Dictionnaire de la Bible/Miel

Letouzey et Ané (Volume IVp. 1079-1080-1083-1084).
◄  MIDRASCH
MIEL

MIEL (hébreu : debaš ; assyrien : dišpu ; ya‘ar et ya‘erâh, noféṭ, « distillation des rayons de miel ; » Septante : μέλι ; Vulgate : mel ; le rayon de miel s’appelle ṣûf, κηρίον μέλιτος, favus mellis, Prov., xvi, 24), produit animal dû aux abeilles, d’une saveur extrêmement douce. « Qu’y a-t-il de plus doux que le miel ? » Jud., xiv, 18.

I. Nature du miel.

1o Le miel est une substance sucrée que les abeilles extraient des fleurs, qu’elles élaborent dans leur estomac et qui leur sert ensuite à nourrir leurs larves. Il se compose d’un mélange de sucre analogue à celui du raisin, de sucre incristallisable comme la mélasse et d’un élément aromatique particulier. Les abeilles le déposent dans les alvéoles de leurs gâteaux de cire. Voir Abeilles. Quand ces gâteaux sont exposés au soleil, il en découle un miel blanc ou vierge ; un miel jaune et moins pur est ensuite tiré des gâteaux par compression. La qualité du miel, sa douceur, son parfum, dépendent de la nature des plantes sur lesquelles les abeilles vont butiner. Délayé dans l’eau, le miel donne par fermentation un liquide agréable, l’hydromel. Le miel abondait en Palestine ; aussi la Sainte Écriture en fait-elle souvent mention.

2o Josèphe, Bell. jud., IV, viii, 3, donne le nom de miel à la liqueur que l’on exprimait des palmiers de Jéricho, et il dit que ce miel était à peine inférieur à celui des abeilles. Il s’agit sans doute ici de la substance appelée huile ou beurre de palme. Cf. Hérodote, i, 193. D’autres auteurs ont pensé qu’il pouvait être question, dans les Livres Saints, d’une sorte de miel végétal, tel que la manne du tamarix mannifera. Sous l’influence de la piqûre d’un insecte, le coccus manniparus, l’arbrisseau laisse découler une substance jaune, qui pend en gouttelettes aux tiges et ensuite tombe à la chaleur du soleil. Cette substance est un miel véritable ; elle en a le goût, la douceur, la composition chimique, avec addition d’un cinquième de dextrine. Les Arabes la recueillent et la mangent avec du pain, comme le miel. Cf. Berthelot, Comptes rendus de l’Acad. des sciences, Paris, sept. 1861, p. 584-586 ; Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, Paris, 6e édit., t. ii, p. 462-470. Mais aucun des passages dans lesquels il est parlé de miel ne suppose formellement une substance végétale, différente du miel des abeilles.

