Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COMÉDIE

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 706-707).
◄  CÔME
COMÉDIEN  ►

☞ COMÉDIE, s. f. notre langue n’avoit autrefois qu’un terme pour exprimer toutes sortes d’œuvres dramatiques que l’on appeloit du nom commun de Comédies. Ces pieuses représentations des mystères de notre religion, qui depuis Charles V ont été en usage en France pendant environ 150 ans, se nommoient des comédies, quoiqu’elles ne fussent rien moins que comiques pour leurs dévots spectateurs.

☞ Du temps de Corneille, & même long temps après, les tragédies ont porté le nom de comédies. On disoit la Comédie du Cid, la Comédie de Cinna, la Comédie de Phédre. Madame de Sévigné se sert de cette expression. On dit encore aujourd’hui j’ai été à la Comédie, quoiqu’on ait été voir une Tragédie. Il semble donc que le terme de Comédie soit générique dans notre langue & convienne à toutes sortes de représentations théâtrales.

La fin du règne de Charles V vit naître les commencemens des pièces de Théatre en France sous le nom de Chant-Royal. Voyez au mot Chant ce que c’étoit. Il se forma plusieurs sociétés qui faisoient de ces pièces à l’envi ; l’une desquelles commença à mêler dans ces pièces différens événemens, ou épisodes, qu’ils distribuèrent en actes, en scènes, & en autant de différens personnages, qu’il étoit nécessaire pour la représentation. Leur premier essai se fit au bourg S. Maur. Ils prirent pour sujet la passion de N. S. Le Prévôt de Paris en fut averti, & leur défendit de continuer. Ils se pourvurent à la Cou ; & pour se la rendre plus favorable, ils érigèrent leur société en confrérie, sous le titre des Confreres de la Passion de N. S. Le Roi voulut voir quelques-unes de leurs pièces, elles lui plurent, & cela leur procura des lettres du 4e Décembre 1401 pour leur établissement à Paris. M. de la Mare les rapporte dans son Traité de Pol. L. III, T. III, C. 9. Ces Confrères de la Passion avoient fondé dans la Chapelle de la Sainte Trinité le servie de leur Confrérie. Dans la maison dont dépendoit cette Chapelle, & qui avoit été bâtie & fondée hors la porte de Paris du côté de S. Denys, par deux Gentils-hommes Allemans frères utérins, pour recevoir les Pélerins & les Pauvres Voyageurs qui arrivoient trop tard pour entrer dans la Ville, dont les portes se fermoient alors, il y avoit une grande salle que les Confreres de la Passion louèrent ; ils y firent construire un Théatre, & y représentèrent leurs jeux, qu’ils nommoient simplement Moralités. François I confirma tous leurs privilèges par lettres patentes du mois de Janvier 1518, & ces pièces sérieurs durèrent près d’un siècle & demi. On s’en ennuya. Les Joueurs y mêlèrent quelques farces tirées de sujets profanes & burlesques, qui firent plaisir au Peuple, & qu’on nomma Les Jeux des pois piles, apparemment par allusion à quelque scène qui s’y représenta. Ce mêlange de Morale, ou de Religion & de bouffonnerie, déplut dans la suite aux gens sages. La maison de la Trinité fut de nouveau convertie en Hôpital, suivant sa fondation ; ainsi les Confreres de la passion furent obligés de la quitter. Comme ils avoient fait des gains considérables, ils se trouvèrent en état d’acheter l’ancien hôtel des Ducs de Bourgogne, qui n’étoit plus qu’une masure. Ils y firent bâtir une nouvelle salle, un théatre, &c. Le Parlement, par Arrêt du 19 Nov. 1548, leur permit de s’y établir, à condition de n’y jouer que des sujets profanes, licites & honnêtes, & leur fit de très-expresses défenses d’y représenter aucun mystère de la Passion ni autres mystères sacrés : il les confirma dans tous leurs privilèges & fit défense à tous autres, qu’aux Confreres de la Passion, de jouer ni représenter aucuns jeux, tant dans la ville, fauxbourgs, que banlieue de Paris, sinon sous le nom & au profit de la Confrérie. Ce qui fut confirmé par Lettres patentes d’Henri II, du mois de Mars 1559, & de Charles IX, du mois de Novembre 1563.

