Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Résurrection de la chair

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 497-508).

RÉSURRECTION DE LA CHAIR — La Révélation chrétienne, en ouvrant par-delà la tombe la perspective de la Résurrection corporelle, trans983

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figure la leçon austère de la mort. A l’immortalité de l’âme, vérité démontrable par la raison pure, elle donne un complément mystérieux. Glorieux paradoxe de notre foi, contre lequel, d’ailleurs, les objections ne manquent pas ; nous les examinerons, après avoir rappelé les présupposés du mystère.

D’où trois points : I. I.a mort. — II. L’immortalité de Vaine. — III. Résurrection de la chair.

1. La mort- — La mort, qui dissout l’être humain, frappe nos regards comme un phénomène affreux. Rorner nos regards au phénomène, c’est tout l’effort de certaine philosophie. Elle n’en souligne l’aspect douloureux que pour détourner l’homme de chercher, dans la pensée d’un au delà, diversion et réconfort. Sous prétexte de virilité, elle lui trace un programme à la fois audacieux et austère : audacieux par ses négations, austère par les ravages qu’il exerce. Pour un peu, elle reprendrait, mais en le nuançant d’amère ironie, le mot de l’éternelle Sagesse invitant l’homme à faire bon visage à la mort :

« O mort, ton jugement est bon ! » (Eccli., xli, 3), 

mot grave et tendre au cœur de l’homme orphelin. Elle lui répète cyniquement : Tout est bien fini à la mort ; attache-toi à la vie présente ; borne-là ton espoir, tes efforts, ton dévouement.

Malgré certaines complicités de l’homme animal, ce programme ne trouve pas dans toutes les âmes facile accueil. Cur il blesse la fierté de l’homme supérieur ; il contrarie le vœu de la nature ; il contredit l’enseignement de toutes les religions. Cependant on met parfois beaucoup d’ingéniosité à le p.irer, à le rajeunir. Voyons comment on procède.

"Volontiers, on commence par éconduire les religions, personnages désuets avec lesquels on ne daigne plus discuter. Les fables qui bercèrent l’enfance de l’humanité ont fait leur temps ; la science achève de liquider ce fonds légendaire, et ce qui en reste, apparaît aujourd’hui négligeable. Cela dit, comme pour mémoire, on s’occupe de calmer l’imagination et le sentiment.

Impossible de récuser le fait brutal de la mort, ni de rejeter ses enseignements ; mais on prétend les limiter et les rectifier. Que l’homme apprenne de la mort le peu que pèse une existence humaine dans les balances de l’universelle Nature, devant l’immensité de l’espace et de la durée. Que l’homme apprenne de la mort à modérer ses désirs, à enfermer ses rêves dans l’étroite carrière qui lui est mesurée. Que l’homme apprenne de la mort à ne pas se raidir contre une nécessité inéluctable ; à subir sans étonnement les accidents de chaque jour, en attendant la suprême catastrophe. Que l’individu apprenne de la mort à se dévouer pour le bien-être de l’espèce, à fournir aujourd’hui sa part de travail s.ins souci du lendemain, content de se survivre en autrui, prêt à se coucher dans le sillon ouvert, pour y dormir l’éternel sommeil. Car la mort n’est qu’an sommeil un peu plus profond, dont le repos de chaque nuit ramène l’apprentissage. Que l’homme apprenne de la mort à ne pas faire plus de cas d’une existence éphémère que de tout autre remous qui se produit à la surface mobile des choses. La réalité vraie et seule digne de considération, c’est l’Océan d’être d’où il émergea un jour pour sombrer bientôt, conscience imperceptible el combien fragile, dans l’immensité de la conscience universelle. Et donc, que l’homme désapprenne à peupler de mythes le ciel et la terre, à doter la vie présente d’on ne sait quel prolongement fantastique. La thèse phénoinéniste s’achève volontiers en panthéisme agnostique, revendiquant pour la Nature cette divinité d’où le Créateur est rondement déclaré déchu. Ainsi

la mort, loin d’être la lin de toutes choses, se présentera comme la face négative d’un perpétuel devenir condition du progrès cosmique.

Ce thème général une fois donné comme certain et définitif, on mettra plus ou moins de passion à battre en brèche les vieux préjugés qui prolongent l’existence de l’homme par delà la tombe.

L’immortalité de l’àme : noble chimère, qui ne repose sur rien, car ceux qui dorment leur dernier sommeil n’ont pas coutume de nous faire parvenir de leurs nouvelles, et aucun écho ne nous arrive de ces régionsd’ontre-tombe, complaisamment peuplées par l’imagination des théologiens et des poètes. Noble chimère, qui peut fasciner des natures ardentes et provoquer de généreux efforts, mais fausse et décevante, comme cette autre grande chimère où elle s’appuie, l’imagination d’un Dieu personnel et distinct du monde, deus ex machina des divers spiritnalismes. Noble chimère, dont l’humanité n’achèvera de se déprendre qu’en acquérant un sens plus aigu des réalités prochaines et tangibles, seules réalités dignes de ce nom.

La résurrection des corps : autre rêve beaucoup plus absurde, car il contredit toutes les données de l’expérience, toutes les inductions fondées sur l’observation de la vie ; uniquement appuyé sur de prétendues révélations, favorisé par le désir qu’a l’homme de se survivre et par l’opinion beaucoup trop flatteuse qu’il s’est faite de sa supériorité sur les autres animaux.

La vie et les sanctions d’outre-tombe : décor usé, imagerie enfantine.

Il faut avoir le courage de regarder la réalité en face, de tenir l’homme pour ce qu’il est : t le songe d’une ombre », selon le mot du poète, un phénomène qui, par la porte de la mort, retourne au néant. Du conflit de toutes les religions, de l’échec de toutes les hypothèses, depuis l’antique nécromancie jusqu’au moderne spiritisme, une conclusion se dégage. L’homme digne de ce nom est celui qui, prenant virilement son parti des limites essentielles de son existence, s’applique à tirer immédiatement de lui-même, en ce petit coin de l’espace et de la durée, le maximum de rendement, non en vue d’un intérêt égoïste, mais en vue dé l’espèce humaine et du monde, et ne demande à la vie que ce qu’elle peut présentement donner.

Ainsi raisonne, sur cette perpétuelle actualité qu’est la mort, une philosophie d’ailleurs ambitieuse.

Malgré une vaine affectation de rigueur, le raisonnement apparaît faux dès son point de départ, abject et cruel dans son aboutissement.

  • 11. Immortalité de l’àme. — Au point de départ,

il eût fallu, en s’altachant à considérer la mort, ne pas oublier de considérer d’abord la vie, phénomène non moins constant et encore plus instructif. La vie, et non la mort, nous livre le fond des êtres. Leur activité, prise sur le vif, permet seule de pénétrer leur nature. Avant même la leçon négative de la mort, il faut entendre la leçon positive de la vie.

Or l’observateur attentif de la vie humaine sera frappé du caractère singulier de certaines manifestations qui élèvent 1 homme bien au-dessus de tout le sensible et au-dessus de tout ce qui passe. Bien au-dessus de la matière inorganique, bien au-dessus même de l’animal, dont l’activité, si admirable soit-elle, est dirigée vers un objet sensible et particulier, gouvernée par l’instinct de l’espèce, assujettie à des lois inéluctables. Il n’appartient qu’à l’homme de refléter dans un concept mental, non pas un tel objet existant, mais tous les objets possibles, e# nom983

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bre infini, qui répondent ou pourraient répondre au même concept. Il n’appartient qu'à l’homme de concevoir L’immatériel ; — pourquoi ? sinon parce qu’il en porte en lui-même la réalité. Il n’appartient qu'à l’homme de s’orienter dans le domaine des biens finis, matériels ou immatériels, non par impulsion fatale, mais par libre choix, appréciant celui-ci et celui-là, les comparant, et linalement se déterminant lui-même par un mouvement dont il prend l’initiative et garde la responsabilité. Il n’appartient qu'à l’homme de varier à L’infini ses expériences, de développer son industrie en mille directions, de progresser par la science, par l’art, par la vertu, donnant à ses propres forces et aux applications de ces forces des développements toujours nouveaux. Il n’appartient qu'à l’homme de dépasser tout le sensible et tout le lini, et de poursuivre le beau idéal, le bien idéal, par une ascension intellectuelle et morale que rien ici-bas ne limite ; de sacrilier tout ce qui passe et de sacrifier son être même pour l’objet de son amour désintéressé, de son abnégation héroïque.

Tel est le fait qui, d’abord, s’impose à l’attention et ne permet pas de raisonner sur l’homme simplement comme on raisonne sur 1 animal. Car, à moins de voir partout des effets sans cause, on doit reconnaître dans le fond de la nature humaine un foyer d'énergie, disons le mot, une substance, irréductible à ia commune mesure de l’univers matériel. S’il a plu à l’Esprit-Saiut de constater la parité de l’homme et Je l’animal devant la mort [Eccle., iii, kj), e’a été pour souligner l’universelle vanité de tout ce qui ji isse, non pour affirmer que l’homme passe tout entier. Assez d’autres pages, dans l’Ancien Testament, affirment en l’homme l’existence d’un principe supérieur qui échappe aux prises de la mort.

La pensée, avec la pensée le vouloir, irréductible aux forces de la matière et attribut propre de l’esprit, tel est le fait d’observation constante.

Comme l’opération ne saurait dépasser la perfection

« lu principe d’où elle procède, il faut reconnaître

l’eminence de ce principe. Toutes les observations limitées aux apparences sensibles, toutes les déductions qu’on y appuie sont en défaut, dès qu’on s’imagine avoir atteint par là le tout de l’homme. Les réponses de mort qu’il porte en lui n’ont aucun sens quant à cette partie de lui-même qui habite dans le corps sans être du corps.

Et l'àme spirituelle est devant nous, impalpable et invisible, insaisissable à tous les procédés matériels d’investigation, mais indéniable quant à son existence, incoercible dans son activité, indestructible aux attaques du temps. A cette constatation, le matérialisme pourra bien opposer des négations, mais il ne saurait opposer des raisons. Car, pour raisonner.il faut, à chaque instant, faire appel au principe de cause. Et le principe de cause dépose en faveur de l'àme, avec une évidence que nulle accumulation de faits matériels n’obscurcira.

Ame spirituelle, et donc immortelle. Les deux propriétés se tiennent. En vain l’on dira : « Rien n’est plus naturel à l'être uni, que de finir. » L'âme spirituelle n’est pas simplement finie. Bornée dans son être et dans ses facultés, elle a néanmoins sur l’infini des ouvertures qui témoignent de sa haute destinée. On aura beau insister sur la limitation manifeste de l'être humain, sur sa déchéance au cours des années sur la crise finale qui l’emporte : on ne Opprimera pas cette vie supérieure qui se transmet dans l’humanité, vie étrangère à l’organisme, et dont le principe survit à la ruine de l’organisme. C’est le témoignage de la nature.

