Dictionnaire de théologie catholique/GLOIRE DES ÉLUS II. Gloire accidentelle des élus

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 6.2 : GÉORGIE - HIZLERp. 83-88).

II. Gloire accidentelle.

Le principe général qui nous sert de guide dans l’exposé de la gloire accidentelle est celui que Gonet a formulé, op. cit., disp. III, a. 2, n. 09 : Pree oculis semper habendum essentiam beatitadinis formalis esse assecutionem finis ultimi seu objecti beat i [ici : unde. Ma actio vel illæ actiones censendse sunt cd formalem beatitudinem perlinere, quæ essentialiler et formaliler sunt assecuiio finis ultimi : contra vro illæ qiuv ad rationem asscculionis finis ultimi et objectiva : beatitadinis mate RI ALITER, ( OXCOMITAb TER VEL ACCIDENT UAIEHse liabenl,

non speclant ad rationem formalem beatitadinis sed cjns essentiam comilantur vel subsequuntur. Donc, tout

| ce qui n’est pas l’élément formel de la béatitude doit être considéré comme clément étranger à la gloire essentielle, et en quelque façon comme élément accidentel. Mais il convient d’apporter une distinction : ce peut être un élément matériel ou concomitant de la gloire essentielle ; on pourra l’appeler alors gloire accidentelle, mais dans un sens tout à fait impropre ; ce peut être aussi un élément strictement accidentel : accidentalia beatitudinis duplieiter sumi possunt : vel pro iis quiv ab essentiel sunt non modo dislinela, verum elium separabilia ; vel pro iis quæ distinela quidem sunt, tamelsi essentiam necessario et semper comilentur. Billot, De novissimis, p. 118.

Aussi, pour être complet, nous distinguerons la gloire accidentelle improprement dite de la gloire accidentelle proprement dite.

l u Gloire accidentelle improprement dite. — Sous ce nom générique, on peut grouper les différents éléments de la béatitude, qui, inséparables de la gloire essentielle, s’en distinguent cependant formellement. Bappelons, pour éviter toute équivoque, que, dans le langage commun, cette gloire accidentelle rentre dans la gloire essentielle, selon la remarque du card. Billot. Voir col. 1401.

1. Conditions ou compléments nécessaires de la gloire essentielle. — C’est la contrepartie de l’élément formel de la gloire. Dans l’opinion thomiste, amour et jouissance béatitiques sont le complément nécessaire de la vision, élément formel, c’est-à-dire essentiel de la gloire. Dans l’opinion scotiste, c’est la vision, au contraire, qui n’est que la condition nécessaire de la gloire, fin un sens, ce seraient donc des éléments accidentels ou quasi accidentels de la gloire. Cf. S. Thomas, Sum. theol., D IL’, q. iii, a. 4 : *</ beatitudinem duo requiruntur : unum quod est esse beatitudinis, aliud quml est quasi per >i : accidlss / ;.//>, scitieel delectatio ci adjuncta.

2. Propriétés de la gloire essentielle.

La perpétuité de la gloire, l’impeccabilité de l’âme humaine sont des propriétés intrinsèquement dérivées de la vision béatifique. A ce litre, elles seront étudiées à l’art. Intuitive (Vision) ; mais elles doivent être signalées ici comme appartenant au complément de la gloire essentielle.

3. Qualités glorieuses de l’âme béatifiée.

De même que les corps glorieux ont des qualités propres, dont la source est la gloire même de l’âme rejaillissant sur le corps, voir Corps glorieux, t. iii, col. 1900 sq., de même l’âme bienheureuse sera dotée de qualités glorieuses qui correspondront aux opérations spécifiques de la gloire, vision, amour, jouissance béatitiques. Les théologiens appellent ces qualités dotes animée beulæ, par une métaphore empruntée au terme du droit, la dot de l’épouse. La gloire éternelle est comme un mariage de l’âme avec Dieu : il est convenable que l’épouse s’approche de l’époux ornée de qualités qui la disposeront à jouir en paix de son mariage, en la rehaussant aux yeux de son époux. Les théologiens fondent leur doctrine des dotes animæ sur l’Écriture, Apoc, xxi, 2. Cf. II Cor., xi, 2 ; Eph., v, 23-32. Pour saint Thomas, les qualités sont, en soi, des habilus disposant l’âme à la parfaite béatitude. Ils sont donc distincts des opérations qui constituent la gloire. Sum. theol., IIP SuppL.q. xcv, a. 1, 2. Ces qualités existent dans l’âme du Christ et chez les esprits angéliques, mais non à titre de dotes anima : ’, l’âme du Christ et les esprits angéliques n’ayant pas la qualité d’épouses vis-à-vis de Dieu et du Christ lui-même, a. 3, 4. Il y a trois dotes, l’une, répondant à la vertu de foi, rend l’acte de vision délectable, et, du nom de l’opération à laquelle elle dispose l’âme, se nomme vision ; les deux autres établissent la convenance de l’objet au sujet et la possession de celui-là par celui-ci ; la convenance est établie par la dilection, la jouissance (jruilio), ou la délectation qui expriment, sous des noms différents, la qualité répondant à la charité ; la possession de l’objet est réalisée par la jouissance dans le sens d’appréhension ou compréhension ou tension vers l’objet ; toutes dénominations pour exprimer la même qualité répondant à l’espérance, a. 5. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. iv. Ontologiquement, ces qualités sont les habilus de l’âme bienheureuse ; or, ces habitus sont au nombre de deux, le lumen gloritv et la charité consommée. La qualité nommée vision, c’est donc la lumière de la gloire élevant l’intelligence, au-dessus de toute obscurité, dans les régions de l’évidence et de la clarté ; la compréhension, c’est encore la lumière de la gloire, éloignant tout obstacle à l’union de l’âme avec Dieu ; la dileclipn ou jouissance, c’est toujours la lumière de la gloire jointe à la charité consommée et disposant l’âme à jouir pleinement de Dieu. Mazzella, De Deo créante, disp. VI, a. 4, n. 1240. Cf. S. Thomas, III* SuppL, q. xcv, a. 5, ad 3°’; Salmanticenses, op. cit., disp. II, dub. m ; Billuart, op. cit., diss. II, a. 5, § 1. Mais pour bien comprendre comment ces habilus peuvent revêtir la formalité de qualités glorifiant l’âme au titre de dots surnaturelles, il faut leur restituer leur double aspect : en tant que principes des opérations qui constituent la gloire essentielle, ils ne peuvent être appelés dotes animer, puisque, loin d’être la dot du mariage spirituel de l’âme avec Dieu, ils sont ce mariage lui-même consommé entre Dieu et l’âme. Mais, par le fait même, ils élèvent l’âme à un état glorieux, très supérieur à l’état présent, et dans lequel sont supprimées toutes les imperfections : en tant que ces habitus de la lumière de gloire et de la charité consommée élèvent ainsi l’âme et la rendent apte à entrer en commerce direct avec Dieu, sans aucune des obscurités de la foi, dans la pleine clarté de la vision faciale, dans la pleine sécurité de la possession de la divinité, ils lui donnent, vis-à-vis de Dieu, une relation toute particulière qui fait véritablement que l’âme est l’épouse dotée en vue de plaire à son époux et de jouir pleinement de son union. A ce titre, ils deviennent les dotes anima’. Jean de Saint-Thomas, op. cil., q. v, disp. II, a. 8, n. 18.

