Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Révélation divine

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 508-511).

RÉVÉLATION DIVINE. — Les éléments de cette question capitale se trouvent répartis dans de nombreux articles du Dictionnaire, où l’on pourra les ressaisir ; voir spécialement quant à la Révélation de l’A. T., l’article Prophktismb Israélite ; quant à la Révélation du N. T., les articles JÉsus-Chiust, Evangiles, Paul (S.) bt Paulinisme ; quant à la conservation de la donnée révélée par le magistère doctrinal, Eglise, Dogmb, Tradition ; quant aux caractères de la Révélation divine, Inspiration 1005

RÉVÉLATION DIVINE

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dk la Biblr, Inkrrancr bibliqur ; quant aux mystères révélés, Thinitk ; quant aux devoirs engendrés par la Révélation divine, Foi : quant à la dénaturalion du concept authentique de Révélation divine,

MOOKRNISMR THKOLOOIQUB.

Nous nous bornerons ici à un rappel sommaire de quelques points fondamentaux, d’après les premières éditions de ce dictionnaire.

Dans l’acception spéciale où nous le prenons ici, ce terme de révélation signifie l’acte surnaturel par lequel Dieu communique aux hommes, soit immédiatement par lui-même, soit par un intermédiaire divinement autorisé, ses enseignements et ses volontés. Toute révélation de Dieu à l’humanité suppose donc que celle-ci est constituée dans son être naturel, et douée de la capacité pareillement naturelle de connaître, par sa raison et au moyen des créatures, l’existence de Dieu et un certain nombre de ses perfections et de ses préceptes. — La théologie catholique distingue deux catégories de révélations divines : i* celles qui s’adressent et s’imposent à la croyance du genre humain tout entier ; ce sont les révélations publiques, ou tout simplement la Révélation ; a* celles qui ne s’adressent qu’à une seule àme ou bien à un certain nombre, mais sans être l’objet nécessaire de la foi universelle ; ce sont les révélations particulières. Nous traiterons, en deux paragraphes, de ces deux espèces de révélations.

S I er. Révélation publique. — I. Nous avons, sur ce premier point, l’enseignement authentique du Concile du Vatican (sess. ni, ch. 2), et c’est lui uniquement qu’il nous convient d’entendre et de défendre ici. — 1 ° « lia plu à la sagesse et à la bonté de Dieu de se révéler lui-même à nous, et de nous découvrir les éternels décrets de sa volonté, par une ▼oie surnaturelle, selon ces paroles de l’Apôtre :

! >ieu, avant parlé à nos pères par /es prophètes et

dé plusieurs manières, nous a parlé en ces derniers temps, de nos jours mêmes, par son Fils. » (Heb., 1, 1-2). La révélation divine se partage donc logiquement en deux périodes : la période judaïque ou de l’Ancien Testament ; la période évangélique ou du Nouveau. — a" « Grâce à cette révélation divine, tous les hommes, même dans l’état présent de leur race, peuvent promptement, avec une entière certitude et sans aucune erreur, connaître celles des choses divines qui ne sont pas de soi inaccessibles à la raison humaine », mais que celle-ci abandonnée à ses propres forces ne connaît que péniblement, avec des incertitudes et des erreurs de tous genres.

« Toutefois ce n’est pas pour cela que la révélation

est absolument nécessaire ; » à ce titre, elle ne l’est que moralement. — 3° Elle l’est absolument « parce que Dieu, dans son infinie bonté, a ordonné l’homme à une fin surnaturelle, c’est-à-dire, à la participation de biens divins qui surpassent tout à fait l’intelligence humaine : car, l’œil de l’homme n’a point vu, son oreille n’a pas entendu, son cœur n’a pu s’élever à comprendre ce que Dieu a préparé à ceux qui savent l’aimer. » (I Cor, , ii, 9). — 4" Cette révélation surnaturelle d’objets en partie naturels et en partie surnaturels est contenue dans les saints Livres, et dans les traditions recueillies de l’enseignement oral de Jésus-Christ ou de l’inspiration du Saint-Esprit et transmises jusqu’à nous par les Apôtres et leurs successeurs. — 5° En conséquence,

« si quelqu’un dit qu’il est impossible ou inconvenant

que l’homme soit instruit par la révélation divine, sur Dieu et sur le culte à lui rendre, qu’il oit anathème ! » — » Si quelqu’un dit que l’homme

ne peut être divinement élevé à une connaissance et à une perfection qui surpassent sa connaissance et sa perfection naturelles ; mais que, de lui-même, il peut et doit arriver enfin, par un perpétuel progrès, à la possession de tout vrai et de tout bien, qu’il soit anathème I » — D. B., 1780-8 (1634- ?) ; et 1806-9 0653-5).