Et qu’on ne dise pas : t II doit suffire à la nature,

à l’espèce, de subsister dans la chaîne indéfinie des individus qui se transmettent le flambeau de la vie. » Non, c’est l’individu lui-même qui s’affirme comme titulaire exclusif d’une énergie spirituelle, non pas simplement diffuse dans l’espèce, mais réellement propre à cet individu, énergie intéressée sans doute aux opérations de l’organisme, mais supérieure à l’organisme, et donc capable de lui survivre. Celui-là seuldoit pouvoir le replonger au néant, qui seul a pu l’en tirer. De soi, l'àme est indestructible.

Ainsi, le raisonnement qui condamne l’homme à périr tout entier, apparaît-il faux dès son point de départ.

Dans son aboutissement, il apparaît abject et cruel.

Abject, car il coupe l’homme de toute relation avec ce qui ennoblit le plus sa nature.

Cruel, car il mutile l’homme de ses meilleures espérances.

Rien n’ennoblit tant la nature humaine que son appartenance à la société des esprits. Ce n’est pas là un vain mot, mais le titre d’une libation naturelle, qui oblige à chercher par delà ce monde matériel l’Auteur de son exislence.

Avoir reconnu la dignité de son àme spirituelle, est assurément pour l’homme un bienfait. Ce bienfait n’acquiert tout son prix que le jour où l’homme connaît encore d’où il vient et où il va.

Dira-t-on qu’il lui importe assez peu d'être ici-bas comme un enfant trouvé de l’universelle Nature, ou bien comme le fils privilégié d’un Dieu créateur qui a marqué le but de son existence ? Ce serait avoir trop peu d'égards à ces facultés spirituelles qu’on a reconnues en lui et qui ne peuvent se reposer sans découvrir le pourquoi des choses, surtout le pourquoi de l’homme. Le même principe de causalité, qui décèle dans l’homme la présence d’une àme intelligente et libre, décèle aussi dans l’homme, et surtout dans l'àme, des attaches essentielles avec une Cause première. Ni l’espèce humaine, ni l’universelle Nature n’est cette Cause première. Les virtualités mystérieuses des êtres vivants livrent bien à notre regard inquisiteur la loi de propagation des espèces ; elles ne livrent pas l’origine de l’espèce, beaucoup moins celle de notre espèce. L’origine de l’espèce demeure une énigme insoluble ; et non seulement l’origine de l’espèce, mais encore, dans l’espèce, la raison d'être de l’individu.

Etre apparu un jour au rivage de la vie avec ces facultés indépendantes de la matière, non pas sans doute quant à leur éducation ni quant aux conditions de leur exercice, mais quant à leur fond et à leur acte propre ; facultés dont il est impossible de signaler le germe dans l’ascendance paternelle ou maternelle, car le (lambeau de l’intelligence ne s’allume pas en vertu d’un processus organique ; voilà qui met aux abois, depuis des siècles, toute métaphysique, et oblige de chercher une réponse dans le recours direct au suprême Artisan de l'être humain. Rien ne sert, en effet, de dire : « La loi de l’hérédité veut que cet enfant reproduise le type ancestral, qu’il soit mis, comme ses parents, en possession d’une intelligence et d’une volonté libre. » A cette loi de l’hérédité, il faudrait d’abord assigner une raison suflisante : c’est ce qu’on ne fera jamais sans dépasser le domaine des causes organiques, sans recourir à un Ouvrier intelligent, d’où procède tout le dessein de l’espèce et qui continue de s’intéressera son œuvre. Remonter indéfiniment de génération en génération, c’est reculer la difficulté sans faire un pas vers la solution. Aucun être fini

— soit matériel, soit à plus forte raison spirituel,

— ni aucune série d'êtres ne possède en soi la rai987

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son suffisante de son existence ; et l’on n’aura vraiment ébaucbé la solution du problème de l’origine de l’ànie, que lorsqu’on aura posé, en dehors de toute la série, une Cause indépendante, qui ait pu lui donner l’être.

Cette Cause première de tout être uni, et particulièrement de l’àme spirituelle, ne peut être que spirituelle elle-même ; intime en puissance et en durée, puisque elle seule ne saurait rien devoir à personne ; elle seule évoque à l’existence tout cet univers et n’a pu s’évoquer elle-même. La reconnaître et lui rendre hommage, est le suprême honneur de la créature raisonnable. Se perdre dans les détails d’organisation de l’œuvre, sans savoir ou sans vouloir élever les regards jusqu’à l’Ouvrier, est assurément un malheur ; et on a le droit d’appeler abjecte la doctrine qui condamne l’homme à ignorer Dieu. ^

Doctrine abjecte ; et doctrine cruelle, car en condamnant l’homme à ignorer pratiquement Dieu, elle supprime ce commerce filial avec la divinité qui seul fait briller, dans les bas-fonds de notre existence terrestre, un rayon de la lumière éternelle ; elle le mutile des meilleures espérances qui peuvent échauffer son cœur et le vivifier.

Tout esprit qui se connaît, en même temps qu’il prend conscience de sa dignité, lit au fond de son être le devoir d’adoration qui doit prosterner tout esprit devant le Père commun. Avec ce devoir d’adoration, première loi de sa vie affective, il connaît le devoir de sympathie qui doit l’incliner vers les autres lils du même Père, à proportion qu’il reconnaît en eux les traits de famille. Toute la création spirituelle prend à ses yeux l’aspect d’une vaste société de frères, où la dépendance du même Père doit maintenir la paix et l’harmonie. Voilà le sommet d’où la vie des âmes et la destinée de l’espèce prennent un sens. A vouloir s’enfermer dans le domaine créé, on peut encore trouver à la vie présente un sens, restreint à la conservation et au bien-être de l’espèce. Tant pis pour qui s’en cou tente. Prescrire à l’homme de s’en contenter, c’est tarir en lui la source de l’adoration et du sentiment filial envers Dieu. Ce malheur est grand, même pour qui ne devrait, par ailleurs, connaître Dieu qu’au seul titre de Créateur.

Mise en présence de Dieu, qui a fait le ciel et la terre demeure de l’humanité, qui a prescrit à lactivité supérieure de 1 homme une loi, l’àme comprend la raison du décret par lequel Dieu borne ici-bas sa course ; elle le comprend, et, en rendant grâces pour le don de la vie, s’incline devant la loi de la mort. La vie lui apparaît bonne, car par delà le jeu des causes secondes, par delà leurs atteintes ou caressantes ou rudes, elle voit le dessein du suprême Ouvrier, qui se poursuit sans faillir. Et la mort lui parait juste, qui limite sa carrière terrestre selon le même bienfaisant dessein. L’instant qui clôt l’ère de l’épreuve, ouvre l’ère des récompenses ; que faut-il de plus pour rendre aimable un dessein conduit par l’amour d’où descend toute paternité ?

Loin de considérer la mort comme la fin de tout, l’âme la salue comme la porte brillante qui donne accès aux biens solides, aux biens éternels. Loin de pleurer ce qu’elle quitte, elle aspire à ce qu’elle va posséder, à la société des âmes qui la précédèrent dans la paix ; car elle pense bien que Dieu se plaît à réunir, en les comblant, ses bons serviteurs. Elle réiablitl’échelledes valeurs en mesurant tout d’après ce dessein éternel qui seul importe ; et au lieu de borner son ambition à procurer, dans sa petite sphère, le bien temporel de ses semblables, elle aspire à entraîner vers le rendez-vous éternel le

plus grand nombre possible de ses amis et de ses proches. Ce monde lui apparaît pénétré d’une pensée aimante, qui dispose à bon escient de la vie. Mais surtout il lui apparaît pénétré d’attractions divines qui, par les sentiers de la vie, acheminent les âmes vers les biens impérissables, placés sous la garde de la mort.

Vain mirage, dira-t-on, et morale servile. Vous réglez votre croyance sur vos rêves, et ces rêves n’ont pas même le mérite du désintéressement. Vous aspirez à des biens chimériques, vous vous forgez d’absurdes épouvantails, et vous ne connaissez le devoir que pour agir en mercenaires. Vous prétextez le vœu de la nature, et vous vous en autorisez pour rééditer les mythes de Platon. Assez parlé des Champs-Elysées et du Tartare. L’humanité a marché depuis ce temps-là.

Reconnaissons qu’elle a marché. Maisnouscroyons qu’elle s’égarerait si elle venait à se détourner des vieux dogmes spiritualistes, si enveloppés fussent-ils de mythes à certaines périodes de leur histoire. Nous ne sommes dupes ni de l’imagination ni du sentiment.

Car nous fondons la croyance à l’immortalité de l’àme, non pas sur un rêve, mais sur la réalité de sa nature spirituelle, prise sur le fait de son opération quotidienne. Nous la fondons encore sur la sagesse de son Auteur, de ce Dieu créateur que l’univers postule, en dépit de tout phénoménisme, et qui ne saurait agir à la légère, tirant aujourd’hui du néant la créature spirituelle et l’y replongeant demain, d’un geste brouillon. Mous la fondons encore sur la justice du même Dieu, qui se doit à lui-même de réprimer le désordre survenant dans son œuvre. Le scandale du vice triomphant, le gémissement de la vertu opprimée appellent un règlement de compte, qui souvent fait défaut ici-bas. Reste, qu’il s’accomplisse au delà de ce monde ; et il s’accommoderait mal d’une existence limitée, car le coupable qui pourrait escompter la fin de sa peine, remporterait sur la justice une sorte d’avantage. Le dernier mot doit rester à Dieu.

Nous n’allons pas chercher dans les sanctions d’outre-tombe le principe générateur de la loi morale ; mais nous croyons au devoir ; et, avertis par la nature même, nous ne sommes pas surpris de reconnaître dans la destinée de l’homme la marque de eette divine Sagesse qui, dans l’ordre établi par elle, a dû faire concorder le devoir et l’intérêt. Si nous invoquons le vœu de la nature, ce n’est pas pour demander à nos désirs le secret d’un mystère qui nous dépasse ; mais c’est, encore une fois, parce que l’on doit s’attendre à retrouver, dans les profondeurs de la nature raisonnable, l’empreinte de cette même pensée créatrice qui a dû orienter son œuvre la plus parfaite vers le but le plus élevé. D’où il est permis de conclure que l’aspiration de l’homme vers un bonheur éternel ne trompe pas.

