Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHANT

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 432-433).

CHANT. s. m. Le chant en général, est l’élévation & l’inflexion de la voix sur différens tons, avec modulation. Cantus. Chant, harmonieux, mélodieux. Chant triste, lugubre. Chant d’alégresse. Chant de triomphe. Chant nuptial. Chant pastoral.

En musique le chant est proprement un air, qui est compose de tons, de demi-tons & de temps, ou de mesures, C’est une modulation de voix qui élève ou qui balise les tons de la prononciation des paroles, en sorte qu’elles rendent un son agréable à l’oreille. Arétin & les anciens divisoient le chant en trois sortes, le chant dural, c’est-à-dire, dur & rude, durus, asper ; le chant naturel qui est entre les deux autres, & qui n’en a point les caractères, naturalis, medius ; & le chant mol, qui est doux, mollis.

Cantus Ambrosianus, est un chant composé de quatre tons authentiques des Anciens, le Dorien, le Phrygien, le Lydien & le Missolydien, que S. Miroclet, Evêque de Milan, ou selon d’autres, S. Ambroise, choisit pour en composer et en former le chant de l’Eglise de Milan. On croit que ces quatre tons furent appelés authentiques, parce qu’ils furent approuvés, autorisés, & choisis pour le chant. Voyez M. de Brossart.

Chant. (Plain) Planus ac simplex canendi modus. Dans l’Histoire Ecclésiastique il est fait mention de plusieurs sortes de chants. Le premier est le chant Ambrosien, le second le chant Grégorien qu’on appelle aussi Plain-chant.

Le chant Ambrosien, est une sorte de plain-chant dont l’invention est attribuée à S. Ambroise.

☞ Le chant Grégorien, est une espèce de plain-chant dont l’invention est attribuée à S. Grégoire Pape, & qui a été substitué dans la plupart des Eglises au chant Ambrosien.

La différence qu’il y a du plain-chant avec les autres chants, c’est d’être divisé en parties égales. Dans les vieux livres d’Eglise, on ne faisoit point de notes plus longues les unes que les autres. Depuis quelques temps on y a mis des notes longues & brèves, mais c’est seulement pour marquer les accens. S. Grégoire le Grand a établi dans l’Eglise Latine cette sorte de plain-chant, qu’on appelle de son nom chant Grégorien. Franchin a marqué tous les caractères différens du chant Grégorien. Dans les répons, dit-il, le chant est véhément, & semble réveiller par des sons rompus ceux qui sont assoupis. Dans les Antiennes, le chant est uni & doux ; dans les Introït, il est élevé, pour exciter à chanter les louanges de Dieu. Dans les Alléluia & ses Versets, il est doux & inspire de la joie ; dans les Traits & dans les Graduels, il est allongé, traînant, modeste, humble ; dans les Offertoires & les Communions, il tient un certain milieu. Jean Diacre se plaint dans la vie de S. Grégoire, de ce que les Germains & les peuples de Gaule avoient changé quelque chose au chant Grégorien, & qu’ils en avoient altéré la douceur : la raison qu’il en apporte, c’est que les voix de tonnerre de ces grands corps sortant de leurs gosiers toujours arrosés de vin avec grand bruit, & par des tons élevés, au lieu de former des sons doux & agréables, représentent l’horrible fracas que font des charettes qui roulent confusément ensemble dans des lieux raboteux comme des dégrés. M. Nivers, dans sa Dissertation sur le chant Grégorien, fait voir qu’il a été souvent altéré & corrompu, & qu’on a souvent tâché de lui rendre sa première beauté ; mais qu’on ne pouvoit empêcher qu’il n’y arrivât des changemens avant l’invention des notes, lesquelles avant Arétin, ne consistoient que dans des points, des virgules, des accens, en quoi il est aisé de se tromper. Il ajoûte qu’ayant examiné & comparé les Antiphonaires & les Graduels manuscrits de la Bibliothèque du Roi, de celle de Saint Germain-des-Prez, & de plusieurs autres, & fait consulter les manuscrits de celle du Vatican, il y a trouvé de grandes différences, & même des contradictions. On imprima à Paris en 1713 ou 1714 un livre intitulé, Moyens certains de perfectionner toutes les méthodes de plain-chant, &c.

Jean Bona, Abbé de l’Ordre de S. Bernard, & connu sous le nom de Cardinal Bona, a fait un traité de la divine Psalmodie, où il comprend tout ce qui regarde le chant de l’Eglise. Il est certain par les exemples de l’Ancien Testament, qu’on a dès les premiers temps employé le chant pour célébrer les louanges de Dieu ; & l’on a toujours conservé cette coutume jusqu’à nos jours, quoique le chant n’ait pas toujours été réglé comme il l’est aujourd’hui, & que les persécutions n’aient pas toujours permis de l’employer.

