Dictionnaire de théologie catholique/UNIGENITUS (Bulle) II. Analyse

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 274-298).

II. Analyse de la constitution Unigenitus.

La constitution Unigenitus condamne cent une propositions, extraites d’un livre imprimé en français et divisé en plusieurs tomes, intitulé : Le Nouveau Testament en français, avec des réflexions morales sur chaque verset, etc., à Paris, 1699, et autrement, Abrégé de la morale de l’Evangile, des Épîtres de saint Paul des Épîtres canoniques et de l’Apocalypse, ou Pensées chrétiennes sur le texte de ces Livres sacrés, etc., à Paris, 1693 et 1694. Le livre avait déjà été condamné ; cependant le pape a cru nécessaire de le condamner à nouveau et en détail, à cause de la propagande qu’en faisaient les novateurs et à cause du caractère hypocrite de ce livre, « dont le venin est très caché sous les apparences de la piété et du respect pour l’Écriture sainte. Ce ne sont pas seulement les évêques, mais c’est encore le roi très chrétien, qui, par des instances réitérées, a demandé la condamnation de ce livre, pour l’intérêt de la foi catholique et le repos des consciences… Nous avons fait examiner par plusieurs docteurs en théologie, en présence de deux cardinaux, un grand nombre de propositions extraites avec fidélité des différentes éditions du livre, tant françaises que latines. Nous avons ensuite été présent à cet examen. Nous y avons appelé plusieurs autres cardinaux pour avoir leur axis, et après avoir confronté chacune des propositions avec le texte du livre. Nous avons ordonné qu’elles fussent examinées et discutées soigneusement dans plusieurs congrégations qui se sont tenues à cet effet. » Ces paroles suffisent pour montrer la fausseté des affirmations qu’on trouve couramment chez les historiens jansénistes, d’après lesquels les propositions auraient été condamnées sur l’ordre du roi et sans aucun examen.

Les propositions condamnées sont très diverses : elles résument la plupart des thèses jansénistes sur la grâce, sur les vertus théologales et surtout sur la foi et la charité, sur le sacrement de pénitence et la crainte des peines, sur l’Église, les censures et l’excommunication.

Le quesnellisme peut se ramener à trois thèses fondamentales :

1. Dans l’état présent de la nature déchue, il faut reconnaître deux délectations Indélibérées : l’une céleste qui mène au bien et l’autre terrestre qui conduit au mal ; ces deux délectations meuvent la volonté, suivant leur degré de force et d’intensité, selon les formules de Jansénius et de Quesnel : quixl amplius nos détectât, secundum id operemur necesse est. C’est le résumé des quarante-li ois premières propositions condamnées.

2. Il n’y a pas de milieu entre la cupidité vicieuse et la charité surnaturelle, par laquelle on aime Dieu pour lui-même. Donc l’acte dans lequel la charité n’intervient pas est mauvais, non seulement parce qu’il n’est pas rapporté

à Dieu, mais en lui-même et intrinsèquement, car cet acte procède de la cupidité vicieuse. C’est la proposition 44 de Quesnel, qui reproduit la proposition 38 de Baïus et la thèse de Jansénius (De gralia Christi, c. vi). De cette thèse découlent plus ou moins directement les propositions 44 à 93. — 3. Les huit dernières propositions reprennent les thèses du richérisme presbytérien sur l’origine et les caractères des pouvoirs que l’Église exerce par les premiers pasteurs, mais avec le consentement au moins présumé de tout le corps du clergé et des fidèles.

Les propositions condamnées sont empruntées textuellement au livre de Quesnel. Les jansénistes répètent que ces propositions sont souvent détournées de leur sens naturel et qu’on chercherait en vain le mauvais sens de certaines propositions. Nous verrons en détail ce qu’il faut penser de ces affirmations et nous essaierons de préciser le sens exact des condamnations. Il y a beaucoup de propositions équivoques ; mais l’Église, en les condamnant, voulait démêler l’erreur qui se cachait et qui pouvait s’insinuer dans des esprits non prévenus. On a toujours accusé le jansénisme d’user de ce moyen de propagande et c’est assurément à cause de cette tactique bien connue que l’Église a condamné certaines propositions que nous trouverons dans la liste. Bref, pour comprendre la condamnation, il suffit de ne pas oublier les procédés habituels de ceux que l’Église voulait découvrir et désarmer pour les rendre inofïensifs. Elle a condamné les propositions susceptibles d’un mauvais sens, parce qu’elle se défiait, et à juste titre, des intentions de Quesnel.

L’examen de chaque proposition en particulier permettra de connaître le vrai sens de la condamnation et ainsi de compléter ce que nous avons dit de la bulle Auctorem fidei, au synode de Pistoie ; voir ici, t. xii, col. 2202-2222.

1. Quid aliud remanet

animse quæ Deum atque

ipsius gratiam amisit, nisi

peccatum et peccati conse cutiones, superba paupertas,

et segnis indigentia, hoc est,

generalis impotentia ad la borem, ad orationem et ad

omne opus bonum ?

1. Que reste-t-il à une àme

qui a perdu Dieu et sa grâce,

sinon le péché et ses suites,

une orgueilleuse pauvreté et

une indigence paresseuse,

c’est-à-dire, une impuis sance générale au travail, à

la prière et à tout bien ?

Luc, xvi, 3, édit. 1693, 1699.

Cette proposition affirme que l’âme en état de péché mortel ne peut faire aucune action bonne ; par suite, le pécheur pèche dans toutes ses actions. Proposition condamnée par le concile de Trente (sess. vi, can. 7), chez Luther et dans les propositions 35 et 40 de Baius. Proposition scandaleuse et pernicieuse, car elle porte le pécheur à abandonner la pratique des bonnes œuvres, l’exercice de la prière et le désir même de la conversion. Sans doute, les partisans de Quesnel ont mis en avant le texte évangélique : « Sans moi, vous ne pouvez rien » (Joa., xv, 57) ; le concile d’Orange, c. 22, déclare que, sans la grâce actuelle, on ne peut rien faire de bien et on n’a de soimême que le mensonge et le péché. L’Imitation, t. III, c. lv, dit : « Que suis-je sans la grâce, qu’un bois sec et un tronc inutile qui n’est bon qu’à être jeté au feu ? » Enfin, saint Augustin écrivait que, sans les grâces les œuvres peuvent être bonnes quant au devoir (ex officio), mais elles sont toujours défectueuses ex fine, parce qu’elles ne sont pas rapportées à Dieu, comme fin dernière. Sans la grâce, par les seules forces de la nature, l’homme ne peut faire aucun acte d’amour de Dieu, donc aucun acte bon.

Mais Augustin lui-même donne la solution. Dans une lettre à Simplicien, il écrit : « Que reste-t-il au pécheur ? Il reste au libre arbitre, dans cette vie mortelle, non pas d’accomplir la justice, quand il veut,

mais de se tourner par une humble prière vers Celui par le don duquel il peut l’accomplir. Il ne dépend que de moi de demander ; je suis prévenu et aidé par la grâce, par le pouvoir de demander ; je ne puis mériter, mais il me reste l’humble espérance que Dieu daignera écouter ma voix. » Au 1. I des Rétractations, Augustin a écrit : « Il est au pouvoir de l’homme d’améliorer sa volonté », et saint Thomas, De veritate, q. xxiv, art. 11, a dit : Infidèles bona opéra ad quæ sufficit bonum natures operari possunt. Bref, les œuvres des pécheurs ne peuvent être appelées des péchés au sens vrai du mot ; leurs actions ne peuvent mériter une récompense éternelle, ce sont des actions mortes et infructueuses, mais elles peuvent être bonnes. Saint Augustin va jusqu’à dire que, chez les pécheurs, les restes de l’image de Dieu ne sont pas complètement effacés par le péché et cela leur permet de faire encore des actions bonnes au sens propre du mot, des actions en vertu desquelles le pécheur sera moins puni.

Pour atténuer l’erreur de Quesnel, quelques jansénistes ont dit que, dans cette proposition et dans celles qui suivent, l’impuissance dont il est question est une impuissance qui n’exclut pas le vrai pouvoir, lequel reste attaché au libre arbitre et que cette impuissance peut être supprimée par la grâce, dont l’homme s’est privé par sa faute ; bref, sans la grâce, le pécheur peut faire quelques bonnes actions, mais, en réalité, il ne fait aucune action bonne ; même ainsi atténuée, la proposition reste équivoque et mérite une condamnation.

2. Jesu Christi gratia,

principium elïïcax boni cu juscumque generis, neces saria est ad omne opus bo num ; absque illa, non so lum nihil fit, sed nec fieri

potest.

2. La grâce de Jésus Christ, principe efficace de

toute sorte de bien, est

nécessaire pour toute bonne

action (grande ou petite,

facile ou difficile, pour la

commencer, la continuer et

l’achever). Sans elle, non

seulement on ne fait rien,

mais on ne peut rien faire.

Joa., xv, 5, éd. de 1693.

Cette proposition suppose : 1. que la grâce efficace est le principe de tout bien et qu’elle est nécessaire pour toute bonne action ; 2. que, sans elle, on ne peut rien faire de bien. Donc, il n’y a qu’une seule grâce, la grâce efficace par elle-même, et, sans cette grâce, on ne peut rien faire de bien. Donc les préceptes sont impossibles à ceux qui ne reçoivent pas cette grâce et on peut dire que ceux qui n’accomplissent pas ces préceptes n’ont pas reçu cette grâce. C’est la première proposition de Jansénius, condamnée comme « téméraire, impie, blasphématoire, digne d’anathème et hérétique ». Si j’ai la grâce efficace, j’éviterai le péché ; si je ne l’ai pas, quoi que je fasse, je ne l’éviterai pas. « Il est insensé, écrit saint Augustin, De fide, c. ix, de demander à quelqu’un ce qu’il lui est impossible de faire et injuste de le condamner pour n’avoir pas fait ce qu’il lui était impossible de faire. » On peut dire que, sans la grâce efficace, on n’a pas tout ce qui est nécessaire pour agir actuellement et on ne peut pas faire le bien surnaturel, méritoire du ciel ; mais on peut faire des actions moralement bonnes, conformes à l’ordre naturel établi par Dieu. Tel est le sens du texte de saint Jean et de la condamnation des propositions 25, 27 et 62 de Baius.

D’autre part, tous les théologiens affirment l’existence d’une grâce suffisante, qui donne un vrai pouvoir de faire ce qu’en réalité on ne fait pas. Les jansénistes dénoncent comme moliniste cette grâce qui ne donne qu’un pouvoir, dont le libre arbitre dispose à son gré, pour en faire l’usage qu’il lui plaît. On peut ne pas admettre cette conception de la grâce suffisante, mais aucun théologien catholique n’acceptera

la conception janséniste de la grâce efficace par elle-même : à savoir que la grâce efficace donne la bonne volonté et la meut de manière que, sans elle, nous ne puissions bien agir. On peut avoir le pouvoir de faire un acte et cependant ne pas le faire. Le pouvoir suffisant pour faire l’acte peut être séparé de l’acte lui-même. Les thomistes, derrière lesquels les jansénistes s’abritent souvent, disent que, pour agir, il faut avoir une grâce distincte de celle qui donne le pouvoir. Donc, il est vrai de dire que, sans la grâce efficace, on ne fait rien de bon surnatureUement ; mais on n’a pas le droit d’ajouter, que, sans cette grâce efficace, on ne peut rien faire ; avec la grâce suffisante, on peut agir. Bref, l’homme a un pouvoir réel et naturel, inséparable du libre arbitre et, avec la grâce suffisante, il a un pouvoir surnaturel ; donc, sans la grâce efficace, l’homme peut faire le bien et il est coupable de ne pas le faire.

3. In vanum, Domine, 3. En vain, vous comprsecipis, si tu ipse non mandez, Seigneur ; si vous das quod præcipis. ne donnez vous-même ce

que vous commandez. Act.,

xvi, 10, éd. de 1693, 1699.

Cette proposition renferme la même erreur que la précédente. Dieu, dit le concile de Trente, n’abandonne jamais le juste le premier et il lui accorde toujours les grâces nécessaires pour éviter le péché et persévérer dans le bien. L’impuissance du juste peut venir ou de la soustraction de la grâce provoquée par lui-même, ou de ce qu’il ne prie pas pour demander et obtenir la grâce nécessaire. La chute du juste ne vient donc ni de l’impossibilité d’accomplir le précepte, ni du défaut de pouvoir ; mais de ce que, ayant, par la grâce, le pouvoir d’accomplir le précepte, cependant, par sa faute, il ne correspond pas à la grâce.

4. Ita, Domine. Omnia 4. Oui, Seigneur, tout est possibilia sunt ei, cui omnia possible à celui à qui vous possibilia facis, eadem ope-rendez tout possible, en le rando in Ulo. faisant en lui. Marc, ix,

22, éd. de 1693 et de 1699.

Proposition captieuse, car elle suppose que tout pouvoir de faire le bien vient de la grâce efficace, qui l’opère en nous. Donc le bien ne serait possible que par la grâce efficace qui le fait en nous. « En l’absence de la grâce efficace, écrit un janséniste (La constitution Uniqenitus avec des remarques, p. 30), les commandements ne sont pas possibles d’une possibilité prochaine et jointe à l’effet. » Or, il est faux de dire que le bien ne nous est possible que lorsque Dieu nous le rend possible par sa grâce efficace. Pour que le bien surnaturel nous soit possible, il faut la grâce prévenante, qui est suffisante ; la grâce efficace n’est nécessaire que pour l’accomplissement effectif de l’acte. Pour passer de la puissance à l’acte, il faut la grâce efficace, que cette grâce vienne directement de Dieu, comme l’enseignent les thomistes, ou qu’elle suit le résultat de la coopération de la liberté humaine à la grâce prévenante, comme l’enseigne le molinisne. C’est une erreur que de dire avec Quesnel : « le juste qui pèche était dans l’impuissance de résister à la tentation et d’accomplir le précepte qui s’imposait à lui, parce qu’il n’avait pas le secours qui lui était nécessaire et que Dieu seul pouvait lui accorder. » Nos péchés sont de nous seuls ; mais nos bonnes <nircs sont à la fois de Dieu et de nous. Dieu nous prévient par sa grâce, afin que nous voulions, et il nous aide, afin que nous fassions ce que nous voulons. La grâce prévient, la bonne volonté suit et ainsi ce qui est mi don de Dieu devient notre propre mérite ; c’est la grflee de Dieu avec nous, gratta Det mecum. Celui qui ne fait pas le bien, pouvait le faire, mais,

s’il le fait, c’est que Dieu lui a donné de le faire. Coronando mérita nostra, coronat dona sua.

5. Quando Deus non

emollit cor per interiorem

unctionem gratiæ suas ex hortationes et gratiæ exte riores non inserviunt, nisi

ad illud magis obdurandum.

.">. Quand Dieu n’amollit

pas le cœur par l’onction

intérieure de sa grâce, les

exhortations et les grâces

extérieures ne servent qu’à

l’endurcir davantage. Rom.,

ix, 18, éd. de 1693.

Dire, en général et sans exception, que les grâces extérieures (prédication, lectures, bons exemples, exhortations pieuses) ne servent qu’à endurcir le cœur, si l’onction intérieure, c’est-à-dire la grâce efficace n’amollit pas le cœur, c’est affirmer que ces grâces extérieures, toutes seules, sont nuisibles et c’est donc faire injure à Dieu, qui souvent accorde de telles grâces au pécheur. D’après Quesnel, sans la grâce efficace, on ne peut qu’abuser de ces grâces ; il écrit (Rom., vii, 12), « la loi, l’incarnation même et tous les mystères sont des grâces extérieures dont on ne peut qu’abuser, si l’Esprit de Dieu n’en fait faire un bon usage ». Proposition pernicieuse qui diminue l’estime que nous devons avoir des grâces extérieures et fait croire que ces grâces extérieures sont des occasions de péché et d’endurcissement, à moins que Dieu ne nous donne une grâce efficace. Quesnel fait retomber sur la grâce l’abus qu’on en peut faire, lequel doit être attribué à la malice de l’homme. C’est reprendre la proposition 6 condamnée par Alexandre VII : « la grâce suffisante est plus per nicieuse qu’utile dans l’état où nous sommes, en sorte que nous avons sujet de faire à Dieu cette prière : Seigneur, délivrez-nous de la grâce suffisante. »

En fait, l’expérience démontre que les grâces extérieures préparent le cœur à bien recevoir la grâce intérieure et par elle la justification ; par elles-mêmes, elles n’endurcissent pas le cœur. Saint Augustin dit que la loi ne sert de rien et qu’elle nuit plutôt sans le secours de la grâce, mais il ajoute que cela vient de la dépravation du cœur qui refuse d’obéir à la loi. Quesnel a repris la thèse de Jansénius : dans la distribution des grâces extérieures, Dieu n’a d’autre dessein que de procurer un plus grand endurcissement du cœur chez ceux qui n’en profitent pas.

D’ailleurs cette proposition semble en opposition avec les propositions 79 et 80, où Quesnel parle de la lecture de l’Écriture sainte qu’il affirme nécessaire en tout temps et pour toutes sortes de personnes, même pour les pécheurs, alors que cette grâce extérieure, d’après la proposition 5 ne peut être utile qu’à ceux auxquels Dieu accorde la grâce efficace.

6. Discrimen inter fœdus 6. Quelle différence, ô

judaicum et christianum mon Dieu, entre l’alliance

est, quod in illo Deus exigit judaïque et l’alliance rhré fugam peccati et implemen-tienne ! L’une et l’autre ont

tum legis a peccatore, relin-pour condition le renonec quendo illum in sua impo-ment au péché et l’accom tentia ; in isto vero, Deus plissement de voire Loi ;

peccatori dat quod jubet, mais là vous l’exigez du

illum sua gratia purificando. pécheur, en le laissant dans

son impuissance ; ici, vous

lui donnez ce que vous lui

commandez, en le purifiant

par votre grvee. Rom., XI,

27, éd. de 1693 et 1699.

Cette proposition et les deux suivantes résument les thèses jansénistes sur la distinction et l’opposition des deux alliances. De l’impuissance de la Loi, si nettement indiquée par saint Paul, les jansénistes concluent l’impuissance des Juifs, qui n’avaient aucun secours pour observer la Loi. Sans doute, la Loi étail impuissante par elle-même et elle ne donnait point le pouvoir de l’accomplir, mais Dieu pouvait accorder aux Juifs les secours, c’est-à dire, les grâces ni ’saires pour l’accomplir. Le Juif, en vertu de la Loi, restait dans l’impuissance, mais par la foi au Messie à venir et par la grâce qu’il pouvait demander à Dieu et recevoir de Lui, il pouvait sortir de cette impuissance. Or, le texte condamné exclut toute grâce, même celle de Jésus-Christ.

Il est donc faux d’aflirmer que Dieu laissait les Juifs dans leur impuissance et il est également faux de dire que Dieu cependant exigeait d’eux l’accomplissement de la Loi, comme si Dieu demandait l’impossible. Saint Thomas (Ia-IIæ, q. xcviii, a. 2, ad 4um), écrit à ce sujet : Dicendum quod Lex vêtus non sufficiebat ad salvandos homines, Utmen adend aliud auxilium… per quod salvari poterant et sie Deux non deficiebal hominibus, quin daret eis auxilium. Les affirmations jansénistes sont donc erronées, à savoir que, pour le Juif, la Loi était plutôt un obstacle, à cause de son impuissance à l’accomplir ; la grâce nécessaire pour sortir de cette impuissance naturelle n’a été accordée qu’à un petit nombre de privilégiés. La plupart ont été abandonnés à leur propre impuissance, sans aucune grâce intérieure. En conséquence, les Juifs, laissés sans grâce, étaient forcés de violer la Loi, dont cependant Dieu exigeait l’accomplissement.

De même, les deux affirmations relatives à la Nouvelle Alliance sont fausses et hérétiques. Il est faux que Dieu ne donne aux chrétiens le pouvoir d’accomplir la Loi qu’en tant qu’il leur accorde la grâce efficace, par laquelle il donne ce qu’il commande, en purifiant par sa grâce. La proposition condamnée suppose évidemment que Dieu n’accorde la grâce efficace que dans la Nouvelle Alliance. Les Juifs, avant l’incarnation, n’auraient eu aucune grâce qui leur permît d’accomplir la Loi qui leur était imposée. Il faut seulement dire, avec les Pères, que, sous l’Ancienne Loi, la grâce était moins abondante et beaucoup moins répandue que sous la Nouvelle Alliance. La foi au Rédempteur est nécessaire au salut. La fin principale de l’Ancienne Alliance était de préparer les hommes à la venue de ce Rédempteur. De là, la supériorité des Juifs sur les Gentils ; mais le chrétien est tout à fait au-dessus du Juif, car celui-ci était dans l’attente du Rédempteur, tandis que celui-là est dans la possession du Christ.

7. Quse utilitas pro homine 7. Quel avantage y a-t-il

in veteri fœdere, in quo pour l’homme dans une

Deus illum relinquit ejus alliance où Dieu le laisse à

proprise infnmitati, impo-sa propre faiblesse en lui

nendo illi suam legem ? Quse imposant une loi ? Mais quel

vero félicitas non est, ad-bonheur n’y a-t-il point

mitti ad foedus, in quo Deus d’entrer dans une alliance,

nobis donat, quod petit a où Dieu nous donne ce qu’il

nobis. demande de nous. Heb.,

vin, 7, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition soulève les mêmes critiques que la précédente, et elle ajoute que, pour les Juifs, le fait d’avoir une loi, n’est point un privilège, mais une occasion constante et universelle de pécher. Dans l’Ancienne Loi, les Juifs ne recevaient aucune grâce du futur Rédempteur, et ainsi sans grâce, et soumis à une loi qu’ils ne pouvaient accomplir, ils étaient inférieurs aux Gentils, car ils étaient tenus dans leur impuissance et leur faiblesse. Mais Dieu, en vertu des mérites de Jésus-Christ, le futur Rédempteur, pouvait leur accorder des grâces pour observer la Loi. Lex data est ut gratia quæreretur.

