé le public. Pour résoudre tant de questions, il faudrait un concile général. « Si cinq propositions justement condamnées avaient troublé si longtemps l’Église, que ne devait-on pas craindre de la condamnation des cent une propositions, faite avec des qualifications vagues et indéterminées, dont chacun pourrait, selon son caprice, faire des explications abusives (sic). »

Il y avait trois partis au sein de l’assemblée : les uns ne voulaient accepter la constitution qu’après avoir expliqué le mauvais sens des propositions : c’était le parti de Noailles. Les autres voulaient une acceptation pure et simple* sans aucune explication ; enfin la plupart des évêques voulaient une acceptation pure et simple, mais avec une lettre pastorale annexée, afin d’instruire les esprits ignorants ou prévenus. Rohan groupa ces deux derniers partis. Le mardi 23 janvier, quarante évêques acceptèrent la constitution contre neuf qui ne la rejetaient point, mais qui suspendaient leur acceptation jusqu’à ce qu’ils eussent vu l’instruction pastorale : ils ne refusaient pas, mais ils différaient leur acceptation.

La commission se mit aussitôt à l’œuvre pour rédiger l’Instruction pastorale. Le 1 er février, l’instruction était prête ri clic fut lue devant l’assemblée. Noailles et ses amis ne VOUlurent pas souscrire et, au nom de tous, l’archevêque déclara qu’il s’adresserait au pour lui exposer leurs difficultés et le supplier de donner les moyens de câliner les consciences alarmées, de soutenir la libellé des écoles catholiques

et de conserver la paix dans nos Églises ». Ils écrivirent au roi qu’ils auraient cru abandonner la vérité, les droits de l’épiscopat, les maximes du royaume et ne donner à l’Église qu’une paix fausse et dangereuse ; il était plus convenable et plus respectueux pour le Saint-Siège de s’adresser au pape et de le supplier de déterminer le sens des propositions que de contester entre évêques. Ils proscrivaient le livre de Quesnel et, pour le surplus, ils priaient le pape de déclarer ses intentions. Cinq jours après, en fait, ils écrivirent au pape pour lui exposer leurs sentiments et lui demander de censurer, avec des qualifications distinctes et particulières, chacune des propositions colidamnées… pour ôter toute ressource à l’erreur et prévenir les maux dont ils étaient menacés. Les évêques acceptants furent fort mécontents de ces deux lettres et le roi défendit aux opposants d’écrire en nom collectif. Le 7 février, une lettre de cachet leur ordonnait de se retirer dans leurs diocèses. Mais, avant de se quitter, les membres de la minorité donnèrent à Noailles une procuration pour « faire opposition, réquisition, protestation, appel tant simple que d’abus et tels autres actes qu’il jugerait nécessaires ». Ils rédigèrent aussi un exposé doctrinal, intitulé : Précis des erreurs que nous croyons que le pape a voulu condamner par la constitution, et des vérités auxquelles nous ne croyons pas qu’il ail voulu donner atteinte.

De leur côté, les évêques acceptants déclarèrent que l’Instruction pastorale dressée par eux serait « comme une espèce de rempart et de digue opposée aux interprétations fausses et contraires au véritable sens de la constitution ». Ils envoyèrent une lettre circulaire aux prélats absents pour leur expliquer leur conduite et les prier de publier, chacun, dans son diocèse, l’Instruction pastorale dont ils joignent un exemplaire. Le 6 février, Rohan et les cinq commissaires se rendirent à Versailles, pour faire connaître au roi la fin de l’assemblée.

Dès le 9 février, le roi avait convoqué à Versailles le président de Mcsmes et les gens du roi ; il y eut des entrevues orageuses et, d’après le Mémoire inédit de Joly de P’ieury, Louis XIV se montra particulièrement violent contre le procureur général Daguesseau, qu’il savait opposé à l’enregistrement des lettres patentes. Le même jour, Louis XIV reçut le procureur général et les avocats généraux qui lui présentèrent de respectueuses remontrances sur le libellé des lettres patentes. Ils critiquaient le terme Enjoignons appliqué à l’épiscopat, comme contraire à l’usage constant de l’Église et demandaient qu’on employât l’expression Admonestons ou Exliortons, parce que le roi ne peut ordonner à des évêques de recevoir une bulle, lorsqu’elle a été acceptée dans une assemblée du clergé. Le roi refusa de faire les modifications demandées et, le 13 février, il congédia les magistrats en termes vifs. Le 14, il ordonna de dresser un projet de lettres patentes, pour qu’il fût communiqué à Messieurs du Parquet,