Les Confreres de la Passion, qui avoient seuls le Privilège, cessèrent de monter eux-mêmes sur le théâtre. Les pièces ne convenoient plus au titre religieux qui caractérisoit leur compagnie. Une troupe de Comédiens se forma pour la première fois, & prit à loyer le Privilège & l’hôtel de Bourgogne. Les Confreres s’y réservèrent seulement deux loges, pour eux & pour leurs amis ; c’étoient les plus proches du théatre, distinguées par des barreaux, & on les nommoit les loges des Maîtres. La farce de Patelin y fut jouée avec succès sous Henri II. Etienne Jodelle fut le premier qui prit des sujets sérieux, & qui fit deux Tragédies, c’étoit sous Charles IX & Henri III. Sa Cléopatre & Fion furent jouées devant Henri III & toute la Cour, au Collége de Reims, & ensuite au Collége de Boncour. Jean Baïf & la Péruse se distinguèrent ensuite. Garnier l’emporta sur tous ses prédécesseurs. Il se forma quelques troupes de Comédiens en Province, d’où elles passèrent à Paris dans l’hôtel de Cluny. Le Parlement les exclut en 1584. Deux autres bandes, l’une de François, & l’autre d’Italiens, eurent le même sort en 1588 ; mais en 1596, il fut permis aux Provinciaux de jouer à la foire de Saint Germain, à la charge de payer par chacune année qu’ils joueroient, deux écus aux Administrateurs de la Confrérie de la Passion. Les accroissemens de Paris obligèrent dans la suite les Comédiens à se séparer en deux bandes, les uns restèrent à l’hôtel de Bourgogne, & les autres allèrent à l’hôtel d’Argent au Marais. Les vieilles pièces devinrent fades, & la comédie étoit tombée, lorsque Corneille parut, & commença par sa Mélite. Tels furent les commencemens & les progrès de la comédie en France. En 1609 une Ordonnance de Police défendit aux Comédiens de représenter aucunes comédies, ou farces, qu’ils ne les eussent communiquées au Procureur du Roi. Voyez sur tout ceci Pasquier, Rech. L. VII, C. 5. de la Mare, Tr. de Pol. L. III, T. III, c. 2 & 3. & Naudé, dans son Mascurat, p. 214, 215.

Comédie se prend plus particulièrement pour les pièces qui représentent des choses agréables, divertissantes, & non sanglantes : comme les Comédies d’Aristophane, de Térence, le Menteur de Corneille, les Fâcheux de Molière, les Plaideurs de Racine. La Comédie, prise en ce sens, est opposée à la tragédie, dont les sujets sont graves & sérieux. C’est proprement l’imitation des mœurs mise en action.

La Comédie est un Poëme ingénieux pour reprendre les vices & les rendre ridicules. Boursaut. Aristote a défini la Comédie, une imitation des plus méchans hommes dans le ridicule. Corneille n’a nullement approuvé cette définition ; car il prétend que les actions des Rois mêmes y peuvent entrer, pourvu qu’il s’agisse simplement d’intérêts d’Etat, sans aucun danger considérable, ou d’une intrigue d’amour. Il soûtient qu’un Poëme où il n’y a bien souvent d’autre péril à craindre que la perte d’une Maîtresse, n’a pas droit de prendre un nom plus relevé que celui de Comédie. Il a seulement ajouté à ces Comédies, où il introduit de grands personnages, une épithète pour les distinguer des Comédies ordinaires. Il les appelle Comédies héroïques. M. Dacier blâme fort cet expédient. Il prétend que la Comédie ne souffre rien de grave & de sérieux, à moins que l’on n’y attache le ridicule ; parce que le comique, & le ridicule, sont l’unique caractère de la Comédie. La Comédie est l’image, ou la représentation de la vie ordinaire des hommes ; on y représente leurs actions les plus communes, & on y répand du ridicule sur leurs défauts, afin d’en préserver les spectateurs, ou de les corriger. Quelqu’un a dit, la Comédie ne réforma jamais que les grands canons & les précieuses ridicules.

☞ La Comédie doit représenter au naturel les mœurs du peuple pour lequel elle est faite, afin qu’il s’y corrige de ses vices & de ses défauts, comme on ôte devant un miroir les tâches de son visage. Rac.

