Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Responsabilité

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 477-485).

RESPONSABILITÉ. — Le présent article aurait pu aussi bien paraître sous la rubrique * obligation », si des raisons extrinsèques ne l’avaient empêché. Au reste, nous n’avons guère à le regretter, car les deux notions d’obligation et de responsabilité sont essentiellement connexes et leur rappro chement écatte d’avance certaines équivoques : ainsi, d’après leur connexion évidente, il ne saurait être question du succédané jadis proposé parGuYAU dans son « Esquisse d’un/’morale sans obligation ni sanction » : le devoir est « une surabondance de vie qui demande à s’exercer ».

La responsabilité est la nécessité de rendre compte de ses actes à une autorité compétente, pour en subir les conséquences. Elle suppose donc la liberté de l’agent et la conscience de l’obligation. Chercher les conditions de ce [ait de conscience chez l’agent supposé libre, c’est chercher les conditions de la responsabilité elle même.

Sans doute la question que nous traitons est si étroitement reliée aux deux grands problèmes de la Pin dernière et du Bien moral, qu’il est dillicile de l’en séparer. Nous osons inviter le lecteur désireux de juger pleinement les solutions ici données, à consulter notre « Ethica » et l’opuscule parallèle, i Problèmes fondamentaux d éthique générale. Essai critique et synthétique » (Beauchesne).

Pour plus de clarté, nous donnerons à notre exposé la forme d’une thèse’ :

A QUEL TITRE L’OBLIGATION PARFAITE

S’IMPOSE-T-ELLE A LA CONSCIENCE ?

L’obligation parfaite de la loi naturelle ne peut être valablement acceptée sur la simple dictée de la Raison autonome (Kant) ; — ou sur la seule constatation de ce qui s’accorde avec la nature raisonnable ; — ou mvec l’ordre objectif des choses (Vasqubz-Gbrdil ) ; — ou sous la seule poussée des inclinations de la nature profonde (Janbt et quelques auteurs récents) ;

— mais uniquement sur la manifestation naturelle des volontés divines connues comme telles.

Présupposés. — L’analyse de la notion de Créateur conduit immédiatement à celle de Législateur.

La Souveraine Bonté, en se communiquant librement, assigne nécessairement une fin à ses œuvres. Cette fin n’est que convenance glorieuse pour Dieu’gloire qu’il a de se communiquer, de manifester sa Bonté, hommage que réclament de notre part ses perfections intimes. Elle est tout profit pour la créature, dont II se constitue le Souverain Bien.

D’autre part, créer un être, c’est constituer une

1. S. Thomas, de Ver., q. xtn, a.) sq ; — Suaheï de Ltge c. v sq ; — Luco, dt fncarn., disp. v, sect. 5 et ti -’Vasque,., Coinm. in [am Hae, d. 150, a. 3 ; ’- Lacroix ! Theol. Mor (Venet., 1740, t. Il), l.V.c. ! , n.25.q. n-48’I- 12 ; — Chos » at, Dict. de theol. Vacant, art. « Dieu >,

C °, - o t ?" ! r7 RlCafcM> > **-, « ’’< « dernière, col 2489 ; — Duquesnoy, Congre, tcientif. inlern. des

ui’Pa. ? : ’lSn’' ecl » P- 18 - 32 ; ~ AmiduClergé, i’P’. * fJ * ; ~~ U *"- « " » *i R*"- Néo-scol., 1907, p 28 W, - Balt.iaz.ar, ibid., 1908, p. 90-99 ; — (ample bioitog. dan, Lacroix, voir Cho$, at, Richard, t. c.) —

fÎÎj’on LOT’d t° " n ° z > th - 3 - 8 3 - p- « ; du » ">'"’*.

£<"/ ». 20 août 1920, art. seq. ; _ Hakknt, Dict. de Tkéol. Vacant, nrt. « Infidèle, (Salut des) », spéciale-Tèiï %ri’"/ 18 L 2 % q’1892 - 1907 » q-, 1928 ; cf. col.,

et 19, ’7~ ?" l ! S U ****** 10mai 1923’P" 2tt5 = l » j « il «  « M, p. US ;.il janvier 1924, p. 73 (résumé des controveises receutes).

nature, un ensemble de tendances : de sorte que, non seulement la fin, mais la manière delà poursuivie est — dans les grandes lignes, au moins, — déterminée. Dieu, voulant son œuvre, veut l’ordre qui en surgit. Etant souverainement sage, Il le veut ellicacement ; donc, Il l’impose aux êtres créés, mais différemment, suivant les natures particulières :

physiquement, si l’être est irraisonnable ;

moralement, c’est-à-dire par une intimation, une manifestation rationnelle des règles d’action, — si l’être est doué de raison et de liberté.

Ainsi se prouve l’existence de la loi morale, éternelle de la part de la Sagesse incréée, naturellement connue par la créature raisonnable, puisque l’ordre naturel exige cette intimation.

Mais alors se présente un des plus graves problèmes.

Comment se fait cette naturelle manifestation ? Est-ce une évidence immédiate ? Est-elle accompagnée de motifs ? Quels seraient-ils ?

Etat de la question. — Avant d’entrer dans le détail des opinions, il importe de préciser le débat. Il s’agit de la connaissance de l’Obligation parfaite. Or pour être principal, cet effet de la loi naturelle n’est pas unique ; il s’harmonise avec d’autres.

L’homme, doué de raison, estime naturellement l’ofdre des valeurs, sa propre nature, avec la hiérarchie de ses pouvoirs et de ;-es tendances, l’excellence privilégiée du tout social dont il fait partie, dont il reçoit tant, dont il dépend si étroitement. Il est naturellement incliné au respect, à la poursuite de tout vrai bien, du sien, de celui de la société, en d’autres termes, à l’observation de l’ordre moral, à l’accomplissement du bien moral.

Et s’il n’obéit pas aux appréciations de la raison, aux inclinations profondes de sa volonté, il provoque en lui-même un conflit douloureux, un remords.

Cet ensemble de lumières, d’inclinations etde réactions naturelles constitue une certaine nécessité, plus ou moins rigoureuse et plus ou moins immédiatement d’ordre pratique. Mais il s’agit ici uniquement de ce qui se présente à un agent dont la raison est droite, comme une nécessité objective et catégorique d’observer l’ordre moral ; car telle est l’obligation que nous appelons parfaite et dont — après Kant, certainement, et probablement après Vasquez, ainsi que la plupart des controversistes, — nous cherchons à expliquer la connaissance’.

Nous entendons par nécessité « objective » un objet de connaissance présenté à la volonté et dont l’influence toute morale laisse intacte la liberté physique.

Nous appelons « catégorique s une nécessité intransigeante et inconditionnée, telle qu’il faille accepter tous les autres maux plutôt que de la violer.

Nous disons nécessité d’observer l’ordre moral, pour désigner l’objet spécifique du devoir : ne faire que ce qui est moralement bien, éviter tout mal moral, ou encore : toujours se déterminer comme il convient à la nature raisonnable.

Nous cherchons une explication, non pas seulement ontologique, mais logique et psychologique, de

1. Personne plus explicitement que Kant ne pari » d’obligation catégorique. Vas.juez, considérant la loi naturelle et la façon de connaître l’obligation correspondante, semble bien envisager le morne objet. Mais nous craignons que certains auteurs ne tendent à confondre l’obligation parfaite avec une nécessité d’agir plus ou moins rigoureuse.

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l’obligation parfaite, c’est-à-dire non pas seulement sa cause, mais ce qui autorise l’esprit, la conscience, à l’affirmer.

Il y a là une précision nécessaire, aujourd hui plus que jamais

Beaucoup d’auteurs, surtout anciens, considèrent directement l’ordre ontologique, — résolvant souvent, d’ailleurs, semlde-t-il, au moins implicitement le problème d’ordre logique et psycboïogique. Ce dernier a pris, ces dernières années, une importance considérable, puisqu’il s’agit de savoir si, — l’obligation étant un fait de première évidence, — on ne pourrait pas le prendre comme point de départ de la morale, au rebours du processus traditionnel.