La bulle fut enregistrée le 15 février 1714, au milieu d’un profond silence qu’interrompit seulement la harangue de l’abbé Pucelle. La Cour enregistra sans approuver « les décrets non reçus dans le royaume énoncés dans ladite Constitution, comme aussi sans préjudice des libertés de l’Église gallicane, droits et prééminences de la couronne, pouvoir et jurisdict ion des évêques du royaume et sans que la condamnation des propositions qui regardent la matière de l’excommunication puisse donner atteinte aux maximes du royaume ». Cette dernière restriction concerne la proposition 91, relative à la crainte d’une excommunication injuste qui ne saurait empêcher les sujets du

roi d’observer les lois de l’État et autres devoirs réels et véritables. (172

Dorsanne, Journal, 2 vol., Home, 1753, t. i ; Lafitau, Histoire de la Constitution l’niqenitus, 2 vol., Avignon, p. 138-154 ; Procès-verbaux des assemblées du Clergé, t. vi ; Le Roy, La France et Rome de 1700 à l, l~>, Paris, 1892, p. 458-549 (très partial en faveur du jansénisme) ; dom Vincent Thuillier, Histoire de la Constitution, publiée par Ingold, p. 190-285 (l’édition du P. Ingold est une réponse à l’écrit de Le Roy) ; Mémoires et Lettres du P. Timothée de La Flèche sur les affaires ecclésiastiques de son temps (1703-1730), publiés par le P. Ubald d’Alençon, Paris, 1907, p. 79-91 ; Fragment inédit des mémoires du chancelier Daguesseau, Paris, 1920 ; Extrait du Bulletin philologique et historique de 1918 (éd. Gazier).

Mss. : Archives nationales, G’673 et L. 438 ; Hibl. Nat., mss. fr. n. 694’J et 17 74$ ; Aff. Étrang., Corr. Home, t. dxxx et DXXXV.

3e L’assemblée des évêques jugée par Rome. — La division des prélats au sein de l’assemblée, les discussions, les démarches, les difficultés, la longueur des séances surprirent la Cour de Rome. Pour calmer le pape, Rohan crut nécessaire d’envoyer à Rome un courrier extraordinaire, afin de prévenir et d’arrêter des décisions fâcheuses. Le P. Timothée, capucin, fut choisi, après quelques hésitations du roi. Les historiens jansénistes se sont parfois moqués de ce courrier singulier, quelque peu vaniteux, qui a raconté lui-même son voyage pittoresque en termes piquants. Il partit de Paris le 30 janvier 1714 et arriva à Rome le 15 février. Il demanda aussitôt audience au pape, qui le reçut le lendemain. Le même jour, il visita le P. Daubenton, jésuite, et le cardinal de La Trémoille, ambassadeur officiel. Celui-ci, dans ses lettres à Torcy, plaisante ce courrier barbu qu’il regarde un peu comme un espion et un surveillant.

Le P. Timothée fut reçu par le pape « de la façon la plus obligeante » ; il écouta l’éloge des prélats catholiques, soumis à la bulle, bien qu’ils se fussent montrés trop bienveillants pour Noailles et ses amis. Le pape se plaignit en particulier de l’archevêque de Tours, M. d’Hervaux, avec lequel il était fort lié à l’époque où d’Hervaux était auditeur de rote. Dans ses lettres le P. Timothée raconte en détail et avec complaisance le résultat de ses démarches ; il exagère l’influence qu’il exerça sur le pape ; mais cependant, dans sa correspondance avec Torcy, l’ambassadeur officiel, La Trémoille, se montre blessé des visites du capucin. Par ailleurs le cardinal de La Trémoille renseignait aussi Clément XL Le 5 février, il reçut le projet d’acceptation de l’assemblée du clergé et le communiqua au pape, dès le 6 février. Celui-ci lut et relut le projet et en parut assez satisfait, mais l’opposition de Noailles et de ses amis l’émut fort et l’ambassadeur eut peine à soutenir que ce n’était pas une opposition, mais seulement un délai dans l’acceptation : ces prélats voulaient connaître l’Instruction pastorale, avant d’accepter la constitution. Cela, Noailles l’avait écrit à l’ambassadeur, le 29 janvier.

