Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Terre

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 808-824).

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I. Généralités sur la Terre.

II. Principaux résultats de la Géologie. Transformation graduelle et ordonnée de la vie. Incessante déformation de la lithosphère.

Les chaînes de montagnes successives. Longue persistance de certains traits de la Géographie.

Le Métamorphisme.

III. Les limites de la Géologie.

IV. Les principales énigmes.

V. Du rôle de la Géologie en Apologétique.

L’étude de la planète qui nous porte fait l’objet, accessoire ou principal, de diverses sciences : l’asti ( 1605

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nomie nous apprend les relations de la Terre et de quelques autres astres de l’Univers ; la géodésie nous fait connaître sa forme, ses dimensions, sa densité ; la géographie physique est la description de son visage actuel ; la géologie est l’histoire de la Terre à travers les âges, reconstituée et racontée en remontant, s’il se peut, jusqu’à l’heure où la Vie est apparue à sa surface — car, pour ce qui est des temps antérieurs à la Vie, on ne sait à peu près rien. Une fois la Vie apparue, la Terre s’est environnée d’une zonr vivante ou biosphère, de faible épaisseur : l’étude de cette biosphère et de ses transformations au cours des âges est l’objet des sciences biologiques, parmi lesquelles se tient la paléontologie qui n’est autre chose que la biologie du passé. Dans cet article, nous nous bornerons à la géologie, et nous essayerons de présenter un raccourci de cette science, d’en montrer les limites, d’en signaler les principales énigmes, enfin de dire notre sentiment sur le rôle qu’elle peut jouer en apologétique. Nous commencerons par le rappel de quelques généralités indispensables, empruntées à l’astronomie, à la géodésie et à cette partie de la géologie, ou plutôt de l’introduc lion à la géologie, que l’on appelle quelquefois la géophysique ou encore la physique du globe.

1. GÉNÉRALITÉS SUR LA. TERRR

La Terre est l’un des astres qui constituent le système dit solaire ou planétaire : solaire, parce que tous ces corps tournent autour du Soleil et que le Soleil est le foyer commun à leurs orbites ; planétaire, parce que les plus importants, par leur masse, des astres de ce système sont des planètes, c’est-à-dire des globes dont le mouvement relatif, à nos yeux, diffère du mouvement uniforme et régulier qu’ont, par rapport à nous, les étoiles Dans le système solaire, la Terre est loin d’être la plus grosse planète ; Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune sont des astres beaucoup plus gros qu’elle ; Mars et Vénus ont des dimensions comparables aux siennes. Le système solaire tout entier, composé d’astres tournant sur eux-mêmes et tournant autour du Soleil, s’en va, avec une vitesse très grande, vers une certaine région du ciel : mouvement d’ensemble qui est probablement une révolution autour d’un foyer extrêmement lointain et complètement inconnu. Le Soleil, si important pour nous et dont la masse dépasse tellement celle de la Terre, n’est qu’une très petite étoile. De sorte que, astronomiquement parlant, la Terre n’est qu’un grain de poussière dans l’immensité. Parmi les autres grains de poussière disséminés dans l’espace, des myriades sont plus infimes encore que la Terre, des myriades la dépassent prodigieusement en grosseur : tous se meuvent suivant des lois précises et qui nous apparaissent, de prime abord, comme invariables. Les variations de ces lois sont imperceptibles dans les durées que nous pouvons évaluer, et les mouvements des astres sont pour nous les mêmes que pour les premiers hommes. Petitesse extraordinaire de la Terre ; ses multiples mouvements (rotation sur elle-même autour d’un axe qui se déplace lentement en restant la génératrice d’un cône ; révolution autour du Soleil ; mouvement d’ensemble de tout le système solaire autour d’un foyer inconnu) ; constance approximative des lois qui régissent ces mouvements ; éloignement immense des étoiles, même des plus rapprochées, par rapport ara dimensions du système solaire : telles sont les principales données de l’astronomie. Elles écartent de nous la pensée que la Terre soit le centre du monde ; mais cette expression, centre du monde, n’a pour nous, en réalité, aucun sens, puisque nous ne connaissons que

des mouvements relatifs. S’il existe dans le monde un point qui ne se meuve absolument pas, qui soit en repos absolu, ce point, qui est en mouvement relatif par rapport à tous les autres, ne peut pas en être distingué, et nous ne pourrons jamais alfirmer qu’il est en repos.

L’astronomie nous apprend autre chose : elle nous apprend que tous les corps du système solaire ont la même origine que le Soleil ; qu’ils sortent tous du Soleil, ou, plus exactement, que le Soleil et eux sont les produits successifs d’un même processus de phénomènes et les résidus d’un même amas originel de matière. Essayer de reconstituer ce processus est l’alfa ire des hypothèses cosmogoniques. Plusieurs, et très diverses, ont été proposées ; celle qui réunit encore, à l’heure actuelle, le plus de suffrages, est l’hypothèse de Laplace, qui fait naître les planètes et le Soleil de la condensation graduelle d’une vaste nébuleuse animée d’un mouvement de rotation sur elle-même. Chaque planète aurait passé par l’état de nébuleuse, et la condensation de chacune do ces nébuleuses planétaires aurait, avant d’aboutir à la planète elle-même, produit les satellites qui tournent autour d’elle. En tout cas, on ne peut pas douter que la Lune, le seul satellite actuel de la Terre, ne soit sœur ou fille de celle-ci : ou bien la Lune et la Terre sont sorties toutes deux d’une nébuleuse unique ; ou bien, à un certain moment du refroidissement de la Terre et pendant qu’elle était encore fluide, la Lune s’en est détachée.

Voici maintenant les principaux enseignements de la géodésie. La Terre est, approximativement et abstraction faite des inégalités de sa surface, un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles. Si l’on suppose que l’on prolonge sous les continents la surface des mers, on obtient, en réalité, non pas un ellipsoïde exact, mais un géoïde présentant des creux et des bosses et qui se déforme un peu, très peu, chaque jour, sous l’action des marées solaires et lunaires. Le rayon terrestre est, au pôle, de 6356 kilomètres, à peu près ; il est, à l’équateur, d’environ 63^8 kilomètres. Le quotient de la différence (22 km.) par le rayon équatorialest ce que l’on appelle l’aplatissement. Quant à la densité moyenne de la Terre, que l’on peut mesurer par plusieurs méthodes, elle est voisine de 5, 5, la densité de l’eau étant prise pour unité. Gomme la densité de l’atmosphère est très faible, comme celle de l’eau des mers ne dépasse pas beaucoup i, comme enfin celle des pierres que nous connaissons à la surface ou près de la surface de la Terre est habituellement comprise entre a, 5 et 3, 5, la forte valeur de la densité moyenne nous oblige à admettre que l’intérieur de notre planète renferme des éléments lourds, tels que le fer. Nous dirons dans un instant comment cette conclusion est corroborée par les résultats de la géophysique.

Si l’on s’enfonce dans la zone solide qui entoure la Terre, on voit la température des roches augmenter rapidement. Le degré géothermique est le nombre de mètres dont il faut descendre verticalement pour voir cette température s’accroître d’un degré centigrade. La valeur du degré géothermique, mesurée dans les mines, dans les grands tunnels, et enfin dans les sondages, varie beaucoup d’une verticale à l’autre, suivant la conductibilité des roches et surtout suivant que ces roches sont, ou non, le siège de réactions chimiques ; elle est souvent inférieure à 20 mètres dans les terrains pétrolifères ou contenant des hydrocarbures ; elle est, en moyenne, d’environ a5 mètres dans les terrains qui renferment des couches de charbon ; elle atteint 60 ou 80 mètres dans les terrains cristallins ; la 1607

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moyenne générale peut être prise égale à 40 mètres. Il n’est pas douteux qu’elle ne varie avec la profondeur ; mais pour les profondeurs où nous pouvons atteindre et qui ne dépassent guère, actuellement, 2.000 mètres, la variation du degré géothermique avec la profondeur est à peine sensible. Kn tout cas, nous sommes certains qu'à une profondeur relativement faible — par rapport à la grandeur du rayon terrestre — la température est très supérieure au point de fusion (sous la pression ordinaire) de toutes les roches connues. D’où l’idée, qui vient naturellement à l’esprit, que l’intérieur de la Terre est fluide, au moins en partie, et que la zone solide sur laquelle nous marchons est une enveloppe très mince, une croûte, une écorce, sous laquelle se lient une masse liquide à haute température. Cette écorce est appelée, par les géologues, la lithosphère. On peut donner le nom de pyrosphère à la zone fondue qui règne sous la lithosphère et qui s’en va jusqu'à une profondeur inconnue. Les volcans sont des évents qui percent l'écorce et qui mettent la surface terrestre en communication momentanée avec la pyrosphère. Aujourd’hui peu actives et, somme toute, rares, les manifestations volcaniques n’ont jamais manqué d’exister depuis le début des temps géologiques et, presque toujours, elles ont été beaucoup plus intenses et beaucoup plus nombreuses qu'à l'époque actuelle. Le volcanisme est un des traits constants du visage de la Terre.

La lithosphère, écorce solide de notre globe, n’est jamais en repos. Elle est parcourue, à tout instant, par des ondulations ou des secousses, qui sont les séismes, ou tremblements de terre. Beaucoup de ces ondulations sont de simples frémissements, des microséismes, comme on dit, que nos sens ne perçoivent pas et qui n’impressionnent que des instruments très sensibles (séismographes). Les autres, plus ou moins perceptibles à nos sens, ont toute intensité, depuis celle qu’on ressent à peine, jusqu'à celle qui produit de grandes catastrophes. L'étude de la propagation des séismes à travers le globe a été, depuis quelque vingt ans, poussée très loin. Bile a conduit à ces résultats d’un immense intérêt : l'ébranlement initial qui produit un séisme a toujours son siège à une faible profondeur ; cet ébranlement donne naissance à trois trains d’ondes séismiques qui se propagent avec trois vitesses différentes et en suivant deux chemins différents : les deux premiers trains d’ondes vont, l’un derrière l’autre, en ligne droite à travers le globe ; le troisième, le plus lent des trois, chemine près de la surface en décrivant l’arc de grand cercle dont les deus autres trains ont suivi la corde ; la vitesse du plus rapide des trois trains est comprise entre 5 et 13 kilomètres par seconde, le maximum correspondant au cas où l’origine est aux antipodes de l’observateur : ce qui revient à dire qu’un ébranlement survenu aux antipodes arrive à nous, en traversant la terre entière, en un quart d’heure. On déduit de là que l’intérieur de la Terre, à partir d’une profondeur relativement faible, eu un milieu homogène, beaucoup plus favorable que la lithosphère à la propagation des ondes, et, en soumettant la question au calcul, que ce milieu a une rigidité et une élasticité supérieures à celles de l’acier. Il est certainement métallique. Il n’est pas liquide. Estil solide ? Est-ce un gaz auquel l’excessive pression a donné la rigidité d’un solide ? Nous ne savons pas.

Une dernière donnée de la géophysique est le fait du magnétisme terrestre. La Terre est un gros aimant dont les pôles sont actuellement éloignés d’une vingtaine de degrés des pôles astronomiques, et se

déplacent d’ailleurslentement. Il ne semble pas possible d expliquer le magnétisme terrestre sans admettre que l’intérieur de noire planète soit formé de fer ; l’aimantation de ce métal résulterait alors du champ magnétique réalisé autour du Soleil par la combinaison de la charge électrostatique énorme et du mouvement de rotation de l’astre.

Tout concourt ainsi à rendre extrêmement probable, sinon tout à fait certaine, l’existence, dans l’intérieur île la r I>rre, d’une masse métallique où le fer domine. C’est la barysphère, située sous la pyrosphère qui, elle-même, la sépare de la lithosphère. On comprend ainsi que les météorites, ou pierres tombées du ciel, soient, pour la plupart, constituées par du fer métallique impur ; car ces météorites sont, ou des fragments d’une grosse planète qui aurait volé en éclats, ou des gouttes du magma fluide intérieur de la Terre dispersées au moment de la séparation de la Lune ; dans les deux cas, leur composition minéralogique nous donne une idée de ce qui se cache au sein des profondeurs terrestres. Nous avons dit plus haut que la barysphère métallique est à un état physique inconnu, car nous ignorons ce que peuvent devenir les corps à des pressions si grandes, et nous ignorons aussi ce que devient, à une certaine profondeur, la loi de croissance de la tempéiature.