Dans Plainte et protestation, p. 56 et dans Exposé plus ample, p. 226-227, Quesnel convient qu’il y a eu des justes et des élus dans l’Ancienne Loi, qu’ils ont accomplie par la grâce de Jésus-Christ, mais, alors, dit-il, ils appartiennent à la Loi nouvelle et ils sont membres de Jésus-Christ. Et il ajoute : les Juifs,

qui, en très grand nombre, n’ont pas accompli la Loi étaient dans l’impuissance de l’accomplir, parce qu’ils appartenaient à la Loi ancienne. Si quelques-uns étaient tirés de cette impuissance, ce n’était point par la vertu de la Loi, mais par la grâce qui n’a été accordée qu’à un tout petit nombre (paucis exceplis, avait dit Jansénius, De gratia Salvatoris, t. III, c. v). " Cette grâce, dit Jansénius c. viii, était plutôt une grâce empêchante, qui éclairait l’intelligence, en excitant la concupiscence et en augmentant les mauvais désirs. »

8. Nos non pertinemus ad 8. Nous n’appartenons à la novum foedus, nisi in quan-Nouvelle Alliance qu’autant tum participes sumus ipsitis que nous avons part à cette novæ gratiæ quæ operatur nouvelle grâce, qui opère in nobis, id quod nobis en nous ce que Dieu nous Deus præcipit. commande. Heb., viii, 10,

éd. de 1693 et 1699.

D’après cette proposition, la grâce efficace est la seule qui convienne à la Nouvelle Alliance et elle est la seule grâce de Jésus-Christ. Il faut donc conclure que le chrétien, qui ne possède pas cette grâce, que le pécheur et le juste qui tombe dans le péché, n’appartiennent plus à la Nouvelle Alliance. Seuls, les justes, qui persévèrent dans l’état de grâce, appartiennent à cette Alliance. Sans doute, pour être de vrais et parfaits chrétiens, il faut, avec la grâce efficace, faire ce que Dieu commande, mais on appartient à la Nouvelle Alliance, par le fait qu’on professe la foi chrétienne, même si l’on n’en remplit pas tous les préceptes. La proposition est donc suspecte d’hérésie, car elle suppose que, dans l’Église de la Nouvelle Alliance, il n’y a que des justes et des saints en qui agit la grâce efficace.

9. Gratia Christi est gratia 9. La grâce de Dieu est suprema, sine qua conflteri une grâce souveraine sans Christum nunquam possu-laquelle on ne peut jamais mus et cum qua nunquam confesser Jésus-Christ et illum abnegamus. avec laquelle on ne le renie

jamais. I Cor., xii, 3, éd.

de 1693.

Cette proposition est indéfinie et universelle ; elle affirme que toute grâce est efficace et souveraine ; que, sans cette grâce, on n’a pas le pouvoir réel de confesser Jésus-Christ et qu’avec elle jamais on ne le renie. C’est la seconde proposition de Jansénius : « la grâce de Jésus-Christ est toujours efficace et on n’y résiste jamais », condamnée comme hérétique. Sans doute, la grâce est nécessaire pour faire le bien, pour confesser Jésus-Christ, mais cette grâce n’est pas toujours efficace. En fait, beaucoup de ceux qui reçoivent la grâce, en abusent et la rejettent ; c’est la grâce suffisante dont Quesnel nie l’existence. On peut avoir le pouvoir de confesser Jésus-Christ, comme Pierre avant sa chute ; mais pour le confesser effectivement, il faut la grâce efficace. Lorsque la grâce de Jésus-Christ est efficace — mais elle ne l’est pas toujours pour des raisons diverses — elle est souveraine et avec elle on confesse Jésus-Christ et on ne le renie point.

10. Gratia est operatio 10. La grâce est une opémanus omnipotentis Dei, ration de la main toute-puisquam nihil impedire potest, santé de Dieu, que rien ne ant retardare. peut ni empêcher, ni retarder. Matth., xx. 34, éd.

1693 et 1699.

Cette proposition va encore plus loin que la précédente : non seulement, on ne peut pas résister à la grâce, mais on ne peut empêcher ou retarder son cours. N’est-ce pas nier la liberté humaine, dont il ne reste que le nom ? La liberté ne consiste plus qu’à suivre volontairement l’opération de la grâce. Dès lors, si toute grâce a l’effet voulu de Dieu, c’est donc fi

que, lorsqu’un effet salutaire n’est pas produit, la grâce n’a pas été donnée. Or, il est de foi que l’homme, prévenu même par une grâce très forte, peut lui résister, et, par conséquent, empêcher ou retarder son effet. Saint Augustin a dit : Misericordia Dei prævenit nos ; consentire autem vocationi Dei, vel ab ea dissenlire, proprise voluntatis est. Lib. De spirilu et liftera, c. xxxiv.

11. Gratia non est aliud 11. La grâce n’est autre

quam voluntas omnipotens chose que la volonté toute Dei jubentis et facientis puissante de Dieu qui com quod juhet. mande, et qui fait ce qu’il

commande. Marc, ii, 11,

éd. 1693 et 1699.

Il est faux de dire que toute grâce n’est que la volonté toute-puissante de Dieu ; Quesnel lui-même dit que la grâce est une lumière (prop. 14), une onction (prop. 15), un charme (prop. 16), une voix (prop. 17). Il est hérétique d’affirmer que toute grâce fait ce que Dieu commande, car il y a la grâce suffisante. Cette proposition est la conséquence logique des thèses jansénistes sur les effets du péché originel : le péché a lié et enchaîné la volonté humaine par la concupiscence, qui la porte au péché, et le seul remède à cette concupiscence terrestre est la grâce efficace de Jésus-Christ. Le juste lui-même, sans cette grâce efficace, ne peut observer les commandements de Dieu, car, seule, cette grâce fait ce que Dieu commande. L’auteur de La constitution Unigenitus avec des remarques, p. 43 et 44, écrit : » Toutes les grâces ont leur source dans la volonté de Dieu ; donc elles sont efficaces et elles font tout ce que Dieu veut qu’elles opèrent, quoique souvent elles soient inefficaces par rapport à l’effet, auquel elles portaient la volonté, qui y résiste par corruption… La volonté de Dieu opère dans le cœur de l’homme, quand et autant qu’il lui plaît, sans qu’il puisse résister à sa volonté. »

12. Quando Deus vult 12. Quand Dieu veut salvare animam, quocumque sauver l’âme, en tout temps, tempore, quocumque loco, en tout lieu, l’indubitable effectus indubitabilis sequi-effet suit le vouloir d’un tur voluntatem Dei. Dieu. Marc, ii, 11, éd. 169.3

et 1699.

Cette proposition est empruntée textuellement à saint Prosper. Mais Quesnel l’emploie d’une manière absolue : tous ceux que Dieu veut sauver sont sauvés, donc Dieu ne veut pas vraiment sauver ceux qui ne se sauvent pas et, par conséquent, Dieu ne veut vraiment le salut que des seuls élus. C’est la 5 « proposition de Jansénius. Pour soutenir la proposition de Quesnel, les jansénistes ont dit : Dieu est toutpuissant et il fait tout ce qu’il veut, donc tous ceux que Dieu veut sauver, le sont infailliblement. Ceux qui sont sauvés sont les seuls auxquels Dieu a vraiment rendu le salut possible ; aux autres. Dieu n’a voulu et accordé que des grâces passagères, avec lesquelles ils ne pouvaient pas vraiment se sauver.

13. Quando Deus vult 13. Quand Dieu veut sauanimam salvnre, et eam ver une âme, et qu’il la tangil interlori gratire sua » touche de la main intérieure manu, nulla voluntas hu-de sa grâce, nulle volonté mana ei resistit. humaine ne lui résiste. Luc,

v, 13, éd. de 1693.

Rien ne résiste et ne peut résister à la volonté absolue de Dieu, qui est tout-puissant, mais Quesnel est Ici condamné pour avoir affirmé que, dans l’économie du salut et dans la distribution des grâces, il n’y a que cette volonté absolue de Dieu. Qu’il y ait des

efficaces, victorieuses qui nous font agir, quand Dieu veui exercer son pouvoir souverain

sur les coeurs, quand il veut d’une volonté absolue et qu’il emploie des moyens surs et infaillibles auxquels BUCUne volonté humaine ne résiste, e’est certain.

Mais Quesnel est condamné pour avoir affirmé que Dieu agit toujours de la sorte, et qu’il n’y a pas d’autre grâce que ces grâces efficaces auxquelles on ne résiste pas. L’Église n’a rien décidé touchant la grâce efficace par elle-même, et la question reste controversée, mais l’Église n’admet pas que toute grâce soit efficace et qu’on ne lui résiste jamais. Il y a une grâce intérieure, qui n’est pas toujours efficace et à laquelle la volonté humaine peut résister et en fait résiste (concile de Trente, sess. vi, can. 4, 5, 13 et 2e propos, de Jansénius).

14. Quantumcumque re- 14. Quelque éloigné que motus a salute sit peccator soit du salut un pécheur obsobstinatus, quando Jésus se tiné, quand Jésus se fait ei videndum exhibet lumine voir à lui par la lumière salutari suse gratiæ oportet salutaire de sa grâce, il faut ut se dedat, accurrat, sese qu’il se rende, qu’il accoure, humiliet et adoret Salvato-qu’il s’humilie, et qu’il rem suum. adore son Sauveur. Marc, v,

6, 7, éd. 1693.

Cette proposition, comme la précédente, affirme que toute grâce intérieure est efficace ; elle affirme le caractère irrésistible de la grâce et la nécessité pour l’âme du pécheur de suivre son mouvement ; il faut qu’il se rende. Sans doute, par la grâce prévenante. Dieu va à la poursuite du pécheur, lequel, par lui-même ne saurait vouloir vraiment se convertir ; mais, lorsque le pécheur a reçu cette grâce, il doit y coopérer et, sauf des cas exceptionnels, le pécheur conserve le pouvoir de résister au mouvement de la grâce. Quesnel semble atténuer le sens de la proposition justement condamnée, lorsqu’il ajoute : « on ne quitte pas le péché sans violence ; on ne déracine pas une mauvaise habitude sans qu’il en coûte beaucoup à la nature. Elle combat contre la grâce… > ; mais il ne dit pas que, dans ce combat, la nature puisse résister à la grâce.

15. Quando Deus man- 15. Quand Dieu accomdatum suum et suam ex-pagne son commandement ternam locutionem comita-et sa parole extérieure de tur unctione sui Spiritus l’onction de son Esprit et et interiori vi gratiæ su », de la force intérieure de sa operatur illa in corde obe-grâce, elle opère dans le dientiam, quam petit. coeur l’obéissance qu’elle

demande. Luc, ix, 60, éd. de 1693 et de 1699.

Cette proposition affirme encore que toute grâce intérieure est eflicace et que cette grâce supprime vraiment l’exercice de la liberté, puisqu’elle opère dans le cœur l’obéissance qu’elle demande, sans la moindre coopération de la volonté ; c’est la 2e proposition de Jansénius. Il y a, en fait, des grâces intérieures qui n’ont pas l’efîet pour lequel Dieu les accordait ; ce sont des grâces suffisantes, pleinement suffisantes, car elles donnent un pouvoir surnaturel, mais, parce que la volonté n’apporte pas sa coopération, l’acte n’est point produit, Vocavi ei renuistis, Prov., i, 21. Non omnes qui vocati sunt, venin voluerunt.

16. Nullæ sunt illecebrae. quæ non cédant illecebris gratin ?, quia nihil resistit Omnipotent !.

(Test toujours la même liblement victorieuse des faux, car on peut sentir cependant y résister.

17. Gratis est vox illa Patris, <|u : e hommes Intérim docet, ac eos ventre

r.icit ad.lésion ChrUtum. Quicumque ad eum non

16. Il n’y a point de charmes qui ne cèdent à ceux de la grâce ; paire que rien ne résiste au Tout-Puissant. Act., viii, 12, éd. 1693 et 1699.

erreur : la grâce est infail attraits du péché. Cela est les attraits de la grâce et

17. La grâce est cette voix du l’ère qui enseigne intérieurement les hommes ei les fait venir a Jésus < Inisl.

Quiconque ne vient pas ft

venit, postquam audivit vo-lui, après avoir entendu la

cem exteriorem Filii, nulla-voix extérieure du Fils, n’est

tenus est doctus a Pâtre. poinl enseigné par le Père.

.loa., vi, 45, éd. 1693 ot 1699.

18. Semen verbi, quod 1K. La semence de la manus Uei irrigat, semper parole que la main de Dieu affert fructum suum. arrose porte toujours son

fruit. Act., xi, 21, éd. 1693

et 1699.

Ces deux propositions, sous une forme différente, énoncent la même erreur : la grâce intérieure (voix de Dieu, ou semence divine) est toujours efficace et on ne peut lui résister, car la voix du Père conduit au Fils, et la semence de la parole produit toujours son fruit. Or, il ne suffît pas d’entendre la voix de Dieu ; il faut aussi lui être docile. D’autre part, la semence ne produit pas toujours son fruit, car la nature du terrain et les circonstances peuvent l’empêcher de germer et de se développer. Dans la parabole de la semence, la stérilité de la semence est attribuée, non point au fait qu’elle n’a pas été arrosée, mais à l’intervention du diable, ou au mauvais terrain, aux pierres, aux ronces… Si la proposition de Quesnel était vraie, les pécheurs qui demeurent dans leur péché pourraient se plaindre à Dieu et lui reprocher de ne pas porter de fruit, parce que la main de Dieu ne les a pas arrosés, car autrement ils auraient infailliblement porté du fruit. Tout au contraire, c’est Dieu qui reprochera au pécheur de n’avoir pas coopéré aux grâces qu’il lui avait accordées.

19. Dei gratia nihil aliud 19. La grâce de Dieu est quam ejus omnipotens n’est autre chose que sa voluntas : h ; ec est idea quam volonté toute-puissante. Deus ipse tradit in omnibus C’est l’idée que Dieu luisuis Scripturis. même nous en donne dans

toutes ses Écritures. Rom.,

xiv, 4, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est erronée, car la grâce de Dieu n’est pas que cela, et elle ne saurait être identifiée avec la toute-puissance divine. La bonté, la sagesse, la Providence de Dieu concourent à ce don précieux de la grâce. D’autre part, la grâce doit être envisagée du côté de l’homme à qui elle est accordée et à qui elle demande une coopération.

L’auteur de l’Examen théologique prétend que dans les éditions postérieures, Quesnel aurait écrit : « La grâce n’est autre chose, de la part de Dieu, que sa volonté toute-puissante » ; ainsi, il semble indiquer qu’il ne parle que de la grâce incréée, telle qu’elle est en Dieu ; mais, malgré cette correction, la proposition reste fausse, car même en Dieu, la grâce ne s’identifie pas avec la toute-puissance. Quesnel lui-même dit ailleurs que la grâce est un charme, une lumière, la voix de Dieu… La grâce est toujours regardée comme un secours intérieur, accordé à l’homme pour le bien surnaturel, et elle se distingue de la volonté toutepuissante de Dieu.

20. Vera gratia ? idea est 20. La vraie idée de la quod Deus vult sibi a nobis grâce est que Dieu veut obediri, et obeditur ; im-que nous lui obéissions, et il perat et omnia fiunt ; loqui-est obéi ; il commande et tur tanquam Dominus, et tout se fait ; il parle en omnia sibi submissasunt. maître et tout est soumis.

Marc, iv, 39, éd. 1693 et

1699.

C’est la même erreur ; la grâce est identifiée avec la toute-puissance divine et, comme la proposition est générale, il faut conclure que toute grâce est efficace. En fait, il y a de vraies grâces intérieures, auxquelles on résiste. Dieu commande et n’est pas obéi ; il parle en maître et tout ne lui est pas soumis, car l’homme lui résiste.

Bref, les propositions 16-20, sous des formes diverses, affirment : 1. que toute grâce est efficace ;

2. que jamais on ne lui résiste et qu’on ne peut lui résister, car elle est la volonté toute-puissante de Dieu.

21. Gratia Jesu Cbristi 21. La grâce de Jésusest gratia fortis, potens, su-Christ est une grâce forte, prema, invincibilis, utpote puissante, souveraine, invinquæ est operatio voluntatis cible, comme étant l’opéraoinnipotentis, sequela et uni-tion de la volonté toutetatio operationis Dei incar-puissante, une suite et une nantis et ressuscitants Fi-imitation de Dieu incarnant lium suum. et ressuscitant son Fils. II

Cor., v, 21, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition, ainsi que les trois suivantes, identifie la grâce avec la toute-puissance divine, se manifestant principalement dans l’incarnation et la résurrection de Jésus-Christ. La proposition 21 compare, sans aucune réserve, la grâce de Jésus-Christ à l’opération de Dieu incarnant et ressuscitant son Fils. Elle fait entendre, par conséquent, que la volonté de l’homme ne coopère pas plus à l’opération de la grâce que la nature humaine n’a coopéré à l’incarnation et que le corps de Jésus-Christ ne coopéra à sa résurrection. Donc la grâce est toute-puissante, souveraine, invincible.

22. Concordia omnipoten- 22. L’accord de l’opératis operationis Dei in corde tion toute-puissante de Dieu hominis, cum libero ejus dans le coeur de l’homme voluntatis consensu, de-avec le libre consentement monstratur illico nobis in-de sa volonté, nous est carnatione, veluti in fonte at-montré dans l’incarnation, que archetypo omnium alia-comme dans la source et le rum operationum misericor-modèle de toutes les autres diæ et gratia ?, qua ? omnes opérations de miséricorde ita gratuitæ atque ita de-et de grâce, toutes aussi pendentes a Deo sunt sicut gratuites et aussi dépenipsa originalis operatio. dantes de Dieu que cette

opération originale. Luc,

i, 38, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition mérite les mêmes critiques que la précédente. Sans doute, la gratuité de la première grâce est démontrée dans l’incarnation qui est toute gratuite, mais l’accord de la grâce avec la liberté humaine n’est point représenté par l’incarnation car l’union hypostatique du Verbe avec la nature humaine n’a point été libre pour cette dernière.

D’après l’auteur de La constitution Unigenitus avec des remarques, p. 62, Quesnel comparerait l’accord de la liberté et de la grâce non point au consentement de la nature humaine de Jésus-Christ dans l’incarnation, « mais la comparaison consiste en ce que, comme Dieu ne s’est point servi de la sainte Vierge pour opérer en elle l’incarnation de son Fils, sans lui demander auparavant son consentement, de même aussi il n’opère point dans les cœurs sans leur demander, pour ainsi dire, leur consentement pour ce qu’il veut opérer en eux, c’est-à-dire, qu’il n’opère en eux qu’en conservant leur liberté dans son entier, quoique ce soit lui qui donne ce qu’il demande ».

D’ailleurs on ne peut pas dire d’une manière absolue que toutes les opérations de la grâce soient totalement gratuites, comme l’incarnation, car il est de foi que le juste, par ses bonnes œuvres, mérite l’augmentation de la grâce et de la vie éternelle. Concile de Trente, sess. vi, can. 32.

23. Deus ipse nobis ideain 23. Dieu nous a donné tradidit omnipotentis opéra-lui-même l’idée qu’il veut tionis sua ? gratiæ eam signi-que nous ayons de l’opéficans per illam qua créa-ration toute-puissante de sa turase nihilo producit et grâce, en la figurant par celle mortuis vitam reddit. qui tire les créatures du

néant, et qui redonne la vie

aux morts. Rom., iv, 17,

éd. 1693 et 1699.

Cette idée est empruntée au synode de Dordrecht, qui comparait l’opération de la grâce à la création et à la résurrection des corps. C’est évidemment la 208 ! »

l’NTGENITUS (BULLE) PROP. 24, 25

2090

négation pure et simple de la liberté, car le néant ne peut coopérer à la création, ni un mort à sa résurrection. Quesnel indique que Dieu agit sur notre cœur par la grâce efficace, de la même manière qu’il agit par sa seule volonté dans la création et sur les morts pour les ressusciter. L’idée de la grâce est très distincte de l’idée de création et de résurrection, dans lesquelles Dieu seul agit et ne demande aucune coopération. Dans la justification, l’homme peut résister. « La voix du Sauveur traverse les parois du tombeau et ressuscite Lazare, mais la voix de Dieu peut ne pas pénétrer la dureté du cœur », écrit saint Augustin.

24. Justa idea, quam cen- 24. L’idée juste qu’a le turio habet de omnipotentia centenier de la toute-puisDei et Jesu Christi, in sauce de Dieu et de Jésussanandis corporibus solo Christ sur les corps, pour motu suæ voluntatis, est les guérir par le seul mouimago ideæ quæ haberi vement de sa volonté, est débet de omnipotentia su* l’image de celle qu’on doit gratiie in sanandis animabus avoir de la toute-puissance a cupiditate. de sa grâce à guérir les âmes

de la cupidité. Luc, vii, 7, éd. 1693 et 1699.

Dans cette proposition, Quesnel insinue nettement que la grâce est invincible. Dieu guérit les âmes comme il guérit les corps, sans la coopération de l'âme. C’est toujours l’identification de la grâce avec la toutepuissance divine et la passivité totale de l'âme dans sa guérison. Dieu guérit les corps sans eux ; mais ne guérit pas les âmes sans elles. Dans les deux cas, l’opération de Dieu est gratuite, mais dans la guérison de l'âme, il faut sa coopération. Dans les Entretiens d’un ecclésiastique et d’un laïc, p. xiv-xvi, on lit : « La bulle attaque le souverain pouvoir de Dieu sur nos âmes, car Dieu exerce la même puissance sur les âmes et sur les corps. Il n’est pas plus difficile à Dieu de guérir les âmes que de guérir les corps ; Dieu n’a qu'à commander. » Sans doute, mais Dieu peut guérir n’importe quel malade, car cette guérison ne dépend que de lui, tandis qu’il ne guérit pas une âme malgré elle, car pour sa guérison, l'âme doit apporter sa coopération.

25. Deus illuminât ani- 25. Dieu éclaire l'âme et mam et eam sanat aeque la guérit, aussi bien que le ac corpus sola sua volun-corps, par sa seule volonté ; tate ; jubet et ipsi obtem-il commande et il est obéi. peratur. Luc, xviii, 42, éd. 1693

et 1699.

L’est encore la même erreur. Quesnel exclul la coopération de la volonté humaine dans la guérison de l'âme.

Dans toutes ces propositions, Quesnel abuse de comparaisons que l’on trouve chez quelques l'ères, pour insinuer quc, sous l’influence de la grâce efficace, notre volonté reste passive, que notre volonté ne peut résister et ne peut refuser son consentement. Or, la doctrine catholique, exposée par le concile de Trente, csi lies nette : après la chute d’Adam, la liberté humaine est affaiblie, mais n’est point détruite, et la volonté humaine doit coopérer à l’action de la grâce.