Nous avons, du reste, résolu équivalemment le problème ontologique, dans nos présupposés, en montrant comment l’obligation vient du Divin Législateur ; et ce qui suit précisera celle solution en faisant voir comment la Volonté de Dieu exerce prochainement son influence sur noire volonté, c’est-à-dire en se manifestant comme telle.

Les opinions. — i) Pour Kant, affirmer l’obligation est un fait premier de la raison (Crit. de la rais, prat., trad. Picavet, p. 50-51), un jugement synthétique api iori (ibid., et Fond, de la métaph. clés mœurs, trad. Delbos, p. 135). La loi qu’édicté notre raison s’impose par elle-même à notre respect, indépendamment de la valeur des objets qu’elle nous fait rechercher ; non seulement sa dignité se présente comme un motif absolu d’agir, mais tout autre motif est exclu. Et si, plus tard, Kant considère l’humanité, la dignité de la personne comme « fin en soi » et comme pouvant fonder la valeur absolue de l’impératif catégorique, c’est que la raison humaine s’apparaît à elle-même comme législatrice : c’est de la loi et de sa représentation que vient toute la dignité de l’être raisonnable.

D’ailleurs, remarquons-le bien, on ne soutient pas que l’obligation ait une valeur objective, on l’ignore ; et c’est l’objet du problème qui, après de laborieuses recherches, ne paraîtra que plus insoluble. Rien ne vaut en effet, nous dit-on, si la raison humaine n’esl pas législatrice, autonome’ ; or cela, nous dit Kant, nous ne le saurons jamais ; nous ne pourrons que 1^ postuler.

C’est bien, semble-t-il, au père du criticisme que des modernes ont emprunté la première idée d’une philosophie fondée sur le fait initial de l’obligation. Mais — chose pour le moins curieuse ! — ils ont affirmé d’emblée que celle-ci est objective % alors que Kant n’y aboutissait même pas.

a) VASO.UBZ, lui, assignait un motif objectif à l’acceptation valable de l’obligation, à savoir l’accord ou le désaccord perçu entre l’acte à poser et la nature raisonnable. En d’autres termes, pour lui, la connaissance du bien et du mal moral fournit immédiatement celle du précepte et de la prohibition, indépendamment de toute considération de la volonté ou même du jugement de Dieu (Comm. in l im Il a <, dlsp. cl, c. 3, spéc n. 22 sq.) Il s’en suit que l’on peut se rendre coupable de péché mortel, tout en ignorant la Majesté divine (Disp. cvii, n. 1’1).

3) Selon Gbrdil, la connaissance de l’ordre idéal des actions humaines a la forer d’obliger ceux même qui auraient le malheur de ne pas connaître l’Auteur de leur existence (Coll. Aligne, col. 1380). D’ailleurs la position de l’auteur est assez éclectique, il dit en effet qu’un double fondement peut être assigné à une obligation véritable et propre 1. Ce que Kant appelle encore notre libellé.

: '. AinM - Mgr d’Hvlst, Conf. de S. D., 1892, p. 48 sq.

ment dite : d’une part, la convenance de l’action relativement à la perfection propre de l’homme, à cette perfection dont la conquête est un motif d’approbation intime… ; d’autre part, la convenance de l’action comme moyen d’obtenir la parfaite félicité… (Inst. phil. mor. t disp. iii, cap. 3) Bien plus, dans le même passage, l’obligation est présentée comme une nécessité plutôt de fait que de droit : comme la résultante d’inclinations profondes, impérieuses parce que naturelles, plutôt que comme un droit souverain s’imposant à notre respect : elle surgit de la nécesnaire connexion de l’acte à poser avec une fin que nous ne pouvons pas ne pas vouloir,

4) Cette dernière conception se retrouve chez un certain nombre d’auteurs récents, la fin que nous ne pouvons pas ne pas vouloir étant d’ailleurs notre perfection d’homme, — ainsi P. Janeï (La Morale, n. 218 sq.) —, ou la béatitude, — ainsi Taparblli (Droit naturel, trad., t. I, n. 94 sq.) —, ou même la gloire de Dieu’.

5) SchiI’Tini nous semble représenter une opinion intermédiaire entre les précédentes et la nôtre. Une connaissance confuse et indistincte d’un Législateur, d’une Puissance cachée liant la volonté humaine, serait formellement enveloppée dans le concept d’obligation et l’expliquerait (Eth. gen., n. i/J 1 ;

— Metaph. spec., n. 397-398). On ne nous dit point d’ailleurs d’où vient le jugement moral obligeant l’homme et lui fournissant cette connaissance confuse du Législateur et de sa loi *. Nous expliquerons au contraire, dans notre seconde partie, comment, selon nous, procède la raison humaine.

6) Notre thèse paraît bien celle de S. Thomas : Conscientia obligat non virtute propria, sed virtute præcepti divini ; nonenim conscientia dictât aliquid esse faciend um hac ratione quia sibi videtur, sedhac ratione quia a Deo præceptum est. (In II, dist. 39, q. 3, a. 3, ad 3). Les développements sont donnés dansleZte Veritate, q. xviia. 3.A r um conscientia liget.

La distinction importante entre l’obligation parfaite et l’obligation imparfaite (c. a. d. notre thèse elle-même), est nettement insinuée soit en d’autres passages (spécialement I a II æ, q. 100, a. 5, ad i » m 3 : cf. tout l’article), soit par l’ensemble de la doctrine et le rapprochement des textes, spécialement sur le premier précepte.

Signalons aussi, en faveurde notre thèse, S. Bonavbnture (//( //, d. 3g, a. I, q. 3) 4, — Suarez, surtout : Le Lege, 1. II, c. vi, n. 7, cf. fin, n. 6 5, — Lugo, De Incarnation », d. v, s. 6, n. 106 sq. (éd. Vives, t. II, p. 351), — Lacroix, Theol. mor. (Venet. , 17^0), t. II, 1. V, c. i, n. 25sqq., n. 48, q. iu tout entière, — et un grand nombre de scolasti 1. Cf. Valen’sin, art. Ckiticisme Kantien : réfutation delà morale de Kant, c. 757 ; la conception de l’obligation comme nécessité de fait est bien mise en lumière.

2. Voir ce que nous disons nous-meme du caractère plus ou moins indistinct de la connaissance de Dieu, telle que nous la supposons, [fin du 1" are.)

3. Très intéressant et suggestif, si on le compara à q. 94, u. 3.

4. Qui d’ailleurs admet une certaine connaissance immédiate de Dieu (ibid., a. 1, q. 2, et De wyster io Trinilatis,

I, 1).

5. Suarez dit que les athées, s’il en existe, ne pèchent pas mortellement (De ptec, d. II, s. 2, n. 7, éd. Vives, t. IV, p. 523) ; de même Luco, Lachoix.

Quelque théorie que l’on tienne, la question pratique est surtout celle des athées, et tout d’abord celle de savoir si, tans connaître Dieu explicitement, on peut commettre un péché mortel, méritant une peine éternelle. Personne n’a défendu avec plus de vigueur lu solution négative que le Cahdinal Billot (voir dans les Etud’i du 5 mai 1921, contre Viva). Mais il pouvait citer de nombreux devanciers. 945

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ques. — Parmi les nuleurs plus récents, il faut en premier lieu citer le Cardinal Billot, De Deo Uno 5, p. 48 ; Etudes, 10 août 1920 et les articles suivants.

Nous ne voulons pourtant pas avancer que tousles auteurs de second ordre dans l’Ecole sont pour nous. Entre autres, un assez bon nombre semble plutôt favoriser Schiflini, v. g. Bannbz (in II » "’Il a « , q. 10, a. 1, éd. de Douai, spéc. p. 246, 2" col., F. — cf. Harbnt, art. cit., col. 1872 sq.). Ils se sont sans doute inspirés de Cajbtan (in Il am II", q. 10, a. 4 ; cf. > n 1> » H", q. 89, a. 6).

Position que nous défendons. — « Il faut ramener l’homme à la pensée de Dieu, dont seule l’autorité s’impose à la conscience » (Lettre des év. de France. Juin 1919. Nouvelles relig. Juillet).

