Dictionnaire de théologie catholique/GLOIRE DES ÉLUS I. Gloire essentielle des élus

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 6.2 : GÉORGIE - HIZLERp. 79-100).

II. GLOIRE DES ÉLUS. — En soi, la béatitude des élus dans le ciel est l’effet immédiat de la gloire que Dieu leur communique. Voir S. Thomas, Sum. Iheol., ï" II æ, q. iii, a. 3. L’usage autorisé par la sainte fioriture, cf. Job, xxii, 29 ; Prov., iii, 35 ; Rom., v. 18 ; I Cor., xv, 43 ; II Cor., iv, 17 ; Col., i, 27 ; ni, 4 ; I Pet., v, 1, 4, 10, veut cependant, Salmanticenses, Cursus ineologicus, De beetliludinc, a. 3, n. 4, que l’on identifie gloire et béatitude des élus. L’existence de cette gloire ou béatitude a été déjà suffisamment démontrée dans ses fondements scripturaires et développements patristiques, à l’art. Ciel, t. ii, col. 2474 sq. Cette gloire n’est pas simplement humaine, puisque essentiellement elle est une participation de la gloire divine, participation qui rejaillit même sur ses éléments accidentels. I Joa.. iii, 2 ; II Pet., i, 4. Tout en laissant aux articles Béatitude, Benoit XII, Ciel, t. ii, col. 497-515, 657-690, 2474-2511 ; Corps glorieux, t. iii, col. 1879-1906 ; Intuitive (Vision), Mérite, Prédestination, ce qui les concerne dans la question complexe de la gloire des élus, il est nécessaire de faire ici comme une synthèse de tout ce qui se rapporte à ce sujet, en exposant les points qui ne seront pas envisagés ailleurs. —

I. Gloire essentielle. IL Gloire accidentelle. III. Gloire consommée. IV. Degrés de la gloire. V. Gloire et grâce, et questions connexes.

I. Gloire essentielle des élus.

1° Enseignement de l’Église. —

On peut résumer cet enseignement en quatre points, lesquels ont déjà été exposés :
1. La gloire ou béatitude essentielle réside dans la possession du souverain bien, Dieu. Voir Béatitude, t. ii, col. 511, 512 ; Fin dernière, t. v, col. 2496.
2. Cette possession n’est pas une absorption de la substance de l’âme dans l’unité de la nature divine, comme l’ont rêvé certains mystiques à tendances panthéistiques, aux xiiie et xive siècles. Voir Hckart, t. iv, col. 2063, et prop. 10 d’Eckart, condamnée par Jean XXII, Denzinger-Bannwart, n. 510.
3. Cette possession n’exige pas la réunion du corps à l’âme. On a donné de cette vérité les preuves scripturaires et patristiques à Benoit XII, t. ii, col. 673-696. La preuve philosophique, tirée de la psychologie, est indiquée par saint Thomas, Sum. Iheol., P II a’, q. iv, a. 5 ; l’intelligence, dans l’opération de la vision béatifique, sera indépendante de l’imagination. Cf. Suarez, De ullimo fine hominis, disp. XIII ; Lessius, De ullimo fine hominis. q. iv, a. 5, n. 1. C’est parce qu’ils exigeaient la réunion du corps à l’âme pour la béatitude essentielle, que quelques Pères et théologiens, voir Benoit XII, t. ii, col. 657, reculaient jusqu’au jugement l’entrée des élus dans la gloire.
4. Les témoignages de l’Écriture et de la tradition, voir Ciel, t. ii, col. 2474 sq., indiquent que cette possession comporte la vision, l’amour et la jouissance de Dieu par l’âme élue. Benoit XII a résumé l’enseignement scripturaire et traditionnel touchant la gloire essentielle des élus, en affirmant qu’ils « voient… la divine essence d’une façon intuitive et même faciale » et que, « par le fait de cette vision, les âmes de ceux qui sont déjà morts jouissent de la divine essence et par le fait même de cette vision et de cette jouissance, elles sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le repos éternel. » Denzinger-Bannwart, n. 530. Le concile de Florence, dans le décret pour les grecs, rappelle cette doctrine en modifiant la formule de Benoît XII ; les élus a verront clairement Dieu lui-même, dans son unité et sa trinilé, tel qu’il est. » n. 693.

Tel est l’enseignement authentique de l’Église ; la nature, l’objet, les propriétés des actes béatifiants, constituant l’état de gloire, seront étudiés à Intuitive ( Vision). Dans le présent article, qui concerne la gloire essentielle des élus prise en général, il suffira de compléter cette vue d’ensemble, en rappelant les systèmes théologiques greffés sur l’enseignement authentique de l’Église.

Les systèmes théologiques.


Le magistère de l’Église ayant précisé le dogme de la gloire essentielle des élus en indiquant que cette gloire comportait la vision et la jouissance de Dieu, le travail de la pensée théologique a été, depuis le xiiie siècle, de vouloir préciser davantage encore cet enseignement, et de rechercher l’élément formel ou spécifique de la gloire essentielle des élus. De là des opinions, les unes communément abandonnées, les autres, librement encore disputées.

1. Opinions abandonnées. —

a) Henri de Gand, Quodlibel, XIII, q. xii ; cf. VI, q. vi ; Summa quæstionum ordinari « rum Iheologite, Paris, 1520, a. 45, q. v ; a. 49, q. ï, tout en reconnaissant à l’intelligence et à ! a volonté leurs opérations propres, même dans l’état de gloire, ne voit dans la vision et la jouissance béatifiques qu’une voie vers la gloire, mais non la gloire elle-même, laquelle consisterait, selon lui, dans une irruption immédiate de la divinité dans l’âme, illapsus divinilalis in substantiam animæ. Vasquez, In I’"" 1I V Sum. S.Thomæ, disp. VIII, c. n ; Suarez, De fine ullimo hominis, disp. VI, sect. ii, n. 7, nient que toile soit la doctrine d’Henri de Gand. Mais elle est bien telle ; voir Jean de Saint-Thomas, Cursus théologiens, Paris, 1885, t.v, In II-"" / Sum. S. Thomiv, q. v, de adeptionc bealitudinis, a. 2, n. 1, quoique difficile à comprendre, à cause du mysticisme exagéré de l’auteur ; Salmanticenses, Cursus theologicus, Paris, 1878, t. v, De bealitudinr, disp. I, dub. i, § 3. Parce qu’Henri de Gand maintient les opérations de l’intelligence et de la volonté dans la béatitude céleste, quoique à titre secondaire, sa théorie échappe à la note d’erreur que semblerait, au premier abord, devoirlui infliger la définition de Benoît XII. Médina, O. P., In ! "" IV Sum. S. Thomse, Salamanque, 1582, q. iii, a. 1, pense toutefois qu’elle mérite la note de témérité. Gilles de la Présentation, Dispulaliones de animæ et corporis beatitudine, Coimbre, 1609, 1. IV, q. iv, a. 1, § 3. n. 11, l’absout complètement, et, n. 16, donne le motif de son assertion : le pape Benoît XII n’aurait pas voulu définir autre chose que l’entrée immédiate au ciel des âmes justes ou justifiées ; il ne définit pas que la béatitude essentielle de ces âmes est constituée formelle par une opération de l’âme. Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 5, est hésitant et avoue ne pas comprendre suffisamment la pensée d’Henri de Gand pour se prononcer.

b) Jean de Ripa, au dire de Capréolus qui le cite, // : IV Sent., 1. III, dist. XIV, q. ï, a. 2, 3, aurait admis que l’âme possède Dieu par la vision de Dieu lui-même, sans aucun intermédiaire créé. La gloire de l’âme serait donc comme une illumination projetée sur elle par l’intelligence divine se connaissant et se glorifiant elle-même. Cf. Suarez, De incarnalione, disp. XXIV, sect. n. Cette théorie, empreinte de mysticisme comme la précédente, semble s’inspirer du pseudo-Denys, De hier, ceci., c. vii, P. G., t. iii, col. 559. Elle est professée par Hugues de SaintVictor, De sapienlia animæ Christi, P. /.., t. clxxvi, col. 851, et cet auteur applique sa théorie à l’âme du Christ. Summa sententiarum, tr. I, c. xvi, col. 74. Saint Bonaventure, Jn IV Sent., 1. III, dist. XIV, a. 1, q. ï, rapporte que cette doctrine mystique plaisait à beaucoup, et Grégoire de Rimini, Exposilio in II Sent., Milan. 1494, dist. VII, q- ii, nous apprend qu’elle fut publiquement soutenue par des docteurs de Paris. Saint Thomas semble la viser dans la Sum. Iheol., P II- 1’, q. ni, a. 1, lorsque, se demandant si la béatitude est quelque chose d’incréé, il conclut négativement, distinguant l’objet de la béatitude de sa possession, c’est-à-dire la gloire fondamentale de la gloire formelle.

L’opinion de Ripa et des docteurs Je Faris n’a jamais été censurée directement. Elle mérite cependant d’elle thêologiquement notée : Médina, loc. cit., la condamne comme hérétique ; Zumel, In /"" II Sum. S. Thomse commentaria, Salamanque, 1594, q. iii, a. 1 ; Suarez, De incarnalione, loc. cit. ; Grégoire de Rimini, loc. cil., la trouvent périlleuse en matière de Toi. Martinez, O.P., Commentari.i super I / : ""J> | ; d.Thomæ, Valladolid, 1617, q. iii, a. 4, dub. i, concl. 2, la note comme téméraire et contraire à la foi. Gilles de la Présentation, op. cit., 1. IV, q. î, a. 4, § 41, pense qu’elle est simplement téméraire ; c’est aussi l’avis de Curiel, l.ecturæ scu qusesliones in diui Thomas .qainalis I* m II*, Douai, 1618, q. iv, § 5. Vasquez, tout en condamnant, ne se prononce pas sur la note a infliger. Op. cit., disp. VII, c. n. La raison de cette sévérité des théologiens est un double danger : l’absorption humaine dans l’opération divine, ce qui, indirectement, revient aux erreurs christologiques condamnées à Chalcédoine et à Constantinople ; la négation implicite de la nécessité du lumen gloriæ, affirmation condamnée au concile de Vienne. Denzinger-Bannwart, n. 475. Voir Intuitive (Vision).

c) Saint Bonaventure, In IV Sent.. 1. IV, dist. XLIX, a. 1, q. i, n. 5 ; q. iv, n. 17 ; cꝟ. 1. III, dist. XIV, a. 1, q. i, cherche ce que peut être cette modification, cette forme nouvelle ajoutée à l’âme. Étant spirituelle, elle sera nécessairement ou un habitus, ou une opération. Pour lui, elle sera l’un et l’autre : elle est comme partagée entre les actes de l’âme bienheureuse — et cette formule restera chez beaucoup de théologiens postérieurs — et les habitus dont procèdent ces actes. L’auteur attribue toutefois l’élément formel de la gloire aux habitus, et, en cela, sa théorie est complètement abandonnée. Voir S. Thomas, loc. cit., a. 2. Les habitus en efîet, ayant leur sujet soit dans l’essence, soit dans les facultés de l’âme, sont présupposés à la gloire, mais ne la constituent pas.

d) Quelques théologiens nominalistes avaient enseigné que la béatitude, dans son élément formel, était constituée par une opération, dans laquelle l’âme serait entièrement passive. Dieu seul agirait en elle. Gonet, Clypcus theologiiv thomislicæ, Paris, 1876, t. iii, tr. VIII, 75e homine, disp. III, a. 1, n. 1. Gonet rapproche de cette opinion, en soi contradictoire, toute opération étant un acte, l’hypothèse de quelques théologiens catholiques, Grégoire de Valence, In /"’" II* Sum. S. Thomæ, disp. I, q. iii, p. n ; Vega, O. M., Erpositio et defensio tridentini deertti, etc., Venise, 1548, ]. VI, c. viii ; Gilles de la Présentation, op. cit., q. i, a. 4, affirmant qu’il ne répugne pas, en soi, que, par la puissance absolue de Dieu, l’âme soit constituée dans l’état de gloire par une opération qu’elle n’éliciterait pas elle-même. Gonet, loc. cit., § 7, fait remarquer que cette passivité ne semble pas pouvoir s’accorder avec les décisions portées par le concile de Trente contre Luther relativement à la part active que l’âme doit prendre aux opérations de l’ordre surnaturel. Cf. sess. VI, iv, c. 4, Denzinger-Bannwart, n. 814. Voir la théorie de Luther exposée par Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. franc., Paris, 1912, t. iii, p. 261-308. D’ailleurs une telle façon de concevoir la gloire des élus va directement contre les procédés habituels de la providence qui agit en tout, non d’une façon violente et contraire à la nature des êtres qu’elle gouverne, mais d’une façon connaturelle à leurs facultés.

2. Opinions librement discutées.

a) Opinion thomiste. — Pour les thomistes, l’élément formel de la gloire essentielle est constitué par la vision béatifique. L’élément formel de la gloire, c’est, en effet, disent-ils, la possession du souverain bien : toute opération concomitante ou complétive de l’acte de possession ne peut appartenir au concept constitutif de l’essence

même, prise en ce sens strict, de la béatitude. Jean de Saint-Thomas, op. cit., q. v, disp. II, a. 3, n. 12. Or la prise de possession du souverain bien ne peut se faire que par un seul acte, par un acte de l’intelligence, reine de nos facultés, et faculté de l’appréhension. La volonté intervient avant par le désir, après, par la jouissance ; mais son opération propre ne peut constituer cette prise de possession du souverain bien, laquelle est l’élément formel, et, au sens thomiste, essentiel, de la béatitude. D’ailleurs, la béatitude étant l’objet même de la volonté ne saurait être constituée par l’acte même de la volonté. S. Thomas, loc. cit., a. 4 et ad 2°". L’opération de la volonté n’est pas pour autant exclue de la félicité suprême ; mais I elle n’est que le corollaire et le complément obligé de l’opération de l’intelligence : « Quand il s’agit de Dieu, il n’y a point d’intermédiaire, pour le connaître comme il est, il faut qu’il soit lui-même dans notre esprit ; aucune image ne peut le représenter, et, par conséquent, la contemplation de Dieu et l’union à l’être, à la réalité, à la substance de Dieu se confondent. C’est pourquoi voir Dieu comme il est, c’est saisir Dieu en lui ; posséder la pleine idée de Dieu, c’est posséder Dieu lui-même. Et alors il y a entre Dieu et nous l’union très haute, très étroite, très intime qu’il y a entre une idée certaine, lumineuse et l’esprit qui l’a conçue. Mais cette union ne se produit pas entre l’esprit qui est la partie la plus intime de l’âme, sans que l’âme soit toute pénétrée de la divinité. L’âme n’est point pénétrée dans ces noces de lumière, sans être imprégnée et débordée de perfection, sans être ravie dans l’amour, sans être enivrée dans la joie, sans devenir semblable à Dieu même, gardant sa nature comme le fer rouge garde la sienne, mais rayonnant de splendeur, d’amour, de béatitude divine, comme le fer revêt les propriétés du feu qui l’a embrasé. De sorte qu’avant tout, la béatitude, c’est connaître, c’est voir, c’est vivre par l’extase de la science et de la lumière : Hœc est vita œterna, ut cognoscant le.solum Deum verum. » Janvier, Carême de 1903, la béatitude, p. 122-123. C’est le sentiment de saint Thomas, Sum. theol., V IL 1’, q. iii, a. 4 et 8 ; P, q. xxvi, a. 2 ; In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. i, a. 1, q. n ; Conl. génies, l. III. c. xxv, xxvi, xxvii ; Quodl, VIII, a. 19. Tous les thomistes et beaucoup d’autres théologiens ont adopté sa thèse. Citons les principaux : clans leurs commentaires sur la q. ni de la I d II, Cajétan, Capponi de Porrecta, Médina, Curiel, Martinez, Alvarez, O. P., Granado, S. J., et, loc. cit., disp. XIII, c. ni, Vasquez ; Lessius, De beatitudine, q. ni, a. 4, dub. ii, penche vers cette solution qu’il essaie de concilier avec la troisième opinion qui sera exposée plus loin ; dans son commentaire In Sum. cont. génies, 1. III, c. xxv, xxvi, Sylvestre de Ferrare : dans leurs commentaires In IV Sent., Durand de Saint-Pourçain, 1. IV, dist. XLIX, q. iv ; Capréolus,

I. I, dist. I, q. i, a. 1, concl. 6 ; 1. IV, dist. XLIX, q. i ; Soncinas, 1. I, dist. I, q. i, a. 1, concl. 6 ; Melchior Cano défend la même thèse, De locis theol., 1. XII, c. xiv ; Fonseca, In I Mclaph., c. i, q. i, sect. vi : Conimbricenses, Ethic, disp. III, q. iii, a. 2 ; Bellarmin, Conlrov., De sanctorum beatitudine, c. n ; Becan, S. J., Theologia scholaslica, Paris, 1724, part. IL tr. I, c. i, q. m. On trouvera l’exposé et la justification de l’opinion thomiste dans Jean de Saint-Thomas, op. cit.. disp.

II, a. 3, n. 15-61, a. 4 ; Salmanticcnses, op. cit., dub. iv ; Gonet, op. cit., disp. III, a. 2 ; Billuart, Cursus theotogiæ, Paris, 1878, t. iv, De nltimo fine, diss. II, a. 2. Parmi les théologiens plus récents, citons Mazzella, De Dco créante, disp. VI, a. 1, § 2, n. 1179 ; C. Pesch, Prælcclioncs iheologicie, t. iii, n. 449 ; Hurter, Theol. dogm. eompendium, t. iii, tr. X, c. v ; et, par un simple mot jeté en passant. Billot, De novissimis Rome, 1903, q. v, thés, ix, p. 118. Beaucoup d’autres se contentent de proposer les éléments constitutifs de la gloire, vision, amour, joie béatifiques, sans discuter la question de l’élément formel ; voir, par exemple, Perrone, Jungmann, etc.

Sans vouloir trouver leur opinion formellement exprimée dans la sainte Écriture et chez les Pères, les thomistes prétendent cependant appuyer leur doctrine sur l’Écriture et la tradition. Bien que les textes allégués par eux n’aient de force démonstrative complète que pour garantir le fait de la vision héatiflque, et qu’ils doivent nécessairement trouver leur place à l’art. Intuitive (Vision), nous rappellerons brièvement ici les principaux, ceux que les théologiens thomistes ont l’habitude d’opposer à leurs adversaires : a. Sainte Écriture : Joa., xvii, 3 ; I Cor., xiii, 12 ; II Cor., v, G, 7 ; I Joa., ni, 2 ; Apoc, xxii, 3, 4 ; et, moins directement, Joa., xiv, 8 ; Matth., v, 8 ; Ps. xvi, 15 ; lxxix, 4 ; lxxxiii, 8 ; Is., xxxiii, 17 ; Exod., xxxiii, 18, 19 ; b. Pères : saint Augustin, plus que tout autre, a étudié la question de la béatitude. Voir les textes cités, t. i, col. 2115 ; t. il, col. 506, n. 5. On trouve chez ce Père d’autres expressions très fortes en faveur de la thèse thomiste : Tota merces noslra visio est, Ennr. in ps. mu, serm. ii, P. L., t. xxxvii, col. 1170 ;.Eterna est ipsa cognitio verilatis, De moribas Ecclesiæ, 1. I, c. xxv, P. L., t. xxxii, col. 1331 ; Illos beatissimos facil, quod scriplum est : tune jade ad jæicm ; qui enim hoc invenerunt, illi sunt in beatitudinis possessione, De libero arbilrio, 1. II, c. xiv, P. L., t. xxxii, col. 1261 ; Illa cognilionc, illa visionc, illa conlemplalione satiabitur in bonis animée desiderium, De spiritu et liltera, c. xxxiii, P. L., t. xi.iv, col. 240. Cf. De Trinitate, 1. I, c. viii, P. L., t. xlii. col. 957. On cite également, parmi les Pères qui représentent la tradition des premiers siècles, S. Irénée, Conl. hær., 1. IV, c. xx, n. 6, 7 ; c. xxxvii, n. 7 ; 1. V, c. xxxvi, n. 1, P. G., t. vii, col. 1035-1037, 1104, 1222 ; S. Ambroise : Scriptura divina vilain bealam posuil in cognilione divinitatis, De o[Jiciis ministrorum, . II, c. ii, P. L., t. xvi, col. 104 ; S. Cyrille d’Alexandrie, pour qui la félicité réside dans la souveraine contemplation, Co/if. Julianum, 1. III, P. G., t. i.xxvi, col. 628-629 ; S. Grégoire de Nazianze, Oralio in laudem Cœsarii iratris, n. 17, P. G., t. xxxv, col. 775 ; S. Grégoire de Nyssc, De beatiludinibus, orat. vi, P. G., t. xi.iv, col. 1264 sq. ; pseudo-Jérôme : Deum videre, infinila corona est, Breu. in ps. lx.xxiv, p. L., t. xxv, col. 1073 ; S. Jean Damascène, De fuie orlhodoxa, 1. IV, c. xxvi, P. G., t. xciv, col. 1228 ; le concile de Francfort, à la fin de sa lettre Adepiseopos hispanos, P.L., t. ci, col. 1316. On s’appuie également sur l’autorité de S. Anselme, Monol., c. lxvi, n. 7. 8 ; Cur Deus homo, 1. II, c. i, P. L., t. clviii, col. 212, 214, 401 ; de S. Bernard (’?), Scrm., , de Assumplione : Hase est merces, hic est finis fructus nostri laboris, visio seilicet Dei, P. L., t. clxxxiv, col. 1003.

Maldonat, Comment, in IV evangelistas, a propos de Joa., xvii, 3, reconnaît que la plupart des scolastiques se sont appuyés sur ce verset pour se rallier à l’opinion de saint Thomas. Il croit devoir s’en écarter, parce qu’il y voit un argument indirect, mais réel, en faveur de la thèse protestante, de la justification par la foi seule. Les Salmanticenses, loc. cit., n. 56, repoussent cette injure imméritée et semblent bien indiquer que non seulement les scolasliqucs, mais les Pères eux-mêmes ont enseigné l’opinion thomiste, en sorte que cette opinion aurait ainsi une consécration officielle. C’est exagéré. Jean de Saint-Thomas reste dans des limites plus sages en afïirmant que l’opinion de son école relève de la métaphysique et non du do-me. loc. cit., n. 10 : Quidditates rerum, dit-il, n. 6, rimari et speculari ad scholasticas disputationes perlinel, non ml dogmala fidei. Voir aussi Gonet, toc. cit., n. 68.

Pour être complet, il faudrait faire l’exposé des subtilités qui divisent l’école thomiste elle-même. L’élément formel de la gloire essentielle est-il la vision de l’essence une ou de la trinité des personnes’? de l’essence prise en soi ou considérée dans les attributs divins ? Voir Suarez, De diuina subslantia cjusque altributis, 1. II, c. xxii, xxiii ; Gonet, op. cit., disp. II, a. 2, §1. En grande majorité, les thomistes pensent que la vue de la trinité et des attributs divins est de l’essence même de la gloire des élus. La vision b°atifique est-elle à ce point l’élément formel de la béatitude, que même sans amour les élus seraient heureux ? Suarez, De fine ullimo, disp. VII, sect. i, n. 31 ; Gonet, op. cit., disp. III, a. 1, répondent avec la plupart des thomistes que l’amour est le complément nécessaire de la vision. S’agit-il d’une vision de l’intelligence spéculative ou pratique, d’un acte simple ou composé ? Voir S. Thomas, Sum. theol., I » IP’, q. iii, a. 6, et ses commentateurs sur cet article. De ces subtilités que signale en passant Ripalda, De ente supernaturali, 1. IV, dip. C, sect. ii, n. 6, le théologien ne retiendra que ce qui est utile pour expliquer l’objet et les propriétés de la vision intuitive.

b) Opinion scotisle. — Le principe fondamental de cette opinion est que l’élément formel de la béatitude essentielle réside uniquement dans une opération de la volonté. Mais cette opération peut être ou l’amour, et c’est l’opinion de Scot, ou la joie béatifique et c’est l’opinion d’Auriol.