La concentration d’une telle barysphère dans les zones profondes de la planète apparaît comme une conséquence naturelle de la fluidité primitive. Les éléments se sont classés, au moins de façon approximative, suivant l’ordre de densité : en haut, les éléments légers, parmi lesquels l’oxygène, le silicium et l’aluminium qui sont, de beaucoup, les éléments prépondérants de la lithosphère ; en bas, les éléments lourds, parmi lesquels le fer est largement prédominant. S’il en est ainsi, et il est bien diflicile d’en douter, les roches, solides d’abord, puis fondues, delà lithosphère et de la pyrosphere, doivent devenir de plus en plus denses, de plus en plus riches en magnésium et en fer, de moins en moins riches en alcalis et en chaux, au fur et à mesure que l’on descend : mais la vérification directe de cette loi ne nous est pas permise. Tout ce que nous pouvons constater, c’est que les laves, vomies par les volcans et montées de la profondeur, contiennent toutes, même les plus lourdes, beaucoup d’oxygène et de silicium. Il est tout à fait exceptionnel que la teneur en silice d’une lave s’abaisse au-dessous de 35 pour cent. Pour la plupart d’entre elles, la teneur en silice est comprise entre 35 et 70 pour cent, et ces limites de composition sont demeurées les mêmes pendant toute la durée des temps géologiques. Nous devons en conclure, semble-t-il, que la pyrosphère, où les laves prennent leur source, se tient à faible profondeur ; que cette pyrosphère correspond à une zone où la densité n’est pas constante ; enfin que cette zone fondue, ou partiellement fondue, peu profonde, n’a pas sensiblement changé de place depuis bien longtemps. A sa base, la pyrosphère passe à la barysphère. La plupart des magmas fondus qui composent la pyrosphère renferment un peu plus de fer et de magnésium, un peu moinsde silicium et d’aluminium que la lithosphère : on dit quelquefois la zone simique (Si, Mg) pour désigner cette zone intermédiaire, et la zone salique (Si, Al) pour désigner la zone supérieure qui est la lithosphère elle-même ; dans le haut, cependant, la pyrosphère empiète parfois sur le domaine salique, et dans le bas, elle empiète sur le domaine métallique où le silicium devient rare, où il n’y a plus d’oxygène et que l’on peut appeler nifique (JUi, Fe). Les laves des volcans, en effet, sont, le plus souvent, simiques ; quelques-unes sont 1609

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saliques : très exceptionnellement, on en voit de iliaques. Il est bien remarquable que la nature des laves et la proportion, parmi elles, du nilique, du simique et du salique, n’aient pas varié au cours des âge- ;. Il est bien remarquable aussi que la Lune, d’après sa densité, paraisse êlre, presque tout entière, composée de roches simiques, à l’exception de quelques amas de poussières volcaniques blanches, à sa surface, qui doivent être saliques, et à l’exception d’un noyau nilique intérieur, de très court rayon.

Les volcans, à la surface de la Terre, n’ont, à aucune époque, été semés au hasard : leur répartition est soumise à une loi. Ils jalonnent les bords des grandes fractures rectilignes ou apparaissent dans les compartiments effondrés que ces fractures encadrent ; ils jalonnent aussi les bords des régions plissées quand de telles régions sont contiguës à des fosses océaniques profondes. Dans un cas comme dans l’autre, ils sont clairement liés aux effondrements ou aux affaissements de l’écorce ; et il n’y aurait sans doute plus de volcans actifs si la lithosphère cessait d’éprouver des mouvements verticaux de grande amplitude.

La limite entre la pyrosphère et la lithosphère ne saurait être ni précise, ni lixe. La pyrosphère se déforme incessamment, comme la lithosphère. Entre ces deux enveloppes du globe, il y a, suivant toute vraisemblance, une région qui tantôt est liquide et tantôt solide, suivant, les mouvements de descente et de remontée de l’écorce, et suivant l’intensité des dégagements gazeux. Car labarysphère exhale constamment des vapeurs qui traversent la pyrosphère et cherchent à gagner le dehors ; la région nifique s’épure ainsi graduellement des éléments légers qu’elle renferme encore, éléments dont la réaction mutuelle, près de la surface, donne de la vapeur d’eau, des chlorures, de l’acide carbonique, et dont le résidu non combiné est de l’hydrogène, de l’hélium et de l’azote. Ces dégagements gazeux, de très haute température, modifient à tout instant, dans l’écorce, la forme des surfaces isogéothermes ; souvent tranquilles, ils procèdent d’autres fois par explosions, faisant sauter en l’air des montagnes ou des îles et creusant, à travers la lithosphère, des cheminées cylindriques à axe vertical dont les parois sont aussi lisses que celles dutube d’un canon. Des matériaux gazeux exhalés de la barysphère, l’hydrogène et l’hélium se dissipent dans l’espace après avoir traversé l’atmosphère ; l’eau et les chlorures s’en vont aux Océans ; l’acide carbonique entretient et parfois augmente, dans l’atmosphère, la réserve de ce gaz qui est nécessaire à la vie et où s’alimentent la production des combustibles fossiles

  • t celle des calcaires. Il est presque certain qu’une

large fraction de l’eau des Océans est ainsi montée de dessous la lithosphère, c’est-à-dire que le volume des eaux primitives s’est grandement accru, par ce processus, au cours des périodes géologiques ; ma13 nous ne pouvons rien dire sur la proportion, dans nos mers actuelles, des eaux primitives et des eaux non primitives, venues des profondeurs après la consolidation de l’écorce et pour lesquelles Eduard Suess a proposé le nom d’eaux juvéniles.

Pour clore ce chapitre de généralités, il faut rappeler un fait très important : de toutes les planètes du système solaire, la Terre et Mercure sont celles qui ont la densité la plus forte. La densité du Soleil n’est que le quart de la densité terrestre ; celle de Jupiter n’est même pas le quart ; celle de la Lune, un peu plus des six dixièmes. S’il est vrai, conformément à l’hypothèse d’Innés, que, sous une pression excessive, les éléments tendent à se simplifier

par libération de leur énergie intra-atomique, la densité exagérée delaTerrela rend particulièrement fragile, en développant outre mesure la pression dans ses profondeurs. De tous les astres du système solaire, la Terre et Mercure seraient ainsi les plus exposés à voler soudainement en poussière et à se dissoudre, en quelque sorte, dans l’espace. Ce serait, pour eux, une façon de linir.

On peut envisager d’autres fins possibles, sans faire appel à aucune intervention extérieure au système planétaire. La suppression de la Vie à la surface de la planète serait réalisée par la simple diminution de Vin/lux calorifique solaire : car la Vie sur notre globe ne se conserve que grâce au rayonnement du Soleil. Or rien ne prouve que l’influx solaire, remarquablement constant depuis l’origine des temps géologiques, doive durer toujours ; et il y a au contraire des raisons dépenser qu’il diminuera, soit par l’arrêt de la contraction de l’astre sur lui-même, contraction d’autant plus lente et plus difficile que la densité devient plus forte, soit par la dilatation du Soleil et sa graduelle transformation en éléments légers peu à peu dilués dans l’espace, conformément à l’hypothèse d’Innés. La Vie ne saurait donc durer toujours, même sur une Terre qui se perpétuerait avec sa forme actuelle. On peut aussi penser que la chaleur interne de notre globe, au lieu de diminuer lentement par la conductibilité de la lithosphère, va s’élevant sans cesse par la désintégration progressive des éléments instables, tels que le radium : dans un avenir plus ou moins lointain, cette chaleur irait jusqu’à rendre à la Terre son incandescence primitive ; la Vie cesserait par l’excès de chaleur, et non plus par le froid ; la planète redeviendrait pour quelque temps, une petite étoile lumineuse. Mais qui pourrait choisir entre ces hypothèses ? Et qui pourrait dire si notre système planétaire tout entier n’est pas menacé d’une soudaine catastrophe, due à quelque cause extérieure, telle que la rencontre avec un autre système ? De telles rencontres semblent se produire assez souvent : et c’estpar ellesque les astronomes expliquentla subite apparition, dans le noir de l’espace, d’une nouvelle étoile. La Terre perdrait son individualité ; et hes éléments, mêlés à ceux du Soleil et à ceux d’un autre monde, commenceraient une nouvelle série df transformations, à travers l’immensité de l’espace et du temps.

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PlUNCIPAUX RÉSULTATS DE LA GkûLORIR.

La géologie, qui ne date guère que du commencement du xixe siècle, a marché vite, aidée par le développement des autres sciences naturelles, surtout de la paléontologie et de la minéralogie. Les observations de détail sont déjà presque innombrables ; la connaissance de la surface des continents et des îles est très avancée, sinon complète ; le géologue peut aujourd’hui prétendre à la contemplation, à la compréhension de la planète entière ; il peut même essayer de suivre, à travers le cours des âges, les modifications du visage terrestre.

Les résultats principaux, vraiment acquis, de cette science de la Terre, sont les suivants : le fait de la transformation graduelle et ordonnée de la Vie, permettant une chronologie relative par la division de la durée en ères et périodes géologiques ; le fait de l’incessante déformation de la lithosphère ; la notion des grandes chaînes de montagnes successives ; la persistance ou tout au moins l’énorme durée de certains traits, de certaines unités de la géographie ; enfin, une nifl plu-î claire de ce qu’on a appelé le métamorphisme. Nous passerons rapidement en revue ces conquêtes, pour la plupart très récentes : il 1611

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va sans dire qu’il y en a beaucoup d’autres, mais qui importent moins aux conclusions de cet article.

Transformation graduelle et ordonnée de la Vie. — A partir d’une certaine heure que les hommes ne sauront jamais, la Vie a pris possession des eaux marines et des eaux douces et s’est étendue à la surface de la lithosphère et dans les régions basses de l’atmosphère. Elle a constitué bientôt, tout autour de la planète, une zone organisée, qu’on appelle souvent la biosphère. Cela n’a été possible qu’après un suffisant refroidissement de la surface ; car nous ne concevons pas l’existence de la Vie dans des milieux dont la température serait voisine de cent degrés centigrades. Au sujet de l’apparition de la Vie, nous ne savons, géologiquement parlant, qu’une chose, c’est qu’elle est extrêmement lointaine. On a cru plusieurs fois, en remontant l'échelle des formations sédimentaires, toucher aux organismes primitifs, à la faune ou à la flore primordiale ; et bientôt l’on s’est aperçu que, sous les assises où ces organismes avaient été découverts, d’autres assises existaient, plus anciennes, où, de distance en distance, quelques traces organisées, quelques fossiles apparaissaient. Dans la période cambrienne, que l’on a considérée longtemps comme l’aurore des temps géologiques, la vie est déjà intense et compliquée ; elle n’a aucun des caractères que l’on devrait s’attendre à rencontrer dans une faune primitive, à supposer que la théorie de la descendance fût conforme à la réalité des faits. Sous le Gambrien fossilifère, en divers points du globe, on connaît dessystèmes d’une antiquité bien plusreculée. Dans quelques-uns, on a trouvé des fossiles : ici, des Crinoïdés ; là, des organismes qui semblent analogues aux Eponges ; ailleurs, des Crustacés ; ailleurs, des Radiolaires. Nul doute que si la recristallisation des sédiments, d’autant plus fréquente, naturellement, et d’autant plus intense qu’ils sont plus vieux, n’avait fait le plus souvent disparaître les organismes de ces très antiques dépôts, nul doute que la faune précambrienne ne nous apparût, elle aussi, très abondante et très variée. Nous ne connaîtrons jamais ni la vraie faune primitive, ni la vraie flore primitive ; les sédiments où elles ont été enfouies sont aujourd’hui des micaschistes ou des gneiss, ou encore de ces phyllades luisants dans lesquels le simple vieillissement en profondeur a déterminé la production de tout un fouillis de cristaux microscopiques ; ces assises gardent le secret des débuts de la Vie et ne nous le livreront jamais. De même, nous ne saurons jamais quel était, au moment où la Vie est apparue, le visage de la Terre. Peut-être les eaux couvraientelles toute la surface ; c’est l’hypothèse de la mer universelle, la Panthalassc d’Eduard Suess ; les premiers organismes auraient été des animaux marins ; la Vie aurait gagné les rivages et se serait adaptée aux conditions continentales, quand les continents et les lies auraient surgi du sein des eaux. Peut-être, au contraire, la vie a-t-elle commencé par êtrecontinentale ; peut-être les végétaux, comme l’indique laGenèse, ont-ils précédé les animaux. La géologie, dans son état actuel, ne nous dit rien à cet égard.

Mais ce que nous savons très bien, c’est que la Vie, au cours des âges, s’est transformée, d’une transformation relativement rapide et qui s'étendait, de proche en proche, à toute la biosphère. La chronologie géologique est fondée sur le double fait que la Vie a changé, et que ses changements ont été sensiblement les mêmes dans les diverses régions de la Terre pendant un intervalle déterminé de la durée. Bien entendu, cela ne nous donne pas le moyen de

supputer en années le temps qu’il a fallu pour que se réalisât telle ou telle modification ; mais nous en tirons une chronologie relative, fondée sur la possibilité d’aflirmer que deux phénomènes géologiques sont à peu près contemporains. Nous avons ainsi le moyen de partager la durée, d’ailleurs ineonnue, en un certain nombre d'ères, et les ères en périodes ; d’une ère à l’autre, d’une période à la suivante, la faune et la flore se modiûent, plus ou moins selon les familles, les classes ou les embranchements considérés, toujours assez, dans leur ensemble, pour que la distinction soit facile, pour que le rattachement d’un sédiment à une période déterminée soit possible, à la seule condition que le sédiment soit assez riche en fossiles.

On distingue de la sorte trois grandes ères : primaire ou paléozoïque, secondaire oumésozoïque, tertiaire ou cénozoïque. Avant le Primaire, il y a les temps précambriens, sur lesquels on ne sait que fort peu de chose ; après le Tertiaire, il y a le Quaternaire, où l’Homme est apparu et qui se relie aux temps historiques. L'ère primaire se partage en cinq périodes : cambrienne, silurienne, dévonienne, carbonifère, permienne. L'ère secondaire se divise en trois périodes : triasique, jurassique, crétacée. L'ère tertiaire comprend deux périodes : nummulitique, néogène ; le Nummulitique se subdivisant lui-même en Eocène et Oligocène, le Néogène en Miocène et Pliocène. Cette division est nécessairement artificielle, parce que, à aucun moment, il n’y a eu renouvellement brusque de la biosphère sur toute l'étendue delà planète : lerenouvellementne semble brusque que çà et là, dans une ou plusieurs régions, plus ou moyis vastes, pour lesquelles il paraît alors naturel d'établir une démarcation entre deux séries successives de sédiments. Mais, telle qu’elle est, la classification chronologique, sur laquelle les géologues de tous pays sont à peu près d’accord, suffit aux besoins de l’enseignement et du langage.