On ne peut à bon droit se reconnaître obligé, que si l’on a connaissance de la volonté de Dieu. Remarquons la dualité d’aspect de ce motif : il s’agit, non pas seulement de Dieu, mais de son vouloir. Nous dirons en somme ces deux cboses : pour que nous puissions nous reconnaître pleinement obligés, il faut qu’un Objet s impose souverainement par ses propres titres à notre respect et à notre amour, et ce ne peut être que l’Excellence de Dieu. Il faut de plus que l’exerace de ce respect et de cet amour nécessite catégoriquement ceituines déterminations, d’ailleurs physiquement libres de notre part, certains actes ou certaines omissions, et ce ne peut être que parce que la négligence de ces actes ou la position de tels autres déplaît à la Souveraine Excellence, c’est-à-dire est contraire à sa volonté’.

L’Excellence divine constitue Vobjet qui exige souverainement notre respect : exigence ontologique, titre éloigné, mais formel, en raison duquel le vouloir divin lui-même s’impose à notre soumission. Le vouloir divin constitue une différence entre ce qui plaît et ce qui déplaît à Dieu, et détermine ainsi prochainement quelles attitudes le respect de la divine excellence réclame de notre volonté libre.

Le vouloir de Celui qui est l’Excellence Souveraine, voilà donc le fondement adéquat de l’obligation. Et nous disons : il faut le reconnaître, pour se dire à bon droit* qu’on est obligé.

Voilà le thème qu’il s’agit de développer. Nous exclurons d’abord toute autre façon de reconnaître l’obligation : ce sera la partie négative de la thèse. Puis nous prouverons que cette façon est excellente : ce sera la partie positive. Dans l’une et l’autre, deux considérations seront utilisées : l’idée de dépendance et celle de fin nécessaire.

Nous examinons ensuite spécialement le cas de l’athée.

Comme conclusion, nous condenserons nos griefs directs contre chacune des opinions adverses.

PARTIS NÉGATIVE DB LA TIIÊSB

I. — Argument tiré de l idée de dépendance

Si nous analysons simplement le fait en question, l’acceptation même toute première de l’obligation parfaite et concrète, nous découvrons à fleur de conscience du sujet, comme caractère tout premier du devoir perçu, une dualité, une absolue dé 1. Volonté d’ailleurs nécessaire, s’il s’agit delà loi naturelle.

2. Nous ne nions pas qu’un homme puisse, en vertu d’un faux raisonnement, se croire parfaitement obligé. Nous ne cherchons ici que les conditions d’une adhésion légitime de l’esprit. Cela ne bous empêche pas de considérer dans toute cette thèse l’ordre ptychologiqur, pourvu qu’il soit un ordre, non un sentiment désordonné, contraire à la nature de l’être raisonnable.

pendance. Car le sujet reconnaît ce devoir comme quelque) chose de distinct de sa volonté, celle-ci demeurant physiquement libre ; et cet objet, qui n’est pas son vouloir, s’impose pourtant à son vouloir absolument, souverainement.

Considérons alors les conditions de droit d’une telle adhésion de l’esprit. Comment le sujet agissant peut-il raisonnablement, correctement, attribuer à l’objet, au devoir, cette domination absolu sur sa propre volonté, sans en apercevoir les titres ? Une relation quelconque n’est connue comme telle, que si le fondement elle terme en sont aperçus. Or les titres d’une domination souveraine sur la volonté — qui sont précisément le terme de cette rela~ tion, — ne se peuvent trouver que dans une Souveraine Excellence exigeant par Elle-même un absolu respect, et dont le vouloir réclame de notre part telle libre détermination, qui devient ainsi l’exercice exigé du respect, en matière concrète.

Ce qui fait méconnaître, croyons-nous, la nécessaire priorité de la connaissance du vouloir divin, sur celle de l’obligation, c’est l’exagération de l’analogie entre un lien physique et un lien moral. Celui-là est constitué avant d’être connu ; celui-ci est constitué prochainement par la connaissance même’. Je ne suis pratiquement obligé d’éviter le duel que si je le sais. Rien n’entre dans la réalité du devoir qui n’ait pénétré dans la connaissance, et la raison du devoir n’a de conséquences morales, c’est-à-dire le devoir lui-même, que si j’en ai pris connaissance. Mon intelligence ne se soumet à l’obligation quepar la présentation des motifs. Les deux ordres ontologique et psychologique sont confondus. Il n’est pas d’ailleurs requis que la connaissance du vouloir divin soit tellement claire dans la conscience. Elle pourra eflicacement m’obliger, à la manière des règles qui dirigent l’artiste sans qu’il croie y penser, ou de la présence d’un auguste personnage imposant respect à ceux qui vivent habituellement à ses côtés, sans attention formelle 3.

Si, au début de l’argument, nous insistons sur l’analyse concrète du fait de l’obligation, c’est pour prévenir une objection. On peut connaître concrètement un homme avant d’en saisir l’essence. De même, on pourrait penser, à première vue, que certains se connaissent concrètement obligés sans saisir cette dépendance qui constituerait essentiellement le lien moral. Dès lors, nous n’arguons pas de ce qui constitue essentiellement l’obligation, mais nous montrons directement que la première connaissance concrète de celle-ci est une connaissance de la dépendance morale absolue.

II

Argument tiré de l’idée de finalité

On ne peut à bon droit se reconnaître pleinement obligé à l’observation de l’ordre moral, si l’intelli 1. Cf. De Ver., q. xvii, a. 3.

2. Une connaissance peut être parfaitement suffisante pour que des conclusions s’en dégagent en toute rigueur, sans pourtant laisser dans l’esprit une empreinte dont il ait constamment pleine conscience. Telle une suite de déductions mathématiques, tel un long discours, tel Renseignement autrefois reçu. La conclusion, ici l’obligation, apparaîtra peut-èlre plus clairement que les prémisse.), tout au moins si, demeurant à l’état de connaissance habituelle, elle se réveille dans la conscience alors que le premier raisonnement est lointain.

Tout autre serait la connaissance implicite de Dieu, que certains auteurs, comme BaN.nez, disent suffisante. Ce ne serait pas une connaissance qui a été explicite et dont une conséquence a élé dégagée. Ce serait au contraire une conséquence non encore déduite, mais qu’on peut déduire du fait de l’obiigalion (cf. Hakent, art. cit., col. 1877. tn’.-s bien}.

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gence ne représente pas légitimement : i° qu’une certaine fin réclame absolument d’être poursuivie pour elle-même ; a* que cette poursuite requiert nécessairement l’observation de l’ordre moral.

Or, antécédemment à la connaissance de la volonté de Dieu, 1 intelligence ne peut légitimement représenter ni l’un ni l’autre.

La thèse s’en suit évidemment. Prouvons la Majeure. — L’obligation parfaite d’observer l’ordre moral est une nécessité s’imposant objectivement, c’est-à-dire à la façon d’un objet de connaissance, laissant intacte la liberté physique.

Or, du côté de l’objet, il n’y a que la lin qui puisse imposer par elle-même une détermination au vouloir 1. Elle ne peut d’ailleurs le faire que si : i° elle présente par elle-même des titres exigeant un souverain amour ; a" et si cet amour requiert la détermination en question, à savoir, dans le cas, l’observation de l’ordre moral.

N.B. — Remarquons que ces deux exigences subordonnées doivent être catégoriques, et pourtant laisser intacte la liberté physique, alin de fonder une nécessité à la fois catégorique et objective. Aussi écartons-nous l’explication de Ta parai Met des autres auteurs qui rattachent l’obligation et sa connaissance à la béatitude telle qu’elle est poursuivie inéluctablement par la nature. Ils raisonnent à peu près de la sorte : je veux nécessairement ma béatitude et dès lors, au moins implicitement, tout ce que requiert sa poursuite ; donc je veux nécessairement, d’un vouloir implicite, observer l’ordre moral.

Nous répondons : une telle nécessité, imposée à mes déterminations particulières, se réduit à une inclination nécessaire, mais non pas nécessitante. Je demeure, non seulement physiquement, mais moralement, libre de vouloir le mal, car ma propre inclination au bien, en tant que telle, n’est pas par elle-même, prise toute seule, un objet exigeant un respect sans borne. Il reste un motif d’intérêt, créant une nécessité morale imparfaite, l’obligation improprement dite.