Scot, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX. q. iv, v, pense que l’élément formel de la gloire essentielle des élus réside dans l’acte d’amour d’amitié, opération de la volonté humaine s’attachant a Dieu pour lui-même. On peut citer, comme partisans de cette doctrine, Gilles de Rome, Quodl., III, a. 19 ; Auriol, au témoignage de Capréolus, In IV Sent., dist. I, q. i, a. 2, et de Médina, In I"" II’q. iv, a. 4, aurait enseigné que l’acte de volonté procéderait non de l’amour d’amitié, mais de l’amour de concupiscence et consisterait dans la délectation, dans la jouissance de l’âme possédant Dieu, son bien suprême. De fait, à part le texte de saint Paul, I Cor., xiii, 13, oii la charité est exaltée par-dessus toute autre vertu, parce que vertu subsistant dans la gloire, on ne peut guère trouver dans la sainte Écriture que des textes désignant sous les noms de joie, de volupté la gloire des élus, et appuyant ainsi l’opinion particulière d’Auriol. Cf. Matth., xxv, 21 ; Ps. xxvi. 1 ; xxxv, 9, 10 ; Joa., xv, 11 ; xvi, 22 ; I Joa., iv, 16 ; Luc, xxii, 29, 30 ; Apoc, II, 7, 17. L’opinion de Scot et celle d’Auriol, bien que se retrouvant dans toute l’école scotiste avec des nuances diverses dont les subtilités n’ont rien à envier à celles de l’école thomiste, voir Ripalda, loc. cit., n. 8, ont peu de partisans, si on les considère sous leur aspect exclusiviste. Les textes qu’elles peuvent apporter en leur faveur, soit de la sainte Écriture, soit des Pères, voir plus loin, ne suppriment pas ceux que l’opinion thomiste revendique pour elle. Aussi, une troisième opinion s’est peu à peu formée dans la théologie catholique, qui prétend expliquer la gloire essentielle des élus par l’opération de l’intelligence et de la volonté réunies.

La raison fondamentale de l’opinion sotiste est celle-ci : Dieu est notre béatitude, parce que notre souverain bien. Or, en tant que souverain bien, il est l’objet de la volonté et non de l’intelligence. L’opinion d’Auriol, fait remarquer Suarez, De ultimo fine, disp. VII, sect. i, n. 43 ; cf. disp. IX, sect. ni. n. 7, ne peut se soutenir psychologiquement ; la joie béatifique n’est qu’une conséquence de la possession du souverain bien ; son objet est, non le souverain bien, mais la possession qu’on en a ; elle ne peut donc être la fin dernière de l’homme. Cf. S. Thomas, Sum. theol., P II*, q. iv, a. 2 ; Cont. gentes, 1. III, c. xxvi. Quant à l’opinion de Scot elle ne paraît pas davantage admissible, parce que l’amour ne cause pas nécessairement la possession de l’objet aimé. Les thomistes distinguent l’objet dr la volonté, le souverain bien, objet de désir ou de jouissance, de la formalité sens laquelle l’âme est mise en possession de ce bien suprême. C’est par l’appréhension de l’intelligence seule que cette possession peut être réalisée. Salmanticenses, loc. cit., dub. iv, S 6-9 ; Jean de Saint-Thomas, loc. cit., a. 3, 4. C’est, au fond, toujours la distinction de la gloire objective et de la gloire formelle : cette dernière suppose essentiellement un acte de connaissance. Voir plus haut, col. 1387.

c) Opinion éclectique. — Combinant les deux opinions précédentes, un grand nombre de théologiens, tant anciens que modernes, voient dans l’opération de l’intelligence (vision) et dans celle de la volonté (amour et, par voie de conséquence, jouissance) les éléments essentiels de la gloire des élus : Tertia sententia asserit essenliam bealiludinis jormalis complecii adœquate tum visionem, lum amorcm, negans eam vcl in sola visione, vel in solo amore, sed in ulroque simul mil esse aut apprehendi, Ripalda, op. cit.. disp. C, sect. ii, n. 9 ; c’est à cette opinion que se rallie Dante, Paradiso, Cant. xxx, vs. 40, décrivant ainsi la gloire des élus :

Luce intellectual piena d’amore,

Amor di vero ben pien di letizin,

Letizia, che trascende ogni dolciorc.

Tant qu’il ne s’agit que d’affirmer la pluralité des opérations comme élément formel de la gloire des élus, les partisans de l’opinion éclectique sont d’accord. Certains d’entre eux prétendent même que, sous cet aspect général, leur opinion s’impose comme une vérité définie par le décret de Benoît XII : ex lali visione et foi irioXE… ncre beatæ, Denzinger-Bannwart, n. 530, et par suite de la condamnation de l’erreur suivante des beghards : Quod quselibet intelleclualis natura in se ipsa naturaliter est beala, quodque anima non indigel lumine gloriæ, ipsam élevante ad Deum vwexdum et ex eo beale t-ruenduh. Denzinger-Bannwart, n. 475. Ces exagérés sont, au dire de Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 6, Thomas de Strasbourg, In IV Sent., Strasbourg, 1490, dist. XL1X, q. iii, iv ; André Véga, op. cit., 1. VII, c. m ; Corduba, O. M., Quæstionarium, Tolède, 1578, 1. I, q. xui, prop. 1, arg. 10 ; Alphonse de Tolède, In IV Sent.. 1. I, dist. I, q. ii, a. 3, ad 3°". Sont mieux inspirés ceux qui défendent cette doctrine à titre de simple opinion : S.Bonaventure, dans le sens indiqué plus haut, In IV Sent., dist.XL IX, a. 1, q. i ; Alexandre de Aies, Sum. iheol., part. III, q. xxiii, m. i, ad 1°" ; Albert le Grand, Richard de Middletown, le Supplément de Gabriel Biel, Pierre de la Palu, Holchot. Marsile d’Inghem, Jean Major [Lemaire], Bassolis et même Occam, dans leurs commentaires In IV Sent., l.IV, dis t. XL IX ; Gilles de Rome, Quodl., III, q. ult. Voir, sur ces anciens théologiens, Gilles de la Présentation, op. cit., I. IV, q. vii, a. 2, § 1. Il faut ajouter les noms de Salas, S. J., Disputationes in V"" // Sum. d. Thomse, Barcelone, 1607, tr. II, disp. II, sect. v ; Tanner, S. J., In ! "" 77*., disp. I, q. m ; Gilles de la Présentation op. cit., et surtout les grands théologiens de la Compagnie de Jésus : Suarez, De ultimo fine hominis, disp. VII, sect. i, n. 24-63 ; Grégoire de Valence, In I" m Sum. S. Thomæ. q. xxvi, disp. I, q. iii, p. iv ; Tolet, In IV Sent., 1. I, dist. I, q. ii, a. 2, 3 ; et même Lessius, De ultimo fine hominis, ([. iii, a. 4, dub. i ; De summo bono et beatitudine sempiterna, 1. II, c. v. Le P. Neubauer dans la Théologie de Wurzbourg, Paris, 1852, t. iii, p. 2, s’exprime ainsi : Ilnitiludo jormalis consistil initiative in visione Dei, perfective in amore Dei, complétive in gaudio, quiète et puce animi. Ripalda, loc. cit., et sect. iii, professe cette opinion avec une note particulière. Pour lui, la vision

de Dieu et l’amour de Dieu, pris ensemble ou pris séparément, sont l’élément formel adéquat de la gloire des élus ; et il explique son sentiment en se représentant la béatitude essentielle comme composée de parties quasi homogènes qui, prises séparément, forment chacune une béatitude complète en son espèce. Voir n. 13, 11. D’ailleurs, ici encore, les tenants de la même opinion se divisent sur des points d’une extrême subtilité. La question qui domine toutes les divergences est celle-ci : l’opération de la volonté doit-elle avoir une priorité sur celle de l’intelligence’? Controverse justement qualifiée par Ripalda, après Occam. J. Major et Vasquez, de arbilrariam et vocalem. Voir Lessius, De summo bono, !. II, c. vi.

Les principales raisons sur lesquelles s’appuient les partisans de ce troisième système sont les suivantes : a. L’autorité de l’Écriture qui s’affirme autant en faveur de l’opération de la volonté qu’en faveur de l’opération de l’intelligence. Voir les textes plus haut, col. 1397 et 1398. b. L’autorité des Pères : les thomistes peuvent citer un certain nombre de Pères qui appuient leur opinion ; mais on peut en citer un aussi grand nombre attribuant à l’amour et à la jouissance une partie prépondérante dans la gloire des élus. Pour saint Augustin, voir t. ii, col. 506, 507 ; Epist., clv (lu), n. 12 : Una ibi virlus erit et id ipsum cril virtus, pnvmiiimquc virtutis, quod dicit in sanctis colloquiis homo QUI AMAT : mihi autem AVBMRERE Di : » BONUA1 est. Hoc illi erit plena pcrfcctaquc sapientia,

    1. EADEMQUE DEATITUDIN’tS VITA BEAT A##


EADEMQUE DEATITUDIN’tS VITA BEAT A, P. L., t. XXXIII,

col. 671 ; De doctrina christiana. 1. I, c. xxxii : Hsec merces summa est ut ipso Dco per/ruamur, P. L., X. xxxiv, col. 32 ; Con/cssiones, 1. X, c. xxi, xxii, xxiii, P. L., t. xxxii, col. 792, 793 ; De moribus Ecclesiie, 1. I, c. m : Bcalus, quantum existimo, nec Me dici potest, qui non habet quod amal… quid enim est aliud quod dicimus frui, nisi præslo habere quod diligis, P. L., t. xxxiii, col. 1312 ; cf. c. xv, col. 1322 ; De civitale Dei, 1. XII, c. I : Beatiludinis igitur illorum (bonorum angelorum) causa est adhxrere Deo, … quamobrem cum quærîtur quarc illi beali sinf, ccrle respondetur, qui adhærent Deo, P. L., t. xli, col. 349, 350. Cette adhésion à Dieu, source de la félicité, saint Augustin l’explique ailleurs, Epist., cxviii, ad Dioscorum, n. 13, P. L., t. xxxiii, col. 438, ou encore De moribus Ecelesiiv. 1. I, c. xiv : Quid erit aliud optimum hominis, nisi cui inhærere est bealissimum ? Id autem est solus, cui inhserere certe non valemus, NISI dilectione, amore caritate. P. L., t. xxxiii, col. 1321, 1322. Cf. Suarez, De ultimo fine, loc. cit., n. 1. 5, 26 ; Ripalda, op. cit., sect. iv, n. 22. On apporte encore l’autorité de saint Fulgence, Ad Monimum, 1. I, c. xviii, P. L., t. lxv, col. 166 ; de saint Anselme, qui professe que la béatitude ex eommodis constat, De casu diaboli. c. iv ; cf., Monol., c. lxviii ; Cur Dcus homo, 1. II, c. i, P. L. t. cLvm, col. 211, 332, 401 ; de saint Bernard, Epist., xviii, P. L., t. clxxxii, col. 121, 122, et de plusieurs théologiens du moyen âge, dont Pierre Lombard, Sent.. 1. II, dist. I. c. Les deux principaux arguments, théologiques sont l’un, la définition de Benoît XII, où se trouve l’incise quod ex lali visione et fsvjtione ; cf. prop. 5 des beghards, Denzinger-Bannwart, n. 530, 475 ; l’autre, le texte du catéchisme ad parochos, où on lit : Solida quidem beatitudo quam esses n.u. lu communi nomine lied vocare, in eo sila est, ut devm

VIDEAMVS EJUSQUE PULCHR1TUD1NE l MIAMI R, C. XIII,

n. 7. d. La raison elle-même appuie cette opinion. La gloire n’est-elle pas la souveraine perfection des élus ? Or, la souveraine perfection ne peut être réalisée en une seule opération, d’autant plus que la possession de Dieu est le fait de la volonté aussi bien que de l’intelligence.

3. Jugement d’ensemble.

Ces trois dernières opinions, librement discutées dans l’Eglise, ont la valeur d’opinion, rien de plus. Il est clair que ni le catéchisme du concile de Trente, ni le pape Benoit XII, ni le concile de Vienne, pas plus que le concile de Francfort dans sa lettre aux évêques espagnols, n’ont voulu trancher la question, toute scolastique et d’ordre métaphysique, de l’élément formel de la béatitude essentielle. Qu’on attribue cette qualité à la vision de Dieu ou qu’on l’attribue à l’amour ou à la jouissance béatifique, peu importe ; ce qui est important, c’est qu’on ne sépare point ces opérations, en soi inséparables. Et quand on parle de gloire essentielle, il faut rester dans la limite dogmatique très nettement tracée par le cardinal Billot : Hic a substantiel beatitadinis contradislinguuntur solum Ma quse ab ea possunt separari, ut per modum unius accipiantur lum visio Dci, tum concomilans amor et jruilio. De novissimis, Borne, 1903, q. v, thés, ix, p. 118.

QuanL à l’autorité des Pères, on constate ici une fois de plus ce qui a été dit à l’art. Béatitude, t. il, col. 504. Seul ou à peu près seul, saint Augustin a formulé une véritable théorie de la béatitude. C’est à lui seul qu’il appartiendrait donc de patronner une opinion de préférence aux autres. Or, on a vu que toutes se réclament de lui. Les textes accumulés par Suarez et Bipalda ne sont pas sans faire impression, mais il faut signaler l’explication satisfaisante que Jean de Saint-Thomas, op. cit., q. v, disp. II, a. 3, n. 22-28 ; a. 4, n. 4-G, donne de la pensée de saint Augustin. L’amour, la jouissance béati tiques ne sont, pour saint Augustin comme pour saint Thomas, que le complément nécessaire de la vision. Cette explication s’appuie surtout sur De diversis quæsl. i.xxxiii, q. xxxv, P. L., t. xl, col. 23, 24, et De libero arbilrio, 1. I, c. xii-xiv, P. /.., t. xxxiii, col. 1134-1137.

Concluons donc que, pour définir la gloire, essentielle selon l’enseignement de l’Église ?, il faut faire abstraction de toutes les controverses d’école et en retenir indistinctement les éléments inséparables, vision, amour, jouissance béati tiques. C’est ainsi qu’avant d’en venir à l’examen des opinions, le P. C. Pesch, Prselection.es dogmatiese, t. iii, tr. II, prop. 40, expose la question au point de vue doctrinal. Ce point servira plus tard de point de départ quand on exposera la nature, l’objet et les propriétés de ces actes, à l’art. Intuitive (Vision).

S. Thomas d’Aquin, Sum. (licol., I > II, q. ni ; I 1, q. xxvi ; Cont. gentes, 1. III, e. xxv, xxvii ; Opusc, II (I), c. cv-cvn ; In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. i, n ; Cajétan, Sum. theol. S. Thomiv, I" II 1’, q. ni ; Suarez, De fine hominis, disp. VI, VII, dans Opéra oninia, Paris, 183(>, t. iv ; Lcssius.De summo bono et wterna beatiludine, 1. II, III, dans Opnsciita, Anvers, 107(5 ; Jean de Saint-Thomas, De a leptinne beatitadinis, disp. II, a. 1-4, dans Cursus theologicus, Paris, 1885, t. v, q. v ; Gilles de la Présentation, Disputationes de anima et eorporis beatitudine, Coïmbre, 1609 ; Gonet, De ultiino fine hominis, disp. III. dans Clypeus théologien thomistiac, Paris, 1870, t. m ; Hipalda, De ente supernatarali, disp. C, Paris, 1871, t. m ; Salmanticenses, De beatitudine, disp. I, dans Cursus llieologicus, Paris, 1878, t. v ; Pègues, Commentaire littéral de la Somme théologique, t. vi, q. l-vi.

II. Gloire accidentelle.

Le principe général qui nous sert de guide dans l’exposé de la gloire accidentelle est celui que Gonet a formulé, op. cit., disp. III, a. 2, n. 09 : Pree oculis semper habendum essentiam beatitadinis formalis esse assecutionem finis ultimi seu objecti beat i [ici : unde. Ma actio vel illæ actiones censendse sunt cd formalem beatitudinem perlinere, quæ essentialiler et formaliler sunt assecuiio finis ultimi : contra vro illæ qiuv ad rationem asscculionis finis ultimi et objectiva : beatitadinis mate RI ALITER, ( OXCOMITAb TER VEL ACCIDENT UAIEHse liabenl,

non speclant ad rationem formalem beatitadinis sed cjns essentiam comilantur vel subsequuntur. Donc, tout

| ce qui n’est pas l’élément formel de la béatitude doit être considéré comme clément étranger à la gloire essentielle, et en quelque façon comme élément accidentel. Mais il convient d’apporter une distinction : ce peut être un élément matériel ou concomitant de la gloire essentielle ; on pourra l’appeler alors gloire accidentelle, mais dans un sens tout à fait impropre ; ce peut être aussi un élément strictement accidentel : accidentalia beatitudinis duplieiter sumi possunt : vel pro iis quiv ab essentiel sunt non modo dislinela, verum elium separabilia ; vel pro iis quæ distinela quidem sunt, tamelsi essentiam necessario et semper comilentur. Billot, De novissimis, p. 118.

Aussi, pour être complet, nous distinguerons la gloire accidentelle improprement dite de la gloire accidentelle proprement dite.

l u Gloire accidentelle improprement dite. — Sous ce nom générique, on peut grouper les différents éléments de la béatitude, qui, inséparables de la gloire essentielle, s’en distinguent cependant formellement. Bappelons, pour éviter toute équivoque, que, dans le langage commun, cette gloire accidentelle rentre dans la gloire essentielle, selon la remarque du card. Billot. Voir col. 1401.

1. Conditions ou compléments nécessaires de la gloire essentielle. — C’est la contrepartie de l’élément formel de la gloire. Dans l’opinion thomiste, amour et jouissance béatitiques sont le complément nécessaire de la vision, élément formel, c’est-à-dire essentiel de la gloire. Dans l’opinion scotiste, c’est la vision, au contraire, qui n’est que la condition nécessaire de la gloire, fin un sens, ce seraient donc des éléments accidentels ou quasi accidentels de la gloire. Cf. S. Thomas, Sum. theol., D IL’, q. iii, a. 4 : *</ beatitudinem duo requiruntur : unum quod est esse beatitudinis, aliud quml est quasi per >i : accidlss / ;.//>, scitieel delectatio ci adjuncta.

2. Propriétés de la gloire essentielle.

La perpétuité de la gloire, l’impeccabilité de l’âme humaine sont des propriétés intrinsèquement dérivées de la vision béatifique. A ce litre, elles seront étudiées à l’art. Intuitive (Vision) ; mais elles doivent être signalées ici comme appartenant au complément de la gloire essentielle.

3. Qualités glorieuses de l’âme béatifiée.

De même que les corps glorieux ont des qualités propres, dont la source est la gloire même de l’âme rejaillissant sur le corps, voir Corps glorieux, t. iii, col. 1900 sq., de même l’âme bienheureuse sera dotée de qualités glorieuses qui correspondront aux opérations spécifiques de la gloire, vision, amour, jouissance béatitiques. Les théologiens appellent ces qualités dotes animée beulæ, par une métaphore empruntée au terme du droit, la dot de l’épouse. La gloire éternelle est comme un mariage de l’âme avec Dieu : il est convenable que l’épouse s’approche de l’époux ornée de qualités qui la disposeront à jouir en paix de son mariage, en la rehaussant aux yeux de son époux. Les théologiens fondent leur doctrine des dotes animæ sur l’Écriture, Apoc, xxi, 2. Cf. II Cor., xi, 2 ; Eph., v, 23-32. Pour saint Thomas, les qualités sont, en soi, des habilus disposant l’âme à la parfaite béatitude. Ils sont donc distincts des opérations qui constituent la gloire. Sum. theol., IIP SuppL.q. xcv, a. 1, 2. Ces qualités existent dans l’âme du Christ et chez les esprits angéliques, mais non à titre de dotes anima : ’, l’âme du Christ et les esprits angéliques n’ayant pas la qualité d’épouses vis-à-vis de Dieu et du Christ lui-même, a. 3, 4. Il y a trois dotes, l’une, répondant à la vertu de foi, rend l’acte de vision délectable, et, du nom de l’opération à laquelle elle dispose l’âme, se nomme vision ; les deux autres établissent la convenance de l’objet au sujet et la possession de celui-là par celui-ci ; la convenance est établie par la dilection, la jouissance (jruilio), ou la délectation qui expriment, sous des noms différents, la qualité répondant à la charité ; la possession de l’objet est réalisée par la jouissance dans le sens d’appréhension ou compréhension ou tension vers l’objet ; toutes dénominations pour exprimer la même qualité répondant à l’espérance, a. 5. Cf. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. iv. Ontologiquement, ces qualités sont les habilus de l’âme bienheureuse ; or, ces habitus sont au nombre de deux, le lumen gloritv et la charité consommée. La qualité nommée vision, c’est donc la lumière de la gloire élevant l’intelligence, au-dessus de toute obscurité, dans les régions de l’évidence et de la clarté ; la compréhension, c’est encore la lumière de la gloire, éloignant tout obstacle à l’union de l’âme avec Dieu ; la dileclipn ou jouissance, c’est toujours la lumière de la gloire jointe à la charité consommée et disposant l’âme à jouir pleinement de Dieu. Mazzella, De Deo créante, disp. VI, a. 4, n. 1240. Cf. S. Thomas, III* SuppL, q. xcv, a. 5, ad 3°’; Salmanticenses, op. cit., disp. II, dub. m ; Billuart, op. cit., diss. II, a. 5, § 1. Mais pour bien comprendre comment ces habilus peuvent revêtir la formalité de qualités glorifiant l’âme au titre de dots surnaturelles, il faut leur restituer leur double aspect : en tant que principes des opérations qui constituent la gloire essentielle, ils ne peuvent être appelés dotes animer, puisque, loin d’être la dot du mariage spirituel de l’âme avec Dieu, ils sont ce mariage lui-même consommé entre Dieu et l’âme. Mais, par le fait même, ils élèvent l’âme à un état glorieux, très supérieur à l’état présent, et dans lequel sont supprimées toutes les imperfections : en tant que ces habitus de la lumière de gloire et de la charité consommée élèvent ainsi l’âme et la rendent apte à entrer en commerce direct avec Dieu, sans aucune des obscurités de la foi, dans la pleine clarté de la vision faciale, dans la pleine sécurité de la possession de la divinité, ils lui donnent, vis-à-vis de Dieu, une relation toute particulière qui fait véritablement que l’âme est l’épouse dotée en vue de plaire à son époux et de jouir pleinement de son union. A ce titre, ils deviennent les dotes anima’. Jean de Saint-Thomas, op. cil., q. v, disp. II, a. 8, n. 18.

Richard de Middletown, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, a. 3, q. vii, a substantiellement la même doctrine que saint Thomas : pour lui, les dotes sont vision, amour et sécurité, dont il fait un habilus spécial. Pierre de la Palu, ibid., q. viii, a. 3, tout en maintenant une thèse identique à celle du docteur angélique, emploie les dénominations de vision, délectation, dilection.

Avec saint Bonaventure, In IV Sent., I, IV, dist. XLIX, a. 1, q. v ; D. Soto, ibid., q. iv, a. 3, nous avons des dotes animée une conception différente. Ce ne sont plus des habitus, mais des opérations, car la lumière delà gloii e, qui est V habilus des âmes élues, ne peut être identifiée avec ces qualités glorieuses. Suarez, op. cit., disp. XI, sect.i, n. 4, fait remarquer à juste titre que c’est là une pétition de principe et que saint Thomas enseigne le contraire, IIP’SuppL, q. xcv, a. 5, ad 3°’". Si ces habilus sont désignés par l’opération, vision, compréhension, délectation, etc., c’est parce que la perfection de la béatitude, perfection à laquelle l’âme est par eux disposée, réside en cet acte dernier, l’opération. Vasquez, op. cit., disp. XVIII, c. n ; Montesinos, Commentaria in /"" IV Sum. S. Thomæ, Alcala, 1622, q. iv, a. 3, disp. VI, q. vi, maintiennent la thèse de saint Bonaventure.