Il ne s’agit ni de trahir les devoirs présents ni de ressusciter les vieux mythes. Mais nous nous permettons de croire que les vieux mythes n’ont pas à redouter la comparaison avec la morale affranchie de tout dogme, non plus qu’avec les fadaises du spiritisme ; qu’ils peuvent même être pleins d’un sens profond et encore digue de mémoire ; qu’à trop railler les Champs-Elysées ou le Tartare, l’humanité s’exposerait à prendre le change sur des vérités qui n’ont pas vieilli, vérités qui sont le fondement éternel de toute morale, comme de toute religion. Nous croyons qu’il serait cruel de fermer ces horizons qui attirèrent toujours l’élite de l’humanité. Ceux où l’on propose de la murer l’étoufferaient. Pour vivre, elle réclame l’air et la lumière de ce que la 989

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vieille langue chrétienne appelle si bien s les grandes vérités «.

Et nous n’avons rien dit des clartés supérieures répandues sur les mystères de la vie et de la mort par la révélation du christianisme. Nous n’avons rien dit de l’agonie du Christ en croix, acte d’obéissance héroïque et d’abandon tilial. parfait modèle du dénouement de toute vie. Nous n’avons rien dit de la nouvelle société îles âmes, de cette famille surnaturelle où le Christ a rang de Fils premier-né, de cette vie supérieure qui circule dans les veines de l’humanité régénérée. Tout cela est vain pour qui n’a pas le bonheur de croire à l’incarnation du Verbe divin. La croix l’ut un scandale pour les Juifs ; la bonne nouvelle de la résurrection fut un sujet d’amusement pour les beaux esprits de l’Aréopage. Mais ceux que le rayon d’en haut avait touches virent dans ces nouveautés un incomparable agrandissement des pensées humaines.

Ce qui fixe notre espérance, c’est, d’une part, l’impuissance de tous les systèmes naturalistes à résoudre, de façon plausible, les énigmes de la vie et de la mort ; d’autre part, la parole véridique de Celui qui, s étant fait mortel, a pu dire : « Je suis la résurrection et la vie. » (Iuan. f xi, a5)

III. Résurrection de la chair. — On sait quels sarcasmes accueillirent saint Paul à l’Aréopage quand il lit allusion à la résurrection des morts (Act., xvn, 32). Les milieux païens n’étaient guère disposés à entendre pareil enseignement. Les Juifs avaient dans leurs Livressaints des passages fort suggestifs, mais leurs docteurs se partageaient sur l’interprétation. La prédication chrétienne dut faire face aux objections des uns et des autres.

Nous commencerons par rappeler quelques textes scripturaires ; nous exposerons la tradition des Pères, celle du magistère ecclésiastique ; entin l’élaboration scolastique de la donnée traditionnelle.

A. Ecriture Sainte. — Plusieurs livres de l’A. T. supposent répandue la croyance à la résurrection corporelle.

lob, xix, -^3-^7 ;

Oh ! qui me donnera que nus paroles soient écrites ! i_ui me donnera qu’elles.-oient consignées dans un livre ! Je voudrai ? qu’avec un burin le fer et de plomb Elles fussent pour toujours gravées dans le roc !

que mon Vengeur est vivant,

Kl qu’il se lèvera le dernier sur lu poussière. Alors « le ce squelette revêtu de sa peau, he mu chair je verrai Dieu.

Moi-mènie je le ven ai ;

Me » yeux le verront el non un autre ; Mes reins se consumant d’attente au dedans de moi.

(Trad. Crampon.)

/#., xxvi, 19 : Dieu, que vos morU reviennent à la vie ; que mes cadavres se relèvent ! « éveillez- vous et poussez des cri » de joie, vans qui été » couchés dans lu poussière ! car v > ; re rosée. Seigneur, est une rosée à l’aurore et la terre rendra au jour ses trépassés.

Et., XXXVII (vision des ossements desséchés).

Dan., X.l, 2 : El beaucoup de ceux qui dorment dans lu poussière se réveilleront, les uns pour une vie éternelle très pour un opprobre, pour une infamie éternelle .

II.)/ac<., vu. 9-11 : (Le deuxième des sept frères), su ut de rendre le dernier soupir, dit : a Scélérat qu tu es, la nous 6tes la vie présente, mais le roi de l’univei -nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui moumot pour être fidèles à ses lois. « Après lui, on tortura ! < troisième… la demande du bourreau, il présenta aussitôt sa langue et tendit intrépidement ses mains, et il dit avec uu noble courage : Je tiens ces membres du Ciel ;

mais à cause de ses lois je les méprise, et c’est de Lui que j’espère les recouvrer un jour. « 

lb., ii, i.’î-’i’i : (Judas Macchubee), ayant fait une collecte où il recueillit lu somme de deux mille drachmes, l’en voa à Jérusalem pour être employée ù un sacrifice expiatoire. Bille et noble action, inspirée par la pensée d «  la résurrection ! Car, s’il n’avait pas cru que les soldats tués dans la bataille dussent ressusciter, c eut été chose inutile et vaine de prier pour des morts.

Dans le N.T., l’enseignement se précise :

Malt., xxlt, 23-3’2 : En ce jour-là, s’approchèrent de Jésus des Sndducéens, qui nient la résurrection, et ils l’interrogèrent en ces termes : «.Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans enfants, son frère épousera sa femme et suscitera une postérité à son frère. Or il y avait parmi nous sept frères : le premier s’élant marié mourut, et, n’ayant pas de postérité, laissa sa femme à son frère, il en advint de même du second, puis du troisième, enfin des sept. En dernier lieu, la femme mourut. A lu résurrection, de qui donc des sept sera-t-elle la femme ? » Jésus répondit :

« Vous errez, ignorant les Ecritures et la puissance

de Dieu. Car, à la résurrection, il n’y aura ni épouses, ni époux, mais (tous seront) comme anges dans le ciel. Et quant à lu résiurection des morts, n’avez-vous pas lu la parole que Dieu nous a dite : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. »

loan., v, 36-29 : L heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix, et ils iront, ceux qui ont fait le bien à la résurrection de la vie, ceux qui ont fait le mal à la résurrection du jugement.

/A., xi, 23-26 : Jésus dit à Marthe : « Ton frère ressuscitera. » Marthe lui dit : « Je sais qu’il ressuscitera, à la résurrection au dernier jour. « Jésus lui dit ; « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, fut-il mort, vivra ; et quiconque vil en moi, ne saurait périr éternellement, n

Ad., xxiii, 6-8 : Paul, sachant que les uns étaient Suciducéens, les autres Pharisiens, s’écria dans l’assemblée :

« Frères, je suis Pharisien, fils de Pharisiens ; c’est sur

l’espérance et la résurrection des morts qu’on me juge. >i Là-dessus, une discussion se produisit entre Pharisiens et Sadducéi n>, et la multitude se partagea. Caries Sadducéens n’admettent pus de résurrection, ni d ange ou d’esprit ; les Pharisiens admettent l’un et l’autre. — lb.. xxiv, 14. là : « Je le déclare que selon ma secte — autrement dite hérésie — je sei s le Dieu de mes pères, croyant à tout ce qui est écrit dans la Loi et les Prophètes, ayant espoir en Dieu, comme eux-mêmes attendent lu résurrection à venir des bons et des méchants. »

l Cor., xv, 12 sqq. : Si l’on prêche du Christ qu’il est ressuscité des morts, comment parmi vous quelques-uns disent-ils qu’il n’y a pas de résuri ection des morts ? S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ même n es ; pas ressuscité ; si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine… — Tout ce chapitre xv s’appuie sur le fait fondamental de la résurrection du Christ, pour provoquer les fidèles à l’attente de la résurrection bienheureuse. Hors de cette espérance, lu vie chrétienne est une folie, 32 : Si des vues humaines m’ont engagé à combaitre les bêtes à Ephèse, à quoi bon, si les morts neressuscileut pas ? Mangeons et buvons, car demain nous mourrons (/s. xxii, 13). — Sur la Résurrection du Christ, voir art. J lisu.s-CniilST, t. II, p. 1472-1 5 14.

Apoc, xx, Il sqq. Et je vis un ffrand troue blanc, et. assis sur le trime, Celui devant la face de qui fuit la terre et le ciel, et on n en trouve plus la place. Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône, et des livres furent ouverts ; et un autre livre fut ouvert, qui est le livre de vie. Et les morts furent Jugés d’api es ce qui était écrit dans les livres et d’après leurs œuvres. Et la mer rendit se « morts, la mort el l’Iiadès rendirent leurs morts, el ils furent jugés, chacun selon se » œuvres. El la mort et l’Hadès furent jetés dans le lac de feu… Et je vis un cirl nouveau et une terre nouvelle. Le premier ciel et la première terre dispururenl, et la mer n’est plus, lit ja vis la ville sainte, Jérusalem nouvelle, descendant du ciel…

B. Knseignbmknt obs Pkhbs. — Le » Pères, commentant ces textes de l’Ecriture, ont dû lutter contre le 991

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scandale de la raison. Ils se plaisent à redire que Dieu, après avoir, une première fois, assemblé pour la vie les éléments du corps, saura bien les réunir encore, quel que soit leur étal de dispersion. Nous citerons quelques témoignages. Une enquête beaucoup plus étendue a été réalisée par le R. P. F. Sbgahra, S. I., dans six articles des Esiudios Ecclesiasticos (Madrid), publiés de 192a à icja5, sous ce titre : Identidaddel cuerpo mortal y resuscitado. On peut consulter aussi l’article Corps glorieux, par S. G. Mgr Chollkt, dans le Dict, de Théol. cath. (1907). Dès le i L’r siècle, saint Clémbnt de Romk écrit aux Corinthiens, xxiv :

Considérons, mus bien-aimés, comment le Maitre nous représente coiuinuellement la résurrection à venir, dont il a donné les prémices dans le Seigneur Jésus-Christ ressuscité des morts. Voyons, mes bien aimés, la résurrection qui s’accomplit en son temps. Le jour et la nuit nous montrent une résurrection : la nuit se couche, le jour se lève ; le jour s’en va, la nuit survient. Prenons les traits : comment et de quelle sorte se font les semailles ? Le semeur gji-t et jette en terre les diverses semences, qui, tombées en terre, sèches et nues, se dissolvent ; de leur dissolution, la magnifique providence du Maître les ressuscite, et de l’unique graine en fait naître plusieurs et sortir le fruit.

— Après quoi, Clément rapporte la légende classique du phénix.

Au 11e siècle, on lit dans la Il a démentis aux Corinthiens, ix :

Que nul de vous ne dise que cette chair n’est point destinée nu jugement et a la résurrection. Keconnaissez-le : en quel état avez-vous été sauvés, en quel état avez- vous ouvert les yeux, sinon en cette chair ? Vous devez donc garder la chair comme le temple de Dieu. Comme vous nvez été appelés dans la chair, ainsi vous viendrez dans la chair. Si le Christ Notre Seigneur, qui nous a sauvés, étant d’abord Esprit, s’est fait chair et ainsi nous a appelés, ainsi à notre tour en cette cliair nous recevrons la récompense.