Reste à prouver la Mineure, dont chacune des parties suffirait pour que l’argument soit complet.

ip Antécédemment à la connaissance de la volonté de Dieu, aucune fln ne peut légitimement apparaître comme réclamant absolument d’être poursuivie pour elle-même.

En effet, une telle un ne saurait être que Dieu, l’unique lin absolument dernière, l’unique Dieu que l’on doit absolument aimer et glorifier pour lui-même.

Or, est-ce par son Excellence, immédiatement, que Dieu possède ce caractère de (in absolue et actuelle ? Non, il n’est la lin absolue de tout être, qu’en tant qu’il crée pour Lui-même. S’il crée, il appartient à son Iniinie Perfection par Elle-même d’exiger l’universelle subordination de la créature, mais il dépend de son vouloir de créer et donc d’ « actuer » cette subordination (cf. th. I dans notre Ethica).

Dès lors, peut-on légitimement reconnaître cette (inalité, indépendamment du titre qui la constitue immédiatement, c’est-à-dire du divin vouloir ?

a) On ne le pourrait même pas, s’il s’agissait d’une finalité physique de la créature à Dieu, puisqu’une telle ûnalité comprend une réelle destination ; et, le pourrait-on d’ailleurs, on n’en saurait conclure une dualité morale, car de ce que ma nature est physiquement et efficacement dirigée vers Dieu, et desti 1. Cel argument, comme le précédent, est tout à fait intrinsèque et psychologique, puisqu’il s’nppuie sur lu nature concrète, tu ni de l’ul’ligalion que du vouloir, tels que la conscience les connaît.

née à ce But suprême, il ne suit pas immédiatement une nécessité morale de suivre cette direction : le fait n’est pas le droit ni l’obligation.

b) Qu’on se rappelle d’ailleurs l’opposition étudiée dans le premier argument, entre un lien physique et un lien moral. Si une finalité morale atteint le sujet par la science, si elle est pleinement constituée par la connaissance, elle ne saurait l’être sans la manifestation de ses titres, et donc du vouloir divin qui la fonde.

c) Enfin, c’est un fait que, dai : s tous les ordres, je dépends essentiellement de Dieu et de son vouloir. Comment dès lors pourrais-je faire abstraction de cette dépendance, quand il s’agit de reconnaître la règle suprême et absolue de ma vie morale ? Eh non ! je ne puis normalement l’ignorer, il appartient non à moi, mais au Souverain Vouloir, de m’assigner ma lin, celle que je dois absolument poursuivre ; dès lors, je ne puis prudemment juger de celle-ci sans remonter jusqu’à Lui.

2° Même si aucune des considérations précédentes ne portait, il suffi i ait, pour établir la thèse, de prouver la seconde partie de la Mineure, à savoir qu’avant de connaître le vouloir de Dieu, on ne peut se représenter l’observation de l’ordre moral comme requise — avec les déterminations particulières qu’elle comporte, — pour tendre efficacement à la fin dernière.

Poursuivre celle-ci, avons-nous dit, c’est aimer Dieu Lui-même. Un tel amour ne peut à bon droit paraître exiger l’observation de l’ordre moral, qu’en raison d’un déplaisir divin, d’une offense à éviter. Or on ne peut craindre, en violant l’ordre moral, un tel déplaisir et une telle offense de Dieu, que si on le sait voulant de nous l’observation de l’ordre moral.

Partie positivb db la thèse

Connaissant la volonté de Dieu, telle que l’exige sa Souveraine bonté par rapport à son œuvre créatrice, on se connaît par le fait même pleinement obligé.

Nous pouvons sans inconvénient réunir ici les doux idées de dépendance et de finalité 1.

Voici d’abord, pour un esprit rigoureux, le processus développé. Considérons comment on parvient à cette connaissance de la volonté de Dieu. D’une existence quelconque, celle par exemple du sujet actuellement pensant, on remonte au Premier Principe possédant l’Etre par lui-même, essentiellement, non comme la réalisation, l’actuation d une substance possible, mais comme réalité pure, Acte pur et parfait. Il est l’Etre, la Souveraine Bonté, ayant entre autres perfections celle de ne pouvoir se subordonner à rien et d’exiger par son Excellence même que tout Lui soit subordonné par un lien d’absolue dépendance et d’absolue finalité,

Le concevoir, sans une volonté conforme àces exigences ontologiques, est impossible. Impossible aussi de concevoir ces exigences avec cette volonté, sans reconnaître :

i° ce que cette volonté a établi, à savoir notre actuelle dépendance et notre actuelle finalité.

20 le respect absolu que nous devons à l’égard de l’une et de l’autre. Exiger d’être le Souverain Seigneur et la Pin dernière, c’est Dieu lui-même ; exiger le respect de ce domaine et de cette finalité, c’est

1. Elles ne sont pus d’ailleurs tellement éloignées l’une de l’autre, comme le montre le mot simple et profond de S. Thomus : ’( Dicitur est* $uum alicujus, quodad iptum. ordinalui » [.<. Si, a. I, ad3 um).

Dans cet argument, l’éthique générale quasi toute entière est contenue et synthétisée.

encore Dieu lui-même, considéré suivant l’une de ses perfections.

L’exercice du respect est d’ailleurs spécifié. Dieu créant notre nature avec l’harmonieuse complexité de ses facultés, de se ; tendances, de ses relations, c’est Dieu voulant l’ordre naturel, et dès lors aussi l’ordrenioral, quin’est que laconformitéde noslibres déterminations avec la nature adéquate.

Le devoir absolu de respecter cet ordre, c’est l’obligation parfaite.

Sans doute, le raisonnement spontané dont tout homme est capable est un raccourci. Cela n’empêche que la première idée que l’on se fait naturellement de Dieu, est celle de l’Auteur du monde, Maître Souverain auquel est dû tout respect, dès lors aussi le respect de son œuvre, manifestation de son vouloir 1.

Une considération attentive permettra de répondre à cette objection souvent présentée, qu’une fois la volonté de Dieu connue, il faudrait prouver la nécessité de lui obéir. L’argument précédent est précisément la réponse. Nous avons noté comme deux exigences subordonnées. L’exigence d’absolu respect qui constitue l’une des perfections de Dieu, est, avant de regarder son vouloir, ontologique et éloignée seulement ; elle me montre que s’il a une volonté sur moi, je dois lui obéir ; ce n’est pas encore l’obligation actuelle. Mais sachant cette volonté, la condition de mon devoir m’apparalt réalisée ; la nécessité hypothétique d’obéir est devenue l’obligation actuelle 2.

CAS DR LAllIhE

Objection : Il semblerait suivre de notre thèse qu’un athte n’est pas obligé, an moins actuellement. Or, sans parler de la proposition condamnée par l’Eglise, au sujet du péché philosophique 3, une telle conséquence répugne comme contraire aux exigences de la Sagesse et de la Providence de Dieu, et de plus contredit le témoignagede nombreux athées, qui affirment se sentir obligés. — On pourrait même corroborer subtilement l’objection, du chef que, la certitude de l’existence de Dieu étant physiquement libre, celui à qui il plairait de la rejeter se libérerait, par le fait même, de tout principe d’obligation non seulementactuellemais/z/< « ; e. Il se dirait que, l’existence du législateur étant tout au plus probable, il peut mépriser la loi naturelle comme douteuse : lex dubia non obligat. Même le devoir de l’enquête serait rejeté pour la même raison. La conséquence de notre thèse serait donc énorme, inadmissible.

Réponse : Pour ce qui est du péché philosophique, la cou lamnation ne semble pas trancher les cas d’exception, ni peut-être menue ie cas de l’athée pris en général (Cf. Viva, qui pourtant rejette tout péché philosophique : Trutina théologies thés, damnât. , in prop. 2 am ab Alex. "VIII proscriptam, n. 22 sq. ; — item Lacroix : Theol. moi :, t. II, n. 49 et sq).