Ces controverses sont de minime importance et renferment trop de subtilités. Une fois admis que l’expression : dotes animx, est une métaphore pour désigner l’élévation de l’âme à un état supérieur, peu importe que cette élévation réside en des opérations ou des principes d’opérations. Les théologiens actuels

n’accordent presque plus d’attention à cette question.

Parmi les théologiens contemporains, voir Mazzelki » De Deo créante, Woodstock, 1877, disp. VI, a. 4, n. 12311240 ; Pesch, Pnvlecliones donmatiew, Fribourg-en-Brisgau, 1899, t. iii, n. 153. Anciens auteurs plus complets, Salmanticenses, De beatitudine, disp. II ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. XI, sect. i ; Jean de Saint-Thomas, De adeptionè beatitudinis, disp. II, a. 8 ; Gonet, Clypeus tlieologiæ Ihomisticse, De Deo uHimo fine, disp. V, a. 1 ; Lessius, De beatitudine, a. 3, dub. n ; De sunimo bono et œterna beatitudine hominis, 1. II, c. xx ; S. Thomas, Sum. theol., III » ’SuppL, q. xcv ; In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. iv.

Gloire accidentelle proprement dite.

1. Existence d

caractère spécifique de la gloire accidentelle proprement dite. — Qu’en dehors de la gloire essentielle, vision, amour, jouissance béatifiques, il y ait une autre gloire pour les élus, c’est là une doctrine communément admise : a) l’Écriture la suppose expressément, Luc, xv, 7, 10 ; Ps. exix, 5, 6 ; Sap., iii, 7 ; Matin., xix, 28 ; b) la raison demande qu’une essence créée reçoive le complément de sa perfection dans ses accidents. Gloire essentielle et gloire accidentelle sont ontologiquement des accidents physiques de l’âme bienheureuse ; le mot accidentel est donc employé ici analogiquement pour désigner une gloire qui s’ajoute à la gloire essentielle. Suarez, op. cit., disp. XI, sect. il, n. 3.

Saint Thomas, Sum. theol., I", q. xcv, a. 4, place le principe de la gloire accidentelle dans le mérite lui-même, non en tant qu’il procède de la charité, mais en tant qu’il est proportionné à la nature ou à la difficulté de l’œuvre méritoire accomplie. Envisagé sous son premier aspect, le mérite est récompensé par la gloire essentielle ; sous son second aspect, par la gloire accidentelle. Cf. In Epist. D. Pauli ad Romanos, c. viii, lect. v ; I"° ad Cor., c. iii, lect. n. Suarez, loc. cit., n. 5-8, accepte difficilement cette explication et, n. 9, lui substitue celle de la bonté divine qui récompense les élus, non seulement dans les limites de la justice, mais au delà, selon une mesure bonam et confcrlam et coagilalam et superejjluentem. Luc, vi, 38. Les deux conceptions peuvent se compléter l’une l’autre. Pesch, op. cit., n. 474.

On peut toutefois se demander quel caractère spécifique distingue la gloire accidentelle de la gloire essentielle. Certains théologiens, Richard de Middletown, In IV Sent., I. IV, dist. XLIX, a. 5, q. i ; Gabriel Biel (suppl.), ibid., q. iii, et même saint Thomas, Sum. theol., P, q. xcv, a. 4 ; cf. In IV Sent., 1. IV, dist. XII, q. ii, a. 1, q. ii, placent cette raison dans la nature de l’objet de la béatitude : la béatitude essentielle se rapporte à un objet incréé, la béatitude accidentelle a un objet créé : gaudium (est) de bono creato (S. Thomas). Suarez, loc. cil., fait remarquer que cette raison n’est pas complète, car la connaissance et l’amour de Dieu, en dehors de la vision béatifique, font partie, pour les élus, de la gloire accidentelle ; au contraire, la connaissance et l’amour des créatures, vues et possédées dans l’essence divine, font partie de la gloire essentielle, dont les créatures, vues et possédées en Dieu, forment l’objet secondaire. Voir Intuitive (Vision). C’est donc au moyen de connaissance, plutôt qu’à Vobjet connu, qu’il faut s’attacher pour distinguer la gloire accidentelle de la gloire essentielle. Aussi Suarez la définit-il exactement, semble-t-il : Quwlibct perjectio bcali quæ versatur extra objecium primarium et essenliale beatifitum, quod est Deus prout bcali ficus est, id est claie visus. Remarquons d’ailleurs que l’élément formel de la gloire, la connaissance, entre ici en jeu pour en donner la définition exacte.

2. Détermination des différentes gloires accidentelles.

— a) Gloire accidentelle particulière ci certains élus. — Cette gloire accidentelle, d’après les scolastiques, est réalisée par les auréoles et les fruits spirituels ou évangêliques, auxquels il faut ajouter les caractères sacramentels. Toutes les âmes ne les posséderont pas : ce sera le privilège de certains élus. Les auréoles ont déjà élé étudiées. Voir Auréole, t. i, col. 2571 sq. Quant aux fruits spirituels ou évangéliques, il ne faut pas les confondre avec les fruits du Saint-Esprit, éhumérés dans l’Épître aux Galates, v, 22, 23. Voir Fruits du Saint-Esprit, col. 944 sq. D’une manière générale, la gloire essentielle peut être considérée en elle-même comme le fruit de notre travail de sanctification. Rom., vi, 22. Mais, plus spécialement, les fruits spirituels désignent métaphoriquement, comme les auréoles, une gloire accidentelle que Dieu accorde à certains élus. La métaphore est empruntée à la parabole, du semeur. Matth., xiii, 3-9. Les semences jetées en terre produisent, les unes 100, les autres 60, d’autres en lin seulement 30. C’est en se dégageant des liens de la chair, pour progresser dans la vie spirituelle, que l’homme obtiendra ces fruits : Fructus est quoddam prxmium quod debetur homini ex hoc quod ex carnali vila in spirilualem transit. S. Thomas, IIP Suppl.. q. xevi, a. 3. Plus l’homme se dégagera des liens de la chair, et plus son fruit sera abondant : le fruit est donc la gloire accidentelle proportionnée aux dispositions mêmes de l’âme s’engageant dans les voies de la spiritualité, et par là il se distingue, non seulement de la gloire essentielle, mais de l’auréole qui est la récompense accidentelle de certaines œuvres exceptionnellement méritoires : Secundum ergo hoc fructus dijfcrt ab aurea et ab auréola : quia aurca consislit in ijaudio quod habetur de Deo, auréola vero in gaudio quod habetur de operum perfeelione ; sed fructus in gaudio quod habetur de ipsa disposilione operanlis secundum gradum spiritualitatis in quem proficit ex semine verbum Dei. S. Thomas. In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, a. 2, q. i. Cf. IIP Suppl., q. xevi, a. 2. Les fruits spirituels sont attachés principalement à la vertu de continence qui seule nous fait fructifier dans le sens du détachement de la vie charnelle ; les proportions de 100, 60 et 30 indiquées par saint Matthieu représentent les trois sortes de continence, celle des vierges, celle des veuves et celle des gens mariés. S. Thomas, loc. cil., q. il, et iii, a. 3, 4. Cf. Gonet, op. cit., disp. V, a. 4.

Tous les anciens théologiens, et Scot lui-même, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, admettent que l’auréole diffère ontologiquement des fruits spirituels, et voient sous ces expressions métaphoriques des réalités représentant certaines béatitudes accidentelles. Des théologiens plus récents, Suarez tout particulièrement, op. cit., disp. XII, sect. iii, considèrent que les trois degrés exprimés par saint Matthieu ne signifient pas nécessairement des degrés de gloire accidentelle. La métaphore des fruits spirituels pourrait bien ne désigner que les degrés de la gloire essentielle elle-même. S. Thomas, In Evangel. Midlhœi, c. xiii, adopte ce sentiment. Cf. Pesch, op. cit., n. 511.

D’ailleurs, les Pères se sont prononcés en des sens si divers qu’on ne peut trouver chez eux d’interprétation authentique. Saint Jérôme, In Matlh., P. L., t. xxvi, col. 39, favorise l’interprétation de saint Thomas ; saint Augustin, Quæslioens in Evangel. sec. Matlh., ix, P. L., t. xxxv, col. 1325 ; Paschase Radbert. In Matlh., part. VII, P. L., t. cxx, col. 490 ; Bruno d’Asti, ibid., P. L., t. clxv, col. 189, appliquent la parabole aux martyrs, aux vierges, aux gens mariés. Bruno d’Asti, loc. cit., entend également parler des contemplatifs, des actifs et de ceux qui mènent une vie commune. Cf. S. Grégoire le Grand, In Ezcchiclem, 1. I, homil. v, n. 12, P. L., t. lxxvi, col. 826. Saint Augustin, De sanela virginilale, c. xlv, P. L., t. xl, col. 423, expose d’abord l’opinion que reprend saint Thomas, mais conclut que ces différents fruits représentent plus gé néralement les différents degrés de vertu. Même interprétation chez l’auteur de VOpus imperfeetum in Matlh., P. G., t. lvi, col. 705. Théophylacte, In Matlh., P. G., t. cxxv, col. 284, applique la parabole aux contemplatifs, aux actifs et à ceux qui débutent dans la perfection de la foi. Les incipienles, proficienles et perfecti se retrouvent chez Denys le Chartreux, In IV Evangelia, Paris, 1555. La liturgie de l’Église fait allusion, avec une application différente, à la parabole de Matth., xiii, 3, 9, dans l’hymne des laudes de saint Jean-Baptiste, vierge, docteur, martyr, Secta 1er dénis alios coronant, etc. Voir aussi : S. Jérôme, Adu. Jovin., 1. I, n. 1 ; Epist., xlviii, n. 2, P. L., t. xxiii, col. 212 ; t. xxii, col. 495 ; S. Cyprien, Epist., lxxvi, n. 6, P. L., t. iv, col. 418, qui appliquent ces degrés aux degrés de la gloire essentielle niés par les hérétiques de leur temps. Cette dernière interprétation est la plus commune chez les exégètes plus récents et correspond mieux à la pensée de Notre-Seigneur. Les théologiens font remarquer à bon droit que le caractère sacramentel sera lui aussi un sujet de gloire accidentelle pour les élus, parce qu’il restera la marque indélébile de leur fidélité. Cf. S. Thomas, Sum. Iheol., III", q. xlv, a. 5, ad 3°". Voir Caractère sacramentel, t. il, col. 1706.

S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. v, a. 2 ; Sum. theol., îï£æ Suppl., q. xevi, a. 2, 3, 4 ; Suarez, De ultitno fine hominis, disp. XI, sect. iii, n. 5 ; Gonet, De ultimo fine hominis, disp. V, a. 4 ; Knabenbauer, Evangelium secundum Matllœum, Paris, 1892, p. 524, 525.

b) Gloire accidentelle commune à tous les élus. — a. Dans l’âme. — Nous laissons présentement de côté les biens d’ordre surnaturel que Dieu accorde, dès ici-bas, à l’âme ornée de la grâce sanctifiante et qui la suivront, pour sa gloire, dans le ciel. Il y a correspondance entre la grâce et la gloire, et rénumération de ces biens sera logiquement à sa place plus loin, quand nous traiterons de la grâce et de la gloire. Bappelons toutefois que ces perfections d’ordre surnaturel sont un motif de gloire accidentelle.

a. Biens de V intelligence. — La foi ne nous enseigne rien directement en dehors de la vision béatifique. touchant les perfections de l’intelligence glorifiée. Les Pères enseignent communément, voir Intuitive (Vision), que l’ignorance et l’erreur ne peuvent trouver place dans la connaissance des élus. Il faut entendre cette ignorance dans un sens privatif, non négatif ; les élus, en elîet, auront toutes les connaissances que comporte leur état ; mais n’étant pas, par le fait de la béatitude, omniscients, ils resteront dans la nescience à l’égard de beaucoup de choses. S. Thomas,

In IV Sent., dist. XLIX, q. ii, a. 5, ad 8.Mais

comme, d’autre part, la gloire doit être le comble de tous les biens et la satisfaction de tous les désirs, exige-t-elle, en plus de la vision intuitive, un mode de connaissance d’ordre naturel qui en est comme le complément et l’accessoire ?

Nous n’avons, sur ce point, que les opinions des théologiens. — On admet communément contre Albert le Grand, In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, a. 10, avec saint Thomas, Sum. theol., P, q. lxxxix, a. 5, 6, que les habiius et les actes de la science acquise ici-bas demeurent dans les âmes séparées, bien que le mode d’agir de l’intelligence, tant que l’âme sera séparée du corps, ne s’exercera plus par une conversion vers les images sensibles, 1° II a q. lxvii, a. 2. Cf. Capréolus, In IVSenl… XXXI et XXXII, dist.III, q.un., a.2, § 2 ; Durand de Saint-Pourçain, dist. XXXI, q. ni. La parole de saint Paul, I Cor., xiii, S. scienlia deslruetur, ne s’applique qu’à une grâce gratuitement donnée, analogue aux dons de prophétie et des langues. Voir Estius, Bisping, dans leurs commentaires sur ce passage. Le souvenir des événements, des personnes, des affections, des luttes d’ici-bas suivra donc les âmes dans la gloire et sera pour elles un sujet de gloire complémentaire, | si tout cela a été une occasion de mérite pour elles. Cf. S. Thomas, ibid., a. 4, 8. Elles se réjouiront du j bien accompli ici-bas. q. xxiii, a. 6, ad 1°". — Les âmes, comme les anges, peuvent se communiquer leurs pensées, quelles que soient d’ailleurs les différentes | explications scolastiques du langage angélique. Voir Angéloi.ogie, t. i, col. 1241 sq. ; S. Thomas, ibid., a. 2. C’est d’ailleurs une vérité que nous pouvons j déduire de la gloire accidentelle que donne aux élus la société des bienheureux. Cette société, voir plus loin, ne peut contribuer à la gloire des élus qu’à la condition d’être véritablement telle et de comporter la communication des élus entre eux. — Outre ces deux sciences, l’une acquise ici-bas, l’autre reçue des esprits ou des âmes séparées, il est très probable que l’intelligence des élus recevra une nouvelle perfection d’une troisième science, directement infusée par Dieu. Certains théologiens, Grégoire de Valence, In /, ’" Sum. S. Thomas, disp. I, q. ii, p. vi, q. iv, assert. 1 ; Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 155, tout en admettant, en paroles, une science infuse chez les élus, la nient en réalité. Les autres admettent communément cette science d’ordre naturel, mais infuse, chez les élus, comme ils l’admettent dans l’humanité du Christ. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I", q. lxxxix, a. 1 ; Suarez. op. cit., disp. VIII, sect. i, n. 9. Voir un bon résumé de la question dans Billot, De Verbo incarnedo, Rome, 1912, thes. xx, § 1. — La vision béatitique n’empêche pas les autres opérations naturelles à l’intelligence. La preuve théologique de cette assertion se trouve dans la personne même du Verbe incarné, en qui la vision béatifique s’alliait au fonctionnement normal non seulement de l’intelligence et de la volonté humaine, mais encore des facultés inférieures. Cf. S. Thomas, De veriiate, q. xiii, a. 3, 4 ; Billot, De Vcrbo incarnalo, thes. xx, §3. Si cette alliance paraît impossible dans le cas d’un ravissement où Iransiloirement un simple mortel serait élevé à la vision intuitive, comme le pensent, de saint Paul, saint Augustin, Ad Paulinam, Epist., cxlvii (cxii), c. xiii, n. 31, P. L., t. xxxiii, col. G10, et saint Thomas, Sum. theol., IL IV, q. clxxv, a. 3, 4 ; De veriiate, q. xiii, a. 2, 3 ; In Epist. II"" ad Cor., c. xii, lect. ii, la même incompati bilité n’existe plus lorsqu’il s’agit de l’état de béatitude. S. Thomas, Sum. theol., loc. cit., a. 4, ad 1’"" et 2° ra ; Terrien, La grâce et la gloire, Paris, s. d. (1897), t. ii, p. 292, 293.

Ces principes rappelés, on comprendra plus facilement les hypothèses suivantes des grands théologiens. — L’état de gloire étant l’état de la perfection qui convient à chacun des élus, il semble nécessaire que les intelligences qui n’ont pas reçu ici-bas la perfection qu’elles eussent naturellement comportée, la reçoivent connaturcllement de Dieu dès le premier instant de la béatitude. L’intelligence doit être, sous ce rapport, aussi favorisée que le corps, voir Corps glorieux, l. iii, col. 1898 ; donc elle doit recevoir de Dieu le supplément de perfection qui lui manque. Elle ne le pourra recevoir que par une science infuse per aceidens des choses de l’ordre naturel. Suarez, op. cit., sect. il, n. 5, appliquant les principes de saint Thomas, Sum. Ihcl., L IL’, q. iii, a. C, 7. — La vision intuitive ne procurant pas l’omniscience, et n’étant d’ailleurs, quant à son intensité et à son extension, accordée qu’en proportion de la grâce et des mérites de chaque élu, laisse supposer que Dieu suppléerait, le cas échéant, à l’insuffisance de la vision béatifique par une révélation nouvelle, appartenant par là-même à la gloire accidentelle : Certe diccre possumus quæ in hoc capite diximus (l’objet secondaire de la vision intuitive) cum limilalione esse aecipienda et quasi sub condilione, si talia fuerint mérita bcaii in hac vila, ul per eu mcrueril

prœdicta omnia obtinerc et videre per suam csscntialem beatiludinem. Quod si talia non fuerint, salis erit, quod PEU Gi.oniAM ACCIDEXTALEir, seu per novas rcvclationcs aligna videat. Suarez, De dioina substanlia ejusque atlribulis, 1. II, c. xxviir, n. 20. — Il semble même qu’un certain nombre de choses ou d’événements ou d’actions ne doivent être connus cpie par une science distincte de la vision intuitive et se rapportant, par conséquent, à la gloire accidentelle. La vision intuitive, en effet, comporte une connaissance toujours actuelle de son objet, tant primaire que secondaire, Sum. theol., 1°, q. xii, a. 10, et cette connaissance, parce que toujours en acte, est immuable et éternelle. Voir plus loin, col. 1414. Or, il est peu admissible que des actes comme les prières, les vœux, les fêtes, les honneurs rendus et autres semblables concernant les élus soient connus par les bienheureux par la vision intuitive au même titre que l’essence divine elle-même. En comparaison de la gloire essentielle, ce sont événements de peu d’importance, surtout lorsqu’ils sont déjà passés. D’ailleurs, il n’est point dans l’ordre d’avoir constamment l’attention fixée sur les honneurs et les hommages reçus. Et il faut ranger aussi, au nombre des objets d’une science distincte de la vision intuitive, les soucis de la prospérité des œuvres fondées, les préoccupations matérielles, etc. Lessius, De summo bono, 1. II, c. x, n. 69. Voir l’opinion contraire dans Suarez, De atlribulis negalivis Dei, c. xxviii, n. 18. — Enfin, les théologiens qui admettent la simultanéité de la vision béatifique et de la science infuse, portant toutes deux sur les mêmes objets, acceptent volontiers que les mêmes connaissances concourent à la fois, selon le mode qui les produit, à la gloire essentielle et à la gloire accidentelle. C’est la thèse de saint Augustin dans la double connaissance, matinale et vespérale, des anges. Voir t. i, col. 1200 ; cf. S. Thomas, Sum. theol., L, q. lviii, a. G, 7. La sécurité et la continuité de la gloire accidentelle de l’intelligence sont suffisamment sauvegardées en ce que les élus pourront considérer quand et comme ils le voudront les objets de cette gloire et passer sans discontinuer de l’un à l’autre. Suarez, De ullimo fine hominis, disp. XIV, sect. i, n. 4. — Telles sont les hypothèses générales que l’on peut rappeler. L’art. Intuitive (Vision) exposera, avec les détails voulus, quels objets les élus atteignent par leur connaissance.

Outre les auteurs cités, consulter C. Pcsch, Pnelcctioncs dogmaticæ, t. iii, prop. 11, n. 476-484.

[j. Biens de la volonté. — Les perfections de l’intelligence entraînent celles de la volonté, dans la béatitude accidentelle, comme dans la béatitude essentielle. Il suffit donc, d’une manière générale, de dire que la connaissance, dans l’une et l’autre béatitude, se complète par l’amour et la jouissance. Cf. Joa., xvi, 24 ; Ps. xiv, 15. Saint Augustin résume la doctrine catholique en quelques mots : Omncs bcali hubenl quod volunt. De Trinilate, 1. XIII, c. v ; cf. c. vii, P. L., t. xlii, col. 1020 sq.

Nulle contrariété de la volonté, dans la possession et la jouissance des objets qu’elle peut désirer, aussi bien dans la gloire accidentelle que dans la gloire essentielle. Nulle tristesse possible, Is., xxv, 8 ; Luc, vi, 24 ; Apoc, vii, 10, 17 ; xxi, 4 ; xxii, 3-5 ; car les bienheureux n’en ont aucun motif, n’envisageant toutes choses que selon l’ordre de la gloire divine, laquelle est toujours réalisée par la manifestation d’un des attributs divins, miséricorde ou justice. Au sujet de la gloire accidentelle de la volonté, deux problèmes se posent. D’abord, l’âme sainte désire se réunir à son corps afin de faire participer celui-ci à sa gloire. Ce désir, ne devant être satisfait qu’à la résurrection générale, n’entraîne-t-il pas à sa suite une certaine tristesse présente ? Ensuite, l’âme sainte ne souflïira-t-elle pas du souvenir de ses péchés ou de la perte éternelle de ses amis et proches ?

Saint Thomas a indiqué la solution du premier problème. Sum. theol., F IF’, q. iv, a. 5, ad 4°’" et 5° m. L’âme n’éprouve aucune tristesse : ayant tout ce qu’elle peut désirer, elle est satisfaite, quoiqu’elle ne possède pas encore la gloire de toutes les façons dont il lui serait possible de la posséder : elle attend donc qu’un nouvel état lui permette de faire participer le corps à sa gloire ; mais elle ne souffre pas de cette attente, ayant tout ce qu’elle peut avoir et désirer pour son état présent. D’ailleurs, parler d’attente, c’est mal s’exprimer. La gloire de l’âme est éternelle, c’est-à-dire tout en acte, voir Éternité, t. v, col. 919 : le temps n’existe plus, et c’est notre imagination qui nous trompe lorsque nous nous figurons l’âme attendant la résurrection. Cf. Billot, De novissimis, thés, ix, § 1, in fine.

