Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BEAU

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 815-822).
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☞ BEAU ou BEL, au masculin, belle au féminin. Autrefois on disoit bel, & ce mot est demeuré en usage dans quelques mots ; comme Philippe le Bel, Charles le Bel. Aujourd’hui il n’est employé que devant les substantifs qui commencent par une voyelle. Bel esprit, bel oiseau. adj. quelquefois employé substantivement. Pulcher.

☞ C’est un de ces mots qui vont à tout, qui se mettent à tout, dans le physique, dans le moral, dans les ouvrages de la nature, dans les productions de l’art, dans les ouvrages d’esprit, dans les mœurs, &c. Un bel homme, une belle femme, de beaux yeux, un beau teint, un beau sang, un beau chien, un beau cheval, une belle statue, une belle voix, un beau son, un beau jour, un beau ciel, une belle étoffe, une belle ame, un bel esprit, de beaux vers, une belle pensée, un beau procédé, belle humeur, belles raisons, belle occasion, beau coup, beau parleur, belle danseuse, beau fils. &c.

☞ Qu’est-ce donc que le beau, qui rend tel tout ce qui est beau, en quelque genre de beauté que ce puisse être ? Les Vocabulistes ont prétendu en donner la définition, en disant, beau, qui a les traits, la forme & les couleurs convenables pour plaire à la vue : d’où il faut conclure, ajoutent-ils, que le beau n’est point absolu, qu’il est relatif au caractère & à l’organisation de celui qui en juge. Oui, c’est ainsi qu’il faut conclure quand on raisonne mal. On ne sauroit trancher plus net une difficulté.

☞ Pour fixer, s’il est possible, la notion précise, la véritable idée du beau, ou jeter au moins quelque lumière sur une matière assez peu connue, nous exposerons le plus succintement qu’il sera possible, les principes établis dans l’essai du père André sur le beau.

☞ Le beau est-il quelque chose d’absolu ou de relatif ? Y-a-t-il un beau essentiel & indépendant de toute institution ? Un beau fixe & immuablement tel ? Un beau qui plaît, & qui a droit de plaire à la Chine comme en France, aux barbares mêmes, comme aux nations polies ? Un beau suprême, règle & modèle du beau subalterne que nous voyons ici bas ? Ou enfin en est-il de la beauté comme des modes & des parures dont le succès dépend du caprice des hommes, de l’opinion & du goût ?

☞ Pour ne point parler du beau sans savoir ce qu’on dit, consultons-en l’idée. Cette idée dit excellence, agrément, perfection. Elle nous représente le beau comme une qualité avantageuse que nous estimons dans les autres, & que nous aimerions dans nous-mêmes. Cela est incontestable.

☞ L’Auteur établit en suite qu’il y a un beau essentiel & indépendant de toute institution, même divine : un beau naturel, & indépendant de l’opinion des hommes : enfin qu’il y a une espèce de beau d’institution humaine, & qui est arbitraire jusqu’à un certain point.

☞ Le beau peut être considéré dans l’esprit ou dans le corps. Ainsi par rapport à ses différens territoires, il faut encore le diviser en beau sensible, que nous appercevons dans les corps, & en beau intelligible que nous appercevons dans les esprits. L’un & l’autre ne peut être apperçu que par la raison. Le beau sensible, par la raison attentive aux idées qu’elle reçoit des corps : le beau intelligible, par la raison attentive aux idées de l’esprit pur.

☞ Trois de nos sens, le goût, l’odorat & le toucher ne cherchent que ce qui leur est bon : les deux autres, la vue & l’ouie, sont faits pour discerner le beau. Le beau visible ou optique est du ressort de l’œil ; le beau musical ou acoustique est du ressort de l’oreille ; mais quoiqu’ils en soient les juges naturels, ils ne doivent en décider qu’en tribunaux subalternes, suivant certaines lois, qui leur étant antérieures & supérieures, doivent dicter tous leurs arrêts.

☞ L’Auteur prononce ensuite qu’il y a un beau visible dans tous les sens qu’on vient de le dire, un beau essentiel, un beau naturel, & un beau en quelque sorte arbitraire, & il établit des règles pour les reconnoître, chacun par le trait particulier qui le caractérise.

☞ La plus légère attention à nos idées primitives nous fait voir que la régularité, l’ordre, la symétrie sont essentiellement préférables à l’irrégularité, au désordre, à la disproportion : d’après les premiers principes du bon sens nous jugerons qu’une figure est d’autant plus élégante, que le contour en est plus juste & plus uniforme ; qu’un ouvrage est d’autant plus parfait, que l’ordonnance en est plus dégagée ; que dans un dessein composé de plusieurs pièces différentes, elles y doivent être tellement disposées, que la multitude n’y cause point de confusion, & que de cet assemblage il en résulte un tout où rien ne se confonde, où rien ne se contrarie, où rien ne rompe l’unité du dessein. Un simple coup d’œil sur deux édifices, l’un régulier, l’autre irrégulier, nous suffit pour nous faire voir qu’il y a des règles du beau, & pour nous en découvrir la raison. C’est donc la similitude, l’égalité, la convenance des parties qui réduit tout à une espèce d’unité qui fait qu’un ouvrage est beau. Mais il n’y a point de vraie unité dans les corps, puisqu’ils sont tous composés d’un nombre innombrable de parties. Où l’ouvrier voit-il donc cette unité qui le dirige dans la construction de son dessein, cette unité que son ouvrage doit imiter pour être beau ; mais que rien ne peut imiter parfaitement, puisque rien ne peut être parfaitement un. Il faut donc conclure avec S. Augustin, qu’il y a au-dessus de nos esprits une certaine unité originale, souveraine, éternelle, qui est la règle essentielle du beau en tout genre. Omnis porro pulchritudinis forma, unitas est.

☞ En second lieu, il y a un beau naturel, dépendant de la volonté du créateur, mais indépendant de nos opinions & de nos goûts. C’est par l’éclat des couleurs que l’Auteur de la nature a introduit dans la nature un nouveau genre de beauté qui nous offre un spectacle si brillant & si diversifié. L’azur du Ciel, la verdure de la terre émaillée de mille fleurs, la clarté pure du jour, l’illumination naturelle de la nuit, le coloris animé du visage des hommes, &c. sont autant d’objets d’admiration pour nous. Il y a donc un beau visible, naturel, dépendant de la volonté du créateur : & il seroit aisé de prouver qu’il est indépendant de nos goûts & de nos opinions, si tous les hommes étoient de même couleur : mais il y en a de blancs & de noirs, & chacun prend parti selon les intérêts de son amour propre. Ajoutez qu’il n’y a presque personne qui n’ait sa couleur favorite. Les peintres eux-mêmes sont partagés sur le mêlange qui forme la vraie beauté du coloris.

☞ Pour terminer ce différent, consultons les yeux, juges naturels du beau visible. Ils nous disent que la lumière est la reine & la mère des couleurs. Elle est belle de son propre fonds, & elle embellit tout. C’est tout le contraire des ténèbres. Or de toutes les couleurs, celle qui approche le plus de la lumière, c’est le blanc ; celle qui approche le plus des ténèbres, c’est le noir. Voilà donc la première question décidée par la voix même de la nature. De cette conclusion, qui ne peut être douteuse que chez les Maures ou en Ethiopie, ne pourroit-on pas donner à chacune des couleurs le rang d’estime qu’elles méritent, selon qu’elles approchent plus ou moins de la lumière ? Rien de plus naturel que de mesurer leur beauté par leur éclat.