Dans les plus anciennes faunes dont nous sachions quelque chose, il semble que, déjà, tous les embranchements et la plupart des classes d’Invertébrés soient représentés ; le fait est certain pour la faune cambrienne. Dès que l’on arrive aux périodes où la faune est relativement bien connue, par exemple au Silurien, on n'éprouve généralement aucun embarras pour faire entrer un animal quelconque, invertébré ou poisson, dans l’une des cases de la classification zoologique actuelle : ce qui revient à dire que, déjà à ces époques reculées, beaucoup des grands types d’organisation qui nous sont offerts par les animaux actuels, existaient, et que rien n’existait en dehors de ces types. Même chose pour la flore : dès qu’elle nous est un peu connue, par exemple dans la période carbonifère, elle se divise aisément en grands groupes, bien tranchés, qui existent encore aujourd’hui.

La transformation de la Vie, au cours des âges, résulte de la succession et de la combinaison de trois phénomènes qui semblent être d’ordres bien différents : la régression, suivie parfois delà disparition, ou de l’extinction, rapide le plus souvent, de certains groupes ; l’apparition brusque de groupes nouveaux, dont la filiation demeure douteuse et que l’on nomme souvent cryptogènes pour rappeler que leur origine est inconnue ; enfin l'évolution, qui est la modification de l’espèce, dans chaque groupe, sous l’empire de causes que nous connaissons encore très mal et suivant un processus que nous ne savons pas encore préciser. Le fait de la régression, plus ou moins rapide, puis de la disparition de certains groupes, est depuis longtemps bien établi ; mais on ne saurait trop insister sur la rapidité de la disparition, 1613

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rapidité qui n’est presque jamais explicable ; à côté des catégories d’êtres qui disparaissent ainsi, d’autres catégories, contemporaines, survivent, attestant la persistance des conditions générales de la vie ; et, le plus souvent, la catégorie frappée à mort disparait tout entière, sans qu’aucune famille d’êtres, dans l’époque immédiatement suivante, puisse lui être généalogiquement rattachée avec quelque vraisemblance. L’apparition brusque d’êtres nouveaux, que rien ne semblait faire prévoir, est un phénomène bien plus déconcertant encore et qui va se répétant à toutes les pages du livre géologique ; elle est parfois tellement brusque et l’expansion des nouveaux êtres si rapide que le phénomène a été appelé explosion. Telle est l’apparition des mammifères placentaires à la un du Crétacé ou au début de l’Eocène : ces mammifères ne se montrent pas au Crétacé moyen ; ils ne sont annoncés par aucune forme de passage ; ils surviennent, en grand nombre et à peu près simultanément, dans quatre régions que séparent de vastes espaces, l’Asie centrale, les Etats-Unis, la Patagonie, la France ; et déjà ils sont différenciés en ordres parfaitement distincts, et l’on y reconnaît, par exemple, des Ongulés, des Carnassiers, des Primates. Et il s’agit là d’une époque relativement récente ; les documents géologiques du Crétacé moyen ne nous manquent pas ; aucun ne nous permet de prévoir l’explosion qui va survenir. Enûn, il y a, ’dans chaque groupe, des transformations qui paraissent évolutives, et l’on peut se croire fondé à comprendre dans’un même phylum généalogique tout un ensemble d’êtres successifs, présentant entre eux le fortes analogies et dont la variation, dans le temps, est à peu près continue, autant du moins que ie mot continu peut avoir un sens en paléontologie. Un certain transformisme, un transformisme par séries parallèles, inégales, d’origine variable dans le temps et l’espace, semble démontré, encore que son mécanisme nous échappe presque totalement.

De ces trois phénomènes, régression, terminée souvent par la disparition rapide, apparition brusque, évolution lente, peut-être avec de brusques accélérations, les deux premiers éveillent l’idée de la discontinuité, le dernier nécessite la continuité. Vouloir tout expliquer par la seule continuité, c’est fermer volontairement les yeux sur un grand nombre de faits et par ce îséquent sortir de la méthode scientifique : cela s’es appelé la théorie de la descendance, et, loin d’être une théorie, c’était à peine une hypothèse. En réalité, le mot d’évolution, qui a un sens précis quand on l’applique à la variabilité de l’espèce, est absolument vide de sens quand on veut s’en servir pour désigner le processus général des transformations de la Vie. Il y a une science de l’évolution, qui s’appuie sur des observations certaines et qui nous apprendra un jour — nous ne le savons pas encore — dans quelles conditions, sous l’empire de quelles causes, et jusqu’à quelles limites déûnies, l’espèce est susceptible de varier : ce que l’on a appelé théorie de la descendance n’était que la généralisation injustifiée des premiers résultats, à peine acquis, de cette science. A vrai dire, le transformisme total, le transformisme darwinien, qui consistait à dire que tous les êtres vivants sont parents entre eux, ce transformisme là est une hypothèse fausse qui est en train de disparaître de la science.

Dans la série animale, les phylums les plu9 authentiques, les moins discutables, paraissent avoir évolué parallèlement. La tête de chaque phylum est cachée, et jamais jusqu’ici l’on n’a pu saisir le rattachement précis de deux phylums à un même tronc ; de même que jamais, jusqu’ici, on n’a pu constater le franchissement, par un phylum qui semble authen tique, des limites d’une famille, à plus forte raison des limites d’une classe. Même chose dans la série végétale. « La plupart des grands groupes de plantes, disait Zeiller, se montrent, dès le début, aussi tranchés qu’aujourd’hui. Entre eux, il n’y a pas de passage graduel ; mais il y a des types intermédiaires qui suggèrent simplement l’idée d’une origine commune qu’il faudrait faire remonter bien plus haut que les plus anciens documents. Pour la plupart des groupes, l’origine est brusque et l’apparition et l’expansion se sont faites dans des conditions derapiditi déconcertantes. Pour les espèces, on observe des mutations ; mais on voit ces mutations s’arrêter à de certaines limites, sans franchir les intervalles qui les séparent des espèces les plus voisines. Pour les genres, la série est toujours discontinue ; on soupçonne le passage d’une forme à l’autre. Les phases intermédiaires qui établiraient la réalité de ce passage se dérobent à nos constatations. »

Un fait curieux et inexpliqué est la longue permanence de certaines espèces et de certains genres, alors qu’autour d’eux tout change. Ces genres et ces espèces qui ne subissent pas de modifications, ou qui ne se transforment qu’avec une lenteur extrême, sont bien connus des géologues qui les appellent volontiers de mauvais fossiles. Les bons fossiles sont, au contraire, ceux qui, brusquement apparus, disparaissent vite ou font rapidement place à des mutations bien distinctes du type originel.

Ainsi, les transformations continues, ou évolutives, de la Vie, semblent s’être opérées, parallèlement et avec des vitesses très diverses, dans des phylums distincts, dont rien ne permet d’affirmer le rattachement à un tronc unique.

Les transformations discontinues de la Vie sont de deux sortes : la naissance et la mort des phylums. Chaque phylum est condamné à disparaître ; les uns durent très peu, les autres très longtemps, tous sont destinés à mourir et, le plus souvent, leur phase de disparition est très courte. Ils meurent, semble-t-il, totalement, sans aucune descendance. Chaque phylum est apparu brusquement, à un certain moment de la durée ; il s’est développé très rapidement, jusqu’à une apogée vite atteinte et qui, relativement, a été longue ; puis il s’est mis à décliner, presque toujours très vite. La naissance du phylum est un phénomène de nature inconnue. Est-ce une création ? Est-ce le brusque dédoublement d’un phylum déjà existant qui, tout en continuant son évolution ordinaire, projette latéralement, à un moment donné, sous l’empire d’une cause soudaine et mystérieuse, une autre série d’êtres, foncièrement différents de ceux de la série ordinaire ? La science ne répond pas à ces questions. En tout cas, l’existence de discontinuités ne semble pas douteuse : et cela suffit à faire écarter, comme beaucoup trop simpliste, l’hypothèse de l’universelle descendance. Rien, absolument rien, n’autorise à dire que « toutes les formes organiques dérivent les unes des autres, les plus compliquées se développant des plus simples, en remontant jusqu’à l’origine même de la Vie ». Rien, absolument rien, n’autorise à dire que les Vertébrés descendent des Invertébrés ; ni que les Mollusques céphalopodes descendent des Protozoaires. La réalité est, à coup sûr, bien plus complexe, mais nous sommes encore très loin de la connaître, et, scientifiquement parlant, la transformation générale de la Vie n’est pas moins énigmatique que son apparition.

En tout cas, cette transformation générale de la Vie, au cours des âges, est un phénomène ordonné. Nous ne savons pas au juste quelle est la loi ; mais, à coup sûr, il y a une loi. On a dit : c’est le progrès. Là encore, la réponse est trop simpliste. Le monde 161 TERRE

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organique a été s’cnrichissant de groupes nouveaux, de phylums nouveaux ; et souvent ces nouveaux arrivants remplaçaient simplement, sans progrès sensible, les groupes ou phylums qui venaient de s’éteindre ; d’autres fois, les nouveaux arrivants sont d’un tout autre type, d’un type plus compliqué et qui, jusqu’alors, n’était pas apparu, et c’est là seulement que l’on peut parler de progrès. Dans le monde végétal, les Cryptogames sont apparus avant les Phanérogames et, parmi ces derniers, les Gymnospermes avant les Angiospermes. Dans le monde animal, les Invertébrés ont précédé les Vertébrés ; parmi les Vertébrés, les Poissons ont été les premiers, bientôt suivis des Amphibiens et des Reptiles, tandis que les Mammifères et les Oiseaux sont venus plus tard ; les Mammifères eux-mêmes, représentés pendant très longtemps par de petits Aplarentaires dont il reste encore, aujourd’hui, quelques survivants, ne se sont enrichis que très tard, au début des temps tertiaires, par la survenue des types supérieurs, des types placentaires. Mais dans chacun des grands groupes, le progrès est nul, ou contestable. Les Poissons d’aujourd’hui ne sont pas en progrès sur ceux du Paléozoïque ; les Reptiles d’aujourd’hui, non seulement ne sont pas en progrès, mais paraissent être dégénérés et inférieurs, si on les compare à leurs congénères des temps mésozoïques ; les Mammifères d’aujourd’hui (l’Homme mis à part) ne manifestent vraiment aucune supériorité sur ceux des mêmes classes qui vivaient pendant leNummulitique et le Néogène. De même pour les Invertébrés : les Brachiopodes ont eu leur apogée dans l’ère primaire et n’ont fait, depuis lors, que décliner ; et il semble bien aussi que les Céphalopodes, les Lamellibranches, les Arthropodes se soient appauvris, plutôt qu’enrichis, et que leur apogée soit depuis longtemps passée. De même pour le règle végétal : les Cryptogames vasculaires de nos forêts actuelles sont nettement en déclin par rapport à ceux de la période carbonifère. Dans l’ensemble, il y a eu progrès, dans le sens que le nombre des embranchements et des classes a augmenté ; mais ce progrès paraît avoir été discontinu ; et, dans chaque embranchement une fois apparu, dans chaque classe une fois représentée par des êtres vivants, ce n’est plus la loi du progrès qui a dirigé la transformation ; c’est une loi complexe où intervenaient et se combattaient une force originelle d’expansion et une tendance naturelle au déclin, un principe de vie et un principe de mort.

Incessante déformation de la Lithosphère.

— C’est un fait bien établi par les géologues que le visage de la Terre se déforme continuellement. Le changement est imperceptible, pour nous, d’un jour au jour suivant, d’une année à l’année suivante ; il est réel pourtant, et, pendant que nous respirons, la face terrestre se modifie. D’une période géologique à une autre, ses divers traits se sont transformés, parfois totalement. Un homme qui aurait vécu pendant l’ère primaire, ou pendant l’ère secondaire, et qui, après un sommeil prolongé, se réveillerait maintenant et regarderait la planète, ne reconnaîtrait plus rien de son ancienne géographie : les mers sont différentes, et aussi les montagnes.

Cette incessante déformation procède de quatre causes : l’érosion, qui use les relief t ; la sédimentation, qui comble les creux ; les mouvements verticaux, qui soulèvent momentanément un continent ou un fond de mer, et qui, par contre, au même instant, abaissent quelque région voisine ; enûn les plissements, qui sont la manifestation extérieure des déplacements horizontaux, ou tangentiels.

L’érosion et la sédimentation opèrent sous nos yeux et n’ont donc rien d’énigmatique ; mais les deux autres causes nous sont bien mal connues ; nous constatons leurs effets, mais nous ignorons et la raison de leur existence et la vitesse, assurément très variable, de leur action. Pourquoi cette portion de la surface terrestre s’abaisse-t-elle, et pourquoi se forme-t-il, ici, tout un système de plis parallèles, comme si un fuseau du sphéroïde s’écrasait par le rapprochement de ses deux bords ? Ces mouvements ont-ils été lents ou rapides, par rapport à la durée énorme des périodes géologiques ? Questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre.

