Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 117-118).
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DE. Article du génitif, qui sert quelquefois de préposition, & souvent d’adverbe. Quoi qu’en disent les Grammairiens, de n’est point article, mais simple préposition ; comme à, si ce n’est peut-être quand il est mis devant un nominatif. Voyez ce que nous avons dit sur les particules A & AU. Le fils de Pierre, de Jacques. On dit aussi : Il est né de bon lieu, de bon père & de bonne mère. Je tiens cela de lui. Il est allé de Paris à Lyon. De cent ans en cent ans cette comète reparoît. Cela est distant de cent lieues. Vous ne me verrez de trois mois. Après les noms de nombre, il faut mettre de : Il y en a eu cent de tués. Cette étoffe a une aune de large. Cette allée a cent toises de long. On navige de jour & de nuit. Il est mort de pleurésie. Cela est de bon or, de bonne étoffe. De bond & de volée. De gré à gré. De pied ferme. D’aventure. De par le Roi. D’où venez-vous ? Toutes les fois que cette particule de est un article ou un adverbe, elle ne se rend point en latin par aucune autre particule ; mais le nom auquel elle est jointe se construit dans les cas différens que demande la Grammaire Latine. Quand de est une préposition, elle se rend par de, ex, è, à, ab, & quelquefois même on la supprime entièrement. Consultez la Grammaire.

Cet article de veut toujours être uni immédiatement à son nom, sans qu’il y ait rien d’étranger qui les sépare. On blâme cette construction : J’ai suivi l’avis de presque tous les Jurisconsultes ; il falloit que de fût attaché à son nom tous. Remarquez encore qu’au nominatif & à l’accusatif de se met devant l’adjectif pluriel au nominatif, au datif & à l’accusatif. Ce sont de vaillans soldats. Ils firent des funérailles à leurs morts comme à de vaillans hommes. Ablanc. Dieu réserve de précieuses couronnes pour honorer la vertu de les serviteurs. Maucroix. Mais au génitif & à l’ablatif, il faut toujours mettre des devant l’adjectif. Vaug. La constance & la fermeté des grands hommes n’est pas tout ce que l’on s’imagine. Je me suis arraché des cruelles mains de ces barbares. Il en doit être de même des substantifs. La constance des Martyrs a quelque chose d’admirable. Il s’est arraché des mains de ses ennemis.

De, se joint aux adverbes en cette manière, de près, de peu, de beaucoup. Avec cette licence d’imagination il n’est pas difficile d’être abondant ; mais le jugement & le goût resserrent de beaucoup ces richesses. De la Motte.

De, se joint quelquefois à l’article défini, & avec cet article de marque le nominatif & l’accusatif. Faut-il que de la canaille vous fasse la loi ? De la résolution suffit. Il lui manque de l’argent. Emprunter de l’argent. Avoir de l’honneur. Abbé Regn. Quelquefois le même de sans article se met avec les nominatifs & les accusatifs. Donner de bon argent. De grands Philosophes tiennent. Id. De se met aussi avec le génitif, & en est la marque, aussi bien que de l’ablatif. Un grain de blé. Avoir besoin d’argent. Agir de tête. Id. Ces remarques ne sont vraies qu’autant qu’on suit les notions établies par les Grammairiens Grecs & Latins, & qu’on les applique à la langue Françoise & quand on dit que de se met avec l’ablatif, il est alors préposition, & répond aux prépositions Latines à, ex, è, de, & est formé de la dernière.

De, suivi d’un infinitif, se met pour que avec un subjonctif, par exemple, il m’a dit de faire, pour, il m’a dit que je fisse. Le P. Bouhours appelle cette façon de parler un gasconisme, qui est en usage dans la conversation, mais il dit qu’il ne voudroit pas l’employer en écrivant.

De, étant après les titres de Monseigneur & Monsieur, comme Monsieur de Chastillon, de Luxembourg ; &c. se retranche lorsqu’on retranche le titre de Monseigneur, ou de Monsieur ; par exemple, Chastillon, Luxembourg, &c. La Ferté-Séneterre, accompagné de Ruvigni & de Piennes ses Maréchaux de Camp, étoit parti de Béthune avec toutes ses troupes. Sarasin. L’universalité jointe à l’éminence des vertus guerrières étoit le caractère de l’invincible Condé. P. Bourd. Ce fut alors pour la première fois que l’on vit Luxembourg reculer les armes à la main devant le Prince d’Orange ; mais à la honte du Prince même. P. de la Rue. On conserve néanmoins ce de devant les noms qui ne sont que d’une syllabe, comme de Thou, ou qui sont de deux avec un e muet à la fin, comme de Vardes, de Rades ; ou qui commencent par une voyelle, comme d’Etouteville, d’Usez ; on disoit Stoup & Lée, &c. sans l’article de, soit avec le titre de Monsieur, soit sans ce titre.

De, se met encore après le mot de rivière devant les noms propres de rivière qui sont du genre féminin, la riviere de Seine, de Loire, de Somme, de Garonne, &c. Et après le mot de montagne devant le nom propre des montagnes. Montagne de Tarare. Voyez la Grammaire du P. Buffier.

Cette préposition, en termes de Marine, marque le temps ou l’état de la mer. Quum, dum. cette baie asseche de basse mer, les chaloupes n’y peuvent entrer que de haute mer, de pleine mer. Denys. P. I. C. 5. c’est-à-dire, lorsque la mer est basse, lorsque la mer est haute.

De, proposition, signifie souvent la manière, les accidens, les circonstances d’une action. Un d’eux joua toujours de si grand malheur, qu’il perdit tout son argent. Bouh. Xav. L. III. Il se présenta d’un air si grand, si vif, si touchant, qu’on ne put s’empêcher de l’admirer en même temps & de le plaindre. Il accorde les graces, il refuse même d’une manière si pleine de bonté, qu’on ne peut lui vouloir de mal.

De ce que, conjonction causative dont se sert ordinairement M. Descartes. Ex ce quòd, &c. De ce que nous voyons un tel effet, il s’ensuit, &c. Il me hait davantage de ce qu’il m’avoit témoigné de la haine inutilement. Bussi Rab.

De, entre aussi dans la composition de plusieurs mots, tant noms, que verbes, adverbes dont il change la signification, comme on verra à leur ordre. Il emporte d’ordinaire la destruction, ou le contraire de ce que signifie le verbe, ou le mot simple, comme démeubler, dénouer, &c. Quelquefois il donne plus d’étendue, ou plus de force à la signification du mot, comme démontrer, dévorer, &c.

De moi, est une transition, dont Malherbe, & autres Poëtes plus anciens se sont servis. On dit maintenant, pour moi. Equidem, ego verò, ad me verò quod attinet.

De moi, que les respects obligent au silence,
J’ai beau me contrefaire, & beau dissimuler,
Les douceurs où je nage ont une violence
Qui ne se peut celer. Malherbe.

De par, préposition composée de la préposition de, & de la préposition par. Elle signifie, par ordre, par autorité. De par le Roi je vous arrête, dit un Officier de Justice en arrêtant un homme. Les Marchands de Tabac mettent à leur enseigne, De par le Roi vente & distribution du Tabac. On s’en sert aussi en style burlesque, pour exprimer un jurement, un serment.

J’avois juré, quelque cher qu’il m’en coûte,
De par le chef de Monsieur Saint Martin,
Que pour guérir les douleurs de ma goutte
Je ne boirois de meshui plus de vin.

Nouv. choix de Vers.