Saint Justin, I ^/ ;., xviii, xix, P. G., VI, 356-357 :

… Autant et plus (que les auteurs profauesj, nous croyons en Dieu, et nous disons que nos corps morts, déposés en terre, nous seront rendus, car rien n’est impossible à Dieu. A y bien réfléchir, est-il rien de plus incroyable que ceci : supposez que nous n’ayons pas de corps, et qu’on vienne nous dire que d’une gouttelette de sperme humain peuvent naître des os, des nerfs, des chairs, présentant cette figure que nous voyons ?… C’est uinsi que, pour n’avoir pas encore vu d’homme ressuscité, nous avons peine à y croire. Mais comme d’abord vous n’auriez pas cru que d’une gouttelette pussent naître des hommes, et pourtant vous les voyez, rie même concluez que le- ! corps humains, dissous et répandus en terre comme des semences, peuvent un jour, sur l’ordre de Dieu, ressusciter et revêtir l’immortalité. — Autres développements dans les fragments De résurrection’-, P. G., VI, 1571-1592.

Tatikn, Or. adv. Græcos, vi, P. G.. VI, 817C820A :

De même qu’avant de naître je n’avais pas conscience de moi-même, mais n’existais que dans la substance de la matière corporelle, et qu’une fois né j’ai acquis, de par ma naissance, conscience d’être ; de même, quand mon existence aura pris lin par la mort, quand on ne me verra plus, je renaîtrai, comme après un temps où je n’existais pas je fus engendré. Que le feu consume mes membres, ma substance volatilisée se répand par le monde ; que les fleuves, les mers reçoivent ma dépouille, que les bêtes la déchirent, je demeure dans les trésors du riche Seigneur. I.e pauvre, l’athée ignorent ces dépots ; mais Dieu souverain peut, à son gré, rendre à sa condition première la substance visible a lui seul.

Atiiénagoue, De resurrectione mortuorum, 11. iii,

P. G., VI, 977-98 1 :

.. Ceux qui refusent de croire à la résurrection des morts ont le devoir de prouver que Dieu ne peut pas ou

ne veut pas réunir les éléments morts ou partout dispersés de* corps, pour la reconstitution de l’homme…

Ce qu’un être ne peut pas, on le reconnaît en vérité à ce qu’il manque ou de la science ou de la puissance nécessaire. .., mais Dieu ne peut ignorer la nature des corps qui ressuciteront, quant à l’ensemble ni quant aux parties ; il ne peut ignorer où va chaque élément… d’autant qu’il appartient à la majesté de Dieu et à sa sagesse de connaître également leur sort à venir et leur destinée après la dissolution. Quant à son pouvoir, il suflità ressusciter les corps, puisqu il a sulîi à les faire naître… l’eu importe l’hypothèse à laquelle on s’attache, touchant l’origine des corps humains : qu’on les tire de la matière et des premiers éléments, ou bien de la semence… Il appartient au même être, à la même puissance et à la même sagesse, de discerner les éléments d’un corps que toutes sortes d’animaux ont déchiré pour assouvir leur faim, et de les restituer aux membres auxquels ils appartiennent., ditticullé que quelques-uns estiment particulièrement troublante…

La difficulté troublante par dessus toutes, au jugement de quelques-uns, est celle que pose le cas de l’anthropophage, ou de l’homme qui mange la chair d’un animal, lui-même nourri de chair humaine. Athénagore la résout fort simplement, par une conception physiologique a priori : pour chaque animal, il ne saurait exister qu’un aliment spécifique ; d’où il résulte que la chair humaine n’est pas un aliment assimilable pour l’homme, ib., ivvni, 981-989. — Conception arbitraire autant que simple. Par ailleurs, on ne saurait démontrer que Dieu ne veut pas ressusciter l’homme ; et ainsi toutes les objections tombent. — Voir L. Chaudouard, Elude sur le Ttepl « ukjtktïw ; à’Athénagore. Thèse de doctorat en théologie, Lyon, 1905.

Saint [rbnkr, Hær., V, iii, 2, P. G., VII, 112^1 130.

Si Dieu ne vivifie ce qui est mortel et ne donne l’incorruptibilité à ce qui est corruptible, Dieu est impuissant. Mais qu il est puissant en tout cet ordre de choses, nous pouvons le concevoir d’après notre propre origine ; Dieu, prenant de la poussière de la terre, lit l’homme. Or il est beaucoup plus difficile et plus paradoxal que Dieu, tirant du néant les os, les nerfs… et les autres organes de l’homme, les ait faits et ait constitué l’animal vivant et raisonnable, que d’avoir, après la création, après le retour de l’homme à la terre, restauré l’homme en reprenant ses élémen ts la d’où ils avaient été tirés primitivement. Car Celui qui, dès l’abord, fit l’homme de rien, à son gré, peut, à bien plus forte raison, alors qu’il existe, le restaurer dans la vie qu’il lui avait donnée. En quoi apparaîtra la capacité de la chair et son aptitude a éprouver la vertu de Dieu…

— Développements semblables IV, xviii, 5, 1028 ; V, 11, S, 1127 ; V, vii, 1. 2, MiO-l.elc.

Minucius Fklix, après avoir écarté les fables de Pylliagore et Platon sur la métempsycose, dit que, pour la conservation des éléments corporels, il s’en rapporte à Dieu : Corpus omne, sive arescit in pulverem sive in umorem solvitur vel in einerem compnmitur vel in nidorem tenuatur, subducitur nobis, sed I)o<> elementOTum custodi reservatur. Il ramène les comparaisons ordinaires, prises de la nature, et ajoute que Dieu ne consultera pas les pécheurs qui, ayant mal usé de leur corps, souhaiteraient de ne pas ressusciter. Octavius, xxxiv, P. /,., III, 3^7 Tek.tul.likn a allirmé contre les païens la résurrection de la chair, dans son Apologeticurn, xlviii, P. I,., I. Voici les grandes lignes de son développement.

Bien des gens croiraient volontiers à la métempsycose, enseignée par Pythagore ; qu’un chrétien vienne à parler de résurrection corporelle, on jette les hauts cris. Pourtant, si lésâmes sont destinées à rentrer dans des corps, n’esl-il pas plus naturel que 993

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ce soit dans ceux qu’elles ont déjà animés ? Dans l’hypothèse contraire, on ne voit pas ce que devient la personne. Les échanges qui se produiraient alors offrent matière à d’intarissables plaisanteries. Tertullieu passe outre, et indique la raison décisive d’attribuer les mêmes corps aux mêmes âmes : c’est la perspective dujugement divin. Voilà pourquoi Dieu reconstitue la personne humaine ; le corps est ici nécessaire, et l’apologiste en donne deux preuves d’inégale valeur : i° l’âme ne peut rien sentir sans être liée à une matière stable : Neque pati quicquam potest anima sola sine stabili materia, i. e. carne ; a° comme elle était unie au corps pour le mérite ou le démérite, elle doit l’être aussi pour la sanction. Le fait de la résurrection supposé admis, reste à indiquer le comment. Et pourquoi serait-il plus difficile au Créateur de reconstituer l’homme, que de le tirer une première fois du néant ? Dieu, qui anime de son souffle tout ce qui a vie, peut ranimer une matière inerte. Il a d’ailleurs marqué sa puissance à cet égard dans la succession des nuits et des jours, dans le renouveau des saisons, dans la circulation de la vie végétale. Que l’homme se rassure donc : où qu’elle soit, sa substance se retrouvera : Dieu est le maître de tout et du néant même. Ubicumque resolutus fueris, quæcumque te materia destruxerit, hauserit, aboleverit, in nihilum prodegerit, reddet te.Eius est nihilum ipsum cuius est lotuin. Mais peut-être faudrait-il indéfiniment mourir etrenaître ? L’Auteur de la nature aurait pu l’établir ainsi ; mais nous savons qu’il ne l’a pas fait. La même variété qu’on remarque dans toute son œuvre, apparaît jusque dans le partage de la vie et de la mort. La vie présente nous introduit à un ordre de choses définitif, et le dernier jour de ce monde s’achèvera sur le grand lever de rideau de l’éternité. Le genre humain régénéré recueillera dans une vie nouvelle le fruit de ses œuvres : les élus près de Dieu, transfigurés ; les damnés livrés au feu vengeur de la justice divine, feu plus inextinguible que celui des volcans.

Les mêmes considérations sont reprises et poussées, avec renfort de preuves scripluraires, par Tertullien, dans tout le traité De resurrectione carnis. Ajouter le Ve livre Adv. Marcionem. P. L., IL Voir A. d’Alès, Théologie de Tertullien, p. 1 4a- 1 53, Paris, 1905.

Saint IIippolyte, Adv. Græcos, 11, P. G., X, 800, vient de décrire l’IIadès ; il poursuit :

Toutes les âmes sont retenues dan » i’Hadès, jusqu’à l’heure que Dieu a marquée pour la résurrection de tous, qui ne sera point l’envoi des âmes en de nouveaux corps, mais la résurrection des corps mêmes. Si la vie de ces corps qui se dissolvent vous inspire quelque doute, gardez-vous en bien. L’âme a été faite, et faite immortelle, dans le temps ; vous l’avez admis, sur la démonstration de Platon : ne doutez donc pas que Dieu peut également reconstituer le corps des mêmes éléments, le rappeler à la vie et le rendre immortel. Ne dites pas : Dieu peut ceci et non cela. Nous croyons donc que le corps même ressuscite. Car, s’il meurt, il n’est point anéanti : la terra reçoit ses restes et les garde : comme une semence confiée au sein fécond de la terre, ils refleurissent. La semence qu’on jette en terre est un grain nu ; mais à l’appel du Créateur, ce grain apparaît florissant dans un vêtement de gloire, après seulement qu’il est mort, qu’il s’est dissous et mêlé au sol. Donc ce n’est pas sans raison que nous crovon » à la résurrection du corps. S il est dissous pour un temps, à cause de la désobéissance originelle, il est jeté en terre comme dans un creuset pour être réformé : il ressuscite non tel quel, mais pur et immortel. A chaque corps son aune sera rendue ; elle le revêtira sans ressentir aucune peine, mais bien de la joie, si pure elle habita un corps pur ; si en ce monde elle a cheminé ave : lui dans la justice, non comme avec un ennemi domestique, elle le reprendra an toute allégresse. Quant aux méchants, ils reprendront l-_urs corps, non

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fioint changés, non point affranchis de la souffrance ou de a u.ala.lie, non pas glorifiés, mais avec les maladies dont ils moururent ; et s’ils ont vécu sans foi, ils seront jugés par la foi. — Voir, par ailleurs A. d’Alès, Thcologi » d* saint Bippolyte, p. 194, 201. Paris, 1906.

La pensée d’OniGÈNB, objet d’interprétations divergentes depuis l’antiquité chrétienne jusqu’à nos jours, mérite une attention spéciale.