Nous en tenant aux lumières de la raison, il nous parait invraisemblable qu’un homme dont les facultés ont pu se développernormalement, demeure toute 62 vie dans l’ignorance complète de Dieu. La divine Sagesse l’aurait fait pour une fin qu’il n’arrive pas à

1. Voir le » références données plus bas, en note.

2. … Reuerentia direile respicit personam excellenlern ; et ideo secundum dweisam rationrm excellentiæ diversas species lialirl., Piopter 1 eterenliam personæ obedU ntia debetur ejus j læitpto (II » II", q. jo^ a. 2, ad 4 U "<).

3. Il g agit d’un détordre morte grave, qui ne serait ni péché mortel, ni cause de damnation, parce qu’il n’ofleneeiait pat Dieu, qu on suppose ignoré ou tout au moins oublié. — Décret du S. Office sont Aleandre Mil, 24 août 1690, D.B., 1290 (1157).

soupçonner. Elle se doit d’intervenir par sa Providence pour qu’il en soit ainsi. D’ailleurs les argui ments de l’existence de Dieu se présentent si spontanément à l’esprit, on se demande si naturellement comment l’univers existe et d’où vient l’homme surtout avec son organisme délient, avec les ressources de sa vie physique, intellectuelle, morale 1 Enlin nous vivons en société, enveloppés par les traditions, formés et éduqués par autrui. Par quel concours d’obstacles les sources de la connaissance de Dieu seraient-elles empêchées « tout jamais de rien transmettre à un esprit humain ? 1

Pour les mêmes raisons, nous excluons l’hypothèse d’une certitude durable, et innocente — même dans son principe, — de la non-existence de Dieu 2.

Mais alors, deux cas sont à examiner : celui de l’ignorance temporaire, puis celui du doute.

i° L’athée qui ignore Dieu, objectez-vous, se dit

1. On ne peut, hélas ! s’empêcher de reconnaître avec le Caudi.xal Billot [Etudes, déc. 1920) la pernicieuse influence d’une éducation hostile aux vérités religieuses et morales, surtout, il est vrai, à notre époque, chez des peuples par ailleurs cultivés. Pourtant, même là et de la part de la société elle-même, d’innombrables occasions sont offertes, où l’attention est éveillée vert les indices révélateurs de l’existence de Dieu ; ainsi la divine Providence atteint des Ames, qui, en dépit de l’égarement profond où les ont jetées les doctrines perverses, restent pourtant douées de raison et ordonnées à la connaissance du Souverain Bien. Et comme cette finalité n’est pas gratuite, mais strictement due et naturelle, et reliant immédiatement chaque homme à Dieu, il ne semble pas que son efficacité puisse tellement dépendre des conditions sociales. Enfin, puisque le but prochain est de l’ordre moral, — à savoir que l’homme tende consciemment et librement à Dieu, l’aime par dessus tout, se soumette pleinement à Lui, — il ne suffit pas que tous aient de l’Etre Suprême une connaissance confuse, trop rudimentaire pour obliger ; la divine Providence ne saurait permettre que les hommes normalement développés quant à l’intelligence et s’en servant avec loyauté, demeurent sans savoir qu ils ont un Souverain Seigneur, dont la volonté, manifestée par son œuvre, est à respecter par-dessus toute chose. Et ceci est pleinement suffisant ; il est, avons-nous dit, inutile de distinguer ici l’Auteur de la nature, l’Ordonnateur, le Législateur.

2. Voilà pourquoi il est dit au livre de la Sagesse, c. xiii, 1 : « vani sunt omnes bominos in quibus non subest Scient.1 Dei, /i « TK(Si fjvst, vani naiura sua ». Voilà pourquoi S. Paul déclare les païens « inexcusables » dam leur ignorance de Dieu (Rom., 1, 20) ; voirie commentaire de Coi NBLy ; Pkat, La Théologie de S. Paul, Parit, 1908, t. I, p. 266). Quand le Cakdinal Billot veut rettreindre aux seuls philosophes la portée de cette condamnation, il nous semble loin des textes et a contre lui la quasi-unanimité des exégètes catholiques. On admettra pourtant avec Okicène que les philosophes sont surtout visés (Lacrance, 5. Paul, Epîire aux Romains, Paris, 1916, p. 24). — De leur côté, ies SS Pères affirment que la connaissance de Dieu est « quasi innée », et il s’agit d’une connaissance suffisante pour obliger : cf. Franzeli.v De Deo uno, tb. vu ; Roukt DE JOURNPL Enchiridion Patr. (Voir la table, mot Deus). — Voir aussi Mgr Llkoy, Les Primitifs, p. 464 sq. du même, Semaine d’Ethnologie religieuse, ! OTt, p. 312 ; — Huby, S. 3., Recherches de Se. Relig.. 1917, p. 337 sq. ; Hahent. S..)., Dict. de théol. cathol. Vacant-.Mangenot, art. Infidèles [Salut des), spéc. col. 1928 ; — Cih^ai.liek-Cha.ntepie, S. J., Relations de Chine, janv.-avril 1923 ; etc.

Quant au polythéisme, il faut noter que l’histoire ne parle que des pratiques et des manifestations extérieure !  ; plie ne révèle pas les convictions intimes des païens, qui ont pu reconnaître un Etre Supième, soit à l’intérieur, soit surtout en dehors de leur mythologie

La question du plus ou moins grand nombre d’adultes d’âge, demeurant dans l’ignorance complète de Dieu, faute d’une culture suffisante, sera traitée ici même dans un autre article ; nous nous contenterons donc d’avoir donné ces brèves indications. 951

RESPONSABILITÉ

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ùbligé ; or il ne peut l’être en raison de la volonté connue du Maître suprême ; donc on peut être obligé antécédemment à cette connaissance.

— La difficulté repose sur une équivoque. Le mot d’obligation, nous l’avons noté au début de la thèse, recouvre bien des sens. Il sulfit, pour s’en convaincre, d’analyser les divers effets — ontologiques — de la loi naturelle. Nous découvrons. comme deux séries parallèles de nécessités, qui semblent peser sur la conscience.

i)Ce sont d’abord des nécessités de droit, provenant de la connaissance de lins respectables : 1a dignité humaine, la société par exemple’.

a) Il leur correspond des inclinations naturelles, de quasi-nécessités de fait. Je ne puis pas m’empêclier de m’estimer moi-même et d’estimer la société ; dès lors, je suis incliné naturellement à mon vrai bien et au bien de la société, c’est-à-dire à l’observation d’un certain ordre moral, et tout caprice contraire engendrera un conllil entre mes tendances profondes et mon vouloir actuel.

Dans aucune de ces deux séries n’apparait la

1. 1° Exiger de soi l’estime et le respect, avoir le droit d’être reconnu comme une certaine râleur, traité avec certains égards, semble inclus dans le concept de l’excellence d’un être conscient et libre (le droit s’impose d’abord à autrui, excluant l’offensive possible : cf. ci-dessous les textes cités).

2° De plus, ce droit peut être présumé avec une certaine probabilité, en vertu d’une induction fondée sur l’oidre de fait, expérimenté dans le monde et dans l’homme. Cet arrangement des choses et des personnes, si admirable dans l’ensemble, paraîtrait s’arrêter court, sans ce complément de droits et de devoirs au moins imparfaits, sans lesquels la vie sociale n’estpus garantie. Un tel postulat, une telle probnbilité d’inférence ne dépasse pas, semblel-il, la portée d’un esprit positiviste.