Richard de Middletown, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, a. 3, q. vii, a substantiellement la même doctrine que saint Thomas : pour lui, les dotes sont vision, amour et sécurité, dont il fait un habilus spécial. Pierre de la Palu, ibid., q. viii, a. 3, tout en maintenant une thèse identique à celle du docteur angélique, emploie les dénominations de vision, délectation, dilection.

Avec saint Bonaventure, In IV Sent., I, IV, dist. XLIX, a. 1, q. v ; D. Soto, ibid., q. iv, a. 3, nous avons des dotes animée une conception différente. Ce ne sont plus des habitus, mais des opérations, car la lumière delà gloii e, qui est V habilus des âmes élues, ne peut être identifiée avec ces qualités glorieuses. Suarez, op. cit., disp. XI, sect.i, n. 4, fait remarquer à juste titre que c’est là une pétition de principe et que saint Thomas enseigne le contraire, IIP’SuppL, q. xcv, a. 5, ad 3°’". Si ces habilus sont désignés par l’opération, vision, compréhension, délectation, etc., c’est parce que la perfection de la béatitude, perfection à laquelle l’âme est par eux disposée, réside en cet acte dernier, l’opération. Vasquez, op. cit., disp. XVIII, c. n ; Montesinos, Commentaria in /"" IV Sum. S. Thomæ, Alcala, 1622, q. iv, a. 3, disp. VI, q. vi, maintiennent la thèse de saint Bonaventure.

Ces controverses sont de minime importance et renferment trop de subtilités. Une fois admis que l’expression : dotes animx, est une métaphore pour désigner l’élévation de l’âme à un état supérieur, peu importe que cette élévation réside en des opérations ou des principes d’opérations. Les théologiens actuels

n’accordent presque plus d’attention à cette question.

Parmi les théologiens contemporains, voir Mazzelki » De Deo créante, Woodstock, 1877, disp. VI, a. 4, n. 12311240 ; Pesch, Pnvlecliones donmatiew, Fribourg-en-Brisgau, 1899, t. iii, n. 153. Anciens auteurs plus complets, Salmanticenses, De beatitudine, disp. II ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. XI, sect. i ; Jean de Saint-Thomas, De adeptionè beatitudinis, disp. II, a. 8 ; Gonet, Clypeus tlieologiæ Ihomisticse, De Deo uHimo fine, disp. V, a. 1 ; Lessius, De beatitudine, a. 3, dub. n ; De sunimo bono et œterna beatitudine hominis, 1. II, c. xx ; S. Thomas, Sum. theol., III » ’SuppL, q. xcv ; In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. iv.

Gloire accidentelle proprement dite.

1. Existence d

caractère spécifique de la gloire accidentelle proprement dite. — Qu’en dehors de la gloire essentielle, vision, amour, jouissance béatifiques, il y ait une autre gloire pour les élus, c’est là une doctrine communément admise : a) l’Écriture la suppose expressément, Luc, xv, 7, 10 ; Ps. exix, 5, 6 ; Sap., iii, 7 ; Matin., xix, 28 ; b) la raison demande qu’une essence créée reçoive le complément de sa perfection dans ses accidents. Gloire essentielle et gloire accidentelle sont ontologiquement des accidents physiques de l’âme bienheureuse ; le mot accidentel est donc employé ici analogiquement pour désigner une gloire qui s’ajoute à la gloire essentielle. Suarez, op. cit., disp. XI, sect. il, n. 3.

Saint Thomas, Sum. theol., I", q. xcv, a. 4, place le principe de la gloire accidentelle dans le mérite lui-même, non en tant qu’il procède de la charité, mais en tant qu’il est proportionné à la nature ou à la difficulté de l’œuvre méritoire accomplie. Envisagé sous son premier aspect, le mérite est récompensé par la gloire essentielle ; sous son second aspect, par la gloire accidentelle. Cf. In Epist. D. Pauli ad Romanos, c. viii, lect. v ; I"° ad Cor., c. iii, lect. n. Suarez, loc. cit., n. 5-8, accepte difficilement cette explication et, n. 9, lui substitue celle de la bonté divine qui récompense les élus, non seulement dans les limites de la justice, mais au delà, selon une mesure bonam et confcrlam et coagilalam et superejjluentem. Luc, vi, 38. Les deux conceptions peuvent se compléter l’une l’autre. Pesch, op. cit., n. 474.