Il ne sert de rien de dire avec l’auteur de La constitution Unigenitus une des remarques, p. 65 : Dans les propositions précédentes, on compare l’opération

toute-puissante de Dieu sur les corps avec son opération toute-puissante sur les âmes. Le ne sont pas les corps que l’on compare aux âmes, mais c’est une opération de Dieu que l’on compare à une autre Opération… Il opère, dans chaque être, conformément a la nature de cet être. Ainsi il guérit l'âme, en produisant en elle de bonnes volontés. Elle agit donc, puisqu’elle veut, mais c’est Dieu qui la rail vouloir, et vouloir librement, parce que sa nature est d'être libre. »

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Les Pères et les docteurs disent que le pécheur justifié reçoit un être nouveau, qu’il renaît enfant de Dieu, que la justification est une sorte de création, de résurrection, et ils comparent parfois la justification à l’opération par laquelle le Verbe divin s’est uni à la nature humaine par l’incarnation, pour nous apprendre que la grâce est toute gratuite et indépendante de nos mérites, comme l’opération de Dieu dans l’incarnation. Mais aucun d’eux n’a dit, comme Quesnel, que la grâce de Jésus-Christ, en général, est l’opération de la volonté toute-puissante de Dieu et qu’elle est invincible (prop. 21), comme si, dans l'économie du salut, la toute-puissance divine suffissait à tout expliquer. Aucun n’a dit. comme Quesnel (prop. 22), que l’accord de la volonté toute-puissante de Dieu dans le cœur de l’homme avec le libre consentement de sa volonté, nous est montré dans l’incarnation, comme si le consentement de la volonté humaine de Jésus-Christ, dans le mystère de l’incarnation, avait été libre, parce qu’il était volontaire (3e prop. de Jansénius). Aucun d’eux, en comparant l’opération de la grâce, en général, à celle qui tire les créatures du néant, qui redonne la vie aux morts, qui guérit les corps, n’a fait tomber la force de cette comparaison sur la toute-puissance de Dieu dans la création, dans la résurrection, dans la guérison miraculeuse des corps (prop. 23). Aucun d’eux, enfin, n’a dit que Dieu employait également sa toute-puissance, dans toutes les opérations de la grâce (prop. 21 et 25).

Conclusions sur les propositions relatives à la (/race. — Pour bien comprendre la valeur des condamnations portées contre les propositions de Quesnel, relatives à la grâce efficace, il importe de mettre en relief les thèses jansénistes sur la nature de cette grâce et de la liberté humaine et de montrer en quoi elles sont en opposition avec la doctrine catholique.

Sous l’influence de la grâce, la volonté est déterminée au bien, mais il lui reste encore le pouvoir de pécher, parce que, outre sa flexibilité naturelle pour le mal, la concupiscence demeure, qui l’attire au mal. Jansénius, De gratia Christi, t. VIII, c. x. De son côté, Quesnel écrit : « Sous la grâce efficace, le libre arbitre, qui est une faculté active, capable de se porter tantôt à un objet et tantôt à un autre, conserve toujours un vrai pouvoir. Lorsque Dieu, par la délectation dominante de la charité, porte la volonté au bien, il lui laisse toujours le pouvoir, qui est en elle, de se porter dans la suite et dans d’autres circonstances, à un acte mauvais. Au moment de la délectation dominante, la volonté ne peut pas choisir, puisqu’elle doit suivre cette délectation, mais le pouvoir, reste dans la volonté ; seul, l’exercice de ce pouvoir est lié dans le moment. L’acte est libre, parce qu’il est produit par une puissance libre de sa nature, quoiqu’elle soit déterminée maintenant à l’acte qu’elle produit, i

Les jansénistes rejettent la grâce nécessitante, c’est-à-dire, celle qui imposerait une nécessité naturelle, physique, absolue, d’une manière constante cl durable ; ils admettent une grâce efficace, qui établit une nécessité passagère, mais note point à la volonté le fond de son pouvoir, dont l’exercice n’est lié que pour un temps. L’acte produit par une faculté libre est déterminé par la délectation dominante du moment (charité ou concupiscence). Aussi lorsqu’ils parlent avec précision, les jansénistes disent non point que la volonté peut résister, mais qu’elle a le pouvoir de résister.

D’autres disent, avec une légère nuance : la volonté peut, si elle le veut, refuser son consent cinent à la grâce efficace, mais, comme c’est la délectation dominante qui fait agir la volonté, celle-ci ne peut vouloir autre chose que ce qu’elle veut et qu’elle fait par l’impression de la délectation ; autrement dit, la volonté

T. — V

66. 209J

I Mt ; ENIT1 S (BIj’LLK). PROP. 28-28

2092

pourrait, si elle le voulait, mais elle ne peut pas le vouloir. Notre volonté est libre, comme les saints sont libres de haïr Dieu et les démons d’aimer Dieu.

lui résumé, la grâce n'ôte point à la volonté le pouvoir naturel qu’elle a de se porter au bien ou au mal ; la volonté a le pouvoir de résister à la grâce, mais pas au moment précis où la grâce meut ; seulement cette détermination actuelle n’est que passagère et relative. La volonté n’a pas l’exercice actuel de son pouvoir, mais le pouvoir lui reste tout entier. La volonté, libre quant au pouvoir, ne l’est pas quant à l’exercice de ce pouvoir.

Par conséquent, la liberté n’est qu’une simple versatilité naturelle, qui peut se porter successivement tantôt sur un objet, tantôt sur un autre ; c’est une puissance qui peut agir successivement dans un sens ou dans un autre, suivant qu’elle est mue par la charité ou par la concupiscence, mais sous l’influence de la délectation dominante, l’usage et l’exercice de cette puissance sont liés momentanément. La liberté n’est que la capacité de recevoir une autre impression que celle qui est actuellement dominante et elle est toujours enchaînée par la délectation dominante du moment. L’homme qui agit ne peut à la fois agir et ne pas agir, mais il garde en lui-même le pouvoir de ne pas agir. L'âme, mue par Dieu, ne peut pas ne pas consentir à cette motion, mais dans son fond reste la possibilité de ne pas consentir, dont elle aurait pu user, si elle n’avait pas reçu cette motion. Pour faire comprendre sa thèse, Jansénius comparela liberté à une balance, qui penche toujours du côté des poids les plus lourds, mais qui conserve le pouvoir de pencher d’un autre côté, si le poids le plus lourd est placé de ce côté.

A cette thèse janséniste il faut opposer la doctrine catholique, exposée en particulier par le concile de Trente. Celui-ci, sess. vi, can. 4, 5, 32, a défini que la grâce laisse au libre arbitre sa nature et son essence ; elle le guérit et le fortifie. Or, l’essence de la liberté, même sous l’influence de la grâce, est le pouvoir de vouloir ou de ne pas vouloir, d'être maîtresse de l’action, de choisir entre deux actions simultanément possibles, et de pouvoir, sauf des cas exceptionnels, résister à l’inclination dominante, surmonter les difficultés ou se procurer les moyens de vaincre ces difficultés. Si l’impulsion est insurmontable, si les difficultés sont invincibles ou si l’homme ne peut se procurer les moyens nécessaires pour vaincre ces difficultés, on dit que l’homme n’est pas libre, par rapport à l’action, puisqu’il est forcé de la faire ou de ne pas la faire. Bref, par sa liberté, l’homme, même sous l’influence de la grâce, reste maître de l’action, et, avant l’action, il est libre d’agir ou de ne pas agir. Le concile a certainement voulu définir que, sous la motion divine, le libre arbitre peut user du pouvoir qu’il a de refuser son consentement à la motion.

Mais est-il nécessaire qu’il y ait équilibre et égalité d’inclination et de penchant ? Nullement. Le pélagianisme prétend que le péché originel n’a en rien affaibli le libre arbitre, que la volonté a autant de facilité et d’inclination pour le bien et pour le mal et il ajoute que, par elle-même et sans le secours de la grâce, la volonté a le pouvoir complet de faire le bien même surnaturel. C’est une double erreur condamnée par l'Église.

La nature a été blessée et affaiblie par le péché originel ; elle est ordinairement inclinée au mal ; par conséquent, elle a plus de penchant et de facilité pour le mal ; mais, pour être vraiment libre, il n’est pas nécessaire d’avoir toujours des forces égales, une égale facilité, une égale inclination pour les actes proposés au choix de la volonté. Il suffit que la volonté ait un vrai pouvoir de choisir, un pouvoir

actuel et réel, de sorte qu’elle est vraiment responsable de l’acte choisi, qu’elle est digne d'éloge et de récompense, si elle a choisi le bien, et digne de châtiment, si elle a choisi le mal.

En résumé, en face de la thèse janséniste, condamnée dans les propositions de Quesnel, la doctrine catholique est la suivante : 1. l’homme, par ses seules loues, n’a point, comme le prétend le pélagianisme, une égale inclination pour le bien et pour le mal, car ordinairement il est plus porté au mal. — 2. L’homme, avec la grâce sullisanle, garde encore souvent plus de penchant pour le mal que pour le bien et cette grâce ne replace pas l’homme dans l'état d’Adam innocent. Le libre arbitre a été affaibli, mais non détruit, par le péché originel ; avec cette grâce, l’homme est établi dans un équilibre de pouvoir qui lui permet de faire le bien, s’il le veut vraiment. — 3. Avec cette seule grâce suflisante, l’homme devient-il capable de faire réellement le bien surnaturel, sans avoir besoin d’une autre grâce ? C’est une question controversée. Le molinisme soutient que la volonté humaine, prévenue par cette grâce, peut la transformer en grâce efficace et faire des œuvres surnaturelles. La grâce suffisante est une motion au bien, qui est vraiment capable de faire agir, car cette grâce ne serait pas suffisante, si celui qui la reçoit était incapable, avec son secours, de faire une œuvre surnaturelle. Le thomisme affirme, au contraire, que la volonté humaine ne saurait transformer la grâce suffisante en grâce efficace. Il faut, de plus, une grâce efficace par ellemême, accordée par Dieu à celui qui correspond à la grâce suffisante, et cette grâce efficace laisse la liberté entière ; ainsi le thomisme se distingue essentiellement du jansénisme, qui, au moment où la grâce efficace agit, ne laisse à la volonté humaine qu’un pouvoir de résister, qui ne deviendra réel que lorsque la grâce efficace cessera d’exercer son influence.

26. Nullæ dantur gratiæ 26. Point de grâces que nisi per fidem. par la foi. Luc, viii, 48,

éd. 1693 et 1699.

La foi est la première des vertus théologales, car c’est par elle que nous commençons à approcher de Dieu, mais il y a des lumières surnaturelles, des grâces qui préparent le don de la foi, il est donc faux que la foi soit nécessairement et toujours la première grâce que Dieu accorde aux hommes ; il y a des grâces actuelles prévenantes, nécessaires pour le commencement de la foi, qui disposent l'âme à recevoir ce grand don de la foi ; ces grâces précèdent la foi, par conséquent, ne viennent pas dans l'âme par la foi. Les infidèles peuvent recevoir des grâces, même avant qu’on leur prêche l'Évangile ; ils reçoivent des grâces, quand on leur prêche l'Évangile et ces grâces précèdent la foi claire et distincte en Dieu et en JésusChrist, à savoir celles qui préparent leur âme à recevoir la foi. Toutes les bonnes actions qu’a faites le centurion Corneille, avant d’arriver à la foi, étaient un don de Dieu et supposent des grâces antérieures à la foi.

27. Fides est prima gratia 27. La foi est la première et Ions omnium aliarum. grâce, et la source de toutes

les autres. II Pet., i, 3, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est fausse, ou du moins équivoque. S’il était vrai que la foi est la première grâce, dans le sens de Quesnel, il faudrait conclure que ceux qui ne croient pas, ne reçoivent aucune grâce pour croire, et, d’autre part, que les dispositions qui précèdent et préparent la foi ne sont pas des grâces.

28. Prima gratia, quam 28. La première grâce que Deus concedit peccatori, est Dieu accorde au pécheur, peccatorum remissio. c’est le pardon de ses péchés. Marc, xi, 25, éd. 1693 et 1699.

D’après l’auteur de La constitution Unigenilus avec des remarques, p. 74, Quesnel aurait seulement voulu dire « que dans l’ordre de la justification et de la justice, c’est la rémission des péchés qui est la première grâce, laquelle est suivie, selon notre manière de concevoir, des habitudes infuses, et, après cela, des grâces qui font avancer et persévérer dans la vertu ». Cela est bien évident et revient à dire que la grâce sanctifiante est obtenue par le pardon des péchés ; mais Quesnel parle de la grâce en général, et alors la proposition est fausse, car les dispositions requises pour arriver à la justification sont des grâces actuelles, qui précèdent la justification par l’infusion de la grâce sanctifiante. Lorsque saint Augustin dans son Tract, in Joannem, écrit que la première grâce que reçoit le pécheur, c’est celle par laquelle ses péchés lui sont remis, il veut dire que la rémission des péchés précède la justification. Le concile de Trente, sess. vi, can. 3, dit qu’il faut une grâce prévenante pour se repentir, comme il faut obtenir de Dieu le pardon de ses fautes. La foi, l’espérance et d’autres dispositions précèdent la rémission des péchés et la justification.

29. Extra Ecclesiam, nulla 29. Hors do l'Église point conceditur gratia. de grâce. Luc, x, 35, éd.

1693 et 1699.

Cette proposition, dans sa généralité, est fausse. Ceux qui sont appelés à la foi, avant d’entrer dans l'Église, reçoivent des grâces actuelles, pour devenir membres de cette Eglise, puisqu’ils ne peuvent entrer dans l'Église que par le secours de la grâce. La proposition est même fausse en elle-même, s’il s’agit de la grâce sanctifiante, car il peut y avoir des justes qui ne faisant pas partie de l'Église extérieure, font néanmoins partie de l'âme de l'Église. Dieu accorde fies grâces aux infidèles, aux hérétiques, aux schismatiques. La proposition 5, condamnée par Alexandre VIII, le 7 décembre 1690, affirme implicitement que, hors de l'Église, il peut y avoir des grâces.

30. Omnes quos Deus vult 30. Tous ceux que Dieu salvare per Christum, sal-veut sauver par Jésusvantur infallibiliter. Christ, le sont infailliblement., loa„ vi, 40, éd. [693.

(.'est la 5e proposition de Jansénius. Seuls, les élus sont sauvés infailliblement par Dieu, qui ne veut pas sauver ceux qui se damnent. Quesnel reprend la pensée de.Jansénius : Dieu voulait véritablement sauver tous les hommes avant le péché d’Adam, en leur accordanl des grâces suffisantes, mais à la suite et eu punition du péché d’Adam, Dieu ne veut vraiment sauver que les seuls prédestinés ; dès lors. Dieu veut sauver, par Jésus-Christ et en vertu de sa médiation, les seuls élus qui sont infailliblement sauvés, et il ne seul pas sauver les réprouvés.

A la thèse de Quesnel il faut opposer la doctrine catholique : Dieu veut le salut de tous les fidèles ; il veut le salul des fidèles qui se damnent et il leur donne les moyens de se sauver. Lorsque l’homme pèche, sa volonté, par malice, s’oppose à la volonté formelle et posilie de Dieu, qui n’est pas accomplie par la seule faute de l' boni me. I)ieu ne cesse pas d'être

tout puissant, lorsque l’homme s’oppose à lui, car ce que l’homme fait par sa volonté libre, il ne le fait que par la permission de Dieu. Ce n’est point avilir

la majesté divine et donner de Dieu une idée fausse que de représenter Dieu comme désirant la conversion du pécheur, attendant son consentement et lui accordant des grâces pour rentrer dans l’ordre. Dieu veut le salut de tons les hommes d’une vraie volonté ; ce n’est pas une simple velléité, un désir, un mouvement de compassion et de pitié ; c’est une volonté Vraie et sincère. Il est f ; m de dire, d’une manière

absolue, que la volonté de Dieu est toujours accomplie, de telle sorte que les créatures libres ne peuvent pas résister à sa volonté. L’homme, par sa malice, peut s’opposer et résister à la volonté de Dieu, parce que Dieu lui a donné la liberté ; d’ailleurs, la punition qui attend la volonté rebelle, le fait rentrer dans l’ordre voulu de Dieu.

31. Desideria Christi som- 31. Les souhaits de Jésusper habent suum effectum, Christ ont toujours leur pacem intimo cordium in-effet : il porte la paix jusfert, quando eis illam optât, qu’au fond des cœurs, quand

il la leur désire. Joa., xx, 19, éd. 1693 et 1699.

D’après Quesnel, les souhaits de Jésus-Christ sont toujours accomplis, parce qu’il est tout-puissant ; il faut conclure que Jésus-Christ ne souhaite pas le salut des damnés et ne souhaite que le salut des élus ; il ne souhaite pas la paix à ceux qui n’en jouissent pas. Or cela est faux, car les souhaits de Jésus ne sont pas toujours réalisés, parce que la volonté libre de l’homme leur fait échec.

32. Jésus Christus se 32. Assujettissement voniorti trndidit ad liberandum lontaire, médicinal et divin pro semper suo sanguine de Jésus-Christ… de se primogenitos, id est, electos, livrer à la mort, afin de de manu angeli extermina-délivrer pour jamais par son toris. sang les aînés, c’est-à-dire,

les élus, de la main de l’ange exterminateur. Gal., iv, 4-7, éd. 1693 et 1699.

C’est tout à fait la 5e proposition de Jansénius. Jésus n’est mort que pour les prédestinés. Les disciples de Quesnel ont prétendu que la proposition n’est pas exclusive : Jésus a mérité même pour les réprouvés, mais seulement des grâces plus ou moins grandes, des grâces passagères, qui, en fait, ne rendaient pas le salut possible. Le commentateur de Quesnel, op. cit., p. 75, précise : « On doit convenir que Jésus-Christ n’a de volonté efficace et absolue de sauver que les prédestinés. Quoiqu’il soit mort pour d’autres que les prédestinés et qu’il ait offert son sang pour d’autres que pour les élus, cependant ce n’est point pour leur salut éternel et pour les délivrer à jamais de la main de l’ange exterminateur, mais pour leur obtenir des grâces passagères qu’il a offert sa mort, car s’il avait effectivement voulu les sauver, ils le seraient sans doute. »

Contre cette thèse, il faut affirmer que Dieu veut vraiment le salut de tous, que Jésus-Christ est vraiment mort pour tous et a mérité pour tous des grâces de salut, que Dieu ne prive de sa grâce que ceux qui, librement, y mettent obstacle ; il accorde à tous des moyens suffisants, pour qu’ils puissent se sauver, cl c’est pour mériter ces grâces quc Jésus Christ est mort.

33. Proie quantum opor- 33. Combien faut-il avoir lel bonis terrenis et sibiniet-renoncé : ui choses de la ipsi renunciasse ad hoc ut terre et à soi-même pour quis flduciam habeal sibi, avoir la confiance de s’npul Ita dicam, appropriant !) proprier, pour ainsi dire, Christum Jesum, cjus amo-Jésus-Christ, son amour, sa rein, inortem et m steri.i, ul morl et ses mystères, comme facit S. Paulus, dicens : i Qui fait saint Paul, en disant : dilexit me et tradidit seine- » fl m’a aimé et s’est livré tipsutu pro me. pour moi. Gal., ii, 20, éd.

1693 el 1699.

D’après ce texte, il n’y aurait quc les parfaits chii tiens et les élus, comme saint Paul, qui pourraient vraiment espérer quc Jésus les aime et qu’il s’est livré à la mort pour leur salut éternel ; seuls, les parfaits

peuvent s’approprier avec confiance les mérites de Jésus-Christ. Cette proposition suspecte reprend la

.V proposition de Jansénius. Les grands pécheurs euxmêmes peuvent et doivent avoir confiance dans la

mort de Jésus-Christ et dans ses mérites. Les saints appuient leur confiance dans la miséricorde et les promesses de Jésus, plutôt que dans le renoncement aux biens d’ici-bas. Bref, tous les hommes, même ceux qui sont encore attachés aux choses de la terre doivent avoir confiance en Jésus-Christ, qui nous a tous rachetés et veut tous nous sauver… Tous peuvent répéter les paroles de saint Paul : « Il m’a aimé et il s’est livré pour moi. »

34. Gratia Adami non pro- 34. La grâce d’Adam ne ducebat nisi mérita humana. produisait que des mérites

humains. Joa., i, 16, éd. de 1693 et de 1699.

La grâce accordée à Adam innocent était proportionnée à sa nature saine. C’est la première proposition de Baius, proposition fausse, car même chez Adam innocent, la grâce était gratuite et surnaturelle, par conséquent, les actes produits par-elle n'étaient pas seulement des mérites humains, puisqu’ils étaient faits avec une grâce toute divine. Les mérites que la grâce fait produire, même avec la coopération humaine, ne sont pas des mérites humains seulement, mais ils sont surnaturels, puisque la grâce surnaturelle en est le principe.

35. Gratia Adami est se- 35. La grâce d’Adam est quela creationis, et erat une suite de la création et débita naturæ sana ? et in- était due à la nature saine tegrae. et entière. II Cor., v, 21,

éd. 1693 et 1699.

Cette proposition reprend les thèses de Luther au c. m de la Genèse et la proposition 7 de Baius : La grâce était naturelle à Adam, comme la lumière aux yeux, écrit Luther ; elle constituait comme une sorte de dette à l'égard d’Adam et elle était due à la nature humaine, en ce sens que Dieu devait à sa sagesse et à sa justice de créer l’homme dans cet état de justice ; c’est pour cela, d’ailleurs, que les actes d’Adam innocent étaient dotés de mérites purement humains (prop. précédente).

C’est une doctrine formellement condamnée par l'Église ; on peut dire que la grâce convenait à la nature innocente, mais elle n'était pas due. Avant comme après le péché originel, la grâce, nécessaire pour le bien surnaturel, est gratuite et surnaturelle. Dieu aurait pu créer l’homme sans le destiner à une fin surnaturelle, sans lui donner la grâce ; dans ce cas, l’homme n’aurait pas été appelé au bonheur surnature], et n’aurait pas eu besoin de la grâce. Donc, la grâce n’est pas due à la nature humaine en elle-même, en conséquence de sa création.