☞ Mais après tout, il suffit qu’indépendamment de nos goûts & de nos opinions, toutes les couleurs aient leur beauté propre ; qu’elles plaisent toutes naturellement dans la place qu’elles occupent ; & que chacune en particulier soit d’autant plus belle, qu’elle est plus pure, plus homogène, plus uniforme, c’est-à-dire, qu’on y découvre une image plus sensible de l’unité.

☞ Quelque brillante que soit une couleur, elle nous rassasiéroit bientôt, si nous n’en avions qu’une seule à considérer dans l’Univers. Mais il y a encore une autre sorte de beauté, indépendante de nos opinions & de nos goûts, dans le nombre infini des couleurs composées, qui résultent de leurs différens mélanges, en les prenant deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, &c. & des combinaisons de ces résultats les uns avec les autres pour en former de nouveaux mélanges, combinaisons qui produisent une infinité de couleurs différentes.

☞ Quelle beauté ne résulte pas encore de l’union & de l’assemblage des couleurs pour composer un tout hétérogène où elles se voient distinguées sur le même fonds, chacune dans sa beauté spécifique ! Dans les couleurs de l’arc-en-ciel, dans celles d’un paon qui fait la roue, dans celles d’un papillon éployé aux rayons du soleil, dans les parterres de nos jardins, souvent dans une simple fleur, quelle richesse dans cet assemblage de couleurs si différentes, quelle sympathie entre quelques-unes ! quelle adresse dans la conciliation des plus ennemies ! quelle délicatesse dans le passage de l’une à l’autre ! quelle diversité dans les parties ! quel accord dans le total ! Tout y est distingué, tout y est uni. Peut-on ne pas reconnoître là un beau indépendant de nos goûts & de nos opinions.

☞ Dans l’homme ne trouve-t-on pas un genre de beau visible, réel & absolu ? Peut-on s’empêcher d’appercevoir du beau dans la régularité des traits d’un visage bien proportionné, dans le choix & dans le tempérament des couleurs qui enluminent ces traits, dans le poli de la surface où ces couleurs sont reçues, dans les grâces différentes qui en résultent successivement, selon les divers âges de la vie humaine ; dans les grâces tendres de l’enfance, dans les grâces brillantes de la jeunesse, dans les grâces majestueuses de l’âge parfait, dans les grâces vénérable d’une belle vieillesse, principalement dans cet air de vie & d’expression qui rend, pour ainsi dire, ces grâces parlantes, qui distingue si avantageusement une personne de sa statue & de son portrait. Comment après cela faire dépendre l’idée du beau de l’éducation, du préjugé, du caprice & de l’imagination des hommes ?

☞ C’est qu’en effet il y a une troisième espèce de beau qu’on peut appeler arbitraire ou artificiel, un beau de système & de manière dans la pratique des arts, un beau mode & de coutume dans les parures, &c. On voit qu’il entre beaucoup d’arbitraire dans ces idées de beauté, & de-là on conclut sans façon que tout beau est arbitraire.

☞ Dans les arts, dans l’Architecture par exemple, il y a deux sortes de règles ; les premières fondées sur les principes de la Géométrie ; les autres fondées sur les observations particulières que les maîtres de l’art ont faites en divers temps, sur les proportions qui plaisent à la vûe par la régularité vraie ou apparente. Les premières sont invariables comme la science qui les prescrit. La perpendicularité des colonnes qui soutiennent l’édifice, la symétrie des membres qui se répondent, l’élégance du dessein, l’unité dans le coup d’œil, sont des beautés ordonnées par la nature, indépendamment du choix de l’architecture. Celles de la seconde espèce qu’on a établies pour déterminer les proportions des parties d’un édifice dans les cinq ordres d’Architecture (Voyez Ordre, Colonne, Entrecolonnement, Renflement, Module) n’étant fondées que sur des observations à l’œil, toujours un peu incertaines, ou sur des exemples souvent équivoques, ne sont pas des règles tout à fait indispensables. Aussi voyons nous les grands Architectes prendre la liberté de se mettre au-dessus d’elles, y ajouter, en rabattre, en imaginer de nouvelles, selon les circonstances qui déterminent le coup d’œil. Voilà donc un Beau arbitraire, un Beau de génie & de système, qu’on peut admettre dans les arts, mais toujours sans préjudice du Beau essentiel, qui est une barrière qu’on ne doit jamais passer.

Quelquefois pourtant les grands génies sont assez hardis pour se permettre quelques licences contre certaines règles du Beau essentiel, quand ils ont prévus que ces petits défauts donneroient lieu à de grandes beautés, ou qu’ils rendroient plus remarquables celles qu’ils avoient dessein d’y faire plus dominer, ou enfin que ces défauts paroîtroient des beautés au plus grand nombre des Spectateurs ; c’est-à-dire, qu’ils font des fautes pour avoir le plaisir de les racheter avec avantage. Cette espèce de Beau arbitraire ne sied qu’aux plus grands maîtres.

☞ L’idée du Beau qui nous a saisi dans le total d’un bel ouvrage, nous suit dans l’examen des parties. Si l’on en rencontre quelqu’une qui s’écarte de la règle, on la voit si bien accompagnée, qu’on lui donne en propre une beauté qu’elle ne tire que de son accompagnement. Si c’est un ouvrage de l’art, sorti de quelque main fameuse, ce défaut change de nom ; on y remarque du génie, on y soupçonne du mystère, on le métamorphose en coup de maître. Si c’est un ouvrage de la nature, un beau visage, par exemple, où l’on observe quelque petite irrégularité, on érige ce défaut en agrément. On passe tout au talent ou au bonheur de plaire.

☞ Si l’on rencontre ce même défaut dans quelque imitation, quoiqu’imparfaite de l’ouvrage ou de la personne qu’on admire, l’idée du Beau se réveille aussi-tôt dans l’esprit. On avoit admiré ce défaut dans l’original, par le mérite emprunté de ses accompagnemens : on l’admire encore, quoiqu’isolé, dans la copie, par la force de l’habitude qui prévient la réflexion. On veut croire que tout est Beau dans ce qu’on estime, plus beau encore dans ce qu’on aime.

☞ Par cette manière de raisonner, si commune parmi les hommes, combien de laideurs travesties en beautés ? Combien de peuples ont trouvé de la grâce dans plusieurs défauts visibles ? Un front étroit, un nez court, de petits yeux, de grosses lèvres, sont devenues des beautés nationales. D’abord on ne les avoit trouvé que supportables, & seulement dans certaines personnes, en faveur de quelque heureuse compensation. A force de les voir, ils ont passé peu à peu pour excusables, puis pour louables, & enfin de degrés en degrés pour des agrémens nécessaires à la beauté du pays. Voilà pour ce qui regarde le Beau personnel.

☞ Dans les modes, combien de beautés arbitraires n’ont-elles pas été inventées pour parer celle qu’on a, ou, pour suppléer celle qu’on n’a pas ? On porte en Europe des pendans d’oreilles : dans le Mogol on y joint des pendans de nez. En France on se poudre les cheveux, & on les frise pour les mettre en boucles. En Canada on se les graisse pour les laisser pendre sur les épaules. Dans le nouveau Monde on voit des peuples entiers qui se peignent le visage de mille couleurs étrangères : chez nous qui nous piquons d’être plus élégans, on met un masque de fard, peint à la vérité de couleurs plus naturelles, mais qui n’en est pas moins un masque ridicule. Preuve sensible de la force de l’habitude dans les jugemens que l’on porte du beau.