3* Mais il y a entre l’obligation parfaite et l’obligation imparfaite, même fondée sur la connaissance d’une valeur objective suivant le processus analytique que nous indiquent en premier (l r). des différences considérables, et la distun :e de l’infini au’fini :

o) L’obligation parfaite est : k) absolue simpliciter, étant fondée sur une existence absolue simpliciter (qui ne pourra être que Dieu, dont l’offense sera infinie ; fi) inconditionnée,

« catégorique » au sens de Knnt : « Plutôt

tous les maux que la violer en quelque hypothèse, que ce soit » ; ceci n’a de sens que si l’on précise l’objet de cet inconditionné : l’ordre moral, le « decetnaiuram adæqualam n. dont on ne peut s’écaiter ; y), totale, s’étenliant à tout l’ordre moral.

b) L’obligation (de droit) imparfait » est : a) absolue sedum quid, étant fondée sur une exigence absolue tec<-ndum quid, sur une « fin en soi" qui n’est ni pur moyen, ni fin dernière, mais une dignité nécessairement estimable par la raison pour set propres titres, et dès lors t’impotant comme un droit à notre activité, réclamant une subordination de celle-ci (dans un ceitain domaine), un respect de la part de la volonté ; (i) conditionnée, pouvant se trouver en conflit avec un droit supérieur (tant que la « fin en soi » n’est pas l’absolu simpliciter) ; y) partielle, s’étendant à l’ordre qui concerne cette « fin ou soi », dam son rapport avec le subordonné : telle serait, par exemple, l’obligation d’un bolcheviste athée à l’égard de ses parents : il ne pourrait les tuer ii sa guise, sans aller contre un certain devoir ; mais la faute ne saurait avoir une grièveté infinie.

4° Nous trouvons ici le Cardinal Billot contre nous. D’après sa théorie, ce bolcheviste ne saurait avoir aucune notion de moralité (Eludes, 20 août 1920, fin de l’article). A ce compte, des philosophes comme Aristote n’auraient pas écrit le moindre mot sur la morale.

Cf. S. w., Serm. ccxxixn. 2, P. L., t. XXXIX, col. 1530 ; et d’autres textes cités par leR. P. Poktalié, Dict. de théol. cathol. art. 5. Augustin, col. 2436 (voir col. 2434 mr l’obligation parfaite) ; — S. Thomas, Il a II » e, q. 20, a. 2, ad l" m ; q.l22, a. 1 ; I » IIæ > q. 100, a. 5, ad 1""’ ;

— Sehtillanc.es, Revue de Philosophie, 1903, p. 161 sq. ;

— Piat, Insuffisance des Philosophics de l’intuition, p. 16.’).

nécessité catégorique qui constitue l’obligation parfaite, tant qu’on ne s’élève pas jusqu’à la lin absolument respectable par elle-même, qui est Dieu. En toute autre hypothèse, le droit est imparfait ; quant à l’inclination de fait, si elle est nécessaire, elle ne nécessite pas, car il n’y a pas non plus de raison absolue de la suivre, puisqu’elle n’est pas par elle-même le Bien absolu 1. Il n’y a donc qu’une nécessité d’inclination, non une nécessité objective de détermination volontaire.

Si l’athée demeurait en cet état de complète ignorance, nous ne voyons pas comment il se rendrait coupable dé faute mortelle et mériterait l’éternelle damnation, car la grièveté inlinie du péché suppose connue la Majesté inlinie. A part la peine temporelle due aux actes dont la malice est de moindre gravité 2, il serait assimilable aux enfants morts sans baptême (cf. Lacroix, Theol. mor., t. II, n. ^9). Hàtons-nous de répéter que cet état ne saurait durer, au moins toute la vie. Beaucoup même nient qu’un homme puisse se déterminer, avec une réflexion et une liberté pleines, en matière importante, sans se demander et déjà reconnaître plus profondément la portée de son acte et même de toute sa vie, c’est-à-dire sans comprendre, au moins alors, sa dépendance, à l’égard d’un Auteur qui mérite tout respect et veut être obéi 3 (cf. LeTbllier, ouvrage anonyme : L’erreur du péché philosophique combattue par les Jésuites ; voir spécialement le texte d’AMicus, p. a8, 53 ; — surtout cf. S. Thomas, I’ll « q. 89, a. 6).

1. Il peut d’ailleurs s’y mêler concrètement d autres motifs indifférents à la morale ou même condamnés par elle, comme la poussée de l’opinion, le respect humain, une certaine fanfaronnade chez un brave. Kant le notait déjà au sujet de ce fait de raison » qu est l’impératif catégorique (Fond, de la mit. des mœurs, trad. Ûelbos,

P- 134) 2. L’athée, avons-nous dit, a l’obligation imparfaite

de les éviter, en raison du droit imparfait de la nature humaine, de la société, dont l’excellence exige, selon soo degré, un certain respect. Donc, s’il commet de teb actes, il mérite une peine limitée. Lui-même, semble-t-il, doit se rendre compte que la société politique agit bien, lorsqu’elle se protège, ainsi que ses membres, en infligeant aux coupables des peines proportionnées. L assume donc d’être passible d’une peine temporelle, que pourront lui infliger ceux qui ont la charge de la Cité. Mais alors, qui donc le punirait plus justement que Dieu lui-même, Maître Suprême et Vengeur de toute société humaine et de ses membres, Juge Souverain des crimes réellement commis contre les êtres qu’il a créés ? Tout au moins, puisque l’homme, en agissant mal, mérite la <c réaction de l’ordre », violé par lui, suivant la théorie thomiste delà sanction (I a II a’, q. 87, a. 1), il ne répugne pas, il convient même que Dieu permette et approuve cette réaction venant de la créature offensée, fût ce dan* l’autre vie.

Mais comme, selon nous, l’athéisme ne saurait durer toute la vie chez ceux dont la raison est pleinement développée, tout ceci ne peut être soutenu sans correctif que dans une hypothèse par nous rejetée.

Outre Lachoix (/oc. cit), voir SuvhEZ, De pecc, disp. 11. sect. 2, n. 7 (éd. Vives, t. IV, p. 523), — disp. 111, sect. 8, n. 10 (p. 541), — disp. vu. sect. 4, n. 8 (p. 592) ;

— Dtpænil., disp. xi, sect.2, n. 14 sq. (U XXII. p. 806-208) :

— DE Luco, De I’ncarnalione, disp. v, sect. 5, n. 70, 77 in /î «e ; sect. 6, n. 112, cf. n. 108 ; — B* Bu 1 armin, lib. de Romano Pontifiee, c. 20, ad confirmalionem (cité par Lugo, ibid., sect. 5, n. 74) ; etc.

3. Ce n’est pas revenir au processus que nous prétendons réfuter dans cet article. D’après notre explication, l’homme ne se prouve pas l’existence de Dieu en suppo lant admis le fait do l’obligation ; mais, à l’occasion <x> l’acte qu’il pose, il élève sa pensée, de l’existence de monde visible et de In sienne propre, à celle de la Cause première. RESPONSABILITÉ

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a° Supposons pourtant que l’athée, tôt ou tard, ne parvienne qu’à une connaissance incertaine, une probabilité sérieuse, de l’existence de Dieu. Demeurerait-il exempt de toute parfaite obligation ?

« Ce serait, nous dit-on, une conséquence de votre

thèse ». — À quoi nous répondons : la thèse exclut l’obligation parfaite légitimement reconnue dans un état de complète ignorance de Dieu ; ce n’est plus

ie cas.

— « Oui, reprend-on ; mais une loi douteuse ne saurait obliger : tout le probabilisme repose sur ce principe ». …

— Commençons par écarter la parité. Celui qui, après enquête ou considération suffisante, doute de l’existence d’un précepte, peut le regarder comme non avenu ; il peut se dire que le législateur, s ? il existe et s’il commande, ne saurait raisonnablement s offenser d’une altitude qui n’est nullement un manque de respect.

Il n’en est plus de même si l’on passe outre sans sérieuse enquête, inconsidérément. Or, l’athée qui doute a-t-ii sérieusement considéré les motifs d’atfirmer l’existence de Dieu ? — Il ne semble pas. Autrement, la vérité se manifesterait à lui. Fait pour Dieu, doué d’intelligence pour le connaître, peut-il, usant normalement de ses facultés, rester dans l’ignorance de Celui qui est sa Fin ? Et si des erreurs invétérées n’ont pas fausse la puissance même de sa raison, le fait même de douter sur le plus grave de tous les problèmes, — dont dépend toute l’orientation de sa vie morale et où est engagé tout son être avec son éternel avenir, — doit bien l’avertir qu’il n’a pas suffisamment considéré la question.