36. Differentia essentialis 36. C’est une différence inter gratiam Adami et essentielle de la grâce status innocentise ac gra-d’Adam et de l'état d’innotiam christianam, est quod cence, d’avec la grâce chréprimam unusquisque in pro-tienne, que chacun aurait pria persona recepisset ; ista reçu la première en sa propre vero non recipitur, nisi in personne ; au lieu qu’on ne persona Jésus Christi res-reçoit celle-ci qu’en la persuscitati, cui nos uniti su-sonne de Jésus-Christ resmus. suscité à qui nous sommes

unis. Rom., vii, 4, éd. 1693 et 1699. « C’est en Jésus-Christ et par Jésus-Christ que nous recevons la grâce, au lieu qu’Adam la reçoit de Dieu, sans que personne ne la lui ait méritée », écrit l’auteur de La constitution Unigenitus avec des remarques, mais faut-il conclure que la grâce chrétienne n’est reçue que dans la personne de Jésus-Christ ? Si oui, il faut dire que la grâce nous est simplement imputée et c’est une thèse condamnée par le concile de Trente. Sess. vi, can. 11. Jésus nous a mérité la grâce par sa mort ; il est médiateur et source de la grâce ; mais cette grâce découle vraiment en nous,

nous la recevons en notre âme et non point en la personne de Jésus-Christ. La grâce chrétienne, comme la grâce d’Adam innocent, est une qualité divine, inhérente et infuse en notre âme ; nous sommes justifiés formellement par la justice inhérente en nous, et non point comme le prétend Luther, par une imputation de la justice qui est en la personne de JésusChrist.

37. Gratia Adami sanctificando illum in semetipso erat illi proportionata ; gratia christiana, nos sanctificando in Jesu Christo, est omnipotens et digna Filio Dei.

37. La grâce d’Adam le sanctifiant en lui-même, lui était proportionnée ; la grâce chrétienne nous sanctifiant en Jésus-Christ est toutepuissante et digne du Fils de Dieu. Eph., i, 6, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition complète la précédente et contient la même erreur ; de plus, elle réédite la thèse de la proposition 35, à savoir que la grâce d’Adam était proportionnée à sa nature et lui était due. La grâce sanctifiante nous est imputée en la personne de JésusChrist ; elle ne nous est pas inhérente et, de plus, elle est toute-puissante, comme si tout était irrésistible dans les effets qu’elle produit en nous. Quesnel ajoute que la grâce chrétienne est digne du Fils de Dieu, mais la grâce d’Adam n'était-elle pas digne de Dieu ?

38. Peccator non est liber, 38. Le pécheur n’est libre nisi ad malum, sine gratia que pour le mal sans la liberatoris. grâce du libérateur. Luc,

vin, 29, éd. 1693 et 1699.

C’est la proposition 27 de Baius : liberum arbitrium, sine gratiæ Dei adjutorio, nonnisi ad peccandum valet. C’est le fond de la doctrine de Jansénius. L’homme pèche, dans toutes ses actions, s’il n’a pas la charité pour principe et pour motif ; or, sans la grâce du Libérateur, la charité ne saurait être le principe et le motif de nos actions. Seule, la grâce nous donne la liberté de faire le bien, parce que seule elle rompt les chaînes de la concupiscence. Sans la grâce, le pécheur ne peut que pécher. C’est une proposition hérétique, condamnée par le concile de Trente, sess. vi, can. 7, qu’on retrouve dans la proposition 35 de Baius : Omne quod agit peccator vel servus peccati, peccalum est.

39. Voluntas, quam gratia 39. La volonté que la non prævenit, nihil habet grâce ne prévient point luminis, nisi ad aberrandum ; n’a de lumière que pour ardoris nisi ad se præcipi-s'égarer, d’ardeur que pour tandum, virium nisi ad se se précipiter, de force que vulnerandum. Est capax pour se blesser : capable dé omnis mali et incapax ad tout mal et impuissante à omne bonum. tout bien. Matth., xx, 3,

éd. 1693 et 1699.

C’est la même erreur condamnée dans la proposition précédente et dans les propositions 27 et 35 de Baius et par le concile de Trente. Quesnel réédite la pensée exprimée par Jansénius, De statu naturae lapsee, t. IV, c. xviii : Ha peccato periit libertas arbitra, ut ante gratiam proprie diclam non sit liberum a peccato abstinerc ; proposition contraire à l’expérience, car l’homme peut faire quelque bien, sans la grâce proprement dite ; tous les actes des infidèles ne sont pas des péchés. Cela découle des propositions 7-15 condamnées par Alexandre VIII. Il est faux de dire que, sans la grâce prévenante, la libellé de faire le bien n’est plus parce que le péché a détruit la liberté. Contre cette thèse, le concile de Trente a défini qu’après la chute d’Adam, la liberté a été affaiblie, mais non point détruite ; les forces pour lutter contre le péché ont été diminuées, mais on peut encore lutter contre les tentations. La faiblesse du pécheur

consiste non point dans l’impuissance de surmonter les tentations et de faire des actions bonnes ; mais dans une tendance plus forte vers le mal. Cette tendance est la conséquence de mauvaises habitudes qui inclinent vers de nouveaux péchés. Cependant il reste encore au pécheur un vrai pouvoir de choisir. Bien qu’inclinée au mal, la volonté peut résister, au moins quelque temps, et choisir le parti vers lequel elle est le moins inclinée. Cela est vrai surtout lorsque le pécheur est secouru par la grâce suffisante que les jansénistes n’admettent pas.

40. Sine gratia nihil 40. Sans la grâce nous ne amare possumus, nisi ad pouvons rien aimer qu'à nostram condemnationem. notre condamnation. II Th., m, 18, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est la suite logique de la précédente : sans la grâce, nous ne pouvons aimer que d’un amour mauvais, qui mérite une condamnation (proposition 36 de Baius) ; donc, sans la grâce, nous ne pouvons faire aucune action qui soit exempte de péché mortel, puisqu’il s’agit de notre condamnation. L’auteur de La constitution avec des remarques, p. 88, écrit : « Il est de foi que l’homme ne peut faire aucun usage de sa liberté que par la grâce de Jésus-Christ. Son libre arbitre, affaibli par le péché d’Adam, n’a plus assez de force pour faire le bien, s’il n’est délivré de sa faiblesse. » Il est vrai que, sans la grâce prévenante, le pécheur ne peut faire aucun acte qui le justifie et lui fasse éviter la condamnation, car, pour arriver au salut, il faut la grâce sanctifiante, à laquelle on ne peut parvenir sans le secours de Dieu. Par un décret du 27 juin 1560, la Sorbonne avait condamné, comme hérétique, la proposition suivante : tiberum arbitrium ex se non potest nisi peccare, et omne opus liberi arbitrii sibi dirnissi est peccatum nwrtate mil veniale.

42. Sola gratia reddit hominem aptum ad sacri 42. Il n’y a que la grâce de Jésus-Christ qui rende

nisi impuritas, indignitas.

41. Omnis cognitio Dei, etiam naturalis, etiam in philosophis ethnicis, non potest venire nisi a Deo, et sine gratia non producit nisi pncsumptionem, vanitatem et oppositionem ad ipsum Deuni, loco affectuuni adorationis, gratitudinis et amoris.

41. Toute connaissance de Dieu, même naturelle, me rue dans les philosophes païens ne peut venir que de Dieu. Sans la grâce, elle ne produit qu’orgueil, que vanité, qu’opposition à » Dieu môme ; au lieu des sentimenls d’adoration, de reconnaissance et d’amour. Rom., i, 19, éd. 169.3 et 1699

l.a première proposition peut être vraie en ellemême, mais elle n’est donnée que pour préparer la seconde, qui est certainement fausse, à savoir que, sans la grâce, il n’y a qu’opposition et volonté dépravée. Cette connaissance naturelle qui vient de Dieu ne saurait être mauvaise en elle-même et conduire au mal, sans la grâce. Par elle-même, cette connaissance ne produit pas nécessairement l’orgueil, la vanité, puisqu’elle est un don de Dieu. C’est l’abus de cette connaissance, l’amour-propre, l’orgueil, qui parfois accompagnent cette connaissance, qui sont les causes du péché. Lorsqu’un homme arrive à connaître Dieu par sa raison, s’il se laisse, en fait, aller à l’orgueil et a la vanité, ce n’est pas à cause de la connaissance elle-même, mais c’est qu’il abuse de Cette connaissance par un mauvais usage de sa liberté.

Il peut y avoir une connaissance naturelle et un amour naturel de Dieu. Par les lumières de la raison. nous pouvons arriver à quelque connaissance de Dieu, et, sans la grâce, nous pouvons avoir pour Dieu quelque sentiment d’un amour purement naturel. Ces sentiments, sans doute, en eux-mêmes, sont inutiles pour le salut et ils ne peinent pas même disposer a la foi. mais pourtant ils ne sont point des péchés,

ei ils peuvent être l’occasion de grâces qui conduiront

à la foi et à la justification.

ficium fidei ; sine hoc, nihil l’homme propre au sacrinihil nisi fice de la foi : sans cela, rien qu’impureté, rien qu’indignité. Act., xi, 9, éd. 1693 et 1699.

Proposition évidemment fausse, qui affirme que, sans la grâce, il n’y a aucune action exempte de péché, donc aucune bonne œuvre possible. Il n’y a pas de foi sans la charité et, sans la charité, il n’y a qu’impureté et qu’indignité. Cette proposition est fausse dans sa généralité : le pécheur, en perdant la grâce, a perdu la charité, et dès lors en lui, comme dans l’infidèle, il n’y a qu’impureté et qu’indignité.

Les cinq propositions précédentes, 38-42, sont justement condamnées comme reproduisant des propositions déjà condamnées chez Baius. Sans la grâce, l’homme peut faire quelques bonnes œuvres dans l’ordre naturel ; il peut observer quelques préceptes de la loi naturelle et produire des œuvres conformes à la raison, pour un temps et dans les occasions aisées qui ne présentent pas trop de difficultés.

Mais, en fait, saint Augustin fait remarquer — et c’est cela que les jansénistes mettent en relief, en l’exagérant — les œuvres moralement bonnes sont rares chez les païens, à cause de la vanité et de l’orgueil qui se mêlent aisément à ces actes. « Tout, dans l’infidèle, dit Bossuet, est aveuglement ou péché, ou y aboutit, car l’infidèle ne peut mériter, par ses bonnes œuvres, la moindre grâce ; ses actions tout naturellement tournent au mal. » Peut-être pourrait-on dire que l’infidèle et surtout le pécheur qui a conservé la foi, reçoivent de Dieu une grâce actuelle, toutes les fois qu’ils font une œuvre moralement bonne. S. Thomas, IIa-IIæ, q. x, a. 4.

43. Primus effectus gra- 43. Le premier effet de tùe baptismalis est facere ut la grâce du baptême est moriamur peccato ; adeo ut de nous faire mourir au péspiritus, cor, sensus non ché ; en sorte que l’esprit, le habeant plus vitæ pro pec-cœur, les sens n’aient non cato quam homo mortuus plus de vie pour le péché que habeat pro rébus mundi.. ceux d’un mort pour les choses du monde. Rom., vi, 2, éd. 1699.

Le premier effet du baptême est d’effacer le péché, et non point de rendre le fidèle insensible au péché, comme le mort est insensible aux choses du monde, car la concupiscence demeure en ceux qui ont été baptisés. Paire mourir au péché, expression équivoque chez Quesnel, surtout après la comparaison entre le baptisé et le mort, et qui paraît reprendre la proposition 55 de Molinos. Un mort ne peut, sans miracle, revenir à la vie, tandis que le baptisé peut perdre la grâce par le mauvais usage de sa liberté. Sans doute, par le baptême, le cœur de l’homme est disposé à se tourner vers Dieu, mais il n’est point insensible au péché.

1 I. Non sunt nisi duo 44. Il n’y a que deux

amorcs, unde volitiones et amours d’où naissent toutes

actiones omnes nostne nas-nos volontés et toutes nos

cuntur : amor Dei, qui actions : l’amour de Dieu

omnia agit propter Dcum, qui fait tout pour Dieu et

quemque liens rémunérât ; que Dieu récompense ;

et amor, quo nos ipsos ne l’amour de nous-mêmes et

iiiundum diligimus, qul.quod du monde, qui ne rapporte

ad Deuni référendum est, pas à Dieu ce qui doit lui

non refert, et propter hoc être rapporté et qui, par

ipsum, fil malus. cette raison même, devient mauvais, .i<>a., v, 29, éd.

1093 et 1699.

(.cite proposition reprend les propositions 34, 35, 38 et |0 de Baius et la proposition 7 condamnée par Alexandre VIII le 7 décembre 1690 ; c’est la thèse de

.laiisénius : il n’y a cpie deux amours : l’amour de

00

Dieu et [a cupidité vicieuse, et toutes nos actions viennent ou de l’un ou de l’autre. La conclusion est que toutes les volitions et toutes les actions des hommes sont mauvaises, à moins qu’elles ne viennent de l’amour de Dieu et toutes les vertus se ramènent à la charité, sans laquelle on ne peut rien faire de bon. Dès lors, toutes les actions des infidèles et des pécheurs sont mauvaises, puisqu’elles ne peuvent procéder de l’amour de Dieu ; dès lors, les actes préparatoires à la justification, sont eux-mêmes mauvais pour la même raison. Tout cela est contraire à la doctrine du concile de Trente, sess. v, can. 7. Il peut y avoir un amour naturel, conforme à l’ordre et à la raison, et cet amour, bien que ne venant pas de la charité surnaturelle, peut n'être pas mauvais. Sans doute, il n’y a pas de milieu entre la charité habituelle et le péché mortel, mais l’homme juste peut faire des actions mauvaises et le pécheur peut faire des actes qui ne sont pas mauvais. Les actions du pécheur sont en elles-mêmes inutiles au salut, mais elles peuvent n'être pas mauvaises en elles-mêmes. D’autre part, on n’est pas obligé de rapporter toutes les actions à Dieu par un motif de charité ; c’est l’idéal ; mais ce n’est pas strictement obligatoire. Cette question de l’obligation de rapporter toutes nos actions à Dieu par un motif de charité a été vivement discutée par les écrivains jansénistes ; en particulier, dans la Lettre pastorale de Caylus, évêque d’Auxerre, 28 février 1732, et dans celle de Bossuet, évêque de Troyes, 20 février 1732, contre le mandement de son métropolitain, Languet de Gergy.

45. Amore Dei in corde 45. Quand l’amour de peccatorum non amplius re-Dieu ne règne plus dans le gnante, necesse est ut in eo cœur du pécheur, il est nécarnalis regnet cupiditas, cessaire que la cupidité omnesqiie actiones ejus cor-charnelle y lègne et corrumpat. rompe toutes les actions.

Luc, xv, 13, éd. 1693.

Si la cupidité seule règne dans le cœur du pécheur et inspire tous ses actes, il suit que toutes les actions du pécheur sont des péchés : il pèche même quand il prie, même quand il se prépare à la justification, puisque, jusqu'à ce qu’il ait recouvré la grâce, c’est la cupidité vicieuse qui seule inspire tous ses actes. Thèse condamnée par le concile de Trente et chez Baius (prop. 38 et 40). La charité habituelle, qui justifie l’homme, est la condition nécessaire des actes méritoires du salut ; sans elle, on peut encore faire quelques actions bonnes, non méritoires du salut, et ces actions, avec le secours de la grâce actuelle, permettent au pécheur de se disposer à la justification. Il est faux de dire que la cupidité corrompe toutes les actions, dès que la charité ne règne plus dans le cœur. L’amour des créatures dont parlent les Pères, et qui règne dans le cœur du pécheur n’est pas nécessairement la cupidité vicieuse, qui ne peut faire que le mal ; c’est souvent un simple mouvement vers la créature, et non point un péché.

46. Cupiditas aut charitas 46. La cupidité ou la chausum sensuum bonum vel rite rendent l’usage des sens malum faciunt. bon ou mauvais. Matth., v,

28, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est fausse, dans le sens où la prend Quesnel : il prétend qu’il n’y a qu’un seul bon usage des sens, celui qui procède de la charité parfaite ; c’est pourquoi les infidèles ne pourraient faire qu’un mauvais usage de leurs sens, parce qu’ils n’ont pas la charité. Un chrétien qui détourne ses yeux d’un spectacle dangereux, qui ferme ses oreilles à une calomnie, qui mortifie sa chair par d’autres motifs que la charité, par exemple par crainte de l’enfer, ferait un mauvais usage de ses sens. L’espérance ne pourrait pas rendre bon l’usage des sens.

47. Obedientia legis profluere débet ex fonte, et hic Ions est charitas. Quando Dei amor est illius principium interius et Dei gloria, ejus finis, tune purum est quod apparet exterius ; alioquin non est nisi hypocrisis, aut falsa justitia.

47. L’obéissance à la loi doit couler de source, et cette source c’est la charité. Quand l’amour de Dieu en est le principe intérieur, et sa gloire, la liii, le dehors est net ; sans cela, ce n’est qu’hypocrisie ou fausse justice. Matth., xxiii, 26, éd. 1693 et 1699.

La proposition affirme que l’obéissance à la loi n’est qu’hypocrisie ou fausse justice, lorsque la charité ou l’amour de Dieu n’en est pas le principe et la gloire de Dieu la fin. C’est la proposition 16 de Baius et les propositions 9, 10, 15 condamnées par Alexandre VIII, Dès lors, la crainte que le concile de Trente recommande comme préparation à la justification n’est qu’hypocrisie et fausse justice. Obéir à la loi, parce qu’il est conforme à la raison de le faire, par crainte de se damner ou en vue des récompenses promises par Dieu, n’est donc qu’hypocrisie. Or, tout cela est condamné par le concile de Trente. Sess. vi, can. 25 et sess. xiv, can. 5. Déjà Calvin avait dit qu’il n’y a rien de pur et de bon, au jugement de Dieu, que ce qui procède de la parfaite charité.

48. Quid aliud esse pos- 48. Que peut-on être sumus, nisi tenebræ nisi autre chose que ténèbres, aberratio et nisi peccatum, qu'égarement et que péché, sine fidei lumine, sine sans la lumière de la foi, sans Christo, sine caritate. Jésus-Christ, sans la charité?

Eph., v, 8, éd. 1693 et 1699.

Si on ne peut être que ténèbres, qu'égarement, que [léché sans la lumière de la foi, il faut conclure que tous les actes des infidèles sont des péchés. Prop. 25 et 35 de Baius et prop. 8 condamnée par Alexandre VIII. D’autre part, la foi peut être séparée de la charité ; par conséquent, le pécheur qui a perdu la charité, sans perdre la foi, ne serait que ténèbres et qu'égarement.

49. Ut nullum peccatum 49. Nul péché sans l’amour est sine amore nostri, ita de nous-mêmes, comme nulle nullum est opus bonum sine bonne œuvre sans l’amour amore Dei. de Dieu. Marc, vii, 22, éd.

1693 et 1699.

Il n’y a donc pas de milieu entre ces deux amours qui sont les principes de toutes nos actions. L’amour de soi est le principe de toutes les actions mauvaises et l’amour de Dieu le principe de toutes les actions bonnes. Dans leur généralité, ces deux propositions sont fausses. Tout amour de soi-même n’est pas un péché ; c’est seulement l’amour de soi désordonné, déréglé qui est un péché. D’autre part, l’amour de Dieu n’est pas le seul principe des actions bonnes : la justice, la tempérance, la fidélité, la foi, l’espérance, la crainte des peines, peuvent produire des actions bonnes, bien qu’elles n’aient pas l’amour de Dieu comme principe et comme motif.

50. Frustra clamamus ad 50. C’est en vain qu’on Deum : Pater mi, si spiritus crie à Dieu : mon Père, si caritatis non est ille qui ce n’est point l’esprit de clamât. charité qui crie. Rom., viii,

15, éd. 1693 et 1699.

La prière, inspirée par un motif louable, autre que la charité, peut être bonne et par conséquent il est faux que toute prière qui ne procède pas de la charité soit mauvaise et inutile ; s’il en était autrement, la prière des infidèles et des pécheurs serait vaine et inutile, et même la prière du juste, lorsqu’elle aurait un autre principe que la charité, quand même ce motif serait bon.

51. Fides justificat quando 51. La foi justifie, quand Operatur, sed ipsa non ope-elle opère ; mais elle n’opère ratur, nisi per caritatem. que par la charité ; Act.,

xiii, 39, éd. 1693 et 1699. LOI

UNIGENITUS (BULLE). l » ROP. 52-58

2102

Cette proposition est fausse, car la foi peut opérer sans la charité, par exemple, chez le pécheur qui croit et déteste ses péchés par la crainte des châtiments, quand il confesse ses péchés dans le sacrement de pénitence. La foi peut disposer à la justification, mais, seule, elle ne justifie pas, conc. de Trente, sess. vi, c. vi, car il faut la charité, mais cependant sans la charité, la foi peut produire des actes qui préparent la justification. L’auteur de La constitution avec des remarques, prétend que la foi, qui n’est pas animée par la charité, n’est pas une vraie vertu. On peut bien tenir avec saint Thomas que, sans la charité, la foi n’est pas au plein sens du mot une vertu, mais elle peut néanmoins exister et s’exercer.

52. Omnia alia salutis 52. Tous les autres moyens média continentur in fide, du salut sont renfermés tanquam in suo germine et dans la foi, comme dans semine ; sed lisec fides non leur germe et leur semence ; est absque amore et fiducia. mais ce n’est pas une foi

sans amour ni sans confiance. Act., x, 43, éd. 1693 et 1699.

Il y a des grâces actuelles qui précèdent la foi, par exemple, des actes d’humilité, de mortification, d’obéissance, et ces grâces sont des moyens de salut, distincts de la foi et qui la préparent. La grâce nécessaire pour croire précède la foi proprement dite. Or, on ne peut pas dire que ce qui précède la foi est contenu dans la foi comme dans son germe. La seconde proposition semble insinuer que la foi n’existe pas sans amour et sans espérance. Or, on peut perdre la charité sans perdre la foi et la foi qui survit est une vraie foi, bien qu’elle ne soit pas capable de produire des actes méritoires. On peut croire sans aimer, et avec cette foi sans amour, le pécheur conserve le germe et la semence du salut. Il est donc faux de dire que celui qui a la foi sans la charité n’est pas chrétien et que cette foi n’est qu’une foi de démon, que la crainte n’est qu’une crainte de bête, que le culte est tout païen, si cette crainte et ce culte ne sont pas rapportés à Dieu par la charité. La proposition de Quesnel ne fait que reprendre la proposition 12 condamnée par Alexandre VIII.

