Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CERF

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 375-377).

CERF, subst. masc. L’f ne se prononce pas. Animal sauvage, qui est fort léger à la course, & qui porte un grand bois. Cervus. Le cerf a le devant de la tête plat, sur laquelle il porte un grand bois qu’il met bas tous les ans vers le mois d’Avril. Il a le pied fourchu, le cou long, de petites oreilles, & la queue courte. Il est de la taille d’un bidet ; de poil brun, fauve ou rougeâtre. Il aime le francolin, & hait l’aigle, le vautour, le bélier, les chiens & les tigres. La femelle du cerf s’appelle biche. Cerva. Le petit cerf s’appelle faon. Hinnulus. Jean-André de Grabe, Médecin d’Erford, a fait un Traité de la description du cerf, tant physiquement que médicalement, qu’il appelle Elaphographie.

☞ Le petit du cerf ne s’appelle faon que jusqu’à six mois. Alors les bosses commentent à paroître, & il prend le nom de hère. A la seconde année, quand ses dagues sont alongées en dagues, il prend le nom de Daguet. Cervus bimulus. En la troisième, quatrième & cinquième année, c’est un cerf à sa première, seconde ou troisième tête. Cornua præfert senis & octonis palmitibus bracchiata. La sixième année, on l’appelle cerf de dix cors jeunement. Sexennis cervus decem palmitibus bracchiata præfert cornua recentia. La septième, cerf de dix cors. Septennis decem ramoriun cornua exhibet. La huitième, on l’appelle grand cerf ; & la neuvième, grand vieux cerf ; après lequel temps sa tête n’augmente plus. On connoît leur âge à la grosseur du merrain, à la profondeur des raies qu’il a aux meules, aux andouillers qui en sont le plus près, à la quantité des chevilles, surtout au haut de leurs têtes, qui sont, les unes couronnées, les autres à ramures. On dit qu’un cerf n’a point de refus, quand il est chassable, & en saison.

Ce mot vient du latin cervus, qui vient du grec κεραός, de κέρας, cornu, corne. Corne. Cervus, un cerf, prend son origine du celtique caru, & caro. Pezron.

Un bois de cerf est le terme dont les Chasseurs appellent ce que les Tablettiers appellent les cornes. Cervi cornua. Et l’on appelle Raclure de corne de cerf, ce qui en sort quand on râpe ce bois. On appelle aussi une tête de cerf, le bois d’un cerf : & on dit qu’un cerf pose son bois ou sa tête, ou met bas, quand ce bois lui tombe ; & on dit alors qu’il fraie & décroûte sa tête. Cadentis cervini cornu tempestas. On appelle une tête bien née, bien semée, quand elle est également marquée en ses deux perches. La perte du bois des cerfs vient de ce que tous les cerfs ont des vers qui s’engendrent sous la langue auprès de la nuque du cou, gros comme ceux des chairs corrompues. Il y en a environ une vingtaine qui se tiennent l’un à l’autre tout en un tas. Ils rongent la racine du merrain. Lorsque ce bois est tombé, de ces mêmes vers s’engendre une grosse masse de chair, qu’on nomme le revenu, reditus ; puis peu-à-peu la tête s’alonge, les meules se forment, & la tête se couvre d’une peau qu’il frotte contre les arbres. Cela s’appelle frayer, affricare & l’on connoît la hauteur d’un cerf à celle des lieux où il a frayé. Quand toute cette peau est tombée, il brunit son bois dans les charbonnières, dans les terres noires ou roussâtres. Grabe, dans son Ἐλαφογραφια, rapporte la cause de la chûte, & le renouvellement du bois des cerfs, à un suc plein de sel dont cet animal abonde, ainsi qu’il paroît par la quantité de sel volatil qu’on tire de ses cornes, de son sang & de son urine, lequel cessant de fournir chaque année en certain temps l’aliment nécessaire aux cornes, les détache de leur lieu, les pousse ensuite dehors, & en fait naître de nouvelles à leur place ; de même à-peu-près que les sucs qui montent au printemps dans les arbres, produisent de nouvelles feuilles, & de nouveaux fruits à la place de ceux qui sont tombés. Les cerfs choisissent les lieux les plus bas & les plus ombrageux, afin d’éviter les mouches, & ils ne vont que de nuit aux viandes, comme n’osant se montrer jusqu’à ce qu’ils aient recouvré leurs cornes.