Le 18 février, Louis XIV envoya un courrier spécial qui portait la lettre des évêques au pape et un mémoire pour accompagner cette lettre. Le 27 février, La Trémoille reçut ce courrier, avec une dépêche du roi, une lettre de Rohan, un extrait du procès-verbal des séances et l’instruction pastorale adressée par le nonce au cardinal Paulucci. Tous ces documents font connaître l’état des esprits.

Dans sa dépêche, le roi demande au pape de l’aider à finir l’ouvrage et de contribuer, par sa douceur, à ramener les prélats qui se sont écartés de la majorité ; l’ambassadeur devra remettre à Sa Sainteté la lettre des évêques et suivre les indications données par Rohan. La lettre du cardinal de Rohan rappelle « la différente situation des esprits : quarante et un évêques ont accepté la Constitution et les absents n’ont pas encore parlé ; huit prélats attendent les explica tions de Sa Sainteté. Pour arriver à l’unanimité, étant donné les préventions du public pour le livre de Quesnel, la majorité des évêques a jugé nécessaire de dresser une Instruction pastorale pour instruire les fidèles. Cette instruction suit l’acceptation de la bulle et elle n’a été faite que pour ramener les huit prélats, pour ne pas alarmer les magistrats et leur ôter tout prétexte de s’opposer à l’enregistrement des lettres patentes. Cette instruction doit amener les peuples à l’obéissance ; elle répond dignement aux objections des hérétiques ; elle doit détruire les efforts extraordinaires qu’on a faits pour diminuer l’autorité du successeur de Pierre, pour rendre ses décisions odieuses et pour calomnier les évêques de France, en appelant leur union avec le pape un esclavage et une soumission aveugle aux volontés de la Cour de Rome ». Pour faciliter l’unanimité, il serait souhaitable que le pape envoyât un bref pour approuver la conduite de l’assemblée, louer les évêques de France de leur union au Saint-Siège, et blâmer fraternellement la conduite des huit prélats. Ce bref devrait paraître le plus tôt possible, car les évêques absents se joindraient à la majorité et ne seraient pas tentés de suivre le cardinal de Noailles. Sinon on dira que Rome désapprouve l’assemblée. Si Sa Sainteté veut écrire à Noailles, il faut que, dans sa lettre, « il n’y ait rien qui puisse blesser les usages de France et que Sa Sainteté lui marque de suivre l’assemblée et que c’est le seul moyen de réparer ce qu’il aurait pu faire de désagréable à Sa Sainteté ». Le mémoire qui est joint à cette lettre est un précis de tout ce qui s’est fait depuis le 23 janvier.

Dans l’audience qu’il eut le 28 février, La Trémoille remit au pape les lettres patentes enregistrées au Parlement, l’extrait du procès-verbal de l’assemblée et la lettre des évêques. L’instruction envoyée par le nonce à Paulucci n’arriva que plus tard. Le pape fit d’abord quelques remarques, en particulier sur le discours du procureur général et sur les réserves stipulées dans l’enregistrement et il demanda du temps pour répondre aux évêques, après avoir examiné leur lettre et l’instruction pastorale.

La minute du bref fut communiquée à La Trémoille par le P. Daubenton, le 14 mars ; le 16 mars, il fut appelé par le pape. Celui-ci se plaignit des expressions employées par le procureur général dans les lettres patentes et l’acte d’acceptation, mais surtout de la conduite de quelques-uns des évêques qui avaient suivi le cardinal de Rohan. En effet, une lettre datée du 5 février et envoyée de France fut communiquée au pape par le comte Fédé. D’après cette lettre, les commissaires de l’assemblée étaient persuadés que la constitution ne pouvait être publiée sans des explications qui en préciseraient le sens. L’instruction pastorale n’avait été proposée que pour indiquer le sens dans lequel les évêques condamnaient, avec le pape, les cent une propositions : quarante évêques avaient décidé de donner eux-mêmes ces explications et neuf autres avaient préféré demander ces explications au pape. Ainsi l’acceptation est relative aux explications qui sont insérées dans l’instruction pastorale, « mais cela a été fait de manière que le pape ne s’en aperçoive pas. Ils veulent que l’acceptation et l’instruction ne fassent qu’un même corps, qu’elles soient sous la même signature, que l’une ne puisse jamais être séparée de l’autre… ; ils veulent que la constitution ne soit jamais lue sans l’instruction, afin que cette instruction serve de contre-poison à la constitution. L’auteur de cette lettre ajoutait que les quarante évêques publiaient partout que leur acceptation était relative aux explications et qu’ils avaient ainsi jugé avec le pape. La conduite des opposants avait été plus franche. L’auteur affirmait, en termi2073