☞ Dans cette diversité d’opinions & de goûts sur le beau visible, pour se convaincre qu’il y a une règle pour en juger, qu’il est même facile de reconnoitre ; il faut distinguer avec l’Auteur, trois sortes de beau ; un beau essentiel, un beau naturel, & un beau artificiel ou arbitraire. Peut-être même faudroit-il encore diviser le beau arbitraire en plusieurs espèces. Un beau de génie, fondé sur une connoissance du beau essentiel, assez étendue pour se former un système particulier dans l’application des règles générales dans les arts : un beau de goût, fondé sur une connoissance du beau naturel : ce qu’on peut admettre dans les modes avec toutes les restrictions que demandent la modestie & la bienséance. Enfin un beau de pur caprice, qui n’étant fondé sur rien, ne doit être admis nulle part, si ce n’est peut-être sur le théâtre de la comédie.

☞ 2o. Beau musical. La Musique dans sa notion propre, est la science des sons harmoniques, & de leurs accords. Voyez Accord, Son harmonique. Bien des gens prétendent que le sentiment est le seul Juge de l’harmonie ; que le plaisir de l’oreille est le seul beau qu’on y doive chercher ; que ce plaisir même dépend trop de l’opinion, du préjugé, des coutumes reçues, des habitudes acquises pour pouvoir être assujetti à des règles certaines. Le goût différent des différens peuples, qui ont tous leur musique particulière, qu’ils élèvent par dessus toutes les autres, est pour eux une preuve de ce paradoxe. Ils sont charmés, disent-ils, que faut-il davantage ? Raisonnement de Midas qui ne portent que des oreilles à un concert. Il faut que dans leurs plaisirs la raison soit pour le moins de moitié avec les sens.

☞ On admire dans un concert la belle ordonnance des sons consécutifs, la cadence de leur marche, la régularité de leurs mouvemens périodiques, la proportion des intervalles, la justesse des temps, le parfait accord de toutes les parties concertantes. Ordonnance, régularité, proportion, justesse, décence, accord, tout cela n’est pas le son qui frappe l’oreille, ni la sensation agréable qui en résulte dans l’ame, ni la satisfaction réfléchie qui la suit dans le cœur : il y a donc un agrément plus pur que la douceur des sons qu’on entend ; un beau qui n’est pas l’objet des sens ; un beau qui charme l’esprit, que l’esprit seul apperçoit, & dont il juge. Mais par quelle règle ? par une lumière supérieure aux sens. Dans l’idée de l’ordre, on découvre la beauté de l’ordonnance de la pièce ; dans l’idée des nombres sonores, la règle des proportions & des progressions harmoniques, dont ils sont les images essentielles ; dans l’idée de la décence, une loi qui prescrit à chaque partie son rang, son terme & sa route légitime pour y arriver, C’est dans le grand livre de la raison qu’on voit cette tablature. Il y a donc un beau musical essentiel, absolu, indépendant de toute institution, qui est la règle inviolable de l’harmonie.

☞ En second lieu, il y a un beau musical naturel, dépendant de l’institution du Créateur, mais indépendant de nos goûts & de nos opinions. La nature des corps sonores, la sensibilité de l’oreille dans le discernement des sons, la structure toute harmonique du corps humain, la sympathie de certains sons avec les émotions de notre ame, en sont autant de preuves.

☞ Le son d’un corps sonore, d’une corde, ne se fait jamais entendre seul, mais toujours avec son octave aiguë ; le son de la voix qui paroît unique, est simple de sa nature, c’est-à-dire, qu’outre le son principal, qui est le plus grave & le dominant, il porte avec lui son octave, sa quinte & sa tierce majeure. Voyez MM. Sauveur & Rameau. Quelle doit être la sensibilité de l’organe qui les distingue avec cette précision ; Sa délicatesse est si grande, que si deux cordes sonores, étant mises à l’unisson sur un monochorde, on accourcît l’une de la deux millième partie de la longueur, une oreille juste en apperçoit la dissonnance, qui n’est pourtant que la cent quatre-vingt-seizième partie d’un son. M. Sauveur infere d’un autre calcul sur le même sujet que la finesse de l’oreille, pour le discernement des sons, est d’environ dix mille fois plus grande que celle de la vue dans le discernement des couleurs.

☞ Ajoutez à cela que la structure du corps humain est toute harmonique. La communication du nerf auditif avec les principales parties du corps, & par elles avec toutes les autres, la constitution admirable des divers organes qui servent pour former & modifier la voix de tant de manières différentes (Voyez Voix) sont des marques sensibles d’une harmonie, d’une harmonie même pathétique par une sympathie naturelle que l’Auteur de la nature a mis entre certains sons & les émotions de notre ame. Il y a en effet des sons qui ont avec notre cœur une sympathie sensible : des sons vifs qui nous inspirent du courage ; des sons languissans qui nous amollissent, des sons riants qui nous égayent ; des sons majestueux qui nous élévent l’âme ; des sons durs qui nous irritent ; des sons doux qui nous moderent, &c. L’amour & la haine, le desir & la crainte, l’espérance & le désespoir, &c.. Autant que nous avons de passions différentes, autant de sons dans la nature pour les exprimer & pour les imprimer.

☞ Il y a plus ; l’expérience nous apprend qu’il y a une espèce de gradation dans le sentiment qu’ils nous impriment, selon la diverse qualité des corps sonores qui nous les envoient, selon que ces corps sont vivans ou animés, selon que dans leur origine ils ont été animés ou non. Le son d’une trompette, d’une flûte, d’un instrument qui reçoit son harmonie du souffle vivant d’un homme, nous pénétre tout autrement que celui d’un tuyau d’orgue qui n’est animé que par le souffle d’un air mort. On croit même que le son d’une corde de laiton, quoique plus harmonieuse à l’oreille, est moins touchant pour le cœur que celui d’une corde de boyau, parce que celle-ci par sa structure étant plus conforme à celle des nerfs & des fibres de notre corps, il est plus naturel qu’elle ait avec eux plus de consonnance qu’un métal dur & inflexible, qui de sa nature tient toujours un peu de l’aigreur.

☞ Il est au moins certain que de tous les instrumens de musique, celui dont les sons sympathisent le plus avec nos dispositions intérieures, c’est la voix humaine. Le son en est plus vivant, le ton plus net, les accords plus justes, les passages plus doux, les nuances plus gracieuses, le tempérament plus fin, l’expression plus animée, le total qui en résulte plus moëleux, plus insinuant, plus pénétrant. C’est que de sa nature la voix humaine doit être nécessairement plus à l’unisson avec l’harmonie de notre corps & de notre ame.

☞ La Musique n’est donc pas une invention purement humaine ; & il y a un beau musical naturel, arbitraire à la vérité par rapport à l’Auteur de la nature, mais qui, dans tout ce qu’il a voulu déterminer, est absolument nécessaire par rapport à nous.

☞ Mais outre ces deux espèces de beau musical, qui existent indépendamment de la volonté des hommes, il y en a une troisième qui en dépend en quelque sorte, & dans son institution & dans son application ; un beau de génie, un beau de goût, & dans certaines rencontres, un beau de caprice & de saillie.