On appelle la meule du cerf, la bosse qui est sur sa tête, d’où sort le merrain, la perche, ou le fruit de son bois qui produit la ramure. Matrix cervini cornu, imus torus & summa radix cervini cornu. Antouillers ou andouillers, sont les premières branches du bois du cerf, près de la meule. Primarius pollex cervini cornu. Surandouillers, les secondes branches. Secundarius pollex cervini cornu. Celles qui sont au-dessus, s’appellent Chevillure. Cervini cornu digitus. Enfourchure. Bifidus apex cervini cornu. Trochure. Cervini cornu trifidum aut quadrifidum cacumen. Paumure. Apex cervini cornu palmatus. La couronnure se dit des épois ou branches qui sont à la cime en guise de couronne. Cervini cornu apex coronatus. Epois de tête de cerf, sont les cors ou cornichons de la couronnure, paumure, trochure, & enfourchure de tête. Cervini cornu fusi coronarii. On appelle tête affourchie, celle qui représente une fourche. Cervinum cornu bifidum. Les têtes contrefaites s’appellent simplement têtes, La pince du cerf, c’est l’extrémité de l’ongle d’en-bas sur le devant. Antica & ima pars cervinæ ungulæ. Le talon, le côté du pied ou les os. Unguis cervi posticus, cervinum calcar.

Cerf. (Fumées de) Torches ou Plateaux, sont la fiente du cerf. Cervinum stercus. Mue de cerf, c’est la chute de sa tête, pendant laquelle il se recèle & demeure caché dans son buisson. Cervini cornu interitus. Les marques de la piste du cerf sont les portées, les fumées, les allures, les foulées, les fuites & sa manière de marcher. Il dresse plus volontiers ses fuites & sa manière de marcher. Il dresse plus volontiers ses fuites par les grands chemins : car il va toujours à côté, & jamais dans les pistes des autres. On appelle aussi pieds de cerfs, les voies & les marques qu’il a empreintes sur terre en marchant. Vestigia cervini pedis. Le cerf n’a point de vessie de fiel ; mais au bout de sa queue on trouve un ver tirant à la couleur de fiel qui est un poison aussi dangereux que le napellus.

Cerf. (Rut de) C’est la saison où le cerf est en chaleur & cherche la femelle. Cervini venerem patientis & æstuantis tempestas. On appelle daimtiers, les testicules du cerf. Cervini testiculi. Les cerfs privés de leurs daimtiers ne muent plus leur tête ; ou ils sont alors sans tête, il ne leur en revient plus de nouvelle.

Cerfs. (Hordes de) Ce sont des cerfs qui vont en troupe, particulièrement, quand il neige. Cervorum agmen. On appelle lancer le cerf, quand on le fait partir. Le cerf qu’on a lancé s’appelle droit. Celui qu’on rencontre en chemin s’appelle le change. On dit aussi qu’un cerf est au ressul, quand il est au soleil après la rosée, ou après sa course. Cervi ab silvestri madore apricantis statio. On appelle muse de cerf, la triste contenance où il se trouve tandis qu’il est en amour. On dit aussi que le cerf fait le rouge, pour dire, qu’il rumine. On appelle le lit, la chambre, ou la reposée du cerf, son fort, sa demeure, un lieu les arbres & les herbes sont toufus.

On appelle aussi écuyer de cerf, un jeune cerf en compagnie d’un vieux. Quelques-uns l’appellent broquart. Il a un petit bois fort pointu.

On dit que le cerf est de bon temps, ou de hautes erres, quand il va vîte & loin, ou quand les pistes sont fraîches : qu’il va de vieux temps, quand il va deçà & de-là, est incertain dans sa course. On dit, démêler & redresser le cerf, pour dire, quitter le change, & fraper à route.

On lève le pied droit du cerf pour présenter au Seigneur ou Maître de la chasse. Le massacre, qui est la tête séparée du corps, est le droit du Véneur qui a détourné le cerf. Il en fait le premier droit à son limier. Les menus droits sont la langue, le mufle & les oreilles. Le cimier est le dessus du dos approchant des cuisses. La nappe du cerf, c’est sa peau. Pellis cervina. On ôte le parement du cerf, c’est-à-dire, une chair rouge qui est attachée à sa peau, quand on fait la curée.