    1. UNIGENITUS (BILLK)##


UNIGENITUS (BILLK). L’ASSEMBLÉE JUGÉE A ROME 2074

nant, que le roi avait interdit aux évêques opposants d’écrire au pape, parce que, dans leur lettre, ils disaient franchement ce qui s’était passé dans l’assemblée et faisaient sentir le piège que les quarante tendaient au Saint-Père, dans leur acceptation. La Trémoille se contenta de dire que cette lettre était visiblement écrite par des esprits séditieux, émissaires des jansénistes, et qu’il fallait « couper la racine à tous ces écrits, en approuvant ce qui avait été fait dans l’assemblée, suivant les réflexions contenues dans la lettre de M. le cardinal de Rohan ».

Le pape dressa un bref et l’envoya à Rohan et aux archevêques et évêques assemblés à Paris. Le bref fut traduit en français, imprimé et envoyé à tous les évêques de France. Le pape louait les ménagements, la patience, la longanimité que le désir de conserver la paix avait inspirés aux prélats de l’assemblée et il espérait que ceux qui avaient refusé d’accepter rentreraient en eux-mêmes. Des écrits anonymes attaquèrent ce bref comme contraire au droit des évêques de juger et comme susceptible de persuader que l’acceptation de la constitution avait été pure et simple ; on aurait voulu une approbation explicite de l’instruction pastorale. Le cardinal de La Trémoille trouvait cette instruction « très judicieuse, très solide, très bien tournée, pleine d’une érudition exquise, mais surtout très capable de justifier la bulle, et de faire revenir ceux qui se sont laissés prévenir contre les censures de quelques propositions, innocentes en apparence, mais très ambiguës en effet ». Dans l’audience du 17 avril, le pape déclara à l’ambassadeur « que l’approbation que le Saint-Siège a coutume de donner à ces sortes de pièces était de ne les point désapprouver, et que non seulement il n’avait pas désapprouvé l’instruction pastorale, mais qu’il avait loué la conduite des évêques ». Cependant les disciples de Quesnel n’ont pas manque d’écrire que le pape se montra indigné et qu’il fit condamner l’instruction par la Congrégation de l’Index comme contraire au véritable sens de la bulle.

D’autre part, Rohan recevait de Rome une lettre du."> juin : l’instruction, y disait-on, est fort applaudie (à Rome) ; on s’empresse pour l’avoir et chacun en parle comme d’un chef-d’œuvre. On la regarde comme la plus belle et la plus forte apologie qu’on pouvait faire de la bulle et dont Rome doit envier la gloire à la France,

Par contre, la conduite de Noailles était très sévèrement jugée. Non content de ne pas signer l’acceptation, il avait publié, le 25 février, une instruction pastorale, par laquelle il défendait aux piètres de son diocèse de recevoir la bulle Indépendamment de son autorité, sous peine de suspense, et. en même temps. il réitérait la condamnation du livre de Quesnel. Il déclarait qu’il s’était séparé des autres archevêques et évêques de France, mais cette diversité ne touchait point la substance de la foi et ne rompait point les nœuds sacrés de la charité… Les évêques avaient seulement choisi des expédients différents pour terminer l’affaire, qui attire aujourd’hui l’attention de l’Église. » Pour justifier sa manière d’agir, il s’appuyait principalement sur l’obscurité et l’ambiguïté de certaines propositions condamnées. Cette instruction singulière était du 25 février ; le lendemain, Noailles écrivait au cardinal PaulUCCi, pour lui demander sa protection auprès du pape. dans la crainte qu’il ne soit prévenu par ses adversaires, qui s’appliquent,