L’importance de la quatrième cause saute aux" yeux. Les déplacements horizontaux, ou tangentiels, de la surface sont le trait le plus caractéristique de la déformation terrestre. Chacune de nos chaînes de montagnes est un faisceau de plis à peu près parallèles, faisceau rectiligne sur de longs parcours et devenant, çà et là, sinueux, comme s’il se moulait sur le bord accidenté d’un obstacle résistant ; dans chacune d’elles, le nombre des plis est énorme ; beaucoup de ces plis sont déversés, et presque tous dans le même sens ; le déversement va souvent jusqu’à les coucher les uns sur les autres, et l’on constate alors que certains de ces plis couchés ont cheminé sur leur substratum de plis, en se laminant, en s’étirant, en diminuant d’épaisseur, parfois en se tronçonnant ; ailleurs, tout un paquet d’assises ou de roches apparaît, venu de loin, posé sur le système plissé, sans que l’on puisse dire si ce paquet est un fragment de pli couché, ou un morceau transporté en surface, par simple translation et sans plissement préalable, du bord de la région soumise au resserrement et à l’écrasement ; ailleurs encore, on croit voir un coin gigantesque, formé d’autres roches et d’autres assises, venu de loin lui aussi, mais sonterrainement, et parce qu’il a été chassé violemment entre deux zones superposées de l’empilement des plis et des nappes. On peut, dans certains cas, évaluer l’amplitude du déplacement horizontal qui se traduit par ces divers phénomènes ; elle dépasse souvent cent kilomètres ; ella peut aller à plus de deux cents kilomètres. Ni le processus des déplacements, ni leur amplitude, ne paraissent avoir sensiblement changé au cours des âges : les très vieilles chaînes de montagnes, aujourd’hui presque entièrement ruinées et dont nous exhumons péniblement la lointaine histoire, sont faites comme l’Himalaya, les Alpes, les Montagnes Rocheuses et les Andes ; on y trouve les mêmes phénomènes de plis couchés et de charriages, et les transports de plis et de nappes n’y ont été, dans leur ensemble, ni plus grands, ni moindres. La surface terrestre se déforme en se plissant ou en se ridant.

Elle se déforme aussi par mouvements verticaux ; et ces mouvements, qui changent incessamment de lieu, de vitesse, d’amplitude totale et de sens, ne s’arrêtent jamais complètement. Les lignes de rivage se sont déplacées continuellement au cours des temps géologiques ; elles se déplacent encore aujourd’hui ; la figure des mers a constamment changé ; dans la formation d’une chaîne de montagnes, le plissement n’a pas été le seul facteur et il y a fallu, encore, une ascension verticale du pays plissé au-dessus des régions avoisinantes ; enfin les effondrements, plus ou moins rapides, quelquefois brusques, de toute une région de la surface, paraissent avoir été, à toute époque, un phénomène fréquent, sinon habituel. C’est par les mouvements verticaux que se produisent les transgressions, qui sont les invasions de la terre par la mer, et les 1617

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répressions par où s’agrandit, au contraire, le domaine continental ; c’est par eux encore que les fonds marins se modifient, que des îles surgissent, tandis que d’autres lies, et même des pans immenses de continent, descendent aux abîmes. L’histoire des Océans est une longue suite d’oscillations semblables, prolongées jusqu’aux périodes les plus récentes, presque jusqu’à nous. Par exemple. l’Atlantique est tout à fait jeune. Au début du Tertiaire, de vastes terres continentales s’étendaient sur l’emplacement d’une grande partie de cet océan, terres qui formaient ponts entre l’Europe et l’Amérique du Nord, entre l’Afrique et l’Amérique du Sud. Ces pont- se sont progressivement ruinés, par effondrements, pendant les temps tertiaires ; et, au Miocène, leur ruine n’était pas encore tout à fait complète. Peut-être la disparition de l’Atlantide, au Quaternaire, a-t-elle été le dernier épisode de l’immense écroulement. Les terres ainsi ruinées et abimées n’étaient point toutes de basses terres ; il y avait parmi elles, des pays de montagnes. Les anciennes chaînes plissées, Calédonides et Allaïdes, dont il ne reste plus aujourd’hui que des vestiges usés, couraient de la Scandinavie à l’Ecosse et de la Bretagne au Canada : aujourd’hui, de longs tronçons de ces chaînes sont couverts par des milliers de mètres d’eaux marines. Dans la Méditerranée, les effondrements n’ont pas eu moins d’importance, et ils se sont prolongés, très certainement, jusqu’au Pliocène. L’océan Indien est un ancien domaine continental englouti. Moins bien connue, l’histoire du Pacifique o.îre des épisodes semblables, et, de nos jours encore, sur d’immenses étendues, le fond de cet océan paraît s’abaisser avec lenteur.

C’est une question difficile et très controversée que de savoir s’il y a une relation entre les deux premières causes de déformation, les deux causes niveleuses du relief, l’érosion et la sédimentation, et les deux autres causes, ridement ou plissement tangentiel et mouvements verticaux, que l’on peut appeler causes créatrices du relief. On donne le nom d’isostasie à la théorie qui cherche à lier entre elles ces quatre causes. Elle se résume ainsi. A un instant donné de la durée, l’équilibre de la lithosphère est réalisé par une-certaine distribution, dans son sein, des matériaux denses et des matériaux légers. Mais l’usure des reliefs continentaux, par l’érosion, et le comblement graduel, par la sédimentation, des dépressions maritimes, ne peuvent pas se prolonger beaucoup sans détruire cet équilibre. Périodiquement, donc, la lithosphère, suffisamment plastique dans son ensemble, se déformera d’ellemême pour chercher une nouvelle figure par laquelle l’équilibre soit de nouveau réalise. Cela se fera, presque toujours, par la formation d’une sorte de vague tendant à rejeter, sur un continent, les matériaux qui se sont accumulés dans la mer voisine parallèlement au rivage. Cette vague, c’est un faisceau de plis. Les chaînes de montagues naîtront ainsi des grandes fosses de sédimentation et s’en iront déferler sur le bord continental de ces fosses. Mais, comme il y a de grandes irrégularités et inégalité- ! , d’une verticale à l’autre, dans l’arrangement des matériaux et dans le travail de l’érosion ou de la sédimentation, il se fera aussi des montées et des descentes, des soubresauts et des chutes, en un mot desiéplacements verticaux. Théorie séduisante, qui, malli -iireusement, n’est pas vériliable.

L « r principal avantage de la théorie de l’isostasie est de rendre compte de la différence frappante qui existe entre la déformation terrestre et la déformation lunaire. Si la cause des plissements de la lithosphère terrestre doit être cherchée dans les progrès

de l’érosion et de la sédimentation, on s’explique qu’il n’y ait pas de plissements dans l’écorce de la Lune, puisqu’il n’y a, au-dessus de cette écorce, ni eau, ni air, et, par conséquent, aucun facteur de sédimentation ou d’érosion.

A défaut de l’isostasie, on ne voit guère, pour rendre compte de cette dilférence entre la Lune et la Terre, que l’hypothèse qui enchaîne la déformation terrestre aux variations de l’aplatissement. La vitesse de rotation de la Lune sur elle-même est, depuis longtemps, trop petite pour que defaibles variations de cette vitesse puissent retentir sur l’aplatissement lunaire. Mais la vitesse de rotation de la Terre est environ a^ fois plus grande. Il n’est donc pas invraisemblable que, si cette dernière vitesse vient à varier, même très peu, l’aplatissement terrestre en soit modifié. Et comme toute modification de l’aplatissement entraîne une déformation tangentielle de la surface, on comprend que, de temps en temps, un ridement prenne naissanee à la surface de notre lithosphère, ridement qui serait à peu près parallèle à l’équateur si la lithosphère était homogène et s’il n’y avait pas, à sa surface, des reliefs plus anciens.

En fait, tandis que la Lune ne manifeste, sur la portion de son visage que nous connaissons, aucune tendance au ridement vraiment caractérisée, le ridement est le trait le plu3 caractéristique de la déformation terrestre, il n’y a, sur notre satellite, aucune chaîne de montagnes véritable. Les inégalités de relief que l’on y observe sont : ou bien des traces d’une ancienne division polygonale qui semble usée et à demi effacée ; on bien de grandes fractures rectilignes ; ou enfin des cratères, ronds ou ovales, qui paraissent être les cicatrices laissées par d’énormes bulles gazeuses crevant à la surface. Sur la Terre, par contre, les montagnes forment des chaînes plissées, des faisceaux de plis. La Terre se déforme comme si son écorce devenait trop large, trop ample, pour le noyau liquide qui supporte cette écorce ; elle se ride à la façon d’un fruit dont l’intérieur se dessèche. Les phénomènes lunaires sont tout autres : ils suggèrent l’idée d’une écorce devenue trop petite pour son noyau et éclatant comme la peau d’un fruit mûr.

Les chaïues de montagnes successives. — L’étude des chaînes de montagnes terrestres a appris aux géologues que la formation de chacune d’elles peut être datée ; qu’il y a eu plusieurs chaînes successives, dont les plus anciennes sont ruinées et cependant reconnaissables ; que la naissance d’une chaîne est un long processus de phénomènes, s’étendant, parfois, à une durée supérieure à celle d’une période géologique. La dernière en date, de ces chaînes, est la chaîne alpine, achevée pendant le Niogène, commencée, semble-t-il, dans la deuxième moitié du Crétacé. Avant elle.il y a eu la chaîne hercynienne (les Allaïdes d’Eduard Suess), achevée pendant le Permien, commencée dann le Carbonifère. Plus ancienne encore est la chaîne calédonienne, achevée au début du Dévonien, commencée dans le Silurien. D’autres chaînes ont existé antérieurement, plus anciennes que le Cambrien, qui ne se manifestent plus à nous que par des discordances dans les assises superposées des terrains précambriens ; ces très vieilles chaînes sont multiples, et rien ne montre mieux l’énorme durée des temps géologiques antérieurs à la période cambrien ne que le fait de la multiplicité des ridements successifs, au cours de ces âges si lointains.

Tout le monde connaît la chaîne alpine. Elle comprend les Alpes, les Carpathes, les Balkans, les mon1619

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tngnes de l’Asie Mineure, le Caucase, les chaînes les plus méridionales de l'énorme pays montagneux de l’Asie centrale, parmi lesquelles l’Himalaya ; elle comprend aussi les Pyrénées et la Sierra Nevada, l’Apennin et l’Atlas, et les montagnes qui font ceinture au Pacilique, Andes, Montagnes Rocheuses et Coast Ranges, îles montagneuses de l’Océanie occidentale au nord et à l’est de l’Australie.

La chaîne hercynienne s’observe, en Europe, un peu au nord de la chaîne alpine. C’est à elle qu’appartiennentles plissements du bassin houiller francobelge, les montagnes uséesde l’Armorique et du Plateau central français, les reliefs allongés de l’Oural et du Timan. En Amérique, elle comprend les Appalaches ; en Australie la chaîne côtière de l’Est ; en Asie, les chaînes septentrionales du faisceau montagneux de la Mongolie. On retrouve, çà et là, dans la chaîne alpine, des fragments de cette chaîne hercynienne repris par le plissement alpin, dans les Alpes, dans l’Atlas, dans le Caucase, dans les faisceaux tibétains et chinois ; et il y a aussi, dans la chaîne alpine, des morceaux de chaîne hercynienne qui ont été entourés par les arcs alpins sans être de nouveau plissés, par exemple le Haut-Plateau espagnol, la moitié occidentale de la Corse et toute la Sardaigne.

La chaîne calédonienne s’observe dans les Highlands d’Ecosse et dans les montagnes de la Scandinavie. Quant aux chaînes précambriennes, c’est surtout au Canada et en Finlande qu’elles ont laissé des traces reconnaissables ; c’est là que l’on a pu constater leur multiplicité. Mais quelques-uns de leurs éléments apparaissent dans d’autres régions, repris dans les plissements postérieurs : par exemple dans notre Armorique, où le Cambrien est nettement discordant sur le Précambrien, et où l’on voit s’avérer l’existence d’une chaîne précambrienne, dirigée à peu près Est-Ouest, oblique, par conséquent, sur le plissement hercynien postérieur.

Personne ne peut dire si la tendance au ridement persiste encore dans notre lithosphère ; si la chaîne alpine sera suivie, ou non, d’une autre chaîne, qui serait actuellement en préparation. Personne ne peut dire si le ridement est continuel, ou s’il procède par saccades. Ce qui est probable, pour le ridement comme pour les mouvements verticaux, c’est la continuité, avec une vitesse très variable. Dans la formation des montagnes, il y a eu, très probablement, des mouvements très lents, très prolongés, et, de temps en temps, des épisodes relativement brusques, dus à des ruptures d'équilibre. Mais les mots lent et brusque n’ont pas de sens précis en géologie.

Marcel Bertrand faisait, des chaînes de montagnes successives, les chapitres de l’histoire de la Terre. Il se demandait même si chacun de ces chapitres, défini par une chaîne, ne correspondrait pas de quelque façon à l’un des six jours mystérieux de la Genèse. Mais on n’aperçoit aucune correspondance exacte, à moins de changer beaucoup le sens des mots ; et d’ailleurs, nous venons de voir que, depuis l’origine de la Vie, il semble y avoir eu plus de quatre chaînes de montagnes distinctes, alors que la Genèse n’attribue aux temps géologiques qu’une durée de quatre jours. En réalité nous ne sommes guère capables de ûxer avec précision le commencement des phénomènes qui donneront naissance à une chaîne ; et la division proposée par Marcel Bertrand est trop vague et trop incertaine pour être d’une réelle utilité scientifique.

Longue persistance de certains traits de la géographie. — Dans l’incessante déformation de

la lithosphère, il y a des traits permanents ou qui, du moins, durent longtemps sans cesser d*être rrconnaissables. Ils définissent ou circonscrivent des unités, ou des entités, géographiques. Voici les principales.