53. Sola caritas cliristiano 53. La seule charité fuit modo facit (actiones Chris-les actions chrétiennes chrétianas) per relationem ad tiennement par rapport à Deum et Jesum Christum. Dieu et à Jésus-Christ. Col.,

UI, 14, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition identifie toutes les vertus chrétiennes à la charité. La charité n’est pas la seule vertu qui fasse chrétiennement les œuvres prescrites ou conseillées par Dieu ; d’autres vertus peuvent avoir le même effet, quoique à un moindre degré, parce que la charité fournit les motifs les plus excellents. Prier, Jeûner, se mortifier par crainte d'être réprouvé sont des œuvres Chrétiennes faites chrétiennement, bien que ces actions soient moins parfaites (pu-si elles étaient faites pour l’amour de Dieu. La crainte de l’enfer et l’espérance du ciel font agir chrétiennement.

54. Sola caritas est, que 54. C’est la charité seule Deo loquitur ; eam solam qui parle < Dieu ; c’est elle

Deus audit. seule que Dieu entend.

I Cor., mu, 1, éd. L693 et

1699.

C’est l’idée déjà exprimée dans la proposition 50.

Dieu écoute aussi les prières des pécheurs qui le sup

plient de leui accorder sa grâce. Il est donc [aux que,

eule, la charité parle a Dieu et que Dieu n’entend que la charité. I ' foi, qui a confiance en Dieu, est entendue de Dieu, qui l'écoute et l’exau

mm commit, nisi 55. Dieu ne couronne que earitatem ; qui mrrit ex lu charité ; qui court par

alio impulsu et ex alio mo-un autre mouvement et un tivo, in vanum currit. autre motif, court en vain.

I Cor., ix, 23, éd. 1693 et

1699.

Cette proposition reprend les propositions 16, 25, 27, 35 et 38 de Baius et les propositions 7-15 condamnées par Alexandre VIII. Sans doute, Dieu ne couronne dans le ciel que les bonnes actions qui ont été faites avec la charité pour principe et pour motif, mais il est faux qu’il ne couronne que la charité, car il y a d’autres vertus ; donc celui qui court pour un autre motif que la charité ne court pas nécessairement en vain ; il court avec fruit, quand il pratique les autres vertus chrétiennes. Les actions faites par un motif de crainte ou en vue d’une récompense ne sont pas inutiles au salut.

56. Deus non rémunérât 56. Dieu ne récompense nisi earitatem, quoniam ca-que la charité, parce que la ritas sola Deum honorât. charité seule honore Dieu.

Matth., xxv, 36, éd. 1693 et 1699.

Sans doute, la charité seule honore parfaitement Dieu et Dieu ne récompense au ciel que les actions qui ont été faites avec la charité habituelle. Mais la proposition condamnée est absolument générale, et il est faux que la charité seule honore Dieu : la foi, l’espérance, les sacrifices, l’obéissance, l’aumône honorent Dieu et Dieu récompense ces vertus. Ici-bas, Dieu récompense parfois par des biens temporels les œuvres moralement bonnes faites par des pécheurs ou des païens ; saint Augustin le dit des anciens Romains. De plus, bien que les œuvres faites par le pécheur par des motifs de foi, d’espérance, de religion, de crainte, ne méritent pas vraiment une récompense (de condigno, comme disent les théologiens), cependant elles peuvent de congruo attirer des grâces qui disposent à la justification.

57. Totum deest pecca- 57. Tout manque à un tori, quando ei deest spes ; pécheur, quand l’espérance et non est spes in Deo, uni lui manque, et il n’y a point non est amor Dei. d’espérance en Dieu, où il

n’y a point d’amour de Dieu. Matth., xxvii, 5, éd. 1693 et 1699.

Pour comprendre l’erreur de Quesnel. il faut se rappeler que l’amour de Dieu ou charité désigne parfois l’amour de Dieu actuel naissant ou dominant, la grâce actuelle ; mais d’ordinaire ce mot désigne la grâce habituelle, qui n’existe que chez le juste ; or, c’est de cette dernière qu’il s’agit ici, puisque Quesnel parle du pécheur. Ht cette proposition est fausse, car la foi et l’espérance peuvent subsister chez le pécheur, qui a perdu la grâce sanctifiante. D’autre part, tout ne manque pas nécessairement au pécheur qui a perdu l’espérance, il peut avoir conservé la foi, d’autres vertus aussi et des grâces actuelles, qui disposent a la charité. Au fond, Quesnel identifie la charité avec les autres vertus, qui en seraient inséparables, alors tpie le concile 1 de Trente définit que la |ierte de la charité n’entraîne pas nécessairement la perte de la foi et de l’espérance. Sess. vi, can. 2.S.

58. Nec Deus est, nec reli- 58. Il n’y a ni Dieu, ni gio, ubi non est caritas. religion, où il n’y a point de

charité. I Joa., iv, S, éd. 1093 et 1699.

Ne pas aimer Dieu, c’est ne pas le connaître comme il faut : donc, sans amour et sans charité, il ne peut y avoir de religion véritable. écrit l’auteur de L(/ constitution avec drs remarques, p. 122. et un

peu plus loin : » les jésuites ne connaissent que l'écorce de la religion, la faisant Consister dans les seules pratiques extérieures, dans les décorations des églises. la musique, les spectacles de la piété el dans la lie

quentation des sacrements, sans conversion et sans amendement. »

Cette proposition est erronée ; sans doute, la charité est la reine des vertus et elle seule honore parfaitement Dieu ; mais il y a d’autres vertus qui honorent aussi Dieu et qui sont nécessaires pour conserver et augmenter le règne de la charité dans les âmes ; s’il en était autrement, il faudrait conclure que le chrétien, dès qu’il perd la charité, cesse d’avoir la moindre vertu, cesse d'être chrétien et d’avoir une religion.

59. Oratio impiorum est novuni peccatum ; et quod Deus illis concedit, est novum in eos judicium.

60. Si solus supplicii timor animât prenitentiam, quo lnec est magis violenta, eo magis ducit ad desperationem.

60. Si la seule crainte du supplice anime le repentir, plus ce repentir est violent, plus il conduit au désespoir. Matth., xxvir, 5, éd. 1693 et 1699.

Le texte complet de Quesnel est le suivant : « tout manque à un pécheur quand l’espérance lui manque, et il n’y a point d’espérance en Dieu, où il n’y a point d’amour de Dieu… Si la seule crainte du supplice anime le repentir, plus ce repentir est violent, plus il conduit au désespoir. » Cette théorie est tirée de Chemnitz, disciple de Luther, qui enseigne que la contrition, inspirée par le motif de la colère de Dieu et de ses jugements n’est point salutaire et qu’elle conduit au désespoir, comme Judas. Or, cela est en opposition avec la doctrine du concile de Trente, sess. vi, c. iv. Dans les c. vi et viii, le concile déclare que la peur du supplice ne rend pas le pécheur pire et l’amène, au contraire, à penser à la miséricorde de Dieu et à l’espérance.

La crainte des jugements de Dieu ne conduit au désespoir, que lorsqu’on a perdu toute espérance. Le texte de Quesnel attache le désespoir au repentir, qui n’est inspiré que par la crainte, et ce désespoir serait d’autant plus violent que le repentir serait plus inspiré par la crainte de l’enfer. Or, cela est entièrement faux, si le sujet est soutenu par l’espoir du pardon. Il faut regarder Dieu comme bon et miséricordieux dans ses récompenses, mais aussi comme juste dans ses châtiments. Il est exagéré de dire avec l’auteur de Lu constitution… : « il n’y a que l’amour de Dieu qui puisse détruire l’affection au péché et en détacher le cœur. La crainte peut bien en suspendre les actes, mais non pas l’affection, arrêter la main, mais point changer et convertir le cœur. » Sans doute, certains prétendent que l’affection au péché subsiste toujours, tant que la seule crainte du supplice anime

59. La prière des impies est un nouveau péché ; et ce que Dieu leur accorde, un nouveau jugement sur eux. Joa., x, 25, éd. 1693 et 1699.

Proposition fausse et pernicieuse, car elle détourne les pécheurs de la prière, puisque la prière serait pour eux un nouveau péché et leur vaudrait un nouveau jugement de condamnation ; proposition hérétique, car elle est formellement opposée à l'Écriture, où il est dit que la prière du pécheur est louée par Dieu et bien reçue de lui, pourvu qu’elle soit bien faite ; proposition blasphématoire, car elle condamne le pécheur, qui, par sa prière, recourt à la bonté de Dieu. D’autre part, la prière est la meilleure disposition pour retrouver l'état de grâce, car au pécheur qui prie avec confiance, Dieu accorde des grâces actuelles, qui le préparent à la justification. Cette proposition est la conséquence logique du principe faux et dangereux : tout ce qui ne vient pas de la charité vient de la cupidité vicieuse, laquelle ne peut produire que le péché. En fait, la prière de l’impie n’est un nouveau péché, que lorsqu’il prie mal, hypocritement et par orgueil.

le repentir, mais tous sont concile de Trente, que le la seule crainte, n’est pas dispose au repentir parfait

61. Timor nonnisi manum cohibet ; cor autem tamdiu peccato addicitur, quamdiu ab amore justifia" non dticitur.

d’accord pour dire, avec le repentir, ainsi animé par un nouveau péché et qu’il et à la conversion.

61. La crainte n’arrête que la main, et le cœur est livré au péché, tant que l’amour de la justice ne le conduit pas. Luc, xx, 19, éd. 1693 et 1699.

Jansénius avait déjà dit que la crainte n’empêche que l’acte extérieur et qu’elle laisse le cœur attaché intérieurement au mal : Timor continet manum, non animum, qui, eodem modo ac si non timeret, peccato alicui afjixus manet. T. iii, t. V, c. iv. Proposition fausse dans sa généralité. Sans doute, la crainte des hommes n’arrête ordinairement que la main, parce que les hommes ne peuvent voir que les actes extérieurs, mais il n’en est pas de même de la crainte de Dieu, car celui-ci voit les mouvements du cœur et les intentions, aussi bien que les actes extérieurs. La crainte de l’enfer peut arrêter tout ce qui peut attirer les châtiments éternels, donc les mouvements du cœur aussi bien que les actes extérieurs. La crainte des châtiments, si elle est vraie, doit vouloir échapper aux châtiments, donc combattre l’affection au péché, qui entraînerait des châtiments. Ainsi, la crainte, en arrêtant les actes extérieurs, peut aussi arrêter la mauvaise volonté, qu’elle empêche de donner un nouveau consentement au péché et, par là, elle dispose à l’amour de la justice. Il est donc faux de dire que la crainte laisse le cœur livré au péché, puisqu’elle arrête la volonté actuelle de le commettre. Sans doute, la crainte seule ne suffît pas pour changer le cœur, mais elle arrête pourtant la volonté, et c’est par le commandement de la volonté qu’elle arrête la main ; elle exclut la volonté actuelle de commettre le péché. L’homme qui évite le mal par la seule crainte du châtiment et de l’enfer ne pèche point ; cette crainte salutaire non seulement fait éviter le péché, mais elle détourne la volonté de pécher.

62. Qui a malo non abs- 62. Qui ne s’abstient du tinet nisi timoré pœnse, illud mal que par la crainte du committit in corde suo, châtiment, le commet dans et jam est reus coram Deo. son cœur, et est déjà coupable devant Dieu. Matth., xxi, 46, éd. 1693 et 1699.

Quelques amis de Quesnel ont prétendu qu’il ne s’agit ici que de la crainte des hommes, mais cette interprétation est fausse, et la proposition, prise en elle-même, - est tout à fait conforme à la doctrine janséniste : « la crainte des peines éternelles rend semblable aux bêtes ; elle est un effet de la cupidité et n’est point une grâce de Jésus-Christ… Celui-là pèche qui agit par le motif de cette crainte, soit en s’abstenant d’un crime, soit en faisant une œuvre pieuse. Celui qui s’abstient d’un crime par le motif seul de la crainte, commet ce crime dans son cœur ; cette crainte ne peut ôter la volonté actuelle de pécher. La crainte surnaturelle et inspirée de Dieu est inséparable de la charité théologale. »

Ainsi entendue, la proposition est hérétique, car elle est en opposition formelle avec le concile de Trente, qui déclare que ce n’est point un mal de se repentir de ses fautes ou de s’abstenir du péché par la seule crainte de l’enfer, mais que cette crainte peut être une disposition à la justification.

63. Baptizatus adhuc est 63. Un baptisé est encore sub Lege sicut Judoeus, si sous la Loi, comme un Juif,

Legem non adimpleat, aut adimpleat ex solo timoré.

s’il n’accomplit pas la Loi, ou s’il l’accomplit par la seule crainte. Rom., vi, 14, éd. 1693 et 1699.

La proposition affirme d’abord qu’accomplir la loi par crainte, c’est ne pas l’accomplir, ce qui revient à la proposition précédente. Elle ajoute qu’un baptisé qui n’observe pas la loi, ou ne l’observe que par crainte, cesse d’être chrétien et agit comme un Juif ; or, cela est faux, car un chrétien ne cesse pas d’être chrétien, parce qu’il accomplit la loi par la seule crainte ; même sous la Loi nouvelle, il est permis de suivre les mouvements inspirés par la crainte des châtiments, bien qu’il soit plus parfait d’agir par amour pour Dieu. Enfin, la proposition semble insinuer que les Juifs n’agissaient, sous la Loi. que par crainte et cela est encore faux, car beaucoup d’entre eux, sans doute, ont agi par amour de Dieu et en reconnaissance des bienfaits reçus de lui.

64. Sub maledicto Legis,

numquam fit bonum, quia

peccatur, sive faciendo ma lum, sive illud nonnisi ob

timorem evitando.

64. Sous la malédiction de

la Loi, on ne fait jamais le

bien, parce qu’on pèche ou

en faisant le mal, ou en ne

l’évitant que par la crainte.

Gal., v, 18, éd. 1693 et 1699.

Proposition hérétique, car elle affirme qu’on fait le mal, en ne l’évitant que par crainte, et aussi elle affirme que, sous la Loi, on ne fait jamais le bien. Il est faux que les actions des Juifs fussent toutes des péchés, parce qu’ils agissaient par crainte des châtiments. Dans le même sens, dans un Entretien entre un ecclésiastique et un laïc, p. xxiii, on lit : « Un serviteur qui ne s’abstient de voler son maître, ni par amour pour son devoir, ni par amour pour son maître, mais uniquement par la crainte d’être mis entre les mains de la justice… conserve dans son cœur un vrai désir de voler, et, s’il est plus timide que les autres voleurs, au fond il ne laisse pas d’être voleur par les dispositions de son cœur… Ce serviteur est coupable, car c’est un crime d’avoir la volonté de voler, et c’est en avoir la volonté que de s’en abstenir uniquement par crainte. » II faut remarquer que cet exemple est tiré de la crainte des hommes, qui ne voient que l’extérieur.

65. Moyses, prophète,

sacerdotes et doctores legis

mortui sunt, absque eo quod

ullimi Deo dederint filium,

cum non effecerint nisi

mancipia per timorem.

65. Moïse et les prophètes,

les prêtres et les docteurs de

la loi sont morts sans donner

d’enfants à Dieu, n’ayant

fait que des esclaves par la

crainte. Marc, xii, 19, éd.

1693 et 1699.

L’auteur de La constitution avec des remarques, p. 134, a repris et complété cette proposition de Quesnel : la Loi de Moïse était une loi de crainte et d’esclavage, qui ne donnait point la grâce, et ne justifiait personne ; cet avantage n’appartient qu’à la Loi nouvelle, qui est une loi d’amour. Ceux qui étaient justes, en réalité, étaient des chrétiens par anticipaion, justifiés par la grâce de Jésus-Christ, qui leur fut accordée en vue de la mort de Jésus-Christ. » Ainsi on affirme que l’Ancienne Alliance, par elle-même, ne pouvait faire que des pécheurs et des esclaves, l’rop. (i, 7, 8.

Ainsi comprise, cette proposition est malsonnante et équivoque, car il est de fol que Moïse et les prophètes enseignaient aux Juifs à aimer Dieu de tout leur cœur : c’est le premier commandement de la Loi de Moïse. Les préceptes moraux (le la Loi ancienne portaient les Juifs â aimer Dieu par dessus tout. La crainte que la Loi inspirait n’était point une crainte sei vile, qui ne détruit que les désirs mauvais et fait agir en esclave. Parmi les Juifs, il y a eu des jusles.

i a i ol de Moïse était impuissante par elle même, mais il y avail des remèdes au péché, par exemple

nents qui pouvaient donner des enfants a

Dieu ; les paroles des prophètes pouvaient provoquer

Mules surnaturels, en suggérant des motifs

surnaturels. Il est donc faux de dire, d’une manière absolue, qu’ils sont morts sans donner des enfants à Dieu et qu’ils n’ont fait que des esclaves par la crainte qu’ils ont inspirée.

66. Qui vult Deo appro- 66. Qui veut s’approcher pinquare, nec débet ad ip-de Dieu ne doit ni venir à sum venire cum brutalibus lui avec des passions brupassionibus, neque adduci taies, ni se conduire par un per instinctum naturalem, instinct naturel, ou par aut per timorem, sicuti bes-crainte, comme les bêtes ; tiæ sed per fidem et per mais par la foi et par l’amour amorem, sicuti filii. comme les enfants. Hebr.,

xii, 20, éd. 1694 et 1699.

D’après le livre de La constitution avec des remarques, p. 135, la condamnation de cette proposition « découvre à toute la terre la turpitude de la morale des jésuites et de leur conduite dans l’administration des sacrements qu’ils profanent indignement, en les accordant aux pécheurs d’habitude, qui sont livrés aux passions les plus infâmes et qui vivent sans foi et sans religion ». Mais cependant la proposition est justement condamnée comme erronée. Craindre les jugements de Dieu, est-ce agir en bête ? La crainte est raisonnable ; l’Évangile et les Pères la recommandent souvent comme une préparation à la justification.

67. Timor servilis non 67. La crainte servile ne se sibi reprsesentat Deum, nisi représente Dieu que comme ut dominum durum, impe-un maître impérieux, inriosum, injustum, intracta-juste, intraitable. Luc, xix, bilem. 21, éd. 1693.

Cette proposition a été retranchée dans l’édition de 1699. La crainte servile a pour objet le châtiment dont Dieu punit le péché ; elle est bonne en elle-même : inspirée par la foi, elle représente Dieu comme un juste vengeur du péché, prêt à pardonner le pécheur repentant. La crainte servilement servile regarde le châtiment comme le souverain mal, en sorte qu’elle fait plus craindre d’être puni que d’offenser Dieu, et elle ferait le mal qu’elle aime, si elle pouvait le faire impunément. Enfin la crainte raisonnable regarde Dieu comme un souverain puissant et juste, qui punit ceux qui ont abusé de ses grâces et fait le mal, en lui désobéissant. Seule, la crainte vicieuse fait regarder Dieu comme un maître dur, impitoyable, injuste et intraitable. La vraie crainte vient de la foi et est inspirée par la grâce ; elle est un acte d’intelligence qui considère les peines de l’enfer et cette considération fait qu’on veut éviter ces peines et qu’on est stimulé à pratiquer les vertus qui font éviter ces peines.

Conclusion. - Les propositions de Quesnel sur la crainte sont la conséquence logique de quelques thèses jansénistes, à savoir qu’on n’écarte le pèche que par la charité et qu’il n’y a aucune action bonne sans l’amour de Dieu. Or, la crainte ne vient point de la charité ; elle est une forme de l’amour de soi. de la cupidité, qui est le principe du péché.

Les thèses de Quesnel sunt en opposition absolue avec la doctrine chrétienne exposée par le concile de Trente (sess. vi, c. vi et can. 8 ; sess. xiv, can. ! ">) qu’on peut ramener aux propositions suivantes : 1. La crainte de l’enfer est une douleur vraie et salutaire.’2. Elle est un don de Dieu et une impulsion qui nous excite à la pénitence. 3. Elle porte l’homme a recourir à la miséricorde de Dieu et à l’espérance cl non point au désespoir et au blasphème contre Dieu. I. I Ile (liasse le péché et exclut la volonté de pécher. 5, Elle n’est donc pas un péché et elle ne rend pas le pécheur qui prie hypocrite et plus criminel devant Dieu. 11. Elle prépare le pécheur à l.i justification, 7. Loin de représenter Dieu comme un maître dur et impitoyable, elle amène l’homme à penser a la mise ricorde de Dieu et aux mérites de Jésus, moi I pour

nos péchés et pour apaiser la justice de Dieu contre nos péchés.

Les huit propositions (60-67) de Quesnel sur la crainte l’ont injure à Dieu et au Saint-Esprit, elles détournent l’homme de la crainte des jugements de Dieu que Jésus-Christ a recommandée comme un moyen de salut. Pour bien comprendre le sens des condamnations portées par l'Église contre ces huit propositions, il faut faire quelques remarques, en particulier, que les propositions de Quesnel sont générales et absolues, et, d’autre part, établir quelques distinctions essentielles.

1. La crainte humaine et mondaine peut détourner de Dieu et porter au péché par la considération des maux dont les hommes menacent ; cette crainte est alors mauvaise, car elle place la fin de l’homme dans les avantages temporels, dont elle redoute la perte. Elle est une forme du respect humain.

2. La crainte servile redoute les peines et les châtiments dont Dieu punit les pécheurs, et tout particulièrement les peines de l’enfer. Cette crainte, en ellemême, est bonne et louable, bien qu’elle soit imparfaite dans son motif. Dieu s’en sert chez certaines âmes pour préparer les voies à la justice et amener la charité dans le cœur. Conc. de Trente, sess. vi, can. 8 et sess. xiv, c. iv et can. 5 ; prop. 61-64 de Quesnel.

3. La crainte servilement servile regarde le châtiment comme le souverain mal, en sorte qu’elle redoute plus d'être punie que d’offenser Dieu. On serait disposé à faire le mal, si on pouvait le faire sans être puni et on n'évite le péché que par crainte de l’enfer ; on s’abstient extérieurement de la faute, en regrettant que cette faute entraîne un châtiment et on conserve intérieurement le désir de faire le mal, que l’on ferait, si on pouvait éviter le châtiment. Cette crainte est évidemment mauvaise et les thèses de Quesnel ne s’appliquent qu'à cette crainte. Cette servilité, qui la rend mauvaise, n’est point essentielle à la crainte, et elle a sa source dans les mauvaises dispositions du sujet.

4. La crainte filiale est jointe à l’amour de Dieu et elle a plusieurs degrés suivant les degrés de l’amour de Dieu ; elle se perfectionne à mesure que l’amour de Dieu grandit dans l'âme. Au ciel, cette crainte disparaîtra tout à fait pour faire place à la charité parfaite, sans aucun mélange de crainte.