tous les jouis, à exciter de nouveaux orages contre

lui ». Le 5 mars, il envoyait au même cardinal son instruction pastorale. Paulucci lui répondit le 28 mars, pour lui faire part de la surprise que son mandement a ut causée au Saint Père, au Sacre Collège ci i tonte cette Cour, dont les tribunaux ont juyé ne pouvoir

pas différer d’en donner des témoignages certains. En elTet, un décret du Saint-Office du 28 mars condamna cette instruction de Noailles « comme captieuse, scandaleuse, téméraire, injurieuse au Saint-Siège, sentant le schisme et y conduisant ». Dans sa dépêche au nonce, Paulucci expliquait l’émotion causée par ce mandement de Noailles. « On ne trouvera aucun archevêque catholique et cardinal qui ait osé, non seulement désobéir à une bulle dogmatique, mais empêcher qu’on ne s’y soumette par des censures encourues ipso facto. Cet acte public est plus d’un rebelle et d’un schismatique déclaré que d’un cardinal qui fait profession de grande piété. » Le même décret du Saint-Office condamnait un mandement de l’archevêque de Tours, daté du 9 février, avec les mêmes notes. L’archevêque y déclarait que la bulle n’était pas acceptée dans le diocèse de Tours, mais qu’on devait cependant la regarder avec le respect dû, en tout temps et en toutes circonstances, au souverain pontife ; il condamnait le livre de Quesnel, dont il défendait la lecture, et enfin il se disait toujours opposé à l’hérésie du jansénisme.

Le Parlement eût voulu appeler comme d’abus de ce décret du Saint-Office, mais le roi refusa, et « pour éviter tout incident capable de former de nouveaux embarras », il préféra ignorer le décret. Les évêques de Roulogne, de Rayonne et de Chàlons-sur-Mame firent des mandements pour suspendre leur acceptation jusqu’à ce que le pape se fût expliqué ; un nouveau décret, le 28 avril, condamna ces trois mandements avec les mêmes qualifications.

Sa Sainteté écrivit au roi lui-même un bref (8 mai 1714), pour signaler l’opiniâtreté des huit prélats et demander le secours du bras séculier pour réduire au silence les amateurs de contestations et de nouveautés et ramener la paix et l’unité. Le roi répondit le 8 juin : il promit d’employer au bien et à la paix de l’Église l’autorité qu’il avait reçue de Dieu pour soutenir la vérité, combattre et détruire l’erreur et ramener au centre de l’unité et de la véritable doctrine ceux qui ont le malheur de s’en écarter..Mais Rome eût désiré davantage. Le nonce avait déjà demandé qu’on envoyât le cardinal de Noailles à Rome pour l’éloigner de Paris. A Paris, on se contenta de rédiger un mémoire pour demander un arrêt du Conseil contre le mandement de Noailles et contre les lettres de ses amis. Le mémoire, d’ailleurs, resta sans effet, car on espérait ramener Noailles à l’unité : en réalité, celui-ci continuait de faire des promesses. jamais réalisées.

L’instruction pastorale, qui devait accompagner la publication de la bulle commença à paraître le 20 mars. La bulle et les lettres patentes furent envoyées de la part du roi, le 25 mars. Aussitôt les disciples de Jansénius et de Quesnel la firent imprimer avec des Observations et des Considérations, pour en signaler la mauvaise foi, les erreurs grossières et pour défendre les propositions censurées. Les Réflexions sur V instruction pastorale et l’Examen théologique sur l’instruction pastorale attaquent la foi des prélats qui l’ont souscrite.

La bataille s’engage autour de Noailles que ses amis sentent prél à entrer dans des accommodements pour accepter la bulle. Son frère, l’évcque de Châlons sur Marne, les amis de Quesnel, les évêques de Mont pellier et de Senez lui écrivent pour lui prêcher la fermeté contre cette bulle i radicalement irréforma-Me ; des conférences eurent lieu à Paris, de in ; ii à juillet 1714, pour dresser une instruction pastorale

relative à des explications, i.es termes en étaient si mesurés que No.iilles i croirait corriger son accep talion par la relation, tandis qu’à Rome, on montrerait que l’acceptation annulerait la relation. Mais

la tentative ne réussit pas et on songea, dit-on, à enlever Noailles pour le transporter à Rome, où il serait jugé. Le prétendu complot échoua. Noailles usa de subterfuges, demanda des sursis et fit traîner de semaine en semaine la remise du mandement que le roi lui avait imposé. Il reçut ordre de le déposer avant le 18 octobre entre les mains du cardinal de Polignac. Il dut obéir et il obéit de mauvaise grâce, omettant de faire les corrections qu’on lui avait demandées. C’est alors qu’il fut question du concile national.