La Téthys. — Ce nom a été donné par Eduard Suess à une mer transversale, sorte de Méditerranée gigantesque, qui, depuis le Cambrien et jusqu’aux débuts du Ncogène, a formé, au globe terrestre, une large demi-ceinture, allant du Pacifique au Pacilique par l’Indo-Chine, l’Asie Centrale, l’Asie occidentale et la région caucasique, l’Europe centrale et l’Europe méridionale, l’Afrique septentrionale, les Antilles. La largeur de cette mer, du Nord au Sud, a parfois dépassé 6.000 kilomètres ; elle a été, d’une façon générale, se resserrant graduellement au cours des âges, le domaine continental situé au nord de la Téthys s’agrandissant aux dépens de celle-ci. Dans la Téthys se sont préparées deux grandes chaînes de montagnes, l’hercynienne d’abord, l’alpine ensuite ; et c’est le graduel resserrement de cette mer transversale qui a transformé en faisceaux de plis parallèles les épaisses séries sédimentaires déposées dans ses profondeurs.

Au sud de la Téthys s'étendait un autre domaine continental, la Terre de Gondwana d’Eduard Suess, aujourd’hui fragmenté par les effondrements qui ont donné naissance à l’Océan Indien et à l’Atlantique. L’Australie, l’Hindoustan, Madagascar, l’Afrique presque entière, le Brésil, enfin, sont les témoins, demeures visibles, de ce vaste domaine, qui fut longtemps un bloc solide et stable, d’apparence indestructible.

Dans la Téthys elle-même s’allongeaient, parallèlement à ses bords, des fosses maritimes où la sédimentation était particulièrement active et qui s’enfonçaient peu à peu au fur et à mesure qu’elles se comblaient. Une telle fosse est ce que les géologues appellent un géosynclinal. La sédimentation, pour un intervalle déterminé de la durée, y est plus épaisse qu’ailleurs, souvent beaucoup plus épaisse ; et les sédiments ainsi accumulés dans une semblable fosse ont, en outre, un double caractère, de continuité et de monotonie, qui fait qu’on les reconnaît très bien quand les mouvefhents ultérieurs les ont exposés à nos regards. C’est une chose maintenant certaine que la plupart des strates sédimentaires aujourd’hui comprises dans une chaîne de montagnes ont été déposées jadis dans un géosynclinal. Les chaînes de montagnes naissent donc des géosynclinaux ; elles sont lentementpréparées et annoncées par les longues fosses maritimes sur l’emplacement desquelles elles surgiront et qui, déjà, ont la direction des plissements futurs. Les géosynclinaux du Nord de la Téthys cambrienne, silurienne, dévonienne, carbonifère, permienne, sont devenus la chaînehercynienne. Cette chaîne formée, et la Téthys diminuée d’autant et réduite à sa zone méridionale, d’autres géosynclinaux s’y sontétablis, qui ont duré, pour la plupart, jusqu'à la fin du Nummulitique ; à leur tour, ils se sontplissés etsontdevenus la chaîne alpine. L’histoire delà Téthys est l’histoire delà lente élaboration des deux chaînes. Depuis que les plissements alpins sont achevés, la Téthys n’existe plus, ou du moins il n’en reste que des témoins sans continuité et sans importance, la Méditerranée actuelle, le golfe Persique, les mers de la Sonde, la mer des Antilles. Cette grande unité géologique, qui a duré plusieurs centaines de millions d’années probablement, a disparu en tant qu’unité maritime ; mais elle a laissé sur le globe une empreinte profonde, qui demeurera longtemps discernable, le double faisceau des plis hercyniens et alpins. 1621

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La fosse circumpacifique. — La Téthys n’a jamais fait, à l’état de mer transversale, le tonr entier du globe terrestre ; prenant naissance dans la région actuellement occupée par les îles de la Sonde et par l’Indo-Chine, elle se terminait dans la région actuellement occupée parles Antilles. C’était, comme nous avons dit, une demi-ceinture.

La demi-ceinture se continuait par une boucle qui faisait le tour du domaine immense, large de plus de 15.ooo kilomètres, aujourd’hui couvert par l’Océan Pacitique. Celte boucle, qui achevait la ceinture, est ce que l’on appelle la fosse circumpacifique.

Elle existe de nos jours, tandis que la Télhys, en tant que mer, n disparu ; il y a encore, tout autour du Pacitique actuel, une fosse maritime profonde, souvent très profonde, qui court parallèlement au rivage, ou parallèlement aux chaînes d’îles prolongeant ce rivage. Cette fosse circumpacifique est dominée par la chaîne de montagnes qui suit la côte : car toutes les côtes pacitiques sont des côtes montagneuses, faites de plis parallèles au bord maritime. Elle est jalonnée par de nombreux volcans, encore actifs, ou éteints récemment, qui forment au Paciûque une ceinture de feu.

Il semble que la fosse circumpacifique ait toujours existé, et qu’elle se soit simplement déplacée au cours des âges, le sens de ce déplacement étant vers l’intérieur du domaine pacitique. Les grandes chainesde montagnes qui courent le long de la côteouest de l’Amérique, Montagnes Rocheuses et Cordillère des Andes, sont faites de sédiments déposés dans des géosynclinaux : l’ensemble de ces géosynclinaux, c’est l’ancienne fosse maritime. De même la chaîne côtière qui court à l’est de l’Australie et les chaînes, grossièrement parallèles, plus ou moins ruinées par les effondrements, qui nous apparaissent sous la forme d’arcs insulaires reliant entre elles quelques grandes îles allongées, toutes ces chaînes du Pacitique occidental nousmontrentdes sédiments, aujourd’hui exondés et plissés, jadis formés en condition géosynclinale. Il y a donc eu, de tout temps semble-t-il, en tout cas depuis le Cambrien, un faisceau de géosynclinaux courant autour de la région pacifique. Quand ce faisceau s’est plissé et est devenu une chaîne de montagnes, la fosse maritime, ensemble des fosses géosynclinales, s’est reformée plus loin, gardant sa forme de boucle, simplement un peu rétrécie : persistance inliniment mystérieuse et d’une durée paradoxale.

A l’intérieur de cette boucle, s’étend le domaine pacifique, permanent lui-même, en ce sens que, depuis les plus anciens âges, il est un domaine réservé, défini, presque délimité. Mais nous ne savons pas s’il a toujours été occupé par la mer ; et l’on a souvent émis l’hypothèse d’un continent pacifique, accidenté de chaînes de montagnes, qui aurait persisté jusque très près de nous, jusqu’aux temps tertiaires, et se serait peu à peu démoli, fracturé, disloqué, affaissé, malgré les plissements nouveaux qui y dressaient des montagnes nouvelles. Ce qui paraît le plus probable, c’est que le domaine pacitique intérieur, entouré parles mers circumpacifiques dont le fond et les bords étaient incessamment variables, ait été lui-même agité de mouvements presque incessants. On doit le concevoir comme une région perpétuellement mobile delà lithosphère, parcourue par de vastes ondes de plissement, creusée d’immenses rides, obombrée de longues et hautes chaînes, rides et chaînes au dessin harmonieux, parallèles, près des bords du domaine, au contour des mers qui lui faisaient ceinture. Nous ne savons pas quelle était, à un instant déterminé de la durée, la répartition, dans ce domaine, des terres exondées

et des eaux marines. Elle était probablement changeante : de même que variait à chaque instant, dans la Téthys, la proportion des étendues insulaires et des étendues maritimes. Il est possible que, d’une façon générale, la surface exondée l’ait emporté sur l’autre et que le domaine pacifique intérieur ait été, jusqu’aux temps tertiaires, surtout continental. Après les derniers plissements, qui se sont produits au Tertiaire, la proportion s’est renversée ; le domaine pacifique, de continental, est devenu maritime, et d’immenses gouffres s’y sont ouverts, non pas sans doute par de brusques effondrements comme dans l’Atlantique, mais par de graduels affaissements, conformes encore, dans leur dessin général, à la permanente harmonie de cette région privilégiée.

La Laurent ia. — Ainsi nommée du fleuve Saint-Laurent qui, sur une partie de son cours, lui sert de limite, la Laurentia est une immense unité depuis très longtemps figé », c’est-à-dire réfractaire au plissement. Depuis avant le Cambrien, elle ne s’est pas plissée. Tous les terrains sédimentaires, y compris le Cambrien, sont, dans cette unité, demeurés horizontaux. Il n’y a eu, dans la Laurentia, au cours de plusieurs millions de siècles, que des déplacements verticaux, dénivelant certains compartiments par rapport aux autres, produisant des transgressions marines momentanées sur telle ou telle partie du domaine habituellement continental, ou plongeant définitivement aux abîmes marins telle autre partie jusque là exondée et qui paraissait stable. La Laurentia comprend tout le centre des Etats-Unis et presque toute l’Amérique anglaise ; elle est limitée au Sud-Est par la chaîne des Appalaches (hercynienne), à l’Ouest par les Montagnes Rocheuses (chaîne alpine), au Nord par les Montagnes des Terres de Grant et d’Ellesmere qui appartiennent à la chaîne tertiaire ; elle comprend aussi la plus grande partie du Groenland, l’Islande et l’île de Jan Mayen, et, avant d’être ruinée par les effondrements de l’Atlantique Nord, elle s’étendait certainement jusqu’à la chaîne calédonienne et empiétait même sur la région nord-occidentale de l’Ecosse. On ne peut mieux la comparer qu’à une gigantesque banquise, endormie du sommeil polaire et qui ne s’en réveillera peut-être jamais ; autour d’elle les vagues se dressent ; elles déferlent sur ses bords ou même, momentanément, grâce à des ruptures locales qui provoquent l’immersion d’une partie du bloc, elles l’envahissent. Bientôt la région inondée remonte au jour ; et la banquise, à peine diminuée, se reconstitue et reprend, pour de longs siècles, son immobilité.

Le Nord de VEurasie. — Séparé de la Laurentia par la chaîne calédonienne, le Nord du continent eurasiatique a, depuis le Cambrien, une histoire analogue. C’est encore une région figée, et qui serait une unité si elle n’était divisée en deux morceaux par une zone plissée qui est l’Oural. A l’ouest de l’Oural s’étend la plate-forme russe, prolongée jusqu’à la chaîne calédonienne par la Fennoscandia et limitée au Sud par la chaîne hercynienne ; à l’est de l’Oural, s’étend la vaste Sibérie, le faite sibérien comme l’appelait Eduard Suess ; dans ces deux morceaux, dont chacun est une véritable unité, tous les sédiments, depuis le Cambrien, sont restés horizontaux. Il y a eu, çà et là, à diverses époques, des invasions marines, allant parfois jusqu’aux arcs hercyniens du Sud ; mais c’est le régime continental qui prévalait, et toute la moitié orientale de la Sibérie paraH être demeurée continentale depuis le Silurien. Cette Sibérie orientale, particulièrement stable, est la Terre d’Angara des géologues. 1623

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La Terre de Gondtvana. — Nous avons donné plus haut, à propos de la Téthys, la définition d’une autre unité du visage terrestre. C’est le bloc, longtemps homogène et massif, qui s’éter.dait au sud de la Téthys et dont l’IIindoustan, Ceylan, l’Australie (à l’exception de son bord oriental), Madagascar, l’Afrique (à l’exception delà chaîne plissée du Nord, qui est l’Atlas, et de la chaîne plissée du Sud qui est l’ensemble des Montagnes du Gap), le Brésil enfin et les îles Malouines, sont actuellement les débris. Depuis le Dévonien, cette unité, cette Terre de Gondwana, est figée, réfractaire au plissement, capable seulement de mouvements verticaux. Jusqu’au Trias, elle semble être restée massive et le plus souvent entièrement continentale. La division a commencé, au Trias, par l’ouverture d’un chenal maritime entre l’Afrique et Madagascar ; puis sont survenus, pendant les temps jurassiques et crétacés, les effondrements qui ont donné naissance à l’Océan Indien ; enfin les terres qui reliaient l’Afrique au Brésil se sont effondrées pendant le Tertiaire, faisant place à l’Atlantique Sud. Au lieu de Terre de Gondwana, on dit souvent Gondwanie Le Métamorphisme. — Les géologues ont donné le nom de métamorphisme à l’ensemble des diverses causes capables de transformer les roches (non pas seulement de les déformer, mais de les transformer véritablement en d’autres roches). Il y a un métamorphisme exercé par les matériaux fondus et les émanations gazeuses provenant de la pyrosphère : ce métamorphisme, qui peut être simplement calorifique, qui peut être aussi calorifique et chimique à la fois, ne va pas loin en général et demeure limité au voisinage du contact de la matière fondue ou gazeuse et des terrains qu’elle vient toucher. On l’appelle souvent métamorphisme de contact ; mais il y a un autre métamorphisme, plus mystérieux et plus important, qui s’étend à de vastes surfaces et à de grandes épaisseurs de la lithosphère ; les géolologues l’appellent le métamorphisme régional et c’est de lui, seulement, qu’il va être ici question.

Dans un domaine qu’a envahi le métamorphisme régional, on n’observe plus que deux sortes de terrains : des terrains cristallophylliens, dont le type est une alternance de gneiss et de micaschistes ; des terrains cristallins massifs, dont le type est le granité. Rien, dans ce domaine n’a plus ni le caractère d’un sédiment, ni le caractère d’une lave ; il n’y a plus aucune trace d’organisme. C’est un domaine entièrement cristallisé, tantôt stratiforme et schisteux, tantôt massif et quasi-homogène.

On a beaucoup discuté sur l’origine de ces domaines métamorphiques, sur la cause et le processus du métamorphisme régional, sur la genèse des terrains cristallophylliens et des roches massives ; et il s’en faut de beaucoup que l’on soit arrivé aune solution complète de ce problème. Mais les travaux de ces vingt ou trente dernières années ont cependant apporté quelque lumière.