L’usage du chant à deux chœurs, le peuple mêlant sa voix à celle du Clergé, est ancien : Grégoire de Tours en parle, Lib de Glor. Conf. c. 47, quoiqu’à parler exactement, ce fut bien moins un chant les trois ou quatre premiers siècles, qu’une prononciation plus pathétique & plus ferme. S. Grégoire Pape, qui savoit la Musique, corrigea le chant ancien ; le chant réformé s’établit aussi-tôt dans les Eglises d’Italie. Le Gendre. Pepin, pour mettre de l’uniformité dans les Eglises de France, & en signe de l’union, de la concorde qu’il vouloit que ces Eglises eussent avec l’Eglise de Rome, avoit ordonné qu’on établît dans tous les Monastères & dans toutes les Eglises le chant Grégorien, c’est-à-dire, le chant Romain, réformé selon la méthode du Pape S. Grégoire le Grand. Le Clergé avoit eu peine à obéir à cet ordre, & on ne l’observoit pas dans quantité d’Eglises ; on y étoit jaloux des anciennes coutumes, & on s’y piquoit de chanter aussi-bien qu’à Rome. Dans le voyage que Charlemagne fit à Rome en 787, il fut témoin de cette jalousie ; car pendant les fêtes de Pâque, les Chantres de sa Chapelle ayant assisté au service de l’Eglise de Rome, se moquèrent des Chantres Romains ; & ceux-ci ayant entendu chanter ceux du Roi, en raillèrent à leur tour. Charlemagne prit cette occasion pour les engager à un défi, & s’étant fait le Juge du combat, il prononça en faveur des Romains. Il obtint du Pape des Antiphonaires notés à la manière Grégorienne, & deux Maîtres de chant : il en établit un à Mets, & l’autre à Soissons, pour y tenir des Ecoles, où l’on apprît à chanter, & où l’on corrigeât tous les livres d’Eglise. P. Dan. Tom. I, p. 47. Quelques Eglises ne prirent qu’une patrie de ce chant Grégorien, & le mêlèrent avec le leur. Ce chant mi-parti de Grégorien & de François demeura en beaucoup d’Eglises, & on continua de s’en servir pour les Pseaumes & pour les Antiennes, depuis même qu’il y eut musique. Le Gendre.

Chant égal, ou chant en ison. Chant qui ne roule que sur deux sons, & ne forme par conséquent qu’un seul intervalle. Quelques Ordres Religieux se servent de ce chant dans leurs Eglises.

Chant sur le livre. Contre-point à quatre parties, que les Musiciens composent & chantent surr le champ sur le livre qui est au lutrin : en sorte, qu’excepté la partie notée qu’on met ordinairement à la taille, les Musiciens affectés aux trois autres parties, n’ont que celle-là pour guide, & composent chacun la leur en chantant. Ainsi le chant sur le livre demande beaucoup de science, d’habitude, & d’oreille.

Chant figuré en Musique, est ce qu’on appelle supposition. Voyez Supposition.

Chant, est aussi l’air, le récit, le dessus de la Musique, le sujet sur lequel on compose les autres parties. Cantilena, modus, modulatio. Les beaux chants se font moins par art que par génie. Cela est fait sur le chant d’un tel endroit de l’Opéra. Vous ne mettez pas cela en chant.

On dit, qu’une pièce n’a point de chant, pour dire, qu’elle n’a rien d’agréable ni de gracieux, quoiqu’elle soit selon les règles de la Musique.

Quelques vieux Musiciens ont divisé tous les chants en douze ; savoir, les motets, les chansons, ou les airs, les passemezes, les pavanes, les allemandes, les voltes, les courantes, les sarabandes, les canaries, les branches & les ballets. Il y a autant d’espéces de chants que de modes différens. Maintenant on en a inventé une infinité d’autres.

On appelle aussi chant des oiseaux, les différens sons & inflexions de voix que font les oiseaux dans leur ramage. Avium cantus, concentus. Le chant du rossignol, du serein de Canarie, de la fauvette, flate l’oreille. On dit aussi, le chant de la cigale. C’est le seul insecte auquel on applique le nom de chant.

Le chant du coq, se dit pour signifier le grand matin, à cause que le coq chante dès le point du jour. Galli cantus. Horace dit que l’Avocat, doit être éveillé dès le premier chant du coq, pour dire, que le Client vient frapper à sa porte de grand matin.

Chant, signifie aussi la même chose que cantique & chanson, ou une pièce de Poësie qui se peut chanter. Cantilena, canticum.

Cessez, cessez pour moi tous vos chants d’allegresse. Molière.