Acceptation de la bulle.

1. L’épiscopat. — Au

sein de l’assemblée, huit évêques seulement n’avaient pas accepté la constitution et l’instruction pastorale. Le tout fut envoyé aux évêques qui n’avaient pas assisté à cette réunion. La plupart en accusèrent réception aux agents généraux du clergé « avec des témoignages de joie ». Au 1 er octobre 1714, cent onze évêques avaient accepté la constitution, d’après le Recueil des mandements et ordonnances. Cependant quelques-uns sont plutôt hostiles à l’acceptation : l’évêque de Pamiers, M. de Verthamon, l’évêque de Mirepoix, M. de La Broue, l’évêque d’Arras, Guy de Sèves de Rochechouart, l’évêque de Tréguier, Kervilis, l’évêque d’Angoulême, et surtout l’évêque de Montpellier, M. Colbert de Croissy. D’autres sont plus timides : ils acceptent avec des restrictions plus ou moins formelles sur le sens et la canonicité de la bulle. Parmi eux, certains inclinent à combattre : l’évêque de Sisteron, Thomassin, l’évêque de Tournay, Caillebot de la Salles, l’évêque de Màcon, de Tilladet et l’évêque de Metz, de Cambout de Coislin, tandis que d’autres usent de ménagements : l’évêque de Lectoure, de Polastron, l’évêque de Condom, Milon, l’évêque de Dax, d’Arbocave, l’évêque de Castres, Quiqueron de Beaujeu et l’évêque d’Agen, Hébert. Seuls, les évêques d’Angoulême et de Montpellier se joignent ouvertement aux huit évêques de l’assemblée et les autres acceptent relativement aux explications. Bref, la très grosse majorité des évêques de France, cent douze contre treize, et à peu près tous les évêques étrangers, qui ont eu l’occasion de donner leur avis, acceptent la bulle Unigenitus. Les affirmations de Le Roy, p. 593, sont notoirement erronées : « La majorité des prêtres et des moines, la masse des laïques soutiennent les prélats opposants. Les femmes elles-mêmes interviennent (Mlle de Joncoux). » Il ajoute « que les évêques étrangers, peu intéressés à la question du jansénisme, ne publient pas, en général, la constitution, qui avait été faite pour la France et les Pays-Bas. Les historiens jansénistes sont donc autorisés ( ?) à compter les évêques acceptants : vingt-deux ou vingt-trois prélats sur les quatre cents soixante-six archevêchés ou évêchés des diverses Églises ; six en Italie sur près de trois cents sièges, huit ou neuf en Espagne et en Portugal pour soixante-six, sept ou huit en Allemagne, en Hongrie et en Pologne pour soixante-sept ». Le Roy emprunte tous ces chiffres à l’Histoire du livre des Réflexions morales dont les tendances jansénistes ne sont pas dissimulées.

2. Les facultés de théologie.

Dès le 28 février 1714, le roi écrivit à la faculté de théologie de Paris, pour lui enjoindre « de tenir la main à ce que, dans les leçons de théologie et de philosophie, il ne soit avancé ou enseigné aucune proposition contraire aux décisions contenues dans la bulle et de faire insérer dans les registres ladite constitution ». Rohan convoqua le syndic, Le Rouge, pour le prier de se rendre avec six anciens à son hôtel, où il recevrait les ordres de Sa Majesté. La lettre du roi fut lue, à la séance du 1 er mars, tandis que, dit une chronique janséniste, « les docteurs parcouraient le mandement de Noailles

daté du 25 février, qui venait de leur être remis, et dans lequel le cardinal défendait de recevoir la bulle, indépendamment de son autorité, et d’une autre main que la sienne ». Le syndic requit la faculté de recevoir par un décret solennel la bulle Unigenitus, comme elle avait reçu la bulle Vineam. On pouvait craindre que le mandement de Noailles intimidât quelques docteurs. Aussi le roi écrivit-il une nouvelle lettre le 2 mars et Rohan rappela au syndic que la faculté était indépendante de l’archevêque de Paris et n’avait rien à redouter de lui, puisqu’elle relevait immédiatement du Saint-Siège.