☞ C’est ainsi qu’on a trouvé le secret de faire entrer les dissonnances dans des compositions de musique ; on a trouvé l’art d’en adoucir la rudesse, de leur prêter même une partie des agrémens des consonnances pour les empêcher d’en troubler l’harmonie ; de les employer, comme les ombres dans la peinture, pour servir de passage d’un accord à l’autre. On a même remarqué que si elles blessent l’oreille par leur rudesse, elles en sont par cela même plus propres pour exprimer certains objets, tels que les transports irréguliers de l’amour, les fureurs de la colère, les troubles de la discorde, les horreurs d’une bataille, le fracas d’une tempête, &c.

☞ Ne sait-on pas que dans certaines émotions de l’ame la voix humaine s’aigrit naturellement, qu’elle détonne tout-à-coup, qu’elle s’élève ou s’abaisse, non par degrés, mais comme par sauts & par bonds. Voilà la place où les dissonances peuvent avoir lieu, où elles sont même quelquefois nécessaires. Alors si elles déplaisent à l’oreille par la rudesse des sons, elles plaisent à l’esprit & au cœur par la force de l’expression. L’emploi des dissonnances bien entendu produit donc dans la musique un nouveau genre de beau toujours fondé sur la nature, puisque les dissonances ne passent qu’à la faveur des consonances qui les préparent ou qui les suivent ; mais un beau néanmoins qui est en quelque sorte arbitraire, parce que les tempéramens qui les adoucissent, les expressions qu’on en tire, les variétés infinies dont elles ornent les compositions musicales, sont véritablement l’ouvrage du Musicien, des beautés qui sont de son choix, de sa création.

☞ Voilà donc les trois genres du beau musical suffisamment établis, mais qu’elle en est la forme précise ? En matière de musique, comme en toute autre, c’est toujours l’unité qui constitue la vraie forme du beau.

☞ En effet, que cherchons-nous naturellement dans une composition musicale ? Des consonnances, des accords, un concert, une harmonie par-tout, c’est-à-dire, une unité par-tout. Qu’est-ce que nous entendons avec peine dans son exécution ? La détonation d’une voix, la dissonance d’une corde, ce qu’on appelle un chant faux, les battemens irréguliers de certains instrumens, la discordance entre les parties d’un concert, c’est-à-dire, la rupture de l’unité harmonique. Que demandons-nous à un Musicien qui compose un air sur des paroles ? Nous demandons qu’il entre dans l’esprit de la pièce, qu’il en saisisse le caractère, le genre, le mode ; qu’il en exprime dans les tons non-seulement les mots, mais encore le sens particulier de chaque mot, de chaque phrase, & le sens total de la lettre dans le total de la composition. N’est-ce pas lui demander que des paroles qu’on lui donne & de l’air qu’il y ajoute il en fasse naître un tout parfaitement uni ? Mais si par hasard son air jure contre les paroles, s’il entonne une tempête sur un air de victoire, s’il fredonne une pompe funèbre comme une sarabande ; si la musique chante où elle ne devroit que parler ; s’il court à perte d’haleine où il ne faut que marcher ; s’il badine harmonieusement sur chaque mot, qu’il abandonne l’harmonie du chant, c’est un supplice pour la raison.

☞ Ce n’est pas encore assez, il faut que le compositeur porte son attention jusqu’au lieu de la scène où sa pièce doit paroitre,& jusqu’à la condition des personnes qu’il y fait parler, jusqu’aux mœurs & aux sentimens qui les caractérisent dans l’histoire. N’est-ce pas le comble du ridicule de porter à l’Eglise le ton de l’Opéra, ou à l’Opéra le ton de l’Eglise, de faire chanter un Roi qui commande sur le ton d’un particulier qui prie, ou un particulier qui prie, sur le ton d’un Roi qui commande en maître ? Et dans l’expression de quelques passions communes, de noter les soupirs d’un Alexandre sur le ton d’un Sybarite, ou les soupirs d’un Sybarite sur le ton d’un Alexandre ; enfin de nous faire entendre deux personnes dans le même personnage, l’une dans le nom qu’on lui donne, & l’autre dans le ton qu’on lui fait prendre ? Preuve bien évidente de la nécessité de l’unité musicale.

☞ Enfin qu’est-ce que nous admirons dans ces grands concerts où l’on assemble tant de voix de tous les degrés, tant d’instrumens de tous les genres, tant de parties qui paroissent si discordantes, pour concerter ensemble ? n’est-ce pas encore l’unité qu’on a trouvé l’art d’introduire & de soutenir dans cette multitude prodigieuse de sons si différens ? c’est-à-dire, suivant la belle expression d’Horace, qu’on a trouvé l’art d’en composer un total sonore, qui, malgré la multitude de ses parties, devient parfaitement un par une espèce de prodige. Rem prodigialiter unam. L’unité est donc la forme essentielle du beau musical.

☞ 3o. Beau dans les mœurs. Il est évident qu’il suppose une loi qui en est la règle ; & cette règle est un certain ordre qui se trouve entre les objets de nos idées, selon qu’ils renferment plus ou moins de perfection. Cet ordre des objets nous donne dans les divers degrés de perfection qui les distinguent, la mesure naturelle de l’estime & de l’amour ; des sentimens du cœur & des égards effectifs que nous devons avoir pour eux. En un mot il est évident que dans le moral comme dans le Physique, c’est l’ordre qui est toujours le fondement du beau. Il n’y a que des gens qui, n’ayant point de mœurs, voudroient aussi qu’il n’y eut point de morale, qui puissent douter de cette vérité.

☞ Par rapport aux mœurs, trois espèces d’ordres qui en sont la règle : ordre essentiel, absolu & indépendant de toute institution : ordre naturel, indépendant de nos opinions & de nos goûts, mais qui dépend essentiellement de la volonté du Créateur ; enfin ordre civil & politique, institué par le consentement des hommes pour maintenir les états & les particuliers chacun dans ses droits naturels ou acquis,

☞ Dans le monde intelligible, nous voyons Dieu, l’esprit créé, la matière, placé chacun dans le rang que lui marque dans l’Univers son degré d’essence & de perfection : l’Être suprême à la tête, l’esprit créé immédiatement au-dessous, la matière dans le dernier rang. Voilà l’ordre des trois divers êtres qui renferment tous les objets de nos connoissances. Ordre essentiel, immuable & nécessaire comme l’essence même de ces objets : ordre qui doit conséquemment régner dans les jugemens que nous en portons. L’Etre suprême doit concevoir le premier rang dans notre estime, dans notre amour, dans notre attachement, & l’esprit doit avoir la préférence sur le corps ; & si ces deux êtres se trouvent réunis, il faut que le corps soit soumis à l’esprit comme à son supérieur naturel. Ordre essentiellement juste, puisqu’il établit chaque être dans son rang essentiel ; ordre par conséquent éternel, absolu, immuable. Nous avons donc dans la morale un point fixe, où il faut tout rapporter, l’ordre essentiel que nous appercevons entre les trois divers objets de nos connoissances, Dieu, l’esprit & le corps. C’est la première règle.

☞ La seconde est l’ordre naturel, c’est à-dire, ce bel ordre que Dieu a établi entre les hommes.