3o Toutefois, on s’est demandé s’il ne fallait pas, au moins en quelques endroits, identifier le debaš hébreu avec le dibs arabe. Le dibs est un produit obtenu avec des grains de raisin. Voir t. iii, col. 1714. Ceux-ci sont pressés exactement comme des olives. Le jus est mis à bouillir pendant une heure dans un bassin de métal, refroidi dans une auge, puis versé à nouveau dans le bassin. Après trois heures d’ébullition, on a le racon, substance noire et liquide. Pour obtenir le dibs proprement dit, on maintient l’ébullition pendant quatre heures ; le produit, transporté ensuite à la maison, est tourné et battu avec une branche fraîche de figuier une heure par jour pendant un mois. Au bout de ce temps, on a le dibs, substance épaisse et d’un jaune brun. Il faut quatre kilogrammes de raisins pour un kilogramme de racon, valant 40 paras, et cinq kilogrammes pour un de dibs, valant 60 paras. On trouve encore en Palestine des installations qui ont dû servir à cette fabrication et portent les traces d’une grande antiquité. Cf. Wood, Bible animals, Londres, 1884, p. 611. Les Grecs et les Romains préparaient, par un procédé analogue, ce qu’ils appelaient ἕψημα, Hippocrate, 359, 6 ; σίραιος οἶνος ou σίραιον, Aristophane, Vesp., 878 ; defrutum et sapa. Pline, H. N., xiv, 11 ; cf. Virgile, Georg., i, 296 ; Ovide, Fast., iv, 780. A. Russell, The natural History of Aleppo, Londres, 1756, p. 82, témoigne de la prédilection des Syriens pour le dibs, qui a l’apparence d’un miel grossier. Rosenmüller, In Genes., Leipzig, 1785, p. 334 ; Ezechiel, Leipzig, 1810, t. ii, p. 269 ; Winer, Bibl. Realwörterbuch, Leipzig, 1833, p. 603 ; Delitzsch, Die Genesis, Leipzig, 1853, t. ii, p. 106 ; Wood, loc. cit. ; Tristram, The natural history of the Bible, Londres, 1889, p. 324, et d’autres, pensent que le debaš envoyé par Jacob à Joseph, Gen., xliii, 11, ou échangé avec Tyr par les Hébreux, Ezech., xxvii, 17, n’était que du dibs. Buhl, Gesenius' Handwörterbuch, Leipzig, 1899, p. 170, admet ce sens pour les deux passages précédents. Cf. Robinson, Neuere biblisch. Forschungen, Berlin, 1857, p. 50. L’existence du dibs à l’époque de Jacob ou même d’Ézéchiel n’est pas démontrée. La mention du miel d’abeille paraît toute naturelle dans les deux passages allégués. Le miel est à peine mentionné dans les monuments égyptiens, tandis que la vigne et le vin y figurent assez souvent ; Jacob était donc bien avisé en envoyant à son fils un produit du pays de Chanaan. C’est très probablement aussi du miel animal, si abondant en Palestine, que les Hébreux vendaient à Tyr, au même titre que leurs autres produits naturels, froment, baume, huile, résine, etc. Cf. Fr. de Hummelauer, In Genesim, Paris, 1895, p. 558. En tous cas, rien, dans la Sainte Écriture, n’indique que le mot debaš puisse s’entendre tantôt du miel d’abeilles et tantôt du dibs.

4o On ne sait pas si les anciens Hébreux élevaient des abeilles en ruches artificielles, pour en recueillir plus aisément le miel. Le miel était ordinairement trouvé là où les essaims s’établissaient de préférence, dans le creux des rochers, Deut., xxxii, 13 ; Ps. lxxxi (lxxx), 17, et dans les cavités des vieux arbres. I Reg., xiv, 26. Le μέλι ἅγριον, mel silvestre, dont se nourrissait saint Jean-Baptiste, Matth., iii, 4 ; Marc., i, 6, avait cette dernière origine. Cf. Fillion, Évang. selon S. Matth., Paris, 1878, p. 70 ; Jansenius, Comment, in Evang., Louvain, 1699, p. 28, etc. Selon d’autres, Liagre, In S. Matth., Tournai, 1883, p. 65 ; Knabenbauer, Evang. sec. S. Matth., Paris, 1892, p. 121, etc., ce serait seulement le suc de certaines plantes, auquel Diodore de Sicile, xix, 94, donne le nom de μέλι ἅγριον. On remarque que ce suc convenait mieux que le miel d’abeilles à l’austérité du Précurseur. Mais le miel sauvage n’était pas toujours d’une qualité supérieure à celle du miel végétal, et il abondait dans le désert, où les Bédouins continuent à le recueillir. Cf. Tristram, The natur. history, p. 325. Il n’y a donc pas lieu de s’écarter ici non plus du sens ordinaire du mot μέλι, « miel. »

II. Le miel dans la Palestine actuelle.

Le miel abonde encore aujourd’hui en Palestine, parce que les abeilles sauvages et domestiques y sont toujours très nombreuses. Les premières habitent, comme autrefois, le creux des vieux arbres et surtout les trous des rochers, de sorte que le miel coule littéralement « de la pierre », selon l’expression biblique. Deut., xxxii, 13. Les secondes sont élevées dans des ruches, de forme très simple. « Ces ruches consistent en des espèces de cylindres de terre séchée au soleil, en forme de tuyaux ; elles ont environ 1m20 de longueur et sont fermées aux deux extrémités avec de la terre, en laissant seulement au centre une ouverture assez large pour que deux ou trois abeilles puissent y passer à la fois… On ne connaît point la coutume barbare de détruire les essaims pour s’emparer du miel. Quand les ruches sont pleines, on enlève la terre qui les ferme aux deux bouts et l’on extrait le miel avec un crochet de fer ; les rayons qui renferment les jeunes abeilles sont soigneusement replacés et les ruches fermées de nouveau. On trouve partout du miel à acheter, en voyageant dans le pays. Les habitants du pays en font usage pour des préparations culinaires et en particulier pour des gâteaux. Il a le goût délicat et aromatique du miel parfumé de thym de l’Hybla ou de l’Hymette… Mais quelque nombreuses que soient les colonies d’abeilles dans les villages, le nombre des mouches à miel sauvages est encore beaucoup plus grand. Les innombrables fissures et les fentes des rochers calcaires qui flanquent partout les vallées offrent un asile sûr aux essaims, et beaucoup de Bédouins, particulièrement dans le désert de Juda, gagnent leur vie en faisant la chasse aux abeilles et en allant vendre à Jérusalem des jarres de ce miel sauvage dont saint Jean-Baptiste se nourrissait dans le désert et que longtemps auparavant Jonathas avait goûté innocemment quand le rayon était tombé par terre du creux de l’arbre où il était suspendu. » H. B. Tristram, The Land of Israel, p. 86-87.