Bref, la crainte proprement dite fait craindre ce qui mérite d'être craint et elle est parfaitement raisonnable ; elle est un don de Dieu ; elle est sainte et salutaire, car elle prépare au repentir de la faute et elle conduit à la charité. La crainte empêche d’abord de pécher, à cause des justes châtiments que Dieu inflige au péché et elle amène à comprendre la malice du péché et la gravité du péché par la gravité des châtiments qu’un Dieu, juste et bon, lui inflige ; elle arrête la main et ensuite elle change le cœur, en détournant le consentement de la volonté au mal, dont elle fait connaître la malice.

68. Dei bonitas ubbrevia- 68. Quelle bonté de Dieu vit viam salutis claudendo d’avoir ainsi abrégé la voie totum in fide et precibus. du salut, en renfermant tout

dans la foi et dans la prière !

Act., ii, 21, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition ramène la pratique de toutes les vertus chrétiennes et de toutes les bonnes œuvres à la foi et à la prière, comme Luther ramenait tout à la foi justifiante. Mais alors l’observation des autres commandements est superflue. Les jansénistes ont dit que la foi est la source de toutes les vertus et la prière, la source de toutes les grâces, et, par conséquent, de toutes les bonnes œuvres, mais cela n’est pas indiqué dans le texte condamné de Quesnel. De ce texte, il serait facile de tirer des conséquences

toutes protestantes. Pour se sauver, il suffit de croire et de demander la grâce par la prière, donc l’effort personnel pour seconder la grâce est inutile, tout comme les bonnes œuvres elles-mêmes : c’est la thèse protestante. La doctrine catholique est plus précise : la grâce est le principe et la source de tous les mérites ; la foi et la prière sont les moyens pour obtenir la grâce, mais la voie du salut n’est pas dans ces seuls moyens : notre coopération libre est nécessaire pour réaliser les bonnes œuvres, lesquelles seules méritent la vie éternelle.

69. Fides, usus, augmen- 69. La foi, l’usage, l’actum et præmium fidei, to-croissement et la récompense tum est donum puræ libe-de la foi ; tout est un don de ralitatis Dei. votre pure libéralité. Marc,

ix, 22, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est fausse ; elle reproduit la proposition 8 de Baius et elle avait déjà été condamnée par le concile de Trente, sess. vi, can. 32. Divers mérites ne sont pas seulement des dons de Dieu ; sans doute, tout nous vient de Dieu, nos mérites euxmêmes, parce qu’ils supposent la grâce, don de Dieu, mais il faut aussi notre coopération ; par suite, la récompense que Dieu nous donne n’est pas un don de la pure libéralité de Dieu. L’usage libre que le juste fait de la grâce mérite l’accroissement de cette grâce et la vie éternelle. Dieu ne nous doit nullement la foi et la grâce, mais, si le juste fait un bon usage de ces dons, il a droit à une récompense. L’homme justifié mérite véritablement, par les bonnes œuvres qu’il fait avec la grâce de Dieu, l’augmentation de la grâce. La proposition de Quesnel aurait pu être acceptée, mais sans le mot pure libéralité.

70. Nunquam Deus aflli- 70. Dieu n’afflige jamais git innocentes ; et afflictiones des innocents ; et les afflicsemper serviunt, vel ad tions servent toujours ou à puniendum peccatum, vel punir, ou à purifier le péad purificandum peccato-cheur. Joa., ix, 3, éd. 1693 rem. et 1699.

Cette proposition découle de la thèse fondamentale des jansénistes, à savoir que les peines et les misères de cette vie ne sont et ne peuvent être que les conséquences du péché originel ; elle réédite les propositions 72 et 73 de Baius ; elle est d’ailleurs en opposition avec les propositions 96 et 98 (voir col. 2122).

Dieu parfois afflige des innocents et les afflictions ne servent pas toujours à purifier les pécheurs et à punir le péché. Dieu le fait tantôt pour manifester sa gloire (aveugle-né de l'Évangile), tantôt pour notre instruction (Job), tantôt pour exercer la vertu et la perfectionner. Les atllictions du juste ne sont pas toujours des punitions du péché ; elles sont souvent des épreuves et des sources de mérites.

Souvent, en fait, les souffrances viennent du péché et servent à purifier les pécheurs, mais cela n’est pas toujours vrai ; il est donc faux que Dieu n’afflige jamais des innocents.

71. Homo ob sui conser- 71. L’homme peut se disvationem potest sese dis-penser, pour sa conservapensare ab ea lege, quam tion, d’une loi que Dieu a Deus condidit propter ejus faite pour son utilité. Marc, utilitatem. ii, 28, éd. 1693 et 1699.

L’auteur de La constitution avec des remarques, p. 13, dit qu’on peut, tout au plus, craindre qu’on abuse de cette proposition et qu’elle est véritable en elle-même, et, ajoute-t-il, il est uniquement question des lois positives, le sabbat, dont on peut être dispensé en certaines circonstances. En fait, le contexte de saint.Marc parle de la loi du sabbat, mais le texte de Quesnel est général et ne fait aucune distinction entre les lois positives et la loi naturelle, dont personne ne peut dispenser. De plus, seul, le supérieur peut légitimement dispenser d’une loi 210 !)

    1. UNIGENITUS (BULLE)##


UNIGENITUS (BULLE). PROP. 72-77

211

positive. Or, le texte de Quesnel, général, affirme que tout homme, de sa propre autorité, pour sa conservation, peut se dispenser d’une loi.

Cette proposition, d’ailleurs, ouvre la voie à des conséquences fâcheuses : si chaque homme est juge et interprète de la loi, même de la loi positive, on pourra s’octroyer le droit de se dispenser d’une loi qu’on estime contraire à sa conservation. Il est des cas où on doit sacrifier sa vie, pour observer une loi ; un chrétien ne peut abjurer sa foi, même pour conserver sa vie.

72. Notæ Ecclesiæ Christian

  • est, quod sit catholica,

comprehendens et omnes angelos cœli, et omnes electos et justos terrse, et omnium sœculorum.

72. Marques et propriétés de l’Église chrétienne. Elle est catholique, comprenant et tous les anges du ciel, et tous les élus, et les justes de la terre et de tous les siècles. Hebr., xii, 22, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition insinue une hérésie déjà condamnée chez les donatistes, puis par les conciles de Constance et de Bâle et par la bulle de Léon X contre les écrits de Wiclef, Hus et Luther : l’Église ne comprend que les justes et les élus ; les pécheurs n’en font pas partie ; par suite, le sacrement de pénitence n’aurait aucune place dans l’Église et les évêques sauraient pas de juridiction sur les pécheurs ; les pasteurs, en état de péché, ne feraient plus partie de l’Église et ils n’auraient aucun droit à l’obéissance des fidèles ; les peines et les censures édictées par eux n’auraient aucune valeur.

Pour justifier sa proposition, Quesnel écrit dans Plainte et protestation, p. 57-58 : « Il est inouï et même ridicule de vouloir faire entrer les méchants dans la définition de l’Église ; il n’est point de son essence qu’il y ait des méchants dans son sein et c’est comme par accident et contre le premier dessein de Dieu qu’ils y soient mêlés avec les bons. » Ainsi, seuls, les parfaits chrétiens forment la véritable Église, qui, dès lors, , est invisible, car on ne saurait reconnaître quels sont les vrais chrétiens, puisque nul ne peut savoir s’il est juste ou pécheur. En fait, l’Église comprend tous les baptisés, qu’ils soient justes ou pécheurs. Il n’y a qu’une Église de Jésus-Christ, qui est visible et dont les membres sont unis par la profession d’une même foi et par la communion des sacrements, sous la direction des pasteurs légitimes et d’un chef visible. Les infidèles, les hérétiques, les schismatiques, les excommuniés et même les catéchumènes n’en font pas partie.

73. Quid est Ecclesia,

nisi coetus lilioruin Dei manentium in ejus sinu, adoptatorum in Christ o. subsislenlium in ejus persona,

redemptorum ejus sanguine,

vivent iuin eJUS spirltu, agen I i i m per ejus gratiaiD et exspectantlum gratiam futnri sseculi.

73. Qu’est-ce que l’Eglise, sinon l’assemblée des enfants de Dieu, demeurant dans son sein, adoptes en Jésus-Christ, subsistant en sa personne, rachetés de son sang, vivant de son esprit, agissant par sa grâce, et attendant la paix du siècle à venir ? II Thcss., i, 2, éd. 1693 et 1699.

i gtte proposition est fausse comme la précédente,

car les divers caractères indiqués par Quesnel comme

appartenant aux membres de l’Église ne conviennent

qu’aux justes : le pape, les évèqucs et les prêtres, qui

ni eu état de péché, ne feraient pins partie de

il gll i i l’Église serait entièrement invisible. C’est la doctrine même de Jean Mus. condamné par le

concile de Constance (prop.’2°). Bossuet, dans tu livre de Quesnel, avait demandé la tup

pression d< cette proposition, qu’il jugeait scanda

leuse, parce qu’elle exclut de l’Eglise les fidèles qui

sont en elal il pn |, r.

74. Ecclesia, sive integer 74. L’Église, ou le Christ

Christus, incamatum Ver-entier, a pour chef le Verbe

bum habet ut caput, omnes incarné, et pour membres

vero sanctos ut membra. tous les saints. I Tim., iii,

16, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est erronée et hérétique, car elle n’admet comme membres de l’Église que les saints. Pour légitimer la proposition, l’auteur de La constitution avec des remarques, p. 143, écrit : « Quesnel a dit que les pécheurs sont dans FÉglise, mais ils ne sont pas de vrais membres de l’Église ; il n’attache pas d’importance à ce mot, car ailleurs il a dit que l’Église a des membres pourris et de mauvaises humeurs » ; et il ajoute : « Quesnel dit bien que l’Église est composée de justes, mais il ne dit pas qu’elle ne soit composée que de justes, comme ont fait les Pères (p. 114). » Cette explication, trouvée après coup, est insoutenable et la proposition de Quesnel est d’autant plus condamnable qu’elle est affirmée au sujet du texte de saint Paul, sur lequel l’Église s’appuie pour combattre les protestants. Saint Paul dit que l’Église est la colonne et la base de la vérité, parce que, écrit Quesnel, « elle a, seule, la clef et l’intelligence de l’Écriture ; c’est ce qu’affirme l’Église contre les protestants ». Mais la réflexion de Quesnel énerve singulièrement cette vérité capitale, lorsqu’il dit que l’Église, qui a seule la clef et l’intelligence de l’Écriture est l’Église invisible, le Christ entier. Dès lors, les protestants pourront dire que l’Église infaillible, qui peut les condamner, c’est l’Église des élus et des saints, laquelle ne peut décider aucune controverse et ne peut être consultée, puisque elle est invisible et inconnue.

75. Ecclesia est unus solus 75. Unité admirable de homo, compositus ex pluri-l’Église… C’est un seul bus membris, quorum Chris-homme composé de plusieurs tus est caput, vita, subsis-membres, dont.Jésus-Christ tentia et persona ; unus est la tête, la vie, la subsissolus Christus, compositus tance et la personne… Un ex pluribus sanctis, quorum seul Christ composé de pluest sanctificator. sieurs saints, dont il est le sanctificateur. Eph., ii, 14, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est fausse comme les précédentes. L’unité, note caractéristique de l’Église, doit être visible. Or, si l’Église est le Christ avec les saints comme membres, son unité n’est pas visible. Dans l’Église, il y a des bons et des méchants. L’Église n’est pas la personne du Christ. Comment peut-on dire, par ailleurs, que l’Église est un seul homme, composé de plusieurs membres, dont Jésus-Christ est… la personne ?

76. Nihil spatiosius Ecclesia Dei, quia omnes elect’.6. Bien de si spacieux que l’Eglise de Dieu, puisque

et Justi omnium sæculorum tous les élus et les justes de illam componunt. tous les siècles la compo sent. Eph., ii, 22, éd. 1693 et 1699.

Quesnel ne parle encore que des élus et des justes comme membres de l’Église. Il veut montrer l’étendue de l’Église spacieuse, et il ne nomme pas les pécheurs, avec lesquels cependant elle serait encore plus spacieuse. Il lionne des armes aux protestants, en allirmanl Implicitement que l’Église est invisible et, par conséquent, distincte de l’Église romaine.

77. Qui non ducit vilain 77. Qui ne mène pas une

dignam Filto Del et membro vie digne d’un entant de

Christ ! cessât lnterius habere Dieu « n’l’un membre de

Deum pro faire, et Chris-Jésus-Christ cesse d’avoii i"

(uni p ra eapile. lérieurenient Dieu pour Père

et.lésus-cluist pour cheꝟ. 1

I, , :, .. II. 22. éd. 1693. Celte proposition, comme les précèdent … jup pose que Jésus (.hrist, en tant « pie chef de l’Eglise.

21 I

UNIGENITUS (BULLE). PROP. 78-82

21

n’a que les élus et les saints pour membres. Le fidèle, qui commet un péché grave, ne cesse pas d’être membre de l’Église. On ne cesse d’avoir Dieu pour Père que si on perd la foi et on ne cesse d’avoir Jésus-Christ pour chef qu’en cessant d’être membre de l’Église. Le pécheur n’est plus uni intimement à Dieu et il n’est plus un membre aussi parfait que le juste ; mais il ne cesse pas d’avoir Dieu pour Père et d’être membre de l’Église, dont Jésus-Christ est le chef. Dieu est le père de tous les hommes et particulièrement des fidèles, mais il reste encore le père des pécheurs, et Jésus-Christ a enseigné à tous les hommes sans exception à dire : Notre Père qui êtes aux cieux. Bossuet avait fait supprimer cette proposition de l’édition de 1699.

78. (Separatur quis a 78. Le peuple juif était

populo electo), cujus fuit la figure du peuple élu dont

populus Judaicus ligura, et Jésus-Christ est le chef…

caput est Jésus Christus, On s’en retranche aussi bien

tam non vivendo secundum en ne vivant pas selon

Evangelium, quam non cre-l’Évangile qu’en ne croyant

dendo Evangelio. pas à l’Évangile. Act., iii, 23, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition renferme plusieurs erreurs. Remarquons d’abord que le peuple juif ne fut pas seulement la figure du peuple élu, mais qu’il fut, lui-même, le peuple élu. D’autre part, ne pas vivre selon l’Évangile, c’est-à-dire commettre des péchés, ce n’est point se séparer de l’Église. Si on est retranché de l’Église en ne vivant pas selon l’Évangile (c’est le cas des pécheurs), aussi bien qu’en ne croyant pas à l’Évangile (c’est le cas des infidèles), c’est dire que les pécheurs ne font pas plus partie de l’Église que les infidèles. Cela est faux. Les pécheurs sont séparés de l’Église par l’excommunication et le schisme ou la profession d’une foi autre que la foi chrétienne, mais non point par le péché mortel en lui-même. Quesnel affirme la même erreur, I Joa., iii, 6, lorsqu’il dit : « Par le péché, on s’arrache soi-même du corps de Jésus-Christ et l’on renonce à l’union que nous avons avec lui, comme ses membres. » C’est la doctrine même de Luther condamnée par le concile de Trente.

L’auteur de La constitution Unigenitus avec des remarques, p. 149, prétend que les jésuites ont fait condamner les sept propositions précédentes, parce qu’ils « n’aiment point à entendre parler de la distinction des justes et des pécheurs. Selon leurs principes, aujourd’hui un homme est pécheur, demain il se confesse et le voilà juste. Le même jour, il retombe et devient encore pécheur ; le dimanche suivant, il se confesse, et le voilà encore juste… Pourquoi donc cette distinction des justes et des pécheurs ? Ils aiment mieux n’en faire qu’une classe, puisque ce sont les mêmes hommes qui sont justes et pécheurs, presqu’en même temps… Un juste ne perd pas si aisément la justice, s’il est vraiment juste, et, s’il a le malheur de la perdre, il ne la recouvre pas si aisément ». Il est inutile de faire remarquer ce qu’il y a d’erroné dans cette explication, où l’on trouve les thèses jansénistes sur les délais de la pénitence. La doctrine de l’Église, exposée par le concile de Trente, est plus simple : tous les baptisés sont membres de l’Église, à moins qu’ils n’en soient exclus par l’autorité légitime. Quesnel s’obstine à restreindre l’Église à la société des saints et des élus dont Jésus-Christ est le chef. Dès lors, il n’a point à redouter les condamnations unanimes des papes et des évêques, puisqu’il n’admet que l’assemblée des saints et des élus, dispersée çà et là, et inconnue au moins des hommes. D’ailleurs, il dira (prop. 91) qu’on ne sort point de l’Église, quand on est attaché à Dieu, à Jésus-Christ et à l’Église par la charité, même lorsqu’on en est

banni par la méchanceté

tiennent pas à la véritable

79. Utile et necessarium

est omni tempore, omni

loco et omni personarum ge neri studere et cognoscere

spiritum, pietatem et mys teria sacrse Scripturæ.

80. Lectio sacræ Scriptu ræ est pro omnibus.

des hommes, qui n’appar É^lise.

79. Il est utile et néces saire en tout temps, en

tous lieux, et à toutes sortes de personnes, d’étudier

l’Écriture et d’en connaître

l’esprit, la piété et les mystères. I Cor., xiv, .">, éd. 1693 et 1699.

80. La lecture de l’Écri ture sainte est pour tout le

monde. Act., viii, 23, éd.

1693 et 1699.

Cette double proposition est en opposition avec la pratique de l’Église au cours des siècles, et elle réédite les erreurs de Wiclef, Jean Hus, Luther et Calvin : Quesnel y reprend les thèses d’Arnauld dans son écrit De la lecture de l’Écriture sainte contre les paradoxes de M. Mallet, t. III, c. vin. La lecture de l’Écriture sainte n’est pas utile à toutes sortes de personnes ; elle peut même être pernicieuse à des personnes ignorantes et elle a été l’occasion de plusieurs erreurs ; les hérétiques en ont souvent abusé. Cette lecture n’est point indispensable. Dans l’Ancien Testament, les prêtres avaient la mission d’expliquer l’Écriture au peuple ; Jésus-Christ n’a point donné son Évangile par écrit et ses Apôtres l’ont d’abord annoncé de vive voix ; nulle part, dans la Tradition, il n’est question’de cette lecture comme d’une condition de salut. Les fidèles peuvent connaître la doctrine chrétienne par d’autres moyens, qui sont plus à leur portée (prédication et instruction des pasteurs).

La lecture de l’Écriture est souhaitable pour les personnes capables d’en profiter, mais elle n’est indispensable que pour ceux qui sont chargés d’instruire les fidèles ou de combattre les ennemis de la religion. L’Église a toujours conseillé cette lecture, mais elle exerce sa surveillance, afin d’éviter les abus qu’on en pourrait faire. La bulle Unigenitus confirme cette conduite sage par la condamnation des principes dangereux soutenus par les jansénistes. Il est sage d’interdire cette lecture aux personnes incapables de la comprendre ou mal disposées ; certains livres ou certaines parties de livre ne doivent pas être permis à certaines personnes mal préparées. Pour que cette lecture soit vraiment profitable, il faut apporter une préparation particulière et certaines dispositions.

Si, cette lecture était nécessaire, ou même utile à tous, l’Église n’aurait pu interdire, comme elle l’a fait jadis, de lire la Bible en langue vulgaire. Il est vraiment singulier de dire, avec l’auteur de La constitution, p. 151 : « C’est un artifice des ennemis de l’Église de discréditer malignement cette lecture et de détourner les fidèles de lire les saints Livres, afin d’introduire, par ce moyen, l’ignorance dans l’Église et d’y faire plus facilement recevoir leurs corruptions et leur mauvaise doctrine, qui ne peut subsister avec la connaissance de la religion et de l’Évangile. »

81. Obscuritas sancta 81. L’obscurité sainte de verbi Dei non est laicis ratio la parole de Dieu n’est pas dispensandi seipsos ab ejus aux laïques une raison pour lectione. se dispenser de la lire. Act.,

vin, 31, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition suppose que les laïques sans distinction sont tenus de lire l’Écriture sainte. En fait, les emplois et les occupations des laïques ne leur permettent pas toujours de faire avec profit cette lecture ; ils n’ont pas toujours le temps, ni la préparation suffisante pour pénétrer le sens de l’Écriture.

82. Dies dominicus a 82. Le dimanche doit être christianis débet sanctifi-sanctifié par des lectures de cari lectionibus pietatis et piété et surtout des saintes super omnia sanctarum Écritures. C’est le lait du 2 1 J 3

    1. LNIGENITUS (BULLE)##


LNIGENITUS (BULLE). PHOIV 84, 85

2114

Scripturarum. Damnosum chrétien, et que Dieu même

est ville christianum ab hac qui connaît son œuvre, lui a

lectione retrahere. donné. Il est dangereux de

l’en vouloir sevrer. Act., xv,

21, éd. 1693 et 1699.

La proposition de Quesnel affirme qu’il y a obligation de sanctifier le dimanche par la lecture de l’Écriture sainte et, par suite, on n’a nu besoin d’une permission pour faire cette lecture obligatoire ; D’ailleurs, le fidèle peut sanctifier le dimanche par d’autres moyens, par l’assistance à la messe et aux offices de l’Église, aux prières publiques et par des prières privées, par l’exercice de la charité chrétienne. Bref, la lecture de l’Écriture sainte n’est pas nécessaire pour sanctifier le dimanche. Cette proposition condamne encore la conduite de l’Église, qui a pu jadis interdire parfois cette lecture en langue vulgaire à certaines personnes ; les ignorants et. les enfants ne peuvent faire cette lecture avec profit II faut ajouter qu’à l’origine et pendant longtemps, les fidèles ne pouvaient que difficilement se procurer les Livres saints, alors peu répandus.

83. Est illusio sibi persua- 83. C’est une illusion de dere, quod notitia myste-s’imaginer que la connaisriorum religionis non debeat sance des mystères de la communicari feminis, lec-religion ne doive pas être tione sacrorum Librorum. communiquée à ce sexe Non ex feminarum simpli-par la lecture des Livres citate, sed ex superba viro-saints… Ce n’est pas de la rum scientia, ortus est Scrip-simplicité des femmes, mais turarum abusus et nataj sunt de la science orgueilleuse des haTeses. hommes que sont nées les

hérésies. Joa., iv, 26, éd.

1693 et 1699.