Puissé-je demeurer sans voix,
Si dans mes chants la douleur retracée
Jusqu’au dernier soupir n’occupe ma pensée. Rac.

Chant, cantus, vient des Celtes, qui disent caû. De même canere, chanter, est pris de cana, & cantare, de chanta, qui est la même chose. Pezron. Chant vient de cantus, en changeant le c en ch. Tout le reste est incertain.

Chant se prend quelquefois pour air ; mais en ce sens il est moins usité & moins bon qu’air. Modus, modulatio.

Chant nuptial, est une pièce de vers composée à l’occasion du mariage de quelques personnes illustres. Carmen nuptiale, epithalamium ; du grec ἐπιθαλάμιον.

Chant de victoire, Chant triomphal. Vers composés ou chantés sur la victoire ou le succès des armes de quelque Prince. Epinicium. Ἐπινίκιον.

Chant funèbre. Chant composé sur le trépas de quelque personne illustre. Epicedium, du grec ἐπικήδιον.

Chant pastoral, est un ouvrage de Poësie où l’on introduit des Bergers qui chantent. Cantus pastoralis.

Chant de Mai. Espèce de ballade qui roule sur le retour du mois de Mai, des beaux jours.

Chant Royal, est en général une espèce de Poësie Françoise qui a la même construction que la ballade. Carmen regium de argumento pio aut serio scriptum. Le Chant Royal est, à l’égard de la ballade, ce que le rondeau est à l’égard du triolet. Le Chant Royal a été ainsi nommé, à cause que le sujet étoit donné par le Roi de l’année courante. Or on appeloit Roi ou Prince, celui qui avoit emporté le prix l’année précédente. C’étoit à lui que s’adressoit l’envoi de la ballade. Le Chant Royal se faisoit à l’honneur de Dieu, ou de la Vierge, ou sur quelque autre grand sujet. Il ne se fait qu’en matière grave & sérieuse. Voyez Pasquier. Quand on dispute des prix à Rouen, il faut faire un Chant Royal.

Le Chant Royal est un fort beau reste d’ancienne Poësie, qui a été retenu en quelques endroits seulement, comme à Toulouse dans l’Académie des Jeux Floraux. Il est composé de cinq couplets d’onze vers chacun, & est terminé par l’envoi, ou explication de l’allégorie, qui est de cinq vers ou tout au plus, de sept. Dans le Chant Royal les rimes du premier couplet règlent celles des couplets suivans, lesquelles y doivent être les mêmes & dans le même ordre ; de sorte que toute la pièce, composée de soixante-deux vers, roule sur cinq rimes ou terminaisons différentes, dont les deux premières reviennent dix fois, la troisième & la dernière douze fois, & la quatrième jusqu’à dix-huit fois. Un Chant-Royal sans défaut devroit être regardé encore aujourd’hui comme un chef-d’œuvre d’application & d’esprit. Mais ce qui rebute de travailler en Chant Royal, c’est que l’Auteur n’est pas sûr que ses lecteurs lui tiennent compte de toute la gêne qu’il s’est donnée. En effet, rien n’est plus gênant que la règle du Chant Royal. 1o. Il faut que le dernier vers du premier couplet serve de refrain ou d’intercalaire pour les suivans, qui doivent finir de la même sorte. 2o. Les vers de l’envoi doivent être unisones, c’est-à-dire, semblables en rimes à autant de vers pris sur la fin des couplets précédens. 3o. On garde dans toute la rigueur les règles de la rime françoise ; ensuite qu’il n’est pas permis de mettre le simple dans une rime, & le composé ou le dérivé dans une autre, quelque éloignées qu’elles soient. 4o. Enfin, tout ce qui sent la licence en est absolument banni. On faisoit autrefois les Chants-Royaux en vers de dix syllabes : on les fait maintenant en vers alexandrins, ou de douze syllabes. Il seroit bon aussi de couper exactement les couplets du Chant-Royal après le quatrième vers & le septième, comme on fait dans les dizains. P. Mourgues.

Chant ☞ se dit aussi d’une des parties dans lesquelles les Italiens, & les François à leur exemple, divisent leurs Poèmes épiques. Dans ce sens, il est synonyme à livre. Cantus. Le Tasse, l’Arioste, ont divisé leurs Poésies en plusieurs Chants. Les Auteurs du Lutrin, de l’Art de prêcher, & du Poëme de l’Amitié, de la Henriade, ont aussi divisé ces Poëmes en plusieurs Chants.

On appelle un langage trompeur, un chant de Sirènes, Sirenum cantus. Et cela se dit sur-tout des femmes, qui emploient divers artifices pour mieux engager leurs Amans.