On peut toutefois se demander quel caractère spécifique distingue la gloire accidentelle de la gloire essentielle. Certains théologiens, Richard de Middletown, In IV Sent., I. IV, dist. XLIX, a. 5, q. i ; Gabriel Biel (suppl.), ibid., q. iii, et même saint Thomas, Sum. theol., P, q. xcv, a. 4 ; cf. In IV Sent., 1. IV, dist. XII, q. ii, a. 1, q. ii, placent cette raison dans la nature de l’objet de la béatitude : la béatitude essentielle se rapporte à un objet incréé, la béatitude accidentelle a un objet créé : gaudium (est) de bono creato (S. Thomas). Suarez, loc. cil., fait remarquer que cette raison n’est pas complète, car la connaissance et l’amour de Dieu, en dehors de la vision béatifique, font partie, pour les élus, de la gloire accidentelle ; au contraire, la connaissance et l’amour des créatures, vues et possédées dans l’essence divine, font partie de la gloire essentielle, dont les créatures, vues et possédées en Dieu, forment l’objet secondaire. Voir Intuitive (Vision). C’est donc au moyen de connaissance, plutôt qu’à Vobjet connu, qu’il faut s’attacher pour distinguer la gloire accidentelle de la gloire essentielle. Aussi Suarez la définit-il exactement, semble-t-il : Quwlibct perjectio bcali quæ versatur extra objecium primarium et essenliale beatifitum, quod est Deus prout bcali ficus est, id est claie visus. Remarquons d’ailleurs que l’élément formel de la gloire, la connaissance, entre ici en jeu pour en donner la définition exacte.

2. Détermination des différentes gloires accidentelles.

— a) Gloire accidentelle particulière ci certains élus. — Cette gloire accidentelle, d’après les scolastiques, est réalisée par les auréoles et les fruits spirituels ou évangêliques, auxquels il faut ajouter les caractères sacramentels. Toutes les âmes ne les posséderont pas : ce sera le privilège de certains élus. Les auréoles ont déjà élé étudiées. Voir Auréole, t. i, col. 2571 sq. Quant aux fruits spirituels ou évangéliques, il ne faut pas les confondre avec les fruits du Saint-Esprit, éhumérés dans l’Épître aux Galates, v, 22, 23. Voir Fruits du Saint-Esprit, col. 944 sq. D’une manière générale, la gloire essentielle peut être considérée en elle-même comme le fruit de notre travail de sanctification. Rom., vi, 22. Mais, plus spécialement, les fruits spirituels désignent métaphoriquement, comme les auréoles, une gloire accidentelle que Dieu accorde à certains élus. La métaphore est empruntée à la parabole, du semeur. Matth., xiii, 3-9. Les semences jetées en terre produisent, les unes 100, les autres 60, d’autres en lin seulement 30. C’est en se dégageant des liens de la chair, pour progresser dans la vie spirituelle, que l’homme obtiendra ces fruits : Fructus est quoddam prxmium quod debetur homini ex hoc quod ex carnali vila in spirilualem transit. S. Thomas, IIP Suppl.. q. xevi, a. 3. Plus l’homme se dégagera des liens de la chair, et plus son fruit sera abondant : le fruit est donc la gloire accidentelle proportionnée aux dispositions mêmes de l’âme s’engageant dans les voies de la spiritualité, et par là il se distingue, non seulement de la gloire essentielle, mais de l’auréole qui est la récompense accidentelle de certaines œuvres exceptionnellement méritoires : Secundum ergo hoc fructus dijfcrt ab aurea et ab auréola : quia aurca consislit in ijaudio quod habetur de Deo, auréola vero in gaudio quod habetur de operum perfeelione ; sed fructus in gaudio quod habetur de ipsa disposilione operanlis secundum gradum spiritualitatis in quem proficit ex semine verbum Dei. S. Thomas. In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, a. 2, q. i. Cf. IIP Suppl., q. xevi, a. 2. Les fruits spirituels sont attachés principalement à la vertu de continence qui seule nous fait fructifier dans le sens du détachement de la vie charnelle ; les proportions de 100, 60 et 30 indiquées par saint Matthieu représentent les trois sortes de continence, celle des vierges, celle des veuves et celle des gens mariés. S. Thomas, loc. cil., q. il, et iii, a. 3, 4. Cf. Gonet, op. cit., disp. V, a. 4.

Tous les anciens théologiens, et Scot lui-même, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, admettent que l’auréole diffère ontologiquement des fruits spirituels, et voient sous ces expressions métaphoriques des réalités représentant certaines béatitudes accidentelles. Des théologiens plus récents, Suarez tout particulièrement, op. cit., disp. XII, sect. iii, considèrent que les trois degrés exprimés par saint Matthieu ne signifient pas nécessairement des degrés de gloire accidentelle. La métaphore des fruits spirituels pourrait bien ne désigner que les degrés de la gloire essentielle elle-même. S. Thomas, In Evangel. Midlhœi, c. xiii, adopte ce sentiment. Cf. Pesch, op. cit., n. 511.

D’ailleurs, les Pères se sont prononcés en des sens si divers qu’on ne peut trouver chez eux d’interprétation authentique. Saint Jérôme, In Matlh., P. L., t. xxvi, col. 39, favorise l’interprétation de saint Thomas ; saint Augustin, Quæslioens in Evangel. sec. Matlh., ix, P. L., t. xxxv, col. 1325 ; Paschase Radbert. In Matlh., part. VII, P. L., t. cxx, col. 490 ; Bruno d’Asti, ibid., P. L., t. clxv, col. 189, appliquent la parabole aux martyrs, aux vierges, aux gens mariés. Bruno d’Asti, loc. cit., entend également parler des contemplatifs, des actifs et de ceux qui mènent une vie commune. Cf. S. Grégoire le Grand, In Ezcchiclem, 1. I, homil. v, n. 12, P. L., t. lxxvi, col. 826. Saint Augustin, De sanela virginilale, c. xlv, P. L., t. xl, col. 423, expose d’abord l’opinion que reprend saint Thomas, mais conclut que ces différents fruits représentent plus gé néralement les différents degrés de vertu. Même interprétation chez l’auteur de VOpus imperfeetum in Matlh., P. G., t. lvi, col. 705. Théophylacte, In Matlh., P. G., t. cxxv, col. 284, applique la parabole aux contemplatifs, aux actifs et à ceux qui débutent dans la perfection de la foi. Les incipienles, proficienles et perfecti se retrouvent chez Denys le Chartreux, In IV Evangelia, Paris, 1555. La liturgie de l’Église fait allusion, avec une application différente, à la parabole de Matth., xiii, 3, 9, dans l’hymne des laudes de saint Jean-Baptiste, vierge, docteur, martyr, Secta 1er dénis alios coronant, etc. Voir aussi : S. Jérôme, Adu. Jovin., 1. I, n. 1 ; Epist., xlviii, n. 2, P. L., t. xxiii, col. 212 ; t. xxii, col. 495 ; S. Cyprien, Epist., lxxvi, n. 6, P. L., t. iv, col. 418, qui appliquent ces degrés aux degrés de la gloire essentielle niés par les hérétiques de leur temps. Cette dernière interprétation est la plus commune chez les exégètes plus récents et correspond mieux à la pensée de Notre-Seigneur. Les théologiens font remarquer à bon droit que le caractère sacramentel sera lui aussi un sujet de gloire accidentelle pour les élus, parce qu’il restera la marque indélébile de leur fidélité. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., III", q. xlv, a. 5, ad 3°". Voir Caractère sacramentel, t. il, col. 1706.