III. Usages du miel.

1o Le miel constituait tout d’abord pour les Hébreux un aliment sain, abondant et économique. Les Orientaux, observe Tristram, Nat. Hist., p. 325, ont l’habitude de manger du miel à un degré qui causerait la nausée à nos estomacs occidentaux. Il est plusieurs fois question, dans la Sainte Écriture, du miel servant à la nourriture, I Reg., xiv, 14, 26-27 ; II Reg., xvii, 29 ; III Reg., xiv, 3 ; Cant., v, 1 ; Is., vii, 15 ; Eccli., xxxix, 31 ; Matth., iii, 4 ; Marc., i, 6 ; Luc, xxiv, 42, conservé, Jer., xli, 8, transporté, Gen., xliii, 11, ou vendu, Ezech., xxvii, 17, pour le même usage. Il est recommandé de n’en point manger à l’excès. Prov., xxv, 16. Pour donner une idée du goût de la manne, on dit qu’il ressemblait à celui du miel. Exod., xvi, 31. Sur le miel trouvé dans le corps du lion mort, Jud., xiv, 18, voir Abeille.

2o On mélangeait quelquefois le miel avec le lait, pour rendre celui-ci plus sucré et plus doux. Is., vii, 15, 22 ; Callimaque, Ad Jov., 49 ; Bochart, Hierozoicon, Leipzig, 1793, t. i, p. 718. Avant la découverte de l’Amérique, c’était le miel qui servait le plus habituellement pour sucrer les autres substances. Chez les Arabes, le mélange de ces deux aliments est très apprécié. Voir Lait, col. 39. Cf. de la Roque, Voyage dans la Palestine, Amsterdam, 1718, p. 197. On considérait le mélange du miel avec le lait on le beurre comme très favorable à l’alimentation des jeunes enfants. Is., vii, 15. Saint Jérôme, In Is., iii, 7, t. xxiv, col. 110, dit que ce sont là les « mets de l’enfance ». Cf. Epist. Barnabæ, 6, t. ii, col. 741 ; Tertullien, De coron., 3 ; Adv. Marc., i, 14, t. ii, col. 79, 262, etc. Le traité Sota, f. 11, prétend que le Seigneur nourrissait miraculeusement les petits enfants des Hébreux, en Égypte, avec du miel et du beurre. Il est question de semblable nourriture dans Odyss., xx, 69, dans le code de Manou, cf. Journal des Savants, oct. 1826, p. 593, etc. On faisait aussi des gâteaux avec de la farine mêlée de miel. Lev., ii, 11. Cf. Horace, Epist., I, x, 10. Josèphe, Ant. jud., XIV, vii, 4, raconte que le corps d’Aristobule, empoisonné à Rome par les partisans de Pompée, fut enseveli dans du miel et ensuite transporté en Judée dans le tombeau des rois. Les Hébreux n’ont jamais employé le miel à pareil usage.

3o On était obligé de donner aux prêtres la dîme et les prémices du miel. Lev., ii, 12 ; II Par., xxxi, 5. Cependant, cette substance ne pouvait en aucun cas faire partie des offrandes apportées au Temple. Lev., ii, 11. Les rabbins comprenaient aussi le dibs dans cette prohibition. Le miel végétal entre facilement en fermentation, Pline, H. N., xviii, 11 ; Plutarque, Sympos., iv, 5, d’où le sens du mot hidebbîš, « fermenter, se corrompre, » dans l’hébreu talmudique. Buxtorf, Lexic. chald. et talm., Bâle, 1640, p. 500. Or, la Loi excluait du culte toute matière fermentée, tandis que le miel servait fréquemment dans les cultes païens. Cf. Bähr, Symbolik des mosaischen Cultus, Heidelberg, 1839, t. ii, p. 303, 322, 336 ; Martin, Textes religieux assyriens et babyloniens, Paris, 1903, p. 251, 253, 255, etc. Le miel d’abeilles était proscrit à cause des impuretés que pouvait lui faire contracter son origine animale.