☞ Il y a dans tous les cœurs un sentiment général d’humanité, indépendant de l’éducation, de l’opinion, de toutes les institutions arbitraires des hommes. Nous sentons profondément, sur-tout dans nos besoins, ou dan les leurs que nous ne pouvons nous empêcher de les reconnoître pour frères. Ce n’est point une leçon que nous ayons apprise des Philosophes, ni une loi que nous ayons reçue des législateurs. Avant qu’il y eut des Philosophe, il y avoit des hommes, & avant qu’il y eut ses législateurs, il y avoit une loi d’humanité, un sentiment naturel & intime qui nous unissoit tous. Homo sum, humani nihil a me alienum puto. Je suis homme, je ne puis regarder ni la personne d’un autre homme, ni ses intérêts comme étrangers. Maxime gravée en caractères ineffaçables dans le cœur de tous les hommes par l’Auteur même de la nature. De même donc qu’il y a dans nos esprits un ordre de sentimens qui est la règle de nos devoirs essentiels par rapport aux trois genres d’êtres que nous connoissons selon les differens degrés de perfection, il y a aussi dans nos cœurs un ordre de sentimens qui est la règle de nos devoirs naturels par rapport aux autres hommes, selon les divers degrés d’union & d’affinité que nous avons avec eux. Voyez encore Humanité & les articles relatifs.

☞ Ces premiers sentimens de la nature sont souvent combattus par les passions qui tendent au renversement de l’ordre & à la destruction de l’homme. Il falloit donc un frein pour en arrêter la licence. Il falloit armer les droits de l’ordre essentiel & de l’ordre naturel contre leurs attaques. C’est ce qu’on a exécuté en leur opposant la barrière de l’ordre civil & politique ; autre règle beau dans les mœurs.

☞ On découvre par-tout une étonnante inégalité dans les conditions humaines ; les unes immédiatement ordonnées par la Providence, des grands & des petits, des riches & des pauvres, tels uniquement par le sort de leur naissance : les autres établies par la prudence des législateurs pour maintenir chacun dans ses droits & dans ses devoirs : des Princes, des Magistrats, des Officiers de toute espèce, préposés par les lois, ceux-ci pour veiller, ceux-là pour commander, d’autres pour exécuter. C’est ce qu’on entend par ordre civil & politique.

☞ L’égalité géométrique ne pouvant subsister entre les hommes, ni pour les biens, ni pour les rangs, la raison, notre propre intérêt, celui de nos concitoyens nous dicte que pour nous rendre heureux, il faut nous contenter de cette espèce d’égalité morale qui consiste à maintenir chacun dans ses droits, dans son état héréditaire ou acquis, dans ses biens, ses possessions, dans sa liberté naturelle, mais aussi dans sa subordination nécessaire pour y maintenir les autres. C’est ainsi que les lois égalent tout le monde ; c’est le chef-d’œuvre de l’ordre civil & politique. Il remplace par l’équité des lois l’égalité des conditions. Il n’étoit pas possible de les mettre de niveau : il a trouvé une balance pour les mettre du moins dans une espèce d’équilibre. La subordination, la règle, la justice, la sureté publique, le repos des particuliers sont les avantages qui résultent de l’établissement des lois.

☞ Mais quel est le ressort secret qui maintient si constamment cet ordre dans tous les états, qui les conserve entre eux dans cet équilibre, qui tient chaque peuple attaché au lieu de sa naissance, quoique souvent très mal partagé des biens de la vie, à sa forme de gouvernement, quoique souvent très-dur ; à ses lois, à ses coutumes, quoique souvent très-incommodes ? pour produire tous ces miracles de constance, il ne falloit pas moins que l’amour de la patrie, amour aussi naturel que l’amour de nous même & de nos parens ; qui réunit tous les motifs divins & humains pour nous lier inséparablement sous les idées les plus touchantes : les Rois à leurs peuples, comme à leurs enfans ; les peuples à leurs Rois, comme à leurs pères ; les peuples entre eux, comme les enfans d’une même famille.

☞ Concluons donc que comme il y a un ordre d’idées éternelles qui doit régler les jugemens que nous portons des objets considérés en eux mêmes, par leur mérite absolu, & un ordre de sentimens naturels qui doit régler nos affections pour les autres hommes, par la raison du sang qui nous unit ensemble dans une source commune ; il y a aussi un certain ordre d’égards civils qui doit régler nos devoirs extérieurs par le mérite du rang, de la condition ou de la place des personnes avec qui nous avons à vivre ou à traiter dans le monde.

☞ Cela supposé, en quoi consiste le beau dans les mœurs ? Combien y en a-t-il de sortes ? Quel est en particulier le caractère qui les distingue ; & en général, quelle est la forme précise du beau dans les mœurs ?

☞ Le beau dans les mœurs consiste dans une constante, pleine & entière conformité du cœur avec toutes les espèces d’ordres dont on vient de parler. Il y a trois espèces d’ordres, un ordre essentiel, un ordre naturel, un ordre civil : d’où résultent trois espèces de beau moral. Beau moral essentiel, conformité de cœur avec l’ordre essentiel, qui est la loi universelle de toutes les intelligences : beau moral naturel, conformité du cœur avec l’ordre naturel qui est la loi générale de toute la nature humaine : beau moral civil, conformité du cœur avec l’ordre civil qui est la loi commune de tous les peuples réunis dans une même forme de cité ou d’état.

☞ Dans l’ordre moral, comme dans l’ordre physique, c’est toujours une espèce d’unité qui est la forme essentielle du beau, c’est-à-dire, de ce qui dans les mœurs, dans les sentimens, dans les manières, dans les procédés constitue le vrai honnête, le vrai décent, le vrai gracieux, la vraie beauté morale de l’homme.

☞ On peut considérer l’homme seul, ou en société. Par-tout il doit avoir des mœurs. Seul, il a à vivre avec Dieu & avec lui-même ; il a un maître à contenter, des passions à gouverner. Que la raison commande à l’ame, que l’ame reçoive la loi, & la donne au corps, que le corps obéisse sans murmure, au moins, sans révolte. Par ce moyen la subordination se trouve établie dans toutes les facultés de l’homme, dans ses affections, dans ses sentimens. La subordination y met l’accord, l’accord la décence ; & le tout ensemble se trouve ainsi réduit à une espèce d’unité où rien ne se contredit, ou rien ne se dément. Régner sur soi-même sous l’empire de la raison éternelle qui est une, & qui rend tout un, voilà dans les mœurs de l’homme considéré seul, ce qu’on doit appeler grand, noble, sublime, beau.

☞ Placé dans la société, l’homme n’est estimable qu’autant que ses discours sont toujours d’accord avec sa pensée, sa conduite avec ses maximes, ses maximes avec le bon sens, son air & ses manières avec son état, avec sa naissance, avec son âge, avec la place qu’il tient dans le monde. Tout y plaît, parce que tout y convient, tout y est un. Par la raison des contraires nous ne sentons que du mépris à la vue d’un homme qui paroît toujours en opposition, en contraste avec lui-même, qui présente deux hommes sous la même tête, & toujours deux hommes qui ne conviennent pas ; un air de cavalier dans un homme d’église, un air de soldat dans un homme de robe, un air de Magistrat dans un homme d’épée, un air de village dans un courtisan, un air de cour dans un anachorète, un air de Caton dans un jeune homme, un air de petit-maitre dans un vieillard, en un mot un air de masque sur un visage. Assortiment bizarre qui fait le ridicule, diamétralement opposé au beau dans les mœurs. Il n’est peut-être pas impossible de les avoir bonnes avec ce défaut, mais il est certain qu’on ne peut les avoir belles tant que la contrariété de la personne & du personnage rompra, pour ainsi dire, l’unité de l’homme par leur opposition indécente.