On dit qu’un cerf prêt à se rendre, va feignant son corps, lorsqu’en chancelant il fait de grands bonds, de grandes glissées, & donne des os en terre : qu’il est aux abois, quand il est las & qu’il n’a plus la force de courir. Viribus defecti cervi extrema necessitas : & qu’il pleure quand il est en cet état, comme s’il demandoit grâce par ses larmes. Aristote dit que la branchure gauche du cerf n’a pu encore être trouvée, & qu’il l’enterre & la cache, comme étant propre à la Médecine : de-là vient qu’on dit en proverbe, qu’une chose est au lieu où le cerf a posé sa tête ; pour dire, qu’elle est mal-aisée à trouver. Les cerfs ont la moitié de leur tête à la mi-Mai, plutôt ou plutard, selon que le climat est plus ou moins chaud, ou qu’ils sont plus jeunes ou plus vieux. Il faut remarquer que tous les cerfs d’un pareil âge se mettent ensemble, les daguets avec les daguets, les cerfs de dix cors jeunement avec leurs semblables, & ainsi des autres. Ils ne se séparent qu’au printemps pour prendre buissons & faire leurs têtes. Le cerf est d’un tempérament chaud & sec, & d’un naturel très-violent & colère ; sur-tout dans le temps de sa chaleur, où l’on a trouvé quelquefois des cerfs qui se battoient avec tant de furie, que leurs têtes demeuroient croisées & embarrassées l’une dans l’autre sans qu’on pût les séparer. Ce temps commente à la fin du mois d’Août, & continue les autres suivans. Matthiole dit que les cerfs traversent la mer en troupe, & se soulagent les uns & les autres, en mettant leurs têtes sur le derrière de ceux qui vont devant : qu’ils vont ainsi de Sicile en Chypre. Ils vivent plusieurs siècles, puisque Pline dit qu’on en a trouvé qui avoient des colliers d’or qu’Alexandre leur avoit fait mettre, qu’on a pris plus de cent ans après sa mort, & que ces colliers étoient recouverts de leur peau. On en a trouvé de semblables en Allemagne & en France. Charles VI chassant dans la forêt de Senlis, prit un cerf qui avoit un collier de cuivre doré avec cette inscription latine, Cæsar hoc me donavit, c’est-à-dire, César m’a donné ce collier. Il n’y a pas d’apparence, dit Mezeray, que ce fut Jules César, ou Charlemagne, comme quelques-uns l’ont cru ; c’étoit plutôt quelqu’Empereur d’Allemagne beaucoup plus moderne, dont le cerf avoit passé en France. Selon Grabe, dans sa Description du cerf, la cause de cette longue vie est l’abondance d’un sel balsamique ou préservatif dont la nature les a pourvus au-delà de tous les autres animaux. ☞ Cet Auteur, comme bien d’autres, a trouvé la raison de ce qui n’est pas, tout ce qu’on a débité sur la longue vie des cerfs, est aujourd’hui regardé comme une fable. Pline dit aussi que ce sont les cerfs qui ont montré la propriété du dictame pour guérir les plaies des flèches. Il y a un si grand nombre de cerfs au royaume de Siam, qu’on y en tue tous les ans plus de cent cinquante mille, dont on envoie les peaux au Japon. Il y a aux Indes Occidentales des cerfs privés qu’on élève dans les maisons & qui vont paître à la campagne sous la conduite des Bergers, & qu’on ramène le soir ; & du lait des biches on en fait du fromage. Herrera. Virgile suppose des troupeaux entiers de cerfs en Afrique, quoique l’Histoire naturelle nous apprenne qu’il n’y en eut jamais. On prétend que Castor est le premier qui ait monté à cheval pour courre le cerf.

Il y a un cerf de Canada, qui a quatre pieds de haut, de son bois trois pieds, & ses andouillers un pied. Il y en a six à chaque perche. Pline & Aristote disent que c’est le plus grand nombre que les cerfs en peuvent porter. Cependant il y en a ici qui en portent jusqu’à vingt-deux. Ce bois est couvert d’une peau fort dure, & garnie d’un poil épais & court. On en a disséqué un à l’Académie des Sciences, où on n’a trouvé que deux ventricules fort distincts, quoique ce soit un animal ruminant. Ses intestins pris tous ensemble, avoient quatre-vingt-seize pieds de long. On y a trouvé plusieurs pièces de cuir, de la grandeur d’un écu blanc ; des morceaux de plomb grands comme l’ongle, qui paroissoient usés & rongés, & quelques fragmens d’ardoises : ce qui fait croire qu’ils amassent à la hâte leur nourriture, & qu’ils l’épluchent à loisir.