A cause des divers changemens qui arrivèrent anciennement à la Comédie, on a distingué la vieille, vetus Comædia ; la moyenne, media ; & la nouvelle Comédie, nova : la vieille, où il n’y avoit rien de feint, ni dans le sujet, ni dans les acteurs ; la moyenne, où les sujets étoient véritables, & les noms supposés, & la nouvelle, où tout étoit inventé, le sujet & les noms. Dac. Quelques-uns contestent à la Comédie le nom de Poëme, sous prétexte qu’elle n’a ni majesté, ni élévation : c’est une pure conservation. Id. La Tragédie & la Comédie ne furent d’abord qu’une seule & même chose. Mais après que le grave & le sérieux furent séparés du burlesque, on s’attacha au premier, & on négligea le dernier. La Comédie demeura dans son premier chaos, ou ne reçut que des changemens médiocres, pendant que la Tragédie fit de très-grands progrès. Après que la Tragédie eut reçu sa perfection, on pensa à cultiver la Comédie. La vieille Comédie succéda à Thesphis & à Eschyle ; Aristophane y travailla avec succès. On y reprenoit publiquement les vices, & l’on n’épargnoit personne. Cette liberté déplut, & l’on défendit de nommer les personnes qu’on jouoit. Alors les Acteurs supposèrent des noms : mais ils désignoient si bien les personnes, qu’on les reconnoissoit sans peine ; c’est ce qu’on appelle la moyenne Comédie. On dut encore obligé de réprimer cette licence : & cette réforme donna lieu à la nouvelle Comédie, qui ne porta sur le théâtre que des avantures feintes, & des noms inventés.

La Comédie, aussi-bien que la Tragédie, a ses parties essentielles & ses parties intégrantes. Les parties essentielles sont dans le langage des Anciens la Protase, l’Epitase, la Catastase & la Catastrophe : la Protase est le commencement où l’on entre dans la sujet ; on connoît le caractères des Personnages, & l’intérêt qu’ils ont, ou la part qu’ils prennent à l’action. Dans l’Epitase les intrigues commencent ; elles continuent & se fortifient dans la Catastase, la Catastrophe contient le dénouvement. Les parties intégrantes sont les cinq actes dans lesquels on divise une Comédie, suivant le précepte d’Horace.

Neve minor quinto, neu sit productior actu.

Précepte qui n’est pas rigoureusement observé. Voyez Actes.

Les actes se divisent en scènes, dont le nombre n’est point fixé, ni par la raison, ni par l’usage ; il dépend des choses qui doivent se faire dans chaque acte, & du nombre de personnes qu’il faut y employer. Les Anciens ajoutoient à leurs Comédies un prologue, un chœur, & des mimes. Voyez la Poëtique de Scaliger, les Antiquités Romaines de Rosinus, le P. Le Bossu, la Pratique du Théâtre de l’Abbé d’Aubignac, &c.

Des succès fortunés du spectacle tragique
Dans Athènes naquit la Comédie antique ;
Là le Grec né moqueur, par mille jeux plaisans,
Distilla le venin de ses traits médisans.

Boil.

Enfin de la licence on arrêta le cours…
Le Théâtre perdit son antique fureur ;
La Comédie apprit à rire sans aigreur. Id.

Comédie. Quelques-uns dérivent ce mot de Κῶμος, comessatio, banquet, festin ; mais il paroît sûr qu’il vient de Κῶμη, un village, & qu’il fut donné la Comédie dans son invention, parce que Thespis & ses premiers Auteurs alloient jouer leurs farces de village en village, montés sur un charriot ou tombereau.

Comédie signifioit aussi l’art de composer des Comédies. On dit d’un Auteur qu’il entend bien la Comédie, les règles de la Comédie, qu’il est le premier Auteur pour la Comédie. Du temps de Molière la Comédie fut portée à sa perfection.

Comédie signifie aussi le lieu où l’on joue la Comédie pour le public. Il loge vis-à-vis de la Comédie.

Comédie se dit, par extension & dans un sens figuré, de toute action hypocrite, ou déguisée, ou plaisant ou ridicule. Simulatio, similationis artificium. L’amitié n’est plus qu’une Comédie : elle n’est qu’en gestes ou en grimaces. S. Evr. Cet homme est un extravagant, qui donne la Comédie à tout le monde. Ils ont eu une dispute, une contestation, qui nous a fait rire, qui nous a donné la Comédie.

Les hypocrites se mocquent intérieurement de la Religion, & en font une Comédie. S. Evr. La vie des Courtisans est une Comédie perpétuelle, ils sont toujours sur le théâtre, & ne quittent guère le masque. Bell. Le monde est une Comédie, chacun y joue son rôle. S. Evr. Catherine de Médicis en France, & Elizabeth en Angleterre, surmontant la foiblesse de leur sexe, ont fait voir dans leur gouvernement deux chefs-d’œuvres de politique, quoique fort différens ; l’une sur une mer orageuse & toujours troublée ; l’autre sur un théâtre assez tranquille, où il n’y avoit que des Comédies à jouer. Vign. Marv.