Le second problème a sa solution générale dans ce que nous avons dit plus haut : les élus n’envisagent toutes choses que selon l’ordre de la gloire divine : ils jugeront les pécheurs comme tels, c’est-à-dire comme ennemis de Dieu et, à ce titre, seront heureux de les rejeter : Si homines nolunt salvari, sed in suis peccatis obslinali sunt, beati eos considérant ut hostes Dei et suos, et volunt eos débitas pœnas subire, etiamsi in vila peccalores eorum amici et propinqui fuerunt, quia non caro et sanguis regnum Dei obtinenl, scd amor spiritualis, quo omnia in Dco et propter Deum amantur. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. xi, a. 4. Cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xii, n. 88. Mais cette solution ne pourra être pleinement comprise que lorsqu’on aura exposé comment la vision béatifique règle toutes les pensées, toutes les volontés, toutes les affections des élus. Aussi, pour éviter les redites, on voudra bien se reporter à Intuitive (Vision).

b. Dans le corps ressuscité. — La gloire de l’âme rejaillira sur le corps : de là, une nouvelle gloire accidentelle, qui a été étudiée à Corps glorieux, t. iii, col. 1879. Mais la réunion de l’âme au corps reconstituera les facultés organiques, qui, dans l’âme séparée, ne subsistaient qu’à l’état virtuel. S. Thomas, Sum. theol., r, q. lxxvii, a. 8. La gloire accidentelle trouverat-elle un nouvel élément dans l’exercice de ces facultés sensibles ? Cf. Job, xix, 27 ; Apoc, xii, 1 ; vii, 9, pour les yeux ; Apoc., iv, 10, 11 ; xiv, 3, 4 ; Tob., xiii, 22, pour les oreilles. On adapte à l’odorat Cant., iv, 10, 15 ; au goût Apoc, ii, 17. Les scolastiques ont émis beaucoup d’hypothèses. Voir S. Thomas, Sum. theol., IH, e Suppl., q. lxxxii, a. 4 ; et surtout Lessius, De summo bono, 1. III, c. viii, n. 101-103. Le P. de Smet, Notre vie surnaturelle, Bruxelles, 1910, t. i, p. 293, a bien résumé la doctrine de ces deux théologiens en montrant que, si les jouissances propres aux trois sens plus matériels de la nature animale, goût, odorat, toucher, devaient être spiritualisécs pour concourir à la gloire accidentelle des élus, la chose est plus facile à expliquer pour la vue et l’ouïe. La musique qui ravira les oreilles des élus, après la résurrection, sera non seulement mentale, mais vocale. S. Thomas, Sum. theol., IIP 3 Suppl., q. lxxxii, a. 4 ; In IV Sent., 1. II, dist. II, q. ii, a. 2, ad 5°" ; Lessius, op. cit., c. viii, n. 99. La principale gloire des yeux sera de contempler le corps glorieux du Sauveur. S. Thomas, In IV Sent. 1. IV, dist. XLIX, q. ii, a. 2.

En plus des auteurs cités : Suarez, De îmjsteriis vilce Christi, disp. XLVII, sect. vi.

c. Dans les biens extérieurs. — /.. Terre et deux renouvelés. — Si le monde doit être renouvelé après la résurrection générale, les cieux, la terre ainsi restaurés apporteront, par leur perfection même, un nou DICT. DE TllÉOL. CATHOL.

veau motif de gloire accidentelle aux élus. Le ciel empyrée où habitent les bienheureux est à lui seul un ravissant spectacle pour leurs yeux. Cf. Grégoire de Valence, In I’m Sum. S. Thomæ, disp. V, q. ii, p. ii, q. v ; S. Thomas, Sum. theol., I", q. lxvi, a. 3 ; Suarez, De mijsleris vitse Christi, disp. LVIII, sect. n ; Lessius, De summo bono, 1. III, n. 98, 99. Nous ne nous attarderons pas à développer une doctrine dont les fondements ont été suffisamment explorés aux art. Fin du monde, t. v, col. 2516 sq., et Ciel, t. ii, col. 2504. Voir aussi de Smet, op. cit., p. 295, note.

(3. La société des élus. — Les élus se retrouveront et se reconnaîtront au ciel, non seulement par la vision intuitive, mais par les communications directes qu’ils pourront avoir entre eux. Nier qu’ils puissent communiquer directement entre eux serait leur enlever un exercice légitime de leurs facultés, ce qui est contre le concept même de la gloire, qui doit être le comble de tous les biens et le rassasiement de tous les désirs. Cette société n’est pas requise sans doute à la gloire essentielle, mais elle fera partie de la gloire accidentelle des élus. S. Thomas, Sum. theol., F IF’, q. iv, a. 8. Les élus s’aimeront au ciel « par l’effet de la vertu de charité infuse qui demeurera en nous à un degré de suprême perfection, de l’amour le plus tendre et le plus ardent, qui sera encore nourri et constamment accru par la connaissance toujours plus parfaite que nous aurons de leurs perfections naturelles et surnaturelles, bien supérieures à tout ce que nous pouvons rencontrer ici-bas de plus ravissant parmi nos semblables, et sans aucun mélange d’imperfection positive déplaisante. » De Smet, op. cit., p. 303. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IF IF’, q. xxvi, a. 13.

L’Écriture, parlant du ciel, le désigne souvent comme le lieu de rendez-vous des élus, lieu où ils régneront ensemble avec le Christ. Voir Ciei, t. ii, col. 2470, 2477. Ils formeront donc une société, où ils se retrouveront et se connaîtront. Voir également Communion des saints, t. iii, col. 430, et, en particulier, ce qui concerne l’Église triomphante, col. 467 sq. Rappelons simplement ici que l’Écriture présente le séjour des élus comme une société, un royaume, où, en compagnie de Jésus, Luc, xxiii, 43, et des anges, Matth., xviii, 10, les justes seront la joie du Seigneur, Matth., xxv, 21, 23, pour la vie éternelle. Matth., xxv, 46 ; xix, 17 ; Marc, ix, 43-45. C’est encore un festin, où se réunissent les convives, Luc, xxii, 30 ; Matth., viii, 11 ; xxii, 1-14 ; xxvi, 29. Cf. Frey, Royaume de Dieu, dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, t. v, col. 1248, 1249. Les anges portent Lazare dans le sein d’Abraham, Luc, xvi, 22 ; les habitants du ciel se réjouissent à la conversion d’un pécheur, Luc, xv, 7, 10 ; Marthe espère bien retrouver plus tard son frère, Joa., xi, 24 ; Jésus, ripostant aux Sadducéens, Matth. xxii, 30, dégage la société des élus des appétits grossiers que l’état de gloire ne comporte plus ; mais suppose expressément que les élus se retrouveront.

La tradition propose également cette vérité. On peut en trouver les témoignages explicites aux art. Ciel et Communion des saints. La société des saints et des anges, comme faisant partie du bonheur des élus, est insinuée ou affirmée dans la Didachè, xvi, 7 ; par S. Clément, ! ’Cor., xxxiv, xxxv ; par Hermas, Paslor, Sim., ix, 27, 3 ; Vis., ii, 7 ; par S. Polycarpe, Ad Phil., ii, l ; v, 2 ; dans Y É pitre àDiognèie, vi, 3 ; v, 5, 9 ; par S. Justin, Apol., ii, 1 ; Dial. cuni Tryph., 56 ; LTepl àvaaTaasfoç, 7, P. G., t. vi, col. 441, 612, 1589 ; par S. Hippolyte, De Aniichristo, 31, 59, P. G., t. x, col. 752, 780 (voir, sur la vraie pensée de S. Hippolyte, d’Alès, La théologie de S. Hippolyi’e, Paris, 1906, p. 179 sq.) ; Clément d’Alexandrie, Pwd., n, 12 ; Strom., VII, 2, P, G., t. ix, col. 541 ; t. viii,

VI. - 13 col. 408 ; Origène, De princ, 1. II, c. xi, n. 6 ; 1. I, c, vi, n. 2 ; De oraiione, n. 11, P. G., t. xi, col. 246, 166, 419 ; Terlullien, De anima, 55, P. L., t. ii, col. 712-714 ; S. Grégoire le Thaumaturge, Sermo pancgyricus in honorera sancti Siephani, 2, dans Pitra, Analecla sacra, t. iv, p. 409. Mais déjà, à cette époque, plusieurs Pères envisagent cette vérité sous l’aspect qui nous occupe, à savoir que la société du ciel sera la continuation des liens de la terre et contribuera de ce chef à procurer aux élus une nouvelle gloire accidentelle. Saint Irénée, commentant l’histoire du mauvais riche et de Lazare, rappelle que « les âmes continuent de se connaître et de se rappeler les choses qui sont ici-bas. » Cont. hær., 1. II, c. xxxiv, n. 1, P. G., t. vii, col. 831. Saint Cyprien, arrêtant son regard sur le ciel, assure que « nous y sommes attendus par un grand nombre de personnes qui nous sont chères, que nous y sommes désirés par une foule considérable de parents, de frères et d’enfants qui, désormais assurés de leur immortalité, conservent encore de l’inquiétude pour notre salut. » De mortalilalc, c. xxvi ; cf. Epist., lvi, ad Thibarilanos, P. L., t. iv, col. 601, 357.

De beaucoup d’ouvrages de saint Ambroise, voir Ciel, t, ii, col. 2181, se dégage l’union mystique des élus entre eux et avec le Christ. Mentionnons tout particulièrement les espérances du saint évêque, pleurant son frère Satyrus, mais auquel il espère pouvoir bientôt se réunir, De excessu fralris Salijri, 1. I, n. 79 ; 1. II, n. 135 ; cf. n. 53 sq., P. L., t. xvi, col., 1311, 1354, 1329. Saint Jérôme (voir t. ii, col. 2485), réfutant Vigilance, n’admet pas que les saints ne puissent plus maintenir au ciel les relations d’affection qu’ils ont pu avoir ici-bas. Epist., lxxv, n. 2, P. L., t. xxii, col. 686. Saint Augustin, quelles que soient les hésitations de sa pensée sur la nature du ciel (voir t. ii, col. 2485-2486), affirme que les élus o se connaîtront, non pas parce qu’ils verront la face les uns des autres (avant la résurrection), mais parce qu’ils verront comme les prophètes ont coutume de voir ici-bas et même d’une manière bien plus excellente. » Serm., ccxliii, c. vi ; cf. cccxvi, c. v, P. L., t. xxxviii, col. 1146, 1434. Cette certitude de la réunion des élus au ciel est un thème de consolation. Epist., xcii, n. 1, 2, P. L., t. xxxiii, col. 136. Pour éviter les répétitions, notons simplement encore la doctrine de saint Grégoire : « (Les bienheureux), dit-il, reconnaissent ceux qu’ils ont connus en ce monde, agnoscunt quos in hoc mundo noverant ; ils reconnaissent aussi, comme s’ils les avaient vus et connus, les bons qu’ils ne virent jamais » , velut visos ac cognilos agnoscunl. Dial., 1. IV, c. xxxiii ; cf. c. xxxiv, P. L., t. lxxvii, col. 373-376. Voir, reproduisant la doctrine de saint Grégoire, saint Julien de Tolède, Prognoslicon, 1. II, c. xxiv, P. L., t. xevi, col. 486 ; Haymon d’Halberstadt, De varietate librorum, 1. I, c. viii, P. L., t. cxviii, col. 882 ; Honorius d’Autun, Elacidarium, 1. III, n. 7, 8, P. L., t. clxxii, col. 1161-1162. Dans un sens plus strictement philosophique, signalons saint Paulin de Noie, pour qui J’âmc, en vertu de sa céleste origine, survit au corps et doit nécessairement conserver ses affections et ses sentiments comme elle conserve sa vie. Poemata, xviii, xxiv, P. L., t. lxi, col. 492, 620.

En ce qui concerne les Pères des Églises grecque et syrienne, nous n’avons que peu de chose à ajouter à l’art. Ciel, col. 2488-2492. De saint Jean Chrysostome, signalons tout particulièrement In Matlhxum, homil. xxxi, n. 4, 5, P. G., t. lvii, col. 374 sq., et les si touchantes consolations qu’il adresse île, vêcixepav /jripEuaaaav, P. G., t. i.xviii, col. 600 sq. Cf. pseudo-Athanase, Quxsliones ad Antiochum ducem, q. xxir, P. G., t. xxviii, col. 609-612. Saint Théodore Studite développe la même vérité en l’appuyant sur le fait du jugement dernier. Ce jugement ne peut avoir lieu qu’à la condition que tous les chrétiens se reconnaissent ; les douze apôtres, assis sur douze trônes, Matth., xix, 28, ne pourront juger les nations qu’à la condition de les connaître ; Job ne pourra recevoir le double de ses enfants, cf. Job, xlii, 10, 13, qu’à la même condition de les reconnaître pareillement. Il faut donc croire que « le frère reconnaîtra son frère, le père ses enfants, l’épouse son époux, l’ami son ami… ; tous nous nous connaîtrons, afin que l’habitation de tous en Dieu soit rendue plus joyeuse par ce bienfait, ajouté à tant d’autres, celui de nous connaître les uns les autres. » Serm. catech., xxii, P. G., t. xcix, col. 538, 539 ; cf. Epislolarium, 1. I, epist. xxix ; 1. II, epist. clxxxviii, ibid., col. 1005, 1573, 1577. Voir aussi Photius, Epist., 1. III, epist. lxiii, Tarasio palricio, jralri, P. G., t. en, col. 969 sq.

L’hagiographie, l’épigraphie, l’iconographie et plus encore la liturgie fournissent de nombreux témoignages concernant cette société céleste qui sera l’une des gloires accidentelles des élus. Voir Ciel. On lira, avec fruit, sur le même sujet, S. Bernard, Serm., ii, in nalali sancti Victoris, n. 3, P. L., t. clxxxiii, col. 374-375 ; Bossuet, Sentiment du chrétien louchant la vie et la mort, Œuvres complètes, Besançon, Paris, 1840, t. iv, p. 692 sq. — Les élus pourront-ils trouver quelque joie accidentelle du côté des habitants des limbes ? « On peut regarder comme… probable qu’il y aura des rapports d’amitié humaine entre (les enfants morts sans baptême) et les bienheureux, citoyens de la patrie céleste. Ceux-ci pourraient venir converser avec eux, les consoler, les instruire de bien des choses qui leur feront mieux connaître et aimer Dieu… Cette croyance, si elle ne peut s’appuyer sur aucun texte positif de la révélation divine, n’y rencontre non plus aucune contradiction positive. » De Smet, op. cit., t. i, p. 304, note.

S. Thomas, Sum. theol., 1> II*’, q. iv, a. 8 ; IIa-IIæ , q. xxvi, a. 13 ; In IV Sent, I. III’dist. XXXI, q, ii, a. 3 ; et les commentateurs ; Muratori, De paradiso regnique cœleslis gloria, Vérone, 1738 ; et, parmi les auteurs récents, Monsabré, Carême de 1889, Le ciel, n c point ; Élie Méric, L’autre vie, Paris, 1912, t. ii, c. ix ; Blot, Au ciel on se reconnaît, Paris, 1909.

III. Gloire consommée et accroissement de la gloire.

La gloire ou béatitude consommée consiste dans l’épanouissement complet de la gloire dans la nature humaine totalement reconstituée. La gloire consommée n’existera donc qu’après la résurrection. Cette vérité se trouve affirmée dans la tradition, mais non sous une forme toujours identique. Quelques Pères et écrivains ecclésiastiques, jugeant que le corps doit être réuni à l’âme pour que celle-ci puisse jouir de la gloire, ont reculé la vision béatifique elle-même jusqu’après la résurrection. Cette erreur a été condamnée par Benoît XII. Voir ce mot. Les autres, tout en admettant la doctrine catholique que Benoît XII devait promulguer, varient dans leur façon de s’exprimer touchant les rapports entre ce que nous appelons maintenant, avec nos formules théoloçiques précises, la gloire consommée et la gloire essentielle. La gloire consommée ajoute quelque chose à la gloire essentielle, voilà ce que tous sentaient et exprimèrent en des formules parfois équivoques et qu’on a tâché d’expliquer ailleurs. Voir Benoit XII, t. ii, col. 684-688.

Ce qui nous reste à faire ici, c’est donc la mise au point théologique de la différence qui existe entre l’une et l’autre gloire. Cette mise au point peut se résumer en deux propositions, dont la première est nécessaire à l’intelligence de la seconde :

V ? proposition : L’accroissement de la gloire accidentelle dans l’âme séparée du corps n’ajoute rien formellement à la gloire essentielle. — 1. Il peut y avoir, dans i âme séparée du corps, accroissement de gloire accidentelle.

— Saint Thomas, 7/i IV Sent., 1. IV, dist. XII, q. ii, a. 1, q. ii, prend occasion de la collecte de la inesse de saint Léon, pape : Annue nobis, Domine, ut animas famuli tui Leonis hsec prosil oblalio, pour expliquer comment nos prières, nos sacrifices, nos hommages peuvent concourir à la gloire des saints. « La gloire, dit-il, c’est la récompense des saints : or, cette récompense est double : c’est d’abord la joie essentielle qu’ils reçoivent de la divinité ; c’est ensuite une joie accidentelle qu’ils reçoivent de n’importe quel bien créé. Quant à la joie essentielle, selon l’opinion plus probable, ils ne peuvent recevoir d’accroissement ; quant à la joie accidentelle, cela leur est possible, du moins jusqu’au jour du jugement. Comment, s’il n’en était pas ainsi, leur joie s’accroîtrait-t-elle de la gloire de leur corps ? Aussi leur gloire s’accroît par tous les bienfaits qu’ils nous procurent, les anges du ciel se réjouissant eux-mêmes de la pénitence d’un seul pécheur, Luc, xv, 10 ; et ainsi les saints se réjouissent de tout ce qui se fait en l’honneur de Dieu, et surtout de tout ce par quoi nous rendons grâces à Dieu de leur gloire. » Et le saint docteur conclut qu’il ne peut s’agir, lorsqu’on parle de l’accroissement de la gloire des élus, que d’un accroissement de gloire accidentelle. Cf. Sum. theol., I*, q. lxii, a. 9, ad 3°’°. La raison théologique démontre la possibilité d’un tel accroissement. La gloire a son principe formel dans la connaissance, clara cum laude nolitia. Or, nous l’avons vu, l’intelligence de l’âme séparée garde, même concomitamment avec la vision béatifique, ses opérations propres. D’une part, tant de sujets de gloire, en dehors de Dieu, subsistent sur lesquels l’intelligence pourra s’arrêter. Ces sujets sont multiples. Sans compter le souvenir de ses bonnes actions accomplies ici-bas, l’âme bienheureuse pourra connaître, par une révélation progressive, voir plus haut, col. 1407, les choses qui la concernent, les témoignages qu’on rend à son mérite, les prières qu’on lui adresse, les hommages qu’on lui rend. Cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. ix, x. Sa gloire accidentelle croîtra donc en proportion de ces révélations. Elle croîtra surtout en raison des joies qu’apportera aux élus la société des saints, S. Augustin, Enarr. in ps. CXLVII, n. 6, 9, 13, P. L., t. xxxvii, col. 1918, 1920, 1922 ; S. Bernard, In festo omnium sanctorum, serm. v, n. 6, P. L., t. clxxxiii, col. 478 ; cf. Billot, op. cit., §2 ; et dans cette société tout particulièrement la vue du corps glorieux de Notre-Seigneur. S. Thomas, In IV Sent., 1. I, dist. I, q. i, a. 1, ad 3 am ; 1. III, dist. I, q. i, a. 3, ad 6um. D’autre part, l’éternité participée, qui est celle des saints, si elle exclut la multiplicité de la succession des opérations de la béatitude essentielle, voir Éternité, t. v, col. 919, et Intuitive (Vision), n’exclut pas la multiplicité et la succession des opérations naturelles, qui sont la béatitude accidentelle. Donc, rien ne s’oppose, chez les âmes séparées, à un accroissement de béatitude accidentelle.

Les théologiens discutent pour déterminer le principe de cet accroissement. Les uns prétendent que, par rapport à la gloire accidentelle, les élus sont encore capables de mérite. Les autres rejettent cette opinion comme moins probable, cf. S. Thomas, Sum. theol., T, q. lxii, a. 9, ad 3°" ; In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. ii, a. 1, q. vi, et placent le principe de cet accroissement dans la vertu même de la béatitude. Voir Mérite.

2. L’accroissement de gloire accidentelle n’ajoute rien formellement à la gloire essentielle. — C’est la doctrine commune, empruntée à saint Thomas par tous les théologiens qui ont étudié la question. Tous les biens créés qui peuvent être un sujet de gloire acci dentelle pour les élus sont renfermés en Dieu, qui est la source de tous biens, n’ont de valeur pour les élus que parce qu’ils valent en Dieu, et, de même que Dieu n’ajoute rien à sa gloire et à sa béatitude en donnant l’être aux créatures qui le glorifient, de même l’élu n’ajoutera rien à l’élément formel de sa gloire essentielle, c’est-à-dire à la vision et à l’amour béatifique, par l’accroissement de sa gloire accidentelle : Cum bcaliludo nihil sil aliud quam adeplio boni perfecti, quodeumque aliud bonum supcraddatur divinse visioni aul jruilioni, non faciet mugis beatum ; alioquin Dcus esscl foetus bcatior condendo creaturas. S. Thomas, De malo, q. v, a. 1, ad 4° m. Et In IV Sent., 1. IV, dist. XLV, q. ii, a. 2, q. iv, ad 3°", le même auteur explique, à cause du même principe, que les saints du ciel, quamvis de omnibus bonis noslris gaudeant, non tamen sequitur quod mulliplicalis nostris gaudiis eorum gaudium augmentetur formalilcr, sed materiediter lantum. Il n’y aura pas plus dejoie, il y aura plus de sujets de joie. L’accroissement de gloire ne fera donc qu’augmenter les motifs de gloire, mais non la gloire elle-même : c’est là ce que les théologiens veulent dire, en affirmant que l’accroissement de gloire accidentelle est purement matériel par rapport à la gloire essentielle.

2e proposition : L’accroissement de gloire qui résultera de la réunion de l’âme au corps sera un accroissement de gloire purement accidentelle. — En ce qui concerne la gloire du corps ressuscité, la question ne se pose plus de la même façon que pour la gloire accidentelle de l’âme séparée. Nous n’avons pas à rappeler ici les opinions et les discussions des théologiens touchant le principe des qualités des corps des élus. Voir Jean de Saint-Thomas, De adeplione bcatitudinis, disp. II, a. 9, n. 4-15. A l’art. CoRrs glorieux, t. iii, col. 19001902, on a exposé la doctrine communément admise, que la gloire essentielle de l’âme, la vision béatifique, rejaillissant sur le corps, lui conférait ces qualités : Quod corpus gloriosnm crit omnino subjeelum animée rationali, non solum ut nihil in eo sit quod résistât spirilui, quia hoc juil ctiam in corpore Adæ, sed eiiam ut sit in eo aliqua perfeclio ef/lucns ab anima glorificata in corpus, per quam habile redditur ad prsedictam subjeelionem, quæ quidem perfeclio, dos glorificali corporis dieitur. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV, q. ii, a. 3, q. i. Mais si la gloire du corps n’est qu’un rejaillissement de la gloire de l’âme, n’apportera-t-elle pas un accroissement réel à la gloire essentielle ? Benoît XII, voir t. il, col. 686, n’a pas tranché dogmatiquement la question. On ne peut dire cependant que ce soit un problème librement débattu : aujourd’hui la réponse négative est la doctrine communément admise. Mais il n’en a pas été toujours ainsi. 1. Ancienne opinion de saint Augustin, de saint Bernard et de quelques scolasliques. — Saint Augustin a proposé une théorie assez différente. Pour lui, les anges seuls jouissent pleinement de la gloire essentielle, les âmes n’auront cette gloire pleinement qu’après la résurrection ; jusque-là, retardées par leur attrait naturel vers le corps, elles jouissent de la vision intuitive, mais d’une façon incomplète. Voir Augustin (Saint), t. i, col. 2447, et Benoit XII, t. ii, col. 686. Saint Bernard a une doctrine analogue. Voir Bernard (Saint), t. ii, col. 781 ; Benoit XII, t. ii, col. 689-690, et la note de Mabillon dans la P. L., t. clxxxiii, col. 465. On en trouve des échos jusque chez les docteurs du moyen âge, Haymond d’Halberstadt, Exposilio in Apocalypsim, ]. II, c. xvi, P. L., t. cxvii, col. 1027 ; Pierre Lombard, Sent., 1. IV, dist. XIXL, n. 5, P. L., t. cxcii, col. 959 ; S. Bonaventurc, In IV Sent., dist. XLIX, part. II, a. 1, q. i, lequel affirme que la glorification des corps apportera un accroissement de gloire essentielle ex conscqucnli ; S. Thomas lui-même, ibid., q. i, a. 4, q. I, et IIP Suppl., q. xciii, a. 1 : Anima separata naturaliter appétit corporis conjunclionem et propter hune appelitum… ejus operalio qua in Dcum jertur est mjxus intensa… Cependant, In IV Sent., 1. IV, dist., XII, q. ii, a. 1, q. ii, saint Thomas appelle l’opinion opposée probabiliorcm. Cf. Richard de Middletown, In IV Sent., dist. XLIX, a. 2, q. vu ; Marsile d’Inghem, ibid., q. xiii, a. 3 ; Henri de Gand, Quodl., VII, q. vi. Suarez, De ultimo fine hominis, disp. XIII, sect. ii, n. 2, fait remarquer que les lettres d’union du concile de Florence pourraient être interprétées en ce sens ; voir les Actes concernant la question du purgatoire dans Mansi, Concil., t. xxxi, col. 488489. Tous ces auteurs s’appuient sur l’autorité de saint Augustin.