II. — A cette doctrine dont les preuves sommaires sont rapportées en plusieurs articles de ce Dictionnaire (voir ci-dessus), on oppose ce qui suit : — i° Toute révélation surnaturelle est impossible, non seulement parce qu’il n’y a pas de mystères, mais parce que Dieu ne peut communiquer avec l’homme autrement que par la création et la raison. — 2 L’homme ne peut comprendre les vérités divines ; et s’il les comprend, elles ne sont plus surnaturelles mais humaines. — 3" A quoi bon la révélation ? Est-ce donc pour augmenter le fardeau déjà lourd de nos obligations naturelles envers Dieu, et pour rétrécir la sphère étroite déjà de notre liberté ? — 4° Pour distinguer les révélations divines d’avec nos hallucinations et nos rêves, il nous faudrait un critérium qui nous manque. — 5° Aussi bien y a-t-il plusieurs révélations divergentes et même contradictoires : celles des Egyptiens, des Assyriens, des Hébreux, des Indiens, des Chrétiens, sans compter les interprétations entièrement disparates que mille sectes et mille docteurs donnent de chacune d’elles. Cette confusion est pour le philosophe une raison déterminante de rejeter le tout en bloc. — 6, J Pour ne parler que de la révélation judaïque et chrétienne, son existence est au moins problématique, pour ne pas dire fausse ; et si elle a eu lieu, où peut-on assurer qu’elle ait été conservée de façon à mériter aujourd’hui encore notre créance ?

III. — Notre réponse à ces difficultés aura l’avantage de compléter notre exposé antérieur de la doctrine même de la révélation.

i° Il y a des mystères, et n’y en eût-il pas, il resterait à Dieu la possibilité de nous communiquer sa science, son intelligence des créatures qu’il a faites et que nous connaissons si peu, non sans grandes peines et sans fréquentes erreurs. Que faut-il à Dieu pour cela ? Se mettre en rapport avec notre esprit, soit immédiatement et sans idées intermédiaires, soit médiatement par des idées qu’il nous donnera toutes faites ou qu’il nous suggérera au moyen des phénomènes sensibles d’oït nous les tirerons, comme nous le faisons constamment dans l’ordre naturel. Dieu n’est-il pas le souverain intelligible et la vérité infinie ? Ne peut-il pas, ayant créé la substance même de notre intellect, l’enrichir de connaissances infuses ? Ne peut-il pas, ayant créé les êtres physiques, donner à certains d’entre eux telle destination particulière ou leur faire produire tel effet symbolique d’où résultera pour nous un enseignement divin ? L’on criera au surnaturel et au Miracle (voyez ce mot), qu’importe ? Le miracle et le surnaturel existent, et par conséquent une révélation, distincte du langage que Dieu tient à notre raison par le moyen de la création, est parfaitement possible.

2° Non, l’homme ne peut comprendre, c’est-à-dire, connaître d’une manière adéquate, les vérités divines ; mais il peut les connaître en partie, d’une manière inadéquate, bien que vraie et certaine. Et ce n’est pas seulement des vérités surnaturelles, mais de toutes sans exception, qu’il faut avouer que nous ne savons le tout de rien. Si donc l’objection prouvait quelque chose, elle prouverait trop. — Les vérités divines, une fois révélées à l’homme et connues par lui, sont en ce sens des vérités humaines ; mais elles restent surnaturelles et divines quant à 1007

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leur objet et quanta leur inaccessibilité pour l’esprit bumain dépourvu de la foi.

3° Si la révélation augmente nos devoirs envers Dieu, elle augmente aussi et dans une proportion immense ses bienfaits envers nous. Si elle limite notre liberté intellectuelle, c’est notre liberté d’ignorer et d’errer. Si elle captive notre raison, elle l’élève jusqu’à la région sublime du savoir divin lui-même. Y a-t-il là sujet de plainte ?