☞ A l’égard des procédés, n’est-ce pas par cette règle d’unité que nous mesurons naturellement l’estime ou le mépris, l’amour ou la haine, la louange ou le blâme des diverses conduites que nous voyons tenir aux hommes dans la société. Si la justice est une si belle vertu, c’est qu’en jugeant tous les hommes sans acception de personnes, par l’équité de la même loi, elle nous fait souvenir que nous sommes tous égaux, tous un par nature. Un procédé injuste est révoltant, parce qu’il rompt ce nœud d’équité qui nous unissoit tous. Les humeurs intolérantes sont en horreur, parce qu’elles sont toujours prêtes à faire schisme avec l’Univers. Nous sommes charmés de la politesse des grands qui savent descendre jusqu’aux plus petits. Elle rend témoignage à l’unité de la nature. Nous sommes indignés de l’insolence d’un nouveau parvenu, qui à peine sorti de la roture se croit au rang des demi-dieux. Il semble renoncer à la communion de l’espèce. Nous regardons comme des monstres des frères ennemis, des enfans ingrats, des parens dénaturés, qui ne savent pas respecter l’union naturelle du sang. Nous détestons les Rois titans, les Ministres brouillons, les gens de cabale : ils déchirent un corps dont ils devroient maintenir l’intégrité. Au seul nom de la paix, nous voyons la joie par-tout répandue. Elle nous annonce l’union. La guerre au contraire nous paroît un fléau terrible. Elle rompt l’unité du genre humain.

☞ 4°. Le beau dans les ouvrages d’esprit. Nous en rassemblerons en peu de mots sous les traits. Que la base en soit toujours la vérité, l’ordre, l’honnête & le décent. Voyez ces mots. La vérité, parce que la parole n’est instituée que pour en être l’interprète, pour l’éclaircir, pour la faire passer d’un esprit à l’autre, comme une lumière qui doit être commune à tous les homes : l’ordre, parce qu’il y en a entre les vérités. D’où il s’en suit que l’ordre est absolument nécessaire dans un discours pour les mettre chacune dans son vrai point de vue, en sorte que les premières éclairent les suivantes, & que celles-ci à leur tour donnent aux premières, par leur suite naturelle une espèce de nouvel éclat. L’honnête, c’est-à-dire, le respect pour la religion & la pudeur, parce qu’il est certain que nous portons dans l’ame un sentiment d’honneur, composé de ces deux autres, qui s’offensent naturellement de tout ce qui les blesse. Les Payens même ont établi cette règle comme indispensable : enfin le décent qui suppose toujours l’honnête, mais qui embrasse un plus grand terrain. Comment en effet un homme qui parle au public pourroit-il réussir à plaire, s’il ignore les bienséances, les égards, ce qu’il doit aux temps, aux lieux, à la nature de son sujet, à son état ou à son caractére & à celui des personnes qui l’écoutent, à leur qualité ou à leur rang, sur-tout à leur raison, qui dans le moment va juger de son cœur par ses paroles ? Aussi Cicéron en faisoit la loi capitale de son art. Caput artis, decere.

☞ Que sur ce fond du beau essentiel on répande, selon l’exigence des matières, les images, les sentimens, les mouvemens convenables, toutes les grâces du beau moral. Voyez Image, Sentiment, Mouvement. Que l’expression, le tout, le style relevent encore à l’esprit & à l’oreille ces beautés fondamentales du discours, mais avec un art qui ressemble si bien à la nature qu’on le prenne pour elle-même, Voyez Expression, Tour, Style. Enfin que tout cela forme un corps d’ouvrage lié, suivi, animé, soutenu, & dans lequel il n’y ait aucun hors d’œuvre, qui en rompe l’unité. Car pour qu’un ouvrage d’éloquence ou de poësie soit véritablement beau, il ne suffit pas qu’il y ait de beaux traits ; il faut qu’on y découvre une espèce d’unité qui en fasse un tour bien assorti. Unité de rapport entre toutes les parties qui le composent, unité de proportion entre le style & la matière qu’on y traite : unité de bienséance entre la personne qui parle, les choses qu’elle dit, & le ton qu’elle prend pour les dire. C’est le fameux précepte d’Horace ou plutôt de la nature.

Denique sit quod vis simplex duntaxat, & unum.

☞ Passons maintenant aux différentes significations du mot beau. Nous avons déjà dit que ce mot fait beau & bel au masculin, & belle au féminin. Autrefois on disoit communément bel pour beau. Nous ne l’avons retenu que quand le substantif qui suit, & auquel il se rapporte, commence par une voyelle, comme un bel arbre, un bel enfant. Le surnom de Charles le Bel, & de Philippe le Bel, qui fut donné à ces deux Rois pour la beauté de leur visage, leur est demeuré. Hors ces deux cas, il faut toujours dire, beau & non pas bel. Par exemple, il faut dire, cet enfant est beau en tout temps, & non pas bel en tout temps ; parce que le mot de beau n’est pas là devant un substantif auquel il se rapporte. Mais on diroit un bel enfant, & non pas un beau enfant.

Beau, se dit de ce qui plaît aux yeux par la juste proportion de ses parties, & par le mélange agréable des couleurs. Dans ce sens on le dit des personnes, particulièrement du visage. Un bel homme. Une belle femme. Un beau visage. De beaux yeux. Une belle bouche. Ne soyez point si fiére de votre beauté ; on a peu de temps à être belle, & long-temps à ne l’être plus Desh. Il arrive souvent qu’une belle personne brille & charme les yeux sans aller plus loin ; tandis que la jolie forme des liens, & fait de véritables passions. Le teint, la taille, la proportion & la régularité des traits forment les belles personnes.

☞ Quelquefois le mot de beau ne désigne que les proportions, sans aucun rapport au mélange des couleurs. C’est ainsi qu’on dit, une belle taille, un beau bras, une belle jambe. Luculentus.

☞ Dans ce sens, on le dit des animaux bien proportionnés dans leur espèce. Un beau chien, un beau cheval. On le dit de même des choses inanimées pour en marquer les proportions, la régularité. Une belle statue.

☞ Quelquefois aussi il se dit principalement de la vivacité, de l’éclat, de la pureté & de l’agrément des couleurs. C’est ainsi qu’on dit un beau teint, une belle couleur, un beau coloris, une belle fleur.

☞ C’est dans cette acception qu’en parlant de quelque pays, on dit que le sang y est beau, pour dire, que les habitans y sont bien faits, & particulièrement qu’ils ont un beau teint.

Beau, se dit aussi des sons qui plaisent à l’oreille. Gratus. Un beau son, une belle musique, un bel accord. Une belle voix qui plaît à l’oreille par la douceur de ses sons, à l’esprit & au cœur par la force de l’expression.

Beau, se dit encore de l’agréable constitution de l’air & du Ciel. Un beau jour. Luculentus dies. Une belle nuit, un beau temps, un beau Ciel. Sudus, serenus.