2. Opinion singulière d’A. Toslal. — Notons en passant, sur ce point, l’opinion assez singulière d’Alphonse Tostat, dans son commentaire sur l’Évangile de saint Matthieu, c. v, q. lxiii : l’âme dégagée du corps est, pour lui, plus apte à la vision béatifique qu’unie au corps qui l’alourdit et la retarde. La gloire essentielle subirait donc une espèce de diminution au moment de la résurrection.

3. Doctrine aujourd’hui communément reçue. — Saint Thomas s’est rétracte dans la Somme théologique. Cf. Cajélan, In I"’" II", q. iv, a. 5. Essentiellement, la gloire des élus demeure la même avant et après la résurrection des corps : il y a accroissement en extension, mais non en intensité, P II æ, q. iv, a. 5, ad 5° m ; l’âme, avant la résurrection, jouit pleinement de Dieu, mais avec le désir que cette plénitude rejaillisse, lorsque ce sera possible, sur le corps. Ibid., ad 4 U ". Ont enseigné la même doctrine parmi les scolastiques, Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. vu ; Pierre de la Palu, ibid., q. vi ; J. Major, ibid., q. xiii ; Gabriel Biel, Suppl., q. v, a. 2 ; D. Soto, q. ii, a. 4, etc. La gloire consommée, dans cette opinion, n’ajoute donc à la gloire essentielle qu’un accroissement d’extension, c’est-à-dire un accroissement tout accidentel par rapport à la vision béatifique, qui est l’essence même de la gloire.

Cette controverse est depuis longtemps oubliée ; les plus grands commentateurs de saint Thomas n’en parlent pas ou la notent à peine en passant. Bellarmin la signale, De sanctorurn beatiludine, c. v ; Suarez lui consacre une brève discussion, De fine ultimo hominis, disp. XIII, sect. n ; et les manuels de théologie la passent ordinairement sous silence. Le cardinal Billot, De novissimis, Rome, 1903, thés, ix, § 1, a résumé en quelques lignes les raisons qu’apportent en faveur de la doctrine aujourd’hui reçue Bellarmin et Suarez, loc. cit., n 4-6, et Lessius, De summo bono, 1. III, c. n. Si le corps pouvait influencer par sa présence ou son absence l’intensité de la vision béatifique, il faudrait, en premier lieu, admettre avec Tostat une diminution de gloire plutôt qu’un accroissement, au moment de la résurrection ; la même diminution se produirait chez les anges, envoyés en mission sur terre. La coexistence de la douleur et de la joie béatifique serait aussi impossible dans le Christ. Il faudrait admettre que la vision intuitive peut recevoir un accroissement d’intensité ; or, cela n’est possible ni ex parie objecti, ni ex parle luminis gloriæ, ni ex parte potentiæ, comme on le démontrera à l’art. Intuitive (Vision). Donc l’âme possède, dès le premier instant de la béatitude, toute la substance de la gloire, selon le mode propre a l’éternité participée.

Conclusion.

En rapprochant les deux propositions

précédentes nous arrivons à cette conclusion que la gloire consommée est substantiellement la même que la gloire essentielle. Sans doute, elle y ajoute quelque chose de très réel, à savoir la gloire accidentelle des corps glorifiés. Mais cette addition est purement matérielle ; c’est un objet de plus auquel le même élément formel, toujours identique à lui-même, de la gloire essentielle, c’est-à-dire la vision béatifique, apporte son rayonnement et sa splendeur. Si notre raison trouve quelque difficulté à admettre ces explications, c’est que, le corps faisant partie intégrante de la nature humaine, il nous semble que la gloire de cette nature ne soit complète que par la glorification du corps. Mais il suffira, pour dissiper celle équivoque, de se reporter aux principes philosophiques exposés à l’art. Béatitude, t. il, col. 511 ; la béatitude parfaite ne pouvant consister que dans une opération de l’âme, le corps n’est pas requis pour elle. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I" II æ, q. iv, a ; 5, 6.

IV. Degrés de la gloire. —

Le mot fin dernière peut être pris dans deux acceptions différentes : lin dernière objective, ou souverain bien dont la possession assure aux élus la gloire ou béatitude ; fin dernière subjective formelle, ou relative, c’est-à-dire la possession elle-même du souverain bien par les élus. Voir Fin dernière, t. v, col. 2496. Sous le premier aspect, tous les élus ont la même fin dernière, et, par conséquent, participent à la même gloire ; sous le second aspect, la possession de la fin dernière comporte différents degrés proportionnés aux moyens de chacun des élus. S. Thomas, Sum. theol., P II* q. v, a. 2. Les théologiens envisagent les degrés de la gloire à un double point" de vue : 1° dogmatique, existence même de ces degrés, et c’est la question qui rentre dans l’objet de cet article ; 2° théologique, explication de la différence qui existe au ciel entre les élus et qu’on rapporte à la vision intuitive et à la lumière de la gloire qui accompagne nécessairement cette vision, considérées soit seules, soit par rapport à l’intelligence qu’elles perfectionnent. Cette deuxième question sera traitée à Intuitive (Vision).

L’existence de différents degrés dans la gloire des élus, niée directement par Jovinien, au ive siècle, indirectement par Luther au xvie, a été authentiquement définie par le concile de Florence, dans le décret d’union, Denzinger-Bannwart, n. 693 ; elle est supposée par le concile de Trente, De juslificatione, can. 32, n. 842. Elle est affirmée : 1° par l’Écriture ; 2° par la tradition ; 3° par la raison théologique. Mais cette affirmation a été exagérée par certains auteurs dans le sens d’une inégalité nécessaire entre chacun des élus.

    1. IDÉMONSTRATION HE LA DOCTRINE CATHOLIQUE##


IDÉMONSTRATION HE LA DOCTRINE CATHOLIQUE. —

î ° L’Écriture. — On trouve l’inégalité des degrés de la gloire des élus : 1. explicitement enseignée par Joa., xiv, 2 ; I Cor., xv, 41, rappelant qu’il y a « plusieurs demeures dans la maison du Père céleste » et que les différences de gloire des élus ressucités sont comparables aux différences d’éclat du soleil, de la lune, des étoiles ; 2. expressément supposée, chaque fois qu’il est question de rendre à chacun, au dernier jour, dans la proportion de ses bonnes œuvres, Matth., xvi, 27 ; I Cor., ni, 8 ; II Cor., ix, 6 ; la gloire au ciel est, en effet, un véritable salaire, Matth., v, 12 ; x 42 ; xix, 17 ; xx, 8 ; II Tim., iv, 8 ; II Joa., 8 ; Apoc., xxii, 12 ; 3. indiquée sous forme d’analogie dans certaines comparaisons et paraboles, Dan., xii, 3 ; Is., lvi, 5 ; Matth., vii, 1, 2 ; x, 41 ; xiii, 3-9, cf. col. 1405 ; Marc, iv 24 ; Luc, , vi, 38 ; xix, 16-20 4. implicitement affirmée dans l’inégalité des peines de l’enfer. Luc, xii, 47, 48 Apoc, xvii, 7 ; cf. Enfer, t. v, col. 113

Jovinien, au dire de saint Jérôme, Adversus Jovinianum, 1. II, n. 3, P. /, ., t. xxiii, col. 285, 286, enseigna l’égalité de la récompense pour tous les élus, en prétendant s’appuyer sur l’autorité de Matth., xx, 1-16. Il s’agit de la parabole où les ouvriers, venus dans la vigne du père de famille à différentes heures de la journée, reçoivent indistinctement le même salaire pour des durées fort inégales de travail. On n’a pas à faire ici l’exégèse de cette parabole : il suffit d’expliquer le sens allégorique du denier, salaire dé tous les ouvriers sans exception. Sans s’arrêter à l’interprétation singulière de Vasquez, In I" 1 Sum. S. Thomie, disp. XLVII, c. ni, lequel n’admet la récompense que pour les derniers venus, et veut que les premiers « appelés » n’aient pas été « élus » , c’est-à-dire sauvés, on peut dire avec l’unanimité morale des Pères et des théologiens que le denier représente la béatitude objective, égale pour tous, et non la béatitude subjective, formelle ou relative, dans laquelle seule les inégalités peuvent se produire. Cf. S. Thomas, Sum. theol. I 1, II’1’, q. v, a. 2, ad 1’"" ; Bellarmin, De sanctorum bcoliludine, c. v. Voir l’explication de la parabole, à ce point de vue théologique, dans Suarez, De Deo uno, 1. II, c. xx, n. 8-20 ; cet auteur trouve même dans la différence de traitement indiquée par les termes primi et novissimi une preuve directe de l’inégalité de la gloire chez les élus, n. 20. D’ailleurs, dans l’explication d’une parabole, il n’est pas nécessaire que chacune des phrases de la parabole trouve son application particulière ; il suffit que l’enseignement général soit donné. S. Jean Chrysostome, In Maith., homil. lxiv, n. 3, P. G., t. lvii-lviii, col. 612. Or, dans la parabole des ouvriers, il n’entre pas dans la pensée de Jésus d’enseigner la répartition des récompenses proportionnellement aux mérites de chacun, mais de rappeler que la gloire du ciel ne doit pas se mesurer à l’ancienneté de la vocation, ni à la durée du travail, mais à la fidélité à cette vocation et à la ferveur avec laquelle on remplit son devoir. Suarez, loc. cit. ; cf. Salmanticenses, De visione Dci, disp. V, n. 4 ; Becan, Theologiæ scholaslicæ, part. I, tr. I, c. ix, q. ix, n. 3 ; Petau, De Deo Deique propriclalibus, I. VII, c. xi, n. 5. Les murmures des ouvriers, la réponse du père de famille expliquant l’égalité du salaire par son seul bon plaisir, ne s’opposent pas à cette interprétation générale du denier, Maldonat, In h. I. ; Suarez, loc. cit., et n’ont été introduits dans la parabole que pour provoquer la réponse du père de famille. Knabenbauer, In Evangelium Malthsei, Paris, 1892, p. 176-177. Ces murmures n’indiquent donc pas une tristesse ou une envie quelconque chez les élus. S. Jean Chysostome, loc. cit. Cf., pour l’interprétation de la parabole, Jean de Saint-Thomas, Cursus théologiens, disp. XV, a. 6, n. 39 ; Hurter, Theologise dogmaticx compendium, t. iii, n. 840 ; Petau, op. cit., c. xi, en entier ; Knabenbauer, op. t/7., p. 171 sq. Il faut se rappeler que la leçon, avec la menace qu’elle renferme, est donnée directement aux juifs, les appelés de la première heure ; voir, dans leurs commentaires, Corneille de la Pierre ; dom Calmet, Van Steenkiste, Schegg ; mais elle doit s’appliquer également à tous les hommes, S. Jean Chrysostome, loc. cit., n. 4, et aux apôtres eux-mêmes. Cf. Fillion, Évangile selon S. Matthieu, Paris, 1898, p. 390.

La tradition.

L’erreur de Jovinien fut, dès

son apparition, notée comme telle. Quelques scolastiques, et, en particulier, les Salmanticenses, loc. cit., n. 1, affirment que cette erreur fut condamnée au concile de Télepte. C’est une erreur. Voir Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. ii, p. 73. Il s’agit d’une lettre synodale du concile de Milan, en 390, lettre très probablement écrite par saint Ambroise et adressée au pape Sirice. Hefele, loc. cit., p. 78 ; Mansi, Concil., t. iii, col. 689. Cette lettre décrit ainsi l’hérésie de Jovinien, en ce qui concerne la gloire des élus : Agreslis ululatus est… diversorum gradus, abrogare meritorum et pauperlalem qu.amd.am cœlestium remuneralionum inducere, quasi Christo una sit palma, quam tribuit, ac non plurimi abundent tituli præmiorum, n. 2, P. L., t. xvi, col. 1124. Cette lettre est, du moins, un témoignage authentique de la tradition catholique. Jovinien d’ailleurs avait été condamné pour cette erreur au

concile de Rome de la même année et le concile de Milan ne faisait que renouveler la condamnation portée à Rome. Voir Hefele, loc. cit. Le témoignage de saint Jérôme, Adversus Jovinianum, 1. II, n. 34, P. L., t. xxiii, col. 333, est tout aussi concluant. L’argumentation du saint docteur est fondée, non seulement sur la raison théologique ; mais sur l’autorité de l’Écriture. Matth., xx, 25, 26 ; Joa., xiv, 2 ; I Cor., xv, 41.

C’est surtout en commentant Joa., xiv, 2, et I Cor., xv, 41, que les Pères ont proposé la doctrine authentique sur ce point. — 1. Sur Joa., xiv, 2, voir S. Augustin, In Joanncm, tr. LXVIII, n. 2, P. L., t. xxxv, col. 1812 ; cf. De sancta virginitate, c. xxvi, P. L., t. xl, col. 410 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Joannis Evangelium, P. G., t. lxxiv, col. 181 sq. ; Tertullien, Adversus gnosticos scorpiace, c. vi, P. L., t. ii, col. 134 ; De monogamia, c. x, P. L., t. ii, col. 942 ; S. Cyprien, De habilu virginum. n. 23, P. L., t. iv, col. 463, qui ajoute à son commentaire cette remarque, que si le Christ a dit qu’il y a plusieurs demeures dans la maison de son Père, c’est pour nous exciter à mériter les meilleures ; cf. De exhortatione marlyrii, c. xii, xiii, P. L., t. iv, col. 673 sq. ; S. Hilaire, Tract, in ps. lxi v, n. 5, P. L., t. ix, col. 415 ; S. Ambroise, De bono mortis, c. xii, n. 53, P. L., t. xiv, col. 564 ; cf. In Lucam, 1. V, n. 62, P. L., t. xv, col. 1653 ; S. Prosper, Sententiarum, 364, P. L., t. li, col. 846 ; S. Grégoire le Grand, Moral., 1. IV, c. xxxvi, P. L., t. lxxv, col. 677 ; 1. XXXV, c. xix ; cf. In Ezechielem, 1. II, homil. iv, n. 6, P. L., t. lxxvi, col. 777, 977. — 2. Sur I Cor., xiv, 41, voir S. Basile, De Spirilu Sanclo, c. xvi, P. G., t. xxxii, col. 133 sq. ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Episl. I ad Cor., P. G., t. lxxiv, col. 905 ; S. Jean Chrysostome, In I" m ad Cor., homil. xli, n. 2, 3, P. G., t. lxi, col. 358 sq. ; Théodoret, Interpretatio Episl. Ie ad Cor., P. G., t. lxxxii, col. 365 ; Tertullien, Adversus gnosticos scorpiace, loc, cit. ; De resurreclione carnis, c. lii, P. L., t. ii, col. 872 ; S. Hilaire, Tract, in ps. lxiv, P. L., t. ix, col. 416 ; S. Augustin, De sancta virginitatc, loc. cit. ; In Joannem, tr. LXVTI, n. 1, P. L., X. xxxv, col. 181 ; S. Jérôme, Adversus Jovinianum, loc. cit. ; S. Fulgence, Ad Trasimundum, 1. III, c. iv, De Trinitate, c. xiii, P. L., t. lxv, col. 271, 508 ; S. Grégoire le Grand, Moral., l.XXXV.c.xix, P. L., t. lxxvi, col. 778 ; S. Bernard, Apologia ad Gullielmum, c. iv, n. 9, P. L.. t. clxxxii, col. 904. S. Thomas explique le texte île saint Paul des différences des seuls corps glorifiés. In 7°" ad Cor., c. xv, lect. vi.

Le -P. Petau, De Deo Deique proprietalibus, 1. VII, c. x, se demande si Origène ne serait pas tombé dans l’erreur de Jovinien. Voici la traduction latine du texte incriminé : Ego exislimo in ipso statim initio bcatitudinis, qua jruuntur ii qui salvi fiunt, quoniam nondum purgali sunt gui taies non sunl, inde oriri illam luminis bealorum diflcrcntiam ; sed postquam a loto Christi regno omnia collecta jueriid scandala, quemadmodum supra a nobis traditum est, parientesque iniquilatem cogilaliones in fornacem ignis fuerinl conjectie delerioraque absorpta et intérim ad se redierinl hi qui sermones mali filios admiserant, tune fulurum est ut in Palris sui regno fulgeanl justi, unum solare facti. In Matth., tom. x, n. 3, P. G., t. xiii, col. 841. Ce texte semble plutôt, et c’est aussi la remarque de Petau, loc. cit., refléter l’erreur de’apocalastase. Voir Enfer, t. v, col. 58. Entre les élus et les damnés, qui taies non sunt, il y a au début du bonheur des élus, une différence ; mais après la purification des damnés, la même lumière resplendira en tous. Il s’agit de la gloire objective et non de la gloire formelle. Entre les élus eux-mêmes, parce qu’ils sont tous soumis à une purification au jugement, il y a au début une différence. Voir Feu du jugement, t. v, col. 2241. Cf. A. Michel, Origène et le dogme du purgatoire, dans les Questions ecclésiastiques, 1913, t. il, p. 407.

3° La raison théologique s’appuie sur cette vérité que la gloire correspond à la grâce et que grâce et gloire sont l’objet du mérite. A des mérites égaux, à des degrés de grâce différents correspondront par conséquent des degrés de gloire différents. Cf. S. Thomas, Sum. theol.. V IV, q. exiv, a. 3, ad 3°" ; In IV Sent., 1. II, dist. XXVII, q. i, a. 3 ; a. 5, ad 1

Cette raison théologique n’a aucune valeur pour Luther et ses disciples, à cause du système protestant touchant le principe de la justification. Voir ce mot. En résumé, pour Luther, il n’y a pas de véritable justice en nous-mêmes ; nous ne méritons d’être appelés justes que par l’imputation des mérites du Christ. Or la justice du Christ est égale pour tous. La conclusion d’un tel principe est que les élus, ne devant rien à leur propre mérite, mais tout au Christ, jouiront tous et chacun du même degré de gloire dans le ciel. On exposera et réfutera à Justification le faux principe adopté par Luther.

Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 2, ajoute à la raison théologique générale, une raison particulière tirée de la liturgie : « L’Église, dit-il, rend des honneurs très différents aux différents saints ; elle vénère la bienheureuse Vierge par-dessus les anges et les saints ; elle accorde aux apôtres un honneur plus élevé, et elle en agit de même à l’égard de quelques élus qu’elle paraît mettre à part. » Il y a là une simple indication, non un argument véritable.

I. EXAGÉRATION DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE.

Quelques théologiens, notamment Pierre de la Palu, cité par Suarez, De allribulis negalivis Dei, c. xx, n. 2, prétendent que l’inégalité des degrés de gloire chez les élus est telle que le même degré de gloire ne pourra pas être commun à plusieurs élus. Une telle opinion, en soi plausible, paraît cependant devoir être rejetée comme exagérée et trop absolue. En ce qui concerne les adultes en effet, nous ne pouvons rien affirmer de précis ; mais rien ne s’oppose à ce que deux âmes se présentent au tribunal de Dieu avec les mêmes mérites et le même degré de grâce et, par conséquent, reçoivent le même degré de gloire. Quant aux enfants morts avec le baptême ou martyrisés avant l’âge de raison, on ne voit pas quel pourrait être, entre eux, le principe d’une inégalité de gloire.

L’argument de Pierre de la Palu repose sur Luc, xx, 36 : Si les hommes sont égaux dans le ciel aux anges, les anges différant entre eux spécifiquement, il doit en être de même des hommes. Tout d’abord, il n’est pas certain que les anges soient tous inégaux en gloire, Suarez, loc. cit., n. 7 ; la différence spécifique des anges entre eux n’est qu’une opinion et ne concerne que l’ordre naturel. Voir Angélologie, t. i, col. 1230. Ensuite, la prédestination des hommes à la gloire peut être indépendante du fait de la chute des anges ; si les hommes tiennent dans le ciel la place des anges déchus et sont par là les égaux des bons anges, c’est peut-être simplement per accidens ; d’où il suit que, même en admettant comme vérité certaine l’inégalité des anges entre eux, aussi bien dans l’ordre surnaturel que dans l’ordre naturel, la même conclusion ne s’imposerait pas pour les hommes.

D’autres théologiens s’emparent de I Cor., xv, 41, et prétendent qu’aucune égalité n’existant entre le soleil, la lune et les étoiles, il ne peut en exister dans les degrés de la gloire céleste, dont l’éclat de ces astres est l’image. C’est trop presser la comparaison de saint Paul ; la grandeur mathématique et l’éclat respectif des astres n’ont rien de commun avec les degrés de gloire des élus. Suarez, loc. cit.

S. Thomas, In Evangelium Joannis, c. xiv, lect. i ; Sum. theol., la II-, q. v, a. 2 ; q. exiv, a. 3 ; In IV Sent., 1. II,

dist. XXVII, q. i, a. 3, 5 ; et surtout 1. IV, dist. XLIV, q. i, a. 4, q. ii, iii, iv ; Suarez, De Deo uno, 1. II, De atlributis negalivis Dei, c. xx ; Jean de Saint-Thomas, Cursus tlieologicus, q. xii, part. I, disp. XV, a. 6 ; Salmanticenses, Cursus tlieologicus. De visione Dei, tr. II, disp. V, dub. i ; Pctau, Theologica dogmata, De Deo Deique proprictatibus, I. VII, c. x, xi ; C. Pesch, Prwlectiones dogmaticiv, t. iii, n. 517-520 ; Hurter, Theologùv dogmaticæ compendium, t. iii, tlies. ccLxxvi, n. 838 ; Jungmann, De novissimis, Ratisbonne, 1871, n. 140, 141, 142, 154,

V. Gloire et grâce, et questions connexes.

Nous ne donnerons ici que quelques brèves indications, toutes les questions touchées devant être exposées aux art. Grâce, Mérite et Prédestination.

1° Gloire et grâce. —

1. Existence d’un rappoil entre la gloire et la grâce. — Rappelons les principes, qui seront développés à l’art. Grâce. La grâce est la vie éternelle dans son principe, Rom., vi, 23 ; la participation à la nature même de Dieu, II Pet., i, 3-11, et, par conséquent, le principe d’une activité, d’une vie nouvelle d’un ordre surnaturel, créé en nous à l’image même du Christ Homme-Dieu, Rom., vi, 4 : II Cor., v, 17 ; Col., ni, 3, et qui doit aboutir à l’état de gloire dans la société des élus. Rom., vi, 22 ; I Cor., i, 9 ; cf. I Joa., i, 3 ; Terrien, La grâce et la gloire, t. i, 1. II, c. n. La grâce est donc le principe de la gloire, puisqu’elle est le principe des opérations d’ordre surnaturel, vision, jouissance, amour, qui constituent voir col. 1395 sq., la gloire essentielle des élus et c’est pourquoi dès ici-bas la pratique des vertus est déjà en quelque sorte une gloire. Eccli., i, 11 ; xxiii, 38. Plus le principe sera puissant, plus les opérations seront intenses : plus la grâce sera abondante, plus la gloire sera parfaite. Il y a donc correspondance entre l’une et l’autre ; grâce et gloire « se rapportent [donc] au même genre, la grâce n’étant en nous que le commencement de la gloire, » S. Thomas, Sum. theol., II" 1P’, q. xxiv, a. 3, ad 2°’" ; la gloire < étant une grâce à son état d’achèvement et de perfection, » Catechismus concil. Trid., De oral, dom., p. iv, le degré de gloire sera proportionné au degré de grâce, et tout accroissement de grâce comportera un accroissement de gloire. Concile de Trente, De justificatione, can. 32, Denzinger-Bannwart, n. 842.