Origène reconnaît la grande difficulté que présente la question de la résurrection corporelle : Contra Celsum, Il, xxxii, P. G., XI, 465 A ; In Io.,

I. X, xx, P. G., XIV, 372 BC, éd. Preuschen, xxxvi, p. 210. Il entend bien ne pas imiter ces chrétiens qui en parlent à leur fantaisie, mais s’attacher à la tradition de l’Eglise, Periarchon, II, x, 1, P. G., XI, 233-4, éd. Koetschau, p. 172-4.

Periarchon, lll, vi, 6, P. G., XI, 33ç, -340 ; éd. Koetschau, p. 288-9 :

…Tune etiam natura huius corporis nostri in spiritalis corporis gloriam perducetur. Sicut enim de rationabilibus naturis videmus non alias esse quæ pro peccatis in indignitate vixerint et alias quæ pro merilis ad beatitudinem invitatæ sint, sed has easdeui, quæ antea fuerant peccatrices, conversas postmodum et Deo reconciliatas videmus ad beatitudinem revocari, ita etiam de natura corporis sentiendum est quod non aliud corpus est, quo nunc in ignobilitate et in corruptione et in infirmitate utimur, et aliud erit illud quo in incorruptione et in virtute et in gloria utemur, sed hoc idem, abiectis hisinfirmitatibus in quibus nunc est, in gloriam transmutabitur, spiritale effectum, ut quod fuit indignitatis vas, hoc ipsum expurgatum fiât vas honoris et beatitudinis receptaculum. .. Non enim, secundum quosdam Græcorum philosophos, præter hoc corpus, quod ex quattuor constat elementis, aliud quintum corpus, quod per omnia aliud sit et diversum ab hoc nostro corpore, fides Ecclesiae recipit ; quoniam neque ex Scripturis sanctis velsuspicionem aliquam de his proferre quis potest neque ipsa rerum consequentia hoc recipi patitur, maxime cum manifeste definiat sanctus Apostolus quia non nova aliqua corpora resurgentibus a mortuis dentur, sed hæc ipsa, quae vi ventes habuerant, exdeterioribus in melius transformata recipiant. Ait enim : Seminatur corpus animale, resurget corpus spiritale ; et : Seminatur in corruptione, resurget in incorruptione ; seminatur in infirmitate, resurget in virtute ; seminatur in ignobilitate, resurget in gloria. Sicut ergo profectus est homini quidam ut, cum sit prius animalis homo nec intetlegat quæ sunt Spiritus Dei, veniat in hoc per eruditionem, ut efficiatur spiritalis et diiudicet omnia, ipse vero a nemine diiudicetur : ita etiam de corporis statu putandum est quod idem ipsum corpus, quod nunc pro ministerio animæ nuncupatum est animale, per profectum quendam, cum anima adiuneta Deo unus cum eo Spiritus fuerit effecta, iam tum corpus quasi Spiritui ministrans in statum qualitatemque proficiat spiritalem, maxime cum, sicut sæpe ostendimus, talis a Conditore facta sit natura corporea, ut in quameumque voluerit vel res poposcerit qualitatem facile subsequatur.

On ne voit pas de quelles expressions plus fortes Origène aurait pu se servir, pour marquer l’identité matérielle du corps glorifié avec le corps qui aujourd’hui peine sur terre : il prend même soin d’exclure l’idée profane d’une prétendue quintessence, dont seraient faits les corps glorieux, et qui ne serait point prise des corps terrestres.

Mais le latin de Rufin, qui nous a seul conservé cette page, peut être suspect ; il ne sera pas inutile d’en retrouver le sens ailleurs. On le rencontre plusieurs fois, soit dans le Periarchon, soit dans la Contra Celsum, associé à une idée beaucoup plus discutable : l’aptitude de la matière créée à revêtir toutes sortes de figures. Voir par exemple Periarchon,

II, 11, 2, P. G., XI, 187 B, Koetschau, p. 112, 22-1 1 3, 4 ; IV, xxxiii-xxxv, 407-4 10, Koetschau, IV, tv, 6-8, 356-36 1 ; Contra Celsum, III, xli-xlii, P. G., XI, 973, Koetschau, t. I, p. 237-238, 6 ; IV, lvi-lvii, 1121 32 995

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U25, A, Koetschau, p. 328, 28-330, 22, notamment ; W>7 ykp r, aÙT/j T.v.ai tofî tûfixviv ùltùxtittiwi r<jj loia Ao’yai ânscî^xàt ÙT/r, fiv.Tiaroi — ; VI, lxxvii, i/|13 CD ; Koetschau, t. ii, p. i ^6, 19-25 :

c Il n’y a pas lieu de s’étonner que la matière, naturellement susceptible de changement et d’altération et de toute transformation voulue par le Créateur, susceptible de toute qualité voulue par l’Ouvrier, prenne tantôt la qualité dont il est dit : // n’avait ni forme ni beauté (/s., lui, 2), et tantôt une qualité si glorieuse, si frappante, si admirable, que les trois Apôtres, montés avec Jésus sur la montagne, tombent prosternés sur leur face à l’aspect d’une telle beauté. » — L’exemple du Seigneur, humilié dans sa passion ou transfiguré sur la montagne, sert ici à mettre en lumière la puissance de Dieu, travaillant sur la matière corporelle.

Cette idée, familière à Origène, ne porte, tant s’en faut, aucun préjudice à l’identité du substratum corporel. Et elle est tout à fait indépendante de cette autre idée familière à Origène : le renouvellement perpétuel du substratum corporel, par le fait de l’assimilation d’éléments nouveaux et de l’élimination d’éléments anciens. On trouve les deux idées associées dans une page qui s’est conservée en grec et qu’il faut traduire tout entière :

In Ps., i, 5, P. G., XII, 1093 A-1096B ; mieux ap. Méthode, éd. Bonwetsch, De Iiesurr., I, xxii, p. >’*’-7, Leipzig, 1917 :

Tout ami de la vérité, qui considère ce point, doit lutter pour la résurrection, et sauver la tradition des anciens, et prendre garde, pour ne pas tomber dans un verbiage vide de sens, absurde et indigne de Dieu. Sur quoi il faut bien comprendre que tout corps assujetti par la nature aux lois de la nutrition et de l’élimination

— soit plante soit animal — change constamment de substratum matériel. Aussi compare-t-on bien le corps à un fleuve, parce que, à parler exactement, le substratum primitif ne demeure peut-être pas même deux jours identique en notre corps, bien que l’individu, Pierre ou Paul, soit toujours le même (et non pas seulement l’âme, dont lu substance en nous n’éprouve ni écoulement ni accroissement). Cependant la condition du corps est de s’écouler : la forme caractéristique du corps demeure identique, et aussi les traits qui distinguent corporellement Pierre ou Paul, comme les cicatrices conservées dès l’enfance et autres particularités, taches de rousseur par exemple : cette forme corporelle, qui distingue Pierre ou Paul, à la résurrection revêt de nouveau l’âme, d’ailleurs embellie ; mais sans le substratum qui lui fut primitivement assidue. Comme cette forme persévère, de l’enfunt au vieillard, malgré les modifications profondes que présentent les traits, ainsi doit-on penser que la forme présente persévérera dans l’avenir, d’ailleurs immensément embellie. Car il faut que l’âmp, habitant la légion des corps, possède un corps à l’avenant de cette région. De même que, si nous devions vivre dans la mer, comme les animaux aquatiques, il nous faudrait des branchies et les autres organes des poissons, ainsi, pour hériter du royaume des cieux et habiter une région différente de la terre il nous faut des corps spirituels : notre forme première ne disparaîtra point pour autant, mais elle sera glorifiée, comme la forme de Jésus et celle de Moïse et d’Elie restait la même dans la transfiguration.

Donc, ne vous scandalisez pas si l’on dit que le substratum primitif ne demeurera point le même : car la raison montre, à qui peut comprendre, que le substratum primitif ne peut même pa9 maintenant subsister deux jours. Et il faut bien remarquer que autres sont les propriétés du « corps » semé « en terre », autres celles du « corps » ressuscité : Ce qui est semé, c’est un corps animal ; ce qui ressuscite, e’est un corps spirituel. (1 Cor., xv, 44). Et 1 Apôtre ajoute, comme pour enseigner que nous déposerons les propriétés de la terre en conservant la forme dans la résurrection : Ce i/ue je dis, mes frères, e’est que la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption de l’incorruptibilité (I Cor., xv, 50). Le corps du saint sera conservé

par Celui qui jadis donna une forme à la chair ; la chair ne subsistera pas, mais les traits imprimés jadis à la chair seront dès lors imprimés au corps spirituel.

En opposant le corps spirituel à la chair, Origène veut donner un écho fidèle à saint Paul, qui opposa l’Esprit à la chair. Il ne songe pas, pour autant, à nier l’identité foncière du corps glorifié avec le corps terrestre ; il marque seulement la diversité des propriétés, dans la permanence de la forme distinctive.

La forme distinctive, appelée ici sita ; rà xxpcocnipiÇov tô a&’xv., ziSii tù supoLTi/iv, est par lui opposée à la matière amorphe ; c’est elle qui maintient l’identité du corps dans le flux de la matière vivante qui se renouvelle. Ailleurs, Origène parle d’un principe, >i-/î5, immanent à la matière, C. Cels., V, xxiii, P. G., XI, 1216 C, Koetschau, t. 11, 24 :

Nous ne disons pas que le corps, qui a péri, revient à sa condition primitive ; pas plus que le grain de froment, qui a péri, ne revient au même grain de bornent. Nous disons que, comme le grain de froment ressuscite à l’état d’épi, de même il y a, immanent au corps, un principe qui ne périt pas, et d’où le corps ressuscite impérissable. Nous ne suivons pas les Stoïciens, qui prétendent que le corps, ayant péri absolument, revient à sa condition première, d’après leur conception d’une exacte révolution des êtres…

Comparer Periarchon, II, x, P. G., XI, 236 A, Koetschau, p. 176 :

Ita namque eliam nostra corpora velut granum cadete in terrant putanda sunt ; quibus insita ratio ea quæ substantiam continet corporalem, quamvis emortua fuerint corpora et corrupta atque dispersa, verbo tamen Dci ratio Ma ipsa. quar semper in substantia corporis salva est, eriçat ea de terra et restituât ac reparet, sicut ea virtus, quae inest in grano frumenti, post corruptione/n eius ac mortem réparât ac restituit granutn in culmi corpus et spicae.

Origène, sans doute, ne prétend pas assimiler de tous points l’Listoire du corps humain à celle du grain de froment ; mais il recourt à cette analogie pour mettre en lumière un aspect du mystère. Klle renferme un élément incontestable de vérité, qui semble avoir été parfois méconnu. Citons des Pères.