S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, a. 2 ; Sum. theol., îï£æ Suppl., q. xevi, a. 2, 3, 4 ; Suarez, De ultitno fine hominis, disp. XI, sect. iii, n. 5 ; Gonet, De ultimo fine hominis, disp. V, a. 4 ; Knabenbauer, Evangelium secundum Matllœum, Paris, 1892, p. 524, 525.

b) Gloire accidentelle commune à tous les élus. — a. Dans l’âme. — Nous laissons présentement de côté les biens d’ordre surnaturel que Dieu accorde, dès ici-bas, à l’âme ornée de la grâce sanctifiante et qui la suivront, pour sa gloire, dans le ciel. Il y a correspondance entre la grâce et la gloire, et rénumération de ces biens sera logiquement à sa place plus loin, quand nous traiterons de la grâce et de la gloire. Bappelons toutefois que ces perfections d’ordre surnaturel sont un motif de gloire accidentelle.

a. Biens de V intelligence. — La foi ne nous enseigne rien directement en dehors de la vision béatifique. touchant les perfections de l’intelligence glorifiée. Les Pères enseignent communément, voir Intuitive (Vision), que l’ignorance et l’erreur ne peuvent trouver place dans la connaissance des élus. Il faut entendre cette ignorance dans un sens privatif, non négatif ; les élus, en elîet, auront toutes les connaissances que comporte leur état ; mais n’étant pas, par le fait de la béatitude, omniscients, ils resteront dans la nescience à l’égard de beaucoup de choses. S. Thomas,

In IV Sent., dist. XLIX, q. ii, a. 5, ad 8.Mais

comme, d’autre part, la gloire doit être le comble de tous les biens et la satisfaction de tous les désirs, exige-t-elle, en plus de la vision intuitive, un mode de connaissance d’ordre naturel qui en est comme le complément et l’accessoire ?

Nous n’avons, sur ce point, que les opinions des théologiens. — On admet communément contre Albert le Grand, In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, a. 10, avec saint Thomas, Sum. theol., P, q. lxxxix, a. 5, 6, que les habiius et les actes de la science acquise ici-bas demeurent dans les âmes séparées, bien que le mode d’agir de l’intelligence, tant que l’âme sera séparée du corps, ne s’exercera plus par une conversion vers les images sensibles, 1° II a q. lxvii, a. 2. Cf. Capréolus, In IVSenl… XXXI et XXXII, dist.III, q.un., a.2, § 2 ; Durand de Saint-Pourçain, dist. XXXI, q. ni. La parole de saint Paul, I Cor., xiii, S. scienlia deslruetur, ne s’applique qu’à une grâce gratuitement donnée, analogue aux dons de prophétie et des langues. Voir Estius, Bisping, dans leurs commentaires sur ce passage. Le souvenir des événements, des personnes, des affections, des luttes d’ici-bas suivra donc les âmes dans la gloire et sera pour elles un sujet de gloire complémentaire, | si tout cela a été une occasion de mérite pour elles. Cf. S. Thomas, ibid., a. 4, 8. Elles se réjouiront du j bien accompli ici-bas. q. xxiii, a. 6, ad 1°". — Les âmes, comme les anges, peuvent se communiquer leurs pensées, quelles que soient d’ailleurs les différentes | explications scolastiques du langage angélique. Voir Angéloi.ogie, t. i, col. 1241 sq. ; S. Thomas, ibid., a. 2. C’est d’ailleurs une vérité que nous pouvons j déduire de la gloire accidentelle que donne aux élus la société des bienheureux. Cette société, voir plus loin, ne peut contribuer à la gloire des élus qu’à la condition d’être véritablement telle et de comporter la communication des élus entre eux. — Outre ces deux sciences, l’une acquise ici-bas, l’autre reçue des esprits ou des âmes séparées, il est très probable que l’intelligence des élus recevra une nouvelle perfection d’une troisième science, directement infusée par Dieu. Certains théologiens, Grégoire de Valence, In /, ’" Sum. S. Thomas, disp. I, q. ii, p. vi, q. iv, assert. 1 ; Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 155, tout en admettant, en paroles, une science infuse chez les élus, la nient en réalité. Les autres admettent communément cette science d’ordre naturel, mais infuse, chez les élus, comme ils l’admettent dans l’humanité du Christ. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I", q. lxxxix, a. 1 ; Suarez. op. cit., disp. VIII, sect. i, n. 9. Voir un bon résumé de la question dans Billot, De Verbo incarnedo, Rome, 1912, thes. xx, § 1. — La vision béatitique n’empêche pas les autres opérations naturelles à l’intelligence. La preuve théologique de cette assertion se trouve dans la personne même du Verbe incarné, en qui la vision béatifique s’alliait au fonctionnement normal non seulement de l’intelligence et de la volonté humaine, mais encore des facultés inférieures. Cf. S. Thomas, De veriiate, q. xiii, a. 3, 4 ; Billot, De Vcrbo incarnalo, thes. xx, §3. Si cette alliance paraît impossible dans le cas d’un ravissement où Iransiloirement un simple mortel serait élevé à la vision intuitive, comme le pensent, de saint Paul, saint Augustin, Ad Paulinam, Epist., cxlvii (cxii), c. xiii, n. 31, P. L., t. xxxiii, col. G10, et saint Thomas, Sum. theol., IL IV, q. clxxv, a. 3, 4 ; De veriiate, q. xiii, a. 2, 3 ; In Epist. II"" ad Cor., c. xii, lect. ii, la même incompati bilité n’existe plus lorsqu’il s’agit de l’état de béatitude. S. Thomas, Sum. theol., loc. cit., a. 4, ad 1’"" et 2° ra ; Terrien, La grâce et la gloire, Paris, s. d. (1897), t. ii, p. 292, 293.

