Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Restriction mentale et mensonge

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 485-497).

RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE. — L’auteur de cet article n’éprouve aucun engouement pour les restrictions mentales : ni pour le mot, ni pour la chose. D’autre part, il n’a pas, comme Pascal, daus ses Provinciales, à exhaler une bile de janséniste contre les prétendus parrains de ces réticences. Il se trouve donc fort à l’aise pour aborder avec une sereine impartialité un sujet qui est réputé passionnant.

La théorie de la restriction mentale présuppose celle du mensonge, et introduit la question plus générale des moyens dont nous disposons pour mettre nos secrets à l’abri des indiscrétions. La matière se divise ainsi assez naturellement en trois chapitres, où nous traiterons successivement du mensonge, de la restriction mentale et du problème plus général de la sauvegarde des secrets.

1. D ailleurs nous ne parlons ici que de l’obligation parfaite, catégorique. Que l’on puisse remonter à la Cause première, en partant de l’obligation imparfaite de l’athée, c. a. d., au fond, de la nature humaine, c’est par trop évident : d’un brin de paille, on peut de même tirer une preuve que Dieu existe. Mais ce m’est plus l’argument spécifiquement caractérisé qu’on nous propose ; nous sommes tout simplement ramenés à l’une des cinq voies de S. Thomas.

Cf. les travaux cités dans la bibliographie du début (Congrès de 1891 ; Ami du Clergé, 1904 et 1923 ; Réf. Séo-scol ; l’article du P. RicbaHD, 1. c. ; celui du P. Hahsnt, col. 1892 ; surtout eeox du c » rd. Billot). Voir aussi DhiloïE, Les principes généraux de la morale Kantienne, p. 12(1 ; — De Bie, Phil. mor. 1, p. 191, en note ; — Slktillangi : s lui-même, que parfois l’on nons oppose : cf. Rev. de phil., 1903, fin dn 3 « art., 2e art. Dassin », snriout p. 316-319 ; Rev. tliomiyle, 1903, p. 259 lire cette page attentivement) ; Sources de la croyance -n Dieu, p. 289-200 ; La P/iil. mor. de S. Thomas, Ui.

CHAFITRB I. — Du MENSONGE.

Aht. I, — La notion du mensonge.

§ I. — Lu vraie notion

Une tradition catholique, dont S. Augustin se fait l’interprète et qui est fermement établie depuis le xiii* siècle, nous livre à la fois la définition et la condamnation absolue du mensonge.

On ment, lorsqu’on parle contre sa pensée. Locutto contra mente/n, c’est-à-dire, la parole contraire à la pensée : telle est la définition du mensonge.

s Avoir autre chose dans le cœur, autre chose sur la langue, voilà, dit S. Augustin, le défaut propre du menteur. » (Encltiridion, c. xvm. P. L., XL.. a40- — Quiconque parle contre son sentiment est coupable de mensonge », dit, à son tour, le Maître des Sentences III, d. 38). — « Pour mentir, déclare S. Thomas II, II, q. 1 10 art. I, c), la volonté d’exprimer une fausseté suflit. » — « Parler contre sa pensée, cela s’appelle mentir », d’après S. Antonln (Summa, Il p. t. 10, 81). — SuARBz(Àe/., tr. IV, 1. ni, c. 9, n. a) répète la courte définition donnée plus haut t Mendacium est dictum contra mentent ». — Citons encore Sanchbz (1550-1610), qui, jouant sur le terme latin, remarque que mentir c’est aller contre sa pensée. « Cuni mentiri sit contra mentem ire » (Dec, 1. III, c. 6, n. iô) ; et Laymann (1575-1635), Theol. mor. i. IV, tr. ni, c. 13, n. i, pour qui « le mensonge n’est autre chose qu’une parole contraire à sa pensée ».

Cependant un scrupule de S. Augustin fut l’occasion d’une équivoque qui embarrassa ses disciples et permit une confusion dont nous pâtissons encore.

Le Saint Docteur s’était placé dans l’hypothèse suivante. Au croisement de deux routes, dont l’une est infestée parles brigands, un homme qui sait où eeux-ci se trouvent, se voit poser par des voyageurs cette question : quelle est la route sûre ? Seulement, celui qu’ils interrogent leur inspire une telle méfiance, qu’ils feront l’opposé de ce qu’il conseille. Conscient de cette déliance, quelle réponse ce dernier peut-il, doit-il donner ? La vraie, qui va perdre les voyageurs, ou la fausse, qui les mettra sur le bon chemin ? Ne mentira-t-il pas en répondant de cette deuxième façon ? S. Augustin demeure hésitant, et se dérobe ainsi : « Le faux énoncé que dicte l’intention de tromper est un mensonge manifeste ; mais cela seul est-il mensonge ? C’est là une autre question ». (De mendacio, c. iv). P. L. XL., 4gi.

Ces paroles du grand éveque firent ajouter à la définition les* mots « daos l’intention de tromper », que lui-même, du reste, employa dans son livre Contra mendacium, c. xii, fine, « Mendacium est c/uipi>e falsa tignifteatio cum voluntate fallendi ». (P. L. XL, 537. voy. également Enchiridion, c. xxii, P. L., XL, a43).

Mais, séparée de son contexte, l’addition devenait inintelligible. Plus experts dans l’art de manier les syllogismes que dans celui de vérifier les faits ou leurs circonstances, les scolastiques se creusèrent le cerveaupour trouver une explication plausible de ce complément, à peu près comme pour montrer comment les caves pouvaient être plus chaudes en hiver qu’en été.

Le Maître des sentences n’y voit qu’une autre forme donnée aux mots « contre sa pensée ». « Mentir, c’est parler contre sa conviction, c’est-à-dire (id est) dans l’intention de tromper » III, d. 38). — Ai.bkht lu Gkanu (In III d. 38, art. 8. solutio) relate le même avis ; lui-même fait rentrer l’intention de nuire dans la notion du mensonge plus strictement. 959

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tel S. Thomas estime que l’intention de tromper ajoute au mensonge un complément non essentiel II, II, q. no art. i, ad 3) ; Scot n’opine pas autrement.

« Le mensonge est, à ses yeux, un énoncé

contraire au jugement de qui parle ; et par conséquent accompagné de l’intention de tromper » (In III d. 38, q. unica, n. 0).

Pour d’autres, cette addition servait à trancher une controverse. Y a-t-il moyen de mentir dans un soliloque ? Nullement, puisqu’on ne saurait alors avoir l’intention de tromper. « Les théologiens se demandent, dit Jban de S. Thomas (158q-iG44) in II, II, q. i, d. 2 art. 4> ni, si, outre la volonté déparier contre sa pensée, le mensonge requiert celle d’induire en erreur. Bannez l’affirme, et il en infère qu’on ne saurait mentir lorsqu’on se trouve seul. »

On comprend que certains auteurs plus récents aient cru trouver là un appui pour leur théorie du mensonge olïicieux. Mais en cela ils se trompent complètement sur la pensée d’Augustin. Celui-ci n’hésite pas à qualilier de menteurs ceux qui parlent contre leur pensée pour sauver leur propre pudeur ou vie, ou encore la vie soit temporelle soit éternelle d’autrui. (Voy. De mendacio, c. v-xm). Aussi Cajbtan (146rj-1534) in II, II, q. iio art.’i, fine, loue la Glose d’avoir compris les paroles u dans l’intention de tromper », de la volonté d’exprimer ce qui est faux.

Antérieurement au xvie siècle, personne ne distingue entre le mensonge et un faux énoncé qu’excuserait la bonne intention ou la nécessité. Et depuis lors, le vrai concept du mensonge a été maintenu parmi les grands docteurs catholiques’. Les textes cités plus haut le prouventabondamment. Voy. d ailleurs Mgr Waffelabrt, Dissertation morale sur la malice du mensonge (1884).

Retenons donc pour vraie et complète cette courte définition : mentir, c’est parler contre sa pensée. « Il ne faut pas ajouter à la définition, ainsi qu’on le fait souvent, la volonté de tromper : cela n’est pas de on essence » (Skiuillanghs, La philosophie morale de S. Thomas, p. 299).

§ 2. — Les fausses notions du mensonge

Au xvie siècle, l’honnête protestant qu’était Grotius crut ne pouvoir maintenir la thèse traditionnelle de la malice intrinsèque du mensonge, sans en altérer le concept ; et il déiinit le mensonge : « La parole opposée au droit actuel de l’interlocuteur. »

Observons toutefois qu’il invoquait, non pas le droit que lèse le mensonge pernicieux, mais celui que fait naitre le prétendu contrat social. D’après Grotius, au moment où les hommes se prirent à communiquer entre eux par paroles et autres signes, soucieux d’assurer à l’institution du langage son efficacité, ils s’obligèrent mutuellement à se fournir par la parole les éléments d’une libre appréciation. Le mensonge, qui tend à tromper, enlève cette liberté : il viole ce pacte tacite et le droit qui qui en résulte. Sous le genre falsiloquium’*, faux énoncé, vient ainsi se placer comme une espèce, le mensonge.

Imaginaire et cent fois réfuté, ce pacte ou contrat social ne saurait engendrer un droit véritable.

1. Chose un peu surprennnte, ni La Choix ni S. Alphonse ne se préoccupent de définir le mensonge. Mais la manière même dont ils écartent les restriction* purement’mentales prouve qu’ils conservent au mensonge son sens traditionnel.

2. Le mot se rencontre dans S. Augustin, lietractalionct, I. II, Prologus, n. 11. Il désigne là, semble-t-il, plutôt l’erreur inconsciente dans laquelle tombent ceux qui parlent beaucoup (P.L., XXXII, û85).

Plus récemment, des catholiques ont voulu accréditer cette autre définition : le mensonge est le refus de la vérité due à l’auditeur. <t Mentir, lisons-nous dans la Revue du Clergé français, XCIII, p. 79, c’est affirmer le contraire de la vérité à quelqu’un ayant le droit de l’exiger » ; ou encore, p. 329 : « Mentir, c’est tromper injustement ».

Du coup, le devoir de ne pas mentir, devoir négatif et perpétuel, se confond, dans la première formule, avec le devoir positif de la sincérité ; dans la seconde, il se restreint au mensonge pernicieux.

A-t-on mesuré les conséquences de ce transfert du mensonge illicite dans le domaine de la justice ? Rappelons quelques règles propres à cette vertu. Sauf l’établissement de rapports particuliers entre certaines personnes, le devoir commun de la justice commutative est tout négatif : il interdit de nuire.

— De plus, le consentement exprès, tacite ou légitimement présumé, de l’ayant droit, supprime l’injustice : consentienti non fit iniuria. Enfin, la justice admet la compensation occulte. Par conséquent, nous pourrions dire le contraire de la vérité, chaque fois que nous serions par là agréables ou utiles à autrui ; chaque fois encore que le mensonge d’autrui nous permettrait de nous compenser ; chaque fois même, que nous ne causerions aucun tort. Eu outre, comme la Majesté divine ne doit rien à personne., Dieu pourrait mentir, d’après l’acception vulgaire du mot ; et, d’après le sens nouveau du terme, même en enseignant l’erreur, il ne saurait mentir.

Dira-t-on que le droit de l’interlocuteur s’entend ici largement de toute exigence vertueuse ; que la vérité peut être due de la sorte, à titre de justice, d’obéissance, de charité ou d’une aulre vertu ? (Voy. Tanqubrby, Synopsis Theologiæ moralis et pastorales, n. 4t 1. Ed. 1906, tome IL) Outre l’impropriété de ce langage, nous demandons à ces auteurs, s’ils reconnaissent l’existence d’une vertu qui, par elle-même, sans autre influence, interdit de dire le contraire de sa pensée ? S’ils la reconnaissent, n’est-ce pas l’opposition avec cette vertu qui donne au mensonge sa malice spéciale ; n’est-ce pas par l’opposition avec cette vertu qu’ils devraient définir le mensonge, quitte ensuite à ajouter que le but et les circonstances introduisent parfois ou souvent une nouvelle malice contraire à la justice, à l’obéissance, à la charité, etc. ?Que s’ils niaient l’existence de pareille vertu, ils devraient confesser que, pour eux, parler vrai, parler faux, devient chose indifférente, à peu près comme se promener ou s’asseoir ; donc, chose bonne ou mauvaise, selon le but et les circonstances.