Saint Méthode, De liesurrectione, xii, P. G., XVIll, 317 B ; mieux, éd. Bonwetsch, p. 391 :

Origène veut donc que la chair ne soit pas identiquement restituée à l’âme.., mais que la figure de chacun, selon lu forme qui présentement distingue la chair, ressuscite imprimée à un autre corps spirituel, afin que chacun reparaisse sous la même figure ; c’est en quoi il fait consister la résurrection promise. En effet, dit-il, la nature du corps matériel est de s’écouler et de ne jamais demeurer identique à lui-même, mais de cesser et de recommencer autour de la forme qui distingue lu figure humaine et maintient l’arrangement des parties ; donc la résurrection ne saurait atteindre que la forme. Car, comme duns un tuyau l’eau ne demeure pas un instant immobile, mais constamment l’une s’écoule et l’autre survient, la paroi extérieure demeurant In même ; de même, dit-il, à l’égard des corps matériels, le flux des aliments s’introduit comme l’eau, et tandis que les uns s’écoulent, d’autres surviennent ; mais pas un instant ils ne demeurent immobiles. Ils passent et se transforment ; muis la forme, qui distingue les corps, demeure.

Saint Eustathk d’Antiociib, De Engastrimjtho Contra Origenem, xxii, P. G., XVIII, 657 D-660À :

Ce n’est pas ici le lieu de montrer les fausses doctrines introduites par Origène sur la résurrection. Méthode, de sainte mémoire, a écrit suffisamment sur cette question, et démontré clairement qu Origène a frayé imprudemment la voie aux hérétiques, en déterminant comme sujet de la résurrection la forme et non le corps même. Mais il est aisé de voir qu’il a tout bouleversé par ses allégories et semé partout des germes d’erreurs : en se répétant perpétuellement, il a rempli le mouds d’un bavardage infini.

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Saint Epipuane, Hatr., lxiv, 67.68, P. G., XLI, 1188 :

Notre Sauveur et Seigneur Fili de Dieu, Tenu pour nous apporter la pleine certitude de notre vie a venir, u exprime en lui-même beaucoup de vérités pour nous en instruire. Il pouvait déposer une purtie de lui-même et en ressusciter une partie, selon ton imagination destructive et ton amas de vains raisonnements, 6 querelleur. Muis il te confond immédiatement en disant : Si le grain lit froment, qui tombe en terre, ne meurt, il reste seul ; mais s’il meurt, 1/ produit beaucoup Je fruit (loan., III 34). Qu’entendait-il par ce grain ? Chacun voit, le monde entier confesse qu’il parlait de lui-même, de son corps fait de la chair sainte qu’il avait prise de la Vierge Marie, enfin de toute son humanité. Tomber et mourir doit s’entendre selon qu’il dit : Oit sera le corps, là s’asstmbleront les aigles (Mat, xxiv, 28) : il parlait des trois jours que son corps reposa au tombeau, toi-même en conviens. Car sa divinité ne connaît ni repos, ni cbute, ni contrainte, ni changement. Donc, le gruin de froment mourut et ressuscita. Rst-ce tout le grain qui ressuscita, ou un reste fut-il abandonné ? Est-ce un outre grain que le grain qui existait, ou le même, qui futappelé à l’existence, ce corps enseveli par Joseph, déposé dans un sépulcre neuf, qui ressuscita ? Tu ne saurais nier. De qui donc les anges annoncèrent-ils aux femmes la résurrection ? Ils dirent : Qui cherchez-nous ? Jésus de Xazareth. Il est ressuscité, il n’est plus là ; venez voir la place (Mat., xxvin, 5. 6). C"mme qui dirait : Venez voir la place, et faites comprendre à Origèue qu’il n’y a point ici de reste, que tout est ressuscité. Pour te montrer que tout est ressuscité : Il est ressuscité, il n’est point ici. Voilà de quoi réfuler ton bavurdarge. montrer qu’il ne reste rion de lui, que cela même est ressuscité qui fut cloué, percé par la lance, saisi par les Pharisiens, conspué. A quoi bon insister pour confondre le bavardage de ce misérable vaniteux ? Ainsi, comme il ressuscita, comme il releva son propre corps, il nous relèvera aussi.

Ces invectives rendent-elles pleine justice à la pensée d’Origène ?ll est permis d’en douter. Saint Jkhomb, qui ne le ménage pas non plus, nous fournit du moins les éléments d’une appréciation plus équitable, en montrant Origène, dans ses livres De Hrsttrrectione et ailleurs, préoccupé de frayer sa voie entre deux erreurs opposées : d’une part, le matérialisme grossier qui imputerait aux corps ressuscites toutes les fonctions et tous les besoins de » corps humains dans l’état présent ; d’autre part, le spiritualisme outré des hérétiques/ Marcionites, Valentiniens, Manichéens et autres, qui n’admettent de salut que pour l’esprit et en excluent absolument le corps. Voir C. loannem Uievusolynilarium, xxv sqq., P. G., XXI11, Z-/o sqq..Notamment xxvi, 376 D, citation d’Origène : Est singulis seminibus ratio quædam a Deo artifice insila, quæ fuiltras mater ias in medullæ principiis tenet. Et quomodotanta arboris magnitudo, truncus, rami, puma, folia, non videnlur in se mine, sunt tamen in ratione seminis, quum Græci trntppœtacof Xé/o » vocant ; et in grano frumenti est intvinsecus vel meditlln vel ventila, quae cum in terra /uerit dissoluta, trahit ad se vicinas mnlcrias et in stipulant, folia, aristasque consurgit ; aliudque moritur etaliud resurgit. Cette considération des raisons séminales, destinée à rendre raison de ce fait incontestable qu’est le renouvellement incessant des tissus vivants, paraît susceptible d’une interprétation correcte. — On trouvera les textes d’Origène, P. G., XI, 91-100. — Comparer Pamphilb, Apol. pro Origen., vii, P. G., XVII, 598 ; Rcii*, Apol., I, v-ix, P. /.., XXI. 5/J4-8.

Adaman’tius, De recta in Deum fide, v, /’. G., XI, 18.">3-G ; 1868 ; éd. Van de Sande Hackhuyzen, xvt, xvn, xxtv, p. ao4-aio ; 326, écarte, par une lin de non-recevoir, les considérations physiologiques touchant le renouvellement du corps par voie d’assimilation et d’élimination. Il affirme énergiquement la

présence d’un invariant corporel, et en donne pour preuve la permanence des mutilations subies par le corps et des cicatrices qui l’ont marqué. Il ramène, en des termes très semblables à ceux d’Hippolyte, la considération du grain jeté en terre et donnant naissance à une tige nouvelle, sans détriment de sa propre identité.

Mais l’idée, familière à Origène, de l’identité substantielle du corps, nonobstant le flux perpétuel de matière, est commune parmi les Pères, tant Grecs que Latins.

Saint Basile, // » Ps., xliv, 1, P. G. XXIX, 388 :

Nous sommes, entre les êtres raisonnables, particulièrement soumis à des altérations et des changements de chaque jour et presque de chaque heure. Ni de corps ni de volonté, nous ne sommes identiques a nous-mêmes ; mais notre corps, toujours s’écoulant et se dissipant, est en mouvement et en transformation, soit qu’il croisse en stature, soit que de l’état parfait il décroisse, .. Cf. In Ps., exiv, 7, 492-3.

SaintGRÉGOiREDB Nyssb, De hominis o/h’/îcio, xxvii, P. G., XLIV. 225-8 :

Rien n’empêche de croire que, de la masse commune, les éléments propres feront retour au corps lors de la résurrection ; surtout à bien réfléchir sur notre nature. Car nous ne sommes pas complètement livrés à l’écoulement et à la transformation. Ce serait chose incompréhensible qu’une totale instabilité de nature : à parler exactement, il y a en nous un élément stable et un autre qui évolue. L’élément qui évolue, par accroissement et décroissance, est le corps, semblable à des vêtements qu’on change avec 1 âge. L’élément stable, qui échappe à tous les changements, c’est la forme, qui ne dépouillé pas les caractères une fois imprimés par la nature, mais, à travers tous les changements du corps, conserve ses traits distinctifs… Donc ce qui adhère à la partie divine de l’âme, ce n’est point l’élément soumis au flux de l’évolution et à la transformation, mais l’élément stable et inaltérable du composé humain. Mais comme les diverses combinaisons produisent les diversités de forme, comme la combinaison résulte du mélange des éléments, comme on Hppelle éléments les matériaux dont l’assemblage constitue le corps humain, nécessairement, des lors que la forme demeure proche de l’âme, comme l’empreinte d’un cachet, les éléments qui ont 1 eçu cette empreinte sont reconnus par elle, et lors de la restauration elle attire à elle ces éléments qui répondent A sa forme, c’est à-dire ceux qui en furent marqués dès i’orilj ; ne. — Voir De anima et resurrectione, passim, P. G.., XLVI, 11-160.

Dans ce développement de saint Grégoire de Nysse, où il s’efforce de concilier l’identité de la personne vivante avec le flux de la matière corporelle, nous voyons une expression’particulièrement heureuse de la théorie origéniste des raisons séminales.

Saint Antoine, patriarche des moines, d’après le récit de saint Athanase, Vita Anton., xci, P. G., XXVI, 972, fait à ses disciples ses recommandations pour sa propre sépulture. Qu’on mette son corps au tombeau ; il lui sera rendu incorruptible, par le Christ, au jour de la résurrection.

Saint Epipuanb montre dans le rite de la sépulture chrétienne un indice de la croyance à la résurrection corporelle : car ce qu’on enferme dans le tombeau, ce n’est pas l’âme, qui est où Dieu sait, et n’a point à ressusciter, mais bien le corps. Ancorat. , i.xxxvi, P. G., XL1II, 176.7.

Saint Cyiullb de Jkiiusalkm consacre à la résurrection corporelle sa xvuie catéchèse ; il dit notamment, 18, P. G., XXXIII, io^o : Ce corps ressuscite, non point avec son ancienne faiblesse, mais pourtant lui-même ; revêtu d’immortalité, il est transformé, comme le fer au contact du feu, ou plutùt de la manière que Dieu sait.

Saint Jean Cuiiysostomb trouve dans la mort de la 999

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semence mise en terre une invitation à réfléchir sur la destinée du corps, qui meurt aussi pour renaître. Uom. de resurr. mort., 7, P. G., L, 429.

Saint Jr an Damascènb, De Fid. ortk., IV, xxvii, P. G., XC1V, 1230 A :

Nous croyons à la résurrection des morts. Il y auru réellement, il y aura résurrection des morts. En parlant de résurrection, nous entendons lu résurrection des corps. C ir résurrection dit deuxième érection de Ce qui est tombé. Les Ames, qui sont immortelle* comment pourraient-elles re » susciter ? Si l’on définit la mort : séparation de l’âme d’avec le corps, la résurrection doit être la réunion de l’Ame et du corps, la deuxième érection du vivant dissous et tombé. Donc ce corps même qui a péri, qui s’est dissous, doit ressusciter impérissable. Clui qui.au commencement, l’a tiré d la poussière terrestre, saura bien, après qu’il se sera dissons et aura fui retour à la terre d’où il fut tiré, ?elon la sentence du Créateur, le ressusciter.