2. Nature de ce rapport.

a) Dans cette vie. — a. Ce n’est évidemment pas un rapport d’identité ; dans cette vie, en effet, il n’y a pas de gloire, parce que c’est la demeure qui passe, le voyage vers la patrie, II Cor., v, 1-3 ; cf. I Cor., xiii, 9, 12 ; Rom., viii, 18, 23 ; Heb., xiii, 14 ; le temps du labeur et du combat, que doit suivre l’éternité de récompense dans la gloire. I Pet., i, 3 sq. ; II Tim., ii, 1 sq. ; cf. I Cor., xv, 19 ; vu, 27 sq. La gloire n’est ici-bas le partage de personne, du moins d’une façon permanente ; l’erreur des béghards sur ce point a été condamnée au concile de Vienne, Denzinger-Bannwart, n. 474 ; voir lh’; r, HARDs, t. ii, col. 532 ; ce n’est qu’au ciel, après la mort, que la gloire pourra être possédée dans la vision béatifique.Denzinger-Bannwart, n.530 ; voirBENOiTXII, t. ii, col. 657 sq. Sur les exceptions possibles de la sainte Vierge, de Moïse, de saint Paul, de saint Benoit, et sur la gloire dont le Christ jouissait nonobstant sa condition mortelle, voir Intuitive (Vision). D’ailleurs la théologie de la gloire et celle de la grâce nous montrent l’identification de la gloire et de la grâce comme impossible. L’ordre de la grâce est constitué par l’habilus qu’on appelle substanlivus (non qu’il soit ontologiquement une substance, mais parce qu’il réside dans l’essence même de l’âme) de la grâce habituelle, d’où découlent, perfectionnant les puissances de l’âme, les habitas operativi des vertus infuses, lesquels disposent l’âme aux actes surnaturels, et les dons du Saint-Esprit. Or, la gloire est formellement constituée, non par un habitus, mais par une opération de l’âme. Voir plus haut, col. 1401. — b. Étant donné que l’opération qui constitue la gloire est causée par la puissance d’agir, perfectionnée ici par les habilus de l’ordre surnaturel, la gloire se trouve donc, par rapport à la grâce, dans un rapport qu’on peut ramener au rapport d’elîet à cause. La grâce est donc vraiment cause physique de la gloire, dans l’ordre de la cause vraiment efficiente, à la différence des bonnes œuvres qui ne causent la grâce et la gloire que méritoirement. Il n’est pas besoin d’une nouvelle acceptation de l’âme par Dieu à la gloire ; cf. S. Thomas, Sum. theol., V’IV, q. exi, a. 5 ; q. exiv, a. 3, à la filiation naturelle correspond le droit â l’héritage ; mais la grâce constitue l’homme fils adoptif de Dieu et lui confère un droit connaturel à l’héritage du ciel ; et, comme l’homme n’est pas naturellement capable d’hériter du ciel, la grâce lui confère par elle-même cette capacité, en communiquant â l’âme une qualité surnaturelle que l’âme ne possédait point, et qui la rend formellement, quoique analogiquement, participante à la nature divine. Cf. Rom., viii, 16-18 ; Billot, De gratia, Rome, 1912, p. 136-137 ; Salinanticenses, Cursus theologicus, tr. XIV, De gratia Dei, disp. IV, dub. ii, § 2, n. 29.— c. Mais si la grâce contient la gloire comme la cause contient l’effet, il faut cependant dire que le rapport de cause à effet n’est encore ici-bas que virtuel, d’autant plus que, si la grâce rend par elle-même, sans acceptation nouvelle de Dieu, l’homme apte à la gloire, l’obtention actuelle de la gloire nécessitera une nouvelle intervention de Dieu. La gloire est constituée par une opération qui requiert, dans l’âme glorifiée, l’infusion d’un nouvel habilus, voir col. 1401, et Intuitive (Vision), la lumière de la gloire. Dieu peut, de puissance absolue, refuser cette intervention et de même qu’il produit et conserve la grâce dans l’homme sur cette terre sans la gloire, il pourrait à la rigueur le faire dans l’autre vie. A l’inverse, on peut concevoir la possibilité absolue d’une gloire conférée par Dieu à une âme dépourvue de la grâce, parce que l’opération qui naturellement provient de Yhabitus surnaturel, peut provenir d’une simple motion actuelle par laquelle Dieu élèverait transitoirement les facultés de l’âme ; mais un tel mode d’agir serait violent et en dehors des voies posées par la sagesse et la justice divines. Suarez, De gratia, . VIII, c. iii, n. 12 ; Salmanticenses, loc. cit. Il faut conclure avec saint Thomas, Sum. theol., I a II æ, q. exiv, a. 3, ad 3’"", que, dès cette vie, la grâce contient virtuellement la gloire et se trouve par rapport à cette gloire dans la relation de cause à effet et que, par là même, elles sont l’une et l’autre dans le même genre ou plutôt, comme il s’agit ici de l’ordre surnaturel qui échappe à nos classifications scolastiques, qu’on peut les réduire au même genre. Cf. Cont. génies, 1. IV, c. xxiv.

b) Dans l’autre vie. — Le rapport de la grâce à la gloire restera substantiellement le même, mais il ne s’agira plus ici d’un rapport virtuel de causalité, puisque la grâce produira actuellement la gloire. L’union physique de l’une et de l’autre n’en sera que plus affirmée. La gloire actuellement possédée apportera-t-elle des modifications à la grâce ou plutôt à l’ordre surnaturel de la grâce ? c’est ce qu’il convient de rechercher brièvement en exposant ce que l’état de gloire, par rapport à l’ordre présent de la grâce, ajoute, supprime, conserve en le modifiant.

a. Ce que l’état de la gloire ajoute. — La vision béatifique requiert l’infusion d’un nouvel habitus surnaturel, la lumière de la gloire, dans l’intelligence glorifiée, voir Intuitive (Vision) ; dans la volonté, nul habitas nouveau ; pour aimer Dieu et en jouir dans la gloire, la charité consommée dans cette gloire suffira par elle-même. Voir Charité, t. ii, col. 2226, n. 4. Comment

toutes les opérations qui constituent la gloire procèdent de ces deux habitas, on l’expliquera à l’art. Intuitive (Vision) ; mais on l’a déjà rappelé brièvement dans le présent article, à propos des dotes animée bealse. Voir col. 1402.

Il est inutile donc d’admettre, avec quelques rares théologiens scolastiques, la nécessité, dans la gloire, d’autres habilus ou qualités similaires pour expliquer la sécurité dont jouissent les élus, Richard de Middletov, n, In TV Sent, 1. IV, dist.XLIX, a. 3, q. vii, la tension ou la compréhension de leur connaissance béatifique. S. Bonaventure, ibid., a. 1, q. v ; D. Soto, ibid., q. iv, a. 3 ; Occam et plusieurs autres. Voir plus haut, loc. cit. Cf. Suarez, De ultimo fine hominis, disp. X, sect. ii, n. 9, 10.

b. Ce que l’étal de gloire supprime. — Encore une fois il ne s’agit que des suppressions dans l’ordre de la grâce, le seul dont nous ayons à préciser le rapport avec la gloire actuellement possédée.— a. La foi est supprimée par la gloire. I Cor., xiii, 8. L’inccrr possibilité de la claire vue de Dieu et de la foi a été expliquée à l’art. Foi, col. 449 ; elle est admise communément par les théologiens, cf. Suarez, De fide, disp. V I, sect. ix, n. 6, mais pour des raisons différentes. Les thomistes n’y voient qu’une application particulière de leur doctrine de l’incompossiblité de la science et de la foi par rapport au même objet. Voir Foi, col. 450. Or, disent-ils, si la claire vue deDieu ne rend pas les élusoirniscients et laisse à Eieu la possibilité de faire à ses élus de r ou" elles révélations, l’état glorieux s’oppose à ce que ces révélations se fassent d’une façon obscure : tout ce que les bienheureux désireront savoir, ils le sauront et le verront, sinon dans l’essence divine, du moins par le moyen d’une science divinement infuse. Voir col. 1407. Tout autre moyen que la science (laquelle satisfait pleinement les légitimes exigences de l’esprit humain) serait imparfait et, par conséquent, indigne de 1 état glorieux. S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ixvii, a. 3, 5 ; 11° IL 1’, q. i, a. 4, 5 ; In IV Sent., 1. Ill.dist. XXXI ; Capréolus, In IV Sent., 1. III, dist. XXX I, a. 1 ; cf. Lessius, De summo 60/10, 1. II. c. x, n. 81, 82. Les théologiens qui, comme Suarez et ses disciples, n’admettent pas l’incompossibilité de la science et de la foi, recourent à une autre explication, tirée uniquement de l’imperfection de la connaissance obscure par la foi. Suarez, De fide, disp. III, sect. ix, n. 23 ; disp. VI, sect. ix, n. 7 ; disp. VII, sect. v, n. 5 ; cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 159 sq.

En censéquence, l’état de gloire supprime chez les bienheureux non seulement la vertu surnaturelle infuse de foi, mais encore tout habitus surnaturel, infus ou acquis, se rappertant à la foi, en particulier, le don de science prophétique, tous les objets de connaissance étant actuellement présents aux intelligences glorifiées. Voir S. Thomas, Sum. theol., IP II*, q. clxxiv, a. 5 ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. VIII, sect. 1, n. 3 ; cf. De allributis negativis Dei, c. xxviii. Il faut en dire autant de la science de la foi, c’est-à-dire de la théologie ; toutefois, les espèces intelligibles acquises demeurent et resteront présentes à la mémoire des élus qui, voyant clairement les mystères, y trouveront un sujet nouveau de gloire accidentelle par rapport aux efforts méritoires qu’ils auront faits ici-bas pour les atteindre moins imparfaitement. Suarez, De ultimo fine hominis, loc. cit., n. 4-6, 12. L’opinion contraire, improbable, est défendue par Cajétan, Comment, in I" m Sum. theol. S. Thomic, q. 1, a. 2, et Melchior Cano, De locis theol., 1. XII, c. n. Ces auteurs assurent que l’obscurité n’est pas inhérente à la théologie en tant épie science de la foi, mais en tant qu’elle a ici-bas pour sujets des intelligences non encore parvenues à la claire vision des mystères. Saint Thomas n’a pas traité la question.

Cette conséquence n’est elle-même qu’une opinion, la plus probable, mais combattue cependant par quelques théologiens. Autre, en effet, est l’affirmation de saint Paul qui peut s’expliquer d’une façon orthodoxe en disant que la foi ne s’exercera plus dans la gloire, autre l’affirmation des théologiens qui nient, dans la gloire, l’existence de la vertu même de la foi. Aussi Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent, , 1. III, dist. XXXI, q. iii, iv, croit-il pouvoir affirmer que, si la foi ne s’exercera plus dans la gloire, du moins l’habitas surnaturel de la foi demeurera, tout comme demeure le caractère sacramentel. Même thèse chez Alexandre de Aies, Sum. theol., III", q. i.xiv. m. vu ; Thomas de Strasbourg, In IV Sent., 1. 111, dist XXXI, a. 3, et chez Sent. In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, q. iii, sauf que Scot, tout en admettant que ïhabitns puisse être conservé, dit qu’en fait, il ne l’est pas, parce qu’inutile. On en trouve des traces dans saint Irénée, Conl. hær., 1. II, c. xxviii, n. 3, P. G., t. vii, col. 806 ; cf. la note de Feuardent, col. 1580 ; les remarques de Massuet, col. 361 ; dans Tertullien, De patientia, c. xii, xiii, P. L., t. i, col. 1269 ; et le Maître des Sentences, 1. III, dist. XXIII, n. 4, P. L., t. exen, col. 805, semble l’appuyer. Cette opinion n’est pas à rejeter entièrement. Suarez, De fide, disp. VI, sect. ix, n. 7, remarque, conformément à ses principes antithomistes, qu’un acte de foi reste possible, absolument parlant, aux élus dans la gloire, mais que cela n’est, en fait, jamais réalisé, il ajoute : « Cette impossibilité de fait doit s’entendre de l’acte même de l’intelligence, l’acte de croire, et, conséquemment, de l’acte efficace de la volonté commandant l’adhésion de l’intelligence. Mais si nous parlons du simple acte de pieuse affection de la volonté, par lequel cette dernière se montre prête, si besoin en est, à incliner l’intelligence vers la soumission de la foi, un tel acte peut se retrouver chez les bienheureux, parce qu’il est simplement un acte de vertu, ne renfermant aucune imperfection qui répugne à l’état de béatitude. D’où cette locution conditionnelle : Si Dieu me commandait de croire, je le ferais, et autres semblables, peuvent exister chez les élus ; elles impliquent, non la réalisation d’un acte de foi quelconque, mais simplement une pieuse disposition de l’âme, possible chez les élus. » hoc. cit., n. 7. Cf. disp. VII, sect., v, n. 4 ; De. incarnatione, disp. XVIII, sect. iv. Suarez s’appuie sur saint Thomas, Sum. theol., III a, q. vil, a. 3, ad 2°" et sur le commentaire de Cajétan. — (3. L’'espérance, dont l’objet est la béatitude désirée comme notre propre bien, voir Espérance, t. v, col. 631, 636, ne petit également coexister avec la gloire. I Cor., xiii, 13, et surtout Rom., viii, 24-25, Mais sur ce point, plus encore qu’au sujet de la foi, il y a divergence parmi les théologiens pour expliquer cette cessation de l’espérance au ciel. Saint Thomas, .S’» 771. theol., I 1 IT", q. lxvii, a. 4, 5 ; IF II*, q. xviii, a. 2, et ses disciples semblent l’entendre, non seulement de. l’acte d’espérance, mais encore de la vertu et de tout habitas se référant à l’espérance. Comment, en effet, assigner une place à une vertu dont l’objet propre est une béatitude absente, alors que cette béatitude est non seulement présente, mais toujours, et, dans sa substance, tout entière actuellement présente ? S’il y a encore, dans le ciel, place pour un certain amour intéressé à l’égard de Dieu, cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 163 sq., cet amour procède de la charité consommée, la communication du souverain bien à notre âme, laquelle est l’objet de cet amour de concupiscence, étant la condition nécessaire de L’acte de charité, par lequel nous aimons Dieu pour lui-même. Cf. Esparza, Quæstioncs disputandse, Rome, 1664, De actibus humanis, q. iv, a. 5 ; Billot, De virtutibus infusis, proœmium de charitate ; C. Pesch, De virtutibus theologicis, n. 492 sq., 537 sq. Voir Charité,

t. ii, col. 2220-2221. Tout différent est l’avis de Suarez : Dico… in beatis mancre habitum spei quoad substantiam ejus, quamvis non clicial in cis actus spei bcalitudinis esscnlialis. De virtute spei, disp. I, sect. viii, n. 5. Les arguments de Suarez sont l’autorité de quelques Pères (ceux que l’on a cités à propos de l’opinion de Durand de Saint-Pourçain au sujet de la permanence de la vertu de foi) ; la nécessité de rapporter à la vertu d’espérance l’acte d’amour intéressé de Dieu, inséparable de l’amour et de la jouissance béatifiques, cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 163 sq. ; Mastrius, De virtute spei. q. xviii, acte qui ne renferme en lui-même aucune répugnance vis-à-vis de la gloire essentielle ; la nécessité d’expliquer les actes d’espérance louchant l’objet secondaire de cette vertu, glorification des corps, béatitude des amis et des proches. Les thomistes, avec saint Thomas, Sum. theol., I" IL 1’, q. lxvii, a. 4, ad 3 uæ, répondent que la vertu d’espérance ne saurait exister, même vis-à-vis de son objet secondaire, lorsque cet objet se présente sans être enveloppé de difficulté, sine ralione ardui : Non proprie dicitur ediquis qui habet pecuniam, sperare se habilurum aliquid quod statim in potestate ejus est ut emat. Et similiier illi qui jam possident gloriam animæ, non proprie dicentur sperare, sed solum desiderare gloriam corporis quæ ad gloriam animæ se habet ut inevilabile accessorium. Billot, De virtutibus injusis, c. i, q. lxvii. Voir la discussion dans Suarez, loc. cit., n. 6 ; Cajétan, In Sum. S. Thomæ, III q. vii, a. 4.

c. Ce que la gloire conserve en le modifiant. — La grâce habituelle, principe de la gloire, est évidemment supposée chez les élus ; c’est la grâce consommée, qui ne s’identifie pas cependant avec la gloire formelle des élus. Cf. Billuart, Cursus tl.eologiæ, De gratia, diss. IV, a. 5. Elle acquiert, par son épanouissement dans la gloire, une perfection qu’elle ne peut atteindre ici-bas ; c’est la filiation divine dans un degré suréminent : « les fils qui marchent encore dans la voie… sont, aux glorieux habitants de la patrie, ce qu’est à l’homme parfait un enfant à peine sorti des langes. » Terrien, La grâce et la gloire, t. ii, 1. IX, c. I. Cf. I Cor., xiii, 11-13. Cette suréminence de la grâce s’épanouissant dans la gloire ne se manifeste que médiatement, c’est-à-dire par les perfections qui en découlent et forment l’état surnaturel des âmes glorifiées. Outre l’addition de la vision intuitive avec le lumen gloriæ qui en est la condition nécessaire, l’état de gloire conserve, en les perfectionnant : a. la vertu (infuse et acquise) de charité, qui devient la charité consommée. Voir l’explication à l’art. Charité, t. il, col. 2226, n. 4 ; cf. S. Thomas, Sum. theol., V IL*’, q. lxvii, a. 6 ; IL II*, q. xxiv, a. 7, avec le commentaire de Cajétan, et In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, q. ii, a. 2 ; p. les dons du Saint-Esprit, voir t. iv, col. 1747-1748 ; y. les vertus mondes, infuses et acquises. Les vertus morales infuses, supposé, selon l’opinion la plus probable, leur existence, demeurent dans l’état de gloire, quoique ne s’exerçant plus par les mêmes actes, matériellement considérés, qu’ici-bas : leur objet formel reste toujours le même, à savoir rectum et mensuratum in quolibet génère motuum humanorum. Pour la prudence et la justice, qui ont leur sujet dans l’intelligence et dans la volonté, pas de difficulté ; pour les deux autres vertus qui, en tant que vertus infuses, ont pour sujet dans la volonté, mais avec une relation essentielle à l’appétit irascible et concupiscible, elles ne demeureront que virtuellement dans les âmes séparées, et réapparaîtront formellement après la résurrection. S. Thomas, Sum. theol., V’II 3 *, q. lxvii, a. 1, ad 3° m ; cf. a. 2 ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. X, sect. ii, ii, 3. Cf. Billot, De virtutibus infusis, q. LXin, thés, ii, § 2 ; q. lxvii, § 2. Étant donné cette doctrine touchant la permanence des vertus infuses, la permanence des vertus acquises est facilement démontrable. La vertu acquise n’est pas autre que l’habitude d’où résulte une plus grande facilité de produire des actes vertueux. Or, si la possibilité d’actes vertueux provenant des vertus morales infuses est démontrée dans l’état de gloire, il faut conclure que non seulement les vertus acquises subsisteront, mais même que là où elles seront ou nulles ou dans un état d’insuffisance et d’infériorité, Dieu les infusera per accidens, conformément aux principes rappelés plus haut à propos de la science infuse per accidens dans l’âme des bienheureux. Cf. col. 1407. Enfin, il faut dire que la gloire ne supprime pas le caractère sacramentel, qui demeurera chez les élus comme une marque perpétuelle de leur fidélité à leur vocation. Voir Caractère sacramentel, t. il, col. 1706. Cf. S. Thomas, Sum. IheoL, III’, q. lxv, a. 5, ad 3° m.

L’ordre surnaturel, ici-bas, comporte aussi le secours de la grâce actuelle. La grâce actuelle subsistera-t-ellc chez les élus ? Il semble qu’on doive répondre affirmativement, quoique non plus pour les mêmes effets pour lesquels elle est donnée dans l’état de voie, non plus bien entendu pour éviter le mal et faire le bien, mais pour d’autres effets convenables à l’état de béatitude, en appliquant ici, toute proportion gardée, la distinction qu’on a coutume de faire là où il est question de la durée des vertus morales dans l’autre vie. La principale raison qui appuie cette réponse, c’est que les dons du Saint-Esprit demeurent chez les élus, comme ils existaient dans l’âme bienheureuse de Notre-Seigneur. Voir t. iv, col. 1748. Or, les dons sont des habitudes passives, c’est-à-dire des dispositions à recevoir les motions du Saint-Esprit ; habitudes qui doivent nécessairement, partout où elles existent, avoir leur emploi et conserver leur raison d’être. Nous voyons dans l’Évangile que Jésus-Christ était conduit par son Esprit, Matth., iv, 1 ; qu’il tressaillait sous l’action du Saint-Esprit. Luc, x, 21, etc. Ainsi en sera-t-il dans le royaume de la gloire, quoique nous ne puissions nous faire une idée des mouvements que le Saint-Esprit imprimera à ces heureux citoyens du ciel, des accents, des cantiques que lui, le divin citharœdus, tirera de ces âmes glorieuses. Apoc, xiv, 2-4. Or, ces motions, auxquelles sont ordonnés les dons, ont tout ce qu’il faut pour vérifier la notion de grâce actuelle. D’autre part, si l’on entend par grâce actuelle le concours divin nécessaire pour le jeu régulier des vertus surnaturelles, ce concours sera aussi nécessaire dans le ciel qu’ici-bas. Voir Grâce. Cf. Billot, De gratta, Prato, 1912, th. v, § 2.

Pour la première partie, voir la bibliographie complète à l’art. Grâce : consulter spécialement Salmantiecnses, De gratia, disp. IV, dans Cursus theologicus, Paris, 1878, t. ix. — Pour la seconde partie, consulter les auteurs cités au cours de l’exposition, mais particulièrement S. Thomas, Sum. theol., I" II » , q. lxvii ; In IV Sent, I. III, dist. XXXI, q. il ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. XIII, sect. x, et les différents traités De fide et De spe auxquels cet auteur renvoie lui-même ; parmi les auteurs modernes, C. Pesch, Pnvleetiones théologien*, t. iii, n. 476-480, 485, 486.

Questions connexes.

Il suffit de les indiquer

brièvement : ce sont celles qui se rapportent au mérite et à la prédestination.

La distinction fondamentale qui éclaire les discussions relatives au mérite et à la prédestination est, du côté de la gloire, la distinction entre gloire première et gloire seconde. La gloire première est celle qui correspond à la première grâce justifiante, que le pécheur ne mérite pas, sinon de congruo. Voir t. iii, col. 1138 sq. Cf. Ripalda, De ente supcrnaturali, disp. LXXXIX. C’est sur cette distinction qu’est construite la théologie de beaucoup d’auteurs touchant la

prédestination. Voir ce mot. Quant au mérite, on exposera, à l’art. Mérite, comment la gloire essentielle est son objet tout comme la grâce, et dans quelle mesure l’accroissement de gloire répond à l’augmentation des mérites. On a d’ailleurs déjà touché cette question à propos de l’accroissement de la charité. Voir t. ii, col. 2230-2231. Ces questions sont connexes au rapport de la gloire à la grâce, parce que le problème de la prédestination à la gloire et celui du mérite de la gloire dépendent intimement de la question de la grâce, qui, dans l’ordre ontologique, précède et produit la gloire.