Celte fois, le sens commun proteste ; la rougeur que le mensonge (au sens vulgaire et traditionnel) met au front de l’enfant, ratifie l’adage antique qui, ans plus demander, condamne le mensonge comme honteux : Turpeest mentiri, c’est chose honteuse, de mentir, c II est certain, déclare Suarbz, que le mensonge (il entend le terme dans son sens usuel) pris en lui-même, n’est ni bon ni indifférent : il est donc mauvais » [De Fide, d. ni. s. 5. n. 8.)

Ces observations réfutent également d’autres essais de définitions nouvelles moins répandues :

« Le mensonge est l’énoncé du faux (falsilor/uiuin)

qui, vu l’exigence du bien commun, ne peut être dit licite ; c’est l’énoncé du faux que réprouve le sens commun (Bbrahdi, Praxis confessariorum, n. 281g2826). Le mensonge est l’énoncé du faux, dicté par l’intention de tromper, et non pas de procurer un avantage à soi-même ou à autrui ; le mensonge est un énoncé dont la fausseté ne s’accorde pas avec

« l’exigence des rapports sociaux ». Toutes définitions

qui ont le tort commun de négliger l’action 961

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prise en elle-même, pour envisager seulement l’intention de qui parle ou les effets de sa parole : elles pèchent par subjectivisme ou utilitarisme.

Elles ont toutes également des origines suspectes. Ce sont des expédients imaginés pour concilier l’interdiction absolue du mensonge avec la défense nécessaire ou légitime d’un secret ; elles sont un fruit de l’hérésie protestante, qui se mit à ébranler, dans les esprits, les certitudes même dogmatiques ; et elles datentd’une époque où la saine philosophie traversait une crise. Le prince de la philosophie rationaliste se rencontre d’ailleurs avec le prince de la scolastique pour les condamner. S.Thomas avait dit : « L’obligation de la vérité se considère du côté du débiteur » II, Il.q. 80 art. unique) ; Kant, à son tour, déclare : « C’est une fausseté primordiale, iro&ro » ptOSet, que d’avancer cette proposition :

« Nous devons dire la vérité, mais seulement à

celui-là qui y a droit ». (.Vetaphrsik der Sitten, lîechtslehre, Einleituug, nota B).

Art. IL— La malice du mensonge

A la notion du mensonge, fait naturellement suite la question de sa moralité. Que nous apprend à ce sujet la tradition catholique ? Que conclut la raison éclairée de la foi ?

^ 1. Réponse de l’histoire

Notre impossibilité de demander des précisions et des explications aux auteurs anciens ne nous permet pas d’être affirmatifs, là où leurs expressions ne nous livrent qu’une pensée flottante. C’est en ce sens que nous avouons franchement ne pouvoir déduire des premiers siècles chrétiens une conclusion certaine. Si S. Cyprikn est à la fois nique et catégorique : «.Non esse mentiendum. ominatio est Domino labia mendacia » (Prov. xii. 22) ; Testimoniorum liber, M, c. civ. (P. L., IV. 777), plusieurs autres Pères ou écrivains ecclésiastiques semblent, à la suite de Platon (République, II ! , 38y, b), autoriser, du moins chez des gens d’élite, les mensonges que nous pourrions qualiûer d’officieux ou de nécessaires. Citons Orighnb’, ("lbmbnt d’ALBXANDRiB (Stromata, Vil, 9, P. G., IX, 4-Ô-478) ; S. Jban Ci.iMA’in ; (Scala paradisi, grad. xii ; P. G., LXXXVIH, 856, Une) ; Cassibn (Collationes, xvii, c. 17. P. /.., XLIX, 1062).

A l’entrée même de l’âge d’or de la scolastique, le Maître des Sentences nous atteste encore une certaine hésitation dans la doctrine. Après avoir qualifié de grave (magna) la question du mensonge, Pierrk Lombard nous apprend que certains limitaient la prohibition aux mensonges pernicieux : les antres mensonges n’étant pas dits contre le prochain. Ne serait-ce pas intentionnellement que ces derniers mots- sont ajoutés dans l’Ecriture Sainte ?

Mais pour les Docteurs scolastiques, le doute a cessé. Attachés à la fois au Stagirile et à S. Augustin, ils trouvaient chez l’un et chez l’autre la réprobation formelle de tout mensonge. « Le mensonge, avait allirmé Ahistotb, est de soi honteux et blâmable ». Et l’éloge qu’il fait de Xéoptolème pour n’avoir point cédé à l’envie de mentir en faveur de sa patrie, nous montre quelle portée absolue il donnait à son verdict. (Voy. Eth. Nie, 1. VII, c. ix. n. i.) S. Augustin témoigne de la même force de

1. Capitaine, De Origenis ethica, p. 114, nota.

2. Ces mots se lisent Hun9 le vin* précepte du Décnlogue. Il n’est là question expressément que de faux témoignage ; mais on a rapporté à ce texte l’interdiction de tout mensonge.

Terne IV.

conviction, lorsqu’il félicite l’évêque Firminus de Thagaste d’avoir subi la torture pour avoir refusé de mentir et de livrer un malheureux. (De Mendacio, xii, 23, P. L., XL, 504.)

Aussi l’école deScot s’accorde avec celle de S. Thomas pour interdire absolument tout mensonge. L’entente des auteurs est moralement’unanime.

Trois siècles plus tard, les grands moralistes de la renaissance scolastique, notamment ceux de la Compagnie de Jésus, ne seront pas moins tranchés. D’après leur opinion très commune, Dieu même, loin d’être capable de mensonge, ne pourrait même pas dispenser du précepte négatif qui interdit de mentir.

La contradiction naît au xvi° siècle avec Grotius (De iure belli et pacis, 1. III, c. 1) et Pufi bndorf. Après eux, les auteurs protestants distinguent les mensonges répréhensibles et ceux qu’excuse la nécessité.

Un tout petit nombre d’écrivains catholiques se mettent à leur remorque dans ces deux ou trois derniers siècles. Mentionnons, au xviii" s., un auteur connu pour la témérité de ses raisonnements : Antoine de Gènes (1759), Christianæ theologiae elementa ; un friand de nouveautés, Vincent Bolgbni (1733-1811), Il possesso. Principio fondamentale per decidere i casi morali. Au xixe siècle, nous avons à citer les noms plus honorables de Bbrardi, Praxis Confessariorum, n. 2819-2826 ; de Dubois, dans la Science catholique : Une théorie du mensonge (1897, XI, p. 880). Voy. également Revue du Clergé français : Le droit à la vérité XXIII, 366 ss). A propos d’une théorie du mensonge XXIV, 158ss)et le très estimable P. Piat, Appendice iv à la théologie morale du P. Van der Velden.

Sans doute, nous nous plaisons à le reconnaître : avec ces derniers, la différence porte moins sur le fond que sur l’explication de formules ou de réponses que nous serons généralement d’accord pour légitimer. Qu’on ne dise point, cependant, que c’est une pure querelle de mots. Les fausses explications contiennent en germe de fâcheuses conséquences, et conduisent aux pires abus. Nous déplorons, quant à nous, l’abandon de la notion traditionnelle du mensonge et de ce ûer principe, inspirateur de nobles résolutions : non, pas même pour sauver une vie humaine, soit la nôtre soit celle d’autrui, il n’est permis de mentir II, II, q. 1 10 art. 4 ad 4) En même temps qu’ils réprouvaient tout mensonge, les docteurs catholiques estimaient que le péché, léger de sa nature, ne pouvait devenir grave que par suite d’une circonstance extrinsèque, particulièrement celle de ses effets nocifs 2.

§ 2. Réponse de l’Écriture Sainte

L’Ancien Testament contient contre le mensonge des textes terrifiants et qui paraissent avoir ému S. Augustin (De mendacio, c. v. P.I.. XL, 49’.'19 2) :

1. Moralement, disons-nous. En effet, dans une extrême perplexité où l’on serait acculé à la nécessité de trahir ou de mentir, quelques-uns, au témoignage de S. Raymond (Summa, De mendacio, ’), opinaient qu’il fallait mentir. Mais, encore une fois, une analyse plus exacte du mensonge permet de se soustraire à cette nécessité. Voy. le chap. ni.

2. Il y eut un moment où l’on discuta si les parfaits pouvaient mentir sans péché mortel. Leur union avec la Suprême Vérité et Bonté renduit-elle le mensonge possihle autrement que par mépris de la vérité : ce qui serait grave ? Maisil serait inutile de nous attarder, à cette question, qu’ont résolue iifnrmaiivomeiit le Docteur séraphique fin III D. 38 q. unica, quæstiuncula 3) et le Doctuur ungélique II, II, q. 110 art. 4 ad 5).

M 9j3

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ils menacent le menteur de la haine et de la colère de Dieu. Voy. Ps., v, 7 ; Pror., vi, 1 6 - kj ; viii, 13 ; xii, 12 ; Eccli., 11, 14. Mais le contexte même et l’énormitéde la sanction prouvent qu’il s agit là du mensonge pernicieux’, ou du faux témoignage, ou de l’hypocrisie au service de Dieu.

Dans le Nouveau Testament, Xotre-Seigneur nous recommande une simple véracité (Ev. S. Matthieu, v, 37 et x, 16) ; S. Jean qualifie le démon de menteur et père du mensonge (Ev. S. Jean, viii, 44) ; l’Apôtre range le mensonge parmi les actes du vieil homme, qu’il faut exclure (Eph., iv, 25 ; Col., iii, 9). C’est dire assez clairement que le mensonge n’est pas de soi chose indifférente, mais chose mauvaise. Or, « ee qui est mal en soi, ne peut jamais être rendu bon, en quelques circonstances qu’on le suppose » (Sertillangbs, La Philosophie morale Je S. Thomas, c. ix, n. vi, B.)

§ 3. Réponse de la raison

I. Le mensonge est intrinsèquement illicite

D’accord pour condamner tout mensonge, les théologiens classiques le sont moins sur la démonstration de cette vérité de sens commun. Ils recourent à divers moyens de preuve. S. Augustn (Enchiriâion, e. xxii, P. /..XL, 243) ; S.TuomasII, ll, q. 110, art 3) ; Suarez (De Fide, d. 111. sect. 5, n. 8) dénoncent l’emploi abusif de la parole contre la (in du langage ; Scot (in III d. 38, q. unica n. 2) relève la contradiction où tombe le menteur : il parle pour exprimer sa pensée ; et, loin de l’exprimer, il fait le contraire. — Pour d’autres, par exemple pour S. Bonavbnture (in III. d. 38, q. unica, art. un.), une mauvaise intention gâte nécessairement tout mensonge : l’intention de tromper, impliquée dans tout énoncé conscient d’une fausseté. Scot admet aussi cette raison.

D’autres déduisent la malice du mensonge de sa mauvaise causalité : celle-ci produit le mal qu’est l’erreur. Lbssius (De iastitia et iare, 1. II, c. xlvii, n. 36) réunit les raisons de S. Augustin, de S. Thomas, de Scot et de S. Bonaventure, en prenant comme point de départ l’emploi abusif des signes contre leur institution et leur fin naturelle. — D’autres encore allèguent les dommages sociaux du mensonge.