Quesnel fait cette remarque à propos des grandes vérités que Jésus révèle à la Samaritaine ; mais la proposition est fausse en elle-même, car elle semble imposer aux femmes l’obligation de lire l’Écriture sainte. Eu fait, la science orgueilleuse des hommes a souvent donné naissance aux hérésies et ensuite la simplicité crédule des femmes a propagé ces hérésies. Souvent, des femmes ignorantes, aisément trompées et très difficiles à détromper, très capables de séduire, ont été les propagatrices des nouvelles hérésies. Les femmes, comme les hommes, doivent connaître la religion, mais les uns et les autres peuvent arriver a cette connaissance par des moyens plus pratiques il plus adaptés que la lecture de l’Écriture sainte.

84. Abriperce christia- 84. C’est fermer aux chrénorum manibus novum Tes-tiens la bouche de Jésuslamentum, seu eis illud clau-Christ que de leur arracher sum tenere, auferendo eis des mains ce Livre saint ou modum illud intelligendi, est de le leur tenir terme, en illis Christ] os obturarc. leur 6tan1 le moyen de l’entendre. Malt li., v, 2, éd.

1693 et 1699.

85. Interdicerc Christianis 8.">. Interdire la lecture de lectionem sacra Scriptura, l’Écriture, et, partlculièrepræsertim Evangelii, est In-ment de l’Évangile, aux terdicere usum luminis liliis chrétiens, c’est interdire

luiis et farcie ni patiantur l’usage de la lumière aux ipeciem quamdaru excom-enfants de la lumière et leur mlinicationis. faire souffrir une espèce

d’excommunication. Luc.,

i, 33, éd. 1693 et 1699.

Jésus-Christ ne parle pas seulement par l’Écriture ;

il parle aussi par la Tradition, par l’Église, par les

pontifes et les docteurs, par les livres pieux approuvés, par la prédication des pasteurs, par les Instructions écrites. Donc interdire le Nouveau Testament, ce

pas fermer la bouche de.lésus Christ, qui a d’autres moyens de nous instruire. Luc, xi. Quesnel ajoute qu’on arrive au même résultai désastreux, en otanl le moyen d’entendre les Livres saints par la défense des versions en langue vulgaire. Il nappai

tient pas au pape, écrit l’auteur de La constitution, p. 156, de défendre ce que Dieu a commandé, qui est de lire les Livres saints. » Ainsi on condamne la pratique de l’Église et des conciles, qui à certains moments ont interdit les traductions en langue vulgaire, à cause des erreurs qu’y avaient répandues les protestants.

Cette interdiction n’est point une espèce d’excommunication, mais une sage précaution ; c’est arrêter des aveugles au milieu des précipices où ils risquent de tomber. Bref, il y a des motifs raisonnables d’interdire la lecture des saints Livres, et il y a d’autres moyens, plus pratiques, de connaître la religion. Ces remarques sont tellement vraies que les commentateurs de Quesnel ont essayé d’atténuer ses propositions générales. L’auteur des Réflexions sur les propositions de la constitution du S septembre 1713, qui regardent la lecture de PÉcriture sainte, fait siennes les règles posées par les docteurs de Paris : 1. on doit joindre des explications plus simples ; 2. certains livres doivent être ôtés à ceux qui en abusent ; 3. les fidèles doivent lire l’Écriture avec humilité et dépendance des pasteurs ; 4. les fidèles ne doivent pas mépriser les prédications et les instructions des pasteurs.

Observations sur les propositions 79-Sâ relatives à la lecture de l’Écriture sainte. Les jansénistes ont vivement attaqué la condamnation des propositions relatives à la lecture de l’Écriture sainte, parce qu’ils multipliaient les traductions en langue vulgaire, afin que tous les fidèles pussent faire cette lecture.

L’ouvrage anonyme intitulé Analyse exacte et véritable de la doctrine contenue dans la constitution du 8 septembre 17 13, in-12, s. 1., 15 janvier 1714, prétend que « la pratique et la doctrine des saints Pères est ouvertement condamnée par la bulle, que la discipline de l’Église de France est absolument renversée, sans qu’on ait consulté les évêques et sans qu’on se soit informé de ce qui convient aux besoins de nos Églises ; par une telle décision, on cause un scandale capable d’éloigner les nouveaux réunis ; enfin on fournit des armes aux hérétiques pour attaquer l’Église. Et on fait cela, alors que les jésuites donnent eux-mêmes des versions de l’Écriture, où ils exhortent les fidèles à cette lecture et ils font approuver ces versions par des évêques, qui déclarent que l’Écriture est le livre de tous les fidèles ».

Un autre écrit anonyme Intitulé Réflexions sur les propositions de la constitution du 8 septembre 1713, qui regardent la lecture de l’Écriture sainte, datée du décembre 1713 et 2e édition, corrigée et augmentée du 17 juillet 1714, in-12 de 72 pages, détaille des objections contre la bulle. Il rappelle que les protestants reprochent à l’Église de défendre aux fidèles la lecture de l’Écriture sainte, pour tenir le peuple dans l’ignorance, l’empêcher de découvrir les erreurs et les abus autorisés par l’Église et dans l’Église. Cependant les évêques exhortent à faire cette lecture. L’assemblée’lu clergé de 1 1)55 ordonne de traduire en français toute l’Écriture, et cette traduction fut faite par le P. Amelote. Les remarques du 1’. I. allemand, jésuite. ont été recommandées par plusieurs archevêques et évêques, el il a toujours été reconnu en France qu’on peut faire des réserves aux décisions du concile de Trente et y apporter des modifications. D’ailleurs-, d’après le P. Pallavicini, les Pères du concile ne vou lurent rien prononcer sur l’usage de traduire et de lire l’Écriture. De plus, les saints Pères ont sans cesse

recommandé la lecture de l’Écriture, comme le prouvent les nombreux textes cités par M. Arnauld. dans son ouvrage Intitulé : De la lecture de l’Écriture sainte contre les paradoxes de M. Mollet (I. III. c. vin jusqu’à la fin de l’ouvrage). C’est dans l’Écriture en tin que lis lldèles doivent apprendre leurs devoirs 2 I 1 5

    1. UNIGENITUS (BULLE)##


UNIGENITUS (BULLE). l’Uni ». 86-89

2116

envers Dieu et envers le prochain. « On ne doit user de réserve que par exception, à cause des dispositions de certaines personnes, ou en certaines circonstances. L’auteur examine ensuite et discute chacune des propositions condamnées et prend la défense des thèses de Quesnel, qu’il déclare absolument conformes à la doctrine des Pères, qui déplorent les conséquences de l’ignorance des Écritures. Si quelques conciles ont ôté la Hible de la main des (idoles, c’est que les traductions en vogue avaient été faites par des hérétiques, qui leur conseillaient de mépriser les explications données par les pasteurs et de juger par eux-mêmes. »

86. Eripere simplici populo 86. Ravir au simple peuple hoc solatium jungendi vocem la consolation d’unir sa voix suam voci totius Ecclesiæ à celle de toute l’Église, est usus contrarius praxi c’est un usage contraire à la apostolica » et intentioni Dei. pratique apostolique et au

dessein de Dieu. I Cor., xiv,

16, éd. 1693 et 1699.

Sous prétexte d’unir la voix du peuple à celle de l’Église, Quesnel insinue, et, après lui, plusieurs jansénistes ont dit que les prêtres doivent dire la messe à haute voix, pour que les fidèles se joignent à eux et qu’ils doivent employer la langue vulgaire pour que les fidèles puissent les comprendre. L’office divin doit aussi être chanté en langue vulgaire. Ce sont des points de discipline qui sont des nouveautés dans l’Église, car l’Église romaine tout au moins a toujours employé la langue latine. Cette coutume est consacrée par le concile de Trente, sess. xxii, can. 9 ; le concile condamne ceux qui blâment l’usage de réciter le canon de la messe à voix basse et ceux qui affirment la nécessité de célébrer l’office divin en langue vulgaire et réprouvent l’usage de dire la messe et les offices dans une langue que le peuple ne comprend plus. Le Clergé de France, en 1660, interdit la traduction française du Missel romain et le pape Alexandre VII, le 12 janvier 1661, condamna cette traduction. On sait combien de nos jours les idées et la pratique ont changé à ce point de vue.

87. Modus plenus sapien- 87. C’est une conduite tia, lumine et caritate, est pleine de sagesse, de lumière dare animabus tempus por-et de charité, de donner tandi cum humilitate et sen-aux âmes le temps de porter tiendi statum peccati, pe-avec humilité’et de sentir tendi spiritum psenitentise l’état du péché ; de demanet contritionis, et incipiendi, der l’esprit de pénitence et ad minus, satisfacere jus-de contrition et de comtitiae Dei antequam recon-mencer au moins à satisfaire cilientur. à la justice de Dieu, avant

que de les réconcilier. Act.,

ix, 9, éd. 1693 et 1699.

La proposition est générale et ne fait aucune exception même pour les âmes les mieux disposées ; sans doute, Quesnel ne dit pas que cette règle découle de la nature du sacrement, mais il dit que cette conduite est pleine de sagesse et de charité ; donc la conduite contraire est imprudente. Ainsi Quesnel renouvelle les erreurs d’Osma et de ses disciples, condamnées par le décret du 4 août 1479, et jette la suspicion sur la pratique de l’Église. L’Église veut qu’on refuse l’absolution aux âmes mal disposées ; elle approuve qu’on diffère l’absolution à celles qui pourraient être mieux disposées, mais depuis fort longtemps elle donne l’absolution aux âmes bien disposées qui trouvent dans l’absolution un secours nouveau. Par conséquent, le délai dans l’absolution est accidentel et dépend de circonstances extrinsèques. L’Église aujourd’hui ne recommande le délai que lorsqu’elle le juge utile pour le pénitent ; lorsque le pénitent est bien disposé, l’Église l’absout aussitôt, comme le Père de famille absout son fils prodigue et comme Jésus absout le bon larron.

88. Ignoramus quid sit

peccatum et vera poeniten tia, quando volumus statim

restitui possessioni bono rum illorum’quibus nos

peccatum spoliavit, et

trectamus separationis

tius ferre confusionem.

de Ajoutons que Quesnel semble ici contredire les propositions 38 et 44 : le pécheur non absous fera ses actes de pénitence en état de péché, donc commettra de nouveaux péchés.

88. On ne sait ce que c’est

que le péché et la vraie pénitence, quand on veut être

rétabli d’abord dans la pos session des biens dont le

péché nous a dépouillés, et

qu’on ne veut point porter

la confusion de cette sépa ration. Luc, , xvii, 11, éd.

1693 et 1699.

Dans cette proposition, Quesnel fonde le délai de l’absolution sur la nature du péché ; le délai de l’absolution est nécessaire pour faire comprendre ce qu’est le péché ; le délai est donc essentiel au sacrement de pénitence et l’absolution doit toujours être différée, puisque accorder l’absolution aussitôt après la confession, c’est ignorer ce qu’est le péché et ce qu’est la vraie pénitence. Quesnel blâme les pécheurs de vouloir être rétablis sans délai dans la possession des biens dont le péché les a dépouillés, mais n’est-il pas naturel, au contraire, que le pécheur veuille être réconcilié au plus tôt avec Dieu ? L’absolution, pour être immédiate, n’est pas moins efficace et utile, quand elle est accompagnée, chez le pénitent, d’un vrai repentir. C’est bien connaître la nature du péché que de vouloir en être débarrassé le plus tôt possible, car, plus on sait ce qu’est le péché, plus on doit désirer en sortir par la grâce de l’absolution. Dès lors, le désir d’une prompte réconciliation avec Dieu, au lieu d’être la marque d’une fausse pénitence est le signe d’un véritable amour de Dieu.

Quesnel, en condamnant la pratique actuelle de l’Église, lui reproche d’ignorer la nature du péché, parce qu’elle conseille de ne pas différer l’absolution, lorsque le pénitent apporte les dispositions suffisantes. 89. Quartus decimus gra- 89. Le quatorzième degré dus conversionis peccatoris de la conversion du pécheur

est quod, cum sit jam recon ciliatus, habet jus assistendi sacrificio Ecclesiae.

est, qu’étant réconcilié, il a droit d’assister au sacrifice

de l’Église. (Le texte de 1699 dit : il assiste au sacrifice). Luc, xv, 23, éd. 1693 et

1699.

Au sujet du retour de l’enfant prodigue, Quesnel étudie les quinze étapes de sa conversion. Cette analyse représente l’ordre de la pénitence et montre nettement la théorie archaïsante du jansénisme : le pécheur pénitent et converti, même après s’être confessé, n’a pas le droit d’assister à la messe, mais seulement après avoir accompli la pénitence et reçu l’absolution ; alors seulement il est vraiment réconcilié et redevenu membre de l’Église. Le droit d’assister à la messe est attaché à cette réconciliation.

Cette proposition préconise la discipline ancienne, qui n’aurait été abolie que par un abus regrettable. En fait, depuis fort longtemps, la pratique de donner l’absolution après la confession et avant la pénitence, a été la plus commune.

La proposition de Quesnel est donc en opposition avec le concile de Trente, qui n’exclut de l’assistance à la messe que les criminels publics et notoires. Tous les autres fidèles, même les pécheurs, sont tenus d’assister à la messe le dimanche. Or, Quesnel suppose que c’est par une’indulgence excessive que l’Église leur permet d’assister à la messe. Donc ces pécheurs pourraient légitimement se dispenser d’assister à la messe, car on n’est pas tenu d’user d’une simple permission.

Quesnel lui-même a corrigé la proposition de l’édition de 1693, mais elle se trouve reproduite dans de

nombreux exemplaires de l'édition de 1699 avec une correction qui maintient tout le sens de la proposition : le pécheur réconcilié assiste au sacrifice de l'Église, donc il n’y assistait pas auparavant.

90. Ecclesia auctoritatem 90. C’est l'Église qui a excommunicandi habet, ut l’autorité de l’excommuni eam exerceat per primos pastores, de consensu, saltem præsumpto, totius corporis.

cation, pour l’exercer par les premiers pasteurs, du consentement au moins présumé de tout le corps. Matth., xvin, 17, éd. 1693 et 1699.

Les douze dernières propositions de la bulle ont pour but, plus ou moins direct, de justifier la conduite de ceux qui avaient refusé de signer le Formulaire : ils ont le droit et le devoir de se soustraire à cette persécution et de regarder comme injustes les censures portées par l'Église contre ceux qui refusent de s’y soumettre.

Les propositions 90-93 renferment quatre erreurs sur le gouvernement de l'Église et rééditent les thèses de Richer, à savoir cjue l'Église exerce l’autorité par les premiers pasteurs, mais avec le consentement, au moins présumé, de tout le corps de l'Église ; le pouvoir des clefs appartient immédiatement non aux évêques, mais à l’assemblée des fidèles.

La proposition 90 est la thèse même de Richer, dans son Traité de ta puissance ecclésiastique et politique. D’après Richer, la juridiction ecclésiastique appartient principalement, proprement et essentiellement à l'Église seule ; le pape et les évêques n’exercent cette juridiction que comme des ministres, des instruments et de simples exécuteurs. L'Église comprend tout l’ordre hiérarchique, dont font partie les prêtres, au moins ceux qui ont charge d'âmes. L'évêque ne reçoit sa juridiction que du peuple et du concours du clergé. Ainsi l'Église est distinguée des premiers pasteurs, qui exercent l’autorité ; les évêques n’ont que l’exercice de la juridiction et cet exercice dépend du consentement, au moins présumé, de tout le corps. Dès lors, le pape ne peut validement excommunier et retrancher de l'Église, sans le consentement du corps des fidèles qui la composent.

La proposition 90 affirme et suppose les thèses suivantes qui sont le pur richérisme : 1. La juridiction n’a point été donnée aux apôtres et à leurs successeurs, mais à la société des fidèles ; les évêques ne sonl que les ministres de cette juridiction. - 2. La propriété des clefs appartient au corps des fidèles. en tant qu’il comprend les prêtres, les laïcs, les femmes, et c’est de ce corps ainsi constitué que les évêques reçoivent le pouvoir d’exercer la juridicl ion dans toute l'Église. — 3. Les évêques ne sont que les ministres de ce corps. - I. Le consentement formel, ou du moins présumé, est nécessaire pour rendre valide le jugement des premiers pasteurs.

Quesnel a repris la même thèse dans un autre endroit des Réflexions morales, quand il commente I Cor., v, i : La puissance et l’autorité de punir et d’excommunier y réside (dans l'Église) ; elle est donnée au corps avec dépendance du chef ; elle est exercée par-le chef pour et au nom du corps entier de l'Église i de son chef invisible ; c’est-à-dire par son autorité, dans son esprit et selon ses intentions, en sa personne unie il le ferait lui-même. C’est un abus étrange de le faire en maître, par passion et par caprice el

par des vues particulières, au lieu de le faire en pas leur de l'Église et en vicaire de Jésus-Christ et en suivant leurs règles Dans Vains efforts, art., n. 19,

ne ! explique qu’un évêque ne peut prononcer une sentence d’excommunication, sans présumer que l'Église v consent, car s’il ne le présumai ! pas,

pourrait être que pane qu’il croirait s ; i sentence contraire aux règles de l'Église, contraire a son esprit.

contraire au jugement que Dieu en porte au ciel… ; en un mot, c’est qu’il la croirait injuste.

91. Excommunicationis 91. La crainte d’une exinjustæ metus nunquam de-communication injuste ne bet nos impedlre ab im-nous doit jamais empêcher plendo debito nostro… Nun-de faire notre devoir… On quam eximus ab Ecclesia, ne sort jamais de l'Église, etiam quando hominum ne-lors-même qu’il semble quitia videmur ab ea ex-qu’on en soit banni par la pulsi, quando Deo, Jesu méchanceté des hommes, Christo, atque ipsi Ecclesiæ quand on est attaché à Dieu, per caritatem aflîxi sumus. à Jésus-Christ et à l'Église même par la charité. Joa., ix, 23, éd. 1693 et 1699.

La proposition complète de Quesnel ajoute que l’excommunication « ne nuit à celui qui en est frappé, que lorsqu’il s’en est rendu digne, et elle retombe sur ceux qui l’en frappent, lorsqu’ils le font injustement ». La condamnation de la proposition 91 est celle qui provoqua le plus de polémiques, parmi les théologiens et surtout devant le Parlement, qui y découvrit une grave atteinte aux libertés de l'Église gallicane. Le but de Quesnel n’est pas douteux : il veut justifier le refus de signer le Formulaire, qu’il rend odieux et méprisable, en parlant des excommunications injustes. Prise dans le sens de l’auteur, la proposition est certainement fausse, car par « excommunication injuste », Quesnel entend les censures déjà portées contre les défenseurs de Jansénius, contre son propre livre des Réflexions, et par « devoir », il entend l’obligation de soutenir cette doctrine et de refuser de signer les condamnations et les Formulaires (prop. 92-98) dans lesquelles il est question de persécutions supportées par les amis de Jansénius. C’est un devoir de refuser la signature, donc l’excommunication attachée à ce refus est injuste et ne doit pas empêcher de faire son devoir, c’est-àdire, de refuser la signature. Quesnel veut justifier les prêtres qui, au mépris des censures portées contre eux, exercent des fonctions qui leur sont interdites, qui couvrent leur rébellion contre le Formulaire et contre la puissance ecclésiastique laquelle en exige la signature, sous des apparences de devoir, de sainteté, de charité, de martyre, qui s’efforcent enfin d’expliquer leur conduite par des appréciations injustes sur les supérieurs qui ont porté les censures. Quesnel lui-même écrit (Ad.. IV, 11) : « Il n’arrive que trop souvent que les membres les plus saints et les plus étroitement unis à l'Église sont regardés et traités comme indignes d’y être ou comme en étant déjà séparés. Mais le juste vit de la foi. et non point de l’opinion des hommes. »

Prise en elle-même, la proposition est fausse dans sa généralité. Il y a deux sortes de devoirs : des devoirs essentiels prescrits par la loi naturelle ou la loi divine positive, le culte de Dieu par exemple. En aucun cas, on ne peut omettre ces devoirs sans commettre une faute, l.a crainte d’une excommunication injuste ne saurait empêcher de remplir ces devoirs. Mais il y a d’autres devoirs que l'Église impose et dont l’Eglise peut dispenser et qu’elle peut même interdire. Ainsi un évêque peut défendre, sous peine d’excommunication, à un curé d’administrer les sacrements dans sa paroisse, s’il le juge nécessaire. Après l’ordonnance de l'évêque, le curé peut et même doit omettre son devoir pastoral, et il est certain qu’il pécherait gravement, en administrant les sacrements, car lorsqu’un supérieur commande, dans l'étendue de ses pouvoirs, on est tenu en conscience de lui obéir, dès qu’on le peut sans péché. Dans ce cas. la crainte

d’une excommunication même Injuste doit empêcher de remplir son devoir. Sans doute, lorsque l’excom

munication est notoirement injuste et procède d’une

erreur certaine, elle ne saurait obliger, car elle est évi

déminent nulle ; mais la crainte d’une excommunication dont l’injustice est incertaine doit nous empêcher de remplir des devoirs qui ne sont pas essentiels.

D’une manière générale, on doit craindre et respecter les censures de l’Église, respecter l’autorité des évêques, même quand ceux-ci abusent de leur autorité. Hors les cas d’une excommunication notoirement injuste, les lidèles ne doivent pas se fier à leur propre jugement, pour décider si la censure est juste ou non ; dans le doute, la présomption est toujours en faveur de l’autorité. Un fidèle n’a pas le droit de se révolter contre une censure même injuste, sous prétexte de remplir un devoir prescrit par l’autorité ecclésiastique (pour un laïc, faire ses pàques ; pour un prêtre, célébrer la messe), lorsque cela est interdit par l’autorité légitime, mais il a le droit de faire connaître son cas, afin d’arriver à faire constater l’injustice de la censure.

La proposition de Quesnel n’est pas seulement fausse dans sa généralité, elle est encore très dangereuse en pratique, car elle fait le fidèle juge de la justice ou de l’injustice de l’excommunication ; on regardera comme injuste la censure qui déplaît ; des particuliers, par ignorance, par entêtement, par passion, seront amenés à déclarer injustes les censures dont on les menace et ainsi à mépriser les censures des supérieurs et à faire des actes défendus, sous prétexte que la défense n’est pas raisonnable.

D’ailleurs, Quesnel a encore aggravé sa doctrine, dont le but est de minimiser les censures de l’Église, qu’il déclare injustes, dès quelles atteignent ses partisans : les chrétiens injustement excommuniés ont la consolation qu’ils n’en sont que plus intimement et plus fortement unis et attachés à l’Église. « Ceux qui séparent d’eux des gens de bien par une excommunication très injuste, s’excommunient eux-mêmes, en se séparant de la communion des saints, et les unissent davantage à Jésus-Christ, en les rendant conformes à lui. » Joa., ix, 34.