Ces principes rappelés, on comprendra plus facilement les hypothèses suivantes des grands théologiens. — L’état de gloire étant l’état de la perfection qui convient à chacun des élus, il semble nécessaire que les intelligences qui n’ont pas reçu ici-bas la perfection qu’elles eussent naturellement comportée, la reçoivent connaturcllement de Dieu dès le premier instant de la béatitude. L’intelligence doit être, sous ce rapport, aussi favorisée que le corps, voir Corps glorieux, l. iii, col. 1898 ; donc elle doit recevoir de Dieu le supplément de perfection qui lui manque. Elle ne le pourra recevoir que par une science infuse per aceidens des choses de l’ordre naturel. Suarez, op. cit., sect. il, n. 5, appliquant les principes de saint Thomas, Sum. Ihcl., L IL’, q. iii, a. C, 7. — La vision intuitive ne procurant pas l’omniscience, et n’étant d’ailleurs, quant à son intensité et à son extension, accordée qu’en proportion de la grâce et des mérites de chaque élu, laisse supposer que Dieu suppléerait, le cas échéant, à l’insuffisance de la vision béatifique par une révélation nouvelle, appartenant par là-même à la gloire accidentelle : Certe diccre possumus quæ in hoc capite diximus (l’objet secondaire de la vision intuitive) cum limilalione esse aecipienda et quasi sub condilione, si talia fuerint mérita bcaii in hac vila, ul per eu mcrueril

prœdicta omnia obtinerc et videre per suam csscntialem beatiludinem. Quod si talia non fuerint, salis erit, quod PEU Gi.oniAM ACCIDEXTALEir, seu per novas rcvclationcs aligna videat. Suarez, De dioina substanlia ejusque atlribulis, 1. II, c. xxviir, n. 20. — Il semble même qu’un certain nombre de choses ou d’événements ou d’actions ne doivent être connus cpie par une science distincte de la vision intuitive et se rapportant, par conséquent, à la gloire accidentelle. La vision intuitive, en effet, comporte une connaissance toujours actuelle de son objet, tant primaire que secondaire, Sum. theol., 1°, q. xii, a. 10, et cette connaissance, parce que toujours en acte, est immuable et éternelle. Voir plus loin, col. 1414. Or, il est peu admissible que des actes comme les prières, les vœux, les fêtes, les honneurs rendus et autres semblables concernant les élus soient connus par les bienheureux par la vision intuitive au même titre que l’essence divine elle-même. En comparaison de la gloire essentielle, ce sont événements de peu d’importance, surtout lorsqu’ils sont déjà passés. D’ailleurs, il n’est point dans l’ordre d’avoir constamment l’attention fixée sur les honneurs et les hommages reçus. Et il faut ranger aussi, au nombre des objets d’une science distincte de la vision intuitive, les soucis de la prospérité des œuvres fondées, les préoccupations matérielles, etc. Lessius, De summo bono, 1. II, c. x, n. 69. Voir l’opinion contraire dans Suarez, De atlribulis negalivis Dei, c. xxviii, n. 18. — Enfin, les théologiens qui admettent la simultanéité de la vision béatifique et de la science infuse, portant toutes deux sur les mêmes objets, acceptent volontiers que les mêmes connaissances concourent à la fois, selon le mode qui les produit, à la gloire essentielle et à la gloire accidentelle. C’est la thèse de saint Augustin dans la double connaissance, matinale et vespérale, des anges. Voir t. i, col. 1200 ; cf. S. Thomas, Sum. theol., L, q. lviii, a. G, 7. La sécurité et la continuité de la gloire accidentelle de l’intelligence sont suffisamment sauvegardées en ce que les élus pourront considérer quand et comme ils le voudront les objets de cette gloire et passer sans discontinuer de l’un à l’autre. Suarez, De ullimo fine hominis, disp. XIV, sect. i, n. 4. — Telles sont les hypothèses générales que l’on peut rappeler. L’art. Intuitive (Vision) exposera, avec les détails voulus, quels objets les élus atteignent par leur connaissance.

Outre les auteurs cités, consulter C. Pcsch, Pnelcctioncs dogmaticæ, t. iii, prop. 11, n. 476-484.

[j. Biens de la volonté. — Les perfections de l’intelligence entraînent celles de la volonté, dans la béatitude accidentelle, comme dans la béatitude essentielle. Il suffit donc, d’une manière générale, de dire que la connaissance, dans l’une et l’autre béatitude, se complète par l’amour et la jouissance. Cf. Joa., xvi, 24 ; Ps. xiv, 15. Saint Augustin résume la doctrine catholique en quelques mots : Omncs bcali hubenl quod volunt. De Trinilate, 1. XIII, c. v ; cf. c. vii, P. L., t. xlii, col. 1020 sq.

Nulle contrariété de la volonté, dans la possession et la jouissance des objets qu’elle peut désirer, aussi bien dans la gloire accidentelle que dans la gloire essentielle. Nulle tristesse possible, Is., xxv, 8 ; Luc, vi, 24 ; Apoc, vii, 10, 17 ; xxi, 4 ; xxii, 3-5 ; car les bienheureux n’en ont aucun motif, n’envisageant toutes choses que selon l’ordre de la gloire divine, laquelle est toujours réalisée par la manifestation d’un des attributs divins, miséricorde ou justice. Au sujet de la gloire accidentelle de la volonté, deux problèmes se posent. D’abord, l’âme sainte désire se réunir à son corps afin de faire participer celui-ci à sa gloire. Ce désir, ne devant être satisfait qu’à la résurrection générale, n’entraîne-t-il pas à sa suite une certaine tristesse présente ? Ensuite, l’âme sainte ne souflïira-t-elle pas du souvenir de ses péchés ou de la perte éternelle de ses amis et proches ?