Tout d’abord, il n’est plus permis de croire que les terrains cristallophylliens soient, comme on disait il y a peu de temps encore, des terrains primitifs et représentent la pellicule de première consolidation du globe terrestre. On a démontré, en effet, qu’il y a des terrains erislallopl^-lliens de divers âges, et que, même, il en est de très récents. Chaque ensemble cristallophyllien est le résultat de la transformation, par métamorphisme régional, d’une série sédimenlaire ou d’un système de séries sédimentaires superposées. Le métamorphisme régional n’a jamais cessé d’agir et son processus parait être constant ; il emploie toujours les mêmes moyens,

de la même façon, et ses produits demeurent à peu près identiques, dans toutes les régions de la lithosphère et à toutes les époques géologiques. On peut aller un peu plus loin et voici, parmi les théories que l’on a proposées, celle qui paraît la plus satisfaisante.


Le métamorphisme régional complet — celui qui va jusqu’à la formation des micaschistes et des gneiss

— exige certainement la profondeur ; il ne se réalise parfaitement et ne prend toute son ampleur qne dans les terrains qui sont en condition géosynclinale. Mais il faut autre chose ; car il y a beaucoup de géosynclinaux, même très profonds, où ne s’est produit aucun métamorphisme. Cette autre chose, qui est absolument nécessaire, c’est l’arrivée de vapeurs juvéniles, de vapeurs montant de l’intérieur, véritables coionnes filtrantes apportant, avec divers gaz, des silicates et des borates alcalins.

Sur le parcours de ces colonnes chaudes, la température des roches, sédimentaires ou autres, qui sont en condition géosynclinale, s’exagère rapidement. Des échanges chimiques s’établissent, favorisés par l’élévation de la température et par l’abondance des dissolvants ; mais cette chimie interne n’est pas livrée au hasard : elle tend à la préparation de mélanges à point de fusion minimum, véritables mé~ langes eutectiques qui fondront avant tout le reste. Les anciens éléments en excès, qui gênent la production des eutectiques, fuient devant la colonne filtrante ; ils s’en vont ailleurs, et finissent par se fixer, déplaçant à leur tour d’autres corps, tandis que leur place, à eux, est prise par les éléments juvéniles.

Brusquement, çà et là, dans les régions de la masse surchauffée où des mélanges homogènes à point de fusion minimum ont pu se constituer, la fusion s’opère. Des amas liquides s’isolent au milieu d’un édifice qui est encore en grande partie solide, mais qui se ramollit déjà par endroits. Ces amas liquides, ou magmas, peuvent avoir toute dimension. Plus on descend dans l’édifice, et plus ils deviennent gigantesques : tout en bas, c’est sur un immense batholite fondu que l’édifice repose. Quand cessera l’afflux de vapeurs chaudes, le refroidissement commencera et, longtemps après, amas et batholites cristalliseront en roches massives, granités ou gabbros, diorites ou péridotites. Chaque grande famille de roches massives correspond à un eutectique idéal, plus ou moins grossièrement réalisé.

Dans l’édifice traversé et surchauffé par la colonne filtrante, les parties qui n’ont pas fondu complètement, qui n’ont atteint qu’une fluidité incomplète, cristalliseront aussi quand viendra le refroidissement. Mais au lieu de donner des roches massives, telles que le granité, elles donneront des rtfches zonées, telles que les gneiss et les micaschistes. Dans un milieu complètement !  ! uide, la pression n’a plus de direction : la cristallisation, dès lors, n’a aucune raison d’être zonée ; elle se fait sans aucune orientation privilégiée, et c’est la cristallisation des roches massives. Aucontraire, dansun milieu incomplètement fluide, où des grains solides, très nombreux, sont séparés par des vésicules liquides, la pression prend une direction qui est, le plus souvent, la verticale, et la structure zonée, dans la cristallisation, devient nécessaire. Chaque minéral en voiedeformationtend à placer, perpendiculairement à cette pression, un de ses plans desolubilité maxima, ou de fusibilité maxima, c’est-à-dire, pour parler le langage des cristallographes, un de ses plans de plus grande densité réticulaire. Les régions partiellement fondues cristalliseront donc en roches zonées, ou cristallophylliennes. De plus, ces régions reste1025

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ront hétérogènes, parce que les échanges chimiques y ont été incomplets ; elles deviendront une alternance, bien des fois répétée, de stratesde composition différente, gnei ss, micaschistes, amphiboli les, pyroxénites, cipolins, elo… : et c’est précisément une telle alternance qui s’observe dans tout complexe cristallophyllien.

Plus on monte dans l’édilice, et plus on voit s’affaiblir l’action de la colonne filtrante. Le métamorphismeest donc limité dans l’espace, et il décroît graduellement. La même décroissance s’observe quand on s’éloigne, horizontalement, de la zone traversée par les vapeurs. Les régions de semimétamorphisme sont celles où les roches sont restées tout à fait solides et ont seulement été imprégnées par les solutions chaudes. Cela a sulli à les faire recrislalliser ; mais chaque assise a gardé, ou à peu près, sa composition primitive. On n’a plus des gneiss, mais seulement des phyllades, des quarlzites micacés, des marbres phyllileux. L’ex ! en610n horizontale du métamorphisme varie d’ailleurs suivant la perméabilité des couches.

Maintenant la cristallisation s’achève. L’ensemble des terrains soumis au métamorphisme régional est devenu une série cristallophyllienne : ici des gneiss, là des micaschistes, plus loin des amphibolites, plus haut des phyllades. Mais les amas liquides, qui sont des mélanges à point de fusion minimum, ne sont pas encore consolidés. Beaucoup vont cristalliser, là même où ils sont, en des roches homogènes et massives que l’érosion postérieure fera apparaître, plus lard, avec des contours précis, au milieu des gneiss et des micaschistes. D’autres vont se différencier. Plusieurs se videront vers le haut par des fractures et serviront ainsi de source à des roches intrusives ou à des roches volcaniques.

Ainsi s’expliquent, du même coup : la production des roches massives et celle des roches cristallophylliennes ; la liaison indiscutable de ces deux catégories de roches, et par exemple, le fait que le granité apparaît souvent au milieu des gneiss ; la structure si particulière des roches cristallophylliennes et leur si grande variété de composition ; le nombre si restreint, par contre, des types de roches massives et l’étroitesse des limites entre lesquelles se tient la composition chimique de ces roches ; les degrés du métamorphisme régional ; le fait, plusieurs fois constaté, qu’il y a, tout autour d’un domaine hautement métamorphique, une auréole desemi-métamorphisme et un graduel passage des roches cristallophylliennes aux sédiments du type ordinaire ; enfin la liaison certaine du métamorphisme régional avec les géosynclinaux, et par conséquent avec les chaînes de montagnes.

Quant au métamorphisme de contact, il se confond avec le métamorphisme régional quand il s’agit de l’auréole qui entoure les amas de roches massives consolidées en profondeur, là même où s’est produite la fusion de l’eutectique. Iln’a une existence spéciale que quand il s’agit de l’action exercée par une roche fondue qui, sous l’action des pressions internes, a quitté l’amas où elle a pris naissance et s’est mise en route vers la surface. L’intensité de ce métamorphisme de contact est alors un critérium de la profondeur. Plus la roche fondue approche de la surface et moins elle agit sur les terrains qui l’encaissent. Arrivée à la surface, cette roche, devenue la lave d’un volcan, est encore capable d’exercer des actions caloriliques ; mais, en général, elle n’a pins d’action chimique, ou presque plus.

HT. — Les limites db l gi’ologib. Que la géologie soit une science étroitement limi tée, naturellement imparfaite et incomplète, particulièrement énigmatique, c’est l’évidence même. L’observation géologique est confinée à la lurface delà lithosphère ; tout au plus, par les sondages, les travaux de mines, les tunnels, peut-elle pénétrer jusqu’à quinze cents ou deux mille mètres de profondeur. Pour tout le reste delà lithosphère, à plus forte raison pour la pyrosphère et pour la bary*phère, on est réduit aux déductions et aux hypothèses,

Mais il s’en faut de beaucoup que le géologue puisse étendre ses observations à la totalité de la surface terrestre. // ne peut pus toucher les terrains qui constituent le fond des mers. Sauf des cas tout à fait exceptionnels, les dragues envoyées sur ce fond ne ramènent à bord des navires que les boues qui le tapissent et qui sont des dépôts actuels ; la roche qui se cache sous ces boues est imprenable et reste inconnue. Et comme les mers couvrent les sept dixièmes de la surface de notre planète ; comme les continents et les lies, où sont les seuls documents géologiques que nous puissions consulter, n’occupent que les trois dixièmes, le géologue esldansla situation d’un homme qui, voulant reconstituer un livre dont les feuillets sont décousus et épars, s’aperçoit que sept de ces feuillets, sur dix, ont disparu, emportés par le vent, et sont à tout jamais perdus.

Limitée étroitement quant à l’espace, la géologie l’est plus étroitement encore quant à la durée. Elle nous apprend que celle-ci est immense, que les temps géologiques embrassent des dizaines de millions d’années, peut-être des centaines de millions ; mais elle ne nous fournit aucun moyen de supputer, même approximativement, ces nombres. Elle ne nous dira jamais ce qu’ont duré les Ammonites, les Trilobites, les Mastodontes ; elle ne nous dira jamais l’âge exact de l’humanité ; elle est même incapable de nous dire si telle période géologique a été plus longue, ou moins longue, que telle autre, et, par exemple, si le Carbonifère, à lui seul, n’a pas duré autant que toute l’ère tertiaire.

Plus il essaie de remonter dans le passé, et plus le géologue s’enfonce dans les ténèbres. Les sédiments anciens ne lui apparaissent que là où ils n’ont pas été recouverts, et là où des mouvements postérieurs à leur ensevelissement les ont ramenés au jour ; mais plus ils sont anciens et plus sont nombreuses pour eux les chances d’un ensevelissement définitif. Et leur âge même devient de plus en plus incertain, à cause des recristallisations qui s’opèrent dans les sédiments et qui en effacent peu à peu les traces d’organismes : recristallisation totale, quand le terrain est envahi par le métamorphisme ; recristaliisation partielle, sous la simple influence du temps, qui fait qu’un très vieux sédiment est le plus souvent azoïque et d’âge indéterminable. C’est pour cela que les débuts de la Vie sur le globe ne nous serontjamais connus. Les fossilesque nous appelons les plus anciens, ceux du Précambrien américain, ceux encore de notre Précambrien breton, sont très loin d’être, primitifs et ne nous donnent aucune idée exacte et précise de la biosphère originelle.

Ce sont là des limites qui tiennent à la nature même des choses et que le progrès de nos connaissances ne déplacera pas. Rien ne pourra faire que le fond des abîmes sous-marins devienne accessible à l’homme au point qu’il en dresse la carte géologique ; rien, non plus, ne pourra faire qu’il exhume et ramène au jour les vieux sédiments ensevelis sous plusieurs milliers de mètres de sédiments plus jeunes, ni qu’il m ttc une date précise sur les terrains dénaturés par le métamorphisme ou par le simple vieillissement, quand ces terrains ne sont 1627

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pas compris entre des séries fossilifères non dénaturées, ou quand ils ne passent pas latéralement à des séries fossilifères.

Une autre limite, non moins infranchissable, résulte de l’impossibilité où nous sommes, en géologie, d’expérimenter dans des conditions physiques qui ne soient pas totalement différentes des conditions naturelles. L’échelle des phénomènes géologiques nous dépasse intimaient, dans le temps et dans l’espace. Quelle expérience peut-on faire, qui nous donne une idée adéquate du processus de phénomènes mécaniques d’où sont sorties les montagnes ? Si nous cherchons à réaliser la synthèse des roches massives et des roches cristallophylliennes, ne voit-on pas qu’il faut que nous fassions appel à une chimie brutale et rapide, entièrement différente de la très lente élaboration des minéraux dans les zones profondes de la lithosphère, sous des pressions que nous ne saurons jamais reproduire ? De même en biologie : comment, dans les expériences sur la variabilité de l’espèce, remplacer le facteur qui nous manque, le facteur temps, qui a joué, de toute évidence, un si grand rôle dans les transformations du passé ?

Observation très restreinte ; expérimentation à peu près impossible, en tout cas très imparfaite : telle est la dure loi qui pèse nécessairement sur la géologie et qui bornera toujours ses conquêtes. On saura de plus en plus de choses ; on ne saura jamais tout, et sur aucun point la vision ne sera jamais parfaitement claire. Il n’y a pas d’autre science humaine qui soit à ce point circonscrite par l’Inconnaissable.

IV. — Les principales énigmes

Il suit de là que les énigmes, en géologie, sont très nombreuses et que beaucoup d’entre elles paraissent insolubles. A vrai dire, le géologue vit au milieu des énigmes et chacune de ses découvertes ouvre devant lui des abîmes nouveaux.

Parmi les plus obscures de ces énigmes, il y a celle de la Vie et celle de la Durée qui sont d’insondables mystères. Comment est apparue la Vie, et comment s’est-elle transformée ? En quoi consiste au juste cette liaison des êtres vivants qui évoque l’idée d’une chaîne continue, ou plutôt de plusieurs chaînes continues dont les rapports mutuels restent invisibles ? Quelles sont les causes qui font varier l’espèce, et pourquoi ces causes n’agissent-elles pas sur toutes les espèces ? Pourquoi certains groupes évoluent-ils rapidement, alors que d’autres ont le privilège d’une longue permanence ? A quoi faut-il attribuer la brusque survenue de nouveaux phylums que rien, semble-t-il, n’a annoncés ; le rapide déclin et la disparition presque soudaine de phylums anciens, naguère encore florissants et môme en progrès, aujourd’hui frappés à mort, alors qu’à côté d’eux d’autres groupes prospèrent et croissent ? Et la Durée. Combien s’est-il écoulé d’années pendant chacune des périodes géologiques ? Tout au moins, quelle est leur durée relative, si leur durée absolue nous échappe ? Quel est l’ordre de grandeur du nombre des années qu’il a fallu pour que s’édifiât une chaîne de montagnes, ou pour qu’elle se détruisit au point que, sur une partie de ses ruines, la mer put s’avancer ? Les temps géologiques, au total, ont-ils duré cent millions d’années, ou cinq cent millions, ou un milliard ? Toutes questions qui restent sans réponse. Nous ne pouvons pas même dire l’âge de l’humanité, dont l’origine est cependant tout près de nous.