« Le mensonge est illicite, déclare Lugo (De

Fuie, d. iv, s. i, n. y), parce que, s’il était permis, le commerce et la société humaine seraient fort empêchés et l’homme deviendrait indigne de confiance ». Ecoutez là-dessus Poncius (1660), le commentateur de Scot : « La société, la conversation humaine seraient totalement détruites, si mentir n’était mauvais et peccamineux, nous aurions raison de n’ajouter foi à personne : car il est insensé de croire à celui à qui il est permis de mentir ; et de la sorte, nous devrions nous refuser à toute conversation » (In III, d. 38, q. unica, n. 8).

Ces raisons contiennent toutes au moins une part de vérité. Les deux premières priment les autres, tant par les docteurs qui les présentent que par leur valeur intrinsèque. La raison spéciale de S. l’.onaventure ne vaudra pleinement qu’à la condition de prouver que l’intention de tromper est toujours mauvaise. Or, cette intention se justifie dans tous les Stratagèmes d’une guerre juste. I, ’erreur peut de même produire un bien relatif. Causer l’erreur,

1. Voy. S. Thomas II, II, q. 110 art. 4 ad I. C’est peut-être sou* l’influence de ces textes que, pour le 13. Ai ci i, r I.K GRAND, il n’y a de mensonge piirfiiit que le mensonge pernicieux, par lequel on veut à In fois tromper le prochain gur sapenséeet sur la réalité. Les mensonges joyeux etofïicieux [libidinoiu ») ne seraient, qu’analogiquement lis mensonges. V. in III d. 38 urt. 8. Solutio

sera-ce toujours défendu ? L’argument de Lugo et de Poncius est pris du dehors. Il vaut, tant que, à l’instar de ces auteurs, on l’applique à la licéité du mensonge ; mais il ne prouve pas que le mensonge soit défendu dans tous les cas. Appliqué au mensonge, comme tel, il prouverait trop : mentir serait toujours alors un gros péché mortel. Déjà S. Thomas faisait finement cette distinction : Considérer le mensonge comme permis, voilà qui tendrait à détruire la confiance ; mais tout mensonge ne tend pas à ruiner celle-ci, surtout quand il ne touche pas aux matières de la Foi (In III, d. 38, q. un. art. 4 ad 2) 1.

Voici comment nous croyons devoir raisonner avec S. Augustin, S. Thomas, Suarez, Lessius, etc.

Mentir, c’est toujours aller contre l’ordre naturel de la parole.

Or, cet ordre est inviolable pour l’homme.

Mentir est donc toujours péché.

Reprenons ces diverses assertions.

En effet, la parole est le signe naturel de la pensée ; et mentir, nous l’avons vu plus haut, c’est signifier le contraire de sa pensée. Tout mensonge viole donc toujours l’ordre naturel de la parole.

Nous ajoutons que cet ordre est inviolable pour 1 homme. Rappelons qu’un ordre peut être subordonné à l’homme ou le dominer. L’homme est autorisé à rompre, pour une fin plus haute, l’ordre qui lui est subordonné, par exemple, l’ordre de l’œuf au poussin qui en peut naître : l’homme le brise fréquemment pour le rapporter plus directement à lui-même en le consommant.

Mais à l’ordre qui le domine, il ne peut faire exception. Or, l’ordre naturel de la parole est imposé à l’homme comme nécessaire. Car les rapports mutuels, indispensables aux hommes dans leur vie privée et sociale (par lesquels s’opère leur compénétration), et par conséquent la réduction du genre humain à l’unité, requièrent un moyen de communication. Il n’en est pas d’autre que la parole, en comprenant sous ce nom tout geste significatif.

Dès lors, l’ordre qui régit ces communications domine l’homme : celui-ci ne peut s’y dérober, s’en affranchir. Cet ordre veut que, toutes les fois qu’elle est donnée comme significative, la parole ne signifie pas l’opposé de ce qu’elle est destinée à signifier.

Assurément l’obligation positive de communiquer sa pensée est loin d’exister toujours : un strict devoir peut même m’enjoindre de refuser cette communication. Mais on ne peut à la fois l’accorder et la refuser par le même acte ; moins encore l’accorder et donner l’opposé.

Cette contradiction même, comme l’observent justement Scot et Lessius, 1. c, troublant l’unité de l’homme en lui-même, lui méritant le reproche de duplicité, est encore à ce titre un désordre moral.

« Les mots, dit S. Thomas, II, II, q. 1 ioart 3, étant

naturellement les signes des pensées, c’est chose contre nature et indue que quelqu’un signifie par les mots ce qu’il n’a pas dans l’esprit » (Trad. P. Pègues ).

Tiré de la nature de l’acte, l’argument, comme le dit S. Thomas au même article ad 4, fait abstraction des conséquences de cet acte. Celui-ci reste donc défendu, même dans les cas exceptionnels où ces conséquences sembleraient heureuses. On ne peut, par un moyen illicite, ni faire le bien ni empêcher le mal.

Au surplus, il nous faut avoir assez confiance

1. Il nous est revenu qu’on a félicité un auteur anglais d’avoir cherché la raison de lu malice du mensonge dans l’inviolabilité de. « lois 1IIl commerce humain.

On voit qu’il ne s’ugit point là d’une trouvaille ; que, pour le fond, l’argument n’est pas nouveau, el qu’il de mande ù être employé avec quelque précaution. 965

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dans la sagesse de la Providence divine, pour conclure sans hésitation avec le vénérable évêque de Bruges, Mgr Wai-kblabrt (Dissertation sur la malice du menson g », p 16 note), que ce bien, souvent plus apparent ([lie réel, ne peut être qu’accidentel et hors de proportion avec le mal que produirait la permission de mentir, fùt-elle même exceptionnelle. Ajoutez ensuite la déception, le désenchantement qu'éprouve celui qui a été trompé par un mensonge ; l’effet, de soi dommageable, produit par l’erreur ; la confusion que ressent l’homme convaincu d’avoir menti ; la conscience déprimante d’une lâcheté commise ' : tout vient renforcer noire conclusion.

II. Le mensonge n’est pas, de soi, péché g : *ave. — Tout mensonge est un désordre, une atteinte à l’ordre que nous appelons essentiel, parce qu’il est établi sur l’essence des choses. Mais toute violation de cet ordre n’est pas substantielle, ou, si l’on aime mieux, destructive de l’ordre. Certaines atteintes n’en entament que la perfection, et peuvent s’appeler accidentelles. Recherchons donc de quelle nature est l’opposition du mensonge à l’ordre essentiel.

A cet effet, souvenons-nous que, si tous les commandements se ramènent au commandement d’aimer, de même tous les ordres essentiels intègrent un seul ordre suprême, celui de la charité.

Voyons maintenant le contenu commun de tout mensonge. Il implique un désaccord entre ma pensée et ma parole : l’envoi à autrui d’une contrevérité. Le désaccord entre ma pensée et ma parole contrarie la subordination des facultés en moi. Mais la contrarie-t-il jusqu'à la ruiner ? il n’apparaît pas. Faite pour exprimer ma pensée, la parole exista pour mon bien, pour le bien du prochain, pour le bien commun. En mentant, je sers un intérêt propre, un bien particulier. Le désordre est dans la manière dont je le sers, par un instrument qui cependant m’est donné pour le servir directement, immédiatement. Nous ne découvrons là aucun désordre substantiel, comme celui qui dépare la recherche d’une satisfaction destinée au bien de l’espèce, quand l’homme la poursuit contre cette destination, pour une jouissance individuelle.

La contre-vérité que je tends à implanter en autrui donne le change sur ma pensée. Pensée d’un être contingent, la communication n’en est nullement nécessaire comme telle, ni aux particuliers ni à la société. L’erreur produite n’est pas grave en elle-même.

Observons du reste comment le mensonge affecte les relations mutuelles. Ni lesmensonges joyeux, ni les mensonges officieux ne causent des ruptures d’amitié. L’ordre de la charité demeure donc substantiellement intact.

Par conséquent, le mensonge ne sera que véniel de sa nature. Mais la gravité de l’erreur produite, par exemple en matière de foi ou de mœurs, le tort causé à autrui, une intention gravement malicieuse : telles sont, d’après S. Thomas II, II, q. no art. ', ), les causes qui peuvent le rendre mortel.

1. L’homme ment pour échapper a des inconvénients qu’il eut été noble d’accepter pur amour de la Térité. Les barbares d’Afrique estiment eux-mêmes que le mensonge est l’arme îles faibles. Le mensonge prouve de la faiblesse morale : il implique une défaite, une honteuse reddition à len-ieroi. £ iciite insiste beaucoup sur la vileté du mensonge. Voy. Dottrina morale secundo i principii délia dottrina délia teienza. Trad. ital., de L. Ambrosi 1918, p. 198-199 ; 279-28Î.

Art. III. — Dieu ne peut ni mentir ni permettre de mentir

I. — Bien que le mensonge ne soit que véniel de sa nature, S. Augustin est l’organe de la tradition catholique dans cette déclaratiou : u Dieu est toutpuissant ; et bien qu’il soit tout-puissant, il ne peut ni mourir, ni être trompé, ni mentir. Il est toutpuissant, précisément, parce que rien de tout cela II ne le peut ». (De sirnbolo, c. i, n. 2. P. L, XL, 628).

« Il est absurde, enseigne de son côté S. Athanasf.

que Dieu mente en parlant : Il ne serait pas Dieu. » (Oratiodelncarnmtione, i, P.G., XXV, G). Entendons encore S. Anselme : « Si Dieu voulait mentir, il ne s’ensuivrait pas que le mensonge serait honnête, mais plutôt qu’il ne serait point Dieu. » (Car De us homo, 1. I, xii, P. £., CLVI1I, 378). —Les fidèles d’ailleurs, dans chaque acte de foi, n’adorent-ils pas Dieu comme la suprême et infaillible vérité, qui ne peut ni se tromper ni tromper ?

La raison péremptoire de cette assertion est aisée à découvrir. Dieu se doit de ramener tout à Lui ; Il est l’alpha et l’oméga de toutes choses. En mentant, Il éloignerait de Lui la créature raisonnable par une juste défiance. Croire Dieu capable de mensonge, c’est affaiblir l’autorité de sa parole.

II. — De même, la permission que Dieu donnerait de mentir Le montrerait moins éloigné du mensonge, et motiverait une moindre confiance en Lui. Comme l’observe Poncius dans ses notes sur Scot (In III, d. 38, q. unica, n. 24), Dieu pourrait alors mentir par mandataire, et cesserait d'être l’infaillible témoin de la vérité.

Loin de nous de jeter pareil soupçon sur la Majesté et la Sainteté divines !

Chapitrb II. — La restriction misnxalh

§ I.

Notion, origine, histoire des restrictions mentales

I. Notion- — Suivant son étymologie et dans la matière qui nous occupe, la restriction mentale est un acte de l’esprit ' qui restreint la portée naturelle que l’expression, possède, eu égard aux circonstances.

En effet, les circonstances circonscrivent parfois le sens des questions ou des réponses. Posée à une marchande de fruits, la question « avez-vous des pommes ? » ne regarde que les fruits mis en vente par elle. Il est clair encore que le contexte précise la signification des termes qui ont plusieurs acceptions : voler ne s’entend pas à la fois du vol des oiseaux et de l’acte du fripon. De telles limitations sont commandées par l'écart entre l’esprit et la matière, entre notre pensée et sa traduction en mots qui frappent l’oreille : ceux-ci ne rendent pas notre pensée, mais la font deviner. Nul ne s’y trompe ; il n’y a pas là de restriction mentale.

Mais il s’agit de sens détournés, et à dessein non exprimés. On répond : « Je ne sais pas », en sousentendant : « pour vous le dire » ; — on promet cent francs, mais on ajoute intérieurement : « en monnaie de singe ».