Saint Thomas a indiqué la solution du premier problème. Sum. theol., F IF’, q. iv, a. 5, ad 4°’" et 5° m. L’âme n’éprouve aucune tristesse : ayant tout ce qu’elle peut désirer, elle est satisfaite, quoiqu’elle ne possède pas encore la gloire de toutes les façons dont il lui serait possible de la posséder : elle attend donc qu’un nouvel état lui permette de faire participer le corps à sa gloire ; mais elle ne souffre pas de cette attente, ayant tout ce qu’elle peut avoir et désirer pour son état présent. D’ailleurs, parler d’attente, c’est mal s’exprimer. La gloire de l’âme est éternelle, c’est-à-dire tout en acte, voir Éternité, t. v, col. 919 : le temps n’existe plus, et c’est notre imagination qui nous trompe lorsque nous nous figurons l’âme attendant la résurrection. Cf. Billot, De novissimis, thés, ix, § 1, in fine.

Le second problème a sa solution générale dans ce que nous avons dit plus haut : les élus n’envisagent toutes choses que selon l’ordre de la gloire divine : ils jugeront les pécheurs comme tels, c’est-à-dire comme ennemis de Dieu et, à ce titre, seront heureux de les rejeter : Si homines nolunt salvari, sed in suis peccatis obslinali sunt, beati eos considérant ut hostes Dei et suos, et volunt eos débitas pœnas subire, etiamsi in vila peccalores eorum amici et propinqui fuerunt, quia non caro et sanguis regnum Dei obtinenl, scd amor spiritualis, quo omnia in Dco et propter Deum amantur. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. xi, a. 4. Cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xii, n. 88. Mais cette solution ne pourra être pleinement comprise que lorsqu’on aura exposé comment la vision béatifique règle toutes les pensées, toutes les volontés, toutes les affections des élus. Aussi, pour éviter les redites, on voudra bien se reporter à Intuitive (Vision).

b. Dans le corps ressuscité. — La gloire de l’âme rejaillira sur le corps : de là, une nouvelle gloire accidentelle, qui a été étudiée à Corps glorieux, t. iii, col. 1879. Mais la réunion de l’âme au corps reconstituera les facultés organiques, qui, dans l’âme séparée, ne subsistaient qu’à l’état virtuel. S. Thomas, Sum. theol., r, q. lxxvii, a. 8. La gloire accidentelle trouverat-elle un nouvel élément dans l’exercice de ces facultés sensibles ? Cf. Job, xix, 27 ; Apoc, xii, 1 ; vii, 9, pour les yeux ; Apoc., iv, 10, 11 ; xiv, 3, 4 ; Tob., xiii, 22, pour les oreilles. On adapte à l’odorat Cant., iv, 10, 15 ; au goût Apoc, ii, 17. Les scolastiques ont émis beaucoup d’hypothèses. Voir S. Thomas, Sum. theol., IH, e Suppl., q. lxxxii, a. 4 ; et surtout Lessius, De summo bono, 1. III, c. viii, n. 101-103. Le P. de Smet, Notre vie surnaturelle, Bruxelles, 1910, t. i, p. 293, a bien résumé la doctrine de ces deux théologiens en montrant que, si les jouissances propres aux trois sens plus matériels de la nature animale, goût, odorat, toucher, devaient être spiritualisécs pour concourir à la gloire accidentelle des élus, la chose est plus facile à expliquer pour la vue et l’ouïe. La musique qui ravira les oreilles des élus, après la résurrection, sera non seulement mentale, mais vocale. S. Thomas, Sum. theol., IIP 3 Suppl., q. lxxxii, a. 4 ; In IV Sent., 1. II, dist. II, q. ii, a. 2, ad 5°" ; Lessius, op. cit., c. viii, n. 99. La principale gloire des yeux sera de contempler le corps glorieux du Sauveur. S. Thomas, In IV Sent. 1. IV, dist. XLIX, q. ii, a. 2.

En plus des auteurs cités : Suarez, De îmjsteriis vilce Christi, disp. XLVII, sect. vi.

c. Dans les biens extérieurs. — /.. Terre et deux renouvelés. — Si le monde doit être renouvelé après la résurrection générale, les cieux, la terre ainsi restaurés apporteront, par leur perfection même, un nou DICT. DE TllÉOL. CATHOL.

veau motif de gloire accidentelle aux élus. Le ciel empyrée où habitent les bienheureux est à lui seul un ravissant spectacle pour leurs yeux. Cf. Grégoire de Valence, In I’m Sum. S. Thomæ, disp. V, q. ii, p. ii, q. v ; S. Thomas, Sum. theol., I", q. lxvi, a. 3 ; Suarez, De mijsleris vitse Christi, disp. LVIII, sect. n ; Lessius, De summo bono, 1. III, n. 98, 99. Nous ne nous attarderons pas à développer une doctrine dont les fondements ont été suffisamment explorés aux art. Fin du monde, t. v, col. 2516 sq., et Ciel, t. ii, col. 2504. Voir aussi de Smet, op. cit., p. 295, note.