Alors, un docteur, nommé Vitasse, exposa le presbytérianisme le plus pur et déclara qu’on ne devait accepter la bulle que si on la jugeait catholique et approuvée par toute l’Église. Or, disait-il, « l’Église n’est pas seulement composée d’évêques, mais encore de curés et de prêtres, qui, de droit divin, leur sont associés pour la gouverner, et des peuples qui leur sont soumis ». La discussion s’envenima et la séance fut renvoyée au lundi, 5 mars.

Les discussions recommencèrent, puis on vota. Mais les Relations sont ici en désaccord complet. La bulle fut enfin acceptée le 10 mars ; la conclusion ne souleva pas d’opposition et elle fut enregistrée. Il y eut cependant quelques protestations, à l’assemblée du 4 avril suivant, contre cette conclusion que quelques docteurs affirmèrent avoir été modifiée : elle était beaucoup plus longue que celle qui avait été lue et approuvée et on y avait fourré des articles sur lesquels on n’avait point délibéré, comme, par exemple, l’exclusion de ceux qui soutiendraient des propositions contraires aux décisions de la bulle et les peines contre ceux qui contreviendraient au décret. Une nouvelle lettre du roi, du 10 avril, imposa la soumission. Quelques protestataires furent exilés : de Bragelongne à Saint-Flour, Bidal à Noyon et Hulot à Saint-Brieuc.

La plupart des autres facultés du royaume acceptèrent la constitution à peu près sans résistance. Cependant la faculté de Reims, durant le mois de mai 1714, resta très divisée. Le 12 mai, il y eut de vives discussions, et le 23 mai, à la pluralité de dix-sept voix contre neuf, il fut conclu que la faculté recevrait la bulle de la même manière que l’assemblée des prélats « respectivement aux explications, contenues dans les actes de l’assemblée et dans l’arrêt du Parlement pour l’enregistrement de la bulle ». Le docteur Le Gros se distingua parmi les opposants.

3. Projet de concile national. —

Cependant l’entente était loin d’être parfaite. Aussi, après quelque hésitation, on décida de convoquer un concile national, pour procéder contre Noailles et contre les opposants. Ce projet semble avoir été conçu par l’archevêque de Cambrai, Fénelon, et il fut approuvé par le P. Le Tellier. Fénelon avait publié quelques écrits qui aboutissaient à cette conclusion : Mémoire sur la nécessité et les moyens de ramener le cardinal de Noailles et les autres prélats ré/raclaires à l’avis de l’assemblée du clergé ; — Mémoire sur l’affaire des huit prélats réfractaires et de leurs adhérents ; — Mémoire sur la voie de procéder contre les huit prélats ; — Mémoire sur les motifs qui doivent engager le Saint-Siège à envoyer la constitution Unigenitus à toutes les Églises catholiques, dans Œuvres, t. viii, p. 260-281.

Le projet fut adopté par le roi, qui, le 29 octobre, désigna Amelot pour régler cette affaire à Rome. Ce choix, écrit Saint-Simon, t. xxv, p. 134, était excellent, car Amelot n’était suspect à personne : « ami des jésuites, mais homme d’honneur et de grand talent, pour les négociations et les affaires ». Il partit pour Rome, le 14 décembre, avec l’abbé Targny, doc

teur de Sorbonne, comme secrétaire. Amelot apportait des Instructions (A/J. clr., Corr. Ruine, t. dxl). Sa correspondance et celle de Targny se trouvent aux Aff. étr., t. dxl à dlv.

Quatre moyens étaient proposés : 1. Le pape citerait à Rome le cardinal de Noailles et ses adhérents ; ils y seraient entendus et jugés et le roi leur enjoindrait de répondre à cette citation. — 2. Le pape nommerait des commissaires pour juger l’affaire de ces évêques. — 3. Le pape enverrait au nonce ou à quelques évêques du royaume une commission pour ordonner aux évêques séparés de recevoir la bulle comme l’assemblée l’a reçue, sous peine d’interdiction de leurs fonctions et de l’entrée de leur église. — 4. Il serait tenu un concile national.