Mais alors, les principes du probabilisme ne valent pas pour le libérer. Et par suite, tant que le doute n’est pas éclaira, mépriser l’ordre moral serait une attitude téméraire*. Rien ne dit qu’un Maitre Souverain n’en est pas offensé ; commettre le désordre, c’est donc accepter l’offense, en réaliser subjectivement la malice, en assumer toutes les responsabilités (c’est-à-dire vouloir d’une façon désordonnée, infiniment répréhensible et condamnable)^.

1. Remarquons que nous ne nous appuyons nullement sur 1 obligation où se trouve 1 athée de’faire l’enquête. Nous ne la nions pas, mais elle est une conséquence. Nous disons seulement : tant que l enquête est inachevée, rien ne libère l’athée de l’observation de l’ordre moral.Nous ne considérons donc pour l’instant que comme une condition de liberté, de non obligation, l’examen lovai qui, par voie de conséquence, est aus » i objet d’obligation, en tant qu’élément nécessaire de l’ordre moral. Les adversaire » passent trop tôt de l’ordre des jugements directs à celui des jugements réflexes.

2. Le cas serait assez étrange, d’un homme trop peu éclairé pour reconnaître sa Fin, assez averti pour être au courant des finesses de la casuistique, assez avisé poulies entendre à sa façon et se tranquilliser vraiment ainsi. Des moralistes de l’envergure de Lico (de Incarn., d. y, S. 6, n. 106sq.) n’ont pas été arrêtés par ces difficultés. Le principe lex dubia non obtigat est seulement réflexe, venant après des jugements directs, v. g. : ceci est probablement l’offense d’une Majesté Infinie. Se libérer de ces jugements directs n’est pas si facile ; il faut le temps d’une considération qui permette de décider si la probabilité est sérieuse ou non, ou se doit changer en certitude. En attendant, accepter dans sa conduite ce qui est probablement mal, c’est consentir au mal, c’est mal vouloir subjectivement. Ainsi l’athée qui doute encore de l’exiilcrice de Dieu, a reconnu d’abord la malice contre nature, de certains acte », v. g. de l’homicide, puis la malice probablement infinie de ces mêmes actes en tant que probablement réprouvé » par un Maitre Souverain, infini. De ce jugement, il n’arrive pas à se libérer. Donc subjectivement il commet la mulice infinie qu’il accepte en posant son acte, subjectivement il viole l’obligation, puisque, la reconnaissant probable, il accepte de la violer.

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C’est ainsi qu’en écartant l’objection, nous arrivons d’un coup à prouver positivement que l’athée encourt toutes les conséquences pratiques de l’obligation parfaite.

Peut-on prouver celle-ci directement, en partant des principes généraux delà thèse ? Nous le pensons, et ce que nous venons de dire l’insinue assez.

Que faut-il pour se reconnaître à bon droit obligé ? Il sullit qu’on se rende compte i° des titres qu’une certaine Fin possède par elle-mèmeà pn respect sans bornes, à un souverain amour ; et a° par ailleurs, de la nécessité d’observer l’ordre moral pour pratiquer ce respect et cet amour.

Or, avant même de conclure à l’existence certaine de Dieu, l’athée le conçoit comme une Excellence absolue et souveraine, etdès lors comme exigeant, par les titres intrinsèques à sa Bonté, un absolu respect et un tuprême amour. S’exposer au péril de l’offenser lui apparaît comme l’acceptation du mal le plus grand qui se puisse concevoir, du mal à éviter plus que tout, du mal absolument proscrit p.tr les exigences ontologiques de la Souveraine bonté.

Tant que Dieu est seulement conçu, ce péril aussi n’est que conçu, et aucune obligation actuelle ne se dégage. Mais si l’existence de Dieu apparaît probable, sa volonté, son précepte semble probable aussi. Le péril de l’offense devient imminent, c’est la violation de l’ordre moral, de l’ordre surgissant de la nature, qui le constitue. Accepter cette violation, c’est accepter ce mal absolument proscrit, conçu tout à l’heure, c’est donc transgresser une nécessité catégorique actuelle, l’obligation parfaite. (Cf. Lugo. De Incarnatione, d. v, s. G, n. 106 sq, éd. Vives, t. II, p. 351) i.

Conclusion

Critique comparée des opinions touchant l’obligation.

i° Certains laissent le point de départ, * le fait premier » de la connaissance de l’obligation, inexpliqué. Ainsi Kant : il cherche l’explication, et conclut qu’il n’y en a pas pour la science. Ainsi, d’une tout autre manière, Mgr d’Hulst, ScniFPiNi : d’autres connaissances dérivent réellement ou virtuellement du jugement touchant l’obligation ; celui-ci se présente comme une synthèse originale de l’esprit, puisque l’analyse des concepts de bien et d’obligatoire n’eu montre pas l’identité ; synthèse d’ailleurs non

Remarquons qu’il s’agit d’une obligation probable sans doute, mais concrète, pratique : « probablement Dieu veut que j’évite l’homicide, probablement II serait offensé si je commettais cet acte ». Donc ne dites pas : « l’athée craint seulementqu’il y ait offense matérielle ». Ce serait passer au stade des jugements réflexes. Il juge directement dans le concret et n’u pas de principe réflexe pour exclure du concret ce que sa raison conçoit ; mais juger dans le concret, c’est comprendre la probabilité de l’offense réelle, formelle.

En d’autres ternies, il ne peut pas dire : « dans l’ubstiait il y a probabilité d’offense, dans le concret il n’y a certainement pas d’offense » ; ou encore : « il y a péril d’offense matérielle, il n’y a pas de péril d’offense formelle » ; parce qu exclure celui-ci, suppose le principe réflexe lex dubia non obligal, dont il ne peut se servir,

— faute, nous l’avons dit, de pouvoir se rendre le témoignage qu’il a fait l’effort loyal et convenable pour arriver a la lumière. Et si l’on objectait qu’il peut en cette matière se tromper, se former faussement, mais de bonne foi, la conscience, de façon à se tranquilliser, je répondrais que les arguments qui excluent l’ignorance invincible de Dieu, excluent aussi celle invincible sérénité, sinon peut-être pour un temps.

1. Le raisonnement se résume ainsi : si un tel péril existe.il faut absolument l’éviter. Or il existe. Donc… 955

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seulement invendable, mais illégitime, puisqu’elle énoncerait une dépendance, sans qu’apparaisse de terme dont on dépende, et atliruierait d’emblée nécessaire une fin qui n’a pourtant pas les caractères d’une lin dernière.

a" D’autres s’arrêtent à une nécessité de fait : je dois vouloir, se réduit à : je veux nécessairement, non pas explicitement, mais par inclusion dans le vouloir profond de ma nature. Je m’aime nécessairement ; or, s’ajmer — vraiment, efficacement, comme il convient, — c’est vouloir l’ordre moral. — Mais on ne justifie pas suffisamment cette identité posée entre un amour quelconque de soi et un amour vrai, efficace. Il ne reste, précision faite, qu’une inclination de fait pour l’ordre moral 2. Il y aurait à discuter la valeur de la nature et de ses inclinations. Etre iini et subordonné, suis-je donc une lin absolue, à

1. Nos réfutations rencontreront de lu résistance citez ceux que tentent les thèses subtiles de l’Ecole de Louvain en faveur du caractère synthétique de certains premiers principes, par exemple du principe de raison suffisante. (Voir notamment : Revue Néo-scot., 1912, p. 463, S4.)

a) Nous croyons avoir de bonnes raisons pour rejeter cette doctrine. Le principe de raison suffisante, dont il s’agit surtout, nous semble le résultat d’une analyse ricoureuse, non purement verbale, mais conceptuelle, qui permet de poser successivement les formules suivante » : 1° ce qui est nécessairement, est ; 2° ce qui nécessairement n’est pas, n’est pas ; 3° ou identiquement, ce ce qui ne pout être, n’est pas ; 4° ce qui ne peut être tant X, n’est pas sans X. Or « raison suffisante » d’un être, signifie ce qui est nécessaire pour qu’if soit, ce sans quoi il ne peut être [quelle que soit d’ailleurs l’origine de ce concept) ; d’où 5° ce qui est, n’est pas sans raison suffisante {c’est-à-dire sans ce qui est tequis pour qu’il soit). C’est le principe en question.