(3. La société des élus. — Les élus se retrouveront et se reconnaîtront au ciel, non seulement par la vision intuitive, mais par les communications directes qu’ils pourront avoir entre eux. Nier qu’ils puissent communiquer directement entre eux serait leur enlever un exercice légitime de leurs facultés, ce qui est contre le concept même de la gloire, qui doit être le comble de tous les biens et le rassasiement de tous les désirs. Cette société n’est pas requise sans doute à la gloire essentielle, mais elle fera partie de la gloire accidentelle des élus. S. Thomas, Sum. theol., F IF’, q. iv, a. 8. Les élus s’aimeront au ciel « par l’effet de la vertu de charité infuse qui demeurera en nous à un degré de suprême perfection, de l’amour le plus tendre et le plus ardent, qui sera encore nourri et constamment accru par la connaissance toujours plus parfaite que nous aurons de leurs perfections naturelles et surnaturelles, bien supérieures à tout ce que nous pouvons rencontrer ici-bas de plus ravissant parmi nos semblables, et sans aucun mélange d’imperfection positive déplaisante. » De Smet, op. cit., p. 303. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IF IF’, q. xxvi, a. 13.

L’Écriture, parlant du ciel, le désigne souvent comme le lieu de rendez-vous des élus, lieu où ils régneront ensemble avec le Christ. Voir Ciei, t. ii, col. 2470, 2477. Ils formeront donc une société, où ils se retrouveront et se connaîtront. Voir également Communion des saints, t. iii, col. 430, et, en particulier, ce qui concerne l’Église triomphante, col. 467 sq. Rappelons simplement ici que l’Écriture présente le séjour des élus comme une société, un royaume, où, en compagnie de Jésus, Luc, xxiii, 43, et des anges, Matth., xviii, 10, les justes seront la joie du Seigneur, Matth., xxv, 21, 23, pour la vie éternelle. Matth., xxv, 46 ; xix, 17 ; Marc, ix, 43-45. C’est encore un festin, où se réunissent les convives, Luc, xxii, 30 ; Matth., viii, 11 ; xxii, 1-14 ; xxvi, 29. Cf. Frey, Royaume de Dieu, dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, t. v, col. 1248, 1249. Les anges portent Lazare dans le sein d’Abraham, Luc, xvi, 22 ; les habitants du ciel se réjouissent à la conversion d’un pécheur, Luc, xv, 7, 10 ; Marthe espère bien retrouver plus tard son frère, Joa., xi, 24 ; Jésus, ripostant aux Sadducéens, Matth. xxii, 30, dégage la société des élus des appétits grossiers que l’état de gloire ne comporte plus ; mais suppose expressément que les élus se retrouveront.

La tradition propose également cette vérité. On peut en trouver les témoignages explicites aux art. Ciel et Communion des saints. La société des saints et des anges, comme faisant partie du bonheur des élus, est insinuée ou affirmée dans la Didachè, xvi, 7 ; par S. Clément, ! ’Cor., xxxiv, xxxv ; par Hermas, Paslor, Sim., ix, 27, 3 ; Vis., ii, 7 ; par S. Polycarpe, Ad Phil., ii, l ; v, 2 ; dans Y É pitre àDiognèie, vi, 3 ; v, 5, 9 ; par S. Justin, Apol., ii, 1 ; Dial. cuni Tryph., 56 ; LTepl àvaaTaasfoç, 7, P. G., t. vi, col. 441, 612, 1589 ; par S. Hippolyte, De Aniichristo, 31, 59, P. G., t. x, col. 752, 780 (voir, sur la vraie pensée de S. Hippolyte, d’Alès, La théologie de S. Hippolyi’e, Paris, 1906, p. 179 sq.) ; Clément d’Alexandrie, Pwd., n, 12 ; Strom., VII, 2, P, G., t. ix, col. 541 ; t. viii,

VI. - 13 col. 408 ; Origène, De princ, 1. II, c. xi, n. 6 ; 1. I, c, vi, n. 2 ; De oraiione, n. 11, P. G., t. xi, col. 246, 166, 419 ; Terlullien, De anima, 55, P. L., t. ii, col. 712-714 ; S. Grégoire le Thaumaturge, Sermo pancgyricus in honorera sancti Siephani, 2, dans Pitra, Analecla sacra, t. iv, p. 409. Mais déjà, à cette époque, plusieurs Pères envisagent cette vérité sous l’aspect qui nous occupe, à savoir que la société du ciel sera la continuation des liens de la terre et contribuera de ce chef à procurer aux élus une nouvelle gloire accidentelle. Saint Irénée, commentant l’histoire du mauvais riche et de Lazare, rappelle que « les âmes continuent de se connaître et de se rappeler les choses qui sont ici-bas. » Cont. hær., 1. II, c. xxxiv, n. 1, P. G., t. vii, col. 831. Saint Cyprien, arrêtant son regard sur le ciel, assure que « nous y sommes attendus par un grand nombre de personnes qui nous sont chères, que nous y sommes désirés par une foule considérable de parents, de frères et d’enfants qui, désormais assurés de leur immortalité, conservent encore de l’inquiétude pour notre salut. » De mortalilalc, c. xxvi ; cf. Epist., lvi, ad Thibarilanos, P. L., t. iv, col. 601, 357.

De beaucoup d’ouvrages de saint Ambroise, voir Ciel, t, ii, col. 2181, se dégage l’union mystique des élus entre eux et avec le Christ. Mentionnons tout particulièrement les espérances du saint évêque, pleurant son frère Satyrus, mais auquel il espère pouvoir bientôt se réunir, De excessu fralris Salijri, 1. I, n. 79 ; 1. II, n. 135 ; cf. n. 53 sq., P. L., t. xvi, col., 1311, 1354, 1329. Saint Jérôme (voir t. ii, col. 2485), réfutant Vigilance, n’admet pas que les saints ne puissent plus maintenir au ciel les relations d’affection qu’ils ont pu avoir ici-bas. Epist., lxxv, n. 2, P. L., t. xxii, col. 686. Saint Augustin, quelles que soient les hésitations de sa pensée sur la nature du ciel (voir t. ii, col. 2485-2486), affirme que les élus o se connaîtront, non pas parce qu’ils verront la face les uns des autres (avant la résurrection), mais parce qu’ils verront comme les prophètes ont coutume de voir ici-bas et même d’une manière bien plus excellente. » Serm., ccxliii, c. vi ; cf. cccxvi, c. v, P. L., t. xxxviii, col. 1146, 1434. Cette certitude de la réunion des élus au ciel est un thème de consolation. Epist., xcii, n. 1, 2, P. L., t. xxxiii, col. 136. Pour éviter les répétitions, notons simplement encore la doctrine de saint Grégoire : « (Les bienheureux), dit-il, reconnaissent ceux qu’ils ont connus en ce monde, agnoscunt quos in hoc mundo noverant ; ils reconnaissent aussi, comme s’ils les avaient vus et connus, les bons qu’ils ne virent jamais » , velut visos ac cognilos agnoscunl. Dial., 1. IV, c. xxxiii ; cf. c. xxxiv, P. L., t. lxxvii, col. 373-376. Voir, reproduisant la doctrine de saint Grégoire, saint Julien de Tolède, Prognoslicon, 1. II, c. xxiv, P. L., t. xevi, col. 486 ; Haymon d’Halberstadt, De varietate librorum, 1. I, c. viii, P. L., t. cxviii, col. 882 ; Honorius d’Autun, Elacidarium, 1. III, n. 7, 8, P. L., t. clxxii, col. 1161-1162. Dans un sens plus strictement philosophique, signalons saint Paulin de Noie, pour qui J’âmc, en vertu de sa céleste origine, survit au corps et doit nécessairement conserver ses affections et ses sentiments comme elle conserve sa vie. Poemata, xviii, xxiv, P. L., t. lxi, col. 492, 620.