Il y a une espèce particulière de cerfs en tout semblables aux autres, sinon qu’ils sont barbus, & ont tout le poil de l’estomac long, de même que les boucs. Les Anciens les appeloient Tragelaphus, c’est-à-dire, Bouc-cerf. Il ne s’en trouvoit, selon Pline, liv. VIII, ch. 34, que le long du Phase, fleuve de la Colchide, aujourd’hui de Mingrélie : mais on en voit aussi dans les montagnes de Bohème & dans la Misnie.

La raclure de corne de cerf est un remède astringent. On en fait aussi de la gelée qu’on appelle de poisson, qui est bonne au goût, mais qu’on rend de même qu’on l’a prise. On estime fort en Médecine la moelle de cerf ; & on tient que l’os du cœur d’un cerf favorise l’accouchement. Un Médecin du Nord prétend que la corne de cerf est une vraie panacée, & qu’on a raison de la nommer ainsi. Voyez Grabe, Ἐλαφογραφια, sive Cervi Descriptio physico-Medico-Chymica, où il explique la nature, la qualité & les divers usages que l’une & l’autre Pharmacie peuvent tirer des diverses parties du corps du cerf, de ses larmes, de son sang, de son urine, & même de ses excrémens. On trouve aussi beaucoup d’antiquités sur les cerfs & les biches dans Vossius, De Idol. Lib. III, cap. 49, 56, 57, 58, 59, 61, 62, 63, 65, 67, 68, 69, 73, Lib. IV, cap. 59, 61.

La chair des petits cerfs qui sont encore sous la mère, c’est-à-dire, des faons, lactantes, est la meilleure. Ceux d’un an sont encore bons ; on les nomme encore jeunes à trois ans ; mais alors leur chair commence à durcir. Celle des vieux cerfs est dure, difficile à digérer, fait un mauvais suc, mélancholique & atrabilaire. Les chairs de cerf ne valent rien pendant les mois d’Août, de Septembre & d’Octobre qu’ils sont en rut ; parce qu’alors non-seulement elles sont plus sèches, & plus dures qu’en une autre saison, mais encore parce qu’elles sont d’une odeur plus forte & plus puante que celle du bouc. En quelque saison que ce soit, l’on n’estime des vieux cerfs que la langue, le mufle & les oreilles : ce que l’on nomme, en termes de Vénerie, les menus droits ; & l’on y ajoûte tout au plus le cimier, qui est le dessus du dos approchant des cuisses. A l’égard des faons, le meilleur manger sont les filets, ou la longe. Et si on les châtre, & qu’on les apprivoise à l’âge de trois ans, ils s’engraissent, & leur chair est bien meilleure. De la Mare, Traité de la Police, Liv. XXIII, ch. 1.

Sur les médailles, le cerf marque Ephèse, & les autres villes où Diane étoit singulièrement honorée. P. Jobert. Les revers qui ont pour inscription, Dianæ Cons. Aug. ont pour type un cerf ; telles qu’on en voit un très-grand nombre de Gallien.

Un cerf qui de son souffle chasse un serpent, selon l’opinion des Naturalistes, avec ce mot espagnol, con el soflo l’ahuysenta, c’est-à-dire, De son souffle il le met en fuite, est dans Picinelli la devise d’un guerrier, devant qui les ennemis ne sauroient tenir. Saint Charles Borromée, dans l’Académie des Affidati de Pavie, prit un cerf, qui mordu d’un serpent, court à une fontaine, avec ce mot : Una salus.

On appelle dans le Manège, mal de cerf, un rhumatisme, qui tombe sur les mâchoires & sur le train de devant d’un cheval.

En termes de Blason on dit, un cerf sommé, c’est-à-dire, ramé de 9, 10, 11, ou 13 cors ; quelquefois sans nombre. Cervus cornua novent, decem, undecim, aut tredecim palmitibus brachiata præferens. Quand on n’y met que la tête seule ; elle doit montrer les yeux & les deux oreilles, & alors plusieurs l’appellent Massacre. Obversum cervii caput.

On dit proverbialement, au cerf la bière, & au sanglier le mière, ou le barbier ; pour dire que les plaies que fait le cerf sont mortelles : car le Mière ou Mire signifioit autrefois Médecin. On dit aussi qu’un cerf bien donné aux chiens, est à demi-pris.