A. Michel.

III. GLOIRE HUMAINE. La gloire purement humaine est celle qui se conçoit par rapport à une connaissance purement humaine de notre excellence. Objectivement, elle est constituée par cette excellence elle-même, abstraction faite de la connaissance dont elle peut être ou devenir l’objet, et de l’honneur qui résulte de cette connaissance. Elle existe soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel. C’est ainsi que la femme est la gloire de l’homme, I Cor., xi, 7 ; l’âme humaine, la partie la meilleure de notre être, est nommée dans l’Écriture kâbôd, gloire, de kâbâd, être illustre, Gen., xlix, 16 ; Ps. vii, 6 ; xxix, 13 ; evi, 9 ; evi, 2 ; les nobles d’une nation sont appelés sa gloire. Is., v, 13 ; vin, 7 ; x, 6 ; xvi, 14 ; xvii, 3, 4 ; Mien., i, 15 ; Judith, xv, 10. Voir Gloire, dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, t. iii, col. 251. Formellement, la gloire humaine est constituée par l’honneur humain qui rejaillit sur nous de la connaissance qu’on peut avoir de notre excellence. Selon l’acception stricte du mot « gloire » , cette connaissance doit être le fait du grand nombre, la gloire ne se concevant facilement qu’en rapport avec une louange rejaillissant sur nous par l’estime que la multitude fait de nos qualités. Mais, dans un sens plus large, la gloire s’entend encore de l’honneur qui rejaillit sur nous à la suite de la connaissance que peu de personnes ou même une seule personne ont de notre excellence ; bien plus, la connaissance personnelle que nous pouvons avoir de notre valeur peut suffire à nous constituer, à nous-mêmes, une certaine gloire. Cf. II Cor., i, 12 ; S. Thomos, Sum. theol., IIa-IIæ, q. cxxxii, a. 1 ; Demalo, q. ix, a. 1. Cette gloire humaine peut être :
1° légitime et bonne ;
2° désordonnée. En ce dernier cas, on l’appelle la vaine gloire.

I. Gloire humaine légitime.

1° Sa possibilité morale. —

Il semble difficile que la recherche de la gloire humaine puisse être, moralement parlant, légitime : « La louange, l’honneur et la gloire ne se donnent pas aux hommes pour une simple vertu, mays pour une vertu excellente. Car par la louange nous voulons persuader aux autres d’estimer l’excellence de quelques-uns ; par l’honneur, nous protestons que nous l’estimons nous-mesmes ; et la gloire n’est autre chose, à mon advis, qu’un certain esclat de réputation qui rejaillit de l’assemblage de plusieurs louanges et honneurs : si que les honneurs et louanges sont comme des pierres précieuses, de l’amas desquels reùscit la gloire comme un esmail. Or, l’humilité ne pouvant souffrir que nous ayons aucune opinion d’exceller ou devoir estre préférés aux autres, ne peut aussi permettre que nous recherchions la louange, l’honneur, ni la gloire, qui sont deues à la seule excellence. .. » S. François de Sales, Introduction à la vie dévote, part. III, c. vu. Il y a cependant des limites raisonnables, dans lesquelles la recherche de l’estime des autres ou de sa propre estime — ce qu’avec saint Thomas, dans un sens large, nous avons appelé gloire humaine — est légitime au point de vue de la morale. En effet, il est légitime et naturel à l’homme de rechercher la connaissance de la vérité : l’homme peut donc légitimement connaître et approuver, faire connaître et faire approuver ce qui est bien en lui. S. Thomas, loc. cit. Mais pour rester dans les limites de la vérité, nous ne devons en premier lieu attacher à la gloire humaine qu’une valeur humaine, c’est-à-dire une valeur incertaine, non définitive, et infiniment inférieure à celle que comporte, par exemple, la gloire promise par Dieu aux élus : Quærere gloriam ab homine, ut homine, non est secundum se pravum, ut ctllala ratio (celle apportée par saint Thomas au corps de l’article) probal : sed, si quseratur gloria humana ultra humanos limites, vel quia quæritur ab homine lanquam a certo, vel magno testimonio, aul etiam ullima teslimonio, tune vitium est inanis gloriæ. Cajétan, Com. in jjum jj æ g Thomæ, loc. eit. En second lieu, il faut que cette gloire humaine ne s’oppose pas à notre fin dernière et puisse être, au moins médiatement, rapportée à Dieu. C’est le cas de tous les biens particuliers, considérés comme mobiles de nos actions. Voir Fin dernière, t. v, col. 2491-2492. Or, lorsqu’on recherche la gloire humaine dans les limites convenables, même si l’on ne pense pas explicitement à rapporter cette gloire à Dieu, l’acte posé est cependant bon moralement, parce que la gloire humaine recherchée légitimement en faveur d’une vertu qui existe réellement en nous, se rapporte médiatement à Dieu, fin de la vertu. Cajétan, loc. cit., à la fin. A plus forte raison, sera bonne, et même méritoire, la recherche de la gloire humaine qui se propose immédiatement pour fin, ou la gloire de Dieu, ou l’utilité du prochain, ou notre utilité personnelle : 1. la gloire de Dieu, cf. Matth., v. 16 ; I Pet., ii, 12, en provoquant les autres à honorer Dieu par l’exemple que nous leur donnerons, en leur faisant connaître notre vertu personnelle et en les entraînant à nous imiter ; c’est ainsi que saint Paul agit vis-à-vis des Romains, Rom., xv, 17 sq. ; 2. l’utilité du prochain. Cf. Rom., xii, 17 ; xv, 2 ; I Cor., x, 32-33 ; II Cor., xii, 1 sq. Saint François de Sales, continuant sa pensée, s’exprime ainsi : « elle (l’humilité) consent bien neantmoins à l’advertissement du Sage, qui nous admoneste d’avoir soin de nostre renommée (Eccl., xli, 15), parce que la bonne renommée est une estime, non d’aucune excellence, mais seulement d’une simple et commune preud’homie et intégrité de vie, laquelle l’humilité n’enpesche pas que nous ne reconnaissions en nous-mesmes, ni par conséquent que nous en desirions la réputation. Il est vraij que l’humilité mespriseroil la renommée, si la charité n’en avait besoin ; mays, par ce qu’elle est l’un des fondemens de la société humaine, et que sans elle nous sommes non seulement inutiles, mays dommageables au public à cause du scandale qu’il en reçoit, la charité requiert et l’humilité a g grée que nous la desirions et conservions précieusement. » Loc. cit. Envisagée sous cet aspect, la gloire humaine ou plutôt l’estime des autres est un lien de concorde et de charité, et « le mépris formel et complet de l’estime des autres est le plus souvent une marque d’orgueil, une manifestation de mépris pour ceux qui nous entourent, et il nous est inspiré par le sentiment exagéré et déréglé de notre supériorité. » De Smet, Noire vie surnaturelle, t. il, p. 325-326. 3. Notre utilité personnelle, dum considérât (homo), dit saint Thomas, bona sua ab aliis laudari, de his gratias agit, et firmius in cis persislit, De malo, loc. cit. ; ainsi, pour affermir les premiers chrétiens, saint Paul les encourage en publiant le bien qu’ils font, ou en les proclamant la gloire de l’Église. Rom., ii, 10 ; xv, 14, 29 ; xvi, 2-12 ; I Cor., xvi, 10 ; II Cor., i, 14 ; viii, 2sq. ; IThes., ii, 20, etc. Saint François de Sales, loc. cit., exprime cette fin de la gloire humaine d’une façon charmante : « Outre cela, comme les feuilles des arbres, qui d’ellesmesmes ne sont pas beaucoup prisables, servent neantmoins de beaucoup, non seulement pour les

embellir, mais aussi pour conserver les fruitz tandis qu’ilz sont encor tendres : ainsy la bonne renommée, qui de soy-mesme n’est pas une chose fort désirable, ne laisse pas d’estre très-utile, non seulement pour l’ornement de nostre vie, mays aussi pour la conservation de nos vertus, et principalement des verluz encor tendres et joibles. L’obligation de maintenir ncslre réputation, et d’estre tclz que l’on nous estime, force un courage généreux d’une puissante et douce violence. »

Aussi les maîtres de la vie spirituelle recommandent-ils de travailler à conserver la juste estime des autres et à écarter ce qui pourrait injustement y faire tort, comme seraient des accusations fausses, des reproches mal fondés qui pourraient détruire ou diminuer cette estime. Mais cette recherche de l’estime d’autrui doit s’allier toujours au plus grand calme et à la plus grande modération ; dépasser les limites convenables en cette matière, manifester des sentiments de colère ou d’indignation serait témoigner qu’on accorde à la gloire humaine plus qu’elle ne mérite et tomber dans la faute de la vaine gloire. N’oublions pas, comme dit encore saint François de Sales, que « la réputation n’est que comme une enseigne qui fait connoistre où la vertu loge : la vertu doit donq être en tout et partout préférée… ; il faut estre jaloux, mays non pas idolâtre, de nostre renommée ; et comme il ne faut offenser l’œil des bons, aussi ne faut-il pas vouloir arracher celuy des malins. » Loc. cit. L’humilité véritable est la condition même de la magnanimité et de la modestie qui doivent gouverner notre désir instinctif de la gloire. Cf. S. Thomas, Sum. iheol, IP IP, q. cxxix, a. 1, 2 ; Hugueny, Humilité, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. il, col. 526. On connaît, sur ce point, le texte de saint Grégoire le Grand, conciliant Matth., vi, 1, avec v, 16 : Sic autem sit opus in publico, quatenus intentio maneat in occullo ut et de bono opere proximis pricbeamus exemplum, et tamen per inlentionem qua Dco soli placere quærimus, semper optemus secretum. Homil. in evangel., 1. I, homil. xi, n. 1, P. L., t. lxxvi, col. 1115. En résumé : « L’amour des louanges n’est pas en lui-même un sentiment condamnable ; il est même un acte vertueux, lorsqu’il réunit les quatre conditions suivantes : 1. que ce qui donne lieu à la louange soit une qualité vraiment estimable, constitue une véritable perfection pour l’être intelligent ; 2. que cette qualité se trouve réellement en nous ; 3. qu’il n’y ait pas dans la louange un caractère d’exagération qui fait qu’elle manque de sincérité ou de justesse ; 4. que le témoignage d’estime soit rapporté par celui qui le reçoit à une fin digne d’un être intelligent éclairé des lumières de la foi, fin qui doit être en dernière analyse la gloire de Dieu, le bien du prochain ou sa propre utilité. » De Smet, op. cit., p. 333.

Sa possibilité psychologique.

Difficulté. —

Pour obtenir l’estime des autres, on veut paraître parfait. Comment allier psychologiquement ce désir de paraître parfait à l’extérieur avec la réalité de nos imperfections intérieures ? Ne sera-ce pas l’hypocrisie ? Et lorsque nous nous montrerons, dans les moments de surprise et d’oubli, tels que nous sommes réellement, c’est-à-dire remplis de faiblesses et peut-être de défauts, n’allons-nous pas scandaliser davantage et détruire notre prestige ?

Réponse. — Si l’on voulait se contenter de parai tic parfait, sans l’être réellement, la difficulté n’aurait pas, au point de vue psychologique, d’autre solution que dans l’hypocrisie. Il faut supposer que l’on désire mériter l’estime d’autrui plus encore que l’obtenir. « Dès lors, la préoccupation de nous montrer parfaits sera d’un puissant secours pour nous prémunir contre les mouvements irréfléchis des passions humaines. Il nous arrive trop souvent de nous faire illusion sur le désordre de certains sentiments et de certains actes et d’être tentés ainsi de les justifier à nos propres yeux et de nous encourager à nous y entretenir. Il est beaucoup plus facile de comprendre l’impression que ces sentiments et ces actes doivent faire sur les autres, de constater qu’ils doivent leur apparaître comme des manifestations d’idées et de sentiments tout à fait naturels, dans le mauvais sens du mot, c’est-à-dire opposés aux idées et aux sentiments surnaturels qui doivent être la règle de notre conduite. » De Smet, op. cit., p. 330-331. Lorsque nos défauts apparaîtront, l’estime qu’on aura de nous diminuera peut-être ; nous ne devons pas nous tourmenter de cette diminution, autrement que pour réparer le mal que nous auront fait en nous abandonnant au mal. Nous porterons ainsi le poids et la responsabilité de notre faute, sans que pour cela il y ait le moindre sentiment d’hypocrisie.

Instance. — Mais enfin, n’affichons-nous pas des perfections que nous n’avons pas réellement ?

Réponse. — Non, ce n’est pas exact ; car nous possédons toujours, au moins dans l’intelligence et la volonté, ces perfections dont on constate, à l’extérieur, la manifestation. Et cela suffit pour que notre vertu soit réelle. Qu’il y ait, au dedans de nous, des luttes et des révoltes contre les idées élevées et les nobles tendances que nous manifestons aux autres, c’est possible ; mais cela ne détruit en rien notre vertu et « personne ne dira sérieusement que la sincérité que nous nous devons les uns aux autres exige que nous manifestions à tous les tentations et les résistances intérieures qui rendent l’exercice de la vertu plus ou moins difficile et nous font même tomber parfois dans certaines faiblesses intérieures ou extérieures. » De Smet, op. cit., p. 331, note. On peut sans doute nous juger trop favorablement, en nous estimant exempt de ces révoltes et de ces luttes. Mais de ce jugement logiquement défectueux ne résulte ni de notre côté l’hypocrisie, ni, de la part de ceux qui nous voient, une louange fausse. Il nous suffira d’estimer cette louange à sa vraie valeur, qui est tout humaine, c’est-à-dire essentiellement incertaine et relative.

II. Vaine gloire.

1° Définition et nature. — La vaine gloire est la gloire purement humaine recherchée d’une façon désordonnée. Or le désordre peut s’introduire ici de trois façons : la vanité de la gloire peut résider :
1. dans une erreur d’appréciation touchant le bien qui en est le fondement, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’un bien périssable comme les biens de la fortune, d’une qualité morale qui n’existe qu’en apparence et dont l’hypocrisie contredit le vrai bien ;
2. dans l’estime exagérée que l’on fait de la louange des hommes, lesquels ne méritent pas un crédit considérable ;
3. dans la complaisance de notre amour-propre excité par les louanges d’autrui, et qui retient ces louanges pour lui-même, sans les ordonner à Dieu, au bien du prochain ou à notre utilité personnelle. S. Thomas, Sum. theol., IP IVe, q. cxxxii, a. 1 ; cf. De malo, q. ix, a. 1. C’est ce que saint François de Sales résume ainsi : « Nous appelons vaine la gloire qu’on se donne ou pour ce qui n’est pas en nous, ou pour ce qui est en nous, mays pas à nous, ou pour ce qui est en nous et à nous, mais qui ne mérite pas qu’on s’en glorifie. » Op. cit., part. III, c. iv. Les autres sortes de désordres, par exemple, la recherche d’une gloire personnelle au détriment de celle d’autrui ; le trop grand désir d’être glorifié, se ramènent à la complaisance de l’amour-propre qui refuse d’ordonner la gloire humaine à une fin digne de notre qualité d’enfants de Dieu et de frères en Jésus-Christ. Cf. Cajétan, loc. cit.

La vaine gloire s’oppose formellement à la vertu de magnanimité, bien que matériellement elle puisse se produire à l’occasion d’actes opposés à d’autres vertus, par exemple, la cupidité, l’imprudence, etc., cf. S. Thomas, Sum. theol., loc. cit., a. 2, ad 1°", parce que la magnanimité est cette partie de la vertu de force qui règle l’usage des honneurs et de la gloire. Ibid., q. cxxix, a. 1, 2 ; In IV Sent., 1. II, dist. XLII, q. ii, a. 4.

Culpabilité.

Que la vaine gloire soit une faute,

la sainte Écriture l’atteste ; cf. Is., xl, 6-8 ; Matth., vi, 1 ; Joa., v, 41 ; I Cor., iv, 7 ; Gal., iv, 26 ; Phil., ii, 3, etc., et les Pères de l’Église ne manquent pas d’en détourner les fidèles. Voir à la bibliographie. Les théologiens considèrent qu’en soi la vaine gloire n’est qu’une faute vénielle, parce qu’elle ne s’oppose pas à la charité envers le prochain, ni à l’amour de Dieu. Cependant saint Thomas admet qu’elle peut devenir péché mortel s’il s’agit de tirer gloire d’une chose offensant gravement Dieu, ou de préférer à Dieu, par vaine gloire, un bien périssable et l’estime des hommes, ou encore de faire de la vaine gloire sa fin dernière. Loc. cit., a. 3. Les théologiens trouvent ces sortes de péchés indiqués dans Ezech., xxviii, 2 ; I Cor., iv, 7. Saint Alphonse de Liguori dit de la vaine gloire comme de l’ambition qu’elle devient per accidens péché mortel, vel ratione materiæ ex qua, vel ratione damni quod proximo injertur. Theologia moralis, édit. Gaudé, Rome, 1907, t. iii, 1. V, c. iii, n. 66. Lcisque la vaine gloire porte sur une chose offensant gravement Dieu, certains auteurs pensent qu’on doit expliquer en confession de quelles choses mauvaises on a tiré vaine gloire, parce que la vaine gloire prend la gravité spécifique de ces choses ; ainsi l’enseignent Sanchez, Opus morale in præcepta dccalogi, Parme, 1723, 1. I, c. ni, n. 13 ; L. Lopez, Inslruclorium conscientiæ, Salamanque, 1592, cité par Busenbaum, mais à tort, car, part. I, c. v, q. ni, il tient l’opinion communément enseignée ; la spécification des choses mauvaises dont on a tiré vaine gloire n’est requise que quando quis gloriam et laudem quærit de peccalis morlalibus CUM COMPLA-CENTIA earum. C’est l’opinion de saint Alphonse de Liguori, loc. cit. ; de Navarrus, Manuole confessariorum, Venise, 1616, prælud. iv, n. 4 ; de Castropalao, Opus morale, Venise, 1721, tr. II, disp. II, p. ii, n. 5 ; de Diana, Diana : concorduti, Venise, 1698, t. viii, tr. X, resol. vi, et même, quoi qu’en dise encore Busenbaum, Mcdulln theologia : moralis. Tournai, 1848, 1. V, c. m. dub. i, n. 1. de Rodriguez, Summa casuum conscientiæ, Venise, 1628, part. I, c. lui, n. 14. Cf. de Lugo, Disputationcs scholaslicæ et morales, Lyon, 1633-1654, De pœnileniia, disp. XXVI, n. 267. Il suffirait donc, s’il n’y a pas complaisance aux péchés, de dire : « J’ai péché tant de fois en cherchant louange et gloire de péchés mortels, » sans spécifier de quels péchés il s’agit, péchés que peut-être on n’a pas commis, ou qu’on a déjà confessés, ou qu’on confessera plus loin. Navarrus, loc. cit.

Les moralistes, appliquant les principes concernant la gravité per accidens de la vaine gloire, en déduisent qu’il y a péché mortel de vaine gloire : 1. chaque fois qu’entendant louer quelqu’un ou soi-même à cause d’une chose gravement coupable, on accueille, on approuve cette louange, Sanchez, loc. cit. ; Baldelli, Disputationcs ex morali theologia, Lyon, 1637-1661, 1. III, disp. V, n. 12 ; 2. quand on blâme quelqu’un de n’avoir pas commis un acte gravement coupable, vengeance, fornication ; c’est le péché grave de jactance joint à l’approbation du mal, Baldelli, loc. cit., n. Il ; 3. quand, introduisant par son influence des modes nouvelles, on impose aux autres la nécessité morale de se conformer à des usages dispendieux qui les ruineront ou les empêcheront de payer leurs dettes, Baldelli, loc. cit. n. 18 ; 4, quand on simule la sainteté avec la volonté de ne point l’acquérir, Baldelli, loc. cit., n. 19 ; 5. quand on simule le mal, à cause du scandale grave qui en résulte ; les saints, pour s’humilier, n’ont jamais fait que des actes en soi indifférents, et n’ont jamais positivement provoqué des jugements en leur défaveur. S. Alphonse, édit. Gaudé, loc. cit., n. 67.

Mais puisqu’en soi la vaine gloire n’est qu’un péché véniel — la coquetterie, par exemple, en est une manifestation, Baldelli, loc. cit., n. 23 — une conclusion s’impose, c’est qu’un motif de vaine gloire ne vicie pas substantiellement, dans les cas ordinaires, la moralité d’une bonne action. En effet, la vaine gloire ne s’opposant pas à la vertu de charité, laisse subsister l’influence d’autres motifs louables. Lehmkuhl. Theologia moralis, t. i, n. 34, donne plusieurs exemples de ce principe touchant les pratiques de dévotion et la réception des sacrements. Si le motif de vaine gloire ne vient qu’en second lieu et laisse la place principale à un motif louable, la valeur de l’acte posé en est d’autant moins diminuée. Lehmkuhl, loc. cit. Si c’est l’inverse, et que prédomine le motif de vaine gloire, pourvu que cependant ce motif ne soit pas exclusif, l’acte posé ne sera pas encore vicié substantiellement, du moins selon l’avis d’auteurs sérieux, tels que Silvestre Prierias, Summa, Venise, 1612, au mot Varia gloria ; Navarrus, op. cit., c. xxiii, n. 13.

Péchés dérivés.

La recherche de la vaine gloire,

étant une manifestation de l’orgueil, doit être considérée, au même titre que l’orgueil, comme un vice capital. S. Thomas, loc. cil., a. 4. Certains auteurs distinguent même la vaine gloire de l’orgueil et comptent ainsi huit vices capitaux. Cassien, Collaliones, V, c. ii, P. 4., t. xlix, col. 611 ; S. Jean Damascène, De oclo passionibus, n. 1, P. G., t. xcv, col. 80. Voici comment le docteur angélique expose tous les dérivés de la vaine gloire, a. 5 : « La fin de la vaine gloire est de montrer sa propre excellence ; ce que l’homme peut faire de deux façons : d’abord, d’une manière directe, en se vantant dans ses paroles, comme fait la jactance. Si ce sont des choses qui provoquent l’étonnement, on l’appelle présomption des nouveautés, ce que les hommes admirent beaucoup d’ordinaire ; si ce sont des choses fausses, c’est l’hypocrisie. Il y a encore une autre manière de manifester sa supériorité, mais indirectement, en ne voulant pas paraître inférieur aux autres. Cela peut avoir lieu de quatre façons : 1. quant à l’intelligence, en refusant d’abandonner son sentiment pour se rendre à un avis meilleur, et c’est ce que l’on appelle Y opiniâtreté ; 2. quant à la volonté, en ne voulant pas céder pour faire la paix, et c’est ce qu’on appelle la discorde ; 3. dans les paroles, en se disputant avec bruit, et c’est ce qu’on appellela contention ; 4. dans ses actions, en refusant d’exécuter l’ordre d’un supérieur, et c’est ce qu’on appelle la désobéissance. » Cf. S. Alphonse, loc. cit. Saint Thomas emprunte sa nomenclature à saint Grégoire le Grand, Moral., 1. XXXI, c. xlv, n. 88. P. L., t. lxxvi, col. 621.

S. Thomas, Sum. IheoL, II* » II ; P, q. cxxxii ; De mdlo, q. i ; Cajétan, Comment, sur la q. cxxxii de la II Il II* ; S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, édit. Gaudé, Rome, 1907, t. iii, 1. V, c. ni, dub. i, et les moralistes cités au cours de l’article ; Billuart, Cursus théologies, Paris, 1878, t. viii, diss. II, a. 3, § 3 ; S. François de Sales, Introductiotl à la vie dévote, part. IIP, c. iii, vu ; Imitation de Jésus-Christ, 1. I, c. vu ; 1. III, c. xl ; De Smet, Notre vie spirituelle, Bruxelles, 1911, t. ii, p. 324-335 ; les auteurs spirituels, à la question de l’humilité.