Il arrivera que les circonstance » indiquent que le <c je ne sais pas » peut n'être qu’une forme polie

i. Le Card. Gousset, Tliéol. morale, l. n. 1047, est victime d’une véritale distraction quand il commence sa description, d’ailleurs excellente, par ces mots : (La restriction mentale est une parole fausse ». La restriction mentale ne saurait être une parole ; elle consiste dans l’acte de retenir intérieurement ce qui compléterait, en le rendant vrai, le sens d’une proposition fausse sans cette addition. i « 67

RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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d’écarter la question ; que la promesse de cent francs peut n’être pas sérieuse.

La restriction qui se laisse ainsi soupçonner s’appelle largement mentale, et s’oppose à celle qui ne s uirait être comprise’, dite purement mentale.

Puisque la restriction mentale au sens large crée une équivoque, on en est venu à qualifier de restriction mentale toute équivoque, et même tout artifice employé pour éviter une réponse franche et sincère. Il se peut ainsi qu’on parle de restriction mentale là où il n’y a plus même de restriction. Quand un accusé répond au juge qu’il n’a pas volé, en ce sens qu’il n’a pas fendu l’air, où est la restriction ? Si quelqu’un affirme avoir diné en sous-entendant

plusieurs fois dans sa vie », il élargit la question, si celle-ci ne portait que sur le repas d’un seul jour.

II. Origines- — Distinguons le mot de la chose. Les termes de restriction, de restriction faite dans

1 esprit et non exprimée, se rencontrent déjà chez Caprbolus (1444)> des Frères Prêcheurs, surnommé

« le prince des Thomistes » (In IV, n. 21, q. 2, versus

fine m). L’adjectif occulte, tacite, associé au mot de restriction, se lit chez Lessius (i.354-iG23), peut-être pour la première fois (1. II, c. xlii, n. 47, et c. xlvii, n. 35) ; enfin les termes de restriction mentale, de restriction purement mentale sont employés par Lugo(i 583-1 G60), De Fide d. iv, n. 62 et65.PoNcius, des Frères Mineurs (1660), Comment, in Scot, in 111, d. 38 q. unica n. 58, parle également de restriction mentale. L’expression de restriction mentale au sens large (late mentalis), nous la croyons postérieure au décret du S. Office du 2 mars 1679.

Mais la théorie est bien antérieure ; et le rigide Concina (1756), O. P., se trompe étrangement quand il la déclare inventée à la fin du xvi 8 et au commencement du xyii° siècle. Caprbolus, à l’endroit cité, en admet le principe, lorsque, voulant montrer comment ces deux propositions : je sais ceci et je ne sais pas ceci, peuvent ne pas être contradictoires, grâce a des additions ou à des restrictions, il ajoute : « A cela ne s’oppose pas que les additions et les restrictions se fassent dans l’esprit et ne soient pas exprimées ; parce que nous usons des mots à volonté ; et que celui qui prononce un mot, peut signifier quelque chose pour lui-même qu’il ne signilie pas et ne veut pas signifier pour autrui : de la sorte, les paroles ne sont pas contradictoires auprès de celui qui parle, bien qu’elles le soient pour celui qui les entend, parce que la signification est autre pour celui qui écoute, autre pour celui qui parle ». Déjà Cajktan (1470-i">3/|), in II, II, q. lxxxix art. 7, ad 4, combat l’opinion de certains auteurs qui admettent que l’on peut, sans mensonge ni parjure, compléter par la pensée le sens des paroles ; par exemple, promettre deux cents livres, eu ajoutant intérieurement « si je les dois ». Voilà bien de la restriction mentale.

La doctrine de la restriction mentale se trouve élaborée et patronnée par le célèbre moraliste des tërmites de S. Augustin, Azpii.cukta, appelé souvent le NAvxnnvis (U r Navarrus). Voyez surtout son commentaire du eh. Humanæ aures (Décret de Gratien, II, c. xxii, q. 5), « j ni porte ce titre significatif :

« De la vérité d’une réponse en partie exprimée

verbalement, en partie simplement conçue » (De veritate responsi parlim verbo expresse, partim mente conceptareddili).

1. Ce terme lui-même est ambigu. Pour que la restriction passe pour être comprise, il ne faut pas que l’auditeur connaisse ma pensée ; il suffit que les circonstances le mettent sur ses gardes, fassent soupçonner le n fus de l’explication souhaitée.

111. Histoire. — Après le Navarrais, qui peut passer pour le Docteur, sinon pour l’inventeur, du système des restrictions mentales, celles-ci comptèrent, dans diverses écoles des partisans et des adver* saires. La théorie est admise par le Card. Tolkt, S. I. (153a-150, G), Instructio sacerdotum ouSumma, l.lV, c. xxi, n. G ; par le grand moraliste que fut l’évcque Bonacina (iG31), De morali théologie, t. H, d. 4.q- 1, puncl. xn ; soutenue par l’érudit Théophile Raynaud, S. I. (1583-iG60), dans sa célèbre dispute écrite pour venger Lessius des calomnies de Jean Barnes (Splendor veritatis moralis, collatus cum tenebris mendacii et nitbilo aequivocationis ac mentalis restrictionis. Ad librum Leonardi Lessii De iuslttia etiure, appendix quo licitus usas aequivocationum et mentalium restrictionum, traditus l. il, c. xi, dub. 10 et 0. xlix, d. 9, adversus falsas loannis liarnesii, Angli, Monachi Benedictini, criminationes propugnatur ». — Thomas Sanchbz (1550-1610) Dec. 1. III, c. VI, n. 15, enseigne le principe, mais comme moins certain, bien qu’ensuite il entre dans nombre d’explications. La probabilité du système est reconnue par Suaubz, S. I. (1548-1617) De lieligione, tr. V, 1. 3, c. ix et x, où il distingue l’amphibologie sensible de l’amphibologie mentale. Lessius, S. I.(1554-16a5) lui accorde une plus grande probabilité. (Cf. 1. I, c. xlii, n. 47 et et c. xlvii, n. 35).

Par contre, la théorie est absolument rejetée par Aug. Coninck, s. i.(1571-1633), De virtutibus, Disp. x, dut). 3, n. 3’| et 4g ; par Laymann, s. 1. ( 1."> 7 5 - iG35) Theol. mor. 1. IV, tr. iii, c. 13, De mendacio, qui déclare ne pas comprendre comment on puisse trouver une équivoque, là où l’expression n’offre qu’un seul sens ; puis par le Card. de Lugo, s. 1. (De Fide, c. iv, n. G2-66), qui, sans les traiter de mensonges formels, rejette les restrictions mentales comme contraires à la véracité et rendant inutile la prohibition du mensonge. Il ne sert à rien, ajoute-t-il, de dire qu’on ne les permet que pour de bons motifs ; d’autres diraient de même qu’on ne peut mentir sans raison.

— Poncius, des Frères Mineurs, in Comment. Scoli in III d. 38, q. unica n. 50,. 73, sans oser condamner, par égard pour leurs patrons, l’usage des restrictions mentales, les tient lui-même pour des mensonges. Au n. 1 13, il conclut en interdisant les restrictions mentales quand l’interrogateur les exclut expressément. Hors ce cas, on ne peut, d’après lui, tracer de règle générale.

Enlin, celui que l’on appelle, tout ensemble, le prince des casuistes et le prince des laxistes, Caramukl (1606-1682), Theol. Fundament., Fundaïuentum Ga (n. 1804), admet des restrictions de paroles qui ne peuvent résulter d’un simple concept. Il rejette les restrictions mentales : elles ne sont ni nécessaires ni utiles. Il croit finalement que, malgré leurs discussions, les théologiens sont, au fond, d’accord.

Ces discussions, d’ailleurs, se déroulaient pacifiquement, lorsque, vers le milieu du xvn* siècle, la querelle janséniste et l’intervention des laïques vinrent les envenimer. Les restrictions mentales furent, pour Pascal (1623-1662), un argument favori dans ses Lettres Provinciales, où l’on regrette de ne pas trouver autant d’impartialité qu’on y reconnaît de talent.

Le 2 mars 1679, Innocent XI, par un décret du S. Office, réprouvait, à tout le moins comme scandaleuses et pratiquement malfaisantes, une série de propositions laxistes. Parmi celles-ci, se lisent, sous les un. a6 et 37, les deux suivantes :

« Si quelqu’un, soit seul, soit devant témoins, sur

demande ou spontanément, pour se délasser ou pour 909

RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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n’importe quelle autre raison, jure <le n’avoir point fuit ce qu’il a fait réellement, mais en ente mlant intérieurement une autre chose qu’il n’a pas faite, ou un autre chemin que celui où le fait s’est passé, ou quoique autre complément vrni, en réalité il ne ment pas et il n’est point parjure. »

« Il y a juste motif de recourir à ces amphibologie », 

chaque fois que c’est nécessaire ou uliln pour lu sauvegarde du corps, île l’honneur ou du patrimoine, ou pour un autre acte do vertu quelconque, de sorte que la dissimulation de la vérité soit jugéeexpédienle etopportune 1. »

Sans doute, la généralité avec laquelle ces propositions autorisaient les restrictions suffisait à elle seule pour les faire condamner. (Voy. Lbhmkuhi., Theol, mor., 1, 919.) Cependant, à traiter ce texte sans subtilité, n’est-il pas plus naturel de chercher le motif de l’arrêt dans l’incise principale, qui justiliait le sous-entendu mental ?

C’est ce qu’on semble avoir saisi d’emblée. Aussi, depuis lors, l’usage a prévalu de distinguer les restrictions purement mentales, désormais traitées de mensonges, et les restrictions non purement mentales, d’où le mensonge est absent" 2.

Mais puisque ces dernières restrictions n’échappent au reproche de mensonge que parce que les circonstances extérieures les rendent connaissables ; c’est-à-dire parce qu’elles ne sont pas mentales, les décrets d’iNNocBNi XI marquent la fin des restrictions mentales dans la science catholique. L’habitude pourtant a fait conserver le nom, désormais impropre. Génicot-Salsmans, I, 4 iG, nota, souhaitent à bon droit une terminologie correspondant mieux à la réalité. L’expression est d’ailleurs critiquée par plus d’un théologien moderne, par exemple Koch, Lehrbuch der Moral. Théologie, éd. 3, 1910, §129 ; Phummkr, O.P..Va nuale Theologiæ moralis, 11, n. 171.

§ 2. Critique des restrictions mentales

Notre critique sera franche, comme nous le permettent les grands auteurs à l’avis desquels nous nous rangeons.

Posons-nous simplement trois questions.

I. — Le mensonge disparaitra-t-il d’une expression, parce que je la complète mentalement par des mots qui en corrigent la fausseté ? Par exemple (cf. Lugo, De Fide, d. iv, n. Gi), un gourmet, au sortir d’un excellent dîner maigre, pourra-t-il, sans mentir, déclarer : « Aujourd’hui je n’ai rien mangé du tout » ; en ajoutant mentalement, « qui fût gras » ? N’est-il pas manifeste qu’un complément aussi étranger au discours demeure sans influence sur sa véracité ? Suarez [Bel.. Tr. III, 1. m., c. 10, 11. 6) ne la remarque-t-il pas justement : le discours est un sij ; iie ; pour avoir un discours, un sens, il faut des termes de même ordre, contribuant, pour leur part, à la signification. Des termes ex primés et des termes simplement pensés ne sauraient donc composer un seul discours. Ainsi que le dit Laymann (l. IV, tr.

1. Cesdernières expressions se trouvent dans Sahchbz, u ch. vi, du 1. III, n. 19. Un aurait tort cependant d’inféier de là, que ce grand moraliste fut atteint par cette proscription. Ses conclusions ne diffèrent guère de celles de S. Alphonse. — Dans ce passage, nous avons traduit le mot latin studiosa par opportune. Il u ce sens dans la langue juridique. Cf. Digette, Præfnlio, 1, § I ; Code, I, 17, l. 1, § 1 ; III, tit. 33, L, 15 ; Novelle vi, Præfatin.