Amelot devait montrer que, seul, ce dernier projet était réalisable et capable de terminer les divisions. Aussitôt les intrigues commencèrent. D’un côté, l’abbé Fhilopald, prêtre de la Mission et correspondant de Noailles tenait celui-ci au courant de tout ce qui se passait ; de l’autre, l’abbé de Targny, le P. Timothée et le P. Daubenton travaillaient à l’insu d’Amelot et de La Trémoille. Le P. Timothée fut éloigné, car il fut nommé évêque de Béryte et coadjuteur de l’évêque de Babylone.

Dès son arrivée à Rome, Amelot constata que le pape ne consentirait pas à la convocation d’un concile national, surtout parce qu’il estimait ce moyen dangereux et sujet à trop de lenteur. Jugeant que l’autorité du roi et la sienne devaient suffire à ramener l’unité, Clément XI projeta d’envoyer deux brefs au cardinal de Noailles, par l’intermédiaire du roi. Le premier exhortait Noailles à la soumission ; le second ordonnait et menaçait Noailles de le dégrader du cardinalat et de le traiter ensuite suivant la rigueur des canons. Si le cardinal se soumettait, on lui remettrait seulement le premier bref ; s’il résistait, on lui remettrait le second. Le projet, communiqué par Fabroni à Amelot, fut agréé et signé par lui. Dans le premier bref, le bref de douceur, le pape avait inséré quelques explications de la bulle, à condition que ce bref ne serait remis à Noailles que lorsqu’on aurait des assurances certaines de sa soumission.

Amelot confia le secret à l’abbé Philopald, qui se hâta d’apprendre la nouvelle à Noailles et lui conseilla de profiter des explications contenues dans le premier bref pour publier en France qu’il avait réduit le pape à expliquer la bulle. Il engageait le cardinal a recevoir le bref de douceur, à publier ce bref en tête de son mandement, à expliquer la bulle en donnant ces explications comme implicitement contenues dans le bref de Sa Sainteté et à accepter ensuite la constitution.

Le pape Ignorait toute cette intrigue et. lorsqu’il l’apprit, il ordonna à Fhilopald de sort ir de Rome dans les vingt-quatre heures et sans délai de tout l’Étal ecclésiastique.

Le cardinal de Rohan craignait qu’on B’opposât au bref de rigueur et il demanda quc ce bref ne fut pas présenté par le nonce. Il aurait voulu que le bref de douceur fût d’abord remis à Noailles ; mais convaincu que le pape ne consentirait pas, il insista de nouveau sur la nécessité de convoquer un concile national en France. Le pape rejeta le projet dont on lui avait fait connaître les conditions : le concile ne serait convoqué que si les deux brefs de Sa Sainteté restaient sans résultai ; le pape désignerait ses légats et on laisserait au roi la liberté de convoquer le concile.

Mais Amelot, en maintes circonstances, avait constaté que le pape et les cardinaux de Rome ne vou laient â tucun prix d’un concile national. Cependant, excédé par les instances et inquiété par un bruit qui circulait, Clément XI se décida, le 1 août 1715, à accepter cette solution, pourvu que tout fût prévu en détail, « pourvu que préalablement l’on concertât, l’on établît et l’on assurât les formes qu’il faudra observer et les mesures qui sont à prendre, afin que tout se commence, se poursuive et se conclue, de manière qu’en mettant à couvert l’autorité du Siège apostolique et l’obéissance due à la constitution dont il s’agit, on fasse cesser tout danger de confusion et de rupture, qui sont si abhorrées du cœur paternel de Sa Sainteté ».

De son côté, Louis XIV semblait décidé à réunir un concile national et à le convoquer lui-même, si le pape refusait de le faire. Une lettre de Voysin (24 juillet 1715) réunissait les magistrats à Marly ; on parla d’un lit de justice et les magistrats firent une très vive opposition, durant la première quinzaine d’août. Mais bientôt la maladie et la mort du roi, le 1 er septembre 1715, changèrent complètement la face des événements. On ne parla plus d’un concile national.