IV. Le miel dans les métaphores.

1° Le miel était avec le lait le symbole de la fertilité naturelle du sol. Le pays de Chanaan est ordinairement appelé une terre où « coulent le lait et le miel ». Exod., iii, 8, 17 ; xiii, 5 ; xxxiii, 3 ; Lev., xx, 24 ; Num., xiii, 28 ; xiv, 8 ; xvi, 13, 14 ; Deut., vi, 3 ; xi, 9 ; xxvi, 9, 15 ; xxxi, 20 ; Jos., v, 6 ; Is., vii, 15, 22 ; Jer., xi. 5 ; xxxii, 22 ; Ezech., xx, 6, 15 ; Bar., i, 20 ; IV Reg., xviii, 32 ; Eccli., xlvi, 10. Cette expression, devenue proverbiale, marque la grande richesse du pays que Dieu voulut donner à son peuple ; pays de gras pâturages fournissant l’abondance du lait, pays de forêts et de rochers caractérisé, même dans les déserts, par l’abondance du miel. Il est à croire que dans l’expression ’éréṣ zâbaṭ ḥâlâb û-debâš, « terre coulant le lait et le miel, » le vav indique la concomitance, comme dans plusieurs autres passages. Cf. Job, xli, 12 ; II Reg., xii, 13. Les Hébreux nomades devaient aimer, comme les Arabes, le mélange du lait et du miel. Voir Lait, col. 39, et Guidi, Une terre coulant du lait et du miel, dans la Revue biblique, 1903, p. 241-243. Outre l’idée d’abondance, il y a donc encore dans l’expression biblique celle de nourriture agréable et succulente. Le mélange de lait et de miel était également connu des anciens Grecs, sous le nom de μελίκρατον. Cf. Odyss., x, 519 ; Euripide, Orest., 115. Le lait et le miel figurent d’ailleurs ici tous les autres produits naturels du pays de Chanaan, produits si abondants qu’ils sembleront couler eux-mêmes du sol. Quand Rabsacès veut décider les habitants de Jérusalem à se rendre et à se laisser déporter en Assyrie, il ne manque pas de leur promettre une contrée semblable à la leur, abondante en blé, en vin, en huile et en miel. IV Reg., xviii, 32. Cf. Deut., viii, 8. Dans sa description de l’âge d’or, Ovide, Metam., i, 112, 113, emploie la même image que les Livres Saints :

Flumina jam lactis, jam flumina nectaris ibant,
Flavaque de viridi stillabant ilice mella,

« des fleuves de lait, des fleuves de vin coulaient alors, et des chênes verts distillaient les miels d’or. » Cette expression est douc bien typique pour caractériser la fertilité d’un pays. Cf. Euripide, Bacch., 142 ; Horace, Od., II, xix, 10 ; Claudien, Laud. Stilic., i, 84. Ctésias, Indic., 13, prend la figure trop à la lettre, quand il signale dans l’Inde ποταμὸς ἐκ πέτρας ῥέων μέλι, un fleuve de miel coulant du rocher. Dans Job, xx, 17, il est dit du méchant qu’il ne verra plus les ruisseaux, les torrents, les fleuves de lait et de miel, pour signifier que toute prospérité lui sera ravie. En général, le miel désigne tous les bienfaits temporels et spirituels dont Dieu a comblé son peuple. Deut., xxxii, 13 ; Ps. lxxxi (lxxx), 17 ; Ezech., xvi, 13, 19.

2o À raison de sa douceur, le miel est le symbole des choses douces, suaves et agréables. Les auteurs sacrés comparent à la douceur du miel celle de la sagesse, Prov., xxiv, 13 ; Eccli., xxiv, 27 ; celle de la loi de Dieu, Ps. xix (xviii), 11 ; celle du rouleau sacré que les prophètes reçoivent l’ordre de manger, Ezech., iii, 3 ; Apoc., x, 9, 10 ; celle de la mémoire d’un pieux roi, Eccli., xlix, 2 ; enfin celle des paroles du sage, Prov., xvi, 24, de l’épouse, Cant., iv, 11, et même de la courtisane. Prov., v, 3.