2. Se dites pascependant avec Concina que la distinction est née après ces décrets. Elle était auparavant connue de Lugo [De Fide, d. IV, n. 165) ; de Poncïus, In Scot., III, D. 38, q. un. n. 117 et 125 ; de CaramuIL. n. 180-1, dont l’ouvrage est antérieur au décret d’Innocent XI. Ne peut-on p : <s dire qu’elle était virtuellement connue de tous les adversaires des restrictions appelées depuis strictement mentales ?

m, c. 13, n. 6) : ce qui n’est que dans l’esprit, ne peut entrer comme partie dans un discours extérieur.

« Il nous faut, dit Lugo, De Fide, d. iv, n. 6a, 

rapprocher les paroles de la pensée ; prendre, d’une part, les paroles extérieures avec leur signilication, et, d’autre part, la pensée de celui qui parle ; et voir ensuite si les paroles traduisent la pensée ou signifient l’opposé de celle-ci. Si elles signifient l’opposé, on manque à la véracité ; par contre, la véracité est pleinement satisfaite, si la pensée est rendue, »

Observez, s’il en étuit autrement, l’étrange vertu qu’aurait la restriction mentale. Le Platonicien Euthydème affirmerait avec raison que nul ne ment, qu’il n’y a pas de mensonge possible (cité par Raynai : d, De Verilale, c. II, inilio). Qui ne corrigerait intérieurement la fausseté des paroles prononcées ? Il s’ensuivrait encore que, dans les mêmes circonstances, les mêmes mots peuvent signifier deux choses contradictoires. C’est le Sic et Non d Abélard, transporté du domaine du bien dans celui du vrai. Voy. notre Thcologia moralis, I, n. ! 7, p. 28. Voy. aussi comment Capkeolus démontre (in IV n. 21, q. 2) que les deux propositions : Je sais ceci, et je ne sais pas ceci, peuvent être vraies en même temps. L’interdiction du mensonge observe encore Lugo, 1. c, n. 62, deviendrait inulile. Pour se convertir, les menteurs ne devraient pas changer de langage ; une restriction mentale ferait leur affaire. Et il ne suffit pas d’objecter que des raisons sont requises pour autoriser les restrictions mentales : d’autres diraient aussi bien, qu’il faut des raisons pour mentir : pratiquement, il n’est pas de différence.

2. — Quand l’ainbiguité résulte ou des termes eux-mêmes ou des circonstances, sommes-nous tenus, sous peine de mentir, d’ajouter mentalement les mots qui précisent le sens vrai de nos paroles ? Ni Sanchbz, Dec, 1. III. c. vi, n. 10 et 15 ; ni Soarbz, Rel. Tr. V, ex, ni, plus près de nous, Génicot-Salsmans, I, (16, n’exigent pareille condition : il suffit de savoir qu’un sens vrai est attaché à ce qu’on dit, même si l’on ignore lequel.

Ou plutôt, donnons uneréponseplus exacte et plus approfondie. Quand une expression ou une phrase a deux sens, c’est assez pour ne pas mentir, de n’avoir pas l’intention de signifier le sens erroné ; il n’est nullement nécessaire de vouloir signifier le sens vrai. L’on peut prononcer cette phrase sans vouloir signifier quoi que ce soit. CI’.Sanchbz, à l’endroit cité ; Lugo, De Fide, c. iv, n. 65. Or, d’ordinaire, que veut-on, en s’exprimant d’une façon ambiguë ? On veut parler, non pas pour faire entendre quelque chose, mais pour n’être pas compris. En d’autres termes, d’une manière détournée, on refuse de répondre. Ce refus est, comme tel, en correspondance avec la pensée et l’intention. Que faut- il de plus ? qu’est-il besoin de s’évertuer à chercher un autre sens vrai à l’équivoque ?

3. — La restriction dite late mentalis, mentale au sens large, doit-elle, en tout ou en partie, sa valeur à la formule retenue dans l’esprit ? Elle ne lui doit absolument rien. Est seul opérant et décisif, le sens qui est fourni par les circonstances. Ce n’est pas en tant que mentale, mais en tant que non mentale, qu’elle fait échapper au mensonge.

Observez encore ce qui suit. Nous pensons ce que nous exprimons, aussi bien que ce que nous tenons caché. Dès lors, dans l’expression restriction mentale, le mot mentale ne signifie rien, s’il ne signifie non exprimée. Qu’est-ce donc qu’une restriction mentale largement entendue ? Y a-t-il un milieu entre une pensée exprimée et une pensée non exprimée ? Si vous exprimez à moitié la restriction que vous concevez, vous en arrivez à deux restrictions : l’une mentale, l’autre non mentale. Vous n’obtiendrez jamais une restriction vraiment mentale au sens large Caramuel le dit fort bien, Theol. 971

RESTRICTION M ENTÀLE ET MENSONGE

972

Fundameni., n.)804 : « Admettre desrestrictions mentales à condition qu’il y ait des éléments extérieurs

« cosignifiants », c’est retenir seulement le nom de

restrictions mentales ».

Par conséquent, nous l’avons déjà insinué, du jour où l’on renonçait aux restrictions purement mentales, on abolissait les restrictions. Nous regrettons que l’on n’ait pas supprimé en même temps un nom impropre, impopulaire et suranné.

Faut-il nous attarder aux raisons que. l’on faisait valoir pour les restrictions mentales ? De nos jours, elles risquent dépasser pour de vaines subtilités.

« L’on use à son gré des paroles, dit Capheolus, 

/. c. Celui qui les prononce peut se dire à lui-même quelque chose qu’il ne signifie pas et n’entend pas signilier à autrui : il aura dit alors des choses contradictoires au regard de l’auditeur, mais non à son point de vue. »

Assurément, l’on use à son gré des paroles ; et l’on peut vouloir se parler à soi-même ; mais à condition de nepas donner le change sur cette intention. Et c’est vis-à-vis de l’auditeur que 1 interdiction du mensonge nous oblige à éviter de prononcer des paroles contraires à notre pensée.

« Vous reconnaissez, objecte le Navahrais (in c.

Humanæ aures), un langage purement oral, un langage purement écrit et un langage purement mental. Pourquoi ne pas admettre un langage mixte, en partie verbal et en partie mental, qui sera vrai, si le sens obtenu en mettant bout à bout les deux parties se trouve être vrai ? »

Suarrz a déjà répondu plus haut, que des termes hétérogènes ne peuvent composer un seul et même langage. S’il s’agissait d’un soliloque, je pourrais compléter mentalement ce que j’ai dit oralement, parce que j’ai conscience de mes paroles intérieures comme des extérieures : mais le langage tenu à autrui doit être tout entier perceptible ; il ne l’est pas si tous les termes ne sont pas exprimés extérieurement, soit de vive voix, soit par écrit.

Des mots prononcés à voix basse, mais non intelligibles pour l’interlocuteur, ne font pas davantage partie de la conversation. Aussi S. Alphonse, 1. 111, n. 168, exige à tout le moins que l’auditeur puisse remarquer un chuchotement : cela suffit, en effet, pour éveiller la défiance et créer une équivoque.

On insiste. L’homme est libre d’exprimer sa pensée ou de la taire. Pourquoi ne pourrait-il pas l’exprimer à moitié, commencer, sans achever ? Interrogé sur uneaction passée, on pourra répondre sans mentir : « Je ne l’ai pas fait », bien qu’on n’ajoute pas le motcomplémentaire : « aujourd’hui ». — Assurément, à celui qui peut se taire, il n’est pas moins loisible île commencer, sans l’achever, l’expression de sa pensée ; mais à condition d’extérioriser suffisamment cette volonté même. Car celui qui parle est censé, sauf indice contraire, vouloir achever l’expression de sa pensée. (Voy. Lhhmkuhl, I,

9’9)

D’autres subtilités, qui eurent leur moment de vogue, se méprenaient sur le sens de la définition classique du mensonge : la parole contraire à la pensée. Oubliant qu’il n’agissait là d’une traduction de sa pensée pour autrui, on en faisait une simple articulation de mots en présence de l’interlocuteur, témoin de cette articulation, comme il léserait d’un soliloque. « Mentir, dit Sanc.hk/ (Dec.. I. 111, c. iv, n. 15), c’est aller contre sa pensée. Les paroles extérieures ne sont, dans le concept du mensonge, qu’un élément matériel. Leur vérité ou fausseté objective importe peu : la pensée de celui qui les prononce fait tout. Dans le désaccord des paroles avec la pensée, consiste l’élément formel du mensonge.. Ni

l’erreur imprimée dans l’esprit d autrui, … ni l’emploi de paroles dans un sens inusité ne font le mensonge ». « Celui-ci consiste, dit Valbntia, in II. II, d. v, q. 13, De reo, punct. a, à vouloir nier en paroles cette même vérité que l’on conçoit dans l’esprit, tandis qu’on converse avec autrui. Sans doute, ajoute-t-il, on devra d’ordinaire répondre suivant le sens déterminé par les circonstances ; mais ce devoir n’est pas imposé par l’interdiction du mensonge ; il est créé par l’obligation positive de dire la vérité 4 ». Sous l’empire de cette même erreur, on en vint à discuter si l’on pouvait mentir en se parlant à soimême. Plusieurs tinrent pour l’affirmative.

La méprise nous paraît évidente, ha parole, dans la définition du mensonge, n’est pas la parole en tant qu’elle est prononcée, mais en tant qu’elle est ou peut être entendue. Mentir, c’est à la fois parler à autrui et lui communiquer autre chose que sa pensée.

Pouvons-nous donner raison à Lugo quand il ne voit pas de mensonge formel dans la restriction purement mentale (que d’ailleurs il condamne), parce que, pour parler, il faut vouloir signifier sa pensée, et que, dans l’usage de la restriction mentale, on ne veut pas signifier à autrui la fausseté rendue par les mots prononcés extérieurement ? Nous dirons, à tout le moins, qu’au point de vue moral, on parle quand on feint de parler et que rien n’oblige à rompre le silence. Du reste, nous l’avons déjà observé, Lugo reconnaît que la permission des restrictions mentales aurait tous les inconvénients de la permission du mensonge. Voilà qui prouve, à nos yeux, qu’elles sont atteintes par l’interdiction même de mentir.

Des réflexions de ce genre paraîtront au lecteur si élémentaires qu’il se demandera comment des auteurs du mérite de Capreolus, de Tolet, etc., ont pu ne pas s’apercevoir de la confusion qu’ils faisaient entre la prononciation des mots et la parole formelle.