4° A coup sûr, nous avons besoin d’un critérium pour discerner la révélation d’avec ce qui n’est pas elle. L’Eglise veutpositivement, comme Dieu même, que nous nous en servions avant de croire : rationabile obsequium vestrum. Or, ce critérium est facile à employer. On pourrait l’appeler le bon sens, la droite raison. C’est le bon sens, c’est la droite raison qui nous dit : le fait de l’apparition de Dieu à Moïse sur le mont Sinai est certain ; certain aussi le fait de l’existence et de la divinité de Jésus-Christ, rédempteur et docteur du monde ; certain encore le fait de l’existence et de la divinité de l’Église, etc. Et c’est le bon sens, la droite raison qui nous dit : fausse est la mission de Mahomet ; fausse sa doctrine ridicule, immorale, contraire aux notions évidentes que notre intelligence possède naturellement sur Dieu et ses lois, etc.

5° La raison, la philosophie, voyant la multiplicité et la contradiction des documents que les différentes religions donnent pour révélés, ne doit pas conclure d’emblée que tous sont faux, mais examiner leurs titres et leur contenu. S’ils répugnent évidemment aux évidentes données de l’histoire et du bon sens, ils sont à rejeter aussitôt ; et c’est le cas de toutes les révélations, sauf la révélation judéochrétienne. S’ils ne répugnent point à ces données, et s’ils ont en leur faveur des preuves extrinsèques suffisantes pour établir la certitude, ils doivent être admis comme vrais ; et c’est le cas de la révélation biblique, évangélique, chrétienne en un mot. Reste à discerner, entre les diverses interprétations de ces documents, la seule vraie, la seule conforme à la pensée divine : et ici, la raison, la philosophie, si l’on veut, n’ont point de peine à reconnaître les notes de la véritable Eglise, et à se décider pour le catholicisme (voyez les articles Eglise, Papauté). Parmi les preuves extrinsèques nécessaires en tout ceci, figurent au premier rang les Miracles et les Prophéties (voir ces mots) ; leur possibilité, leur existence, la possibilité de leur constatation et de leur distinction d’avec les hallucinations ou les supercheries qui les copient plus ou moins fidèlement, sont hors de doute pour un esprit droit et sérieux.

6° L’existence de la révélation chrétienne, en laquelle est comprise la révélation ancienne faite depuis Adam jusqu’au Messie, a pour elle des preuves historiques, naturelles et surnaturelles, entièrement recevables. Les attaques dirigées en ces derniers temps contre ces preuves se montrent tout aussi impuissantes que celles’des précédents ennemis du christianisme. Si elles les ébranlaient, elles ruineraient du coup toute certitude historique, toute confiance aux documents et aux titres les plus incontestés : ce serait le naufrage de tout ce qu’il y a, dans la science humaine, de fondé sur le témoignage et l’expérience d’aulrui, c’est-à-dire, de la partie la plus considérable, sinon la plus obvie, et socialement la plus nécessaire, de toutes nos connaissances. Le christianisme est donc, comme fait historique, absolument inattaquable : et, entre les sectes qui malheureusement le divisent, l’Eglise catholique est historiquement, juridiquement, l’unique héritière des divins enseignements et des divines promesses.

§ II. Révélations privées. — I. — L’Eglise catholique les tient i° pour possibles, puisqu’elle ne les écarte point a priori quand il y a lieu d’en soumettre à son jugement ; 2° pour réelles en certains cas, puisqu’elle en a autorisé, approuvé même plusieurs, soit par des sentences permissives ou laudatives, soit par la canonisation de saints personnages auxquels elles avaient été faites, soit par l’approbation ou l’établissement de fêtes liturgiques basées sur elles ; 3° poiir relativement rares, puisqu’elle les examine toujours, sinon avec une méfiance positive, du moins avec une extrême circonspection ; 4° pour nécessairement subordonnées à la révélation publique, et même pour justiciables de la théologie, qui est toujours appelée à les juger à la lumière de la foi catholique ; 5° pour étrangères au dépôt de la révélation générale et universellement obligatoire, puisqu’elle ne considère jamais comme hérétiques ceux qui refusent deles admettre, encore qu’ils puissent quelquefois être, en cela, imprudents et téméraires.