Il est d’autres énigmes, presque aussi troublantes et qui se présentent avec la même apparence inac cessible. Telles sont celle des plissements de la surface, celle des effondrements, celle du volcanisme, celle du métamorphisme. Ainsi qu’il a été dit dans les pages précédentes, la surface de la lithosphère se plisse ou se ride ; elle est, en outre, agitée de mouvements verticaux, et parfois, sur une aire pins ou moins vaste, elle s’effondre, pendant qu’une aire voisine s’élève ; elle est constamment percée d’é vents volcaniques par où sortent des matériaux montés de la pyrosphère ; enlin, dans ses zones profondes, la lithosphère est le siège de phénomènes chimiques qui transforment les sédiments enfouis et les changent en terrains cristallophylliens et en roches massives. Les faits sont indéniables ; mais la cause de tout cela est inconnue, et nous ne savons même à peu près rien des lois qui président à ces phénomènes.

Ce sont là des questions d’ordre général. Si l’on descend dans le détail des faits observés, d’autres problèmes surgissent, qui ont la même allure d’énigme. Par exemple, on sait qu’une couche de houille résulte de la transformation, par une fermentation spéciale, effectuée au sein de l’eau, des végétaux d’une forêt marécageuse qui vivait à l’endroit même où s’est formée la couche et qui, un certain jour, a disparu, sans doute parce que la hauteur de l’eau est devenue trop grande. Mais il est des bassins houillers où le nombre des couches de houille superposées dépasse la centaine : chacune d’entre elles correspond à un épisode forestier analogue ; chacune des stampes stériles qui les séparent correspond à un approfondissement momentané du marécage, du lac ou de la lagune, à la mort de la forêt, et à l’arrivée de sédiments venus de la terre ferme et enfouissant peu à peu le dépôt végétal. Il a donc fallu que, plus de cent fois, le sol s’abaissât d’une quantité tout juste suffisante pour noyer la forêt, pas assez grande pour empêcher le retour de la végétation marécageuse quelque temps après : descente saccadée s étendant à toute la superficie du bassin, parfois immense, et se continuant ainsi, avec la même régularité, pendant des milliers d’années, de façon à produire, en définitive, plusieurs milliers de mètres de sédiments alternés, argiles, sables et houille. Cela est vraiment incompréhensible. Même difficulté pour comprendre la genèse des minerais de fer sédimentaires d’origine marine, dont le type se trouve dans le Lias supérieur de la Lorraine (minerais de Briey et de Longwy) et dans le Silurien de l’Armorique (minerais de Cæn, de la Mayenne et de l’Anjou). Ces minerais, dont la structure est oolithique, se sont formés dans l’eau de mer, à des profondeurs qui n’excédaient pas quelques centaines de mètres, et jusqu’à une distance du rivage qui pouvaient atteindre plusieurs centaines de kilomètres. La teneur en fer des eaux marines n’était pas telle que a vie y devint impossible : en fait, il y a des fossiles dans le minerai et dans les bancs qui l’enclavent. Cependant, les conditions qui ont permis le dépôt ferrifère étaient certainement exceptionnelles ; car elles n’ont été que très rarement réalisées, et pour peu de temps, et sur des aires relativement restreintes.il y a eu plusieurs époques de formation de minerais semblables, séparées par de longs intervalles où, sur aucun point du globe, il ne s’en est formé. Une de ces époques est précambrienne, et c’est alors qu’ont pris naissance les immenses gîtes américains de la Région des Lacs ; une autre est carabrienne (gîtes du Nord de la Sardaigne) : une troisième, silurienne (gîtes de Bretagne, de Normandie, d’Anjou, du Maine) ; une quatrième, dévonienne (quelques gîtes de Normandie ) ; une cinquième, liasique et qui a vu le dépôt 1629

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des grands giles de la Lorraine : après quoi, le phénomène s’est fait très rare et purement local pendant la lin du Jurassique et pendant le Crétacé. Ensuite, au Tertiaire et au Quaternaire, aucun minerai de fer marin à structure o.dithique ne s’est déposé, comme si le secret était désormais perdu de la formation de tels gisements. On n’explique de façon satisfaisante, ni la genèse du minerai, ni la périodicité du phénomène, ni le fait que, depuis des milliers de siècles, il a cessé de se produire ; et la question des grands gites de minerai de fer n’est pas moins obscure que celle des bassins houillers.

Même obscurité sur la question de la variabilité des climats. Il y a eu, dans l’histoire du globe, des époques où le régime le plus habituel et le plus général était le régime désertique ; elles sont caractérisées, dans leurs sédiments, par la rareté des restes végétaux et par la couleur habituellement rouge des dépôts littoraux, lagunaires et continentaux ; le type est au Permien et au Trias ; on peut les appeler des époques rouges. D’autres époques, au contraire, dont le type est au Carbonifère, étaient, d’une façon générale, de climat humide et de flore exubérante ; la couleur noire ou grise, dans les dépôts littoraux, lagunaires et continentaux, est la couleur habituelle ; ou peut les appeler des époques noires. Le passage d’une époque humide à une époque désertique, d’une époque noire à une époque roHge, est le plus souvent très rapide ; on ne connaît jamais la cause de ce brusque changement. On ne connaît pas davantage la cause qui a produit les invasions glaciaires ; et l’on ignore totalement pourquoi ces invasions se sont répétées, à des intervalles relativement courts, jusqu’à quatre foisdans les temps quaternaires, alors que, pendant de longues périodes géologiques, et même des ères entières, les glaciers semblent avoir disparu de la surface terrestre ou n’y avoir couvert que des étendues très restreintes.

tes géologues n’expliquent pas davantage pourquoi, pendant certains intervalles de la durée et sur certaines régions, l’accumulation des sédiments a été exceptionnelle, alorsque les eaux marinesoùse déposaient cesaédiments gardaient une faible profondeur : tels les dépôts lagunaires du Permien et du Trias de l’Allemagne ; tels encore les 5.ooo, 6.000 ou 9.000 mètres d’épaisseur du vieux grès ronge dévonien de l’Ecosse. De même la formation des dolomies est un problème très embarrassant ; elle devient une véritable énigme lorsque la dolomilisation s’étend à des étages entiers, épais de mille mètres et plus, comme dans le Trias du Tyrol méridional. Enigme encore, la formation des grands gisements de phosphate de chaux sédimentaires, tels que ceux de l’Afrique française du Nord : ceux-ci correspondent certainement à d immenses charniers où, à un certain moment se sont accumulés les cadavres d’animaux marins ; mais quelle cause a déterminé ces charniers, ainsi limités dans le temps et l’espace, et si prodigieusement riches en cadavres ? On ne sait pas. Enigme aussi, la formation de la bauxite (alumine hydratée, qui est le minerai de l’aluminium) : ce minerai, en France, constitue une couche, d’apparence sédimentaire ! dans le Crétacé de la Provence et du Languedoc ; mais ce n’est pas un sédiment ; c’est probablement le résidu de coulées volcaniques, épanchées pendant une emersion momentanée du territoire, et décomposées par les agents atmosphériques, comme les roches siliceuses et feldspathiques des pays chauds se décomposent de nos jours en latérite. Sur le détail du processus qui, d’une lave fait de la latérite et qui, de la latérite, fait de la bauxite, on ne sait à peu près rien. Enigme toujours, la genèse des hyroc.rbures, qu’ils soient liquides comme les pétro les, solides comme l’asphalte, gazeux comme le gaz des fontaines ardentes naturelles : il y a des essais de théorie, plus ou moins vraisemblables ; Il n’y a pas, jusqu’à prisent, d’explication générale qui soit pleinement satisfaisante.

Plus le géologue est savant, plus il est convaincu que sa science est courte et sa connaissance incertaine.

V. — DU RÔLB DK LA GÉOLOGIE UN

APOLOG1ÏTIQUB.

Cela étant, et le géologue devant être le plus modeste des hommes de science, le rôle de la géologie en apologétique ne peut pas être très important.

Entre chrétiens instruits et adversaires du christianisme, on s’est souvent combattu à l’aide d’arguments géologiques. Les uns ont cru trouver dans les découvertes des géologues d’irréfutables objections contre le caractère sacré et inspiré des Livres Saints ; les autres ont cru voir dans l’histoire de la Terre, telle que les géologues nous la font connaître une forte démonstration de l’existence de Dieu et un témoignage irrécusable de sa Providence. Les objections des premiers paraissent aujourd’hui peu redoutables ; les arguments des seconds ont été souvent faibles, parce que l’on a voulu tirer de la géologie plus qu’elle ne peut donner en réalité. Voyons cela d’un peu plus près.

Les objections visaient les récits de la Genèse : récit de la création d’abord ; récit du déluge, ensuite ; et encore la chronologie qui semble résulter de ces récits.

Il est absurde, disait-on, de raconter, comme le fait Moïse, que la création de la lumière a précédé celle du soleil. Il est absurde de faire tenir toute la création dans le court espace de six jours. Il est absurde d’affirmer la fixité de l’espèce vivantee ! de multiplier à l’inûni les créations simultanées ou successives. Il est absurde de donner à l’homme une place à part dans l’immense série de la Vie et d’en faire le roi de tous les êtres organisés. Il est absurde de prétendre que l’humanité n’a pas plus de six ou sept mille ans d’existence. Il est absurde enfin de croire à un déluge universel, provoqué par des pluies prolongées, arrivant à faire monter le niveau des mers jusqu’au-dessus des plus hautes montagnes, ne durant cependant que très peu de temps et prenant fin sans laisser aucune trace de son passage.

Ces objections perdent toute valeur si l’on fait la simple remarque que la Genèse, aux yeux de l’Eglise, n’est pas un livre de science : qu’elle est un récit imagé, écrit en langage ordinaire, pour des gens simples et peu instruits, à dessein de leur donner une vision d’ensemble de l’histoire du monde et de les convaincre d’un petit nombre de vérités primordiales et essentielles : l’existence d’un Dieu unique, vivant et agissant, parfaitement conscient de soimême, tout puissant et éternel, souverain créateur de toutes choses ; la suréminence de l’homme, résultant de ce qu’il est raisonnable, fait à la ressemblance divine, libre et par conséquent responsable ; l’existence du mal dans le monde, le péché originel et toutes ses suites. Dès lors, plus de difficultés. Ce que Moïse appelle la lumière, créée avant toute autre chose, c’est l’énergie sous sa force lumineuse, diffuse dans la nébuleuse primitive et préexistant à la condensation des astres. Les jours de la Genèse sont des époques dont la durée est inconnue, et c’est affaire aux géologues de trouver, dans leur chronologie, la correspondance de ces époques de la Genèse aux grandes divisions de l’histoire de la Terre. Peut-être même cette division en jours n’ett-elle 1631

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qu’un procédé d’exposition, employé par l’historien sacré pour accroître, chez ses lecteurs, l’impression d’une création ordonnée et successive, bien que continue. La création des êtres organisés se développe suivant une loi précise ; chaque groupe vient à son heure, pour jouer un rôle déterminé d’avance : voilà ce que signifie, quant à la Vie, le récit de Moïse. L’espèce, végétale ou animale, nous y est donnée, non comme quelque chose d’absolument fixe, mais comme l’ensemble des êtres qui, à un certain instant, peuvent, en s’unissant, perpétuer la vie. Le transformisme n’est donc pas exclu. Libre au croyant de préférer, comme plus conforme à l’idée qu’il se fait de la sagesse divine, l’action naturelle des causes secondes à l’intervention répétée du Créateur. L’Eglise ne demande, au chrétien qui adhère aux doctrines évolutionnistes, que de réserver l’origine même de l’humanité. Elle n’est intransigeante que sur ce double point : création spéciale de l’âme du premier homme, et rattachement de l’humanité tout entière à un premier couple unique (voir Hommk). Si, comme il semble bien que ce soit, l’âge de l’humanité doit se mesurer en dizaine de milliers d’années, s’il atteint 30.ooo années ou /(O.ooo, au lieu des 6.000 ou 7.000 que l’on croyait autrefois résulter de l’interprétation des généalogies delà Genèse, le désaccord apparent cesse quand on examine de plus près ces généalogies : elles ne sont pas continues, elles comprennent des lacunes dont l’importance nous échappe, elles ne sauraient donc servir à Gxer la chronologie (voir Genèsk).

Quant au déluge, l’objection était double, visant d’abord l’universalité de l’inondation et ensuite l’absence des traces qu’un semblable cataclysme aurait, dit-on, dû laisser après lui. Or l’universalité géographique du déluge n’est imposée ni par l’Ecriture, ni par la tradition de l’Eglise : la première partie de l’objection tombe donc d’elle-même (voir Déluge).