Un double et très honnête souci explique, croyons-nous, leur erreur. De ce point de vue, l’histoire des restrictions mentales est fort intéressante et suggestive. Au noble dessein de maintenir haut et ferme l’absolue prohibition du mensonge, les théologiens joignaient la préoccupation charitable et miséricordieuse de libérer leurs contemporains de la servitude des serments plus ou moins forcés. On exigeait et on concédait à tout instant la confirmation jurée des assertions et des promesses. Aussi n’est-ce pas au chapitre du mensonge, mais à celui du serment que les scolasliques abordaient la question de la restriction mentale. Leur raisonnement devenait alors, dans une certaine mesure, plus plausible. En effet, dans le serment, on invoquait Dieu, qui pénètre la pensée des hommes. « Des oreilles humaines, est-il dit au fameux ch. II, c. xxii, q. 5, du décret de Cratien. apprécient nos paroles comme elles résonnent au dehors. Mais les jugements divins les entendent comme elles jaillissent à l’intérieur ». Làdessus, Gratien fait cette réflexion : « Si les paroles doivent servir l’intention et non pas l’intention les paroles, il est manifeste que Dieu ne reçoit pas le serment comme l’homme entre les mains de qui on le prête, mais plutôt comme l’entend celui qui jure ; parce que l’homme devant qui on prête serment ne connaît nos paroles que de la manière dont elles résonnent au dehors ». Les auteurs purent de la sorte être amenés à admettre un serment mi-partie oral, mi-partie mental. Ils croyaient s’autoriser

1. On voil poindre ici 1 idée de mettre l’essence du mensonge dans le i (fus d’une vérité due ù autrui. 973

RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

974

aussi de l’exemple du Christ, qui, du moins en deux circonstances, aurait recouru à une restriction mentale. Pressé parles siens de se rendre à Jérusalem, 11 déclara qu’il ne s’y tendrait pas. Et peu après, Il en prenait le chemin. Il sous-entendit donc le mot a maintenant » ou, « avec vous ». Remarquons d’abord que rien n’empêchait le Christ de donner une réponse toute franche. Pourquoi, dès lors, vouloir trouver une restriction dans ce dialogue ? Les parents de Notre-Seigneur lui proposaient de les accompagner. Il refusa. Qu’ensuite, et peut-être pour un motif subséquent que l’Evangile ne devait pas nous relater, Il s’y rendît seul, qu’y a-t-il là de contradictoiie ? L’autre exemple : l’ignorance avouée du jour du jugeaient, viendra plus loin à sa plæe.

Ajoutons encore que l’interprétation trop littérale de certains textes scripturaires latins put confirmer quelques-uns dans leur erreur. S. Augustin (De mendacio, c. xvi, n. 31. P.L. XL, 508) nous apprend que, de son temps, quelques-uns inféraient du texle où le Psalmiste (Ps., xiv, 3) loue « celui qui dit la vérité, dans son cœur », qu’il fallait toujours dire intérieurement la vérité, mais non pas extérieurement, quand on avait à prévenir un plus grand mal. Quelques mots ajoutés mentalement sauvaient cette vérité intérieure.

Enfin le soin avec lequel ces auteurs entendaient écarter des patriarches le soupçon de mensonge, a pu également les disposer à trop compter sur certains artifices de langage.

Chapitre III. — Le problème

DE LA SAUVEGARDE DES SECRETS

Les droils de la vérité sont imprescriptibles ; mais nos secrets sont inviolables.

La confiance en la Sagesse divine nous est garante que les secrets peuvent être maintenus sans mensonge. Bien plus ; puisque le désordre du mensonge n’est pas grave comme tel, il ne semble pas que, sauf dans des cas très rares, puisse se présenter la nécessité de commettre le péché véniel de mensonge, si l’on ne préfère mourir, ou subir de très grands dommages. Les hommes ne sont généralement pas taillés en héros. Et la divine Bonté tient compte de leur faiblesse, non pas pour autoriser jamais le moindre mal moral, mais pour ne pas exposer leur vertu à de trop fortes tentations.

Il y a donc des moyens de concilier la prohibition du mensonge avec la tutelle du secret. Lesquels ? C’est ce qui nous reste à rechercher.

Les restrictions mentales furent un essai malheureux de conciliation. Depuis le temps où, sous l’empire des nécessités pratiques, les théologiens se préoccupèrent de la question, à côté des restrictions mentales, d’autres expédients furent proposés pour les circonstances embarrassantes.

Avant de donner la solution directe du problème, il convient donc d’apprécier les divers conseils pratiques suggérés à ce sujet.

Art. I er. Les expédients proposés

I. La réponse ambiguë ou équivoque

Qu’on puisse se tirer d’embarras par l’ambiguïté ou l’équivoque, déjà, au xiu 1 siècle, S. Ramond(12^o) Summa, 1. I, t. io, De mendacio, le déclare expressément. Depuis lors, cela n’a fait de doute pour personne’.

1. Les modernistes ne se font pas scrupule d’y recourir. Après la condamnation p ; ir le S. Office de certaines de ses propositions, M. Loisy écrivait au Cardinal Richard ces lignes ; « Je déclare à Votre Eminence que, par esprit d’obéissance envers le S. Sièjfe, je condamne les erreurs

Mais pourquoi an lii,.gage ambigu n’est-il pas mensonger ? Celui qui parle propose-t-il formellement les deux sens dont la phrase est susceptible ? En ce cas, puisque l’un des deux est vrai et l’autre faux, il dirait à la fois la vérité et mentirait. C’est l’ingénieuse remarque de Luoo, De Fide, c. iv, n. (J5. — Ne propose-t-il que le sens vrai ? Il ne semble pas. Le sens vrai est d’ordinaire celui qu’il veut cacher. S. Antonin (Summa, p. II, t. io, c. i, § i) va jusqu’à prétendre qu’il entend inculquer l’autre sens (ce que, d’après nous, il ne peut faire). S’il ne voulait pas dérober le sens vrai à la connaissance de l’interlocuteur, il parlerait ouvertement.

En réalité, celui qui enveloppe sa pensée de tournures obscures, amphibologiques, refuse simplement de s’expliquer ou de donner une réponse nette : ce qu’il peut faire sans mentir.

L’équivoque peut être verbale ou résulter de la phrase. Seulement Laymann, 1. IV, tr. iii, c. 13, l’observe avee raison : le contexte détermine généralement le sens d’un mot à plusieurs acceptions. La proposition ne devient donc pas ambiguë par cela seulement que le verbe voler peut signifler l’action du voleur et celle des oiseaux. Non plus que Laymann, nous ne parvenons à comprendre comment la Glose et S. Raymond ont cru que l’emploi isolé du verbe latin esse donnait lieu à une équivoque, parce que ce mot peut signifier en latin exister et manger. Et la femme infidèle qui nie sa faute, n’est pas excusée de mensonge, parce qu’elle n’a pas offert d’encens à une idole et que l’idolâtrie du peuple d’Israël est qualifiée d’adultère dans l’Ancien Testament. (Voy. Noldin, De præccptis, n. 640)

II. La réponse adaptée au but ultérieur de l’interrogateur

Qui pose une question poursuit un but, cbercheun renseignement. Peut-on, sans mentir, donner une réponse littéralement fausse, mais qui satisfait au but et fournit le renseignement désiré ? De graves auteurs semblent l’admettre sans plus. Citons le Card. Tolet, S. I., Iuslructio sacerdotum, 1. IV, c. xxi, n. 6 ; Sanchez, Dec., 1. III, c. vi, n. 29 ss., Laymann, 1. IV, tr. iii, c. 14 » n. 8.

Nous présenterions mal la pensée de ces auteurs, si nous ne distinguions les cas et les devoirs.

Quand le but poursuivi modifie le sens même de la question, il est clair que la réponse donnée dans ce sens est à l’abri de tout reproche. Un emprunteur pose la question : « Avez- vous de l’argent ? » en comprenant : de l’argent disponible. La réponse négative ne porte elle-même que sur de l’argent à prêter.

Mais quand le sens de la question n’est pas affecté par le but, il y a lieu de discerner un double devoir : le devoir positif d’éclairer celui qui nous interroge légitimement, et le devoir négatif qui m’interdit de mentir.

Par la réponse qui satisfait au but, nous accomplissons le devoir positif. C’est bien là ce qu’entendent les auteurs. Les exemples qu’ils apportent le prouvent. Ils parlent d’un inculpé ; ils mettent en scène un juge ou un magistrat qui demande : Avez-vous emprunté de l’argent ? ; venez-vous de tel endroit contaminé ? Et ils permettent de donner sous serment la réponse négative, si la dette est éteinte, si

que le S. Office a condamnées dans mes écrits ». La lettre date du 12 mars 1904. lin 1908, dans sa plaquette, Quelques lettres sur des questions actuelles et sur des événements récents, l’abbé commentait comme suit cette déclaration :

« Je regrettais dpjà la déclaration précédente…

qui pouvait tout aussi bien être tenue pour insignifiante, puisque le S. Office, en réalité, n’avait condamné aucun* erreur ». 97 ;

RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

( « 76

l’on est certainement indemne de la contagion. Par là, en effet, le devoir positif de répondre sera le plus souvent satisfait. Encore Layniann (1. c. n. 8, in) reiuarque-t-il à bon droit que le supérieur peut ne pas vouloir s’en remettre à l’inférieur du soin de juger si le but est atteint, par exemple si réellement il a traversé indemne une région où sévit la peste.

Supposons donc ce devoir positif rempli. Peut-on, ensuite, sans mentir, donner des réponses qui sont fausses quand on les prend à la lettre ? L’emprunt d’argent, l’extinction delà dette font l’objet de deux questions différentes. La réponse vraie à la seconde question ne satisfait pas à la première. Que la dette soit éteinte ou non, l’emprunt n’en reste pas moins un fait. Je ne pourrai le nier sans mentir, que si ma négation se justifie d’autre part ; par exemple, si elle emprunte aux circonstances, la signification d’un refus de répondre.

Concluons : l’on ne peut dire, d’une façon universelle, qu’il suffit d’avoir égard au but de l’interrogateur pour éliminer le mensonge.

III. La distinction d’un double genre

de connaissances

S. Thomas lui-même (in IV d. 21, q. 3 art. 1, sol. 1 ad 3) permet au Confesseur de ne tenir aucun compte, dans ses réponses, de ce qu’il a appris au tribunal de la pénitence : on l’interroge sur sa science humaine, non pas sur ce qu’il a appris comme tenant la place de Dieu.

Toutes proportions gardées, il faut en dire autant de ceux qui sont liés par un secret professionnel. Il est entendu que la question se limite à ce qu’ils connaissent par ailleurs.

N’est-ce point même là l’explication toute naturelle de la réticence dont usa Notre-Seigneur, quand II déclara que le Fils de l’homme ignorait la date précise du jugement dernier ? Il parlait comme l’envoyé du Père, venu en ce monde pour enseigner toute vérité contenue dans sa mission. A ce litre, Il ignore ce qu’il n’a pas mission de dire. Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, Notre-Seigneur pouvait, sans inconvénient pour Lui, refuser ouvertement la question. La forme cependant dont II revêtit sa réponse faisait mieux comprendre aux disciples à quel point Dieu voulait que ce secret leur fût impénétrable.

Mais peut-on plus généralement séparer d’une connaissance communicable une science non communicable, celle qu’on a le devoir ou du moins le droit de se réserver ?

Ici encore, il y a lieu de distinguer. Il est permis, sans doute, de refuser poliment la demande, par une formule qui, dans notre milieu, possède la valeur d’un refus : je ne sais pas ; je ne puis pas’.

Il n’en demeure pas moins vrai, qu’une connaissance même secrète affecte et modifie nécessairement les pensées et les convictions de celui qui parle. Par conséquent, quand il ne s’agit pas du secret sacramentel, ou, peut-être, du secret strictement professionnel, affirmer une contre-vérité, connue sous secret, louer la probité d’un homme qu’on sait secrètement être un fripon, ce serait parler contre sa pensée ; ce serait donc mentir.

IV. La mise à la portée de l’auditoire

Celui qui parle ou enseigne, peut se mettre de diverses manières au niveau de ceux qui l’écoutent. 1. — S’il ne s’agit que de ces formules courantes

1. Déjà Caramuf.l, Theol. fundament., n. 1804. le notait : les mots : je ne veux pat sont raves de la conversation des gens bien élevés ; on y » substitué : je ne puis.

qui, prises à la lettre, sont scientifiquement fausses, mais qu’on emploie sans en affirmer pour cela l’exactitude, il n’y a pas ombre de mensonge à s’en servir. Nous continuons ainsi à parler du lever et du coucher du soleil.

2. — On raisonnera encore sans mensonge, en déduisant les corollaires d’une hypothèse fausse où un tiers s’estplacé de lui-même, ou du moins sans notre faute. Les plus graves motifs peuvent déconseiller de le détromper. Voici un exemple. Le mariage entraîne des droits et des devoirs. Rien n’empêche de les signaler à qui se croit, par erreur, engagé dans les liens d’une union légitime.