Chez les Pères de l’Église, sur la vraie gloire et la vaine gloire : Clément d’Alexandrie, Pwd., 1. I, c. vi ; Strom., I, c. xi, P. G., t. viii, col. 293, 748 ; Origène, De oralione, n. 19 ; Conl. Cehum, 1. VII, n. 24, P. G., t. xi, col. 476 sq., 1456 sq. ; In Jeremiam, homil. xi, n. 4, 7, 8, P. G., t. xiii,

col. 372 sq., 388 sq. ; In Episl. ad Romanos, 1. II, n. 5, P. 67., t. xiv, col. 879 ; S. Basile, In Hexæmeron, homil. v, n. 2. P. G., t. xxix, col. 96-100 ; In ps. l.Xl, n. 4, col. 476 sq. ; Epist, 1. I, epist. xlii, n. 4, t. XXXII, col. 354 ; cf. Homil., xx. De humilitale.t. xxxi, col. 525 ; Constitutiones monastiese, c. x, col. 1372 ; c. xvi, col. 1378 ; S. Grégoire de Nazianze, Oral., ii, apologeliea, n. 51, P. G., t. xxxv, col. 461 ; Oral., xix, theologica, n. 4 sq., col. 1041 ; S. Grégoire de Nysse, Oratio de morluis, P. G., t. xlvi, col. 497. Mais, parmi les Pères grecs, c’est surtout saint Jean Chrysostome quî a parlé le plus et le mieux de la vraie et de la vaine gloire. Entre mille passages, on lira avec huit les suivants : Homil. in kalendas, P. G., t. xlvii, col. 953 sq. ; Adversus oppugnantes vitee monastieiv, 1. II, n. 5, 6, col. 337 sq. ; Ad Theodorum lapsum, 1. II, n. 3, col. 3Il sq. ; De compunctione, 1. I, n. 4, col. 399, 400 ; Ad Stagirium a dœmone vc.vatum, I. I, n. 9, col. 445 sq. ; Ad viduam juniorcm, n. 5, 6, col. 605608 ; De sacerdolio, 1. III, n. 9 ; cꝟ. 1. VI, n. 12, col. 646 sq., 688 ; De Anna, serm. iv, n. 3, t. liv, col. 663-664 ; In Gen., homil. v, n. 5, 6 ; homil. xxii, n. 7, col. 53, 54 ; 195 ; Expositio in ps. Y, n. 6, t. lv, col. 69 : in ps. XLVIII, n. 8, col. 234 ; cf. col. 510 ; in ps. XLIX, n. 11, col. 240 : in ps. VIII, n. 7, col. 116 sq. ; in ps. CXX, col. 377-379 ; In Matthœum, homil. xix, t. lvii-lviii, col. 273 sq. ; homil. lviii (lix), n. 4, col. 570 sq. ; homil. iv, col. 51 ; homil. lxv (lxvi), n. 4, col. 621 sq. ; homil. XI, n. 8, col. 201 ; homil. lxxii (lxxiii), col. 667 sq. ; In Joa., homil. ni (n), n. 5, t. lix, col. 43 sq. ; homil. xxviii (xxvii), n. 3, col. 165 ; homil. xxix (xxviii), n. 3, col. 170 sq. ; homil. xxxviii (xxxvii), n. 5, col. 218 sq. ; In Acta apostolorum, homil. xxviii, n. 3, t. lx, col. 212 ; In Epist. ad Rom., homil. xvii, n. 3, col. 567 ; In Epist. I ad Cor., homil. xxxv, n. 4-6, t. lxi, col. 300-306 ; cf. In Epis. II ad Cor., homil. xxix, n. 4, col. 601 sq. ; In Epist. I ad Tim., homil. ii, n. 2, 3, t. lxii, col. 511-516 ; In Epist. ad Phil., homil. v, col. 213 sq. ; cf. homil. xiv, col. 281 ; In Epist. ad Titum, homil. ii, n. 3, 4, col. 673 sq. ; Tertullien, De cultu fœminarum, 1. II, c. iii, P. L., t. i, col. 1319 ; Ad martyres, c. iv, v, col. 625-626 ; S. Cyprien, Epist., xxx, P. L., t. iv, col. 303-307 : il s’agit d’une exhortation aux martyrs de placer toute leur gloire en Dieu seul ; S. Jérôme, In Epist. ad Gal., 1. III, c. vi, n. 26, P. L., t. xxvi, col. 423 sq. ; Epist., xxii, n. 27 ; cviii, n. 3, t. xxii, col. 412, 879 ; S. Augustin, dans ses polémiques antipélagiennes, a souvent parlé, en passant, de la vaine gloire ; voici cependant quelques endroits où il en traite plus directement : De civitate Dei, I. V, c. xii, xiii, xix, xx, P. L., t. xli, col. 154, 158, 165-167 ; Serm., cxxix, n. 2, t. xxxviii, col. 721 ; Enarr. in ps. VII, n. 4, t. xxxvi, col. 99-100 ; in ps. XXV, n. 12, col. 194 ; in ps. CXUX, n. 11, t. xxxvii, col. 1955 ; Epist., clxxxviii, surtout c. ii, t. xxxiii, col. 848 sq. ; De correptione et gratia, c. xii, n. 37, 38, t. xliv, col. 938-939 ; Contra duas epistolas pelagianorum, 1. IV, c. xix, ibid., col. 626-628 ; De dono perseverantiæ, c. xxiv, t. xlv, col. 1033-1034 ; In Joannis evangelium, tr. LVIII, n. 3, t. xxxv, col. 1795 ; S. Grégoire le Grand, Moral., 1. VI, c. vi, n. 3 ; 1. X, c. xxii-xxvii ; 1. XIV, c. lui, n. 64, P. L., t. lxxv, col. 753, 945, 1073 ; 1. XVII, c. vii, viii, t. lxxvi, col. 945 ; S. Bernard, De diligendo Deo, c. ii, P. L., t. clxxxii. col. 975 sq. ; De conversione ad clericos, c. viii, col. 811 ; In dedicatione Ecclesin ?, serm. IV, t. clxxxiii, col. 526 sq. ; Scrmones de diversis, serm. vii, col. 558 sq.

A. Michel.

GNOSE, gnosis, est en elle-même la connaissance explicite des vérités révélées, la science de la foi. Le mot, avec l’idée qui s’y rattache, se trouve dans l’Évangile, Luc, xi, 52, et dans les Épîtres des apôtres, I Cor., viii, 7 ; xiii, 8, etc., pour désigner, à côté de la foi qui adhère à la révélation sur l’autorité du témoignage divin, l’étude approfondie des dogmes à l’aide des lumières de l’Écriture et de la tradition. La gnose est donc le naturel et légitime exercice de la raison chrétienne : c’est un besoin pressant, pour quiconque pense, de chercher à éclaircir les vérités révélées, à pénétrer les motifs et l’objet de la foi. Nombre des recrues les plus anciennes du christianisme, les Aristide, les Justin, les Tatien, les Pantène, les Clément d’Alexandrie, etc., ne pouvaient qu’exciter et développer cet impérieux besoin. Convertis à la foi, ils ne laissaient pas de rester des philosophes jusqu’à en porter d’ordinaire le manteau ; ils continuaient d’allier avec la foi l’aspiration à la science, et ils avaient à cœur de montrer par leur exemple qu’entre la foi chrétienne et la raison, il y a en définitive parfait accord. Mais bientôt, en face de la vraie gnose, qui prend la foi pour règle et pour guide, l’Église vit s’élever, notamment dans les 11e et me siècles, sous des noms divers et en diverses contrits, la fausse gnose, qui se sépare entièrement de la foi, et n’offre après tout qu’un amalgame de la plupart des doctrines du vieux monde, juives ou païennes, avec les dogmes de la révélation.

Devant cette gnose hérétique, yikoaoyia où /.z-.z. Xpiaxdv, les Pères, jaloux de la saper par la base et de maintenir les droits de la gnose orthodoxe, çiÂoioiia /.7.-X XpioTo’v, ne se lassent pas de mettre en lumière le principe fondamental de la connaissance chrétienne ; à la prétention de construire un système scientifique en dehors de la foi, par les seules forces de la raison, unanimement ils opposent l’absolue souveraineté de la foi prèchée par les apôtres et gardée par la tradition vivante ; anathème à qui puise à des sources étrangères et fait œuvre de syncrétisme religieux 1 II fallait, à rencontre de l’orgueil des sectaires, exposer la vérité et l’autorité de la doctrine chrétienne, à l’exclusion de toute autre, puis justifier les dogmes aux yeux de l’intelligence et les coordonner entre eux dans une vaste synthèse scientifique. De cette double tâche la première fut celle en particulier de saint Irénée dans son traité Contre les hérésies, P. G., t. vii, et de Tertullien, soit en général dans son bel ouvrage Des prescriptions des hérétiques, soit dans ses livres Contre les valentiniens, Contre Hermogène, Contre Marcion, et le Scorpiaque, P. /.., t. i-ii. La seconde tâche échut principalement, en raison de leur tournure d’esprit personnelle et aussi de leur ambiance, aux deux Alexandrins, Clément, P. G., t. viii-ix (voir 1. 1, col. 188 sq.), et Origène, ibid., t. xixvii, qui ne la remplirent pas toutefois sans accrocs. Ces Pères n’hésitèrent point à recourir dans ce but à la philosophie, surtout à la platonicienne, dont ils goûtaient spécialement la langue, voire dans une certaine mesure la métaphysique ; mais jamais, en aucune façon, ils n’ont témoigné d’un éclectisme sans principe, qui eut admis pêle-mêle christianisme et paganisme. Entendue en ce sens, l’accusation de platonisme, que l’on a parfois intentée aux Pères de l’Église, est absurde à la fois et démentie par l’histoire. Selon eux, la gnose repose essentiellement sur l’étude de l’Écriture, faite avec l’esprit des apôtres et suivant la croyance de l’Église. « Le nom de gnoslique, écrit Clément d’Alexandrie, n’est mérité que par celui-là seul qui, ayant blanchi dans l’étude de l’Écriture, garde la règle des dogmes apostoliques et ecclésiastiques. » Slrom., VI I. Entre la foi commune et la foi plus haute ou scientifique, les Pères ne reconnaissent qu’une différence de degré, non de nature.

Kuhn, Einleitung in die katholische Dogmatik, Tubingue, 1850, p. 309 sq. ; Freppel, Saint Ircnée, Xe leçon, Paris, 188’j ; Kraus, Histoire de l’É/jlise, nouv. édit. franc., Paris, 1905, 1. 1, p. 143 sq.

P. Godet.

GNOSIMAQUES, hérétiques du vu 6 siècle, ainsi appelés, comme le nom l’indique, yvûa’.ç, f**"/*), yveuatux /o :, celui qui combat la science, parce qu’ils repoussaient toute connaissance ou science de la religion chrétienne comme inutile. A leurs yeux, vain est le travail de ceux qui étudient les Écritures et se livrent à des spéculations quelconques ; car ce n’est point la science que Dieu exige, mais seulement les bonnes œuvres ; ce n’est point le savoir qui sauve, c’est le bienvivre. Tertullien, pour blâmer la manie intempérante des gnostiques, qui consistait, sous prétexte de science, à multiplier les recherches et les spéculations, avait bien pu dire avec quelque apparence de paradoxe :

Nobis curiositate opus non est, posl Christum Jesum ; nec inquisitione, posl Evangelium. Cum credimus, nihil desideramus ultra credere, Præscript., 67, P. L., t. il, col. 20-21 ; mais il ne se refusait pas pour autant à faire œuvre scientifique. Plus radicaux, les gnosimaques condamnaient toute curiosité intellectuelle, tout travail d’exégèse ou d’interprétation scripturaire, tout essai de systématisation théologique. Non sans raison, saint Jean Damascène les range parmi les hérétiques ; mais il ne nous fait connaître ni le lieu et l’époque où ils vécurent, ni le rôle et l’importance deleur secte.

S. Jean Damascène, Hær., lxxxviii, P. G., t. xciv, col. 757.

G. Bareille.

GNOSTICISME. —

I. Sources. IL Histoire. III. Doctrine.

I. Sources.

Le meilleur moyen de se faire une idée exacte du gnosticisme serait évidemment de consulter les ouvrages où les gnostiques ont exposé leurs doctrines ; car ils ont beaucoup écrit. Mais, dans l’état actuel de la science, ce moyen n’est pas à notre disposition ; car de toute leur production littéraire il ne reste que très peu de chose. Nous sommes d’abord loin de connaître tout ce qui est sorti de leur plume sous forme de lettres, de chants, de psaumes, d’homélies, de traités, de commentaires. La plupart de leurs travaux ne nous sont connus que par leurs titres. Et c’est à peine si nous possédons quelques fragments, grâce aux écrivains ecclésiastiques qui les ont cités pour les réfuter, et quelques rares ouvrages qui ont échappé aux injures du temps. Signalons du moins ces titres, ces fragments et ces ouvrages. Car, outre qu’ils sont un témoignage d’une grande activité littéraire, ils offrent un spécimen du genre adopté et de quelques sujets traités.

Ouvrages gnostiques dont le litre est connu.


Sans être complète, voici la liste de ces ouvrages, dont le titre et l’existence sont attestés par les Pères.

De Simon de Gitton, une’A-rJsxai ; [AsystÀT], Philosophoumena, Vꝟ. 1, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 249 ; des’AvTtppï]Tixâ, pseudo-Denys, De div. nom., i, 2, P. G., t. iii, col. 857.

De Basilide, un évangile, to xaxà Ba<jt/.£ : 8r, v eùayyl-Xiov, Origène, In Luc, homil. i, P. G., t. xiii, col. 1083 ; S. Ambroise, In Luc, i, 2, P. L., t. xv, col. 1533 ; S. Jérôme, In Matth., prolog., P. L., t. xxvi, col. 17 ; des’Eç7]yr]T’.xà il ; to EÙayysXiov, en 24 livres, d’après Agrippa Castor, Eusèbe, II. E., iv, 7, P. G., t. xx. col. 317 ; l’auteur de la Disputatio Archclai cum Mancle en cite deux passages du XIIIe livre, Disput., 55, P. G., t. ix, col. 1524 ; et Clément d’Alexandrie en cite un autre tiré du XXIIIe, Slrom., IV, 12, P. G., t. viii, col. 1289 ; des Hymnes, d’après un fragment d’Origène.

D’Isidore, un Qepi repo<r » uouç<j/’j^T]ç, Clément d’Alexandrie, Slrom., II, 20, P. G., ’t. viii, coi. 1057 ; des’KÇrjr, -Ti /.à tou ;  : po<prJTOu llap/iôp, dont Clément d’Alexandrie cite un passage tiré du I er livre, Slrom., VI, 6, P. G., t. ix, col. 276 ; des’Hôtxa ou 7 : apaiv&Tissâ, sortes d’homélies. Clément d’Alexandrie, Slrom., III, 1, P. G., t. viii, col. 1101.

D’Épiphane, un LTepi 3uaio<ruv7]ç. Clément d’Alexandrie, Slrom., III, 2, P. G., t. viii, col. 1105.

De Valentin, des Hymnes ou Psaumes, Tertullien, De came Christi, 17, P. L., t. ii, col. 781 ; des Épîlres, entre autres celle à Agathopode, Clément d’Alexandrie, Slrom., III, 7, P. G., t. viii, col. 1161 ; des Homélies, entre autres une Ilepî tpîXtov, Clément d’Alexandrie, Slrom., VI, 6, P. G., q. ix, col. 276 ; un De mali origine, dont les Dialogues contre les marcioniles contiennent un fragment, P. G., t. vii, col. 1273.

De Ptolémée, une’E^taToXr) 7 : po ; « JXaSpav, conservée par saint Épiphane, Hier., t. xxxiii, 3-7, P. G., t. vii, col. 1281-1292 ; un commentaire In Joa. S. Irénée, Cont. liœr., i, 8, 5, P. G., t. vii, col. 532.

D’Héracléon, des commentaires In Luc, Clément d’Alexandrie, Slrom., IV, 9, P. G., t. viii, col. 1281 ; et In Joa., dont Origène a discuté 42 passages, P. G., t. vii, col. 1293-1322. Voir A. E. Brooke, The fragments of Hcraclcon, dans Tcxls and studics, Cambridge, 1891, t. i.

D’Alexandre, des Syllogismi. Tertullien, De canif Christi, 17, P. L., t. ii, col. 781.

De Théotime, un traité, dont Tertullien, sans en donner le titre, qualifie le caractère allégorique : mullum circa imagines legis operatus est. Adv. valent., 4, P. L., t. ii, col. 546.

D’Apelles, un commentaire des « havrjpiôcjsi ; de Philuniène, et des y>jAÀoyi<j[j.oi.Pseudo-Tertullien, De præscripl. , 51, P. L., t. ii, col. 71.

De Marcion, des Épîtrcs, Tertullien, Cont. Marc., i, 1 ; iv, 4, P. L., t. ii, col. 248, 366 ; un Psalmorum liber, d’après le fragment de Muratori, P. L., t. iii, col. 193 ; un Liber propositi finis, d’après la préface des canons arabes du concile de Nicée, Mansi, Concil., t. ii, col. 1057 ; et des’AvT’.Ofaa :, réfutées par Tertullien, Cont. Marc., i, 19 ; iv, 1, P. L., t. ii, col. 267, 363, 366.

De Cassien, des’EÇr^Ti/â, Clément d’Alexandrie, Slrom., 1, 21, P. G., t. viii, col. 820 ; un Ilspi iyxoaTEÎa ; ou -i<-À EÙvou^îaç. Strom., III, 13, P. G., t. viii, col. 1192.

Fragments gnostiques.

De toute cette production

gnostique il ne reste que quelques fragments épars dans les œuvres des Pères. Clément d’Alexandrie avait fait un recueil de 86 extraits valentiniens attribués à un Théodote, personnage d’ailleurs inconnu. Ce recueil porte le titre suivant : ’EI. tûv fckoSrjto’j xal ttjç àvaïoXw. 7Jç xaXou[i£vï)ç BiBaaxaXîa ; /.axa xobç OùaÀevrivou ypôvovç ïr.’.-o[xai. P. G., t. ix, col. 653-697. Ruben en a donné une édition critique : Clemenlis Alcxandrini excerpta ex Thcodoto, Leipzig, 1881.

Dans son édition des œuvres de saint Irénée, doin Massuet a inséré un recueil de fragments gnostiques appartenant à Basilide, à Épiphane, à Isidore, à Valentin et à Héracléon. P. G., t. vii, col. 1263-1322. Mais cette liste est loin d’être complète. Il y manque notamment sept passages des Syllogismes d’Apelles. conservés par saint Ambroise dans son De paradiso, et recueillis par Harnack, Sieben Bruchstùcke der Syllogismen des Appelles, dans Texte und Untersuchungen, Leipzig, 1890, t. vi, 3, p. 110-120, il y manque aussi ceux qu’on trouve d’autres auteurs gnostiques, soit dans les Philosophoumena, soit ailleurs. Beaucoup plus complet est le recueil fait par Harnack, Allchristliche Literatur, Die Ueberlieferung, t. i, p. 144-231.

Ouvrages gnostiques.

A part la lettre de Ptolémée

à la femme ebrétienne Flora, mentionnée plus haut, ou ne possède encore aucun ouvrage entier d’un gnostique connu. Mais depuis quelques années, les manuscrits d’Egypte nous ont donné, en des versions coptes, quelques livres gnostiques. Ceux qu’on a découverts jusqu’ici proviennent des sectes d’origine syrienne et non des écoles alexandrines de Basilide, de Valentin et de Carpocrate.

Un spécimen curieux de livre gnostique est la Pistis Sophia, trouvée en copte, et publiée par Schwartze et l’etermann, en 1851, à Berlin. C’est un véritable roman gnostique, divisé en quatre livres, dont les trois premiers ont été identifiés avec l’apocryphe connu sous le nom de’EptoTrJceiç Mapîaç et signalé par saint Épiphane comme une pièce ophite.

Dans le papyrus de Bruce se trouvent deux traités gnostiques traduits du grec, qui appartiennent au même milieu gnostique que la Pistis Sophia. Le premier a été identifié avec les Livres de Jeu que la Pistis Sophia attribue à Enoch ; le second est sans titre et

mutilé au commencement et à la fin. Cf. E. Amélineau, Notice sur le papyrus de Bruce, Paris, 1891, texte copte et traduction française ; C. Schmidt, Gnostiche Schrijlen in koplische Sprache aus dem Cod. Bruc, Leipzig, 1892 ; Koplisch-gnostische Schriflen, Leipzig, 1905, t. i, dans Die griechischen christlichen Schrillstcllcr der ersten drei Jahrhunderle.

M. C. Schmidt a découvert dans une autre papyrus du v c siècle, actuellement à Berlin, trois autres pièces gnostiques coptes : un Ejayyiviov y.axà Mapiâu, dont on trouve textuellement quelques passages dans saint Irénée, Cont. hser., i, 21, P. G., t. vii, col. 661-669 ; une y>jç : x’Ij]<jou XpidTOu, véritable apocalypse dans le genre de la Pistis Sophia, totalement inconnue jusqu’ici ; et une Ilpaït ; IIîtcoj.

4° Ouvrages des auteurs ecclésiastiques contre le gnosticisme. — Si on était réduit, pour traiter le gnosticisme, à n’utiliser que les renseignements de source purement gnostique, on voit combien la tâche serait malaisée. Heureusement une telle pénurie se trouve compensée par les éléments d’information qu’on rencontre dans les Pères ; non certes que tous les ouvrages patristiques contre la gnose nous soient parvenus, mais ceux qui restent sont des plus précieux.

Il n’est guère d’auteur ecclésiastique du n c siècle ou du commencement du m qui n’ait écrit contre les hérésies en général, contre telle ou telle hérésie, contre tel ou tel chef de la gnose ou sur quelque sujet particulièrement attaqué par les gnostiques. Nous savons, par exemple, que saint Justin avait composé un Euvtoty ; j.a /.arà -aaôiv Ttov ysyEvi, p.Évojv aipeaécov, comme il nous l’apprend dans sa première Apologie, 26, et un IIooç Mapxûova, d’après saint Irénée, Cont. hær., iv, G, 2, P. G., t. vii, col. 987. Agrippa Castor avait combattu et réfuté Basilide dans un ouvrage dont Eusèbe signale l’existence sans en dire le titre, H. E., iv, 7, P. G., t. xx, col. 317. Eusèbe signale de même un autre ouvrage de Rhodon contre l’hérésie de Marcion, H. E., iv, 13, P. G., t. xx, col. 460 ; mais il donne les titres de ceux de Philippe de Gortyne et de Modestus, Koct « MapxCcovo ;, H. E., iv, 25, col. 389 ; de saint Hippolyte, un Katà Mapxttovo ; et un IIpoç à-âaa ; Ta ; aipsasiç, H.E., vi, 22, col. 576 ; de saint Théophile d’Antioche, un Katà Mapxîwvo ; et un IIpoç tr, v aïpsaiv’Epjj.oysvoj5, H. E., iv, 24, col. 389 ; et de Bardesane, un Ka^à Map/icova BiâXoyo ;. H. E., iv, 30, col. 401.

Parmi les ouvrages antignostiques qui ne nous sont pas parvenus, il convient de signaler un Dialogue contre Candide le valentinien, d’Origène, mentionné par saint Jérôme, Apol. adv. lib. Rufini, ii, 19, P. L., t. xxiii, col. 442-443 ; un EUpî [Aovapyîaç, comme quoi Dieu n’est pas l’auteur du mal, et un Ihp ; ôySoàSo :, contre la gnose valentinienne, attribués à saint Irénée par Eusèbe, II. E., v, 20, P. G., t. xx, col. 484. Tertullien nous apprend lui-même qu’il avait composé un De censu animée contra Hermogenem, De anima, 3, P. L., t. ii, col. 016, 652 ; et un Adversus Appellicianos, De carne Christi, 8, P. L., t. ii, col. 769. Pareillement l’auteur des Philosophoumena fait allusion à deux écrits sortis de sa main, dont il ne donne pas les titres, Philosoph., I, 1, p. 2 ; et il signale un Katà (/.âycov et un Ilspi Tf, c to’j r.avxôi oJaîaç. Philosoph., VI, 40 ; X, 32, p. 305, 515.

Mais à défaut de tous ces traités, dont nous ne connaissons que le titre ou l’existence, nous possédons un poème en vers hexamètres, en cinq livres, qui ont pour titre : De Deo unico, De concordia velcris et novse legis, De concordia Palrum Velcris et Novi Testamenti, De Marcionis antilhesibus et De variis Marcionis hseresibus. Ce poème Adversus Marcionem, P. L., t. ir, col. 1053-1090, est loin d’avoir l’intérêt et l’importance des Dialogues contre les marcionites, insérés parmi les œuvres d’Origène, P. G., t. xi, col. 1713-1814, et connu