II. — Il est inutile, ce semble, d’approfondir davantage ce sujet, d’en examiner les détails et de discuter les raisons sur lesquelles s’appuie la doctrine qui vient d’être résumée. Passons donc aux objections qu’elle soulève le plus communément. — i° Les révélations particulières sont impossibles. — 2° Elles sont inutiles. — 3° Elles sont indiscernables.

— 4° Elles ne peuvent, sans sophisme, être jugées d’après la révélation générale. — 5° Celle-ci leur serait plutôt subordonnée, comme l’ont pensé les protestants. — G Si elles sont vraies, pourquoi n’obligent-elles pas l’Eglise entière ?

III. — Il est faux i° que les révélations particulières soient impossibles. Dieu, en faisant la révélation générale qui oblige tous les hommes, n’a perdu ni le pouvoir ni la liberté d’y ajouter, quand il lui plairait, certaines manifestations d’une portée moins étendue et parfois tout individuelle. Quant à l’impossibilité tiréede la prétendue absurdité du miracle, elle a été résolue précédemment.

2° Elles sont inutiles en ce sens que la révélation publique ou universelle n’en est pas accrue, soit. Mais elles peuvent être fort utiles aux âmes à qui Dieu les fait, à celles à qui elles sont communiquées et qui parfois sont extrêmement nombreuses, au développement de la foi et de la piété dans l’Eglise, à une plus claire intelligence des vérités et des documents de la révélation générale, au bon gouvernement des âmes et même de l’Eglise entière. Les révélations relatives à la dévotion envers le Sacré-Cœur de Jésus sont un exemple notoire de cette multiple utilité.

3° Assurément, toute révélation particulière doit être examinée d’après des principes rigoureux et solides, qui permettent de la rejeter si elle apparaît fausse, de l’accueillir si sa réalité est prouvée, de la laisser douteuse si elle n’est ni certainement fausse ni certainement vraie. Ces principes sont de deux ordres, critiques et théologiques : critiques, ils établissent l’objectivité ou la subjectivité du fait ; théologiques, ils montrent la convenance ou l’opposition des pensées révélées avec la vérité naturelle, évidente, et avec la vérité surnaturelle contenue dans l’infaillible révélation générale. Les ouvrages des théologiens et des canonistes fournissent de nombreuses applications de ces principes généraux.

4" Pourquoi serait-ce un sophisme de juger les révélations particulières d’après la révélation publique, dès que celle-ci est préalablement prouvée, Infailliblement proposée, authentiquement expliquée par l’Eglise ? Or, c’est ce qui a lieu ; et les théologiens catholiques se gardent bien de prendre pour critérium l’objet même qu’il s’agit d’apprécier. 1009

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5° Beaucoup d’auteurs protestants, en remettant à chaque individu le soin de juger de la divinité et du sens des Ecritures, se sont vus entraînés à admettre la réalité d’une révélation particulière faiteà chacun dans ce but. Mais leur point de départ est purement imaginaire ; leur système est contraire à la doctrine formelle du Christ et de la tradition apostololnjue sur l’inierprétation des Ecritures ; l’expérience prouve enlin qu'à moins de supposer d’innombrables contradictions dans l’esprit révélateur, les jugements portés par les individus sur l’inspiration et la signification des textesbibliquessontaussi contraires à la vérité qu’ils sont inconciliables entre eux. La révélation générale ne dépend donc pas des révélations particulières.

(i ' Quand elles sont vraiment divines, ces révélations particulières obligent ceux que Dieu a voulu obliger d’y croire et ceux-là seulement. Ce sont les personnes à qui elles ont étéfaites, et celles pour qui leur vérité historique et théologique est certaine. Le nombre de ces personnes pourra être plus ou moins grand, selon les desseins et les opérations de la divine Providence ; mais il n’embrassera jamais l’humanité entière, pour cette raison précisément que Dieu n’a pas conlié aux organes et aux interprètes de la révélation universelle ces révélations particulières ; il l’eût fait à coup sûr, s’il eût voulu qu’elles aussi fussent universellement promulguées et imposées à la foi de tous.

(Voir les indications bibliographiques fournies aux mots Apparitions, Extase, Prière).

J. Diihot.