En ce qui concerne les Pères des Églises grecque et syrienne, nous n’avons que peu de chose à ajouter à l’art. Ciel, col. 2488-2492. De saint Jean Chrysostome, signalons tout particulièrement In Matlhxum, homil. xxxi, n. 4, 5, P. G., t. lvii, col. 374 sq., et les si touchantes consolations qu’il adresse île, vêcixepav /jripEuaaaav, P. G., t. i.xviii, col. 600 sq. Cf. pseudo-Athanase, Quxsliones ad Antiochum ducem, q. xxir, P. G., t. xxviii, col. 609-612. Saint Théodore Studite développe la même vérité en l’appuyant sur le fait du jugement dernier. Ce jugement ne peut avoir lieu qu’à la condition que tous les chrétiens se reconnaissent ; les douze apôtres, assis sur douze trônes, Matth., xix, 28, ne pourront juger les nations qu’à la condition de les connaître ; Job ne pourra recevoir le double de ses enfants, cf. Job, xlii, 10, 13, qu’à la même condition de les reconnaître pareillement. Il faut donc croire que « le frère reconnaîtra son frère, le père ses enfants, l’épouse son époux, l’ami son ami… ; tous nous nous connaîtrons, afin que l’habitation de tous en Dieu soit rendue plus joyeuse par ce bienfait, ajouté à tant d’autres, celui de nous connaître les uns les autres. » Serm. catech., xxii, P. G., t. xcix, col. 538, 539 ; cf. Epislolarium, 1. I, epist. xxix ; 1. II, epist. clxxxviii, ibid., col. 1005, 1573, 1577. Voir aussi Photius, Epist., 1. III, epist. lxiii, Tarasio palricio, jralri, P. G., t. en, col. 969 sq.

L’hagiographie, l’épigraphie, l’iconographie et plus encore la liturgie fournissent de nombreux témoignages concernant cette société céleste qui sera l’une des gloires accidentelles des élus. Voir Ciel. On lira, avec fruit, sur le même sujet, S. Bernard, Serm., ii, in nalali sancti Victoris, n. 3, P. L., t. clxxxiii, col. 374-375 ; Bossuet, Sentiment du chrétien louchant la vie et la mort, Œuvres complètes, Besançon, Paris, 1840, t. iv, p. 692 sq. — Les élus pourront-ils trouver quelque joie accidentelle du côté des habitants des limbes ? « On peut regarder comme… probable qu’il y aura des rapports d’amitié humaine entre (les enfants morts sans baptême) et les bienheureux, citoyens de la patrie céleste. Ceux-ci pourraient venir converser avec eux, les consoler, les instruire de bien des choses qui leur feront mieux connaître et aimer Dieu… Cette croyance, si elle ne peut s’appuyer sur aucun texte positif de la révélation divine, n’y rencontre non plus aucune contradiction positive. » De Smet, op. cit., t. i, p. 304, note.

S. Thomas, Sum. theol., 1> II*’, q. iv, a. 8 ; IIa-IIæ , q. xxvi, a. 13 ; In IV Sent, I. III’dist. XXXI, q, ii, a. 3 ; et les commentateurs ; Muratori, De paradiso regnique cœleslis gloria, Vérone, 1738 ; et, parmi les auteurs récents, Monsabré, Carême de 1889, Le ciel, n c point ; Élie Méric, L’autre vie, Paris, 1912, t. ii, c. ix ; Blot, Au ciel on se reconnaît, Paris, 1909.

III. Gloire consommée et accroissement de la gloire.

La gloire ou béatitude consommée consiste dans l’épanouissement complet de la gloire dans la nature humaine totalement reconstituée. La gloire consommée n’existera donc qu’après la résurrection. Cette vérité se trouve affirmée dans la tradition, mais non sous une forme toujours identique. Quelques Pères et écrivains ecclésiastiques, jugeant que le corps doit être réuni à l’âme pour que celle-ci puisse jouir de la gloire, ont reculé la vision béatifique elle-même jusqu’après la résurrection. Cette erreur a été condamnée par Benoît XII. Voir ce mot. Les autres, tout en admettant la doctrine catholique que Benoît XII devait promulguer, varient dans leur façon de s’exprimer touchant les rapports entre ce que nous appelons maintenant, avec nos formules théoloçiques précises, la gloire consommée et la gloire essentielle. La gloire consommée ajoute quelque chose à la gloire essentielle, voilà ce que tous sentaient et exprimèrent en des formules parfois équivoques et qu’on a tâché d’expliquer ailleurs. Voir Benoit XII, t. ii, col. 684-688.

Ce qui nous reste à faire ici, c’est donc la mise au point théologique de la différence qui existe entre l’une et l’autre gloire. Cette mise au point peut se résumer en deux propositions, dont la première est nécessaire à l’intelligence de la seconde :

V ? proposition : L’accroissement de la gloire acci