La tradition de l’Eglise grecque, sur l’identité du corps ressuscité, apparaît donc très ferme. Celle de l’Eglise syriaque et de l’Eglise latine ne l’est pas moins.

Apbraate, Dem., viii, De resurr. mort., 3, P. S.,

I, 363-6.

Apprends, insensé, que cbuque semence revêt un corps qui lui est propre. Jamais, après avoirsemé du frouient, tu ne moissonneras de l’orge ; jamais tu ne plantes delà vigne

; >our produire de9 figues : tous les végétaux croissent

selon leur nature propre. Ainsi le corps, qui est tombé en terre, ressuscite de même. Sur la corruption et la dissolution du corps, apprends, par lu parabole de la semence, qu’il en est de même de la semence, qui tombe en terre, pourrit, se corrompt, et, do la corruption même, croit, germe et fructifie. Et de même que la terre inculte, où n’est tombée aucune semence, ne fruci 5e pas, quoique elle absorbe toutes les pluies, ainsi du sépulcre où nul mort n’aura été déposé, nul ne surgira au j >ur de la résurrection des morts, quels que oient les appols de la trompette. Mais si, comme on l’affirme, les ornes des justes montent au ciel et revêtent un corps céleste, elles seront au ciel, avec leur corps… Ce n’est pas un corps céleste qui descpndra dans le sépulcre pour en ressortir.

S. Ephrbm, Sermon pour le If’Dimanche d’Agent, Opp. gr.lat., t. II, p. 2 1 3, Rome, i ^43 :

Au son de la trompette, tous les ossements humains s’empresseront de reprendre leurs jointures. A voir tout le genre humain se lever, chacun en son lieu, et tous se rendre au jugement, de quelle crainte ne serons-nous pas saisis ? Le grand loi commandera, et aussitôt avec trembloment lu terre s’empressera de rendre ses morts, la mer rendra les siens et l’Hndès les siens. Ceux qu’une bête féroce aura enlevés ou un poisson dévorés ou un oiseau dépecés, en un clin d’oeil seront là, il n’y manquera point un cheveu.

Saint Hilaire, In Ps, 11, 9, n° 41, P. L., IX, 285 C-286 A : … Ex figuli comparatione… significari etiam intellegitur Ma quæ secundum Dei voluntatem resiirgcntium corporum instaurntio est ftttura. Prout enim ei placet et in conspectu eius dignum est, confracta reparabit, non ex alia aliqua, sed ex veteri atr/ue ipsa originis suite materie speciem Mis complaciti sibi decoris impertiens : ut corruptibilium corporum in incorruptiunis gloriam resurrectio, non interitu naturam périmât, sed qualitatis condicione demutet. Non enim aliud corpus, quamvis in aliud resurgel.

Saint Ambroisr, De excessu fratri sui Satrri,

II, 60-64, P L., XVI, 133a A-1333 D : Et lu semen fuisti, et tuum corpus semen est resurrecturi… Causae originum semina sunt. Semen esse corpus humanum genlium Doctor asseruit (I Cor., xv, 4a). Est ergo substantiel resurgendi, quando est séries seminandi. Quod si substantia aut causa non esset,

arduum quisquam putaret Deo unde vellet aut quomodo vellet homines regenerare, qui rnundum ex nulla materia, titilla substantia esse iussit, et factus est »…

Saint Jkrômb, Ep., cviii, 31, P. L., XXII, 90a : Aetatunidiversitusnon mutât corporum veritatem. Cum enim corpora quotidie nosira puant et aut créscunt aut decrescant, ergo tôt erimus /tontines quot quotidie commutamur > aut alias fui, cum decem aruiorum essem, alius cum triginta, alius cum quiiiquaginta, alius cum iam toto cano capite sum ? Igitur iuxta Ecclesiarum tiaditiones et Apostolum Panlum, illud est respondendum quod in virum petfectum et in mensuram aetatis plenitudinis Christi resurrecturi sumus… — C. foann. Hierosol, xxxiii, P. L., XXIII, 385 : Cellaria sepulcra significatif, de quibus hoc utique profertur quod conditttm fuerat. Et exibunt de sepulcris suis, velut hinnuli de vinculis soltiti. Gaudebit cor eorum, et ossa eorum sicul sol orientur ; veniet ornais caro in conspectu Domini, et mandabit piscibus maris et eructabunt ossa quæ comederant, et faciet compagem ad compagem et os ad os ; et qui in terræ pulvere dormierunt, résurgent ; alii in vilain aeternam, alii in opprobrium et confusionem aeternam… Quod enim in homme moritur t hoc et vii’i/icatur.

En saint Augustin, nous entendons la conscience de l’Eglise latine. Il est aussi net que possible sur l’identité du corps glorieux, Serm., cclxiv, 6, P. /.., XXXVIII, 1217 : Resurget caro, sed quid fit ? Itnmutatur, et fit ipsa corpus cæleste et angelicum… Ista caro resurget, ista ipsa quæ sepelitur, quæ tnoritur, ista quæ videlur, quæ palpatur, cuiopus est mandticare et bibere, ut possit durare ; quæ aegrotat, quæ dolores patitur, ipsa babet resurgere, malis ad poenas sempiternas, bonis autem ut commutentur. Cum fuerit commutata, quid fiel ? Iam corpus cæleste vocabitur, non caro mortalis. — De Civ. Dei, XXII, xx-xxi, P. L., XLI, 782-3, il se porte garant d’une restauration intégrale, qui ne surpasse point la toute-puissance divine. Toutes les infirmités et défectuosités seront séparées glorieusement, voir encore Enchiridion, lxxxix, P.L., XL, 273. — Saint Jérôme n’hésitait pas le moins du monde à dire que les enfants recevront, à la résurrection, tout le développemeVt physique auquel la nature les destinait, mais dont les priva une mort prématurée. Augustin penche au même sentiment, mais montre moins de décision : Serin., ccxlii, 3, 4> 5, P. L., XXXVIII, 1 140 : Parvuli qui moriuntur, pàrvuli resurrecturi sunt.’an aetas erit plena reviviscentium, quorum erat parva moricntium P Hoc quidem in Scripturis definitum non invenimus, … Credibilius tamen accipitur et probabilius et rationabilius, plcnas aetates resurrecturas, ut reddatur minière quod accessurum erat tempore. — Cf. C. D., XXII, xiv, P. L.. XLI, 776-7.

Saint Ghbgoirk lk Grand, commentant lob, xtx, 9.6, raconte, Mot-., XV, lvi, 72-74, P- I », LXXV, 1077-g, comment, à Constantinople, il dut contredire le patriarche Eutychius, qui se représentait le corps glorieux comme aérien et impalpable. Eutychius, avant sa mort arrivée en 58a, s’amenda, et tenant la peau de sa main, disait à ses visiteurs : Confiteor quia omnes in hac carne resurgemus.

Nous citerons encore saint Julikn du Toledb (j- 690), comme témoin de la croyance qui attribue aux enfants, lors de la résurrection, la stature des hommes faits. Il apporte l’autorité de saint Augustin, puis celle de Julianus Pomerius (ve siècle). Luimême n’est pas d’autre sentiment. Prognosticon, 111, xx, />./.., XCVI, 505 6. — On retrouve cette idée, au xie - xii* siècle, chez Honorius d’Autun, qui d’ailleurs 1001

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ne l’appuie nullement. Blucidarium, III, xvi, l'.l.., CLXXI1, i 161| A : Magis eredendum est omîtes in Ma aetate et in Ma mensura resurgtre et ibi up parère. qua confiait eos hinc migrare.

C. Document » du Magistkrb ecclésiastique. — La résurrection des morts ligurait, dès avant le quatrième siècle, dans les symboles baptismaux. Au quatrième siècle, elle figure au symbole de NicéeConstantinople.Des symboles postérieurs l’allirment, avec de » précisions significatives.

V Athanasianum (v-'/vi* siècle), D. B., lo : adeuius adventumomnes homines resurgere habent cumeorporibus suis.

Symbole de saint Léon IX, à Pierre d’Antioche (io53) D. B., 347 : Credo etiam veram resurrectionem eiusdem carnis, quam nunc gesto, et vitam aeternam.

Innocent III, Profession de foi des Vaudois (1208), D. B., ti-j : Corde credimus et ore confitemur huius carnis, quam gestamus, et non dlterius, resurrectionem. — De même, IVe Concile de Latran (1215), #. B., 429.

Grégoire X, Profession de foi de Michel Paléologue, IIe Concile de Lyon (1 2^4). D. B., 464 : Credimus etitim veram resurrectionem huius carnis quam nunc gestamus, et vitam aeternam.

Benoît XII, Constt. Benedictus Deus (29 janv. 1 336), D. B., 53 1 : De/inimus insuper quod, secundum Dei ordinationem communem, animæ decedentium in actuali peccato mortali mox post mortem suam ad inferna descendunt, ubi poenis infernulibus cruciantur, et quod nihilominus in die iudiciiomnes homines ante tribunal Chritti cum suis corporibus comparebunt, reddituri de jadis propriis rationtm, ut référât anus quisque propria corporis, prout gessit sive bonum sive malum (II Cor., v, 10).

On n’oubliera pas les honneurs rendus par l’Eglise à la dépouille mortelle des Saints (voir article Reliques) ; ni les lois traditionnelles delà sépulture chrétienne (voir article Incinération ; à supplémenler par le récent C1C, can. 1203, 1 : Fidelium defunctorum corpora sepelienda sunt, reprobata eorundem crematione ; cî.ibid., 2 ; iao4 ; ia40, 1 n. 5 ; 2339).

D. Elaboration scolastiqub. — Le dogme de la résurrection corporelle, qui montre le corps et l'âme associés outre-tombe dans la récompense et le châtiment, comme ils le furent ici-bas dans le mérite ou le démérite, donne satisfaction intime à notre instinct d'équité ; il appuie les sanctions divines, en ouvrant à notre nature sensible des perspectives qui l'émeuvent ellicacement. Mais il demeure profondément mystérieux, et les réponses données par les Pères aux objections de l’incrédulité n’expliquent pas le comment de la résurrection.

Le corps qui ressuscite est le même qui fut mis au tombeau, le même peut-être qui fut consumé par les flammes et dont les cendres furent jetées à tous les vents du ciel. Quant aux particules de matière qui ont traversé l’organisme humain sans y être fixées définitivement, elles ne sont pas désignées pour la résurrection.