Quant a la formule, donnéepar certains, du même principe : tout èlre est intelligible, elic ne diffère de la précédente que par son caractère réflexe : ce qui est, n’est pas sans ce que l’on comprend être requis pour qu’if « oit (c’est-à-dire être sa raison suffisante).

b) Supposons pourtant que la lliéorio de Mgr Laminnf voit susceptible d’une interprétation exacte. Entre elle et ia thèse incriminée au sujet de l’obligation, il y a une différence essentielle. D’aucuns en effet, tout en refusant de reconnaître le principe déraison suffisante comme analytique, en suggèrent des explications qui veulent être soiti’ne toute objectives. Rieu de semblable pour l’obligation où l’on croit constater un fait premier et mystérieux dans l’ordre de la connaissance, ta portée de l’affirmation, première et nécessaire de l’esprit dépassant ici celle des motifs qui se présentent à lui tout d’abord, de telle sorte qu’il est provoqué à chercher plus haut une explication transcendante delà dépendance morale et de son caractère absolu. C’est cette disproportion entre une évidence première et les motifs premiers, que nous affirmons répugner à la nature de notre raison. Nous ne voyons pas sans voir.

2. Tout se réduit a l’intérêt profond que naturellement nous inspire ce qui nous fait vraiment hommes. Il semble clair que l’obligation ainsi conçue n’est plus le devoir. Ce n’est pas la nécessité catégorique de bien agir, dont le motif s’impose par ses propres titres à notre absolu respect, dont la violation constitue formellement une faute, mais une sollicitation impérieuse de noire nature, n’ayant pas par elle-même d’autorité au sens strict, et a laquelle il serait loisible de résister sans commettre une faute de ce seul chef. En conséquence, on perd de vue ici ce qu’en morale il importe le plus d’expliquer et l’on résoud un problème voisin. — Sans doute 1 inclination naturelle a un rôle à jouer pur rapport au devoir, et sans elle celuici serait inintelligible. De même que Dieu ne peut élever une pierre à l’ordre de la grâce et de la vision héatique, il ne saurait imposer l’obligation à une nature incapable d’y répondre. Mais cette capacité requise, cette inclination a se diriger vers sa fin ne sont pas pour autant un élément formel et constitutif du devoir ; elles ne fournissent qu’une condition sine qua non, et sont à l’obligation un peu ce qu’est, a l'âme humaine créée par Dieu, la matière prnchainementdisposée pour la recevoir.

laquelle soit dû un respect sans bornes, un amour par-dessus tout ?

3° Et dès lors apparaissent aussi jugés, ceux qui réclament dès d’abord une nécessité de droit, — ce qui est bien l’objet du problème, — mais croient trouver le motif suffisant du jugement qui l’accepte, soit danslanature raisonnable de l’agent(VAsuuisz), soit dans l’ordre objectif (Gkhdil), soit dans le bien moral (du Roussaux, Ethique, Bruxelles, iyo8) '. Ainsi les uns laissent de côté le vrai problème, l’explication — dans l’ordre de la connaissance — d’un jugement porté non seulement de fait, mais valablement sur l’obligation. D’autres ne donnent aucune solution ou se contentent d’une réponse inadéquate. 4° Nous disons : si tout bien est aimable suivant son degré et son caractère, le Bien souverain et absolu est aimable souverainement et absolument 2. C’est même une de ses perfections, d’exiger de la part de Dieu qu’il se subordonne toute créature, de notre part que nous respections cette subordination. Par cette double exigence, il fonde en dernière analyse la nécessité de droit et catégorique. Pour que cette nécessité soit actuelle ou de fait, il suffit d’une considération de la raison, par laquelle nous reconnaissons i° que Dieu se constitue notre fin et veut être glorifié par l’observation de l’ordre moral ; 2° que dès lors nous dépendons actuellement, que nous dévoua respect et obéissance, que nous sommes absolument astreints à la subordination touchant l’exercice concret de notre liberté.

5° C’est bien la même solution que nous avons étendue au cas de doute sur l’existence de Dieu. Cette extension n'était peut-être pas d’ailleurs absolument requise. Des raisons exposées plus haut permettent en efTet de considérer, non seulement l’ignorance complète ou la certitude dans la négation, mais aussi le doute au sujet de l’existence de Dieu, comme des exceptions temporaires. Même si, au début des deux derniers états, il n’y avait pas eu péché contre la lumière, il faut, nous semble-t-il affirmer que tôt ou tard une intervention de la Providence, exigée déjà dans l’ordre purement naturel, met l’homme en demeure de se prononcer avec une lumière suffisante sur l’orientation suprême qu’il prétend donner à son activité.

Conséquences pour l’apologétique. — Qu’on ne nous reproche pas de faire perdre à l’apologétique un des arguments les plus populaires (?) de l’existence de Dieu. Nous prétendons en garder, sinon le formel, au moins tout le bénéfice pratique. Peu importe que le jugement concernant Dieu soit, relativement à celui de l’obligation, une prémisse nécessaire ou une

1. Ceux qui s’inspirent de Cijktan (iu Iam Uæ t q. go, , a. 6, et Uam J|ao), |. 10, a. 1), insinuent ou même proposent explicitement une voie moyenne. Ainsi Pallavicim, du Pakmtk.n 1 ia, cap. x, et tout récemment le K P. Bn’ivinr dans un remarquable exposé (Nouvelle Revue thcologique, avril 1921). Il a voulu « montrer et que l’homme, ayant la notion du bien moral, a la uotion du bien absolu, et que cette notion s’identifie, au moins confusément, avec celle de Dieu, législateur transcendant personnel » |loc cit., p. 179 en noie). ScHIFFIMI disait à peu près la même chose. — Nous avons déjà exprimé notre sentiment au sujet de l’insuffisance d’une connaissance implicite de Dieu pour obliger parfaitement, reconnaissant, d’ailleurs la possibilité d’une obligation imparfaite chez l’athée (coll. '.'14et 951). Nous ne voyons pas non plus cette identité confuse entre l’idée abstraite de bien et l’idée d’un Etre personnel, conscientet libre, digne alors seulement d'être respecté pour lui-même, capable de plaisir et de déplaisir, pouvant dès lors Aire offensé. « Le respect s’adresse à la personne. i> (ll a ||æ) q. 104, a. 2 ad 4 « m). Cf. notre Ethiea, thés 21, resp. ad inst. obj. 3.

2. C’est comme cela que nous expliquons le paisage de l’obligation imparfaite à l’obligation parfaite. RESTRICTION MENTALE ET MENSONGE

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conclusion inévitable. De toute façon, la connexion est pour le moins implicite, et l’on peut présenter le raisonnement sans prendre parti pour l’une ou pour l’autre des opinions.

On dira par exemple : Vous vous dites obligé ? Mais se reconnaître obligé sans admettre Dieu, c’est pécher contre la logique. L’obligation est un lien moral, un assujettissement de la volonté. Mais on ne se lie pas soi-même, on n’est sujet que d’un autre ; et si l’assujettissement est absolu, cet autre ne peut êtrequ’un maître souverain, c’est-à-dire Dieu. Quand nous violons l’obligation, uous éprouvons des remords, la crainte des châtiments. C’est reconnaître implicitement que nous résistons à une voix qui n’est pas la notre, que nous abusons d’une lumière venue de plus haut, que nous offensons un Maître ayant puissance pour nous châtier. Donc, si nous nous disons obliges, nous reconnaissons implicitemont (comme prémisse ou comme conclusion) qu’il existe un Maître souverain, qui est Dieu.

J’admets que, dans notre position, ceci n’est pas on argument proprement dit pour prouver Dieu. On ne prouve pas ce qui est admis comme prémisse. Mais, encore une fois, il s’agit du point de vue apologétique, uniquement.

J’ajoute qu’avec cesréserves, on retient l’avantage de pouvoir répondre à ceux qui, ne partageant pas nos certitudes religieuses, s’aviseraient de prendre l’offensive contre un argument — ou un procédé, — semble-t-il, trop vanté.

Il n’y aurait qu’à mettre les choses au point, comme nous espérons l’avoir fait’.

Marcel Nivako, S.J.