La deuxième partie n’est pas plus redoutable. Le déluge, c’est-à-dire la brusque invasion d’une étendue plus ou moins grande, peut-être très grande, de la terre ferme, par les eaux marines, est un phénomène très fréquent dans l’histoire géologique. Le déluge biblique, qui a affecté la région continentale alors habitée par les hommes, a été précédé de beaucoup d’autres déluges, antérieurs à l’humanité ; et rien ne permet de dire que des phénomènes semblables, tout aussi destructeurs, ne se produiront pas dans l’avenir. La cause immédiate d’un déluge doit être cherchée dans un effondrement. L’effondrement brusque, qui modifie en quelques instants la surface du fond des mers, est nécessairement suivi d’un raz de marée. // n’y a pas de limite à la puissance destructive d’un raz de marée ; et il est de l’essduci’même d’une pareille invasion marine de ne laisser aucune trace. Seules, les invasions durables laissent des traces : ces invasions durables de la rærsontles transgressions des géologues. Mais l’invasion brusque, dont les inévitables oscillations ne persistent que pendant quelques jours ou quelques semaines, et qui cesse ensuite par le rétablissement presque exact du niveau des mers, ne laisse après elle aucune construction qui dure ; et les destructions qu’elle a opérées seconfondent, au bout de peu d’années, avec celles qui résultent du fonctionnement habituel des agents d’érosion. Le géologue est tout à fait Incapable d’expliquer les elfondrements ; il ne peut douter ni de leur fréquence, ni de leur amplitude effrayante qui va, parfois, jusqu’à produire, sur une certaine verticale, une dénivellation de plusieurs milliers de mètres, ni de leur extrême rapidité qu’il est tenté d’appeler brusquerie. Mais il

ne peut jamais dire jusqu’où s’est étendue la dévastation provoquée par l’une de ces descentes aux abîmes : car il ne reste pas de traces de cette dévastation. Demain, peut-être, provoqués par l’engouffrement d’un morceau de terre ferme vaste comme l’Australie, les flots de l’océan se rueront à l’assaut des côtes, sur tous les rivages du monde, et engloutiront, sous les ruines des villes et sous la boue des campagnes, le dixième de l’humanité. Quelques siècles passeront ; et l’on se demandera, comme pour l’Atlantide, si c’est de l’histoire ou de la légende.

Le récit de Moïse n’a donc rien qui doive étonner un géologue : c’est le récit, en langage vulgaire, avec de fortes images, d’un raz de marée de proportions gigantesques, consécutif à nous ne savons quel effondrement. Le phénomène est accompagné de pluies violentes et prolongées. Le narrateur donne à cette dernière circonstance, évidemment accessoire, une place importante dans le tableau delà catastrophe ; mais à côté des « cataractes du ciel », il mentionne les « sources de l’abîme » qui, manifestement, sont les flots de la mer. Et comme il parle aussi des oscillations de la crue, des eaux « allant et revenant », le tableau est complet et le géologue le plus avisé ne le peindrait pas d’autre façon. Reste l’ampleur du phénomène, qui, quel que soit le sens que l’on donne au texte sacré, est énorme et exceptionnelle : mais c’est là qu’est le miracle, et il ne fallait pas moins pour assurer de cette manière l’extermination de l’humanité coupable.

La foi chrétienne n’a pas à redouter les progrès de la géologie. Ni l’énorme durée des temps cosmiques et des temps géologiques ; ni la dilliculté de dire actuellement à quoi correspond, en réalité, la division biblique de cette durée en six époques ; ni la démonstration de la variabilité de l’espèce dans le règne organique ; ni la vraisemblance de plus en plus grande d’un certain transformisme ; ni l’ancienneté de l’homme, bien plus grande qu’on ne croyait jadis ; ni le caractère anatomique primitif, et en quelque sorte bestial, des exemplaires aujourd’hui connus de certaines races humaines très anciennes ; ni l’invraisemblance scientifique d’un déluge qui aurait couvert tous les continents et submergé toutes les montagnes : rien de tout cela n’est capable d’émouvoir le chrétien qui raisonne et qui sait.

Peut-il sortir de son rôle défensif et, tirant à son tour argument de nos connaissances actuelles en géologie, essayer, comme on l’a fait souvent, de prouver Dieu et sa Providence par l’histoire même de la Terre ? C’est ce qui nous reste à examiner.

Toute science conduit à Dieu, car toute science éveille chez l’homme l’idée de l’Infini et donne à l’homme le sens du mystère. La géologie est assurément, parmi les sciences humaines, une des plus évocatrices d’infini, une de celles qui ouvrent les plus vastes horizons, une de celles qui touchent le plus souvent aux choses mystérieuses. Elle est aussi grande que l’astronomie : car si l’astronomie va plus loin dans l’espace et joue, pour ainsi dire, avec la poussière des mondes, la géologie va plus loin dans le temps et joue avec la poussière des siècles. D’une certaine façon, même, elle est plus grando que l’astromie : car celle-ci nous montre l’existence de lois dans l’univers, de lois qui semblent immuables et éternelles ; tandis que la géologie nous convainc de la fragilité des systèmes et de la contingence des lois, nous fait assister à la ruine des montagnes et au vieillissement des astres, nous fait toucher du doigt la brièveté des choses, même des choses qui nous paraissaient devoir durer toujours. 1633

THEATRE

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Dans ce sens, l’histoire de la Terre a une valeur apologétique spéciale. La Terre « raconte la gloire de Dieu » tout aussi éloquemment, plus éloquerument peut-être, que le liriuuinenl étoile.

Il y a autre chose, et, de l’histoire de la Terre, vue d’un peu haut, un enseignement se dégage, qui dispose l’esprit vers la croyance et lui fait trouver toute naturelle la notion d’une Providence divine gouvernant le monde. La lento élaboration do la planète en vue, semble-t-il, Je la création de la Vie ; le graduel développement de la Vie suivant un plan parfaitement précis et déterminé, en vue, seinble-t-il, d’un couronnement magnifique qui sera la création de l’Homme raisonnable et libre ; le règne végétal et le règne animal prenant possession de la surface terrestre, la préparant, pour ainsi dire, afin que l’homme y puisse vivre ; le règne de la pensée commençant ensuite, et la Terre, peu à peu conquise par l’homme, devenant cette chose inimaginable, un habitacle d'àmes plus ou moins conscientes, conscientes de leur immatérialité, de leur dignité quasi divine, de leur immortalité : voilà ce que rappellent incessamment au géologue ses méditations sur l’histoire de la Terre. Rien, mieux que cette histoire, ne témoigne de l’ordre du monde ; elle peut donc être utilisée par le chrétien, mieux que la plupart des autres sciences, pour raffermir sa propre foi et pour préparer à la croyance les hommes de bonne volonté qui l’entourent, et qui, simplement et humblement, cherchent Dieu.

Pierre Termier, de l’Académie des Sciences.

THÉÂTRE. — Les hommes ont-ils le droit de se divertir ?

A cela, Bossuet répond, non sans grandeur, mais avec une surprenante exagération, qu’on ne s’amuse pas quand on est chrétien '.

C’est là le thème fondamental des Maximes et Réflexions sur la Comédie. Pour le mettre en lumière et lui donner toute sa force, Bossuet appelle à la rescousse un certain nombre de Pères de l’Eglise et non des moindres, hostiles comme lui à la Comédie, mais avec bien plus de raisons que lui, puisqu’ils vivaient en ces temps lointains et troublés où le peuple romain, en pleine déliquescence, ne réclamait plus de ses Maîtres que du pain et des jeux,

« panent et circenses ».

Saint Thomas d’Aquin, qu’on ne s’attendait peutêtre pas à voir dans ce débat, mais que Bossuet y a lui-même introduit, pense au contraire que le divertissement est de droit naturel, en ce sens que l’homme, tel qu’il est, a besoin de se divertir, de se récréer. En l’arrachant à ses soucis matériels, en le distrayant de ses travaux utiles, et surtout en le mettant en contact direct avec la beauté, l’art en particulier, qui est le plus noble des divertissements, lui ménage un repos digne de lui, et le met en état de reprendre sa tâche avec courage et une conscience plus haute de sa dignité 2.

Qui, de Bossuet ou de saint Thomas, a raison, du point de vue de la Doctrine de l’Eglise et de l’expérience ?

En réalité, ils ont raison tous les deux, mais à des points de vue bien différents. Bossuet a raison de tonner contre les mauvais spectacles, ceux qui, par les sujets qu’ils traitent, ou plutôt qu’ils mal 1. Bossuet, Maxime » et Réflexion » sur la Comédie.

2. StT.io.MAS, II » II'* ; Quest. 178 : ait. 2. Tout l’article est à lire, tant ii est solide dans ses affirmations, mesure lans ses réserres.

Tome IV.

traitent aux dépens de l’Art à la fois et de la Morale, sont de nature à démoraliser les spectateurs ; mais il a tort de croire qu’il ne peut y en avoir de bons, à cause d’une prétendue corruption de la nature humaine. Pour lui, en effet, la nature humaine a bien l’air d'être corrompue parla faute originelle ; le feu de la concupiscence ne cesse de couver en chacun de nous sous la cendre du péché héréditaire et peut (lamber d’une minute à l’autre sous l'étincelle du moindre divertissement. En cela, Bossuet, qui pourtant n'était pas janséniste, exagère ; Nicole, qui l'était, a écrit de la même encre que lui sur la Comédie et donne à peu près les mêmes raisons de la condamner. Au contraire, saint Thomas, avec le Concile de Trente, rejette nettement l’idée d’une corruption originelle et héréditaire de la nature humaine. Pour lui, le péché a blessé l’homme dans sa chute, mais n’a pu corrompre sa nature ; ses forces morales en sont amoindries, mais non annihilées ; il peut encore, même sans le secours de la Grâce, vivre en honnête homme, quoique difficilement. Par contre, avec la Grâce, il reprend son équilibre. Fort des vertus qu’elle répand dans ses puissances de représentation, d'émotion et d’action, il peut remédier au dérèglement originel de ses passions, et dompter en lui la concupiscence. En un mot, il peut, étant chrétien, vivre au moins en honnête homme. Dès lors, pourquoi le divertissement, qui est de. droit naturel, ne lui serait-il pas permis à certaines conditions ?

C’est tellement la pensée de saint Thomas, qu’il assigne à une vertu spéciale — l’Eutrapélie — le soin de mettre tous les divertissements sous le contrôle de la raison *. Car c’est là, pour lui, le propre de la vertu, de régler ainsi tous nos actes, des plus humbles aux plus sublimes, sans en excepter aucun. Bossuet se fait de la vertu une tout autre conception. Il y voit quelque chose de noble à la fois et d’austère, de farouche et de rare, de propre aux grandes actions, d’inhabile aux vulgaires. Il ne conçoit surtout pas qu’il puisse y eu avoir aucune qu’on députe au règlement rationnel des divertissements, allant de la simple plaisanterie au plus émouvant des spectacles. L’Eutrapélie ne lui dit rien qui vaille. Donc pas de divertissement, d’aucune sorte. C’est plus sûr. Notre nature corrompue, même rachetée, ne le supporte pas ; nous n’avons rien d’efficace à notre disposition, pas même la Grâce ni la vertu, pour en neutraliser en nous les effets malfaisants.

Le fait est cependant que les hommes ont toujours aimé les spectacles, et qu’ils ne s’y sont jamais jetés avec plus d’avidité que de nos jours. En face de ce fait universel, quel parti prendre, celui de Bossuet, ou celui de saint Thomas ?

Je crois qu’il les faut prendre tous les deux. Avec Bossuet, nous ne protesterons jamais assez contre l’immoralité des spectacles d’aujourd’hui, et la perversité des mreurs. Mais avec saint Thomas, nous soutiendrons qu'à ces mauvais divertissements, on peut et on doit eu substituer de bons ; que la Religion et l’Art doivent venir tous deux, chacun à leur manière, au secours de la Morale outragée.

Que faut-il faire pour cela ? Deux choses, à notre avis, dont l’une concerne les Comédiens, et l’autre la Comédie.

En ce qui concerne les Comédiens, nous n’avons plus le droit de les rejeter en marge de l’humanité, sous prétexte qu’en divertissant les hommes ils contribuent à les démoraliser, puisqu’au contraire,

1. St Thomas, ibidem. Tout est question de mesure : in medio virtus.

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THEOLOGIE MORALE

il est naturel à l’homme de se divertir, et qu’il peut y avoir, même du point de vue moral, de bons divertissements. Nous devons au contraire aider les Comédiens à prendre conscience à la fois de leur dignité d’hommes, puis de chrétiens, et de l’espèce d’apostolat qui leur incombe du fait de leur profession. L’Union catholique du Théâtre essaye de répondre à cette haute préoccupation morale et religieuse.

Cependant la réforme spirituelle des Comédiens en appelle une autre beaucoup plus large et de plus liante portée, la réforme de la Comédie, et en général de tous les spectacles.

Mais ceci est une autre question et qui demanderait plusieurs articles. J’ai entendu dire qu’on y songe, qu’on y travaille, que des bonnes volontés se rassemblent pour cela, de tous les horizons de la pensée, et que le jour n’est peut-être pas éloigné, où en France, nous aurons un Théâtre, — fixe ou ambulant, peu importe, — qui démontrera à la face de l’Univers que l’Art, sans cesser d’être lui-même, peut devenir un excellent auxiliaire de la Morale, et qu’il n’y a pas de raison de les opposer plus longtemps l’un à l’autre, s’il est prouvé qu’en fait, comme en droit, ils ont tout à gagner à se rapprocher l’un de l’autre, non certes pour se confondre — ce serait désastreux, — mais pour s’unir, et en s’unissant, rehausser le coefficient de leurs forces respectives de spiritualisation.

M. S. Gillet, Maître en Théologie.