La doctrine de l’Église est bien plus raisonnable : une personne excommuniée injustement, n’est pas intérieurement séparée de l’Église… ; mais elle est obligée, par le respect qu’elle doit aux censures de l’Église et pour éviter le scandale, de se comporter extérieurement comme si elle était véritablement excommuniée, à moins que l’excommunication ne soit manifestement injuste et nulle, et qu’elle puisse être négligée sans scandale. Dans aucun cas, la personne excommuniée ne peut décider elle-même que l’excommunication est injuste, et l’inférieur ne saurait être juge de la justice d’une censure ; la présomption est toujours en faveur du supérieur.

92. C’est imiter saint Paul

92. Potius pati in pace

excommunicationem et ana thema injustum, quam pro dere veritatem, est imitari

sanctum Paulum : tantum

abest, ut sit erigere se

contra auctoritatem aut

scindere unitatem.

que de souffrir en paix l’ex communication et l’ana thème injuste, plutôt que

de trahir la vérité, loin de

s’élever contre l’autorité,

ou de rompre l’unité. Rom.,

ix, 3, éd. 1693 et 1699.

Le principal vice de cette proposition est d’inspirer pour les censures de l’Église une indifférence qui va jusqu’au mépris et de supposer un cas qui ne peut se produire sans compromettre l’infaillibilité de l’Église, à savoir qu’en ce qui concerne la foi et la vérité, le fidèle peut se trouver sans défense, dans l’Église, contre une excommunication injuste et, par conséquent, se trouver dans la nécessité de la souffrir en paix. D’autre part, la maxime est fausse et pernicieuse en elle-même, car elle affirme, sans distinction et sans nuance, qu’on doit souffrir en paix toute excommunication injuste. Or, saint Thomas dit avec raison qu’en ce cas, on doit ou bien obéir à la sentence avec

humilité — et cela est fort méritoire — ou bien demander l’absolution à celui qui a porté la sentence, ou bien recourir à un juge supérieur pour faire réformer la sentence injuste. Se voir privé des sacrements, sans essayer de se justifier et laisser ainsi subsister le scandale, sans rien faire pour le faire cesser, n’est-ce pas encourir le reproche du concile de Trente (sess. xxv, c. iii, De reform.) qui recommande de procéder contre celui qui reste tranquillement, pendant un an, sous l’excommunication, comme on procède contre un homme suspect d’hérésie ?

Quesnel conseille de souffrir plutôt que de « trahir la vérité », mais c’est qu’il s’agit dans ce cas, d’une question de doctrine, et le cas paraît tout à fait impossible, où l’on se trouve dans l’alternative de souffrir une excommunication injuste ou de trahir la vérité, car dans les causes personnelles il ne s’agit pas de trahir la vérité ou de rompre l’unité. Pour comprendre ces expressions, il faut se rappeler que, pour Quesnel, « trahir la vérité », c’est sans doute condamner le jansénisme qui est « la vérité ». Au fond, Quesnel veut dire : il faut vivre en paix et ne rien faire pour être absous d’une excommunication qu’on déclare injuste, afin de ne pas condamner la doctrine janséniste.

Dans la lettre écrite le 5 février 1714 aux prélats absents de Paris pour les engager à publier un mandement uniforme, le cardinal de Rohan met ce point en relief : « On conseille à ces enfants rebelles de ne pas appréhender les excommunications et de persister dans leur désobéissance. On ne parle sur cela que de persécutions, d’injustice, d’entêtement, d’obstination de la part des pasteurs… C’est la vérité qui est persécutée dans la personne de ses prédicateurs et de ses disciples. On ose donner ce nom à ceux que l’Église juge dignes de ses censures, pour ne vouloir pas obéir à ses décisions et ce qu’elle a si justement ordonné contre eux par la signature du Formulaire, c’est ce qu’on appelle dominer sur la foi des fidèles, multiplier les occasions de parjures, dresser des pièges aux fidèles et aux ignorants, être contraires à l’esprit de Dieu et à la doctrine de Jésus-Christ… Étranges excès. »

93. Jésus quandoque sanat

quæ pneceps primorum pas torum festinatio infligit sine

ipsius mandato ; Jésus res tituit quod ipsi inconside rato zelo rescindunt.

93. Jésus guérit quelque fois les blessures que la pré cipitation des premiers pas teurs fait sans son ordre. Il

rétablit ce qu’ils retranchent

par un zèle inconsidéré.

Joa., xviii, 11, éd. 1693 et

1699.

Le but évident de cette proposition est de critiquer la conduite de l’Église et des pasteurs. Il peut arriver que des pasteurs retranchent injustement du corps de l’Église des fidèles qui ne le méritent pas. À ces membres ainsi injustement excommuniés, Jésus-Christ accorde des grâces intérieures, car ils font toujours partie de l’âme de l’Église, mais, pour que le fidèle excommunié puisse être de nouveau incorporé, le ministère extérieur et visible de l’Église est nécessaire. Il est donc faux que, par lui-même et sans le ministère de l’Église, Jésus-Christ guérisse les blessures faites injustement par les premiers pasteurs : il faut l’intervention de l’Église visible, bien que Jésus n’approuve point la précipitation et le zèle inconsidéré des pasteurs. Bref, ou bien l’excommunication est nulle ; dans ce cas, il n’y a pas de blessure. Ou bien l’excommunication est douteuse, et l’excommunié ne peut être rétabli dans la société extérieure et réincorporé, sans l’intervention des premiers pasteurs.

La proposition de Quesnel est téméraire et injurieuse, car elle accuse l’Église d’un zèle intempestif et elle encourage les fidèles à se faire les juges des sentences de l’Église et à mépriser les excommuni 122

cations ; elle renferme une erreur par rapport à la constitution et au gouvernement de l’Église.

Les quatre dernières propositions de Quesnel prêchent la révolte contre l’Église : la proposition 90 détruit le pouvoir réel de l’Église ; la proposition 91 encourage l’excommunié à continuer ses fonctions, malgré la censure ; la proposition 92 conseille de souffrir en paix, c’est-à-dire avec indifférence, les censures ; la proposition 93 affirme que l’excommunié peut être réincorporé dans l’Église, sans le ministère des pasteurs.

94. Nihil pejorem de Ec- 94. Rien ne donne une clesia opinionem ingerit ejus plus mauvaise opinion de inimicis, quam videre illic l’Église à ses ennemis, que dominatum exerceri supra d’y voir dominer sur la foi fidem fldelium et foveri des fidèles, et y entretenir divisiones propter res, quas des divisions pour des choses nec fidem lædunt nec mores, qui ne blessent ni la foi ni les mœurs. Rom., xiv, 16, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est injurieuse pour l’Église que Quesnel accuse de donner mauvaise opinion d’ellemême, de dominer sur la foi des fidèles et d’entretenir parmi eux des divisions pour des choses insignifiantes. En fait, Quesnel reproche à l’Église d’avoir condamné le jansénisme, lequel n’intéresse ni la foi ni les mœurs, alors que l’Église affirme le contraire par ses condamnations répétées. Obliger les fidèles à croire les vérités contraires au jansénisme et enseignées par l’Église, ce n’est point exercer une domination sur la foi des fidèles, mais empêcher les novateurs d’exercer leur domination et de répandre leurs erreurs parmi les fidèles ignorants. S’il y a des divisions, ne viennent-elles pas des jansénistes, qui refusent de se soumettre à l’autorité légitime ?

95. Veritates eo devenerunt, ut sint lingua quasi pcrcgrina pleris christianis, et modus eas prædicandi est veluti idioma incognitum ; adeo remotus est a simplicitate apostolorum, et supra coinmunem captum fidelium ; neque satis advertitur, quod hic defectus sit ununi ex signis maxime sensibilibus senectutis Ecclesiae et iræ Dei in filios suos.

95. Les vérités sont devenues comme une langue étrangère à la plupart des chrétiens ; et la manière de les prêcher est comme un langage inconnu, tant elle est éloignée de la simplicité des apôtres, et au dessus de, la portée du commun des fidèles ; et on ne fait pas réflexion que ce déchet est une des marques les plus sensibles de la vieillesse de l’Église, et de la colère de Dieu sur ses enfants. I Cor., xiv, 21, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est calomnieuse pour l’Église tout entière ; on reproche aux fidèles de ne plus entendre les vérités de la religion et aux pasteurs de ne plus les enseigner convenablement ; l’Église tout entière est tombée dans la sénilité et est devenue comme l’objet de la colère de Dieu : dans son ensemble, l’Église est livrée à l’erreur el à l’ignorance, puisque les vérités de la religion sont devenues comme une langue étrangère et inintelligible à la plupart des chrétiens, parce qu’elles ne leur sont plus prèchées d’une manière assez claire et d’une manière apostolique. C’est donc nier l’infaillibilité et l’indéfeclibililé de l’Église, et, par suite, déclarer que.lésus-ChrisI n’a pas tenu les promesses faites à ses apôtres. Quesnel insinue que, seuls, les jansénistes ont conservé la vérité, parce qu’ils ont gardé la vraie manière de prêcher la parole de Dieu et d’expliquer les vérités divines avec la simplicité des apôtres et dans un langage qui soit à la portée des fidèles. Dans sa I : » ponse à Raconis, évoque de Lavaur, en H">| 1, Arnauld avait déjà intitulé ses deux chapitres : la vieillesse de l’Église et l’Église finissante.

Ici les jansénistes ne peuvent pas dire, comme ils

l>tc.T. DF. THÉOL. CATHOL.

le font pour les propositions précédentes, que Quesnel n’attaque que les pasteurs infidèles à leurs devoirs, ceux qui entretiennent les divisions, ceux qui usent d’un zèle inconsidéré, car les propositions sont absolument générales et semblent énoncer un fait : les vérités sont devenues comme une langue étrangère ; elles sont prèchées dans une langue inconnue et inintelligible au commun des fidèles.

96. Deus permittit ut 96. Dieu permet que

omnes potestates sint con-toutes les puissances soient

trariæ prædicatoribus veri-contraires aux prédicateurs

tatis, ut ejus Victoria attri-de la vérité, afin que la vic bui non possit, nisi divin* toire ne puisse être attri gratiae. buée qu’à sa grâce. Act., xvii, 8, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est injurieuse et outrageante pour les puissances séculières et ecclésiastiques, qui sont déclarées contraires aux prédicateurs de la vérité ; donc ceux-ci doivent s’élever contre ces puissances, afin de remplir leur mission : les particuliers doivent résister à l’Église et à l’État, qui les condamnent. D’autre part, Dieu n’a jamais permis — c’est sa promesse formelle — que la puissance ecclésiastique, établie par lui, ait été, dans son ensemble, contraire à la vérité. Par suite, la proposition serait condamnable, même si elle n’exprimait qu’une simple hypothèse ; or elle exprime ici un fait : Dieu « permet ». Il est facile de voir l’application que Quesnel veut faire de sa maxime : les jansénistes sont évidemment les prédicateurs de la vérité, persécutés par les deux puissances, par une permission divine, afin que leur victoire ne puisse être attribuée qu’à la grâce de Dieu.

Ajoutons que la souffrance et les persécutions qu’on supporte ne prouvent pas avec une certitude absolue, la vérité de la cause que l’on défend, comme l’insinue Quesnel. On ne doit pas céder à la violence el abandonner la vérité mais, d’autre part, on ne doit pas retidre méprisables les sentences des premiers pasteurs, en les présentant comme des persécuteurs de la vérité et de la justice, et cela par la permission de Dieu, qui voudrait, par ce moyen, manifester la toute puissance de sa grâce.

97. Nimis sa-pe contingit membra Ma, çnise magis sancte ac magis stricte unita Ecclesise sunt, respicl atque

tractari tanquam indigna ut sint in Ecclesia, vel tanquam ab ea separata. Sed justus vivit ex fide, et non ex oplnione hominum.

97. Il n’arrive que trop souvent qlie les membres le plus saintement et le plus étroitement unis à l’Église, sont regardés et traités comme indignes d’y être, ou comme en étant déjà séparés ; mais le juste vit de la foi de Dieu, et non pas de l’opinion des hommes. Act., iv, 11, éd. 1693 et 1099.

Il peut arriver parfois - mais c’est une exception qu’un homme saint et innocent soit censuré par l’Église ; mais c’est un cas rare, qui n’autorise pas un particulier à mépriser les censures de l’Église, comme l’insinue la proposition de Quesnel, laquelle affirme que » trop souvent » les membres les plus saints sont indignement traités par l’Église. On rend odieuse l’autorité de l’Église et on légitime la révolte et la désobéissance des fidèles qui, s’estimant innocents. ne se soumettent pas aux décisions de l’Église. Sans doute, pour Quesnel, les membres les plus étroitement unis à l’Église, ce sont évidemment les jansénistes. tous gens saints et sans reproche, et cependant regar dés et traités par le pape, les évèqucs et l’Église, comme indignes d’être membres de l’Église.

Quesnel ajoute : Le |uste vit de la foi et non de l’opinion des hommes », et il conclut que le juste ne doit pas S’inquiéter des censures de l’Église, sans doute parce que ces censures ne sont qu’une opinion humaine, et voilà une erreur redoutable. Lorsque

T. — XV. — 67.

l’Église condamne une doctrine, elle n’exprime pas seulement une opinion humaine, dont la conscience pourrait ne pas tenir compte, mais la vérité, à laquelle tout fidèle doit croire, s’il veut rester catholique.

98. Status persecutionis 98. L’état d’être persécuté et pœnarmn, quas quis tôle-et de souffrir comme un rat, tanquam ha>reticus, fia-hérétique, un méchant, un gitiosus et impius, ultima impie, est ordinairement la plerunique probatio est, et dernière épreuve et la plus maxime meritoria, ntpote méritoire, comme celle qui quæ facit hominem magis donne plus de conformité conforment Jesu Christo. à Jésus-Christ. Luc, xxii,

37, éd. 1693 et 1699.

Cette proposition est un encouragement aux jansénistes déjà condamnés : ils s’arrogent ainsi le droit d’apprécier leur condamnation et de se regarder comme les martyrs de la persécution de l’Église qui les a condamnés. C’est une maxime empruntée aux calvinistes, qui, en France, se consolaient les uns les autres, au moment des premières condamnations. L’auteur du Quatrième gémissement, p. 111, en fait l’application au P. Quesnel lui-même. D’ailleurs, il ne suffit pas d’être persécuté, pour être conforme à Jésus-Christ ; il faut être persécuté « pour la justice ». Matth., v, 10. Quesnel appelle martyre ce qui n’est qu’entêtement et obstination, opiniâtreté pour des opinions personnelles. De plus, on ne saurait dire que cette épreuve est en soi la plus méritoire ordinairement, comme si ce genre de persécution était commun et ordinaire ? N’est-ce pas encourager le mépris des censures de l’Église et insinuer qu’un grand nombre de fidèles sont injustement condamnés et persécutés par elle ?

99. Pervicacia, præventio, 99. L’entêtement, la préobstinatio in nolendo aut vention, l’obstination à ne aliquid examinare, aut vouloir ni rien examiner, agnoscere se fuisse decep-ni reconnaître qu’on s’est tum, mutant quotidie.quoad trompé, changent tous les multos, in odorem mortis, jours en odeur de mort à id quod Deus in sua Eccle-l’égard de bien des gens ce sia posuit ut in ea effet que Dieu a mis dans son odor vitse ; v. g. bonos libros, Église pour y être une odeur instructiones, sancta exem-de vie : livres, instructions, pla etc. exemples. II Cor., ii, 16,

éd. 1693 et 1699.

Voilà une autre accusation grave portée contre l’Église. D’ailleurs, la proposition, prise en elle-même et indépendamment de l’application faite à l’Église, est fausse et dangereuse ; c’est aux pasteurs d’examiner les livres et les instructions et de dire le jugement qu’il faut porter. De plus, Quesnel regarde les faits qu’il critique comme ordinaires et communs (souvent, ordinairement, tous les jours, à l’égard de bien des gens) ; or, il est faux que tous les jours, les bons livres et les saintes instructions sont regardés comme de mauvais écrits, parce que les pasteurs s’obstinent à ne pas vouloir les examiner, à ne pas vouloir reconnaître qu’ils se sont trompés. Aux yeux de ceux qui sont condamnés, ce sont toujours les juges qui ont tort. Parler ainsi, c’est jeter le discrédit sur tous les jugements de l’Église et encourager les fidèles à ne tenir aucun compte des censures de l’Église.

100. Tempus deplorabile, 100. Temps déplorable, quo creditur honorari Deus, où on croit honorer Dieu persequendo veritatem ejus-en persécutant la vérité ! Ce que discipulos. Tempus hoc temps est venu… Etre readvenit. .. Haberi et tractari gardé et traité par ceux qui a religionis ministris, tan-en sont les ministres (de la quam impium et indignum religion) comme un impie, omni commercio cura Deo, indigne de tout commerce tanquam membrum putri-avec Dieu, comme un memdum, capax corrumpendi bre pourri, capable de tout omnia in societate sancto-corrompre dans fa société rum, est hominibus piis des saints, c’est pour tes morte corporis mors terri-personnes pieuses une mort

bilior. Frustra quis sibi plus terrible que celle du

blanditur de suarum inten-corps. En vain on se flatte de

tionum puritate et zelo la pureté de ses intentions

quodara religionis, perse-en poursuivant des gens de

quendo flamma ferroque bien à feu et à sang, si on

viros probatos, si propria est aveuglé par sa propre

passione est exeæcatus aut passion ou emporté par

abreptus aliéna, propterea celle des autres, faute de

quod nihil vult examinare. vouloir rien examiner. On

Fréquenter credimus sacri-croit souvent sacrifier à

ficare Deo impium et sacri-Dieu un impie et on sacrifie

ficamus diabolo Dei servum. au diable un serviteur de

Dieu. Joa., xvi, 2, éd. 1693

et 1699.

Ce texte est la critique passionnée de tout ce qui a été fait contre le jansénisme, par le pape et les évêques, car tous les verbes sont au présent et la persécution violente dont il est question sévit en ce moment même : la vérité et ceux qui la défendent sont persécutés par les ministres de l’Église, chargés officiellement de la représenter, et ceux-ci persécutent, parce qu’ils sont aveuglés par leurs propres passions ou emportés par les passions des autres. L’Église, par ses ministres, poursuit ces vrais serviteurs de Dieu comme des impies et les sacrifie au diable ; les gens de bien sont persécutés à feu et à sang par les ministres de la religion. Ces accusations injustes légitiment toutes les révoltes contre l’autorité hiérarchique de l’Église ; ce n’est pas ainsi qu’agissaient les premiers chrétiens persécutés.

101. Nihil spiritui Dei et 101. Rien n’est plus con doctrinse Jesu Christi magis traire à l’esprit de Dieu et

opponitur quam communia à la doctrine de Jésus-Christ

facere juramenta in Eccle-que de rendre communs les

sia ; quia hoc est multi-serments dans l’Égfise, parce

piicare occasiones perju-que c’est muftipfier les

randi, laqueos tendere infir-occasions de parjures, dres mis et idiotis, et efficere ut ser des pièges aux faibles et

nomen et veritas Dei ali-aux ignorants, et faire quei quando deserviant consilio quefois servir ie nom et la

impiorum. vérité de Dieu aux desseins des méchants. Matth., v,

37, éd. 1693 et 1699.

Immédiatement avant la proposition condamnée, "se lisent les mots suivants : « la simplicité se trouve ordinairement avec la vérité… L’abus du jurement vient ou de la défiance de celui qui l’exige, ou de la malice de celui de qui on l’exige, ou de légèreté, d’irrévérence ; la sagesse, la probité et la religion remédieraient à tout. Rien n’est plus contraire, etc. ». Quesnel critique ici le serment exigé pour la signature du Formulaire et il a raison de dire que l’Église demande le serinent parce qu’elle redoute la malice de ceux de qui elle l’exige, car elle n’a guère confiance en leur sincérité. Le serment est légitime, quand il s’agit de terminer des contestations importantes ; c’est un moyen efficace de découvrir les hérétiques… L’Église exigeait le serment pour la signature du Formulaire, afin de détruire le jansénisme. Voilà le serment dont se plaint Quesnel, parce que ce serment permet à l’Église de trouver les jansénistes.

Les huit dernières propositions de la bulle renferment de graves calomnies contre l’Église ; Quesnel s’y érige en censeur de l’Église, et elles sont propres à entretenir la désobéissance et la révolte qu’elles encouragent sous le nom de patience dans la persécutioa ; elles visent à faire supposer qu’il y a une persécution dont les jansénistes sont les victimes et les martyrs.

Telle est la bulle Unigenitus qui condamne « toutes et chacune des propositions ci-dessus rapportées, comme étant respectivement fausses, captieuses, malsonnantes, capables de blesser les oreilles pieuses, scandaleuses, pernicieuses, téméraires, injurieuses à l’Église et à ses usages, outrageantes, non seulement

pour elle, mais pour les puissances séculières, séditieuses, impies, blasphématoires, suspectes d’hérésie, sentant l’hérésie, favorables aux hérétiques, aux hérésies et aux schismes, erronées, approchant de l’hérésie, et souvent condamnées, enfin comme hérétiques et comme renouvelant diverses hérésies, principalement celles qui sont contenues dans les fameuses propositions de Jansénius, prises dans le sens auquel elles ont été condamnées ». Après cette longue énumération de notes théologiques, qui condamnent respectivement les cent une propositions, la bulle ajoute : « Au reste, par la condamnation expresse et particulière que nous faisons des susdites propositions, Nous ne prétendons nullement approuver ce qui est contenu dans le reste du même livre, d’autant plus que, dans le cours de l’examen que Nous en avons fait, Nous y avons remarqué plusieurs autres propositions, qui ont beaucoup de ressemblance et d’affinité avec celles que Nous venons de condamner, et qui sont toutes remplies des mêmes erreurs. De plus, Nous y en avons trouvé beaucoup d’autres qui sont propres à entretenir la désobéissance et la rébellion qu’elles veulent insinuer insensiblement sous le faux nom de patience chrétienne, par l’idée chimérique qu’elles donnent aux lecteurs d’une persécution qui règne aujourd’hui. » Elle condamne aussi le livre, parce que souvent il altère le texte du Nouveau Testament et qu’il est « conforme en beaucoup d’endroits à une traduction dite de Mons, qui a été censurée depuis longtemps » et le texte « est différent et s’éloigne en diverses façons de la version Vulgate, qui est en usage dans l’Église depuis tant de siècles, et qui doit être regardée comme authentique par toutes les personnes orthodoxes ».