La résurrection glorieuse doit réparer toutes les ruines et parfaire l’homme tout entier. Donc elle suppléera toutes les mutilations, tous les déchets ; elle effacera tous les ravages de l'âge et de la maladie, elle conduira les enfants à la stature de l’homme parfait. Là-dessus, les Pères font appel à la toute-puissance divine. On a entendu ci-dessus saint Jérôme et saint Augustin ; Pibrrb Lombard (IV d., 44) et saint Thomas acceptent leur sentiment. Mais cet appel, qxiî escompte non seulement un remaniement profond de tout l’homme, mais, en bien des cas, des

apports ou des soustractions de matière, confond l’imagination et, à première vue, fait brèche au principe même de l’identité du corps avant et après la résurrection.

Ne nous arrêtons pas au problème que pose le renouvellement intégral de l'être humain par la circulation incessante de la vie. Opposer à cette difficulté une simple lin de non-recevoir.ne semble ni légitime ni utile. Cela ne semble pas légitime, car les physiologistes ne connaissent aucune raison positive d'écarter une telle hypothèse, suggérée par toutes les vraisemblances : la permanence d’un résidu qui garantirait, de la conception à la mort, l’identité de l'être humain, est indémontrée. Cela ne semble pas utile, puisque, d’après l’opinion commune, seuls les élémentscomposant l’organisme à l’inslanidelamort sont intéressés dans la résurrection, à l’exclusion des éléments rejetés au cours de l’existence antérieure. Saint Thomas admet simplement l’hypothèse du renouvellement intégral, comme plus probable, et ne craint pas d’y faire face, la foi nous enseignant seulement que l’homme renaît de ses cendres. In IV d., 44 q. 1 a. 2 sol 5 (= III », Suppl., q. 80 a. 5) :

Illud quod est materialiter in homine, non habet ordinem ad resurrectionem, nisi secundum quod pertinet ad veritatem humanæ nalurae, quia secundum hoc habet ordinem ad animam rationalem. Illud autem totum quod e$t in homine materialiter, pertinet quidem ad veritatem humanæ naturæ quantum ad id quod habet de specie, sed non totum considerata materiæ totalitate, quia tota materia quæ fuit in homine a principio viiæ usque ad finem, excederet quantitatem débitant speciei, ut III & opinio dicit, quae probabilior inter cèleras mihi videtur ; et ideo totum quod est t’a homine resurget, considerata totalitate speciei, quia attenditur secundum quantitatem, figuram, situm et ordinem partium ; non autem resurget totum, considerata totalitate materiae.

La distinction entre la quantité essentielle, due à l’espèce, et la quantité accidentelle de matière, en tel individu, permet de faire face à d’autres objection » qui parfois ont paru troublantes. Dès le n* siècle (Athénagohb), des Pères se sont posé le cas de l’anthropophage, soit immédiat, soit médiat : tel homme a mangé son semblable ; tel autre a mangé la chair d’un animal qui avait dévoré un autre homme. Serat-on amené à concevoir que la même particule matérielle devra participer en enfer au tourment du feu, dans le ciel au bonheur sensible, à des titres différents ? Non, si l’on évite une conception étroite et grossière de l’intégrité matérielle requise pour constituer l'être humain. Plus large, enmême tempsquetrès traditionnelle, estla conception développée par saint Thomas, IV C. Génies, 80-89, et reprise de nos jours par d’excellents théologiens, tels que les RR. PP. Muncunill, S. I., Tractât us de Deo Creatoie et de A’ovissimis, p. 631-650, Barcinone, 192a ; B. Bbraza, S. I., Tructatus de Deo élevante, de Peccato originali, de I/ovissimis, p. 645-653, Bilbao, 1924.

D’après cette conception, le corps humain vivant résulte de l’union immédiate de l'âme spirituelle à la matière prime, et tient de cette âme tout son être actuel. D’ailleurs, le corps vivant ne possède qu’une fixité relative : il se renouvelle peu à peu par apport d'éléments nouveaux, par élimination d'éléments anciens, et le renouvellement pourrait être intégral sans préjudice pour l’identité de la personne. Sans préjudice de cette même identité, une partie de matière pourrait être abandonnée par le corps ou une partie lui être adjointe lors de la résurrection, par la toute-puissance du Créateur. La tradition des Pères comporte une certaine souplesse que les penseurs du moyen âge ont conservée.  ; oo3

REVELATION DIVINE

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Un essai particulier de solution. — Néanmoins, en présence de difficultés qui « ’adressent surtout à l’imagination, des théologiens scolastiques ont cru devoir élever la question dans une sphère où l’imagination n’a plus rien à voir, et demander une réponse à la raison pure. Ils prétendent bien d’ailleurs s’attacher étroitement aux données de la tradition et en donner une interprétation rigoureuse. Ils raisonnent ainsi.

Ce que la tradition chrétienne nous enseigne, c’est l’identité pure et simple du corps ressuscité, sans référence spéciale aux éléments matériels qui le constituaient à l’instant de la mort, sans distinction entre le corps de l’enfant et celui de l’adulte ou du vieillard. Et de fait, le corps qui participa au mérite ou au démérite de l’àme, c’est le corps tout court, sang acception de sa composition particulière à tel point de son existence terrestre. Dans cette donnée de la tradition, il y a une invitation à étreindre le seul principe d’identité qu’on puisse, en bonne métaphysique, saisir dans l’être humain : ce principe d’identité est l’âme spirituelle, forme substantielle du corps, donnant à la matière corporelle non seulement la vie, mais l’être même. Qu’on se rappelle les expressions du Concile de Vienne (131 1/2), D. B., 48 1 (40g). Dès lors, il n’y a point à raffiner sur l’identité des particules matérielles, toute l’identité dont elles sont capables leur venant de l’âme spirituelle qui les informe : cette âme spirituelle demeurant identique à elle-même, l’identité du corps qu’elle informe demeure assurée en tout état de cause.

Tel est le système élaboré par Durand, In IV d., 44 ; déformé par Mgr Laforht, Dogmes catholiques, t. IV, 1. XXVII, 11, 2, p. 448, Paris-Tournai, 1860 ; repris, de no9 jours, par S. E. le Cardinal Billot, Quæstiones de Novissimis" 1, thés, xiii, Komae, igo3, et par quelques-uns de ses disciples. Nous nommerons M. le Chanoine J. Van ubr Mbbrsch, Collationes Brugenses, t. XV, 1910.

Durand s’exprime ainsi, In IV d., 44 q. 1 n. 4 : Corpus Pétri non potes t esse nisi composition ex materia et anima Pétri, quæ dat ipsi taie esse ; et per enndem rationem non potest esse corpus Pauli nisi composition ex materia et anima Pauli dante taie esse ; ergo anima Pétri non potest esse in corpore Pauli, nece converso, nisi anima Pétri fiât anima Pauli, vel simul in eadem materia sit anima Pétri cum anima Pauli ; sed utrumque istorum implicat contradictionem…

Par là on coupe court, effectivement, à la difficulté tirée du cas de l’anthropophage, et à beaucoup d’autres difficultés. Est-il également sûr qu’on fasse justice à la tradition ? Que d’autres en décident. Ou ne saurait dissimuler que la tradition demeure attachée à une certaine identité des éléments matériels, dont nous ne voyons pas clairement que l’on rende compte par le seul appel à l’àme, forme substantielle du corps ; identité qui persiste après que ces éléments matériels sont déchus, par la mort, du degré d’être qu’ils occupaient dans la personne humaine, et qui doit être le fondement de la résurrection corporelle. Cette identité est reconnue par un docteur aussi fermement attaché à l’unité île forme substantielle que saint Thomas. Il s’exprime ainsi, IV C. G., 81 :

… Ex coniunclione eiusdem unimac numéro ad tandem materiam numéro, homo unus numéro reparabitur. Corporeitas auiem dupliciter accipi potest. Uno modo secundum quod est forma substantialis corporis, prout in génère substantiæ collocatur ; et sic corporeitas cuiuscuinque corporis nihilest aliud quam forma substantialis eius. secundum quam in génère » t s pecie collocatur ; ex qua debettir reicorporali quod

habeat très dimensiones. Non enim sunt divtrsae formæ subtantiales in uno et eodem, per quaritm unam collocatur ing « nere supremo. puta substantiae, et per aliam in génère proximo, puta in génère corpvralis vel animalis, et per aliam in specie, puta hominis aut equi… Oportet igitur quod corporeitas, prout est forma substantialis in homine, non sit aliud quam anima rationalis… Alio modo accipitur corporeitas prout est forma accidentalis, secundum quam dicitur corpus esse in génère quantilatis ; et sic corporeitas nihd aliud est quam très dimensiones quae corporis rationem constituant. Etsi igitur hæc corporeitas in nihilum cedit corpore humano corrupto, tamen impedire non potest quin idem numéro résultat, eo quod corporeitas modo primo dicta non in nihilum cedit, sed eadem manet…

Donc saint Thomas n’ignore pas que l’àme spirituelle est le principe de l’identité de l’homme vivant ; mais il ne laisse pas de reconnaître à la matière corporelle une certaine identité essentielle, en vertu de laquelle elle est eadem materia numéro. Or telle, et non pas autre, est l’identité qu’il requiert dans le corps humain ressuscité. Dira-t-on qu’elle est sauve du seul chef de l’identité de la forme substantielle ? Telle n’est pas la pensée du saint docteur, In IV d., 44 q. 1 a. 1 sol. 1 (= III a, Suppl., q.79 a.i). Après avoir écarté toute « orte de métempsycose, il ajoute, ad 3 m :

Illud quod inteilegitur in materia ante formant, remanet in materia post corruptionem : quia, remoto posteriori, remanere adhuc potest prius. Oportet autem… in materia generabtlium et corruptibiliiiin ante formant substantialem intellegere dimtnsiones non terminatas, secundum quas attendatur dWisio inateriae, ut diversas formas i’t diversis partibus reci-, père possil : unde et post separationem formæ substantialis a materia, adhuc dimensiones illæ ntanent eædem ; et sic materia sub illis dimensionibus existens, quamciimqiie formant accipiat, habet maiorem identttaiem ad illud quod ex ea generatum fuerat, quam aliqua pars alia materiæ sub quacumque forma existens ; et sic eadem materia ad corpus humanum reparandum reducetur quæ prias eius materia fuit.

Cela signifie clairement que la matière du corps humain demeure marquée par cette appartenance et que la résurrection doit lui rendre cette matière, identiquement. Telle était la pensée de saint Thomas, commentateur des Sentences.

Donc, quel que soit le mérite du système discuté, nous ne croyons pas qu’il soit fondé à revendiquer le patronage de saint Thomas. Pour cette raison entre autres, nous n’engagerons pas le lecteur à s’y rallier.

Quant au Docteur angélique, assurément il ne prétend pas éliminer le mystère inhérent au dogme de la résurrection corporelle ; mais nous croyons qu’il le situe exactement. On a vu ci-dessus comment il permet de faire face aux difficultés les plus pressantes.

A. d’Ai.ks.