☞ Comme l’idée de beau dit excellence, agrément, perfection, ce mot s’applique généralement à ce qui est agréable & excellent dans son genre. Egregius, eximius. On le dit en ce sens des productions de la nature, & des ouvrages de l’art. Un beau diamant. Une belle turquoise. De beaux habits. Une belle étoffe. Une belle maison. Un beau jardin. De belles eaux. Un beau gason.

Beau dans l’Ecriture, & dans tous les Auteurs grecs, se prend pour bon, convenable, utile. Gen. I. 4. Dieu vit que la lumière étoit bonne. Les interprètes Grecs ont traduit là, & dans les endroits suivans, que la lumière étoit belle.

Beau, se dit aussi pour heureux, glorieux. Felix, decorus. Voila un beau commencement. Pasc. Il est beau de mourir maître de l’Univers. Corn.

Beau, signifie quelquefois, certain. Certus quidam. Il arriva un beau jour, c’est-à-dire un certain jour. Il vint un beau matin me faire défi. Il n’est employé que par redondance.

Beau, se prend aussi dans la signification de bon, d’heureux, de favorable, d’adroit. Un beau raisonnement. Une belle raison. Une belle occasion. Dans les jeux de hasard faire un beau coup, c’est : faire un coup heureux. De même dans les affaires. Il a fait un beau coup d’acheter cette terre. Dans les jeux d’adresse, il signifie adroit. Il a fait un beau coup à la paume.

Beau, dans la signification de grand. Voilà un beau feu. Laculentus caminus. C’est un beau diseur. Il fait une belle dépense. Il a une belle peur.

Beau, se dit aussi par exagération. Cela est beau à peindre. Les Poëtes se déchirent à belles dents. Mordicùs.

Beau, se dit aussi ironiquement. Lepidus. Vous êtes un bel homme, un beau discoureur, pour dire, vous ne dites rien qui vaille. C’est un beau maraut, un beau coquin. Dans ce dernier exemple il ne fait qu’augmenter l’énergie.

On appelle aussi beau monde les gens polis, qui ont de l’esprit, de la politesse, qu’on appelle aussi le grand monde. Politus, elegans, ingeniosus.

On appelle de belles eaux, non-seulement celles qui sont claires & nettes, mais celles que l’art a embellies par des jets, des cascades dans des grottes, des fontaines, &c. Egregius, admirabilis.

Bel âge, se dit non seulement du grand âge, & de la vieillesse, mais aussi de la jeunesse, & de la fleur de l’âge. Gratus, acceptus, jucundus.

Beau Chasseur. Terme de Chasse. C’est un chien qui crie bien dans la voie, & retourne volontiers toujours sa queue sur les reins. Saln.

Un Beau joueur est non-seulement celui qui joue beau jeu, grand jeu ; mais aussi celui qui joue & qui perd noblement & paisiblement. Pacificus, liberalis.

Beau dans les mœurs, dans les sentimens, dans les manières, dans les procédés. Terme relatif à honnête, décent, gracieux. Une belle ame, de beaux sentimens, de beaux procédés. Il désigne alors une entière conformité de cœur avec la règle qui doit dicter les jugemens que nous portons des objets considérés en eux-mêmes ; nos affections pour les autres hommes relativement aux différens dégrés de liaison que nous avons avec eux ; & nos devoirs extérieurs relativement au sang, à la condition, à la place des personnes avec qui nous avons à vivre ou à traiter dans le monde. Voyez ci-dessus beau dans les mœurs.

Beau, se dit encore en parlant de l’esprit & de ses productions. Un bel esprit. Un beau poème. Une belle harangue. Il y a de beaux endroits dans tel livre. Ce mot désigne alors dans les ouvrages d’esprit du vrai dans le sujet, de l’élévation dans les pensées, de la justesse dans les termes, de la noblesse dans l’expression, de la nouveauté dans le tour, & de la régularité dans la conduite. Voyez ci-dessus beau dans les ouvrages d’esprit.

Beau, se dit aussi substantivement. Pulchrum, eximium. Il y a du beau, du grand, dans cet ouvrage. Une femme emporte le plus beau. & le meilleur de la succession de son mari. Joindre ensemble le beau & l’effroyable. Voit. Le beau des images est de représenter la chose comme elle est. Boil. Le beau n’est point à souhaiter pour le sage. C’est une maxime de Confucius. P. Le Comte.

Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain j’épouserai femme. La Font.

Nous faisons cas du beau : nous méprisons l’utile. Id.

Le nom de belle pensée, si on prend le nom de beau dans sa propre signification, emporte grandeur, selon Aristote, qui a décidé que les petits hommes n’étoient point beaux, quelque bien faits qu’ils fussent, & qu’ils étoient seulement jolis. Nous appelons cependant quelquefois belle pensée ce qui n’est que joli & alors nous confondons le beau avec ce qui plaît, à l’exemple de Démétrius, qui donne le nom de beauté aux choses qui flattent les sens, ou touchent le cœur. Bouh. J. P. Crousaz, Professeur en Philosophie & en Mathématiques dans l’Académie de Lausanne, a fait un traité du beau. Il y dit que lorsqu’on dit, cela est beau, on exprime par ce terme un certain rapport d’un objet, ou avec des sentimens agréables, ou avec des idées d’approbation, & que dire cela est beau, c’est-à dire ; j’apperçois quelque chose que j’approuve ou quelque chose qui me fait plaisir ; par où, continue-t-il, on voit que l’idée que l’on donne au mot de beau est double, ce qui la rend équivoque ; & c’est la principale cause des contestations sur le beau. Il distingue donc comme en effet il faut les distinguer, les idées & les sentimens. Les idées occupent l’esprit, les sentimens intéressent le cœur. Quoiqu’on ne trouve rien dans un objet qui intéresse, on peut cependant découvrir dans l’idée qu’on en a quelque chose qui mérite notre approbation. Un tel objet plaît donc & ne plaît pas ; il plaît à l’idée, & ne plaît pas au sentiment. Au contraire il y a des objets dont l’idée n’offre rien de louable, lesquels ne laissent pas d’exciter des sentimens agréables. Il y a donc beauté & beauté ; il y a plaisir & plaisir. Après avoir démêlé ce qui plaît à l’esprit d’avec ce qui plaît au cœur, il vient aux caractères réels & naturels du beau, il montre que l’unité & la vérité en sont l’essentiel.

Bel-esprit, Voyez Esprit.

Belle, se dit aussi absolument des Dames bien faites. Elegans, formosa. Ce galant court de belle en belle. Il faut avoir toujours du respect pour les belles. Mais c’est particulièrement en Poësie qu’on s’en sert.

Une belle, lorsqu’elle est en pleurs,
En est plus belle de moitié. La Font.

Dans l’équipage d’une belle
Il faut bien par honneur un Amant maltraité. La Sabl.

Je ne suis point d’humeur
A pouvoir d’une belle essuyer la froideur. Mol.

Beau & Joli, dans une signification synonyme. Voyez Joli.

Belles réponses, reparties, Voyez ces mots.

Beau, se dit aussi adverbialement. Il fait beau, absolument ; ou, il fait beau chasser, se promener. Aptum tempus, sudum, commodum ad, &c.

Bien & Beau, façon de parler adverbiale & populaire, pour dire, tout-à-fait, entièrement. Il refusa bien et beau.