3. — Mais qu’il y a loin de là à autoriser l’hypocrisie de la prédication l’Des pasteurs protestants de l’école libérale, s’estimant plus avancés que le commun des mortels, et parvenus à ce degré d’intelligence où leur Foi en Dieu (telle qu’ils l’entendent) se passe du symbolisme dogmatique, rejettent dans leur for intérieur, parfois même dans leurs écrits scientifiques, la divinité du Christ, le mystère de sa résurrection, de son ascension, tout en continuant à prêcher ces vérités à la foule moins éclairée. Voyez avec quelle désinvolture le moraliste protestant Paui.skn (System der Ethik, éd. 7 et 8, Berlin, lyoG, II, p. il : >, ss.) autorise l’enseignement d’erreurs utiles à l’auditoire.

Jamais cette forme nouvelle de mensonges officieux ne trouva et ne trouvera grâce devant le théologien catholique le plus subtil et le plus bénin. Ils seront unanimes à les condamner comme gravement injurieux à Dieu et gravement nuisibles au prochain. Il se rappelleront la parole d’AuGUSTiN : il ne peut en aucune façon être question de mensonge quand la doctrine religieuse est en jeu. ( De mendacio, c. x. P. L. XL, 500.)

V. La situation anormale de l’interlocuteur

La situation anormale de l’interlocuteur légitimet-elle, avec les malades, les enfants, les faibles d’esprit, les insensés, un langage qui ne pourrait être tenu à d’autres sans mensonge ?

Nous ne saurions accepter la thèse’qui circonscrit la loi de la véracité aux conversations engagées dans des circonstances normales. Le malade, l’enfant, le faible d’esprit, sont des personnes humaines. Ne pas tout leur dire, c’est notre droit, quelquefois, notre devoir. Mais dès que nous nous entretenons avec eux d’une façon sérieuse, en rapport avec leur capacité, nous sommes tenus par la loi de la vérité. Seulement il arrivera qu’avec des personnes en délire, la conversation ne puisse être sérieuse.

VI. Les protestations usuelles de respect, de dévouement, etc.

Que dire des formules d’estime, de considération, de dévouement, mises au bas des lettres ? Que dire des félicitations usitées ? Des philosophes du xviii’et du xixe siècle se le demandèrent. Un petit nombre, tel Schopenhauer, les condamnèrent ; mais la plupart leur donnèrent droit de cité. Kunt leur est favorable, parce qu’elles ne trompent personne et disposent à des sentiments s’accordant avec les paroles. Nous en disons autant des compliments d’usage, pourvu qu’on n’y mette aucune affectation de sincérité.

VIL La prononciation matérielle des paroles

Le mensonge formel est-il possible, lorsqu’on ne

1. D. Jakobovits, dans son ouvrage Die Luge p. 116. 117. allègue DoitNRK, Dai menichliclte llandeln, comme soutenant cette thèse. 977

RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

978

veut rien signifier, mais simplement prononcer des paroles ? D’excellents auteurs : Vai.entia, in II, II, VI, q.7, punct. 4 fine ; Sanchbz, Dec. 1. III, c. vi, 11. 10 ; Viva, in prop. damnatam ah. Innov. XI, n. 10 ; Lcgo, De Fide, D. iv, n. 60, opinent négativement. Qui ne veut pas parler ne saurait parler contre sa pensée, ni par conséquent violer le précepte négatif qui défend de mentir. De même, un consentement purement extérieur ne saurait donner lieu à une obligation contractuelle. On ne sera tenu que par la défense de nuire au prochain.

Seulement, il y a cette dilférence entre ce dernier cas et celui du mensonge, que l’obligation contractuelle naît du consentement des parties ; tandis que nos gestes et paroles doivent, indépendamment de notre consentement, s’accorder avec nos pensées. Et les circonstances les rendent significatifs malgré nous. Si donc les circonstances ou notre langage même ne laissent au moins soupçonner notre dessein de ne pas parler formellement, nous ne pouvons éviter l’imputation de mensonge, en parlant pour ne rien dire.

Nous exceptons toutefois le cas où une injuste agression donne aux paroles une autre valeur et destination qu’une valeur et destination manifestalives de notre pensée. Quand elles deviennent protectrices nécessaires d’un secret mis en péril, leur rôle défensif, étranger à la conversation, échappe aux lois de cell «-ci et, par conséquent, ne doit pas être perceptible.

Art. II- La solution du problème

Une remarque préalable éclaire, nous parait-il, tout le sujet. Parler, ce n’est pas seulement prononcer des paroles, niais c’est les prononcer dans l’intention avouée de communiquer sa pensée ; aveu qui d’ailleurs peut être contenu dans la manière de s’adresser à quelqu’un ou dans les circonstances du discours. « Quand Pierre me dit : Jean est mort », il ne signifie pas seulement que Jean est mort, mais encore qu’il veut me donner ce renseignement et qu’il me le donne en réalité. » (Coninck, Dis p. ix, De Obiectv Fidei, dub. 5, n. 5}).

L’acteur au théâtre et celui qui plaisante énoncent bien des propositions en désaccord avec leur pensée. Ni l’un ni l’autre ne mentent. Pourquoi ? Parce que personne n’est trompé ; qu’on n’a abusé de la confiance de personne ? Cette raison n’est ni immédiate ni complète, ni formelle. Elle n’est pas immédiate, car une cause plus prochaine a empêché l’erreur et l’abus de confiance. Elle n’est pas complète, car il se peut que quelques-uns soient trompés accidentellement, sans que de ce chef il y ait mensonge. Elle n’est pas formelle, car, pour n’être pas cru, le menteur ne cesse pas d’être tel. Maisla raison immédiate, complète et formelle, c’est que ni l’acteur ni le plaisant ne sont censés communiquer leur pensée.

Donc, chaque fois que les circonstances démontrent que les paroles viennent de quelqu’un qui n’entend pas communiquer sa pensée, il n’y a ni vraie conversation, ni mensonge possible ; chaque fois que cela est douteux, il y a une ambiguité qui permet d’échapper au mensonge.

Toutefois, en l’absence d’indices contraires, qui s’adresse à autrui est censé communiquer sa pensée.

« En parlant, on dit suffisamment qu’on parle » 

(Slahez, De Fide, D. iii, s. 12, n. 12).

Cela posé :

Le sileuceetltoulindiqué connue première manière de garder pour soi ce qu’on ne veut pas dire. Un langage entièrement spontané doit être exempt d’artilices, empreint de sincérité.

Mais les circonstances ou les questions posées ne permettent pas toujours de se taire.

Ces circonstances constituent un contexte qui peut modifier le sens naturel des expressions. La maladie donne aux paroles rassurantes du médecin la valeur d’un encouragement (fondé ou non fondé : cela est douteux) ; les félicitations accoutumées ont reçu la valeur d’une politesse, d’une marque de sympathie Tant qu’on n’excède pas (car de trop vives insistances peuvent neutraliser les circonstances et devenir de vrais mensonges), on n’a pas, dans telles occurences, à se reprocher d’avoir menti.

Quant aux questions posées, elles se font en vue de réponses sincères ; et, sauf raison opposée, elles en recevront de pareilles de la part d’un honnête homme. Si elles nous pressent de révéler ce que nous préférons tenir caché, nous avons d’abord la ressource de les écarter poliment. Si le refus de répondre ne peut être donné ouvertement ou trahirait peut-être notre secret, cet embarras prête aux paroles qui nous viennent à la bouche un sens évasif, qui est vrai et qui empêche le mensonge. Cela est certain au moins toutes les fois que l’interlocuteur peut soupçonner son indiscrétion ou notre désir de ne pas le satisfaire.

Alors, plus on nous presse, plus s’accentue le caractère évasif de nos phrases, et moins nos réponses méritent d’être prises au sérieux, selon leur sens naturel. Il va de soi que ce n’en sera que mieux si, même lorsqu’elle est prise littéralement, notre phrase n’offre aucun sens défini.

Voilà du coup tranchés simplement, la plupart des cas réputés embarrassants. L’épouse infidèle n’a pas à chercher dans l’Ancien Testament un sens exotique au mot adultère ; l’accusé peut nier son fait, sans ajouter secrètement la mention d’un lieu ou d’un jour où il fut innocent ; et, pour déclarer sans mensonge que l’homme poursuivi par des sbires n’avait pas passé par là, l’aimable S. François n’avait pas à désigner sa manche.

Un cas ou un genre de cas paraît plus gênant à première vue. C’est celui où l’indiscrétion de la demande échappe complètement ou même nécessairement à l’interrogateur ; où par conséquent, même en lui supposant une prudence exquise, il ne peut se douter du caractère évasif de notre réponse. Observez, en effet, la condition que les bons auteurs paraissent mettre à l’emploi de ce qu’ils appellent la restriction non purement mentale : ils veulent qu’une circonstanceextérieure la rende connaissante à l’interlocuteur (Voy. par exemple, Viva, in prop. 27 d’Innocent XI, n » x ; S. Alphonse. 1. III, c. 11, n. 162 fine).

Que faire donc, si notre interlocuteur ne peut soupçonner notre juste volonté de ne pas contenter sa curiosité ?

Deux explications, d’ailleurs assez peu divergentes, nous permettent d’autoriser, même en cette hypothèse, ce que nous venons de légitimer dans les cas précédents.

L’on peut raisonner comme suit. La circonstance extérieure qui crée l’amphibologie existe objectivement. Qu’importe, au point de vue mensonge, que l’interlocuteur s’en aperçoive ou ne s’en doute pas ? Indépendamment de sa persuasion, la circonstance donne aux paroles un autre sens probable. Cela suffit. Nous pouvons toujours dire sans mensonge ce qui ne serait pas mensonge pour un auditeur au courant. Averti ensuite de cette circonstance (s’il arrive à la connaître par nous ou d’autre façon), il ne serait ni scandalisé ni même fort surpris de notre procédé ; il garderait la même opinion de notre véracité : preuve indirecte qu’aucun mensonge ne 979

RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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fut commis. Son erreur fera qu’il est trompé. Mais cet elfet n’a pas été intentionnellement recherché ; il fut permis pour un motif que nous supposons proportionné.

Ou bien, nous considérons la question indiscrète ou illégitime comme un assaut injuste, bien qu’inconscient, livré à notre secret. En ce cas, faute d’autre ressource, nous pouvons défendre ce secret en prononçant des paroles qui, si elles étaient données comme significatives de notre pensée, constitueraient un mensonge, mais par lesquelles nous ne signifions autre chose que la volonté de ne rien révéler, de nous taire. En effet, en ce cas, d’où naîtrait l’obligation de signifier quoi que ce soit ? Une question injuste, remarque Valkntia (in II, II, u. v. q. 13. punct. 2) n’obïige à rien. Celui à qui on la pose, peut donc employer les paroles dans le sens qui lui plaît, comme s’il était seul. Lkssius, II. c. xlii, répète le raisonnement de Valentia, qu’approuvent également Sanchez et Viva, en autorisant de prononcer matériellement les paroles sans intention de signifier. Dans notre cas, vaut également la raison de Luuo (De Fide, c. iv, n. 65. 66) : sans la volonté de signifier, il ne saurait y avoir de mensonge formel. Je semblerai parler, il est vrai ; cette apparence trompera mon interlocuteur. Mais la légitime défense m’excuse de permettre cet effet, tout comme, en cas de nécessité, elle excuse l’homicide matériel de 1 agresseur.

Au surplus, — le lecteur s’en rendra aisément compte, — même quand les circonstances qui donnent un sens évasif aux paroles sont à la rigueur connaissables, il nous faut recourir au caractère défensif de notre réponse pour justifier l’effet d’erreur qui en est souvent la conséquence.