De plus Belle. Autre façon de parler adverbiale, & qui n’est que du style familier, pour dire tout de nouveau : quand tout le monde fut sorti de table, il se mit à boire encore de plus belle. Acad. Fr.

Beau. Quand ce mot est joint avec le verbe avoir, il signifie, quoique, encore que. Etsi, quamquàm. Vous avez beau parler, & me promettre, je n’en ferai rien. Vous avez beau faire, vous n’en viendrez pas à bout.

Nous avons beau nous ménager,
La mort n’est pas un mal que le prudent évite. Main.

Sa bouche a beau cent fois en faire le serment,
Il n’est point votre ami, tant qu’il est votre amant. Vill.

Ils ont beau vers le Ciel leurs murailles accroître. Malh.

J’ai beau voir ses défauts, & j’ai beau l’en blâmer.
En dépit qu’on en ait, elle se fait aimer. Mol.

Tout beau. Sorte d’interjection, qui signifie doucement, modérément. Bona verba, quæso. Tout beau, n’allez pas si vite. Tout beau, ne vous fâchez pas. Tout beau, ne parlez pas si haut. On le dit aussi aux chiens couchans, quand on les veut dresser, ou quand on a peur qu’ils poussent les perdrix qu’ils ont arrêtées. Tout beau, tout beau, crie-t-on de loin.

On dit aussi, qu’un Peintre fait ressembler en beau, pour dire, qu’il flatte la personne, qu’il lui donne des agrémens qu’elle n’a pas.

On dit d’un Général, & de tout autre Officier d’armée, qu’il a le commandement beau ; pour dire qu’il commande de bonne grâce.

On dit aussi, avoir les armes belles ; pour dire faire bien des armes.

On dit en termes de Manége, qu’un cheval a un beau partir de la main, quand on veut exprimer la vigueur avec laquelle un cheval part de la main sur une ligne droite, sans s’en écarter depuis son partir jusqu’à son arrêt. On dit encore d’un cheval, qu’il porte en beau lieu ; pour dire qu’il porte bien la tête.

On dit en termes de jeu de Paume, ou de jeu du Volant, donner beau ; pour dire, présenter une balle de manière qu’il soit aisé de la prendre. Et figurément, le donner beau à quelqu’un, c’est lui procurer une occasion favorable de dire, ou de faire ce qu’il désiroit. Ainsi on dit, vous l’avez beau.

☞ Donner beau jeu à quelqu’un, au jeu de cartes, c’est lui donner des cartes qui sont un jeu favorable. Au figuré, c’est la même chose que le donner beau.

Beau, & Belle, en termes de fleuriste, entre dans les noms de plusieurs fleurs. Ainsi le beau de nos jours, le beau roturier, la belle Déesse, la belle de jour, la belle Hortense, la belle Iris, sont des noms d’œillets violets. La belle Agnès est un ancien œillet marqué de peu de violet sur un blanc passable. Le beau roturiers est un violet sur un fin blanc, qui vient d’Amiens, la fleur est large & ses feuilles bien rangées ; sa plante est fort délicate, mais fort hâtive à porter fleur ; il est sujet au blanc & à la pourriture. Le beau cramoisi est un œillet cramoisi, dont le blanc le pourroit disputer avec la neige ; les panaches sont emportés, & extrêmement détachés, sans mouchetures, sa fleur très-large, garnie de très-grande quantité de feuilles ; sa plante est vigoureuse & d’un beau verd ; il vient de Lille ; il ne lui faut laisser que six boutons ; il ne graine point ; sa fleur n’est point hâtive. Le bel inconnu, est un œillet rouge clair sur un beau blanc ; sa plante est délicate, sujette aux taches grisâtres, & prend difficilement racine ; trois boutons suffisent pour son maître dard. Le beau trésor est un beau rouge sur un grand blanc ; sa fleur est ronde & large, ses panaches détachés ; il graine, ne crève point, se trouve à Lille, est hâtif, abondant en marcottes, sujet à dégénérer, & au blanc : quatre boutons lui suffisent ; il s’appelle autrement la belle Ecossoise. Le beau Daumont, autrement l’Incarnat Laubinoy, ou l’Epicier, est un très-bel œillet élevé à Paris : sa couleur est de feu assez vif, son blanc n’est pas des plus fins, mais un peu carné ; sa fleur est large, quoique plate ; il graine facilement, il a de gros panaches d’une couleur fort recherchée ; sa plante est délicate, sujette au blanc, & même à la pourriture ; quoiqu’il ne créve point d’ordinaire, il ne faut lui laisser que cinq boutons. La belle Douce est un œillet blanc, dont la fleur est grosse & large, garnie de beaucoup de feuilles, la plante forte & vigoureuse, & qui avec cinq ou six boutons ne créve point. Le beau piqueté est piqueté de pourpre clair, fort gros & large, mais sujet à créver si on ne lui laisse six ou sept boutons. Tout de même parmi les Tulipes les Fleuristes appellent la belle d’Anvers une tulipe qui est gris de lin, pourpre & blanc. La belle Hélène, rouge enfoncé, ou rouge de bœuf, & blanc d’entrée. La belle Morine, sang cramoisi, & beaucoup de blanc d’entrée. La belle la Barre, pourpre, rouge & blanc. La belle Perlée, incarnadin, éclatant & beaucoup de blanc d’entrée. Le beau Courroy est pourpre obscur, violet clair, & blanc terni. Le Beaupré, rouge & blanc. Il y a encore la belle mignone, la belle callite, la belle Tragède, la belle marinière. Cult. des Fl.

Beau, se dit proverbialement en ces phrases. Il lui fait beau beau ; pour dire, il fait semblant de l’aimer. La belle plume fait le bel oiseau ; pour dire que les beaux habits relevent la beauté. On dit aussi qu’un homme passe pour beau, quand il ne paye point dans les parties de divertissement. On dit aussi il fera beau temps quand je l’irai voir ; pour dire je n’y veux jamais aller. On dit aussi ironiquement, il vous fait beau voir ; pour dire, vous avez mauvaise grace de faire telle chose. On dit aussi il est rentré de plus belle ; pour dire, il a recommencé à parler de la même matière qu’il avoit quittée. On dit encore il nous la baille belle ; pour dire, il nous en fait bien accroire. On dit, voilà une belle équipée, lorsqu’on n’a pas réussi dans quelque entreprise. On dit encore des choses qu’on méprise, c’est un beau venez-y-voir. On dit aussi, à beau jeu beau retour, pour dire, que chacun à son tour trouve occasion de se venger. On dit aussi d’un débauché, qu’il se fait beau garçon, quand il ruine sa santé, ou sa fortune. On dit encore, qu’on donne beau jeu à quelqu’un, quand on lui donne quelque occasion de faire ce qu’il souhaite, soit en bien soit en mal. On dit aussi quand on refuse d’admettre quelques raisons, tout cela est bel & bon, mais je n’en veux rien faire. On dit encore, il a mis cela en beau jour, en beau début ; pour dire il l’a bien expliqué, ou il a fait voir une chose par son plus bel endroit. On dit, il n’y a point de belle, prison, ni de laids amours. Il l’a mis en beaux draps blancs ; pour dire, il en a parlé fort désavantageusement. On dit aussi, qu’on l’a échappé belle ; pour dire, qu’on a couru un grand danger. On le dit aussi d’un homme qui a épousé une laide femme. On dit aussi, il n’est ni beau ni bon ; il n’est point fardé.