Le recours à ce caractère défensif possède en outre cet avantage, qu’il prévient les abus. Si l’amphibologie résultant de circonstances inconnues à l’auditeur suffisait à elle seule, pour quantité de raisons plus ou moins plausibles, la sincérité disparaîtrait du langage spontané lui-même.

Ne pourrait-on pas utilement recourir ici à l’adaptation au but ou à l’intention do celui qui interroge ? Celui-ci demande-t-il plus que ce que l’autre ne peut raisonnablement lui refuser ? — Ne pourrait-on pas faire valoir cette autre considération : puisqu’un secret à garder est toujours possible, les mots n’ont jamais qu’un sens conditionnel, et celui qui interroge ne doit accepter que sous une condition générale (sauf secret à garder) le sens apparent des mots ?

Mais, nous l’avons fait observer plus haut, l’intention de celui qui nous adresse une question limite notre devoir positif de lui répondre ou de l’instruire, mais n’affecte aucunement notre devoir négatif de ne pas mentir.

D’autre part, la simple possibilité d’un secret à garder ne met raisonnablement personne en spéciale défiance, ne modifie pas l’accueil fait à la communication.

En outre, l’attitude de l’interlocuteur, ses dispositions subjectives peuvent atténuer la gravité de son erreur éventuelle, mais elles demeurent sans influence sur le caractère mensonger ou véridique des réponses données. En effet ni le fait de n’être pas trompé, ni de consentir au langage voilé (non soupçonné positivement) de celui qui répond, ne causent et ne suppriment le mensonge. Rappelons-nous ce point fondamental : C’est du côté de celui qui parle, qu’il faut apprécier l’accord de sa parole et de sa pensée.

! Ii.sum7- : et Conclusion

I. Résumé

I. Jamais on ne peut mentir. Mentir, c’est parler contre sa pensée. Dieu même, Suprême Vérité, ne peut permettre à quelqu’un de mentir.

II. Le mensonge est, de soi, péché véniel. Il ne devient mortel que lorsqu’il est pernicieux en matière grave.

III. Outre le précepte négatif de ne pas mentir, il y a souvent un précepte positif qui impose le devoir d’enseigner ou de répondre la vérité. Le mensonge peut également violer ce devoir. Mais on peut aussi mentir sans l’enfreindre ; et on peut lenfreindre sans mentir. L’on ne saurait donc définir le mensonge : la négation d’une vérité due à autrui.

IV. Plutôt mourir que de commettre même un péché véniel ! Mais les conditions de notre humanité ne nous permettent pas de concevoir l’ordre moral comme réduisant fréquemment les hommes, et cela sans leur faute, dans l’alternative de commettre un péché véniel ou de sacrifier de graves intérêts. Pareille tentation dépasserait les forces de la plupart. La Providence n’a pas jugé nécessaire de nous faciliter à ce point l’héroïsme.

Encore moins est-il possible d’admettre que des conflits insolubles naissent entre deux devoirs. Or, garder ses secrets c’est toujours un droit, un droit lié à des intérêts plus ou moins considérables ; et c’est souvent un devoir rigoureux, dont la violation peut avoir les plus fâcheuses conséquences, non seulement pour celui qui parle, mais aussi pour des tiers et le bien commun lui-même. N’avons-nous pas là de sûrs indices qu’il existe une voie honnête, accessible à tous de garder ses secrets sans mensonge et, généralement, sans grands dommages ?

V. Cette voie est celle du silence, du refus poli de répondre, du recours à des expressions à sens évasif. Et lorsqu’on est pressé de questions importunes, cette circonstance elle-même communique un sens évasif aux réponses nécessaires pour ne pas dévoiler ses secrets. De telles réponses pourront vulgairement recevoir le nom de mensonges ; mais en réalité, il n’y a là que des ambiguïtés.

VI. En l’absence dépareille circonstance, les motsdoivent être employés dans le sens naturel que leur donne le contexte. Si ce sens est unique, on ne saurait se rejeter sur d’autres sens possibles du mol ou sur une addition mentale, pour croire à une équivoque qui écarte le mensonge.

Cette critique s’attache à l’explication elle-même, non pas aux excellents auteurs qui, en la donnant, peuvent s’être trompés, mais n’ont permis effectivement qu’une conduite et qu’une manière de répondre auxquelles tout le monde aujourd’hui s’est rallié.

VII. Celui qui parle spontanément n’a pas affaire à un indiscret : ses secrets ne sont pas attaqués. Suarez dit donc fort justement que celui qui s’offre à parler doit s’exprimer avec simplicité, de la manière dont il sait que son interlocuteur entendra ses paroles(tfef. tr. V, l. 3, c.x, n. 10). Cependant, aucours de l’entretien, peuvent naître des questions indiscrètes. D’autre part, les assurances des médecins, les félicitations habituelles, et même les recommandations que les commerçants font de leurs marchandises, empruntent aux circonstances un caractère d’ambiguité.

VIII. /.71/j/oiVe elle-même de cette question morale peut se résumercomme suit. Dans une première époque, la notion du mensonge n’est point analysée, creusée, approfondie. Les mensonges que certains auteurs ecclésiastiques, d’ailleurs respectables, permettaient avec précaution, ne sont probablement i » Sl

RÉSURRECTION DE LA CHAIR

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pas autre chose que les réponses évasives.que dans la suite on distinguera des mensonges proprement dits.

Augustin ouvre une seconde époque, qui définit le mensonge et insis’e sur sa malice intrinsèque. Malgré des contradicteurs réels ou apparents, cette malice est mise en pleine lumière par les grands docteurs scolastiques de L’âge d’or.

Dans une troisième époque, on se préoccupe d’accorder la rigueur des principes avec les nécessités pratiques. Quelques-uns, probablement influencés parla question des serments, oublient trop d’exiger, pour qu’on échappe au mensonge, l’accord de la parole telle qu’elle doit être raisonnablement comprise avec lapfnsée de celui qui parle ; ils appuient trop sur le seul accord de la pensée avec la parole simplement prononcée, et ils admettent les restrictions dites mentales. Parmi eux se trouvent aussi des membres de la Compagnie de Jésus, mais c’est calomnier celle-ci que de lui endosser la responsabilité du système : elle ne l’a pas inventé, et ses deux grands moralistes que lurent Lugo et Laymann l’ont combattu.

Des auteurs protestants s’attaquent au principe même, et altèrent la définition du mensonge.

Dans le camp catholique, après les condamnations d’iNNocBNT XI, on n’admet plus l’ellicacité des additions mentales aux mots prononcés. C’est la fin des vraies restrictions mentales. Cependanton garde l’expression en l’adoucissant par un adverbe « laie ». On en étend même l’acception de manière à signifier p.ir là tous les moyens honnêtes de garder ses secrets.

Plus récemment, les auteurs protestants se sont divisés en deux camps. Certains rationalistes rigides, isolés (parmi lesquels Schopenhauer semblent vouloir faire un devoir absolu d’une complète sincérité, tandis que la plupart en viennent à excuser les mensonges de nécessité, et même les discours qui trompent sur des vérités essentielles.

Quelques auteurs catholiques ont le tort de se mettre à la suite des protestants, d’abandonner la définition traditionnelle du mensonge, et de chercher dans le droit d’autrui la limite de notre devoir de pailer vrai.

Toutefois, entre catholiques de tous les âges, le désaccord porte moins sur le fond que sur l’explication. Les assertions et réponses admises par lesinnovateurs, le sont par ceux que nous appellerons les cmservateurs. Mais ceux-ci les justifieront autrement qu’en altérant la notion du mensonge, et en renonçant au principe de son interdiction absolue. On leur objecte le désir d’en finir avec les subtilités. Nous avons vu qu’aucune subtilité n’est nécessaire } iur maintenir que tout mensonge est illicite.

Celte divergence dans l’explication.n’est pas sans importance. Quand on retient les vraies notions, les secrets et les intérêts légitimes sont sauvegardés par des moyens qui ne prêtent pas le flanc aux abus. Ceux qui s’éloignent de ces notions, n’échappent aux abus qu’en cessant d’être logiques.

Terminons par une question, notre rapide coup d’œil d’ensemble. Les divers moyens imaginés pour garantir les secrets sans mensonge ne se ramènent-ils pas à un seul genre ?

Oui, et forcément. En effet, ou vous parlez avec sincérité : en ce cas vous ne protégez aucun secret ; ou vous signifiez ce que vous ne pensez pas, et vous commettez un mensonge ; ou voua ™ « s ho/nez à ne pas signifier, à ne pas exprimer complément votre pensée. C’est vers ce résultat que tendent plus ou moins heureusement tous les moyensindiqués. Même le rec&irs à un énoncé purement matériel, suivant

que l’intention de ne rien dire apparaît clairement, ou se laisse soupçonner, ou demeure entièrement cachée, se rangera dans la catégorie des expressions sincères ou des expressions ambiguës ou des expressions mensongères.

Dans tout ce qu’ils ont d’honnête, les procédés indiqués se trouvent virtuellement contenus dans la parole de S. Auoustin : autre chose est mentir, autre chose est tenir une vérité cachée (Enarr. in Ps., v. P. L., XXXVI, 85) ; ou dans celle deS.GRÉgoiRB : on évite le mensonge par une relation vraie mais incomplète (Expositiones in I Libr, Hegum, 1. V c iii, n. 5, in vers. >.. 3 (P. /.., LXX1X, /^o.) ou dans la formule de S. Thomas : On ne ment pas en disant moins que ce qui est, sans toutefois nier le reste (H, II, q. 109, art. 4, c.)

IL Conclusion pratique.

La charmante et noble vertu de véracité veille sur l’accord de nos paroles et de nos pensées, de l’homme tel qu’il se manifeste, et de l’homme tel qu’il est. Elle trouve un complément et une perfection dans la sincérité, qui, ennemie de la dissimulation, nous porte à toute la franchise d’ouverture que la prudence permet.

Un double devoir se rattache à ces deux vertus : le devoir négatif de ne jamais mentir, et le devoir positif de faire connaître la vérité quand la justice, la religion, la charité le demandent.

Vertus qui embellissent l’homme en l’unifiant par l’harmonie de son extérieur et de son intérieur.

Vertus qui le rehaussent moralement : elles imposent des actes de courage. Puis, sincère envers lui-même, l’homme reconnaît ses défauts et en les reconnaissant, se dispose à les amender.

Vertus sociales, quiconcilient la confiance et rapprochent les hommes.

Vertus éducatrices par excellence. Heureux l’enfant, qui peut estimer ses parents comme ne lui ayant jamais menti, comme n’ayant jamais tiré parti de sa naïve crédulité ! Quelle autre trempe de caractère façonne la mère d’un jeune malade lorsque, au nom du Christ souffrant, elle lui prêche la résignation, que celle qui le trompe sur l’amertume des remèdes ou le distrait par l’appât de futures récréations !

Le manque de sincérité dans les rapports et les affaires trouble profondément notre société.

La vie pratique elle-même nous impose ainsi le culte des deux vertus de véracité et de sincérité.

Cependant notre sincérité ne peut être indiscrète, et le bien général est lui-même intéressé à la garde jalouse de certains secrets.

Nous nous refuserons alors à recourir soit au mensonge, toujours défendu, soit à des subtilités verbales suspectes et superflues.

Nous nous souviendrons que les circonstances donnent elles-mêmes aux paroles un sens qui prévaut sur leur interprétation littérale ; et qu’on ne saurait mentir quand raisonnablement on ne veut pas signifier sa pensée.

Le programme pratique auquel aboutissent nos considérations se ramène à ces termes :

Ni capitulation ;

Ni arguties ;

Loyauté prudente et simplicité.

A. Vkrmehrsch, S. J.